LE TEMPS RETOURNÉ

Transcription

LE TEMPS RETOURNÉ
1
2
Ce travail s’intègre à une série de travaux linguistiques sur l'expression du
temps dans la construction de récits1. Dans la perspective de l'activité langagière de
production et de compréhension de discours, nous analysons, après des séries de
récits d’expériences personnelles, d'autres récits brefs, ceux de la nouvelle2, et de
façon privilégiée la nouvelle brève latino-américaine (‘el cuento’), dans laquelle la
dimension temporelle joue un rôle central. Le temps y fait l'objet d'un travail
LE TEMPS RETOURNÉ :
systématique, au niveau thématique comme à celui de la construction du discours
narratif. L'objectif de la présente étude est de rendre compte d’un texte caractéristique
de cette préoccupation, la nouvelle "Retour aux sources”3 du Cubain Alejo
‘VIAJE A LA SEMILLA’
Carpentier, qui a placé son œuvre sous le signe de la "guerre du temps".
Notre approche linguistique vise à élucider le fonctionnement d'un tel récit
de ALEJO CARPENTIER
= du point de vue de la construction du temps par l'auteur : nous chercherons à
caractériser quelles marques linguistiques, quels indices indirects d’information
temporelle, quelles organisations discursives sont mises en œuvre pour renverser le
déroulement du temps;
par
= du point de vue du récepteur : nous nous demanderons en quoi consiste la tâche à
lui assignée par l'auteur pour mener à bien la construction du sens à partir du texte.
Nous centrons notre analyse non sur le texte comme objet, mais sur l'activité
langagière du scripteur et du lecteur mise en œuvre à propos de ce texte. Dans la
construction de récit en situation de dialogue, la coopération du destinataire est un
Colette NOYAU
élément constitutif, et l’on relève des traces observables de l’activité conjointe
déployée par le couple narrateur - narrataire (cf. Gülich & Quasthoff 1986, OeschSerra 1989, Noyau, à paraître b). Dans le récit littéraire, malgré les caractères
inhérents à cette situation de communication de transmission différée avec
destinataire virtuel, la dimension interactionnelle n’est pas moins présente. L’écrivain
G.R.A.L.-DIR
GdR 113 C.N.R.S. et
Université de Paris X-Nanterre
Département des Sciences du Langage
200, avenue de la République
92001 NANTERRE Cédex
[email protected]
construit une machine interprétative s’adressant à un lecteur qui accomplit un travail
de reconstruction (cf. Eco 1979, et en ce qui concerne le conte latino-américain, sur
l'appel systématique à l'activité herméneutique du lecteur, Boix 1986).
1.
Paru dans : Gilles LUQUET, ed. (1992) Linguistique Hispanique, Actualités de la
recherche, Presses de l'Université de Limoges, pp. 149-176.
C. NOYAU : Le temps retourné
Voir les travaux sur des récits personnels dans la conversation entre adultes,
en langue étrangère (Noyau 1986, 1987, 1988, à paraître a) et en langue
maternelle (Noyau , à paraître b).
2. Voir l’étude sur les récits oniriques de Marcel Béalu (Noyau, 1989).
3Le texte 'Viaje a la semilla' (littéralement "voyage vers la semence") est paru
pour la première fois en 1944 à la Havane. Il a été ensuite repris dans le recueil
de nouvelles Guerra del tiempo. (México, C.G.E. 1958). Traduction française La
guerre du temps par René L.F. Durand, éd. Gallimard 1967, cette édition étant
depuis longtemps épuisée. L'ensemble des nouvelles de Carpentier est reparue
en un volume : Guerre du temps et autres nouvelles, chez Folio-Gallimard (1989).
C. NOYAU : Le temps retourné
3
A travers cette analyse, nous visons à fournir des éléments de réponse du point
de vue d'une linguistique textuelle à quelques questions relatives au traitement du
4
1986), cognitif d’autre part (Jackendoff 1983, Le Ny 1989, Baudet, sous presse,
François, sous presse).
temps qui y est à l’œuvre :
• Quelles transformations l'auteur fait-il subir au flux du temps dans ce récit : ce
"retour aux sources", d’un destin humain de sa fin à la naissance et à l'origine, est-il
une inversion en symétrie du déroulement temporel auquel les événements du
monde réel sont soumis?
• Comment, à travers son récit, l'auteur parvient-il à produire l'illusion
temporelle?
1.3 Une démarche d’analyse de la temporalité dans les textes
On décrira d’abord d’une façon globale la macro-structure temporelle du texte,
sous trois aspects :
- la structure narrative : organisation de la trame narrative, structuration en épisodes;
- la structure discursive , c’est-à-dire la structuration du texte en plans discursifs, les
procédés de mise en relief, la polyphonie;
• Ce procédé n’est pas la clé unique de la construction du texte, il est utilisé
- la perspective narrative et la focalisation, qui traite le placement du narrateur par
dans certaines limites au service d’un projet d’écriture : comment, et pour quelles fins
rapport à l’auteur et par rapport au narré (cf. Genette 1972, 1983), en traduisant ces
ce travail sur le temps est-il accompli?
différentes positions narratives en termes linguistiques à partir des traces des
• Comment le lecteur, dans le temps de la lecture, perçoit-il cette temporalité
fantasque?
opérations d’énonciation présentes dans le texte.
On envisagera ensuite au niveau micro-structurel :
Nous allons tenter de répondre à ces questions à partir d'une étude des marques
- l’ancrage temporel, qui spécifie les opérations énonciatives par lesquelle s’effectue la
linguistiques offertes par le texte.
référenciation, notamment temporelle;
- les représentations de procès : la sélection des procès exprimés et leurs
1. Cadre théorique
enchaînements sera abordée au moyen d’une analyse en traits conceptuels de la
temporalité inhérentes des verbes et plus généralement des prédications (cf. Noyau, à
1.1 Une sémantique interprétative
paraître c), François, sous presse);
Nous travaillons à partir d’une conception interprétative de la sémantique,
- les moyens linguistiques temporels mis en œuvre dans le texte : on les caractérisera
selon laquelle le fonctionnement sémantique nécessite l’appui sur des cadres
dans leur ensemble, d’abord les moyens lexicaux, expressions temporelles
interprétatifs, des schématisations cohérentes de l’expérience, qui est orientée vers les
adverbiales ou verbales mais aussi traits de temporalité inhérente des procès (cf. ci-
processus plus que vers les structures, (sur tout ceci, cf. Fillmore 1986). Il s’agit aussi
dessus), puis les moyens lexico-syntaxiques et discursifs mis en œuvre pour exprimer
d’une sémantique contextuelle, selon laquelle les significations sont déterminées par
les relations temporelles, enfin les moyens morphologiques, qui contribuent à
les les relations entre locuteurs et interlocuteurs dans un contexte donné et par leurs
l’expression des relations temporelles et marquent les aspects.
connaissances (cf. van Dijk 1978), une sémantique visant à être pertinente d’un point
de vue cognitif, qui s’emploie à décrire l’activité de construction du sens par les
Ces analyses visent à mieux caractériser le type d’opérations linguistiques que
constitue cette inversion du temps.
locuteurs d’une façon compatible avec l’élucidation par les sciences cognitives des
processus de compréhension et de production de texte (cf. Denhière 1984, Baudet &
2. La problématique linguistique de l’inversion du temps
Denhière 1989, François & Denhière, sous presse). Notre objectif principal est de
rendre compte de l’activité des locuteurs pour construire du sens à travers des textes.
2.1 Approche linguistique des textes de fiction
1.2 Une analyse conceptuelle de la temporalité
de son fonctionnement sémantique?
Pour décrire le fonctionnement relatif à un domaine d’expérience dans le cadre
d’une telle sémantique, il faut s’en donner une représentation à un niveau conceptuel
Il conviendrait de distinguer texte de fiction (il peut y avoir construction d’une
fiction dans la conversation ordinaire : mentir, plaisanter, se mettre en scène dans une
indépendant des langues. Cette nécessité se justifie non seulement pour permettre
une approche translinguistique (typologique, comparative) des phénomènes, mais
histoire sont déjà de la fiction) et texte littéraire. La définition que propose DanonBoileau (1982) de la référenciation de fiction dans Construire le fictif est également
aussi théoriquement, d’un point de vue linguistique d’une part (cf. Pottier , Fillmore
applicable à la construction de tout autre texte renvoyant à une représentation du
La fiction est-elle qualitativement différente de tout autre texte du point de vue
C. NOYAU : Le temps retourné
C. NOYAU : Le temps retourné
5
6
monde réel : “Nous appellerons “référenciation” l’ensemble des procédures
monde que s’est construit le locuteur. La question posée ne vient pas de ce que le
énonciatives qui permettent de bâtir progressivement un lieu autorisant le lecteur à
temps inversé soit de la fiction (puisque le temps du monde réel s’écoule dans l’autre
former des déductions que le texte lui-même vient confirmer ou infirmer.” (p.33). Le
sens). Ce dont il s’agit, c’est de caractériser la référenciation dans ces cas, c’est-à-dire
même auteur précise en quoi à ses yeux, dans la fiction littéraire, le fonctionnement
la relation entre monde réel, mondes possibles, leurs représentations (les ‘images de
référentiel est spécifique : “Dans le cas d’un texte littéraire, la différence essentielle
mondes’ selon Martin 1988), d’une part, et la mise en texte, l’interprétation du texte
tient au fait que l’objet mis en place, le référent, n’est jamais séparable du texte qui
l’institue, ceci en raison du fait qu’il est toujours dépendant des repères mis en place
d’autre part.
L’inversion du temps dans le récit est une figure narrative que l’on peut
pour le calcul des désignations et que ceux-ci ne sont pas stables. C’est même ce jeu
trouver sous diverses formes. Distinguons, par commodité et de façon sans doute
sur les repérages qui constitue le caractère littéraire d’un texte.” (ibid., 34).
simplificatrice, deux grandes catégories de jeux avec le temps : a) les jeux référentiels,
Or, on peut dire que toujours - et pas seulement dans la fiction - ce qui est mis
où le narrateur crée une image de monde possible dans laquelle la dimension
en mots, ce sont des représentations mentales que s’est construites le locuteur.
temporelle n’est pas soumise aux mêmes contraintes que dans le monde dont nous
Représentations de realia, représentations d’éléments dans des mondes possibles. De
avons l’expérience, b) les jeux narratifs, qui bousculent les règles de mise en ordre
ce point de vue, le cheminement de la communication n’est pas différent dans sa
dans le récit de suites d’événements compatibles avec notre expérience du monde.
nature qu’il s’agisse d’énoncés de fiction ou d’énoncés portant sur le monde réel. Le
Le cas le plus simple de jeu référentiel avec le temps est celui de la science
circuit de la communication va, comme le dit Pottier, de la conceptualisation par le
fiction. Il s’agira, le plus souvent, de la représentation d’un monde possible où le
locuteur Co1 à la conceptualisation par le destinataire à partir du dit Co2, qui doit
temps s’écoule dans l’autre sens4. Image de monde conçue par l’auteur, construction
ressembler à Co1, à travers la médiation de l’énoncé En termes cognitifs, Co1 = les
mentale au moyen de diverses opérations d’inversion, retournement, contraires
représentations mentales à la base du projet de dire, Co2 = la construction par le
logiques, etc. à partir d’un monde comme le nôtre. A ce cas correspond une
récepteur de représentations mentales compatibles avec celles du locuteur Dans le cas
constellation textuelle et narrative typique : un narrateur omniscient, une focalisation
de la fiction, les représentations à la base du projet de dire n’ont pas de référent dans
zéro, et une forte composante descriptive indispensable à l’explicitation factuelle de
le monde réel. Mais dans le cas de discours référant au monde réel, il y a de toute
ce monde (ce qui dans ce monde diffère du nôtre) pour des lecteurs ayant
façon relative indépendance entre les représentations construites par le locuteur dans
l’expérience du monde réel.
son projet de dire (son intention de communication) et les entités et procès référés :
Dans un jeu narratif sur le temps, les événements fictifs renverront à un monde
d’abord parce qu’à la base il y a non le monde mais les représentations mentales
où le temps joue le même rôle que dans le monde réel. Mais la dimension
qu’en a le locuteur, ensuite parce qu’il n’y a pas qu’une perception, qu’il y a sélection
chronologique de la narration sera bousculée, par exemple inversée : le récit
des éléments à exprimer, qu’il existe une subjectivité, qu’il y a des degrés de prise en
progresse des événements les plus récents aux plus reculés. Cette inversion de la
charge épistémique.
chronologie narrative pourra être signalée (par des moyens explicites d’expression
On pourrait montrer, par une analyse du fonctionnement des procédés de
des relations temporelles, “mais avant ça…”, “avant il avait…”) ou non signalée : ce
référenciation dans des récits oraux d’expériences personnelles, que le locuteur
sera alors à la charge du lecteur de la reconstruire à partir des indices à sa disposition
construit son objet, le référent, au moyen de désignations qui sont instables, et que ce
(cohérence textuelle, connaissances du monde, etc.). Une telle inversion correspondra
référent est relativement indépendant des entités du monde réel qui sont à la base des
du point de vue cognitif à une évocation des représentations dans un ordre inverse à
représentations mentales mises en texte (cf. Noyau, à paraître b), sur des versions
l’ordre chronologique de succession des événements dans le monde évoqué : une
successives d’une même anecdote). Les phénomènes de jeu avec la dimension du
remémoration du plus récent au plus éloigné, qu’il s’agisse d’événements mis en
temps que le texte ici étudié met en relief permettront de pousser plus avant cette
mémoire dans l’ordre de leur occurrence (réelle) ou dans l’ordre de leur évocation
discussion (cf. 5 ci-dessous).
première s’il s’agit de fiction.
2.2 L’inversion du temps, figure narrative
Pour aborder le problème des récits à temps inversé, il faut partir de ce fait que
4.
la référenciation n’est pas référence directe au monde, mais à des représentations du
C. NOYAU : Le temps retourné
D’autres figures, de temps ramifié, labyrinthique, etc. ont aussi été exploitées
par la science fiction. Pour une première approche de cette question, cf. Favier
1972
C. NOYAU : Le temps retourné
7
Dans Viaje a la Semilla : c’est une énigme que le statut de cette inversion. Nous en
proposerons des éléments de solution après avoir analysé le texte du point de vue de
son fonctionnement sémantique concernant le temps.
3 Le temps retourné : sémantique temporelle d’un piège textuel.
Analyse de 'Viaje a la semilla' de Alejo CARPENTIER
3.1 Présentation de la nouvelle
Ce texte5 n'est pas une nouvelle très brève : une vingtaine de (petites) pages.
Le récit est organisé en 13 sections numérotées, de 1 à 2 pages. I : on démolit une
maison, sous les yeux d'un vieux nègre. II (début): le vieux nègre par magie, inverse
le cours des choses : la maison se reconstitue et va revivre. II (fin) - XII : la maison
retrouve sa vie à l'envers, depuis la mort du Marquis Marcial qu'on voit revivre de
l'agonie à la naissance, jusqu’avant la construction. XIII : les ouvriers démolisseurs le
lendemain matin ne retrouvent que le terrain nu.
La première et la dernière sections (I et XIII) se déroulent dans l’ordre
chronologique ordinaire. Elles servent d’encadrement à la partie centrale du texte (II à
XII), où la chronologie apparaît inversée. L’absence d’ancrage temporel par rapport à
la situation d’énonciation, la constellation verbale Prétérit - Imparfait, la narration en
troisième personne, dénotent une énonciation narrative très classique. Voici un
résumé succinct des 13 sections, auquel nous renverrons le lecteur dans la suite de
l’analyse :
I. Travaux de démolition d’une maison, interrompus par la fin de la journée de
travail. Un vieux nègre y assiste, parcourant le chantier en monologuant. La
nouvelle commence in medias res par une question des ouvriers au vieillard, qui
reste sans réponse. La section décrit les activités de démolition en cours, et
récapitule ce qui a déjà été accompli avant le moment du texte.
II. Le vieux fait un geste, et tous les morceaux, dalles, pierres, volets puis tuiles,
vont reprendre leur place; la fontaine retrouve de l’eau et des poissons. Le vieux
introduit une clé dans la serrure, entre, ouvre portes et fenêtres et allume des
lumières, et la maison s’anime : gens vêtus de noir qui chuchotent, et le Marquis
sur son lit de mort.
III. Don Marcial se réveille, se confesse, se trouve par terre dans sa chambre, puis
se relève et se sent mal, retrouve des avocats chargés de vendre sa maison.
IV. Mois de deuil de plus en plus douloureux. Puis la Marquise revient d’une
promenade au bord de l’eau. Puis une vieille lui prédit des dangers par l’eau. Des
parents et amis réapparaissent. D. Marcial est de plus en plus amoureux de la
Marquise.
V. Pudeur croissante des époux, qui partent bientôt pour un voyage où ils se
connaissent à peine. Puis ils vont à l’église recouvrer leur liberté, rendre les
cadeaux aux amis. Ils se voient encore de temps en temps, puis les anneaux sont
portés au bijoutier pour être dégravés.
5.
Nous utilisons l’édition de "Viaje a la semilla" dans CARPENTIER, Alejo,
Cuentos completos. 1979. Barcelona, Club Bruguera (1981), pp. 63-93.
C. NOYAU : Le temps retourné
8
VI. Marcial passe des nuits de beuverie avec ses amis. Une fois, dans la boisson, il
lui semble que les pendules tournent dans l’autre sens, que d’autres possibles
existent. Il devient de plus en plus porté à la méditation. Grande soirée de fête
quand il atteint sa minorité, où il courtise une dame; puis (?) les garçons sortent
seuls voir des mulâtresses.
VII. Un homme sévère chargé d’exécution testamentaire lui rend visite. Puis
Marcial va au collège : après des examens il fréquente des cours qu’il comprend de
moins en moins. Il se contente peu à peu de certitudes fragmentaires à répéter, de
nommer des images dans les livres. Puis il cesse d’étudier, devient léger, gai et
oublie les livres. Il vit une crise mystique peuplée d’agneaux, de colombes et de
rois mages, avec des cauchemars sur les saints martyrs.
VIII. Les meubles grandissent. Marcial joue aux petits soldats par terre, prend
plaisir à s’asseoir sur le sol et à observer d’en bas les choses de la maison.
IX. Un matin, on l’enferme dans sa chambre tendis qu’en bas, s’agitent des gens,
on apporte un cercueil. Le jeune cocher noir Melchor vient jouer avec lui. Après la
nuit, il va voir son père alité, celui-ci se sent mieux et lui parle cérémonieusement.
Marcial admire son père comme un dieu, car il est très grand, mange beaucoup et
sait châtier ses servantes.
X. Les meubles croissent encore. Le seul être au monde qui anime la vie de Marcial
est le jeune Melchor, débarqué d’Afrique, qui lui raconte des histoires, chante, vole
pour lui des friandises. Ils ont des jeux et des mots secrets.
XI. Il se met à casser des choses, oublie Melchor pour la compagnie des petits
animaux. Un jour, devant le chien il dit “ouah ouah”. Il parle sa propre langue.
XII. Limité aux perceptions sensorielles élémentaires, il renonce à la lumière et
pénètre dans la matrice d’un corps mourant qui revit. - Les oiseaux retournent à
l’œuf, les plantes à la terre, les vêtements aux animaux et les meubles aux arbres.
Reste une surface déserte à la place de la maison.
XIII. Les ouvriers revenant achever leur travail le trouvent terminé, et évoquent
vaguement le sort d’une marquise morte noyée.
3.2 Caractérisation macro-structurelle du texte
Dans cette partie, nous envisageons la structure de la nouvelle dans son
ensemble en tant que récit. Nous caractériserons d’abord sa structure narrative, sa
structuration discursive, puis nous discuterons la perspective narrative adoptée telle
que les marques linguistiques du texte la révèlent.
3.2.1 La structure narrative
Ce texte pris globalement n’a pas une structure de récit linéaire de type
‘situation initiale - développement - situation finale’, mais une structure à
encadrement: deux épisodes centrés sur la démolition d’une maison, séparés dans le
temps par l’espace d’une nuit, ouvrent et clôturent la nouvelle, enserrant le corps
central du texte qui déroule le destin du Marquis de sa mort à sa naissance. La
présentation matérielle en sections numérotées commençant chacune sur une page de
droite suggère un découpage du récit en épisodes. Voyons si chacune de ces sections
constitue un épisode au sens narratif du terme, c’est-à-dire une suite d’événements
liés constituant un micro-récit, et pouvant être séparé des autres épisodes par un
C. NOYAU : Le temps retourné
9
10
intervalle de temps. Nous allons examiner successivement les sections de la partie
Les jeunes mariés recouvrent leur liberté; VI M atteint sa minorité et la fête; VII M
fréquente l’école où il oublie le savoir et les livres; VIII Les meubles grandissent et
M joue par terre; IX On apporte un cercueil, M va voir son père alité, qui se sent
mieux; X.M tout petit a pour seul ami un jeune serviteur noir; XI M se concentre
sur la compagnie des animaux; XII Il pénètre dans un corps maternel qui revit.
centrale, puis les parties encadrantes6.
Les sections centrales commencent généralement par une exposition
(description d’une situation initiale, indications anaphoriques de localisation
temporelle, IMPF)7 :
Los rubores eran sinceros. Cada noche se abrían un poco más las hojas de los biombos (V
73)
et se terminent le plus souvent par un événement (procès télique qui ouvre une
nouvelle situation; cf. 3.3.1 ci-dessous) :
Un día, un olor de pintura fresca llenó la casa (IV 72)
El barro volvió al barro, dejando un yermo en lugar de la casa (XII 92)
La transition entre encadrement et partie centrale s’effectue en douceur, avec
une recherche de continuité. La section II introduit au prétérit les actions du vieillard
qui déclenchent la régression temporelle, mais les fait alterner avec des passages où le
traitement des procès est identique à celui de I : procès de type descriptif traités au
prétérit, dont les actants sont les objets inanimés affectés par le processus de
démolition ou de construction (cf. ci-dessous 3.2.3 sur les structures actancielles).
Entre les deux, on trouve des suites de procès qui constituent une petite trame
Les sections encadrantes I et XIII sont plus purement narratives. I met en scène
narrative :
Después de un amanecer alargado por un abrazo deslucido, aliviados de desconciertos y
cerrada la herida, ambos regresaron a la ciudad. La Marquesa trocó su vestido de viaje
por un traje de novia, y, como era costumbre, los esposos fueron a la iglesia para recobrar
su libertad. (V 73)
la démolition de la maison comme une suite de procès dont le vieux est observateur
ou des descriptions de situations, qui caractérisent la phase de vie que traverse
Marcial :
Ahora vivía su crisis mística, poblada de detentes, corderos pascuales, palomas de
porcelana,… (VII 80)
Los muebles crecían. Se hacía más difícil sostener los antebrazos sobre el borde de la mesa
del comedor (VIII 83)
Entre deux sections successives, il s’écoule en général un intervalle de temps, la
narration effectue des sauts dans le temps, tantôt explicites :
Transcurrieron meses de luto, ensombrecidos por un remordimiento cada vez mayor (IV
71)
tantôt implicites :
Aquella mañana lo encerraron en su cuarto. … Llegaban hombres vestidos de negro,
portando una caja con agarraderas de bronce. (IX 85)
Du point de vue du parcours temporel pris globalement, chaque sectionépisode peut être considérée comme un macro-événement inséré dans une trame
narrative globale de II à XII dont le protagoniste est le Marquis. La distance
temporelle entre macro-événements découle le plus souvent de la réinterprétation des
faits narrés dans un monde non inversé semble au nôtre, où le lecteur possède des
savoirs sur la durée relative ou la distance relative de phases de la vie humaine
possédant telles ou telles caractéristiques :
II M est mort; III M se réveille, est assisté par le prêtre, perd connaissance, doit
vendre sa maison; IV M est veuf, la marquise revient, il vit heureux avec elle; V
6.
La section II offre un cas particulier, puisqu’elle entremêle les deux statuts :
gestes magiques du vieux (3 lignes) - reconstitution de la maison (12 lignes) - le
vieux ouvre la maison (3 lignes) - des personnages y évoluent (10 lignes).
7. Nous désignerons les passages cités par le n° de la section à laquelle ils
appartiennent suivi du numéro de page.
C. NOYAU : Le temps retourné
muet, XIII ne traite plus que le monde des humains pour qui la maison n’existe plus :
Cuando los obreros vinieron con el día para proseguir la demolición, encontraron el trabajo
acabado. … Uno recordó entonces la historia … (XIII 93)
Le cadre s’est refermé en un cercle : d’une maison en démolition à une maison qui
n’existe plus.
3.2.2 La structure discursive
La structuration du texte en plans discursifs est à envisager à un niveau
intermédiaire de globalité : à l’intérieur de chaque section. L’auteur dispose les procès
traités comme événements successifs d’une trame narrative par rapport à un arrièreplan, grâce au
jeu des temps PRET / IMPF. Le traitement des procès comme
constituants de la trame ou de l’arrière-plan est très particulier, aussi bien au niveau
de la macro-structure narrative de la partie centrale II-XII qu’à un niveau plus local :
tout se passe comme si des situations durables étaient considérées comme des
événements modifiant le cours des choses8:
Cuando los muebles crecieron un poco más y Marcial supo como nadie lo que había debajo
de las camas, ocultó a todos un gran secreto : la vida no tenía encanto fuera de la presencia
del calesero Melchor. (X 87)
Pero ahora el tiempo corrió más pronto, adelgazando sus últimas horas. (XII 91)
Le traitement des paroles des protagonistes est en harmonie avec le parti-pris
d’unification entre les entités animées et non animées en un règne unique (cf. cidessous 3.2.3). On a très peu de discours rapportés. Sinon, les paroles
sont
simplement narrées (les actes de paroles sont désignés comme des actions). Ainsi,
quand le jeune Marcial va voir son père sur son lit de malade, peu après que des
hommes ont apporté un cercueil :
8.
On reviendra en 3.3.3 ci-dessous sur le concours des catégories verbales
morphologisées à la structuration temporelle.
C. NOYAU : Le temps retourné
11
El Marqués se sentía mejor, y habló a su hijo con el empaque y los ejemplos usuales. Les
“Sí, padre” y los “No, padre” se encajaban entre cuenta y cuenta del rosario de
preguntas,… (IX 85)
A quoi s’ajoutent quelques rares passages en style indirect libre, comme celui-ci,
évoquant les réflexions de Marcial enfant, où apparaissent des verbes au présent à
valeur générique :
Afectas al terciopelo de los cojines, las personas mayores sudan demasiado. … Sólo desde el
suelo pueden abarcarse totalmente los ángulos y perspectivas de una habitación. (VIII 84)
3.2.3 Perspective narrative et focalisation
12
recours à ce procédé linguistique permet une homogénéité de traitement des entités
dans les parties encadrantes et dans le corps du récit et contribue à estomper la
transition entre l'épisode introductif en temporalité ordinaire et le corps du texte en
déroulement inversé. Par ailleurs, ce gommage des différences entre entités dotées
d’intentionalité et entités inanimées est une solution formelle élégante au problème
que pose la question de la conscience et de l’intentionalité dans un temps inversé
(nous y reviendrons en 4.1 ci-dessous).
3.3 Etude micro-structurelle
Considérons le placement des instances du narrateur par rapport à celle de
Nous allons analyser maintenant l’ancrage temporel du texte, les moyens
l’auteur et par rapport au narré (en suivant notamment Genette). Ces cas de figure de
linguistiques de référence temporelle mis en œuvre, et la façon dont sont
la perspective narrative, conçus dans le cadre de la théorie littéraire, peuvent se
conceptualisés et inscrits dans le temps du récit les procès qui constituent la narration
traduire en termes linguistiques, car on peut y relier des constellations de marques
en temporalité inversée.
linguistiques propres aux différents cas d’énonciation (cf. Danon-Boileau 1982, Adam
1985). Ici, la narration est en 3e pers. avec un narrateur anonyme (nous reviendrons
3.3.1 L’ancrage temporel
sur le statut de ce narrateur in fine), et les temps verbaux de base sont, classiquement,
D’une rapide analyse des opérations énonciatives fondatrices de ce texte se
PRET + IMPF. Remarquons que les textes narratifs où le niveau référentiel est de
dégagent les faits suivants : il n’y a pas de JE-maintenant explicite ou pris comme
nature à perturber l’expérience commune, “que altera(n) el régimen normal de la
repère, donc pas de lien à l’origo déictique, le temps de base est le prétérit, avec sa
conciencia” , selon Cortázar (‘Del cuento breve…’), comme dans le genre fantastique,
valeur d’aoristique, sans lien temporel déterminé avec le moment d’énonciation,
adoptent généralement un tel parti-pris de classicisme narratif.
l’ancrage temporel tout au long du texte est anaphorique : tous les repères sont
Le regard porté sur les entités est, lui, remarquable. Les sections d’encadrement
construits dans le texte. L’ancrage temporel ne caractérise pas ce texte comme
I et XIII sont en focalisation zéro (cf. Genette 1972), avec en I un descriptivisme centré
spécifique; au contraire, le jeu, la subversion au niveau référentiel ou chronologique,
sur les choses et les processus, tendant à l’effacement du facteur humain : les objets y
sont souvent sujets d'énoncé et associés à des verbes impliquant une activité
s’accompagnent de l’adoption d’un mode d’énonciation narrative classique (cf.
psychologique de perception ou d’intention :
Para la casa mondada, el crepúsculo llegaba más pronto. Se vestía de sombras en horas en
que su ya caída balaustrada superior solía regalar a las fachadas algún relumbre de sol. …
Por primera vez las habitaciones dormirían sin persianas …
(I 66)
Cortázar, 9)
3.3.2 Les moyens linguistiques temporels
Examinons de façon globale les moyens linguistiques temporels mis en œuvre :
d’une part les moyens lexicaux, expressions temporelles, mais aussi traits de
et inversement les actions humaines apparaissent réifiées par des nominalisations ou
temporalité inhérente des verbes et plus généralement des prédications (cf.Noyau à
par le traitement indépendant d’attributs des êtres humains comme actants:
Dieron las cinco. Las cornisas y entablamientos se despoblaron. Sólo quedaron escaleras de
mano, preparando el asalto del día siguiente. El aire se hizo más fresco, aligerado de
sudores, blasfemias, chirridos de cuerdas, ejes que pedían alcuzas y palmadas en torsos
pringosos. (I 66)
paraître b, François sous presse).
Ce procédé se poursuivra dans la partie centrale en II-XII. On a alors une double
9
focalisation : interne sur Marcial (“vision avec le personnage”, cf. Danon-Boileau,
p.44), externe sur la maison et ses équipements. Les structures actancielles des
énoncés ne se différencient pas quant à l’intégration syntaxique des entités humaines
et non-humaines. Ce qui domine, c’est une vision externe, où les objets agissent leurs
(rétro-)transformations à l'instar d'animés, avec un statut actanciel identique. Le
C. NOYAU : Le temps retourné
Les expressions verbales référant à des procès possèdent une forte densité en
lexèmes comportant les traits +durée, +changement, +clôture à gauche10, renvoyant
Sur ce parti-pris de classicisme Cortázar relevait à propos du temps dans le
même essai sur la nouvelle : “le fantastique exige un déroulement temporel
normal. … Seule l'altération momentanée dans la régularité dénonce le
fantastique, mais il faut que l'exceptionnel devienne la règle sans bousculer les
structures normales à l'intérieur desquelles il s'est glissé.” (ibid.).
10. Pour une définition de ces catégories, voir Noyau (à paraître c, sous presse).
François (sous presse) constitue une proposition théorique voisine du point de
vue temporel, qui aux traits de constitution temporelle adjoint des traits de
C. NOYAU : Le temps retourné
13
14
aux notions "commencer à", "devenir", qui constituent en événement le début d’un
La construction de jalons temporels de la trame narrative est opérée également par les
processus évolutif : blanquear, crecer, abrirse, sorber, adelantar11
Las palmas perdían anillos … Borrábanse patas de gallina… (IV 72)
Comenzaba, para Marcial, una vida nueva. (V 74)
Los mascarones de la fuente adelantaron casi imperceptiblemente el relieve
(V 74)
expressions exprimant la clôture des situations, clôture de gauche ou de droite :
Desde ese día, M conservó el hábito de sentarse en el enlosado (VIII 84)
Cayó por última vez en las sábanas del infierno (VII 80)
tuvo ganas, súbitamente, de jugar con los soldados de plomo (VIII 83)
Cuando M adquirió el hábito de romper cosas, … (XI 89)
alternant avec des procès téliques : +clôture à droite, +état distinct, qui jalonnent la
progression sur l’axe temporel :
La casa se vació de habitantes (III 69)
aligerado de un peso en las sienes (ibid.)
Al fín la Marquesa sopló las lámparas. (V 73)
Partieron para el ingenio. (ibid.)
había logrado la suprema libertad. (XI 90)
redujo su perceptión … renunció a la luz (XII 91)
Les indications temporelles lexicales concernant les caractéristiques temporelles
inhérentes des procès concourent également au fonctionnement de la machinerie
langagière d’inversion temporelle. On regroupera ici selon leurs caractéristiques
sémantiques les expressions de statut nominal ou adjectival et les périphrases
verbales à contenu temporel.
Les indications de durée (durée des situations ou distance d’un procès par
rapport à un repère) suppléent à la possibilité d’inférer celles-ci à partir de la
connaissance des durées relatives des procès à une échelle donnée (moment, journée,
année, vie, époque de l’histoire, selon le thème du passage) dans un monde ordinaire
:
lentamente, algunas horas, transcurrieron meses
Enfin des expressions temporelles sont aussi mobilisées pour marquer de façon
emblématique le temps paradoxal, explicitant le jeu de l'auteur :
Era el amanecer. El reloj del comedor acababa de dar las seis de la tarde (III 70).
Una noche, después de mucho beber y marearse …, Marcial tuvo la sensación extraña de
que los relojes de la casa daban las cinco, luego las cuatro y media, luego las cuatro, luego
las tres y media… Era como la percepción remota de otras posibilidades (VI 75)
Examinons maintenant les moyens lexico-syntaxiques d’expression des relations
temporelles. L'architecture des relations temporelles narratives dans ce texte est celle
des textes ordinaires, avec une temporalité progressive dans le sens du texte (voir la
valeur de "y", de "cuando" + prétérit ou plus-que-parfait, de "menos", "más",
"comenzar a", "acabar por", "al principio"). Ainsi, le principe discursif de l’ordre
naturel (cf. Klein & Stutterheim), constitutif du type de texte récit, s’applique sur des
propositions narratives successives au prétérit, donc dans la trame, sur des procès
vus comme perfectifs12. L’ordre naturel du texte et l’ordre naturel des événements
entrant en contradiction, deux principes d’établissement interprétatif des relations
temporelles laissées implicites s’affrontent. Par ailleurs, la règle du jeu d’inversion
n’est pas absolue, ce qui laisse ouvertes certaines interprétations :
La mujer desnuda que se desperezaba sobre el brocado del lecho buscó enaguas y corpiños,
llevándose, poco después, sus rumores de seda estrujada y su perfume. (III 69)
Les indications de fréquence ou d’itération contribuent à dénoter une caractéristique
Cet exemple est en fait ambigu quant au sens de déroulement du temps : il est
typique d’un intervalle temporel, d’une époque :
cada noche
las almenas sucesivas que iban desdentando las murallas (I 65)
M solía pasarse tardes enteras abrazando a la Marquesa (IV 72)
Marcial siguió visitando a María de las Mercedes por algún tiempo (V 74)
possible de le lire comme référant à l'arrivée (inversée) de la dame, ou comme la fuite
Les expressions du changement participent de ce traitement des événements comme
actions analysé précédemment :
las vigas del techo se iban colocando en su lugar. (III 69)
On trouve également des expressions du changement inverse :
volver a, nuevamente, habitual
(alors non inversée) de la dame quand Don Marcial tombe victime de son attaque,
c’est-à-dire d’interpréter poco después comme exprimant une relation Après
référentielle ou narrative (cf. supra notre distinction entre jeux référentiels et jeux
narratifs). Etant donné les limites linguistiques et conceptuelles relevées plus haut,
lorsque le co-texte et les savoirs situationnels ne permettent pas de trancher,
l’interprétation de l’ordre temporel reste indéterminée.
Les moyens morphologiques d’expression des relations temporelles, quant à
Les indications de passage à un état distinct participent de la construction explicite
eux, n’offrent pas de spécificité particulière due à l’inversion du temps. La
d’événements narratifs à partir de situations statives
Don M se encontró, de pronto, tirado en medio del aposento (III 69)
constellation : Prétérit / Imparfait, avec les mouvements rétrospectif et prospectif par
participation actancielle. Baudet (sous presse) offre une réflexion sur les
grandes catégories de procès d’un point de vue de psychologie cognitive.
11. Pour être plus précis, le trait +/- durée peut être lié à la détermination ou la
quantification de l’environnement actanciel du lexème verbal (ex. perder un
anillo : ±durée / perder anillos : +durée).
C. NOYAU : Le temps retourné
12.
Dans ce texte, ‘ordre naturel’ s’entend : l’ordre d’énonciation est parallèle à
l’ordre de la représentation mentale des événements dans l’image de monde
construite par l’auteur, non à la chronologie des événements dans un monde à
temporalité ordinaire.
C. NOYAU : Le temps retourné
15
rapport à un repère interne au texte Plus-que-parfait (Avant anaphorique) / iría a
Vinf (Après anaphorique), est compatible avec les deux sens de déroulement.
C’est dans le travail sur l’aspectualité et la mise en relief que ce texte manifeste
un traitement original : ici les procès traités au prétérit ou à l’imparfait ne sont pas
répartis comme d’ordinaire avec une spécialisation : procès à actant animé, causateur
d’état distinct > Prétérit versus procès statif, sans actant animé > Imparfait. Le
traitement unifié des entités animées et inanimées confère à la morphologie un rôle
décisif pour la sélection de ce qui constitue événement (appartenant à la trame
narrative), c’est-à-dire modification d’un état de choses (cf. 3.2.3 ci-dessus).
3.3.3 Les représentations de procès
16
ou spécifiant un intervalle temporel ou une frontière temporelle :
después de mediocres exámenes, frecuentó los claustros (VII 79)
tuvo ganas, súbitamente, de jugar con los soldados de plomo
cuando los muebles crecieron un poco más y Marcial supo como nadie lo que había debajo
de las camas (…), ocultó a todos un gran secreto (X 87)
ou des comparatifs :
La Ceres fue menos gris
Cuando los muebles crecieron más
Certaines interprétations sont déterminées par le fait que l’échelle temporelle de
pertinence narrative du récit est la durée de vie d’un homme, non une journée. En
conséquence de quoi
Un día, un olor de pintura fresca llenó la casa (IV 72)
s’interprète non comme une irruption brusque de l’odeur de peinture dans un état de
Pour caractériser la sélection des procès exprimés et leurs enchaînements, nous
choses sans odeur (événement dans le cadre d’une journée), mais comme : ‘dans le
avons procédé à une analyse en traits conceptuels de temporalité des représentations
défilement de cette vie, vint un jour où la maison apparut comme fraîchement peinte’.
de procès (états, événements, actions). Les catégories conceptuelles de base
pertinentes ici sont : +/- changement, +/- durée, +/- clôture à droite, +/- état distinct
Par ailleurs, de nombreux énoncés narratifs réfèrent à des contenus d’ordre
descriptif, que l’on trouve normalement dans les séquences d’arrière-plan, mais
(télique). Illustrons la démarche sur quelques exemples significatifs du traitement des
traités de façon à leur conférer le statut d’événement par les choix lexicaux du
procès dans ce texte.
domaine verbal :
Dès la section I, la description de la démolition progressive de la maison
aiguille vers un motif de “processus rétrograde” qui est une forme de construction
(de réalités autres) :
por las almenas sucesivas que iban desdentando las murallas aparecían (…) cielos rasos (I
65)
Dans la partie centrale, ce qui est caractéristique, c’est que des procès duratifs
ayant vocation à figurer à l’arrière-plan descriptif d’une trame narrative, ou même
des procès de type état (possédant les traits --changement, --état distinct, --clos à
droite, et non dynamiques, non agentifs, non causatifs selon François (sous pr.),
reçoivent un statut d’événement narratif (singulier, asserté, et occupant un intervalle
temporel défini, clos). Cette accession au statut narratif s’opère linguistiquement
- par l’intermédiaire du prétérit, qui provoque une interprétation du procès comme
événement, donc comme formant contraste avec un état de choses antérieur, même si
rien dans l’énoncé n’exprime un contraste ou un changement (cf. 3.3.2 ci-dessus) :
los capiteles parecieron recién tallados (IV 72)
gentes vestidas de negro murmuraron en todas las galerías (II 67)
- par l’indication d’un contraste entre deux intervalles temporels ou entre deux états
de choses, qui est marqué par des moyens linguistiques divers, des expressions
adverbiales marquant une frontière temporelle comme ya, de pronto :
Don Marcial se encontró, de pronto, tirado en medio del aposento. (III 69)13
13.
Traduction française : “Don Marcial se trouva soudain jeté au milieu de la
chambre.” En français quotidien, on a ‘se retrouver’ qui, à la valeur de
localisation neutre de l’espagnol adjoint un sème de ‘prise de conscience
C. NOYAU : Le temps retourné
- recours à des complexes verbaux dont le V1 possède le trait +changement
De franca, detallada, poblada de pecados, la confesión se hizo reticente, penosa… (III 69)
Su mente se hizo alegre (VII 80)
- recours à des lexèmes verbaux possédant des traits comme +changement, +état
distinct
Blanquearon las ojeras de la Ceres (IV 72)
ou à des verbes référant à une transformation inverse
Reaparecieron muchos parientes. (IV 72)
El día que abandonó el seminario, olvidó los libros. (VII 80)
Mais la mise en œuvre du procédé d’inversion temporelle se heurte à des
limites, on aperçoit les résistances que lui oppose la langue. Il manque, dans les
langues faites pour un monde en temporalité ordinaire, des mots dont le référent
serait tel procès ou enchaînement de procès inverse de ceux que nous connaissons et
nommons dans un univers ordinaire : dé-pousser (plantes), dé-tomber, plus
généralement l’inversion des phénomènes physiques et fonctions organiques
élémentaires, et dans le domaine des expériences humaines sociales ou mentales, se
dé-marier, désapprendre en classe, vider son esprit de (l’inverse de ‘se souvenir’), etc.
L'entreprise ne peut être poursuivie totalement. Tout se passe comme si le
narrateur parsemait de signes d'inversion temporelle son récit, mais se trouvait
brutale’, ‘surprise’. Ici, ce lexème est exclus pour des raisons stylistiques; la
traduction française surinterprète, l’expression verbale utilisée transforme par
‘jeté’ l’état dénoté par l’énoncé espagnol en résultat d’une action
(+changement, +état distinct,et +agentif, +causatif).
C. NOYAU : Le temps retourné
17
contraint, par les possibilités de conceptualisation liées à l’univers mental auquel
nous sommes accoutumés, comme par les possibilités de la langue, à traiter une
bonne partie des procès comme dans notre univers : le R(étro)-univers a des trous, et
la R-langue des lacunes, mais c’est que le R-narrateur bâtit son R-récit sur la base
d'opérations de renversement plus ou moins ponctuelles d'un référent “à l'endroit”,
et pour un lecteur avec qui il a en commun un univers et non un R-univers. L'auteur
s'est d'ailleurs interdit tout néologisme, ceux-ci auraient rompu le charme et contredit
l'orientation nostalgique vers le passé. De même, il a peu recouru aux lexèmes
désignant des transformations inverses existant dans la langue (desgravar,
reaparecer), il s’est interdit cette facilité qui aurait rendu le procédé plus formel.
18
Y el murmullo del agua llamó begonias olvidadas. (ibid.)
Ou bien :
Las grietas de la fachada se iban cerrando. El piano regresó al clavicordio. Las palmas
perdían anillos. (IV 72)
Ces procès possédant un trait sémantique de causation (cf. François, sous presse)
suggèrent une causalité fantastique entre les intentions d’entités comme des palmiers
ou le murmure de l’eau et des modifications de l’état des choses.
Dans certains cas, le degré de segmentation-analyse des procès excède ce qui
serait le cas pour une image de monde non inversé. Ainsi, dans l’exemple suivant, où
apagó se trouve suivi de l’explicitation du procès immédiatement antérieur (dans
linguistiques qui construisent cette façon particulière d’inverser le temps. Le
cette image de monde) et cause du procès “éteindre” :
Los cirios crecieron lentamente, perdiendo sudores. Cuando recobraron su tamaño, los
apagó una monja apartando una lumbre. (III 69)
traitement des procès14 apparaît ainsi comme un aspect crucial du travail sur le
Remarquons que dans la première phrase de l’exemple, la relation temporelle entre
langage opéré dans ce texte.
les deux procès liés par la construction V1prétérit -V2gérondif s’interprète comme de
Cette analyse nous a permis d’observer en détail un des types d’opérations
Nous avons examiné dans cette section les opérations énonciatives et la
simultanéité. Le procès dénoté par la prédication contenant V2 vient caractériser le
référenciation temporelle dans l'écriture du récit, pour préciser selon quelles
procès de V1, les deux procès possédant le trait +Durée. La même construction dans
modalités l’établissement de la référence temporelle, le marquage des relations
le second énoncé donne lieu à une interprétation d’antériorité +cause, les deux procès
temporelles, et la temporalité interne aux événements sont mis en œuvre pour
possédant le trait +Clos à Droite. La relation portée par la construction syntaxique
construire une certaine image de monde à temporalité inversée. Ces analyses vont
permet ces deux interprétations temporelles, ainsi que celle de postériorité
maintenant nous permettre d’aborder la spécificité de ce texte en tant que machine
(±conséquence), comme dans ‘La monja apartó una lumbre, apagando el cirio’, à
interprétative.
chaque fois avec ou sans lien de causalité. On voit à cet exemple que le principe
d’interprétation temporelle de deux énoncés consécutifs non coordonnés exposé ci-
4. Problèmes d’interprétation : le travail du lecteur
L’aspect le plus troublant pour l’esprit à la lecture de ce texte, c’est l’image des
dessus est de même nature : les traits de temporalité inhérente des procès dénotés par
les prédications à relier déterminent l’interprétation de la relation.
causalités qu’il contribue à forger. Nous allons traiter cette question successsivement
L’interprétation qui se dégage à chaque occurrence de la même construction
à propos des entités inanimées, normalement soumises à la simple causalité
dans un texte repose donc sur la prise en compte simultanée par l’interprétant de
physique, puis à propos des actants humains, sièges d’une causalité mentale ou
traits sémantiques et d’informations contextuelles ou de savoirs sur le monde. Dans
psychologique
ce texte, les savoirs sur un monde où la temporalité, voire la causalité, sont inversées
sont par définition nuls chez un interprétant de ‘notre’ monde. Le processus passe
4.1 Temporalité et causalité
donc par une activité cognitive de calcul d’un monde inversé à partir d’un monde à
a) la maison, les réalités matérielles
l’endroit où l’interprétant possède des savoirs sur la causalité.
Les processus inversés sont narrés avec des métaphores personnifiantes, qui
introduisent parfois des liens de causalité intentionnelle entre un sujet psychologique
et les procès manifestés :
… levantadas por el esfuerzo de las flores, las tejas juntaron sus fragmentos,(…) para caer
en lluvia sobre la armadura del techo. (II 67)
Si l’on examine en regard la traduction française de ces deux énoncés, elle
semble plus ambiguë : a-t-on simultanéité ou succession? :
Les cierges grandirent lentement, cessèrent peu à peu de couler. Lorsqu’ils eurent repris
leur taille, la nonne apporta une lampe et les éteignit (III 68)
Dans le premier énoncé, l’interprétation la plus immédiate est de succession. Les
deux procès sont affectés d’expressions adverbiales du trait sémantique de
14.
Nous utilisons ‘procès’ dans son sens générique, pour référer à tous les
types de situations : état, événement ou action, auxquels renvoient les
prédications.
C. NOYAU : Le temps retourné
changement graduel (+changement et +durée) qui suggére la simultanéité, mais ils
sont au Passé Simple, le temps de base des procès du discours narratifs, donc ils sont
C. NOYAU : Le temps retourné
19
20
vus comme perfectifs15 et éléments de la trame narrative, et à ce titre on est enclin à
edad" (VI). Par ailleurs, on peut se demander ce qui correspondrait à 'demander',
les interpréter comme successifs. Un tel exemple montre que toutes choses égales par
'répondre', 'se réveiller' dans ce monde inversé. Le deuxième aspect pose les
ailleurs, le temps verbal tend à l’emporter dans l’interprétation sur le sémantisme du
questions du libre arbitre et de la subjectivité dans un monde inversé : la volonté, le
lexème en cas de conflit entre les deux types d’information temporelle. Dans le
projet d'action existent-ils au commencement R-chronologique, c’est-à-dire à la fin, du
second énoncé, le fait que les deux prédications soient au passé simple et
point de vue du récit, des procès identifiables comme actions? Apparemment, pour ce
coordonnées les pose comme événements de la trame; leurs traits sémantiques de
consécutifs) n’entraîne pas d’attribution de relation causale : le lecteur peut les
texte, non : le "moteur psychologique" se trouve hypothétiquement placé au début
(dans le sens où se déroule la narration) :
Al fín sólo quedó una pensión razonable, calculada para poner coto a toda locura. Fue
entonces cuando Marcial quiso ingresar en el Real Seminario de San Carlos. Después de
mediocres exámenes, frecuentó los claustros. (VII 79)
considérer comme disjoints. La traduction ne renvoie pas aux mêmes relations
Le vécu subjectif (sentiments, sensations, associations) peut-il être narré, ou même
temporelles entre événements que l’énoncé original.
imaginé, de façon conséquente comme inverse temporellement du nôtre pour les R-
clôture à droite et de télicité (+clos à droite, +état distinct) ne font que confirmer ce
statut, et l’interprétation des deux procès comme successifs (mais pas forcément
Notons que le haut degré de segmentation des procès (comparativement à un
humains du R-univers? Ce traitement est appliqué avec une relative cohérence pour
énoncé référant à ce type dévénement dans un monde ordinaire, où ‘apagar los cirios’
le récit des premiers (R-derniers) temps des jeunes mariés. Mais l’épisode du flirt avec
suffirait) sert ici à l’affirmation emblématique des signes de l’inversion temporelle :
en effet, dans nos représentations familières, l’action d’éteindre un cierge ne
"la de Campoflorido" (p. 76-77) pose un problème de cohérence de l’inversion
temporelle, lié aux savoirs sur le monde (schémas de situation) mobilisés :
detrás de un biombo chino, le estampó un beso en la nuca, recibiendo en respuesta un
pañuelo perfumado (VI 77)
s’accompagne pas de geste de transport d’une flamme, alors que c’est le cas pour
l’action de l’allumer.
D’autres énoncés posent problème du point de vue de l’interprétation temporocausale :
Volando bajo, las auras anunciaban lluvias reticentes, cuyas primeras gotas, anchas y
sonoras, eran sorbidas por tejas tan secas que tenían diapasón de cobre. (V 73)
Le scripteur a manifestement évité de conceptualiser la situation de R-flirt, dans une
image de monde renvoyant à la société aristocratique du 19e siècle, comme une
initiative de la jeune femme suivie d’une réaction du garçon.
C'est pourquoi la perspective descriptive externe et analytique est ici une
Dans un monde inversé, ne serait-ce pas plutôt : les pluies annoncent le souffle bas
nécessité narrative : de cette façon on décrit explicitement l’ordre dans lequel les
des vents, les dernières gouttes sont exsudées par les tuiles sèches? On aperçoit ici les
actions élémentaires se déroulent et on évite les difficultés liées à la conceptualisation
limites conceptuelles - non linguistiques - du procédé, limites qu'on retrouvera au
du vécu subjectif qui les accompagnerait. Ainsi :
Después de mediocres exámenes, frecuentó los claustros, comprendiendo cada vez menos las
explicaciones de los dómines. El mundo de las ideas se iba despoblando. (VII 79)
niveau du traitement des humains, où intervient un niveau d'interprétation
psychologique, intentionnel.
b) Le protagoniste, les actants humains
Pour tout ce qui touche les humains, le problème est double : décrire des actions,
et les interpréter en tant qu’actions humaines. Les actions humaines sont a) finalisées,
plus ou moins intentionnelles ou, plus généralement, affectées d’un certain degré de
conscience, et b) vécues subjectivement. Le premier aspect pose la question de
l'identification de paquets minimaux de procès en tant qu’actions R(étro)-humaines
désignables par un lexème. On peut réexaminer dans cette perspective l’exemple des
cierges ci-dessus, le passage du (dé)mariage (V); "el día en que alcanzó la minoría de
15.
Rappelons que l’aspect est une question de perspective prise sur un procès,
indépendante des caractéristiques objectives de ce procès; à ce titre, la
perfectivité peut être définie comme “procès vu comme indivisible en
intervalles successifs”, qu’il s’agisse de situations impliquant ou non une durée
ou un changement graduel.
C. NOYAU : Le temps retourné
4.2 Interprétation linguistique, interprétation littéraire
Ce n’est qu’après ce parcours visant à caractériser les procédés linguistiques
mobilisés que les questions d’interprétation littéraire peuvent être posées : quels sont
les effets, quel est le pourquoi des procédés textuels mis en lumière? Nous pouvons
maintenant, en nous appuyant sur l’examen serré des processus sémantiques mis en
œuvre par le texte, tenter de résoudre l’énigme que constitue cette inversion dans
Viaje a la Semilla .
Une première grande question a été abordée : comment saisit-on l’inversion
temporelle (à quelles marques du texte?), à laquelle les analyses présentées ont
proposé des réponses. D’autres questions subsistent. L’auteur qui a tout pouvoir sur
les contenus conceptuels et sur les formes, a-t-il conçu un monde possible inversé (cf.
la science fiction), a-t-il choisi un ordre narratif inversé? De quelle instance relève
C. NOYAU : Le temps retourné
21
22
l’inversion temporelle? La prise en charge de cette inversion est-elle située au niveau
perçus comme posant la question de sa responsabilité ou de son irresponsabilité : a-t-
du narrateur mis en place par la narration, témoin tantôt extérieur (vue réaliste
il conduit ou subi son destin? a-t-il agi ou a-t-il été agi? En d’autres termes, un monde
centrée sur les objets), tantôt omniscient, et celui-ci est-il lié ou non avec les
inversé est-il un monde régressif?16
personnages mis en scène?
Concernant la prise charge de l’inversion temporelle, on est tenté d’identifier le
Reprenons maintenant la distinction proposée supra entre jeux temporels de
narrateur avec le vieux Noir, lui-même identifiable avec Melchor, le négrillon
nature référentielle et de nature narrative. Nous proposerons l’idée que le problème
interprétatif de l’inversion temporelle tient, dans les deux cas, à la perturbation du
serviteur du jeune Marquis. Dérouler les faits, le destin du Marquis à l’envers, ce
serait a) pour lui témoin et compagnon, se remémorer la vie de son maître, de la
lien succession-causalité. Lorsque l’inversion temporelle est référentielle (on a affaire
période la plus récente à la plus éloignée, b) pour lui, Chronos le magicien, vieux
à un monde possible où le sens du temps est inversé), la question qui se pose est :
nègre symbole de la guerre contre le Temps, dé-faire pour effacer une vie. Mais cette
comment concevoir des chaînes R-causales étrangères aux savoirs et croyances du
hypothèse est contredite par certaines marques linguistiques du texte :
scripteur et des lecteurs? (dans un roman de science fiction décrivant un monde dans
- Melchor et le vieux nègre ont un statut énonciatif de non-personnes : toujours
lequel la temporalité a été inversée, on a la chaîne causale : régurgiter -> avoir faim).
désignés par il, ils ne deviennent un je nulle part dans le texte;
Si l’inversion temporelle est narrative, énoncer les événements dans l’ordre
- le jeu des focalisations le(s) laisse en marge : la focalisation est soit externe, et centrée
inverse de leur occurrence (ou plus précisément de la représentation de leur
sur les objets, soit interne, centrée sur le seul Marquis, jamais sur Melchor-le vieux
occurrence) interdit l’effet “post hoc ergo propter hoc”. Soit la relation ‘avant’ est
nègre. Cette hypothèse d’identification du narrateur semble être plutôt le fait de
marquée dans le discours, et il reste des constats placés en une suite arbitraire, soit la
coïncidences
relation n’est pas marquée. L’interprétation doit alors s’appuyer sur une règle du jeu
l’impossibilité de se suffire d’une grille interprétative unique pour saisir le texte.
prévues
malicieusement
par
l’auteur,
de
nature
à
renforcer
formelle : l’ordre d’énonciation est l’image inverse de l’ordre d’occurrence des
La construction de ce récit pointe alors vers une vision du protagoniste comme
événements représentés. Si cette règle est suivie de façon absolue dans le texte, le
ayant subi un destin auquel il n’a pas imprimé sa marque : la vie du Marquis de
problème n’est que de recalculer en mémoire un ordre d’occurrence des faits
Capellanías peut être effacée, elle n’a rien modifié à l’état du monde. Ainsi en va-t-il
permettant de réinsérer des liens de causalité. Si elle est suivie partiellement,
de l’aristocratie décadente.
notamment par suite du recours à des éléments ou procédés linguistiques de la
langue ordinaire qui regroupent des paquets de procès dans l’ordre usuel, c’est-à-dire
5. En guise de conclusion
s’il peut se produire des exceptions à la règle du jeu et des incohérences, il faut un
Lors de ce travail, nous avons confronté nos interprétations avec les
appui massif sur les connaissances et croyances concernant les liens causaux entre
traitements de la question du temps proposés par les travaux d’analyse littéraire
événements pour décider de l’ordre dans lequel on doit interpréter chaque paire de
antérieurs portant sur Viaje a la Semilla (Aronne Amestoy 1976, Durán 1977, Fisher
procès du texte. Ou alors on se satisfera de certaines indéterminations, si l’ordre
1970, Font 1984, Ramírez Molas 1978, Richard 1976). L’analyse linguistique
d’occurrence des événements en question n’importe pas pour l’objet thématique du
rigoureuse à laquelle nous avons soumis le texte permet d’écarter clairement
discours.
certaines propositions de ces études, comme l’idée que Viaje a la Semilla serait une
On peut suggérer que c’est le lien causal qui donne une part de son intérêt, de sa
inversion du temps semblable à celle d’un film passé à l’envers, ou constituerait une
pertinence au récit (pour lequel ou contre lequel on émettra des évaluations, qui sera
trajectoire linéaire de type spatial (Ramírez Molas, Fisher), ou encore serait une
porteur d’implications pour les lecteurs). En ce qui concerne les actions humaines, il
remémoration par le protagoniste même (Ramírez Molas). Inversement, décrire le
existe un lien de causalité entre l’intention qui les conçoit et les cause, et leur
texte comme composé d’épisodes en temporalité ordinaire entremêlés à des épisodes
effectuation. Quand l’inversion temporelle perturbe ce lien, on est poussé à ne plus
envisager les liens entre événements successivement évoqués que comme un donné
contingent, arbitraire. L’effet alors produit sur le lecteur peut être la tendance à
rechercher des raisons à substituer à l’arbitraire. S’il s’agit de la vie d’un protagoniste,
une suite arbitraire d’événements constitue un destin, on cherchera à justifier - ou à
mettre en cause - ce destin. Les événements qu’a traversés le sujet pourront être
C. NOYAU : Le temps retourné
16.
C’est pourquoi il est discutable de désigner ce travail sur le temps de
“refutación del tiempo” par association avec les textes spéculatifs de Borges
(Fisher). Loin de Borges, ce texte-ci n’est pas une mise en cause du temps
comme illusion, il le fait appréhender au contraire comme une dimension
presque palpable, une matière, à l’intérieur de laquelle l’individu est totalement
pris, et qui pourrait se retourner comme un gant.
C. NOYAU : Le temps retourné
23
en temporalité inversée (Renaud) laisse de côté l’imbrication beaucoup plus fine et
constante des deux sens de la temporalité tout au long du texte telle que nous avons
pu la décrire à partir de la nécessité d’un découpage du déroulement en procès
complexes interprétables par l’expérience humaine.
D’autres suggestions intuitives de ces approches littéraires se trouvent
expliquées par notre analyse. Ainsi la remarque de Durán sur le caractère de ce
retournement du temps en opposition avec un film passé à l’envers : “Los actos más
ordinarios se convierten, en el cine proyectado al revés, en ridículos enigmas: los
comensales se quitan la comida de la boca, por ejemplo, para depositarla en el plato.
Nada de eso sucede en la novelita de Carpentier: todo el mundo obra con
naturalidad, y lo único que queda destruído es la previsibilidad de lo que va a ocurrir
poco después.” (307) Il s’agit bien, en effet de l’inversion de la succession de procès en
tant que paquets d’éléments minimaux de comportement des entités qui font sens
pour un être humain. Mais la “prévisibilité”, c’est à la fois nos connaissances sur les
scénarios de vie dans un monde tel que le nôtre, qui renvoie à une sémantique des
cadres interprétatifs, et nos connaissances sur la causalité physique et intentionnelle,
qui est étroitement liée à la temporalité. Cette notion de causalité fait d’ailleurs l’objet
de notations chez Aronne Amestoy et Durán, qui appellent une analyse du travail
interprétatif selon cette double dimension temporo-causale.
Enfin, nous terminerons par une remarque de littéraire sur l’utilité de faire de la
linguistique sur la littérature : comme le dit Aronne Amestoy, “es preciso aprender a
aceptar la ilación temporal del relato textualmente ”.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ADAM, Jean-Michel (1985): Le texte narratif. Paris, Nathan.
ARONNE AMESTOY, Lidia (1976): América en la encrucijada de mito y razón.
Buenos Aires, Fernando García Cambeiro, chap. “Cuba. Alejo Carpentier : Viaje
a la semilla ”.
BAUDET, Serge (sous presse): “Représentation d’état, d’événement et d’action”. In J.
François & G. Denhière, éds.: Cognition et langage Langages, décembre 1990.
BAUDET, Serge & Guy DENHIÈRE (1989): “Le fonctionnement cognitif dans la
compréhension de texte”. Questions de logopédie 21, II, 15-30.
BENVENISTE, Emile (1966): "Les relations de temps dans le verbe français".
Problèmes de linguistique générale I. Paris, Gallimard.
BOIX, Christian (1986): “Conte et herméneutique”. Dans : Actes du colloque d’Albi :
Le conte. Univ. de Toulouse, 195-205.
C. NOYAU : Le temps retourné
24
CHAMBON, Jacques (1981): "Voyages dans le temps ou voyages dans l'espace?
Change 40.
CHAROLLES, Michel (1988): "Les études sur la cohérence, la cohésion et la connexité
textuelles depuis la fin des années 1960". Modèles Linguistiques X / 2, 45-66.
CORTÁZAR, Julio (1969): "Del cuento breve y sus alrededores". Ultimo round I.
México, Siglo XXI, 59-82.
DANON-BOILEAU, Laurent (1982): Produire le fictif. Paris, Klincksieck.
DENHIÈRE, Guy (1984): Il était une fois… Compréhension et souvenir de récits.
Presses Universitaires de Lille.
DURÁN, Manuel (1977): “El cómo y el porqué de una pequeña obra maestra”. In :
Recopilación de textos sobre Alejo Carpentier. La Havane, Casa de las Américas,
293-320.
ECO, Umberto (1985): Lector in fabula, ou la coopération interprétative dans les
textes narratifs. Paris, Grasset.
FAVIER, (1972): “Les jeux de la temporalité en science fiction”. Littérature 8,
décembre, 53-71.
FAYOL, Michel (1985): Le récit et sa construction, une approche de psychologie
cognitive. Neuchâtel-Paris, Delachaux & Niestlé.
FILLMORE, Charles J. (1985): “Frames and the semantics of understanding”.
Quaderni di semantica, VI/2, décembre, 222-254.
FISHER, Sofía (1970): “Notas sobre el tiempo en Alejo Carpentier”. In Helmy F.
GIACOMAN, ed. : Homenaje a Alejo Carpentier. Variaciones interpretativas en
torno a su obra. New York, Las Américas Publishing, 263-273.
FONT, María Cecilia (1984): Mito y realidad en Alejo Carpentier. Aproximaciones a
“Viaje a la semilla”. Buenos Aires, Rodolfo Alonso.
FRANÇOIS, Jacques (1990): “Classement sémantique des prédications et méthode
psycholinguistique d’analyse propositionnelle”. In J. François & G. Denhière,
éds.: Cognition et langage Langages, décembre.
FRANÇOIS, Jacques & Guy DENHIÈRE (1990): “La classification des représentations
conceptuelles et linguistiques des procès : un domaine de rencontre privilégié
entre psychologues et linguistes”. In J. François & G. Denhière, éds.: Cognition
et langage Langages, décembre.
GENETTE, Gérard (1972): Figures III. Paris, Seuil.
GENETTE, Gérard (1983): Nouveau discours du récit. Paris, Seuil.
GÜLICH, Elisabeth & Ute QUASTHOFF (1986): “Story-telling in conversation.
Cognitive and interactive aspects”. Poetics,15, 217-241 .
KLEIN, W. & C. von STUTTERHEIM (1986): "Quaestio und referenzielle Bewegung
in Erzählungen". Linguistische Berichte 109 (1987).
MARTIN, Robert (1988): “Le paradoxe de la fiction narrative. Essai de traitement
sémantico-logique”. Le Français Moderne 56/3-4, octobre, 161-173.
C. NOYAU : Le temps retourné
25
NOYAU, Colette (1986): "Le développement de la temporalité dans l'acquisition en
milieu naturel du français par des hispanophones". Actes du 1er Colloque de
Linguistique Hispanique, Cahiers du C.R.I.A.R., Université de HauteNormandie, p. 25-44.
NOYAU, Colette (1987): "L'acquisition des moyens de la référence temporelle en
langue étrangère chez les adultes : perspectives translinguistiques". In: Actes du
2nd Colloque de Linguistique Hispanique, Brest, Université de Bretagne
Occidentale), p. 47-61.
NOYAU, Colette (1988, ed., avec M. Bhardwaj et R. Dietrich): Second Language
Acquisition by Adult Immigrants, Final Report Vol. 5 : Temporality. Strasbourg,
E.S.F., 540 p.
NOYAU, Colette (1989): “Le bruit du temps : Marcel Béalu et le récit onirique”. Le
Français Aujourd'hui 87 (septembre), p. 25-34.
NOYAU, Colette (<à paraître a> (1990)) “Recherches longitudinales sur l'acquisition
de la temporalité : résultats et facteurs en jeu”. Dans G. BERNINI & A.
GIACALONE RAMAT, éd. La temporalità nell'acquisizione di lingue straniere,
Roma, Franco Angeli .
NOYAU, Colette (<à paraître b> (1991)): “Conter, redire. Cada vez es otro cuento”.
Actes du 3ème Colloque de Linguistique Hispanique. Grenoble, Presses de
l’Université de Grenoble.
NOYAU, Colette (à paraître c): TACT : Temporalité, Analyse Conceptuelle et
Textuelle. Université de Paris VIII, multigr.
NOYAU, Colette (<sous presse> (1990)): “Structure conceptuelle, mise en texte et
acquisition d’une langue étrangère”. In J. François & G. Denhière, éds.:
Cognition et langage Langages, décembre.
POTTIER, Bernard (1987): Théorie et analyse en linguistique. Paris, HachetteUniversité, 224 p.
RAM´IREZ MOLAS, Pedro (1978): Tiempo y narración. Enfoques de la temporalidad
en Borges, Carpentier, Cortázar y García Marquez. Madrid, Gredos.
RICHARD, Renaud (1976): Reflexiones sobre “Viaje a la semilla” de Alejandro
Carpentier”. El guacamayo y la serpiente 12 (mayo), Casa de la Cultura
Ecuatoriana (Núcleo del Azuay), 51-75. Version française dans Annales de
Bretagne et des Pays de l’Ouest, 82 /2 (1975), 202-212.
VET, Co, éd. (1985): La pragmatique des temps verbaux. Langue Française 67,
septembre.
WEINRICH, Harald (1964): Tempus, besprochene und erzählte Welt. Stuttgart,
Kohlhammer.
C. NOYAU : Le temps retourné
26
TRADUCTION FRANCAISE DES CITATIONS
1 Leur pudeur était sincère. Chaque nuit s’ouvraient un peu plus les panneaux des paravents
(V 71)
2 Un jour, une odeur de peinture fraîche emplit la maison (IV 70)
3 La terre redevint terre, laissant un désert à la place de la maison (XII 86)
4 Après une aube prolongée par une étreinte froide, soulagés de leurs désaccords et la
blessure fermée, tous deux retournèrent à la ville. La marquise changea son costume de
voyage pour une robe de mariée et, selon la coutume, les époux se rendirent à l’église
pour recouvrer leur liberté (V 72)
5 Il vivait à présent sa crise mystique, peuplée d’images pieuses, d’agneaux pascals, de
colombes de porcelaine… (VII 77)
6 Les meubles grandissaient. Il devenait plus difficile d’appuyer les avant-bras sur le bord de
la table de la salle à manger. (VIII 78)
7 Des mois de deuil s’écoulèrent, assombris par un remords de plus en plus vif. (IV 70)
8 Ce matin-là, on l’enferma dans sa chambre. (…) Des hommes vêtus de noir arrivaient
portant un cercueil à poignées de bronze (IX 80)
9 Lorsque les ouvriers vinrent avec le jour pour poursuivre la démolition, ils trouvèrent le
travail achevé (…) L’un rappela alors l’histoire… (XIII 86)
10 Lorsque les meubles grandirent un peu plus et que Martial sut mieux que personne ce
qu’il y avait sous les lits, il cacha à tous un grand secret : la vie n’avait aucun charme
hors la présence du cocher Melchor (X 81)
11 Mais à présent les jours coururent plus vite, amenuisant leurs dernières heures (XII 85)
12 Le marquis se sentait mieux et il parla à son fils sur le ton solennel et exemplaire qui lui
était coutumier. Les “oui, père” et les “non, père” s’inséraient entre les grains du
chapelet de questions…. (IX 80)
13 Comme elles raffolent des coussins de velours, les grandes personnes transpirent trop.(…)
C’est seulement du sol que l’on peut embrasser complètement les angles et les
perspectives d’une pièce. (VIII 79)
14 Pour la maison étêtée le crépuscule tombait plus tôt. Elle se revêtait de ténèbres au
moment où sa balustrade supérieure à présent abattue offrait d’habitude aux façades le
don d’un éclat de soleil. (…) Pour la première fois les pièces allaient dormir sans
persiennes … (I 66)
15 Cinq heures sonnèrent. Les corniches et les entablements se dépeuplèrent. Il ne resta que
des escabeaux, pour préparer l’assaut du lendemain. L’air se rafraîchit, allégé de sueurs,
de blasphèmes, de grincements de cordes ou d’essieux qui réclamaient l’huile des
burettes, et de tapes de la main sur des torses visqueux.(I 66)
16 Les palmiers perdaient des anneaux … Pattes d’oie (…) et doubles mentons s’effaçaient
(IV 71)
17 Une nouvelle vie commençait pour Marcial (V 72)
18 Les mascarons de la fontaine avancèrent presque imperceptiblement leur relief (V 72)
19 La maison se vida de visiteurs (III 68)
20 soulagé d’un poids aux tempes (ibid.)
21 A la fin, la marquise souffla les lampes. (V 71)
22 Ils partirent pour le moulin à sucre. (ibid.)
23 il avait obtenu la suprème liberté. (XI 84)
24 à peine Marcial eût-il limité sa perception … qu’il renonça à la lumière (XII 91)
25 lentement, quelques heures, des mois passèrent
26 chaque nuit
27 Et par les créneaux successifs qui peu à peu édentaient les murailles apparaissaient (…)
des plafonds … (I 65)
C. NOYAU : Le temps retourné
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
46
47
48
49
50
51
52
53
54
55
56
57
58
59
60
M passait souvent des après-midi entiers à embrasser la marquise (IV 71)
Martial continua à rendre visite un certain temps à Maria de las Mercedes (V 72)
les poutres du toit reprenaient peu à peu leur place (III 68)
recommencer à, à nouveau, habituel
Don Martial se trouva soudain jeté au milieu de la chambre. (III 68)
A partir de ce jour, M garda l’habitude de s’asseoir sur le dallage (VIII 79)
Il tomba pour la dernière fois dans les draps de l’enfer (VII 77)
Martial eut envie, tout à coup, de jouer avec les soldats de plomb (VIII 78)
Lorsque M eut pris l’habitude de briser des objets, … (XI 83)
L’aube pointait. La pendule de la salle à manger venait de sonner six heures de l’aprèsmidi. (III 69)
Une nuit, après avoir beaucoup bu et écœuré par l’odeur des cigares froids (…), Marcial
eut l’étrange sensation que les pendules de la maison sonnaient cinq heures, puis quatre
heures et demie, puis quatre heures, puis trois heures et demie. C’était comme la
perception lointaine d’autres possibilités. (VI 73)
La femme nue qui s’étirait sur le brocart du lit chercha jupons et corsages et disparut
bientôt avec son parfum dans un froufrou soyeux. (III 69)
les chapiteaux semblèrent sculptés d’hier (IV 71)
des gens vêtus de noir murmurèrent dans toutes les galeries (II 67)
Après de médiocres examens, il fréquenta les cours …(VII 76)
Martial eut envie, tout à coup, de jouer avec les soldats de plomb
lorsque les meubles grandirent un peu plus et que Martial sut mieux que personne ce
qu’il y avait sous les lits (…), il cacha à tous un grand secret (X 81)
la Cérès fut moins grise
quand les meubles grandirent un peu plus
Un jour, une odeur de peinture fraîche emplit la maison. (IV 71)
De franche, méticuleuse, bourrée de péchés, sa confession devint réticente, pénible… (III
68)
Son esprit devint gai, léger… (VII 76)
Les cernes de la Cérès s’éclaircirent (IV 70)
De nombreux parents réapparurent (IV 71)
Le jour où il abandonna le séminaire, il oublia les livres. (VII 77)
…soulevées par la poussée des fleurs, les tuiles joignirent leurs fragments, élevant un
sonore tourbillon de glaise, avant de tomber en pluie sur la charpente du toit. (II 67)
Et le murmure de l’eau attira des bégonias oubliés. (ibid.)
Les lézardes de la façade se refermaient peu à peu. Le piano redevint clavecin. Les palmiers
perdaient des anneaux. (IV 71)
Les cierges grandirent lentement, cessèrent peu à peu de couler. Lorsqu’ils eurent repris
leur taille, la nonne apporta une lampe et les éteignit (III 68)
Soufflant bas, les courants d’air annonçaient des pluies réticentes, dont les premières
gouttes, larges et sonores, étaient bues par des tuiles si sèches qu’elles avaient un
diapason de cuivre. (V 72)
Il ne resta finalement qu’une pension raisonnable, calculée pour mettre un frein à toute
folie. C’est alors que Martial voulut entrer au Royal Séminaire de Saint-Charles. Après
de médiocres examens, il fréquenta les cours. (VII 76)
Martial, dissimulé avec Mme de Campoflorido derrière un paravent chinois, imprima un
baiser sur sa nuque et reçut en réponse un mouchoir parfumé (VI 75)
Après de médiocres examens, il fréquenta les cours, comprenant de moins en moins les
explications des maîtres. Le monde des idées se dépeuplait. (VII 76)
C. NOYAU : Le temps retourné