Une écologie intégrale pour demain

Transcription

Une écologie intégrale pour demain
Une écologie intégrale pour demain
Résumé de la soirée du 17 mars 2016, organisée dans le cadre de Rivespérance à Namur, avec des
interventions riches et de qualité, avec un bel équilibre entre apports d’idées et témoignages de
réalisations concrètes.
C’est Marthe Nyssens (UCL) qui imprègne le rythme de la soirée, anime les débats et mène la soirée
de mains de maître. Le ton est donné d’emblée : la gravité de la situation doit nous interpeller à
réinventer le monde !
Premier temps : un aperçu de l’encyclique du pape François, Laudato Si’
Charles Delhez s.j. (UNamur) commence par rendre hommage à Jean-Marie Pelt, décédé le 23
décembre dernier, qui avait accepté de participer à cette soirée, et pour qui le spirituel tient une
place importante dans son engagement écologique. Charles Delhez souligne ensuite le rôle de l’Eglise
d’inviter au débat ainsi que la convergence d’initiatives qui voient le jour dans le sens de
l’interpellation du pape, tout comme le montre le film Demain.
Il présente les trois volets dans cette encyclique :
1. La nature est à protéger et à réparer. Nous sommes intimement liés à la nature. Et
contrairement aux interprétations de l’ère industrielle du texte de la Genèse qui à tort nous
invite à dominer la nature, nous sommes conviés à une réciprocité responsable avec la nature.
L’homme est invité à cultiver le jardin de la nature. Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie
adéquate.
2. Une société inégale et menacée. Face à la disparition des espèces, il y a une disparition des
cultures humaines. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une seule et complexe crise socioenvironnementale où il y a un lien évident entre la pauvreté et la fragilité de la planète.
3. Un regard contemplatif. Ce n’est pas le matérialisme qui va sauver la planète : la foi nous
apporte une nouvelle motivation.
Charles Delhez évoque le« panenthéisme » - Dieu en toutes choses - et rappelle que les conclusions
de cette encyclique sont fortes : elles nous invitent à une austérité responsable. Il y a quelque chose
d’apocalyptique dans ce que nous vivons mais la science et la religion peuvent entretenir un dialogue
fécond.
Pour terminer son intervention, il nous invite à lire un court texte de Saint Jean-de-la-Croix, plus que
jamais d’actualité, ainsi qu’une citation d’Hélène et Jean Bastiaire : « La guérison de la nature
commence dans le cœur du jardinier. »
Deuxième temps : une table ronde
Autour de la table, Isabelle Cassiers (UCL) et Philippe Defeyt (CPAS de Namur).
Dans les recherches qu’elle mène, Isabelle Cassiers souligne l’urgence de redéfinir la prospérité. Elle
indique que l’encyclique du pape François est le fruit de notre temps et constitue un levier pour
changer le cours de l’histoire, tout comme Rerum Novarum a pu interpeller le patronat pour
constituer un tournant dans la lutte des classes.
Elle insiste sur l’urgence de comprendre les interactions entre les questions écologiques, sociales et
la spiritualité pour sortir de cette triple crise.
Isabelle Cassiers souligne également combien cette encyclique s’enracine dans la transformation du
monde. Elle évoque à ce titre l’alter-mondialisme qui puise une partie de son inspiration dans la
sagesse amérindienne, dont les populations ont conservé le sens de la terre (Pachamama), de même
que le pape François parle de la terre comme mère nourricière. Elle rappelle aussi la montée en
puissance de pays comme l’Inde et la Chine, héritiers d’une sagesse millénaire, beaucoup plus ancrée
dans le corps, en lien avec le cosmos (elle évoque le yoga et le taï-chi) et pour laquelle tout est un.
Propos sans complaisance de Philippe De Feyt qui parle de la domination du pouvoir de gens qui sont
prêts à tout pour avoir des rentabilités à deux chiffres, dans l’énergie par exemple, ainsi que le
capitalisme qui repousse toujours les limites : les colonies, la marchandisation des activités
domestiques, la libéralisation des échanges, la diminution du temps de sommeil, la suppression du
dimanche en tant que jour sacré et la planète qui exploite l’homme. Cette longue marche est due à
l’adulation de faux progrès (les trams qu’on a détruits et qu’on tente de ramener ou encore les haies
qu’on a supprimées à coups de subventions européennes et qu’on tente aujourd’hui de réhabiliter)
et à la politique de vote aveugle de traités, comme celui de l’organisation mondiale du commerce,
sans régulation sociale.
Pour lui, le changement viendra « d’un bon coup de pied au derrière » et/ou de contradictions
internes. Il en appelle aux hommes politiques à faire confiance à tout ce qui émerge sur le terrain.
Troisième temps : des témoignages du terrain
Pierre et Véronique Cossement, de La ferme du Buis, expliquent qu’ils sont la troisième génération
d’agriculteurs dans la région de Tournai. Lui est agriculteur, elle est assistance sociale et ont quatre
enfants. C’est entre 2000 et 2010 qu’ils sont interpellés dans leur pratique d’agriculture industrielle…
par des vaches Blanc-Bleu-Belge dont la morphologie ne permet les vêlages que par césarienne,
nourries par du soja en provenance du Brésil… interpellés aussi par des productions régulées sur le
marché mondial qui tire les prix vers le bas. Tout cela, ajouté à leur dépendance au pétrole, à
l’industrie (tant en amont pour les engrais et pesticides qu’en aval pour l’écoulement de leur
production), sur fond de crise du lait de 2009, les amènent à repenser leurs activités. Des rencontres
avec Ricardo Petrella, les livres de Pierre Rabhi, la revue Imagine, leurs respirations dominicales dans
leur communauté paroissiale… ce sont autant d’inspirations qui les amènent à redécouvrir ce qu’ils
appellent un nouveau métier : ils réintègrent le fourrage dans l’alimentation de leur troupeau,
favorisent la diversité, Véronique suit une formation de fromagerie. Ils s’ouvrent à un réseau de
producteurs ; ils créent trois emplois supplémentaires, en offrant du travail à une personne fragilisée.
Ils ouvrent un gîte : l’accueil, la fête sont également au cœur de leur projet parce que vivre le lien est
aussi important pour eux.
Vient au tour de Thérèse-Marie Bouchat et de Benoît Dave, de la coopérative Paysans-Artisans, de
faire part de leur expérience au sein de cette organisation qui regroupe 300 coopérateurs, 55
producteurs de l’Entre Sambre-et-Meuse namuroise, avec 7 points de « r’aliment » – et bientôt 10 gérés par quelque 180 bénévoles qui permettent de livrer quelque 300 commandes par semaines. A
côté de l’e-commerce, ils assurent une présence sur les marchés. Les points de « r’aliment » ont été à
dessein implantés dans des quartiers populaires : outre le lien qui se retisse, ils proposent également
des activités d’éducation permanente, avec par exemple des débats à l’issue de projection de films.
En amont, avec les producteurs, ils se concertent pour planifier les productions et mutualisent leurs
équipements. Ils ont fait appel au capital citoyen pour les aider à financer l’achat d’un bâtiment et
ont parallèlement une activité foncière pour aider les producteurs à faire face au coût du terrain.
S’en est suivi un temps de questions-réponses avec la salle.
Quatrième temps : l’intervention d’Olivier De Schutter (ONU)
Retenu à l’étranger, Olivier De Schutter a cependant tenu à témoigner au cours de cette rencontre,
ce qui a été possible grâce à une vidéo. Son intervention s’articule autour de quatre points :
1. La transition écologique ne se satisfera pas de dispositifs techniques extérieurs à l’individu mais
doit répondre à une évolution spirituelle, une transition intérieure qui l’amène à faire des choix
différents, parce que le bonheur ne se trouve définitivement pas dans la consommation.
2. La justice sociale est complémentaire à la transition écologique. Les inégalités croissantes entre
pays et au sein des pays rendent difficile la conversion vers une société bas carbone.
a. En effet, les goûts de luxe des uns font concurrence à la satisfaction des besoins
essentiels des autres.
b. Le pouvoir économique des plus riches, qui ont énormément de mal à accepter la réalité
de la catastrophe à laquelle on se prépare (« white male syndrom »), se traduit en veto
de décisions politiques courageuses.
c. La transition écologique doit être équitable. Plus les efforts seront équitablement
répartis, plus il sera facile d’opérer une transformation rapide.
3. La nature n’est pas étrangère à l’être humain et l’homme n’est pas le maître de la nature. La
nature est un partenaire avec lequel les hommes coexistent et partagent le même destin. Il faut
aussi accepter que la nature soit complexe et apprendre de la nature (par exemple le
biomimétisme et les travaux de Gauthier Chapelle en la matière).
4. Enfin, en matière politique, la transition ne doit pas être dirigée par le centre mais conduite par
des femmes et des hommes ordinaires, à partir d’initiatives locales où des acteurs locaux
inventent leurs propres solutions. Le citoyen n’est pas seulement un citoyen électeur
récipiendaire de solutions pensées par les autres : c’est à lui à réinventer les choses pour
préparer cette transition écologique.
Après ces interventions riches qui nous incitent à nous mettre en marche, la soirée s’est terminée par
un moment d’échange convivial autour d’un verre de l’amitié.
A noter :
Rivespérance nous invite à poursuivre la réflexion au cours du week-end organisé sur ce thème
« Habiter notre maison commune » les 4, 5 et 6 novembre 2016.

Documents pareils