Le texte () - Délégué général aux droits de l`enfant

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Le texte () - Délégué général aux droits de l`enfant
Mères mineures, grossesses précoces : regards croisés entre professionnels et jeunes.
Par Mary Dubois, étudiante en sciences
politiques à l’Institut d’étude politique de
Paris, stagiaire auprès de l’institution du
Délégué général aux droits de l’enfant du
13 septembre 2010 au 13 mai 2011
Mai 2011
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Remerciements
Je tiens à remercier le Délégué Général aux Droits de l’Enfant, Bernard de Vos et toute son
équipe de m’avoir permis de choisir ce thème et de m’avoir aidé à l’approfondir et à
l’achever, plus particulièrement Christelle Trifaux et Karin Van der Straeten.
Merci aux professionnels qui ont acceptés de prendre du temps pour discuter avec moi : le
docteur Soumenkoff, le docteur Roynet, Mme Lefèvre, psychologue au CHU Saint Pierre, Mle
Chair du planning familial de la Famille Heureuse, Mme Bériot du planning familial de
Watermael Boitsfort, Fanny Koykis, du groupe santé Josaphat, Isabelle Deville de la Free
Clinic, Elisabet Quervin du Collectif contraception santé des femmes et Bénédicte de Wagter
spécialiste de la prévention.
Merci aux maisons maternelles qui ont pris du temps pour me recevoir : la halte accueil
Kirikou et plus particulièrement M. Kisondé, La maison Heureuse, la Maison maternelle du
Brabant Wallon et la Maison maternelle du Chant d’oiseau.
Merci aux ASBL qui ont pris du temps pour me recevoir et m’aider : Souffle de vie, La Maison
Blanche et Micados.
Je tiens à remercier particulièrement et très chaleureusement toute l’équipe de Tremplin
SAIE qui ont beaucoup contribué à la réalisation de ce document.
Merci aux services d’informations qui m’ont aiguillé : le PSE de la ville de Bruxelles, Samuel
Ndamé de l’ONE, le CLPS de La Louvière.
Je remercie enfin très chaleureusement les jeunes filles qui ont acceptées de partager leur
histoire : Sabrina, Mélissa, Alicia, Joëlle, Mina et A.
2
Table des matières
Introduction
Partie 1 : Rencontre avec les professionnels
I.
Mères mineures et grossesses précoces : un portrait à travers le regard des
professionnels
1. Généralités et pluralité des profils rencontrés
a. Généralités
b. Pluralité des profils rencontrés
Pour les plannings : impossibilité de décrire un profil type
Pour les acteurs sociaux : des profils de jeunes en difficulté
2. Les causes souvent floues d’une grossesse
a. Grossesse : les contours troubles du désir
La grossesse comme aboutissement d’un projet de la jeune fille ou du couple
La grossesse, désir inconscient ?
b. Les grossesses non désirées
Les accidents de contraception
Les grossesses liées à des violences sexuelles
3. L’entourage de l’adolescente enceinte
a. La place du père
b. Le rôle de la famille
Familles et annonces de la grossesse
Familles nocives
Filles et mères
c. Le réseau social
II.
Prévention en échec et réalités de la contraception
1. La prévention : un échec ?
a. Quel contexte ?
Volontés politiques autour de l’éducation à la sexualité : du surplace
Evolution sémantique, flou théorique et bataille idéologique
3
b. Les critiques adressées aux techniques et contenus de la prévention
Rapide description des méthodes de prévention
La prévention, pas assez généralisée
La prévention : inadaptée, pas intégrée
Manque de moyen ou de volonté politique ?
2. Contraception et comportements sexuels : une réalité contrastée
a. Pratiques sexuelles et contraception : le constat
b. Les obstacles à la prise de contraception
Problèmes de communication dans la famille et dans le couple
Méconnaissance du corps et idées fausses
Prise de risque propre à l’adolescence
Problèmes pratiques
c. La société et la sexualité des jeunes : entre incitation et tabou
La sexualité surexposée
La sexualité taboue, diabolisée, culpabilisée
III.
Quelles prises en charge ?
1. La prise de décision
a. Quels interlocuteurs ?
b. Quelle liberté de décision
Les enjeux de la prise de décision
Conseiller et non influencer
Conseiller c’est informer
Garder le bébé ou non : une question de contexte mais surtout d’envie
2. Garder l’enfant
a. Difficultés de la vie quotidienne
Le lien mère-enfant
Une place pour la parentalité
Difficultés économiques
La scolarité
La gestion du temps
b. Problèmes juridiques
Paternité et filiation : le droit d’avoir des parents et un nom
Autorité parentale et émancipation
Quelle possibilité de projet professionnel ? Le droit au travail et l’obligation de scolarité
L’accueil dans les écoles
4
3. Vivre une IVG avant 18 ans
a. Les étapes de l’IVG
b. Les conséquences d’une IVG
La question des regrets
Un soutien psychologique après l’avortement
Partie 2 : Rencontre avec les jeunes
I.
Etre mineure, devenir mère : parcours croisés
1. Quelle vie avant la grossesse ?
a. Une histoire difficile
b. L’école
c. Une vie familiale et sociale souvent difficile
2. Les circonstances ayant provoquées la grossesse
a. Le désir de grossesse : assumé, inexistant ou flou
b. Les circonstances du rapport ayant provoqué la grossesse
II.
Découverte de la grossesse et prise de décision
1. La découverte de la grossesse et l’angoisse de l’annonce aux proches
a. Circonstances de la découverte
b. Quel interlocuteur ?
2. Une prise de décision assez autonome
a. Une décision prise souverainement
Vécu du planning
b. Un choix sous pression
c. Quels éléments déterminants lors de la décision ?
III.
Grossesses menées à termes, un changement de vie radical
1. Vécu de la grossesse
5
a. Connaissances lacunaires sur le déroulement d’une grossesse
b. Les problèmes liés à la prise en charge
Pris en charge tardive
Mauvaises expériences avec le personnel médical
2. Changements psychologiques
a. Une maturation expresse
b. Des regrets ?
c. Etre une « jeune » maman, conception des jeunes filles et regard extérieur
3. Réalité du quotidien d’une jeune fille mineure avec enfant
a. Ecole et études
b. Logement
c. Les difficultés économiques
d. Les difficultés juridiques
4. Relations avec les services sociaux et vécu de l’aide
a. avec le Service de l’Aide à la Jeunesse (SAJ)
b. Expérience des maisons maternelles
c. Vécu de l’aide
5. Relation avec l’enfant
a. Copine ou mère ?
b. L’exigence d’être un modèle
c. Le lien mère-enfant
6. Quel entourage ?
a. Pères et petits copains plus âgés
b. Relations familiales : des parents plus ou moins proches
6
c. Réseaux amicaux : l’apprentissage de la solitude
IV.
Grossesses interrompues : un portrait particulier
1. Pas de liberté de choix
2. Recommandations pour une meilleure prise en charge
V.
Vécu de la contraception et de la prévention
1. La prévention
a. A l’école
b. Pas concernées
c. Le rôle joué par les parents
d. Le rôle joué par le partenaire
2. La contraception
a. Plus ou moins connue
b. Mal utilisée
Conclusions
7
Introduction
La maternité et les grossesses d’adolescentes nous interpellent : apparentes, évidentes elles
sont le signe d’un mystère : celui de la sexualité des adolescents, sphère remplie de non-dits
et d’interdits. La maternité précoce est en quelque sorte « le flagrant délit » de la sexualité
des jeunes. Elle est vécue par beaucoup d’adultes comme un événement ingérable et un peu
insensé : c’est un corps tiraillé entre l’enfance et l’âge adulte qui porte un autre enfant. C’est
un jeune jugé comme incompétent ou immature qu’on pointe du doigt, c’est une aberration
et ça ne devrait pas exister.
Au-delà du scandale que provoque la grossesse précoce, il faut s’interroger et réfléchir à
notre responsabilité d’adulte : pourquoi cette situation ? Car plus que tout autre chose, la
grossesse précoce est la part visible du Léviathan que sont les difficultés liées à la sexualité
adolescente : la précocité, la méconnaissance du corps, la conception d’un enfant comme
parade à la vacuité existentielle et au manque de projet pour sa vie, la violence sexuelle,
l’exposition aux médias et à la pornographie, l’irrespect etc. et ne saurait donc être comprise
hors de ce contexte plus global dans lequel se trouve la sexualité des jeunes aujourd’hui.
Avec les animations de prévention, l’accessibilité des moyens de contraception et le recul
global de l’âge de la première grossesse, les grossesses de jeunes mineures posent question :
cri d’angoisse face à une société qui ne leur offre pas d’alternatives à la maternité pour se
réaliser, signe de troubles affectifs ou simple désir que les adultes ont du mal à
comprendre ? La réalité est protéiforme et échappe aux classifications. Mères mineures et
grossesses précoces, certes épiphénomènes, nous ouvrent la voie pour une réflexion
approfondie sur les schémas tout faits de la société, sur nos valeurs, sur l’image que l’on a de
nos jeunes et sur ce qu’ils sont vraiment.
En tant que Délégué Général aux Droits de l’Enfant, et acteur de la société civile, il est de
notre devoir de nous pencher sur la réalité quotidienne que vivent ces jeunes.
Il nous est paru essentiel de mettre en regard le vécu des adultes, professionnels travaillant
autour de ces problématiques avec celui des jeunes concernés eux-mêmes. Dans la première
partie, consacrée à la synthèse des propos tenus par les professionnels, nous dressons
d’abord un succinct portrait de la situation (I), avant de nous pencher sur les problématiques
de prévention et de contraception (II) et d’aboutir enfin aux modalités de prise en charge de
ces mineures dans la diversité des cas d’avortement ou de poursuite de la grossesse. (III)
8
Partie 1 : Rencontre avec les professionnels
Il semble utile de préciser ici le caractère contextuel des propos qui ont été rassemblés dans
les 17 entretiens puisqu’une grande partie des interlocuteurs qui ont répondu aux questions
gèrent des situations de mères mineures délicates. Il est donc évident qu’ils ne recouvrent
pas parfaitement la réalité et la pluralité des cas.
I. Mères mineures et grossesses précoces : un portrait à travers le regard des professionnels
1. Généralités et pluralité des profils rencontrés
a. Généralités
Les professionnels des plannings disent rencontrer beaucoup de mères mineures, pour des
avortements ou pour des maintiens de grossesses, ce qui semble naturel étant donné la
spécificité des plannings. En revanche, les professionnels du secteur social, (AMO, SAIE etc.)
insistent souvent sur la rareté et la spécificité de cette situation. Cela recoupe les chiffres
officiels de cet épiphénomène : 1 à 2 pour mille adolescentes mènent une grossesse à terme
en Communauté française de Belgique, soit environ 500 adolescentes par an.1 On compte
environ 1000 IVG de mineures par an.2 Les naissances concernant les très jeunes femmes
(10-14 ans) sont extrêmement limitées, elles concerneraient environ 10 adolescentes par an
pour toute la Belgique.3
b. Pluralité des profils rencontrés
Pour les plannings : impossibilité de décrire un profil type
La question des « profils » des mères mineures et des mineures enceintes a appelé deux
types de réponses. Le premier, provenant généralement des plannings, consistait à dire qu’il
est inutile de tenter de dresser un « profil-type » étant donné qu’une telle catégorisation est
impossible, tant les cas rencontrés sont variés.
Pour les acteurs sociaux : des profils de jeunes en difficulté
La deuxième réponse, caractéristique des services d’hébergement et des services sociaux et
éducatifs, est à l’image de la population qui les fréquente : des jeunes filles issues de familles
carencées, avec lesquelles elles sont parfois en rupture, fréquentant plus souvent
l’enseignement professionnel ou spécialisé, plus largement, des jeunes filles vivant dans un
1
Mineures enceintes : état des lieux en Communauté française de Belgique, Fondation Roi Baudoin, Nathalie
Cobbau, mars 2009
2
La grossesse chez les adolescentes : Tome 2 synthèse des résultats et recommandations pour la prévention,
l’éducation et l’accompagnement, Isabelle Aujoulat, octobre 2007
3
Résultats issus de la banque de données médico-sociales de l’ONE cité dans: Les grossesses à l’adolescence,
quels sont les facteurs explicatifs identifiés dans la littérature ?, J. Berrewaerts, F. Noirhomme-Renard, juin 2006
9
contexte économique et social fragilisé. Une part conséquente des cas évoqués
concernaient des jeunes filles belges d’origine étrangère ou de nationalité étrangère.
Rares ont été les cas décrits de jeunes filles issues de milieux favorisés, celles-ci ayant
rarement besoin d’intervention extérieure pour s’en sortir. Par ailleurs, d’autres mères
mineures, parmi les populations roms par exemple, ne vivent pas leur maternité comme
précoce ou comme un problème particulier.
« Tous les cas de figure existent. La proportion est plus élevée dans
l’enseignement technique et professionnel et spécialisé de type 1 et 3.
(…) Plus que dans d’autres filières, ils manquent d’affection, d’argent,
de considération. Cela entraîne des difficultés d’adhésion aux
comportements rationnels et structurés. »
« Les mineures enceintes que nous avons accompagnées sont pour la
plupart dans des situations économiques et sociales difficiles, avec une
histoire familiale compliquée, issues de milieux précarisés. »
Ces déclarations rejoignent les données de la littérature, qui précisent cependant d’autres
facteurs, comme résider en Région wallonne, et plus particulièrement dans le Hainaut4, ou
être de nationalité subsaharienne même si 80% des mineures enceintes sont belges.
Ainsi, les grossesses précoces touchent tous les milieux sans exception. Il faut donc sortir
d’une représentation misérabiliste des mères mineures. Toutes ne sont pas dans des
situations sociales précaires et malheureuses. On ne doit pas pour autant oublier que les
conséquences d’une grossesse précoce diffèrent en fonction de l’environnement
économique et social des jeunes, et que c’est dans les milieux défavorisés qu’elle est la plus
problématique.
2. Les causes souvent floues d’une grossesse
Les professionnels témoignent pour une grande majorité de la difficulté qu’ils ont de
connaître les causes de la grossesse. D’abord, ces détails relevant de leur intimité, les jeunes
filles ou garçons éprouvent des difficultés à en parler, sans oublier qu’une partie d’entre eux
semblent ignorer la cause de leur grossesse. En effet, tout comme les profils des jeunes filles
sont très variés, les causes de leur grossesse le sont aussi et ne sont pas toujours univoques :
aux causes déclarées et bien circonscrites viennent se mêler des problématiques
psychologiques plus profondes.
4
Résultats issus de la banque de données médico-sociales de l’ONE cité dans La grossesse chez les
adolescentes : Tome 2 synthèse des résultats et recommandations pour la prévention, l’éducation et
l’accompagnement, Isabelle Aujoulat, octobre 2007, pp5-6
10
Charlotte le Van, auteur d’un livre sur les grossesses adolescentes5, ayant mené 28
entretiens semi-dirigés avec des jeunes filles concernées, identifie 5 types de désir de
grossesse :
-
-
La grossesse « initiatique » : pour attirer l’attention de l’entourage de façon
indirecte, éprouver la relation amoureuse, marquer un passage à l’âge adulte.
La grossesse « S.O.S » : elle résulte d’un comportement contraceptif à risque,
symptôme d’un mal de vivre. C’est encore une fois la recherche d’une attention
particulière de la part de l’entourage familial.
La grossesse « insertion » : la maternité est désirée et planifiée et cherche à combler
un vide existentiel et à acquérir un statut social reconnu et accepté par l’entourage.
La grossesse « identité »: la jeune fille l’attribue au hasard mais elle découle d’un
désir de maternité non explicite, se traduisant par une contraception à risque.
La grossesse « accidentelle » : elle est imprévue et involontaire.
a. Grossesse : les contours troubles du désir
Une part significative des services évoquent des grossesses ouvertement désirées. Mais le
désir de grossesse va de la grossesse comme projet d’un jeune couple à la grossesse désirée
inconsciemment, précipitée par des choix de contraception inadéquats.
L’étude du Gacehpa6 cite les attraits pour une mineure d’avoir un enfant : le désir d’être une
adulte responsable, de franchir des interdits, de compenser une carence affective, le « bébépoupée », le désir d’enfant et de couple lié à la représentation très positive de la mère dans
la société. On retrouve ces éléments dans les propos des professionnels.
La grossesse comme aboutissement d’un projet de la jeune fille ou du couple
Une part des cas de jeunes filles décrites avaient délibérément choisi de tomber enceintes.
Souvent en couple, elles voyaient la naissance de leur enfant comme une façon d’accéder à
un statut d’adulte, de concrétiser leur rêve d’une famille heureuse et de s’émanciper d’une
histoire familiale et sociale chaotique. C’est le bébé « réparation » qui vient pour donner et
recevoir tout l’amour que la mère n’a jamais obtenu. Certains interlocuteurs nous on fait
part de leurs inquiétudes : pour eux cette volonté de devenir mère est un appel au secours
lié à un cruel manque de tissu familial symptomatique de l’évolution sociétale ou encore une
réponse au message de la société : « obtenir tout, tout de suite », forme de revendication
d’un « droit » au bébé. Plus largement, il est pointé que le désir des jeunes filles n’est pas
bien structuré : il y a souvent une confusion entre le désir d’être enceinte, et le désir
d’enfant. Cela est porté par l’image que les médias et la société mettent en avant : une
maternité systématiquement comblée, épanouie et toute rose.
« Il y a une volonté de materner parce qu’elles-mêmes ne l’ont jamais
été. C’est l’envie de construire une famille qu’on n’a jamais eue ou qui
n’a jamais répondu aux attentes en termes d’affection. »
5
Charlotte le Van, Les grossesses à l’adolescence. Normes sociales, réalités vécues, Editions l’Harmattan, 1999
Etude du parcours contraceptif des adolescentes confrontées à une grossesse non prévue : éléments pour une
meilleure prévention, N. Moreau, Docteur B. Swennen, Docteur D. Roynet et GACEHPA, 2006, p10
6
11
« Beaucoup sont en manque d’affection dans des milieux familiaux en
souffrance et recherchent à tout prix une compensation à l’extérieur
sans réflexion et maîtrise de leurs actes. »
La grossesse, désir inconscient ?
Quand on en arrive à aborder le désir inconscient de grossesse, les professionnels sont
partagés. Certains affirment qu’il est présent chez une majorité des adolescentes, comme
une des manifestations de la puberté. D’autres pensent que ce désir est peu présent, et qu’il
n’est pas nécessaire de l’évoquer dans les animations d’éducation sexuelle. On voit la
difficulté qu’il y a à dessiner les contours de ce phénomène inquantifiable et invérifiable. Il
n’en reste pas moins que le désir inconscient de grossesse est cité à maintes reprises : dans
les cas de reproduction du schéma familial (des jeunes filles nées d’une mère mineure) et
des avortements à répétition par exemple. Le désir plus ou moins conscient de grossesse est
aussi relié dans les entretiens à un manque de projet dans la vie de la jeune fille ou encore à
un désir de transgression et de prise de risque typique de l’adolescence.
« Il y a sûrement un désir de grossesse plus ou moins conscient présent
chez toutes les adolescentes. Celles qui tombent vraiment enceintes
sont celles qui ont peut-être le plus de mal à structurer leurs projets, à
se représenter concrètement l’avenir avec un enfant. »
Aborder plus systématiquement les changements pas seulement physiques mais aussi
psychiques liés à l’arrivée de la puberté, tels que le désir de grossesse, parfois vécu comme
un corollaire angoissant ou perturbant (peur d’être enceinte ou au contraire envie de
« tester » sa fertilité) de l’arrivée des règles, permettrait d’éclaircir l’esprit de beaucoup de
jeunes filles. En faisant du désir de grossesse un non-dit ou un sujet qui ne doit pas être
abordé par peur de « donner envie », on tend à laisser tout un pan de la prévention dans le
flou. Evoquer le désir de grossesse pour le dédramatiser et mieux pouvoir l’écarter est
indispensable. Dans cette finalité, il faut intégrer les garçons dans ce type de prévention, ces
derniers ayant un rôle important dans les décisions de grossesse précoce en couple.
« On peut leur dire que le désir de maternité est bien présent dans le
cœur de la plupart des femmes, qu’il est bon d’en prendre conscience,
mais qu’il est essentiel de réfléchir au moment opportun pour laisser ce
désir aboutir à sa réalisation. »
b. Les grossesses non désirées
12
Les accidents de contraception
Une partie des professionnels témoignent de grossesses qui sont le résultat d’un accident
pour la jeune fille : oubli ou régurgitation de la pilule, bris du préservatif etc. Plus alarmant
est la très grande proportion d’interlocuteurs qui évoquent des grossesses résultant de
lacunes dans la connaissance du corps et des moyens de contraception. Les chiffres de la
commission d’évaluation de la loi sur l’IVG sont probants : 24% des jeunes filles de 15 à 19
ans qui demandent un IVG avaient utilisé un préservatif, 24 % la pilule.7 Sont de nombreuses
fois cités des cas de jeunes filles étant enceintes après une première relation sexuelle,
pensant que celle-ci ne pouvait pas être féconde, ou encore, les cas de techniques
reconnues non efficaces comme « le retrait ». Cela laisse entrevoir les fossés de
méconnaissance qui restent à combler.
Les grossesses liées à des violences sexuelles
Les entretiens qui font cas de grossesses liées à des violences sexuelles sont moins
nombreux mais non négligeables. Les grossesses issues de viol, de rapports sexuels à peine
consentis ou de mariages forcés à l’étranger nous ramènent à la réalité des violences qui
peuvent avoir cours lors des rapports sexuels.
« Dans mes interventions (…) j’explique que, souvent, les filles
acceptent un premier rapport sous la pression du garçon, parce qu’elles
sont amoureuses, et ne veulent pas décevoir, alors que pour le garçon
ce n’est pas du tout le grand amour. »
Il est bien entendu impossible d’arriver à un taux zéro d’accident de contraception, les
grossesses non désirées existeront toujours. Toutefois, on peut tout de même s’interroger
sur l’intégration par les jeunes des techniques de contraception. Les cas de violences
sexuelles nous rappellent la nécessité de sensibiliser les jeunes filles sur ces thématiques,
afin de leur permettre de pouvoir choisir le moment de leur première relation sexuelle en
tout état de cause et de savoir dire « non » en cas de désaccord. Les garçons eux-aussi
doivent être ciblés par une telle sensibilisation.
3. L’entourage de l’adolescente enceinte
a. La place du père
7
Mineures enceintes : état des lieux en Communauté française de Belgique, Fondation Roi Baudouin, Nathalie
Cobbau, mars 2009
13
Lors des entretiens, la question du père était peu abordée. Globalement, les professionnels
notent l’existence de ces derniers : plus ou moins présents lors des avortements ou des
consultations en planning mais aussi pour suivre la grossesse. Il est important de rappeler
que les jeunes filles qui sont soutenues par un papa très impliqué étaient rares, ce qui n’est
pas représentatif de la réalité mais seulement des jeunes filles plus souvent isolées que les
professionnels rencontraient. Il existe donc bien des couples harmonieux de parents
mineurs. Pour les autres cas, quand ils ne sont ni présents, ni reconnus, les pères sont tout
de même existants dans l‘esprit des jeunes filles et donc de l’enfant. Beaucoup de
professionnels ont évoqué l’abandon des pères au moment de l’arrivée du bébé malgré le
fait qu’ils aient parfois été plutôt présents pendant la grossesse. Les institutions s’efforcent
de les intégrer dans leur travail même si cela semble parfois difficile. Quand un l’avortement
est choisi, certains pères accompagnent la jeune fille lors de l’intervention. Finalement, il
ressort des entretiens une image assez mitigée et variable des pères : considérés comme
démunis ou même handicapants lorsqu’ils ne sont pas suffisamment matures, ils sont tout
de même estimés nécessaires pour le développement équilibré de l’enfant.
« Les pères sont souvent absents, parfois ils sont même exclus par les
services sociaux qui les voient d’un mauvais œil. Cela dit, ils existent, les
mères en parlent, les enfants ont un papa, même s’ils ne le voient
pas. »
« Les garçons devraient être plus responsabilisés. Il faut non seulement
les sensibiliser aux méthodes de contraception mais il faut aussi leur
expliquer concrètement ce que sont les responsabilités d’un père.
Quelques uns y réfléchiraient à deux fois s’ils savaient ce qu’un enfant
demande comme investissement personnel »
La place des hommes dans les situations décrites sont très aléatoires, d’où la nécessité
impérieuse de recentrer les réflexions et la prévention sur la responsabilité masculine lors de
la conception de l’enfant et tout au long du suivi de la grossesse que cette dernière soit
interrompue ou non. Il faut insister sur la notion de paternité et sur les obligations qui y sont
liées.
b. Le rôle de la famille
Famille et annonce de la grossesse
Même si certaines jeunes filles arrivent à cacher leur grossesse à leurs parents, il est rare que
ces derniers ne finissent pas par l’apprendre. Ce que la jeune fille craint c’est le regard de ses
proches, qui plus est de l’autorité parentale, sur cette manifestation de sa sexualité,
dévoilement d’une partie de son intimité. Honte, peur de ne plus être aimée, ou d’être
rejetée, autant de sentiments qui ont été cités pour décrire le moment de l’annonce à la
famille. Cette dernière joue donc un rôle décisif en ce qu’elle peut en large partie influencer
14
le choix qui est fait par rapport à la grossesse, puis, si elle est maintenue, le déroulement de
celle-ci. Il ne faut pas oublier les membres de la famille élargie qui peuvent avoir des rôles
importants comme les tantes ou les grand-mères.
« Souvent, au niveau familial, leur grossesse a permis un
rapprochement, contrairement à ce qu’elles imaginaient. Au début
c’est toujours un peu difficile, les familles pensent au « qu’en dira
t’on ? » et puis, ils se font à l’idée et finissent par être fiers d’être
grands-parents. »
Familles nocives
On a déjà évoqué le fait que certaines jeunes choisissent la maternité comme une manière
de fuir leur environnement familial et de prendre leur indépendance, souvent par rapport à
des familles nocives. Dans ce genre de cas, elles sont donc en rupture familiale avant la
grossesse ou au moment de l’annonce de celle-ci. Les intervenants mentionnent plusieurs
fois des cas de jeunes filles ayant été victimes d’attouchements ou d’inceste, la grossesse
étant pour elles le signe que quelque chose de grave concernant leur intimité avait eu lieu.
C’est dans ce genre de cas que la grossesse peut être interprétée comme une fuite
nécessaire de l’environnement familial.
« Parmi les 4 jeunes filles enceintes dont je me suis occupée, deux
avaient subi des attouchements d’un membre de leur famille. »
Filles et mères
L’arrivée de l’enfant a été citée plusieurs fois comme l’occasion d’une réconciliation entre
mère et fille brouillées depuis longtemps, avec un nouvel intérêt commun : le bien-être de
l’enfant, entraînant la fierté commune d’être un bon parent ou grand parent. Cependant, les
relations filles-mères peuvent être compliquées à gérer étant donné qu’une partie des
mères mineures doivent se reposer sur leur propre mère pour prendre soin du bébé quand
elles sont à l’école ou occupées. Dans ce genre de configuration, il peut y avoir une
confusion des rôles à tenir autour du bébé dont on ne sait plus qui en est le plus
responsable.
« Dans la vie de tous les jours, il y a une rivalité entre la mère et la fille
mineure pour s’occuper du bébé. On connaît des cas de rapts affectifs
qui sont dramatiques. »
Les professionnels insistent souvent sur la nécessité d’entourer les familles qui en ont
besoin, lors de l’annonce de la grossesse, et quel que soit le choix de la jeune fille quant à sa
15
poursuite ou non, ceci avec comme objectif d’éviter les ruptures familiales et pour un
accompagnement harmonieux d’une situation qui vient parfois ajouter une certaine
complexité là où il y avait déjà un terreau peu fertile à l’accueil d’une telle nouvelle. Cela
suppose une mise en réseau des services autour de la famille, pour être à même d’accueillir
pleinement la situation quelle qu’elle soit.
« Beaucoup de choses existent mais ne sont pas mises en relation pour
gérer ces cas. C’est le travail du réseau, que tous ces petits électrons
libres soient recentrés sur le noyau de la problématique d’une famille. »
c. Le réseau social
L’importance de l’existence d’un réseau social et amical pour les jeunes filles a été soulignée
à de nombreuses reprises. Cependant, le fait de tomber enceinte ne leur permet pas
toujours de poursuivre une scolarité régulière, et elles sont donc rapidement isolées de leur
groupe d’amis. D’autre part, une fois l’enfant né, elles éprouvent beaucoup plus de
difficultés à se libérer pour participer à des activités sociales avec leurs amis. Enfin, le simple
fait d’être devenue mère leur fait vivre une situation tellement extraordinaire qu’elles sont
plus facilement isolées de leur groupe d’amis, ayant de nouvelles responsabilités et activités
peu communicables avec leurs pairs. 44% des mineures enceintes vivent isolées ou en
maison d’accueil.8
« Globalement, ces filles n’avaient pas de réseaux sociaux très étendus,
et si elles en avaient un, il s’est forcément beaucoup restreint à cause
du décalage avec leurs copines. »
II. Echec de la prévention et réalités de la contraception
La prévention, question fort discutée lors des entretiens, présentée par tous les acteurs de
terrain comme LA réponse aux « maux » de la sexualité des jeunes est en même temps fort
critiquée. Cela s’explique parce qu’on attend beaucoup de celle-ci : rendre les jeunes
responsables et diminuer le nombre d’IVG et de grossesses précoces. L’objectif semble loin
d’être atteint malgré l’abondance de prises de position des politiques sur le sujet.
1. La prévention : un échec ?
a. Quel contexte ?
8
Mineures enceintes : état des lieux en Communauté française de Belgique, Nathalie Cobbaut, Fondation Roi
Baudoin, mars 2009
16
Volontés politiques autour de l’éducation à la sexualité : du surplace
Dans la déclaration de politique communautaire 2004-20099, on peut lire : « A cet égard, il
convient de promouvoir une éducation affective et sexuelle, dès l’école primaire, qui replace
l’individu et la relation humaine au centre des préoccupations et qui sensibilise à
l’importance de l’amour, de l’épanouissement affectif et sexuel de l’individu et du respect de
l’autre. Une attention particulière sera apportée au respect de la femme. » En 2008, le
gouvernement de la Communauté française, le gouvernement wallon et le Collège de la
Commission Communautaire française, ont lancé un appel à projet en direction des
plannings familiaux : « Les animations à la vie relationnelle, affective et sexuelle dans le
cadre scolaire doivent être généralisées. Malgré les efforts déjà accomplis, en Communauté
française, un adolescent sur cinq seulement bénéficie d'animations à la vie relationnelle,
affective et sexuelle dans le cadre scolaire. Le nombre d'élèves à ne pas bénéficier de ces
animations est près de deux fois supérieures dans l'enseignement professionnel que dans
l'enseignement général. »10Cette initiative a été prise en réponse au vote unanime de la
proposition de résolution recommandant la généralisation des animations dans le courant
de l’année scolaire 2008-2009. Toutefois à l’heure actuelle, les efforts consentis restent
insuffisants.
Evolution sémantique, flou théorique et bataille idéologique.
Désignée de diverses façons, la prévention est tantôt simplement « éducation sexuelle »,
tantôt « EVAS » : éducation à la vie affective et sexuelle, ou « EVRAS : éducation à la vie
relationnelle, affective et sexuelle . La variété des désignations n’est pas à prendre à la
légère : plus qu’une simple variation des termes, c’est le reflet même du grand désordre qui
règne dans le monde éducatif et pédagogique de la prévention. Si on ne sait pas désigner ce
qu’on veut dire, c’est qu’on ne parle pas de la même chose. Que la plupart des intervenants
ne puissent se mettre d’accord sur un terme laisse supposer que l’éducation sexuelle ne
recouvre pas un contenu précis et réfléchi, commun à tous les jeunes d’un même niveau
scolaire, mais seulement ce que chaque institution ou acteur a le bon vouloir d’y mettre.
Cela s’est retrouvé dans les témoignages des personnes qui interviennent en milieux
scolaires pour la prévention : presque autant de techniques différentes que d’acteurs.
b. Les critiques adressées aux techniques et contenus de la prévention
Rapide description des méthodes de prévention
Ce rapport n’est pas le lieu pour décrire précisément les techniques de prévention. On se
contentera de reprendre la description des acteurs telle qu’elle nous a été confiée lors des
entretiens. Les acteurs des plannings familiaux décrivent des animations appuyées sur une
« mallette pédagogique » permettant de décrire et montrer les moyens de contraceptions.
Ils insistent aussi sur l’aspect affectif de leurs animations qu’on leur reproche souvent
9
Gouvernement de la Communauté française. Déclration de politique communautaire 2004-2009, 2004,
www.sante.cfwb.be
10
http://www.gcf.be/index.php?option=content&task=view&id=1319&Itemid=824
17
d’oublier. Il est aussi question des relations avec les pairs, et plus largement de toutes leurs
questions personnelles. Ce qui est assez généralisé, c’est de s’appuyer sur un outil
pédagogique pour sensibiliser les jeunes, faire remonter leurs questions, et les voir par
groupes pour y répondre. Ces méthodes de prévention clive les intervenants entre ceux qui
considèrent qu’elle est bien faite (surtout les intervenants de planning) et ceux qui
considèrent qu’elle est à revoir car elle ne touche pas assez les jeunes (principalement les
acteurs de terrain notamment dans les établissements d’hébergement).
La prévention, pas assez généralisée
Les acteurs de terrains s’accordent pour dire que la priorité est de généraliser les cours
d’EVRAS dans toutes les écoles et lieux d’enseignement et d’éducation. Ils souhaitent qu’elle
ait lieu dès l’enseignement primaire à tous les niveaux d’enseignement de façon régulière
tous les ans. Ils déplorent le fait que les cours soient moins fréquents dans les classes
d’enseignement spécialisé et professionnel. Ils expriment tous une certaine lassitude face à
cet enjeu qui semble ne pas être pris au sérieux par les instances politiques malgré les
incitations répétées du personnel éducatif dans son ensemble.
« Il faut rendre les cours d’éducation sexuelle et affective obligatoires.
Les cours de sport ont été rendus obligatoires et on a mis des
infrastructures en place pour ça ! Il n’y a pas de raison que l’EVAS ne
puisse pas profiter du même genre de politiques ! »
La prévention : inadaptée, pas intégrée
Une part des acteurs considèrent que la prévention est inadaptée et ne touche pas
suffisamment les jeunes. Ce constat est fait à plusieurs reprises : les jeunes ont beaucoup
d’informations sur les méthodes de contraception mais ne se sentent pas concernés par
celles-ci. Ils pensent connaître et sont capables de citer les principales techniques mais ne les
appliquent pas pour eux-mêmes. Ceci semble pouvoir être expliqué en partie par les
méthodes d’animation. L’accent est mis sur la nécessité de partir des interrogations des
jeunes, en les rassemblant par petits groupes, sur des périodes assez étendues pour laisser
monter leurs questionnements spontanés. Rejoindre leurs interrogations profondes,
comprendre leurs préoccupations et y répondre de manière adéquate, plutôt que de leur
assener des informations sur la contraception, est ce qui a été le plus souvent conseillé.
C’est toute la différence entre informer et éduquer ou animer.
« Il est étonnant de voir que toutes les campagnes qui incitent à avoir
des relations sexuelles protégées sont instantanément suivies d’un pic
de grossesse chez les jeunes ! Soyons clairs : ce type de prévention est
inefficace. Quand on aura une protection 100% sûre avec la
contraception on pourra repenser à ce genre de campagne. En
attendant, c’est jouer avec le feu. »
18
« Les jeunes vivent souvent des relations sexuelles dans de mauvaises
conditions parce qu’on ne leur a jamais préconisé de se lancer dans un
contexte affectif beau et important. »
« Ca ne sert à rien de montrer la mallette de contraception sans relier
avec l’affectif et le relationnel. »
« Les mineurs sont surinformés sur la contraception par des outils
inadaptés. Ca ne sert à rien d’en rajouter. Il faut des spécialistes de
l’animation qui partent de ce que les jeunes vivent. Pour libérer la
parole des jeunes, il ne faut aucun outil. Il faut des bons animateurs, et
pour ça, il faut de l’argent. »
Les études11témoignent d’actions de prévention isolées, non coordonnées, avec des
intervenants ayant des formations professionnelles très différentes et des animations toutes
hétéroclites. Elles pointent un manque d’harmonie et d’engagement politique d’ampleur
pour le sujet.
Manque de moyens ou de volonté politique ?
Les acteurs de terrain appellent à une augmentation des moyens afin de pouvoir résoudre
les deux problèmes explicités plus haut. Cela dit étant donné la récurrence de cette
question, et sa signalisation répétée aux instances politiques12, on est à même de se
demander si le problème ne réside pas dans un manque de volonté politique de s’atteler
concrètement à la problématique, par le biais d’une large consultation et réflexion des
professionnels, éducateurs et pédagogues sur le sujet.
« On parle de technique de contraception et d’IVG et on oublie
d’éduquer les jeunes à la responsabilisation de leur fertilité, de leurs
actes, au sens des gestes, au vrai amour et à l’amitié. »
« Une bonne prévention ne devrait être ni partielle ni partiale ! Non à
l’idéologie, vive l’humain ! »
2. Contraception et comportements sexuels: une réalité contrastée
Selon l’enquête HBSC13, 44% des jeunes de 15 à 18 ans ont déjà eu des relations sexuelles.
L’âge moyen de la première relation sexuelle se situe à 17 ans, mais le pourcentage de
11
Voir Bibliographie
La commission nationale d’évaluation relative à l’interruption de grossesse et la déclaration de politique
2004-2009 insistent sur ce point.
13
Healt behaviour in school aged children, Piette et al., Belgique, 2003
12
19
jeunes ayant eu une relation sexuelle précoce augmente : 12% des jeunes ont eu une
relation sexuelle avant 14 ans.
a. Pratiques sexuelles et contraception : le constat
D’abord, les professionnels constatent que, malgré les campagnes de prévention, la prise de
la contraception n’est pas systématique. Les jeunes s’exposent encore aux conséquences
d’un rapport non protégé (sans forcément se rendre au planning ensuite pour prendre une
pilule du lendemain) : « ils n’y ont pas pensé », « jouent avec le feu », « n’y ont pas accès
facilement ». Sont aussi cités fréquemment les cas de jeunes qui tentent, d’une façon ou
d’une autre, de se passer de contraception en ayant des rapports supposés non fécondants.
Etant donné les taux d’échec de ces méthodes, il est assez alarmant qu’elles soient encore
adoptées. Cela rejoint les chiffres préoccupants cités dans les études puisque pour les
adolescentes en demande d’IVG, 45,4% déclarent n’avoir utilisé aucune méthode de
contraception.14 Il faut cependant souligner qu’il y a une part d’irrationnel dans la prise ou
non d’une contraception et qu’on ne peut donc pas espérer tout expliquer.
« Elles prennent mal la pilule ou ne la prennent pas du tout parce
qu’elles sont trop surveillées par leurs parents ou en ont une mauvaise
image. Il y a aussi les accidents. »
« En informant, on pensait qu’on règlerait le problème de grossesses
non désirées. En fait, il y a beaucoup d’irrationnel dans la prise ou non
d’une contraception ».
b. Les obstacles à la prise de la contraception
Problèmes de communication dans les familles et dans le couple
La communication sur la sexualité est un facteur déterminant. Commencer à prendre une
contraception, c’est pour les jeunes et particulièrement pour les filles, assumer le début de
sa vie sexuelle. Un pas qui semble déjà difficile à franchir pour soi, il apparaît encore plus
compliqué quand il s’agit d’en parler avec sa famille. Si la contraception doit être tenue
secrète, on comprend les difficultés qu’il y a à se rendre chez un gynécologue ou à un
planning dans des horaires raisonnables et à cacher une contraception comme la pilule qu’il
faut prendre chaque jour.
« C’est souvent très difficile d’aborder ce thème dans les familles, car,
d’une certaine façon, aborder la question de la contraception c’est
autoriser implicitement une vie sexuelle à son enfant. »
14
Idem
20
D’autre part, la contraception est une responsabilité qui se partage au sein du couple. Là
encore, la communication est au cœur des enjeux. Les professionnels citaient des cas de
jeunes gens qui n’osaient pas parler de la contraception ensemble, préservatif ou autre
étant écartés lors de la première relation ce qui rejoint une difficulté partagée par beaucoup
de couples, majeurs inclus.
« Elles n’osent pas trop évoquer ce sujet avec leur compagnon. Elles
témoignent toutes que demander le préservatif, c’est difficile. »
Méconnaissance du corps et idées fausses
Certains professionnels s’étonnaient de constater que malgré les cours sur le
fonctionnement du corps et des organes que les jeunes reçoivent, il subsiste des pratiques
sexuelles à risques et des fausses idées qui circulent comme le fait que le premier rapport
sexuel ne serait pas fécondant, qui piège un certain nombre de jeunes. Il en va de même
pour la conception et le développement du bébé qui font que certaines jeunes filles ne se
rendent compte que très tard de leur état.
« Certaines ne connaissent pas du tout leur anatomie. On nous a
demandé plusieurs fois si le bébé allait sortir par le « trou du pipi » ! »
Prise de risques propre à l’adolescence
Une part des grossesses non voulues peuvent aussi s’expliquer par les attitudes de prise de
risques propres à l’adolescence. Se sentir invulnérable, vouloir s’approcher du danger, ne
pas calculer les conséquences de ses actes, autant de comportements à risques qui ne
favorisent pas la prise d’une contraception régulière. Les contextes de fêtes, propices aux
relations sexuelles imprévues ne permettent pas aux jeunes d’évoquer facilement le sujet de
la contraception. D’autre part, l’adolescence, moment de tous les changements, est une
période fort perturbée, les informations sur la sexualité sont donc moins facilement acquises
et entendues, étant donné le nombre de problèmes personnels et intimes qui apparaissent à
ce moment de la vie. On retrouve ces informations dans les études.15
« Les jeunes ne sont pas toujours dans un état de froide décision. Il y en
a donc une certaine proportion qui vivent leur premier rapport sans
protection. »
15
Notamment dans : Etude du parcours contraceptif des adolescentes confrontées à une grossesse non prévue :
éléments pour une meilleure prévention, N. Moreau, Docteur B. Swennen, Docteur D. Roynet et GACEHPA,
2006,
21
« Elles ont l’impression qu’elles sont au courant, elles peuvent citer,
expliquer, mais elles n’utilisent pas ces informations pour elles-mêmes
comme si elles n’étaient pas concernées.»
Problèmes pratiques
Même si cet aspect est revenu moins souvent dans les entretiens, les jeunes semblent avoir
encore du mal à se procurer les moyens de contraception : trop chers, difficiles à localiser,
compliqués à obtenir (croyance du passage obligé chez le gynécologue) pas forcément
adaptés à leur rythme de vie.
« Une des difficultés de la pilule est qu’elle n’est pas adaptée au mode
de vie des jeunes: il y a une discipline à avoir, il faut déjà être mûr et
responsable pour l’utiliser régulièrement. »
Les fédérations de planning exhortent depuis longtemps les pouvoirs publics à rendre la
contraception complètement gratuite16.
c. La société et la sexualité des jeunes : entre incitation et tabou
La sexualité surexposée
Avec l’avènement du règne de l’image, la sexualité n’a jamais été aussi exposée, montrée,
placardée. Dans les publicités, les films, dans les émissions télévisées, sur internet, la
sexualité est présente partout à divers degrés, de la scène d’amour classique aux scènes
purement pornographiques. Un certain nombre d’études permettent de faire le lien entre
cette hyper-exposition et les nouveaux comportements sexuels des jeunes, toujours plus
précoces et usant de pratiques inspirées de la pornographie17. C’est le moteur d’une
angoisse qui se retrouve dans les propos des élèves lors des interventions de prévention en
classe : inquiétudes autour de l’épilation intégrale du pubis, de compétences sexuelles, de
plaisir systématique. Le problème étant non seulement que cette surexposition intervient
très tôt, mais qu’elle n’est en aucun cas analysée par les adultes présents dans l’entourage
des jeunes, ne leur permettant pas la prise de recul nécessaire par rapport à ces contenus
inadaptés. Les jeunes se demandent s’ils doivent concrètement imiter les films
pornographiques tout en ayant des préoccupations à eux : est-ce que la première fois ça fait
mal ? Qu’est ce que c’est l’amour ?
16
Droits sexuels et reproductifs des femmes : quelle éducation sexuelle et affectives des adolescent-e-s à l’aube
de ce troisième millénaire ? Un état des lieux en Communauté française. S. PEREIRA, université des femmes,
janvier, novembre 2007, p38-39
17
P. Pelège C. Picod, éduquer à la sexualité, chronique sociale, savoir communiquer, Lyon 2010 et M. Andrien,
K . Renard, H. Vanorlé, animations à la vie affective et sexuelle à l’école. Propositions d’objectifs, de
thématiques et de stratégies, décembre 2003
22
« Dans les classes de primaire, un garçon sur deux a déjà regardé un
film pornographique. Il faut éveiller les enfants et les jeunes aux
dangers de la pornographie et d’internet : addiction, banalisation,
idées fausses ».
« La vision de la sexualité est tronquée par ce qui est véhiculé par les
médias. L’accès à la pornographie est trop facilité, la vision de la
sexualité des jeunes s’en trouve modifiée.»
La sexualité taboue, diabolisée, culpabilisée
Dans un certain nombre de familles, la communication sur le thème de la sexualité est
centrale ce qui permet aux jeunes d’avoir une sexualité épanouie. Cependant, comme
explicité précédemment, elle reste le sujet d’un lourd tabou dans un certain nombre de
familles et dans la société en général. Purement déniée, la sexualité devient effrayante ou
attirante, dotée d’un goût d’interdit dans l’esprit des jeunes qui ne savent plus si c’est
autorisé ou non, si c’est bien ou mal. Dans le cas contraire, quand elle est évoquée en famille
ou avec les adultes, il peut arriver qu’elle soit diabolisée, objet de nombreuses interdictions,
précautions et présentée comme un catalyseur de risques sanitaires en tout genre. Il semble
que le seul discours possible sur la sexualité soit instantanément lié aux maladies
sexuellement transmissibles, au danger et…aux grossesses non désirées.
« Pourquoi se protéger contre quelque chose qui vous a été de toute
façon interdit ? »
« Dans les milieux dans lesquels on ne parle pas, ou on jamais abordé le
sujet, ou la sexualité est écrasée par une chape de honte, les filles ont
une sexualité plus chaotique. »
III. Quelles prises en charge ?
1. La prise de décision
Garder l’enfant pour l’élever soi-même ou le donner à l’adoption ou avorter, telles sont les
trois options constitutives du choix à faire au sujet d’une grossesse en communauté
Française. Ce problème de la prise de décision est indissociable de la confrontation des
visions de la grossesse : les adultes ont tendance à être plus raisonnables, au sens où la
société le promeut (avoir un certain niveau de vie, avoir un travail, des compétences
pédagogiques..), mais il ne faut pas oublier que seul le jeune sait ce qu’il veut pour luimême. Il en revient aux adultes qui l’entourent de l’éclairer honnêtement et impartialement
sur sa situation pour qu’il puisse prendre sa décision en tout état de cause.
23
a. Quels interlocuteurs ?
Il est évidemment impossible de déterminer les personnes vers qui vont se tourner les
jeunes filles lorsqu’elles apprennent leur grossesse. Pourtant la question est cruciale. Il faut
que les jeunes filles qui sont en situation de découverte de la grossesse aient un adulte à qui
parler, qui soit à même de pouvoir les conseiller et les orienter. L’importance d’une
personne « relais » entre le moment de la découverte et la prise de décision a été souvent
répétée.
« Il est absolument nécessaire que les jeunes filles aient un
interlocuteur extérieur à qui se référer quand elles apprennent leur
grossesse. Il faut que cette personne soit formée pour pouvoir gérer ce
genre de confidences ».
b. Quelle liberté de décision ?
Les enjeux de la prise de décision
Pendant les entretiens, la question de la prise de décision des jeunes filles a été abordée. En
effet, il paraît utile de connaître le processus de prise de décision tant il est central pour la
suite des évènements. Les professionnels faisaient tous part de la même exigence : quelle
que soit la décision prise, il faut qu’elle le soit de manière réfléchie et en cohérence avec le
souhait profond des jeunes parents. Or la difficulté est immense : avoir la liberté de choisir
certes, mais le temps est compté, et comment être sûr qu’une décision que l’on prend à un
très jeunes âge semblera juste plus tard ? Autrement dit, peut-on contrer les dynamiques de
regret lié au maintien de la grossesse ou non ? Comment savoir si on prend la bonne
décision ? Ces questionnements sont mis en avant dans l’étude d’Isabelle Aujoulat. 18
Les deux aspects essentiels soulevés par les professionnels lors de la prise de décision sont la
temporalité (une décision à prendre dans des délais limités ayant des conséquences à très
long terme) et l’implication d’un tiers (choisir pour le bébé à venir ou le fœtus à avorter).
Tous les professionnels insistent sur la nécessité d’entretiens psychologiques prolongés pour
construire une décision reposant sur des bases solides. Ils rappellent tout de même que
cette exigence est difficile à atteindre : les choix sont rarement tranchés, tout n’est pas tout
noir ou tout blanc et c’est quelque part dans cette « zone de gris » qu’il faut pouvoir
conseiller les jeunes quant à l’issue de la grossesse.
« Il faut prendre le temps de rejoindre leur désir le plus profond, savoir
quelles ressources elles ont, comprendre les problématiques de leur vie
18
La grossesse chez les adolescentes : Tome 2 synthèse des résultats et recommandations pour la prévention,
l’éducation et l’accompagnement, Isabelle Aujoulat, octobre 2007, pp5-6
24
pour savoir ce que l’arrivée du bébé ou non implique.(…) Il faut prendre
le temps de vraiment les connaître et ça, ça n’est pas fait. »
Conseiller, ce n’est pas influencer
Aucun professionnel ne reconnait influencer les jeunes filles dans un sens ou dans un autre
quant à l’issue de la grossesse. Il s’agit ici plutôt de lancer des questions en direction des
professionnels : dans quelle mesure les parents ont-ils le droit d’influencer la décision de
leur enfant ? Et que dire de l’influence de l’avis du petit copain ? Comment savoir si leur avis
est seulement un avis et qu’il ne se transforme pas en injonction ? Les intervenants ont
raconté plusieurs cas de jeunes filles qui étaient en profond désaccord avec leurs parents,
mais qui leur ont tenu tête. Qu’en est-il des jeunes filles qui n’osent pas tenir tête ? Ce qui
est difficile, c’est d’être certain que le regard de l’adulte, qui s’inquiète de la scolarité de la
jeune fille, de l’avenir de l’enfant etc. ne soit pas un obstacle pour rejoindre le souhait
profond de la jeune fille qui préfère garder l’enfant même si cela ne semble pas
« raisonnable » aux adultes. Et vice versa, que nos inquiétudes quant au déroulement d’une
IVG ou nos convictions ne soient pas l’occasion de se prononcer contre un avortement qui
serait la seule issue envisagée par la jeune.
« On a eu le cas d’une jeune fille enceinte de 14 ans, elle voulait
absolument garder le bébé, et sa mère, absolument qu’elle avorte. On
a vu la fille à part, on lui a dit qu’elle avait le droit de le garder. Elle a
changé d’avis. Le simple fait qu’on lui autorise l’avortement l’a fait
réfléchir plus profondément. »
« Sa mère est venue sans prévenir pour lui faire la morale, elle voulait
que sa fille avorte. (…). J’ai dit à cette dame « je ne l’obligerai pas »,
c’est son choix.
Conseiller, c’est informer
On a déjà noté l’importance de mettre à disposition des jeunes toutes les informations.
Quelle charge économique représente le bébé dans ma vie? Combien de temps aurai-je pour
moi-même? Quelles structures peuvent m’aider ? Si je ne veux pas garder le bébé, où dois-je
aller ? Qu’est ce que je risque avec un avortement ? Comment vais-je me sentir ? Autant de
questions qui émergent de façon implicite autour d’une grossesse non prévue et qui
permettent à la jeune, si elle a ces informations en main, de pouvoir se projeter. Aller au
devant des questionnements et mettre tous ces aspects en avant semble essentiel.
« Il faut que l’information qu’on donne sur les conséquences du choix
soient très claires. »
25
Garder le bébé ou non : une question de contexte mais surtout d’envie
Choisir de garder un enfant en étant soi-même mineure doit engager une réflexion quant au
contexte de la grossesse : qui va me soutenir, m’aider ? Comment vais-je trouver les moyens
de l’élever, suis-je moi-même assez mature pour l’élever correctement ? Au-delà de toutes
ces questions de contexte, c’est bien entendu l’envie d’avoir une enfant qui prime. Si une
jeune fille vivant dans un environnement fort peu propice à l’éducation d’un enfant veut
tout de même le garder, rien ne peut l’en empêcher.
« Si le bébé va être soutenu par une famille et un fort réseau social, ça
n’est pas du tout la même chose que si la jeune fille est isolée. »
Il est du devoir des professionnels (dans les centres PMS et les centres de planning familiaux)
de sonder réellement les désirs des jeunes filles et de ne pas s’en tenir aux influences
extérieures qu’elles peuvent subir, des parents inquiets, un petit ami peu compréhensif.
2. Garder l’enfant
Quand la jeune fille et son partenaire décident de garder le bébé, les circonstances de la
grossesse et le contexte socio-économique de la jeune fille ou des jeunes parents sont
décisifs.
La jeune fille qui désire garder l’enfant va être confrontée à une vie nouvelle faite de la joie
(pour la plupart) attendue ou inattendue d’avoir un enfant mêlée aux difficultés de la vie
quotidienne. Ces dernières sont considérablement variables en fonction du degré
d’entourage familial et social de la jeune, de ses possibilités financières et de son désir, plus
ou moins prégnant, d’accueillir cet enfant dans sa vie. Cela dit, ces problématiques sont les
mêmes pour des mères non mineures confrontées à une grossesse non prévue. Certains
professionnels interrogés estiment que ce qui fait la différence, ce sont les facteurs liés à la
précocité de l’âge : manque d’expérience, obligation de scolarité, difficultés psychologiques
ou comportementales liées à l’adolescence, dépendance économique… Il est utile de
rappeler qu’une partie des mères mineures doivent, en plus de faire front aux
problématiques d’une grossesse non prévue et précoce, ajouter celles de l’éducation d’un
enfant dans une famille monoparentale pour celle qui sont célibataires.
Cette partie tentera d’englober la multiplicité des cas de figures, de l’installation en famille
avec les parents, en passant par l’installation en couple ou la prise en charge seule. Les
mères mineures vivent pour 58,5% en couple, 33,9% chez leurs parents et 3,9% en maison
maternelle.19
« Beaucoup de jeunes filles s’en sortent très bien et avoir un bébé est
une façon pour elles de régler beaucoup de choses dans leur vie et à
trouver une vraie place dans la société. »
19
: Les grossesses à l’adolescence, quels sont les facteurs explicatifs identifiés dans la littérature ?, J.
Berrewaerts, F. Noirhomme-Renard, juin 2006
26
a. Difficultés de la vie quotidienne
Le lien mère-enfant
La mise en place du lien mère-enfant est particulièrement observée par les professionnels
qui entourent les mères mineures. C’est lui qui permet d’éviter les comportements nocifs ou
de négligence. Il passe par des petites choses, des détails, des sensations qui permettent à la
mère de vraiment comprendre ce que son enfant lui communique. L’ambigüité réside dans
le fait que certaines jeunes filles ressentent encore le besoin d’être protégées et maternées
alors qu’elles doivent elles-mêmes faire de même avec leur bébé.
Les jeunes mineures n’ont, au dire de tous les intervenants, pas de problèmes particuliers à
trouver leur rôle de mère. Le lien peut être spontané (quand l’enfant est désiré) ou se
mettre en place petit à petit, avec l’aide d’un soutien extérieur. Si les enfants de mères
mineures sont parfois placés, c’est rarement pour des problèmes d’attachement. Si le bébé
est mis en pouponnière, le lien continue d’être travaillé pour permettre à l’enfant de
réintégrer la sphère familiale rapidement. Il est tout de même noté qu’il y a parfois un très
fort attachement à l’enfant au moment de sa naissance, et que le moment où il s’agit de
pouponner l’enfant est plutôt bien vécu, alors que lorsqu’il grandit, et qu’il s’agit de rentrer
dans une phase plus éducative, certaines jeunes filles se sentent perdues.
« Le bébé était très éveillé, progressait très vite, et a permis à la jeune
fille de devenir mère. »
« On travaille à créer le lien en montrant les signes que bébé les
reconnaît, qu’il a des émotions, qu’il comprend tout. »
Une place pour la parentalité
Même si un certain nombre de jeunes filles vivent l’arrivée de leur bébé en étant
célibataires, il faut pouvoir laisser une place de choix aux jeunes couples qui décident
ensemble de mener une grossesse jusqu’au bout. On arrive rarement à prendre au sérieux
un couple de jeunes de 16 ou 17 ans. Statistiquement, il y a effectivement plus de chance
pour qu’il se défasse plus rapidement qu’un couple qui s’est formé plus tard. Il n’en reste pas
moins qu’il faut pouvoir donner l’espace et les infrastructures nécessaires pour que puissent
se développer la parentalité et la conjugalité d’un jeune couple responsable d’un enfant, afin
qu’ils puissent fonder une famille.
Difficultés économiques
La problématique financière est d’autant plus importante qu’elle recouvre les droits d’au
moins deux mineurs d’âge : la mère de moins de 18 ans et son nouveau-né ou son enfant.
27
Les jeunes filles ou couples décrits sont souvent dépendants des aides financières :
allocations familiales, prime de naissance ou CPAS. Il est précisé que ce n’est pas suffisant. Le
revenu moyen qui a été souvent cité est d’environ 900 euros par mois. La principale
difficulté est donc de trouver un logement salubre (et une caution) et de pouvoir subvenir
aux besoins de deux personnes. Il a été à plusieurs reprises souligné la nécessité de pouvoir
mettre en place une guidance budgétaire pour aider les jeunes à gérer leur budget
correctement. Il est aussi possible de mettre en place une collaboration avec le Service de
l’Aide à la Jeunesse. La difficulté globale est de connaître les possibilités quant aux
différentes aides financières mises en place et de pouvoir centraliser ces informations et ces
procédures.
« Economiquement, elles dépendent du CPAS ou des allocations
familiales de leur enfant et c’est un peu la galère. »
La scolarité
Les jeunes filles peuvent avoir honte de leur grossesse et éprouvent des difficultés à
retourner à l’école, surtout dans les derniers mois tant elles se sentent dévisagées. D’autre
part, elles peuvent également manquer de temps et de motivation. Parfois, elles sont déjà
en décrochage scolaire avant la grossesse. Certaines arrivent à suivre la scolarité jusqu’au
bout. Cela semble dépendre en grande partie des établissements. Il est à noter que
l’obligation scolaire a comme corolaire l’interdiction du travail pour des jeunes filles de
parfois 16 ou 17 ans qui voudraient pouvoir voler de leurs propres ailes.
La gestion du temps
Selon les professionnels, le plus difficile pour les mères mineures reste de trouver du temps.
Du temps pour aller à l’école, du temps pour voir ses amis et avoir ses activités
d’adolescente et du temps pour être mère. C’est toute la difficulté que de tenir toutes ces
activités de front.
« Une nuit par week-end, elle pouvait sortir. Ca l’a soulagé. On lui a
donné du temps, et c’est comme ça qu’elle est devenue maman. »
« On peut être une maman à temps partiel et être un super maman ».
b. Problèmes juridiques
Les professionnels rencontrés témoignent souvent de problèmes juridiques liés aux
grossesses précoces. Les plannings et autre services offrent des consultations juridiques,
pour permettre aux jeunes filles d’y voir plus clair.
28
Paternité et filiation, le droit d’avoir des parents et un nom
L’une des difficultés souvent évoquée est celle des droits liés à la filiation. Si en général les
jeunes filles connaissent le père, ce dernier peut poser des problèmes lors de la
reconnaissance de l’enfant, soit il ne veut pas reconnaître l’enfant, soit les jeunes mères
elles-mêmes décident de l’exclure. Le problème se pose aussi du nom qui sera donné à
l’enfant dans tout ce que cette question revêt de symbolique. Certaines mères désirent en
effet donner le nom du père à l’enfant même si ce dernier est absent.
« Porter le nom du papa c’est mieux pour la filiation, mais ça peut
poser des problème si le papa s’en va. Ca peut occasionner des démêlés
avec la justice. »
Autorité parentale et émancipation
Le principe d’autorité parentale est très clair : légalement, quel que soit son âge, la mère
mineure ou les parents mineurs ont le droit de décider pour leur enfant. Certains
professionnels s’autorisent à se demander si une jeune fille de 15 ans est en mesure de
toujours prendre de bonnes décisions éducatives pour son enfant. La question du partage
des responsabilités de la mère mineure et de sa propre mère vis-à-vis de l’enfant a déjà été
posée précédemment et se repose ici par rapport à l’autorité parentale et à l’émancipation
de la mère mineure. Dans les cas extrêmes, on peut imaginer une procédure
d’émancipation, mais cette dernière a été jugée trop compliquée à mettre en place par les
professionnels.
« Le fait que les jeunes filles soient mamans tout en restant sous
l’autorité de leurs parents est un obstacle important et complique
beaucoup les démarches administratives (signature de bail de
logement…) »
Quelle possibilité de projet professionnel ? Le droit au travail et l’obligation de
scolarité.
Comme évoqué précédemment, certaines jeunes filles enceintes vivent des décrochages
scolaires. L’arrivée de l’enfant les convainc donc définitivement d’arrêter l’école. Certaines
de ces jeunes filles évoque leur envie d’être plus indépendantes financièrement et de
travailler. Ce qui leur est légalement interdit jusqu’à 18 ans. Que dire de celles qui
aimeraient suivre les formations du FOREM ? Ce sont des sujets sur lesquels les
professionnels appellent à un approfondissement de la réflexion.
L’accueil dans les écoles
29
Il n’y a pas de législation particulière qui encadre la réaction que doivent avoir les écoles
quant à une situation de grossesse précoce. Cela est vécu comme une lacune juridique par
les professionnel qui témoignent parfois s’être trouvés face à des responsables éducatifs peu
compréhensifs, ne permettant pas à la jeune fille de pouvoir suivre une scolarité aménagée
en fonction de sa situation. Il faut ajouter à cela qu’il n’existe pas de congé maternité pour
les jeunes filles en âge d’obligation scolaire.
3. Vivre une IVG avant 18 ans
Deux tiers des adolescentes enceintes choisissent d’avorter20 et l’on peut raisonnablement
penser que la question s’est posée pour tous les cas de grossesses précoces. Dans le rapport
2000-2001 de la Commission nationale d’évaluation de la loi du 3 avril 1990 relative à
l’interruption de grossesse, les experts notent une recrudescence du nombre d’IVG.21 Avant
18 ans, l’accord des parents n’est pas nécessaire pour subir une IVG. Cela dit, les
professionnels des plannings insistent fortement pour que la jeune fille soit accompagnée
d’un adulte le jour de l’IVG. Souvent les parents ou le petit ami sont présents.
a. Les étapes d’une IVG
On prévoit une première consultation pour faire le point avec la jeune fille, c’est le « pré » :
on procède à un contrôle et une échographie. Si la décision est prise d’avorter, il faut laisser
passer un délai d’une semaine. 15 jours après, la jeune fille concernée revoit l’équipe
médicale pour faire un « post », cela dit, cette étape n’est pas obligatoire et est évincée par
un certain nombre de jeunes filles. L’IVG peut se faire de façon médicamenteuse ou par
aspiration.
« Il y a au planning des gens formés pour déceler la demande des
jeunes. On leur demande dans quel type d’urgence elles sont. Si la
grossesse est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Parfois, elles ne
savent pas trop. »
b. Les conséquences d’une IVG
L’IVG n’est vue par aucun professionnel comme une solution banale. Il s’agit toujours d’un
moindre mal, de choisir ce qui semble le moins pire. D’autre part, aucun intervenant ne s’est
permis de juger le choix de garder ou non un bébé. Certains soulignent simplement que c’est
toujours compréhensible qu’une jeune fille de moins de 18 ans ne se sente pas les capacités
d’être mère. Les conséquences positives d’une IVG sont donc simplement de pouvoir
reprendre sa vie là où les jeunes l’ont laissée : reprendre une scolarité, une vie
20
Adolescentes : sexualité et santé de la reproduction état des lieux en Wallonie et à Bruxelles, D. Beghin,
Bruxelles, février 2006
21
Animations à la vie affective et sexuelle à l’école. Propositions d’objectifs, de thématiques et de stratégies.
Rapport de l’équipe interuniversitaire, M. Adrien, K Renard, H. Vanorlé, décembre 2003
30
d’adolescents, des projets d’adolescents, en laissant derrière soi le poids d’un enfant à
élever.
« On constate que les jeunes filles qui avortent redémarrent mieux
dans la vie, dans le sens où la société le veut en tout cas. Elles sont plus
assidues aux études et peuvent construire un projet professionnel. »
Quand il s’agit d’évoquer la question des conséquences négatives de l’IVG, les réponses sont
rarement de l’ordre médical mais plutôt de l’ordre idéologique ; comme si le simple fait de
demander « avez-vous rencontré des jeunes filles qui vivaient mal ou regrettaient un
avortement ? » remettait en cause son existence même. C’est une position difficile à tenir
que de refuser de parler des cas qui se sont mal passés, dans le sens où le fait de nier en bloc
ou d’être mal à l’aise avec la question donne l’impression qu’on cache des choses. Cela étant
dit, certains intervenants de planning ont reconnu que certaines jeunes filles vivaient mal
leur avortement, tant psychiquement que physiquement et reconnaissaient que c’était un
moment difficile. Cela dit, on peut raisonnablement penser qu’une jeune traumatisée par un
IVG ne retournera jamais dans le lieu où elle a de mauvais souvenirs et aura tendance à se
tourner vers d’autres acteurs ce qui peut expliquer cette distribution des réponses. Les
autres intervenants (surtout les structures d’accueil) avaient moins de mal à évoquer ce
sujet : ont été cités maintes fois les cas de regrets et parfois de déprime ou de « vide ». Tous
sont d’accord pour dire qu’il y a un deuil à faire : d’un bébé pour certain, d’une simple
grossesse pour d’autres.
La question des regrets
La conséquence négative qui revient le plus souvent concerne les regrets liés à la décision
d’avorter, ces derniers ayant lieu tantôt au lendemain de l’avortement, tantôt des années
après, lors de la survenue d’une grossesse désirée par exemple. C’est une question fort
compliquée car on ne peut pas lire l’avenir et les jeunes filles qui étaient sûres de leur choix
à 16 ans peuvent déchanter à 30. Ce qui transparaît dans cette question du regret, c’est que
les filles ont changé de vision quant à la grossesse. Ce qu’elles ne considéraient que comme
un souci inopportun d’adolescentes, elles le vivent comme un moment sacré de don de la vie
quelques années plus tard. C’est cette incohérence qui semble difficile à admettre. Encore
une fois, c’est un élément qui ne peut être objectivé mais qui vaut la peine d’être
mentionné.
« C’est évident qu’il y a des souffrances après une IVG, c’est pour ça
qu’on leur dit que c’est important qu’elles prennent leur temps. (…)
certains deuils sont très longs à faire. Elles y repensent surtout quand
elles ont à nouveau des enfants ».
« On fait passer l’image que l’embryon n’est qu’un amas de cellules.
Mais plus tard, quand cette même jeune fille voit de belles images d’un
31
enfant qu’elle désire à 12 semaines, elle perd confiance. Elle se rend
compte qu’on lui a menti et cela bouleverse la certitude du choix qu’elle
avait fait d’avorter.(…) On ne peut pas poser un choix sain sans
connaître la vérité. »
Un soutien psychologique après l’avortement
Le sujet du soutien psychologique divise les professionnels. Tous s’accordent pour dire que
le soutien psychologique, la capacité d’écoute et d’accueil, même très longtemps après
l’intervention doit pouvoir être possible. En revanche, certains pensent que ce soutien doit
être facultatif et qu’il ne faut pas le systématiser sous peine d’alourdir un moment déjà
compliqué, d’autres insistent au contraire pour qu’il soit obligatoire et extrêmement
approfondi tant il n’est pas anodin de supprimer une grossesse et que les conséquences
s’étendent très longtemps après.
Il n’existe pas de consensus auprès des professionnels interrogés quant à une
systématisation d’un soutien psychologique après l’avortement.
32
Partie 2 : Rencontre avec les jeunes
Comme dans la partie précédente, il est important de remettre les propos rassemblés ici
dans leur contexte : les jeunes filles ayant accepté de témoigner de leur expérience ont été
rencontrées par le biais de professionnels en charge d’aider les jeunes dans des situations
difficiles. Par définition, les jeunes filles qui s’expriment ici sont donc dans des situations où
elles ont eu besoin de l’aide de professionnels à un moment de leur parcours. Elles ne
doivent donc pas occulter tout une autre partie de la réalité des jeunes filles qui s’en sortent
seules ou grâce à une famille mobilisée, ou au contraire les cas marginaux qui sont exclus
des structures d’aides. D’autre part, il semble utile de remarquer qu’aucun garçon ne
témoigne dans cette partie. En effet, les professionnels n’étaient pas en contact avec les
papas ou si c’était le cas, ces derniers ne souhaitaient pas témoigner. Cela s’explique car les
garçons sont assez systématiquement évincés de la prise en charge des cas de mères
mineures et ils n’y a pas de « culture » de recueil de témoignages des pères. D’autre part, les
jeunes filles ayant témoigné étaient souvent en couple avec des garçons plus vieux qui
n’étaient donc pas mineurs lors des évènements. Enfin, nous n’avons réussi à avoir qu’un
unique témoignage sur une expérience d’IVG. Ces éléments seront analysés dans le contenu
qui suit.
I.
Etre mineure, devenir mère: parcours croisés
1. Quelle vie avant la grossesse ?
La diversité des parcours vécus rejoint assez bien la vision des professionnels qui ne
considéraient pas pouvoir faire de généralités au sujet des mères mineures. On peut déjà
constater cela au niveau des âges qui vont de 14 à 17 ans au moment de l’accouchement.
Même si le nombre de jeunes filles interrogées est réduit (6), nous pouvons trouver
quelques rapprochements significatifs dans leurs parcours qui éclairent un peu nos
interrogations.
a. Une histoire difficile
Les jeunes filles interrogées ont un vécu plus ou moins difficile : divorce des parents,
mésentente violente avec un ou les deux parents, placement institutionnel, abandon d’un
parent, famille habitant à l’étranger.
« J’ai tout raté dans ma vie. J’ai un passé très lourd. J’ai tout fait pour
trouver de l’affection ».
b. L’école
Les jeunes filles sont assez elliptiques quant au sujet de l’école. Trois n’allaient plus
régulièrement à l’école avant leur grossesse. Deux autres avouent ne pas aimer l’école mais
y aller pour voir leurs amies. Aucune ne mentionne de projet professionnel particulier avant
33
la grossesse, ni de projet de vie en général (sauf celles pour qui la grossesse était un projet,
en l’occurrence 2 d’entres elles).
« J’allais à l’école. Ca me plaisait pas trop. Sauf pour voir mes potes. »
« A 14 ans, je n’allais plus à l’école. »
c. Une vie familiale et sociale souvent difficile
La vie sociale des jeunes filles est aussi assez différente en fonction des cas. Certaines
avouent n’avoir aucun ami avant la grossesse (2) ou pas beaucoup (2), quand d’autres
semblent au contraire avoir un noyau amical assez soudé (2). Les relations avec la famille
sont complexes avant la grossesse. Dans certains cas, la grossesse est clairement une façon
de revendiquer l’autonomie par rapport à la famille, une volonté de s’émanciper d’un cadre
familial jugé néfaste.
« J’étais plutôt une rebelle avant de tomber enceinte. Je m’en foutais
de tout. »
« Avant j’étais mal dans ma peau, j’avais pas fort beaucoup de copain
à l’école de toute façon. »
« J’étais mal dans ma peau vu que ma mère était partie. Elle nous a
abandonné j’avais 7 ans, mon frère 4 mois. »
Les récits de vie des jeunes filles recoupent plutôt les dires des professionnels,
particulièrement ceux des structures sociales qui relèvent des situations plutôt difficiles et
ce, dès avant la grossesse. On peut alors se demander si un désir de grossesse peut venir se
greffer comme seul moyen de sortir de ses difficultés pour la jeune ? Les plannings familiaux
nous rappellent que devenir une mère mineure n’est pas réservé aux jeunes filles dans des
situations sociales compliquées mais concerne tout le monde.
2. Les circonstances ayant provoqué la grossesse
a. Le désir de grossesse : assumé, inexistant ou flou
Deux filles sur les six ont clairement choisi d’être enceinte. Pour l’une, c’était un moyen de
prendre son indépendance, en étant « virée » de chez elle et en s’installant avec son copain.
Pour l’autre, il s’agissait de revivre le lien très fort qu’elle avait avec sa mère (qui avait ellemême accouché à l’âge de 17 ans) avec son propre enfant. Il arrive qu’il soit difficile de
comprendre si la jeune fille désirait ou non son enfant. Il s’agit notamment des cas où les
relations sexuelles ont eu lieu sans contraception, que la jeune ait plus ou moins conscience
que cela pouvait aboutir à une grossesse sans pour autant qu’elle formule un désir concret
34
d’enfant. Enfin certaines jeunes filles témoignent du fait qu’elles ne désiraient absolument
pas d’enfant, ce dernier étant le fruit d’un accident de contraception ou d’une mauvaise
utilisation de cette dernière.
« C’est arrivé, c’est arrivé. C’est tout. »
« C’était une grossesse pas prévue, complètement par hasard. »
« J’ai toujours rêvé d’être maman. Je voulais retrouver le lien très fort
que j’avais eu avec ma mère. »
b. Les circonstances du rapport sexuel ayant provoqué la grossesse
Outre les cas de grossesses voulues (2), où le fait d’être enceinte n’est pas une surprise, les
circonstances de la grossesse sont variées. L’une des filles avoue s’être sentie obligée à avoir
des relations sexuelles avec son copain parce qu’il était pressant. Pour elle, c’était la
première fois.
« C’est quelqu’un qui était collant, il lâchait pas l’affaire. A force, j’ai
dit, « tu m’énerves ! ». C’est arrivé comme ça, je suis tombée enceinte
la première fois. »
Les autres rapports étaient non protégés, et la grossesse a tout de même été vécue comme
un hasard ou au moins comme une surprise.
Le flou qui règne autour de la question du désir de grossesse dans les dires des jeunes filles
se place dans la droite ligne des propos des professionnels qui ne sont pas d’accord entre
eux : faut-il oui ou non parler du désir de grossesse aux jeunes ? de la parentalité ?
II.
Découverte de la grossesse et prise de décision
1. La découverte de la grossesse et l’angoisse de l’annonce aux proches
a. Circonstances de la découverte
La plupart du temps, pour les grossesses non prévues, c’est l’absence de menstruations qui
est le révélateur. Le temps de se rendre compte est plus ou moins long, d’une semaine à
deux mois au plus. Les jeunes filles qui n’attendaient pas la grossesse sont toujours sous le
choc quand elles la découvrent.
35
« J’avais même pas remarqué. Je suis allée chez le médecin qui m’a dit
« oulà ! tu es bien enceinte ! » »
« Les premiers jours j’étais pas contente, je pleurais, je me disais,
comment je vais le dire à ma mère ? et comment je vais vivre ? »
« Je me suis rendue compte que j’avais plus mes règles. J’étais
confiante, contente, même si j’avais personne à qui parler. »
b. Quel interlocuteur ?
Au moment de la découverte de la grossesse, les jeunes filles disent s’être tournées vers une
personne de confiance, petit copain, copine, éducateur, AMO à qui elles ont confié la
nouvelle et les doutes qui l’accompagnaient. En général, cet interlocuteur est celui qui sert
de relais pour orienter la jeune fille vers une structure (le plus souvent il s’agit du planning
familial). Cet interlocuteur est parfois le seul à être au courant de la grossesse pendant une
longue période. L’une des jeunes filles a attendu 7 mois avant d’annoncer la nouvelle à sa
mère. On voit donc que l’entourage familial et amical ne correspond pas forcément aux
premières personnes au courant de la grossesse. L’annonce aux parents est toujours vécue
comme une des difficultés les plus importantes au début de la grossesse et affronter la
réaction de leurs parents effraie la majorité des jeunes filles interrogées.
« Quand je m’en suis rendu compte, j’en ai parlé à ma copine, je savais
qu’elle pouvait m’aider. Je lui ai dit que j’avais plus mes règles et les
seins qui grossissaient. Elle a dit que j’étais enceinte. »
« En premier j’en ai parlé à mon éducatrice. Elle croyait que je blaguais.
On est allé faire une prise de sang et c’était bien ça. »
« Je suis allée voir une AMO en cachette. Ils m’ont orienté au
planning. »
« J’étais contente d‘être enceinte mais j’avais très peur de le dire à mon
père. »
2. Une prise de décision assez autonome
a. Une décision prise souverainement
Un certain nombre de jeunes filles ont pris leur décision de façon très indépendante. Elles se
sont forgées une opinion en y réfléchissant beaucoup et sont arrivées à la conclusion
qu’elles garderaient le bébé. Une seule jeune fille qui souhaitait avoir un bébé s’en est
ouverte à sa mère qui l’a soutenue dans son projet. Pour les autres, elles ont souvent
consulté le père de l’enfant dont elles ont souvent eu le soutien (parfois passager) et une
amie.
36
« Le choix je l’ai fait toute seule. »
Vécu du planning
Une seule jeune fille rend compte d’une expérience vécue au centre de planning familial. Elle
s’adresse au planning car elle envisage d’avorter. Après l’entrevue avec ce service, elle
change d’avis, ce qui suppose que la personne qui la reçoit n’essaye pas de l’influencer dans
le sens d’un avortement (contrairement à ce que certains professionnels avançaient). En
revanche la jeune fille ajoute qu’une fois qu’elle a choisi de poursuivre sa grossesse et
qu’elle ne retourne pas au planning, ce dernier ne la rappelle jamais. Elle vit ça comme
normal étant donné qu’elle a fait une visite anonyme, mais à travers son récit il semble
manquer d’un « relais » pour qu’elle puisse s’adresser à une structure qui puisse suivre sa
grossesse (tous les plannings familiaux ne sont pas équipés pour suivre une grossesse).
J’ai été bien conseillée au planning, les médecins et la psychologue
étaient bien. Quand je lui ai dit que je ne revenais pas, la dame n’a pas
spécialement essayé de me rappeler.
b. Un choix sous pression
Le constat quant à la liberté de choix est assez alarmant. Sur 6 filles interrogées, 4 estiment
avoir subi des pressions quant aux choix à faire vis-à-vis de leur grossesse. La distinction a
bien été faite entre pression et conseils. Elles disent que les adultes les ont littéralement
poussées (pour toute, dans le sens de l’avortement), que ce soit parents, père du bébé ou
proches. Leur choix de garder l’enfant était vu par leur proche, et leur entourage plus
éloigné (voisinage, école) comme une « folie », un choix déraisonnable ce qui ajoute une
pression supplémentaire.
« Les gens ont essayé de me convaincre d’avorter, mais ils n’y sont pas
arrivés ! Mes éducateurs et éducatrices, beaucoup de monde voulait
que j’avorte. »
« Mon père voulait me forcer à avorter. Il voulait pas d’une grossesse. Il
est allé voir la juge pour lui demander de me forcer à avorter. »
Deux jeunes filles africaines affirment que leur culture n’est pas en faveur de l’avortement,
et qu’elles n’ont donc pas considéré cela comme un choix possible, l’ayant au contraire
directement écarté. En revanche, il est à noter qu’elles ne vivent absolument pas cela
comme une limitation de leur liberté ou comme une influence extérieure mais simplement
comme une donnée non négociable qu’elles se sont appropriées dans leur système de
valeurs.
37
« Moi dans ma culture africaine, c’est pas bien d’avorter. »
« Moi l’avortement, je pourrais jamais faire une chose comme ça. »
c. Quels éléments déterminants lors de la décision?
Pour l’une des jeunes filles qui a hésité entre un avortement ou poursuivre la grossesse, le
choix a été effectué en fonction des regrets. Elle disait ne pas oser avorter par peur de
regretter plus tard. Elle a aussi hésité à donner son enfant à naître en adoption mais a pensé
qu’elle ne saurait que répondre à son fils s’il venait la voir plus grand. Elle dit qu’elle a choisi
l’option qu’elle aurait le moins regretté. Une autre jeune fille se rend compte qu’elle avait
pris la décision d’avoir un bébé en n’ayant absolument pas toutes les informations en main.
La seule chose dont elle avait été informée c’est que ce serait difficile mais personne n’aurait
pris le temps de lui expliquer pourquoi. Deux autres jeunes filles, toutes deux d’origine
africaine disent qu’il n’était pas concevable d’avorter dans leur culture et que par
conséquent, garder l’enfant leur avait semblé évident. Enfin, lorsque le papa de l’enfant
affirme qu’il va être présent, cela fait pencher la balance dans le sens de la continuation de
la grossesse.
« Le choix, je l’ai fait toute seule. J’ai pas mal hésité, mais on a des
choix à faire. J’ai choisi la solution que je regretterai le moins. »
« Le papa m’a dit : « ben il est là, alors on va l’assumer, le bébé il est
là, on peut rien faire, on va l’assumer, moi je vais trouver du boulot. »
« Je voulais pas avorter parce que je me suis dit, il y a des gens qui
cherchent des enfants, je vais quand même pas avorter le mien ! »
« Quand j’ai choisi, je savais que ma famille était pour m’aider, du coup
je n’avais pas peur. »
« J’avais décidé de le faire avorter mais j’avais peur de l’avortement, et
il était déjà un petit être humain. J’aurais eu des remords plus tard. »
Si les jeunes filles rencontrées disent avoir fait leur choix toute seule, leurs témoignages
montrent qu’elles ont subi des pressions venant d’adultes quant à la poursuite ou non de la
grossesse.
III.
Grossesses menées à termes, un changement de vie radical
1. Vécu de la grossesse
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a. Connaissances lacunaires sur le déroulement d’une grossesse.
Toutes les jeunes filles interrogées témoignent du fait qu’elles n’ont jamais eu aucune
information sur le déroulement d’une grossesse avant de découvrir qu’elles étaient
enceintes. Elles ne connaissaient pas les étapes de développement du bébé pré ou post
natales ni les précautions à prendre quand on est enceinte. Elles vivent cela comme un
manque pour une majorité d’entre elles.
« J’ai pas eu l’impression que j’avais toutes les informations en main
quand j’ai pris ma décision. Je ne savais pas comment se passait la
grossesse ni l’accouchement. »
« Je ne connaissais rien pour ma grossesse, c’est les médecins qui m’ont
tout expliqué. »
« Je n’ai pas eu de conseil pendant la grossesse, ça ne m’a pas
manqué. »
b. Les problèmes liés à la prise en charge
Prise en charge tardive
Le fait de ne pas oser parler avec l’entourage et de garder sa grossesse pour soi isole les
jeunes mamans et, de ce fait, une partie d’entre elles n’a bénéficié que d’un suivi tardif (au
septième mois de la grossesse, dans un des cas). Même si cela n’a pas entraîné de
conséquences néfastes sur sa santé ou celle de l’enfant (malgré une toxoplasmose), elle
exprime le regret de ne pas avoir vécu une grossesse plus sereine. Ces jeunes filles auraient
aimé profiter d’un accompagnement similaire à celui proposé par les plannings familiaux ou
d’un lieu anonyme où elles auraient été suivies sans que leurs parents ne soient au courant.
« J’ai raté les échographies, les bonnes vitamines, j’ai eu la
toxoplasmose. J’ai commencé le suivi tard. Je regrette, j’ai pas profité
de ma grossesse correctement. »
« Pendant 5 mois je ne suis pas allée chez le gynécologue parce que je
n’avais personne pour m’y conduire.»
Pour les jeunes filles rencontrées, les plannings familiaux restent la référence en termes de
lieu où se rendre gratuitement et anonymement en cas de problèmes ou d’interrogations
liées à leur sexualité. En revanche, il semble que les jeunes filles excluent les plannings
familiaux d’un éventuel suivi de grossesse, alors que certaines structures de ce type en
proposent. Le planning est connoté dans leur esprit comme un lieu où l’on avorte.
39
Mauvaises expériences avec le personnel médical
Sans que ce soit un thème de discussion particulièrement mis en avant, les relations avec le
personnel médical reviennent en des termes très négatifs. Trois jeunes filles sur six ont eu
une très mauvaise expérience des hôpitaux. Dans tous les cas, le personnel médical ne
prenait pas au sérieux leur douleur ou leurs interrogations en partant du principe qu’elles
étaient de toute façon trop jeunes pour comprendre leurs propres maux, ou qu’elle l’avaient
bien « cherché » et qu’elles devaient maintenant « assumer ». Une réalité qui pose la
question de la prégnance de préjugés quant aux mères mineures même dans le milieu
médical.
« Ils disaient, c’est normal, comme j’étais jeune, on m’envoyait bouler.
Je suis allée chez le médecin c’était : « Bon t’as voulu un gosse il faut
l’assumer ».
« A l’hôpital ils m’ont dit que de toute façon j’étais trop jeune pour
avoir un enfant, et qu’ils me laissaient mourir avec mon enfant (pré
coma et placenta blanc ndrl) »
Dans les récits des jeunes filles, il y a une grande récurrence d’épisodes où elles se sentent
rejetées, et jugées par des institutions dont elles attendent beaucoup. Ce cas des hôpitaux et
du personnel médical est un exemple, mais elles disent se sentir peu accueillies par certaines
structures sociales. Ces témoignages abondent dans le sens d’une sorte de préjugé latent à
propos des mères mineures amenant les professionnels, consciemment ou non, à
systématiquement juger ou faire la morale aux jeunes filles.
2. Changements psychologiques
L’arrivée du bébé est un moment de rupture dans la vie d’une femme en général, et de ces
jeunes filles, en particulier. Elles changent de fréquentation, se « rangent » quand elles
avaient tendance à mener des vies risquées.
a. Une maturation expresse
Quand on leur demande quels sont les changements ressentis lors de l’annonce de la
grossesse ou de la naissance du bébé, elles répondent souvent s’être « calmées » ou
apaisées. Certaines décrivent des parcours chaotiques (délinquance, drogue, conduite à
risque), menant à une grossesse non voulue, cette dernière leur permettant de s’extirper de
ces conditions de vie difficiles. Toutes les jeunes filles interrogées ont une conscience aiguë
de leurs nouvelles responsabilités en tant que mère et des changements profonds qu’a
provoqué en elles l’arrivée de leur enfant.
40
« Il a changé ma vie en bien, il a changé mon caractère. J’ai des
responsabilités maintenant. Je ne peux plus agir come je le faisais
quand j’étais adolescente. Sans lui je serais en IPPJ à l’heure qu’il est. »
« J’ai grandi, surtout dans ma tête. Avant je pensais comme une
gamine. Maintenant je suis vraiment responsable, je pense comme une
maman. »
« Avant j’étais vraiment folle, je me battais tout le temps et
maintenant je ne me bats plus, je prends ma vie au sérieux, je bosse
pour mon fils, je ne sors plus comme avant, je reste tout le temps avec
lui. »
Les propos des professionnels qui parlent parfois de la notion d’enfant « sparadrap »
rejoignent le vécu de ces jeunes filles qui voient leur enfant comme un déclencheur de
bonheur dans leur vie, qui vient les réconcilier avec leur famille, leur apporter l’affection
dont elles avaient besoin voire, qui donne un sens à leur vie. Il est à noter que cela est plutôt
connoté négativement chez les professionnels qui y voient une tendance au bébé-objet.
b. Des regrets ?
Quand on amène la question des regrets, aucune fille ne dit regretter d’avoir conduit sa
grossesse à termes. Toutes sont unanimes : elles sont heureuses du choix qu’elles ont fait.
Elles disent souvent que malgré les difficultés, parfois très présentes, elles sont heureuses
d’avoir eu leur enfant. Elles déclarent souvent que l’enfant donne un sens à leur vie, et que
c’est avec lui qu’elles ont vécu les meilleurs moments de leur existence. En revanche,
certaines déclarent qu’elles regrettent avoir abandonné leurs études. Une seule reconnaît
que, si elle avait eu conscience des difficultés d’avoir un enfant, elle aurait attendu avant de
se lancer dans la maternité. Peu de jeunes filles interrogées regrettent le temps dont elles
disposaient avant pour voir leurs amies ou sortir. Ceci semble s’expliquer par le fait que la
plupart avait une vie sociale très limitée voire inexistante.
« Je ne regrette pas du tout mon choix. »
« Quand je regarde maintenant, je ne regrette pas, mais je ne les ferais
que maintenant. »
« Je regrette d’avoir lâché les études mais je vais les reprendre
maintenant. »
Si la question des regrets est souvent abordée quant il s’agit d’un avortement, il semble
moins facile d'y répondre quand on évoque les grossesses arrivées à terme. L'image de
l'enfant et de la famille véhiculée par les médias et le bon sens populaire est souvent
41
idéalisée et composées de clichés du bonheur d'être mère au quotidien. Les témoignages
des jeunes filles interrogées vont tous à l'encontre de cette caricature entretenue,
notamment, par les médias de grande diffusion. Chacune exprime, à sa manière, les
difficultés rencontrées à jouer son rôle de mère, de la volonté et du courage dont elle doit
faire preuve pour affronter chaque nouvelle journée. Une seule admet se rendre compte
que l'image qu'elle avait de la maternité est très éloignée de sa réalité quotidienne.
c. Etre une « jeune » maman, conception des jeunes filles et regard extérieur
Selon les jeunes filles interrogées, être une mère « mineure » ne crée pas une catégorie de
mamans « à part. Certaines y voient même un avantage, elles se disent plus patientes et plus
motivées que des mamans plus âgées. D’autres y voient l’avantage d’être débarrassées des
« corvées » maternelles avant tout le monde et de profiter de leur rôle de grand-mère plus
tôt. Elles considèrent toutes qu’être maman s’apprend quel que soit l’âge.
« Je ne crois pas que ça aurait été plus facile plus âgée. Quelque que
soit l’âge, on apprend à devenir maman. »
« Si t’as une enfant adulte ou mineur, c’est pareil, il faut l’assumer. »
« Dans l’absolu il n’y a pas de différence mineure-majeure, c’est quand
il y a des difficultés à la base que c’est plus compliqué. »
Cela renforce donc l’idée développée dans la première partie de ce travail, selon laquelle la
limite sociale et psychologique induite par l’âge des mères ne recouvre aucune réalité
scientifique. Non seulement le point de vue de certains professionnels qui considèrent que
le fait d’avoir un enfant, quand on est soi-même mineur, n’est pas une bonne chose n’est
pas pertinent chez les jeunes filles, mais encore il est caduque puisque ces dernières voient,
pour quelques une d’entre elles (surtout celles qui désiraient leur enfant) le fait d’avoir un
bébé en étant mineure comme un point positif.
De plus, les jeunes filles ne semblent pas être sensibles au regard des autres sur leur
situation. La plupart se disent assez indifférentes quant au fait d’être considérées comme
trop jeunes ou simplement regardées avec insistance dans la rue.
« On m’a regardé de toutes les façons : de haut en bas, derrière devant,
ça ne me faisait ni chaud ni froid. »
« J’ai eu beaucoup de réactions de gens qui me disaient que je n’étais
pas raisonnable, que j’étais trop jeune… »
« Au début j’avais beaucoup de problèmes avec le regard des gens,
mais j’étais jeune. En plus maintenant j’ai beaucoup de compliments. »
42
« J’ai eu beaucoup de regards méchants sur ma grossesse : « elle est
jeune, c’est exagéré, inconsciente, elle ne se rend pas compte, elle y
arrivera jamais » »
3. Réalité du quotidien d’une jeune fille mineure avec enfant
Les jeunes filles ont fait une large place aux difficultés qu’elles rencontrent dans leur vie lors
des entretiens. Ces difficultés sont parfois communes à celles rencontrées par d’autres
mamans.
a. Ecole et études
Comme constaté précédemment, une partie des jeunes filles ne fréquentaient plus l’école
ou ne s’y intéressaient plus. Au moment de l’arrivée du bébé, la plupart d’entre elles laissent
tomber l’école pour des périodes plus ou moins longues de 3 mois à 2 ans. Une fois le bébé
arrivé, elles affirment toutes vouloir reprendre les cours pour assurer un avenir à leur
enfant. Une part non négligeable d’entre elles souhaitent reprendre ou ont déjà repris des
études supérieures pour pouvoir subvenir aux besoins de leur enfant. Quelques unes ont
déjà un projet professionnel. Celles qui ont continué l’école (2) n’ont pas reçu de traitement
particulier, soit parce qu’elles ont réussi à le cacher jusqu’à la fin, soit parce que l’école n’a
pris aucune disposition particulière pour leur rendre la vie plus facile, chose qu’elles
semblent trouver normale.
« Je regrette d’avoir arrêté mes études, on ne sait pas faire grande
chose avec le CEB. »
« Je me suis dit que j’allais continuer à aller à l’école, même si ce n’est
pas facile. »
b. Logement
Le logement est perçu par toutes les jeunes filles comme la clé de leur indépendance. La
plupart d’entre elles vivent chez leurs parents avant leur grossesse. Elles expriment toutes la
volonté d’habiter seule avec leur bébé. Elles témoignent des difficultés qu’elles rencontrent
ou qu’elles ont rencontrées pour trouver un logement : payer une garantie locative, trouver
un logement à un prix abordable étant donné leurs petits revenus, etc.
« On n’a pas arrêté de déménager. Une fois qu’on avait finit de payer le
loyer et les factures d’électricité, il ne nous restait que 25 euros pour
vivre avec une petite de quelques mois et une deuxième en route. »
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« Dans trois mois j’ai 18 ans et je chercherai un logement pour vivre
avec le petit. Je cherche mon autonomie à tout prix et personne ne veut
me la donner. »
« C’était pas facile de trouver un logement parce que je touchais que le
CPAS. »
c. Les difficultés économiques
Une grande partie des jeunes filles évoque des difficultés économiques dans les discussions.
Certaines peuvent compter sur une aide de leur compagnon, père de l’enfant ou pas. Une
jeune fille en particulier souligne ses problèmes de dettes à régler. Les autres vivent dans un
système de débrouille avec les aides du CPAS, des coupons pour la nourriture ou comptent
sur des solidarités familiales. Toutes soulignent les prix élevés du matériel à obtenir pour les
enfants (literie, vêtements à renouveler sans cesse, couches, nourriture…) et considèrent
que les aides économiques qui leur sont versées ne sont pas suffisantes. Une jeune fille
souligne les difficultés qu’elle a à gérer un budget et la nécessité d’avoir une guidance
budgétaire.
« C’est pas avec 1100 euros d’alloc et CPAS que je vais pouvoir payer un
logement, nourrir mon fils et me nourrir, payer les vêtements, la
crèche… »
« Avant quand je recevais mon argent, 48h après, il n’y avait plus rien,
je ne sais pas ce que j’en faisais. Une guidance budgétaire c’est bien. »
d. Les difficultés juridiques
Deux filles sur six ont été confrontées à des problèmes juridiques liés à leur grossesse.
Une jeune fille signale qu’elle elle ne pouvait pas faire reconnaître l’enfant par le père étant
donné que ce dernier, majeur, avait eu des rapports avec elle alors qu’elle avait 14 ans. Leur
relation était donc juridiquement un abus sexuel. Elle a du attendre 4 mois, qu’une décision
de la juge approuve la reconnaissance de l’enfant par son père.
La situation décrite par les professionnels recoupe assez fidèlement le vécu des jeunes filles.
L’abandon de l’école est très récurrent, mais on note dans les propos des mères mineures,
plus que dans ceux des professionnels, une prise de conscience de l’importance des études.
Le bébé ne serait donc pas le facteur d’un abandon de l’école de difficultés d’insertion dans
le monde du travail à venir mais au contraire un moteur pour reprendre les études, voire,
pour avoir des projets plus ambitieux qu’avant l’arrivée de l’enfant, pour lui offrir le meilleur.
Les professionnels soulignent souvent l’impuissance dans laquelle ils se trouvent pour aider
les jeunes filles à trouver un logement. Cette difficulté est perçue de façon très aiguë par les
jeunes filles qui témoignent toutes de leur grande difficulté à accéder à un logement étant
donné leurs revenus faibles. Elles se sentent pieds et poings liés avec leur famille ou leur
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milieu d’origine alors même que la grossesse cristallise souvent un fort désir d’indépendance
et d’émancipation.
Les problèmes économiques et juridiques sont pointés par les professionnels autant que par
les jeunes filles soulignant par là leur caractère récurrent et commun ce qui devrait mener à
une meilleure considération des besoins spécifiques en termes juridiques et économiques
des parents mineurs.
4. Relations avec les services sociaux et vécu de l’aide
a. Avec le Service de l’Aide à la Jeunesse (SAJ)
Trois jeunes filles ont des parcours liés à une prise en charge du SAJ et rapportent avoir été
ballotées de service en service. Les jeunes filles en étaient globalement très peu satisfaites.
Elles décrivaient les interventions du SAJ comme venant perturber de façon injustifiée leur
quotidien ou leur vie familiale. Même si parfois, à entendre leur récit de vie, on pouvait
imaginer l’intervention du SAJ comme justifiée, elles ne comprenaient pas ce que des
inconnus venaient faire dans leur vie. Elles n’évoquaient aucune discussion, aucune mise à
plat avec les services. L’une a été longtemps suivie par le SAJ parce qu’elle avait effectué une
radiographie alors qu’elle était enceinte. Le SAJ lui aurait dit qu’il allait « lui enlever l’enfant
à la naissance car elle l’avait mis en danger de mort ». Six mois plus tard, alors qu’elle
n’avait plus aucun problème, le SAJ continuait de venir la voir. Une autre a été interpellée
par le SAJ car elle vivait chez sa mère avec son nouveau né dans un appartement dont
l’hygiène était inadaptée. Globalement, les jeunes mamans insistaient sur le fait que les
structures sociales ne leur laissent pas assez d’indépendance et d’autonomie et, ne leur font
pas confiance.
« Je connais une mère alcoolique, elle n’a jamais eu le SAJ sur le dos,
alors que moi j’ai eu le SAJ sur le dos pendant des mois et des mois
alors que je m’en occupe bien de mes filles ! »
« Je suis allée dans un centre à Tournai où je suis restée deux semaines
puis, dans un centre à Boitsfort où je suis restée trois mois et après
dans une maison maternelle où je suis restée 2 ans et demi. »
b. Expérience des maisons maternelles
Pour trois mères mineures interrogées, qui expérimentent ou ont expérimenté la vie en
maison maternelle, les opinions sont divergentes. Pour deux d’entre elles, cette vie
collective est difficile à supporter. Trop de contraintes, pas assez d’autonomie. Elles
reconnaissent que ça a pu les aider mais c’est surtout vécu comme un moindre mal. Elles ont
des difficultés à s’entendre avec les autres mères et se sentent surveillées ou dépossédées
d’une partie de leurs libertés. Pour une autre, qui a passé deux ans en maison maternelle, il
s’agit d’une expérience très positive qui lui a permis de prendre ses marques avec son
enfant, apprendre la gestion de l’indépendance et s’éloigner d’un foyer peu propice à
l’éducation de son bébé.
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« C’est bien mais on t’enlève un peu ta vie là-bas, il y a des règles à
suivre, ils gèrent ton argent et puis il faut s’entendre avec les autres
mamans. »
c. Vécu de l’aide
Généralement, les jeunes filles souhaitent qu’on leur donne d’avantage d’indépendance
avec leur enfant. Quand on leur demande ce qu’elles pensent de l’aide qu’on leur accorde,
elles témoignent toutes des lacunes de l’aide financière apportée, elles consièdrent que les
besoins économiques d’une mère sont sous-évalués. Il en va de même pour les places en
crèche : elles remarquent que ces dernières sont très difficiles à obtenir alors même que
certaines d’entre elles sont considérées comme prioritaires. L’une d’entre elles attend une
place depuis 3 ans. En revanche, en ce qui concerne l’aide pratique et les conseils, les jeunes
filles disent qu’elles n’ont eu aucune aide si ce n’est de leurs proches et qu’elles ont tout
appris sur le tas. Une majorité se satisfait de cette situation comme une garantie de son
autonomie. D’autres regrettent d’avoir été isolées après la naissance de leur enfant. Cela
concerne plus souvent les jeunes filles qui n’ont plus de lien avec leur famille.
« Quand je suis sortie de la clinique c’était ‘démerde toi !’ Je pensais
que j’allais avoir un suivi mais non. »
« Les difficultés s’accumulent et on est pas fort aidé. Il devrait y avoir
plus d’explications. »
Ce qui ressort des entretiens, c’est la volonté des témoins d’être indépendantes et
reconnues comme telles par le personnel des structures qu’elles fréquentent. Cet aspect
n’était pas particulièrement relevé par les professionnels qui semblent donc ne pas
percevoir leur rôle conformément aux attentes des jeunes. Il n’y a aucune envie chez elles
d’être pouponnées ou maternées ni même parfois conseillées. Les aides sont vécues comme
nécessaires d’un point du vue pratique : vivre dans de bonnes conditions pour être une
bonne mère, c’est-à-dire disposer d’un logement décent, avoir assez de moyen pour
subvenir à ses besoins et à celui de l’enfant et disposer d’une place en milieu d’accueil sans
laquelle le retour aux études ou l’élaboration d’un projet professionnel semble impossible.
Leur vécu du SAJ semble problématique, pas tant sur le fond des décisions que sur la
manière dont les mesures sont appliquées. Les jeunes filles se sentent dépossédées de leur
autonomie, et ne comprennent pas toujours l’immixtion dans leur vie des Services de l’Aide
à la Jeunesse.
5. Relation avec l’enfant
a. Copine ou mère ?
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Les jeunes mères disent, pour la majorité, n’avoir eu aucun problème de lien avec leur
enfant. En revanche, pour l’une d’entre elles, il a été un peu difficile de trouver sa place. Elle
évoquait la relation très gaie qu’elle avait avec ses filles tout en précisant qu’elle avait mis du
temps à bien définir son rôle auprès d’elles. Elle se sent plus capable aujourd’hui, après 4 ans
de maternité, de mettre des barrières qui permettent à ses filles de faire la différence entre
une relation mère-enfant et une relation avec un copine.
« J’ai un lien très fort avec mes enfants, plus que d’autres parents. Je
suis trop gentille. Je suis presque plus copine que maman. »
b. L’exigence d’être un modèle
Beaucoup de jeunes filles ont un sens très développé de leurs responsabilités vis-à-vis de
leur enfant, et presque toutes décrivent leur rôle comme celui d’un modèle à suivre pour
l’enfant. Elles précisent qu’elles doivent contrôler leurs réactions pour ne plus montrer
l’image d’une mère agressive ou trop infantile, mais doivent, au contraire, adopter un
comportement irréprochable pour permettre à leur enfant de bien se comporter lui-même.
c. Le lien mère-enfant
Quand on pose la question de savoir ce qui les rend heureuses, les jeunes filles répondent
souvent par des récits d’expériences très fortes de lien avec leur enfant qu’elles ont ressenti,
à travers l’accouchement, ou l’allaitement. Toutes témoignent donc de leur lien très fort
avec l’enfant. Une seule jeune fille témoigne des difficultés qu’elle a eu à trouver son rôle de
mère vis-à-vis de son enfant. Elle ne comprenait pas ses pleurs, ne savait pas comment la
tenir ou parler à son enfant. Elle attribue ses difficultés non pas à son âge mais à son peu
d‘entourage familial et au fait qu’elle n’avait aucun modèle et ne savait donc vraiment pas
comment s’y prendre avec un bébé. Au contraire, les jeunes filles qui avaient déjà eu des
expériences de garde avec des jeunes enfants disaient n’avoir eu aucun problème quand le
leur est né.
« Avec la première j’ai eu vraiment du mal à m’adapter, je me disais
elle m’aime pas ou je ne sais pas j’ai pas l’instinct maternel. »
« J’ai directement accepté mon rôle de maman, j’ai pas eu de
problèmes de lien. »
Contrairement à ce qui était parfois sous-entendu par les professionnels, les jeunes
rencontrées n’ont pas de mal à concevoir l’importance de leur rôle de mère. Même si la
prise de conscience peut être longue, il n’en reste pas moins que toutes les jeunes filles font
preuve d’un grand sens des responsabilités vis-à-vis de leur enfant et regrettent parfois que
les adultes n’aient pas plus confiance en elles. Parallèlement à cela, une jeune fille s’est
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sentie perdue à l’arrivée de son premier enfant sans réussir à trouver une assistance dans
son entourage. Ce cas d’isolement est assez significatif du fait que, confrontées à des
problèmes avec leur bébé, les jeunes filles ne savent pas très bien à qui elles peuvent
s’adresser, et c’est souvent une visite chez le médecin qui fait remonter la situation à un
service social.
6. Quel entourage ?
a. Pères et petits copains plus âgés
Le premier entourage de la jeune fille c’est le petit copain, père de l’enfant ou non. Dans
trois cas sur six, les jeunes filles sont toujours avec le papa de l’enfant. Une autre n’est plus
avec le papa mais est mariée à un homme qui est reconnu par l’enfant comme son père. Ils
prennent tous leur rôle de père au sérieux, s’occupent de l’enfant, prennent du temps pour
le voir et travaillent pour subvenir à ses besoins et à ceux de la mère. Ils n’habitent pas
forcément avec la jeune maman mais sont souvent disponibles. On peut donc constater
qu’une majorité des pères assument leur rôle. Globalement, pour toutes les mères
mineures, le père de l’enfant est un garçon plus âgé de 2 à 10 ans. La plupart des garçons
sont donc majeurs à la naissance de l’enfant. Une jeune fille témoigne du fait qu’elle avait
basé ses projets d’enfant sur la bonne entente qu’elle vivait avec le père. Ce dernier a
abandonné ce projet à la naissance de l’enfant. Sur six jeunes filles, trois ont été
abandonnées par le papa de l’enfant, mais deux d’entre elles n’espéraient pas spécialement
rester avec lui car la relation avait été très brève avant le rapport sexuel.
« Trémi connaît bien son papa, y’a pas de problème, il le prend en
weekend end et en vacances. »
« Mon petit copain était là quand j’ai accouché. Il prend son rôle de
père très au sérieux. »
« Son papa l’a su. Il a fait toutes les promesses du monde, mais après
l’accouchement, je ne l’ai plus revu. »
b. Relations familiales : des parents plus ou moins proches
Les relations familiales des jeunes filles sont souvent compliquées. Une jeune fille témoigne
de relations extrêmement fusionnelles (avec une mère de 17 ans son aînée) c’est la seule qui
avait de la complicité avec sa mère. D’autres jeunes filles n’avaient, au contraire, aucune
relation ou des relations très complexes avec leur mère comprenant notamment des
problèmes de communication au sujet de la sexualité. En ce qui concerne leur père, les
jeunes mères ont souvent des problèmes avec eux, et c’est surtout à eux qu’elles n’osent pas
avouer leur grossesse, craignant leur réaction, les considérant plus sévères.
« Je me disais : « il va me tuer » ! »
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« Quand je suis tombée enceinte, je ne m’entendais pas bien avec ma
maman, elle m’agressait tout le temps, elle m’insultait. »
« Avec ma mère on a toujours été très fusionnelles, toujours fourrées à
deux. Je voulais retrouver ça avec mon enfant. »
c. Réseaux amicaux : l’apprentissage de la solitude
Comme précisé précédemment, les jeunes femmes n’ont pas de réseaux sociaux très
étendus, une seule évoque son groupe d’amis comme un pilier de sa vie. Au moment de la
découverte de la grossesse, elles se sentent encore plus isolées de leur groupe d’amis si elles
en avaient un. Elles ne fréquentent plus d’amies de leur âge ou de façon très peu régulière.
Elles ont parfois des connaissances, mais rarement des amies proches. Cela dit, un certain
nombre de jeunes filles ne se plaignent pas de cet état de fait. Au contraire, elles semblent
trouver normal de passer tout leur temps à préparer la venue de l’enfant ou à s’en occuper
plutôt que de sortir. Elles ne se plaignent pas spécialement d’avoir un réseau amical limité.
« J’aime bien rester à la maison, tranquille, dans mon fauteuil, sans
casse-tête sans quelqu’un qui m’appelle à minuit pour me dire : « Viens
on sort !». »
« Ca me manque pas de sortir, je préfère rester avec mon fils à la
maison que sortir. ça me dit rien de sortir maintenant. »
« C’était fini les sorties, discuter avec mes copines, c’était maisonmaison ! »
Les propos des professionnels contenaient peu d’allusions aux pères. Les jeunes filles en
parlent plus et on constate que les pères sont souvent bien présents dans la vie des jeunes
filles et de l’enfant. Même s’ils sont considérés comme ayant un rôle important, on constate
souvent que le projet familial et d’éducation des enfants repose plus sur les épaules
maternelles. Les mères s’occupent à plein temps du bébé, tâches ménagères comprises,
tandis que le père, plus en recul dans l’éducation, pourvoit surtout aux besoins matériels. On
constate, dans les propos des jeunes filles qui ont eu un suivi social, que le père de leur
enfant était rarement associé au projet, ce qui fait écho aux propos des professionnels : les
pères ne sont pas assez associés à la prise en charge sociale, ne sont pas assez reconnus et
souvent sous estimés.
Les difficultés familiales présentes avant la grossesse sont parfois amplifiées par l’arrivée de
l’enfant ou au contraire s’apaisent, les parents de la jeune fille prenant leur rôle de grands
parents au sérieux. Il est surprenant de constater que les jeunes filles ne sont pas
spécialement avides du temps dont elles disposaient avant la grossesse contrairement à ce
qu’avançaient les professionnels. La plupart vivent très bien le fait de consacrer quasiment la
totalité de leur temps à leur enfant, sans se poser la question de la pertinence de ce choix
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pour leur bien-être personnel et/ou celui de l’enfant. Si les jeunes filles demandent plus de
temps ce n’est pas tant pour sortir avec leurs amies que pour pouvoir reprendre des études.
IV.
Grossesses interrompues : un portrait particulier
Pour témoigner d’une expérience d’IVG, nous n’avons rencontré qu’une seule jeune fille.
Agée de 23 ans aujourd’hui, elle avait 15 ans lors des évènements. Elle a particulièrement
mal vécu son avortement, ce dernier ayant été forcé par un chantage affectif. Ce témoignage
est donc à replacer dans son contexte : il est le fruit d’une très mauvaise expérience, et ne
doit pas être généralisé. Il n’en reste pas moins qu’il est un témoignage fort d’un cas qui
appelle une vigilance de toutes et de tous. Enfin, il est utile de rappeler ici qu’aucune autre
fille n’a souhaité s’exprimer sur une expérience d’avortement.
1. Pas de liberté de choix
La jeune fille rencontrée était placée en institution au moment où elle a découvert sa
grossesse. Son parcours a été semé de problèmes important très tôt et elle dit avoir cherché
l’affection par tous les moyens notamment dans la drogue et l’alcool. Elle ne veut pas
avorter. Cela dit, tout le monde autour d’elle dans son institution insiste pour qu’elle avorte.
Personne ne lui explique les enjeux d’une grossesse interrompue. Elle en parle à sa mère, qui
lui somme d’avorter sur le champ. Elle lui promet de pouvoir rentrer à la maison en échange.
Elle s’exécute, espérant regagner le domicile familial et l’amour de sa mère. Après coup,
cette dernière lui avoue qu’elle ne comptait pas la faire rentrer à la maison, mais que c’était
simplement un moyen de pression pour la faire avorter. La jeune fille reste donc placée, et
avoue y passer les pires moments de sa vie. Elle fait une dépression et en veut énormément
à sa mère et au personnel de son institution de lui avoir fait croire qu’avorter n’était rien du
tout, que c’était « normal » et logique. Elle se sent complètement dépossédée de sa liberté.
La jeune fille a eu deux enfants non attendus depuis, qu’elle a tous deux gardés.
2. Recommandations pour une meilleure prise en charge
Ce qui a profondément marqué cette jeune fille, c’est le fait que les adultes aient abusé de
sa confiance. Mère aujourd’hui de deux enfants, elle dit se rendre compte de ce que
représente une grossesse. Elle propose une meilleure prise en charge des mères mineures
pour qu’il n’y ait pas autant d’avortements. Elle voudrait que le potentiel des filles qui
conçoivent un enfant jeunes soit revalorisé et qu’on ne parte pas du principe qu’elles n’y
arriveront pas ou que « ça n’est pas le moment ». L’argument selon lequel l’enfant aurait
remis en question sa liberté de jeune fille lui semble fallacieux. Pour elle, qui n’avait jamais
reçu d’affection, l’arrivée d’un bébé était synonyme d’un changement de vie, l’occasion de
se transformer et d’avoir enfin un sens à sa vie. Ensuite, elle propose que les jeunes filles qui
souhaitent avorter soient mieux accompagnées. Qu’on leur dise exactement ce qu’elles ont
dans leur ventre, qu’elles aient l’occasion de parler avec d’autres filles qui ont vécu
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l’avortement et qui puissent exprimer en toute franchise leur expérience. Si elles avortent il
faut qu’elles soient informées notamment sur toutes les conséquences possibles.
« C’est horrible de ne pas prévenir la femme des conséquences d’un
avortement, c’est un droit ! »
« De toute façon je n’avais rien, après l’avortement je n’avais rien, mais
en plus ce vide affectif était encore plus profond. Sans mes enfants je
n’aurais rien »
Elle évoque aussi l’idée d’un accompagnement renforcé après l’IVG. Elle dit avoir été laissée
dans la nature après son avortement, sans savoir vers qui se tourner. Elle demande un
soutien, un accompagnement, de l’écoute pour se remettre de sa souffrance.
« Je n’avais pas réalisé que j’avais un être humain dans mon ventre. Personne
ne me l’avait dit. La seule chose qu’on m’avait dit c’est « tu y arriveras jamais,
avorte » »
V.
Vécu de la contraception et de la prévention
1. La prévention
a. A l’école
La question de la prévention n’a pas soulevé beaucoup de réaction de la part des jeunes
filles. Comme souligné précédemment, certaines jeunes filles ne fréquentaient plus l’école et
ne pouvaient donc pas avoir accès aux interventions d’éducation sexuelle. La déscolarisation
et la difficulté d’atteindre les jeunes qui sont dans cette situation est un problème sur lequel
il semble important de se pencher. Quant à celles qui allaient à l’école, certaines disent
n’avoir jamais eu de cours d’éducation à la vie sexuelle et affective, ce qui rejoint une
critique récurrente des professionnels.
« Je n’ai pas eu de cours sur la contraception à l’école. J’allais pourtant
à l’école régulièrement. »
« J’ai eu des cours là-dessus à l’école, c’était plutôt bien fait. Mais moi
de toute façon je voulais un enfant donc ça me concernait pas. »
« C’était pas super à l’école. Je n’osais pas poser de question. »
b. Pas concernées
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Les dires des jeunes filles recoupent les propos des professionnels qui disaient avoir
l’impression que les jeunes ne se sentaient pas concernés par l’éducation à la vie sexuelle et
affective. En effet, beaucoup de jeunes filles ne se projettent pas dans le discours des
professionnels et pensent que la sexualité n’est pas un sujet qui les concerne. Dès lors si les
cours d’éducation sexuelle ne captent pas l’attention des jeunes se rapprochent-ils assez de
leurs préoccupations et de leurs questionnements ?
« Les cours d’éducation sexuelle à l’école ça ne m’a pas servi. J’aurais
pas pensé que j’aurais eu des rapports à ce moment là. »
c. Le rôle joué par les parents
Aucune jeune fille n’a mentionné des conversations qu’elle aurait eues avec ses parents sur
la sexualité. Deux jeunes filles ont fait allusion à des épisodes de communication sur le sujet
assez représentatifs des difficultés rencontrées. Une jeune fille était allée chez le
gynécologue pour se procurer la pilule parce qu’elle souffrait trop de ses menstruations. Le
père de cette jeune fille a demandé au gynécologue de préciser à sa fille que la pilule n’était
pas contraceptive mais servait seulement à régulariser les cycles. Bien-sûr, en lisant le mode
d’emploi, la jeune fille a bien compris de quoi il retournait. Une autre jeune fille témoigne
n’avoir jamais eu ce genre de conversation avec sa mère et que cette dernière se contentait
de la prévenir que si elle tombait enceinte elle aurait à assumer l’enfant. Une autre fille
disait qu’elle avait parlé de son désir d’enfant à sa mère, qui avait validé son projet.
Pouvons-nous penser que leur vie familiale, souvent peu structurée, ne favorise pas un
dialogue avec les parents sur le thème de la sexualité, ce qui rend l’exigence d’une
prévention scolaire et extrascolaire de qualité encore plus pressante ? On pourrait aussi
élaborer des campagnes de sensibilisation à l’attention des parents.
d. Le rôle joué par le partenaire
Ici encore, la communication avec le petit copain semble rarement aisée quand il s’agit de
sexualité et de contraception. Les quatre jeunes filles qui ne désiraient pas leur grossesse
n’évoquent aucune conversation sur le sujet avant d’avoir un rapport. Elles restent assez
elliptiques, et le petit copain n’a pas toujours l’air d’avoir beaucoup d’informations sur le
sujet.
« Je pense qu’il savait que je pouvais tomber enceinte mais il me l’a pas
dit. Je ne sais pas en fait, mais je pense qu’il savait, oui. »
« Avec mon copain, j’avais pas du tout de contraception. J’étais pas au
courant, on m’a jamais expliqué. »
2. La contraception
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a. Peu mieux faire !
Quatre filles sur six connaissent l’existence des moyens de contraception. Elles étaient en
revanche très peu nombreuses à en prendre. Soit elles n’avaient pas prévu d’avoir de
rapport, soit elles avaient un mode de vie relativement marginal qui les mettait en dehors de
toute logique de prévention. Deux jeunes filles ne savent pas que les relations sexuelles non
protégées peuvent aboutir à une grossesse.
« Je ne savais pas qu’on pouvait tomber enceinte sans contraception.
Je ne parlais jamais avec ma mère, je ne parlais pas trop à l’école et
personne ne me disait donc je ne savais pas. »
« Moi je prends des piqûres, tous les trois mois, je ne sais pas comment
ça s’appelle. Je ne trouve pas ça vraiment important, on peut même
tomber enceinte quand on les prend. J’ai des copines qui prennent ça et
elles sont quand-même tombées enceintes. »
b. Mal utilisée
Il arrive souvent que les filles connaissent trop partiellement l’utilisation de la contraception.
Une jeune fille explique par exemple avoir confondu pilule progestative et pilule du
lendemain. Une autre est tombée enceinte d’un deuxième enfant, en continuant de prendre
une pilule spécialisée pour les mères allaitantes alors qu’elle n’allaitait plus. Il y a donc
souvent un flou autour de la manière précise d’utiliser les contraceptifs.
« Le lendemain de ma première fois, j’ai pris une pilule de ma mère
parce que j’avais entendu parler de la pilule du lendemain, mais je
n’avais pas pris une pilule normale en fait. »
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Conclusions du rapport
Le sujet des mères mineures et des grossesses précoces est bien plus vaste qu’il n’y paraît au
premier abord. Il ne s’agit pas seulement d’une question de rapports sexuels mal protégés
ou d’inconscience et d’irresponsabilité des jeunes. La parole des jeunes est essentielle. Elle
doit nous permettre d’avoir un éclairage nouveau et sans complaisance sur nos pratiques et
nos conceptions dans l’objectif d’améliorer leurs conditions de vie avant, pendant et après
l’arrivée du bébé.
On constate, à travers tous les entretiens effectués, que les jeunes savent parfois très bien
ce qu’ils font et comptent assumer un nouveau rôle de parent que la société peine à leur
reconnaître. Un élément ressort nettement de la confrontation de ces deux points de
vue entre mineures et professionnels : l’incompatibilité des rôles que l’un voit dans l’autre.
Là où les professionnels s’investissent d’une mission de parent, de psychologue et de
sauveur, les jeunes filles demandent une aide pragmatique, pratique et utile : des milieux
d’accueil, de l’argent, des logements. Là où les adultes attendent des jeunes irresponsables
et perdus, ils se retrouvent parfois face à des jeunes mamans déterminées, responsables.
Les jeunes perçoivent l’aide des adultes comme de la condescendance, comme un carcan. Si
l’intervention sociale est vécue comme un carcan et non pas comme un tremplin vers la
liberté et le bien-être, cela pose problème. Dès lors, il faut se poser des questions sur les
modalités de l’accueil, sur le fait que les jeunes filles mères se sentent jugées, sous-estimées,
mal accueillies. Toutes manifestent leur soif d’être reconnues comme des mamans
compétentes et ne plus être sans cesse soupçonnées d’avoir des lacunes avec comme seul
déterminant leur jeune âge. Cette volonté très profonde d’indépendance et d’autonomie
repose sur des aides pratiques et financières, sur des conseils utiles. C’est en les aidant à
résoudre ces difficultés matérielles qu’elles pourront ensuite être indépendantes et
autonomes. Rappelons que toutes les jeunes filles interrogées, si elles n’avaient pas toutes
désiré leur grossesse, ont toute assumé le choix qu’elles ont fait de garder leur enfant ou
non.
On fait des mères mineures un problème social sans se demander si cela est justifié. On
entre dans leur intimité, dans leur vie en partant du principe qu’il va falloir les aider à
retourner dans la « normalité » du moment où elles étaient jeunes et insouciantes. Le
contrôle social autour de ces situations est-il nécessaire et le cas échéant dans quelles
modalités ? Part-on du principe qu’une mère mineure est « anormale » ? Quels préjugés
couvent dans nos manières d’accueillir ces jeunes ? Considère-t-on qu’elles ont fait une
erreur, qu’elles ont été inconscientes et irresponsables ? Imaginons-nous la souffrance que
cela peut être d’être considérée comme un parent incompétent au simple motif de notre
âge ? C’est à une remise en question de nos concepts et de nos préjugés que ces jeunes nous
appellent pour combler ce fossé que l’on met trop souvent entre monde des jeunes et
monde des adultes.
Cette parole des jeunes est aussi l’occasion pour le Délégué Général aux Droits de l’Enfant
d’appuyer ses réflexions à venir sur la sexualité des mineurs. On le voit bien à travers les
entretiens, le sujet est large et le champ des améliorations à apporter immense. Il ressort
l’image d’une sexualité souvent taboue, mal présentée par les adultes et de jeunes qui
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n’osent pas prendre conscience de leur propre sexualité et de leur affectivité. Elle est
déformée et rendue menaçante, voire interdite, et presque systématiquement, dangereuse
par nos discours tandis que la pornographie ambiante en fait le lieu de tous les possibles. Les
jeunes n’ont qu’à se débrouiller pour se situer dans ce cadre. Même si la difficulté est avant
tout sociétale, il n’en reste pas moins que la prévention doit être le premier outil pour
décloisonner les esprits et rendre à la sexualité, au sens noble du terme, le rôle essentiel
qu’elle joue dans la vie de chacun. On peut et on doit attendre beaucoup de cette
prévention, qui doit, par l’entremise de l’intelligence et de la libre discussion infuser un sens
critique et des attitudes responsables dans l’esprit des jeunes.
Car si la grossesse des mineures doit être cachée dans les écoles, et aux familles, c’est à dire
ne pas exister aux yeux des adultes, si elle est considérée comme une maladie honteuse et
contagieuse qui exclurait nécessairement de la société dite « normale » pour ouvrir une
dépendance aux aides sociales, n’est elle pas avant tout le symptôme d’une maladie des
adultes et de la société? La maladie d’une société qui ne sait pas accueillir la sexualité des
jeunes? La maladie d’une société qui ne sait pas accueillir les situations quelle qu’elles
soient même si elles nous semblent peu raisonnables ou à la marge? Il ne tient qu’à nous de
poser les jalons d’un accueil authentique et d’une reconsidération plus fidèle à la réalité des
capacités de nos jeunes.
« Il faut changer notre regard sur les adolescentes, les considérer
comme des mères à part entière. Elles vont devenir mère par le regard
qu’on va poser sur elles » .
«Il ne faut pas considérer les mamans et les parents mineurs comme
des enfants, même s’ils le sont toujours sur le papier. Il faut leur donner
confiance en eux, les laisser se débrouiller, il n’y a pas de raison qu’ils y
arrivent moins bien que les autres. »
« Quand on a des enfants jeunes, on ne nous considère pas comme des
parents. »
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Bibliographie
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Animations à la vie affective et sexuelle à l’école, proposition d’objectifs, de
thématiques et de stratégies, rapport de l’équipe interuniversitaire, Michel Andiren,
Katty Renard, Hélène Vanorlé, décembre 2003, commanditée par Madame Nicole
Maréchal.
La grossesse chez les adolescentes : Tome 2 synthèse des résultats et
recommandations pour la prévention, l’éducation et l’accompagnement, Isabelle
Aujoulat, octobre 2007
Adolescentes : Sexualité et santé de la reproduction, état des lieux en Wallonie et à
Bruxelles, Douchan Beghin, Claudine Cueppens, Catherine Lucet, Samuel Ndamè,
Godelieve Masuy-stroobant, André Sasse, Daniel Piette, avec le soutien de la
Communauté française de Belgique, Fevrier 2006, Bruxelles.
Les grossesses à l’adolescence : quels sont les facteurs explicatifs identifiés dans
littérature ? Joëlle Berrewaerts, Florence Noirhomme-Renard, avec le soutien de la
communauté française de Belgique, UCL-RESO, Unité d’Education pour la Santé, Juin
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Mineures enceintes : état des lieux en Communauté française de Belgique, Nathalie
Cobbaut, Fondation Roi Baudoin, mars 2009, Bruxelles
Les grossesses à l’adolescence. Normes sociales, réalités vécues, Charlotte le Van,
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Droits sexuels et reproductifs des femmes : quelle éducation sexuelle et affective des
adolescent-e-s à l’aube de ce troisième millénaire ? un état des lieux en communauté
française, S Preira, université des femmes, janvier novembre 2007 p38-39
Etude du parcours contraceptif des adolescentes confrontées à une grossesse non
prévue : éléments pour une meilleure prévention, N. Moreau, Docteur B. Swennen,
Docteur D. Roynet et GACEHPA, 2006
Mères adolescentes in Rapport 2002-2003 de la banque de donnée médico-sociale de
l’ONE p29 à 50
Gouvernement de la communauté Française. Déclaration de politique communautaire
2004-2009, 2004
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