New African Woman: Femmes Performantes d - Enda Inter

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New African Woman: Femmes Performantes d - Enda Inter
société
événement
Crédits photos : Women’s Forum et la Fondation Cartier
Femmes
performantes
d’Afrique
Une nouvelle génération de femmes d’affaires conquiert le monde et
l’Afrique. Elles sont diplômées, à la tête d’entreprises, elles gèrent des
projets ambitieux, des budgets importants, des ressources humaines. Elles
sont l’élite de la finance et de l’économie dans leur pays. Elles construisent
une nouvelle image de la femme Working Girl et Business Woman.
D’Europe, d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb, elles font le lien entre
elles, unies dans un projet de société ou le progrès rime avec productivité
et développement. New African Woman est allé à leur rencontre, pour les
découvrir et vous les faire découvrir. Par Fériel Berraies Guigny
Aude Zieseniss de Thuin,
présidente, fondatrice du Women’s Forum for the Economy and Society
“Le monde d’aujourd’hui
ne peut pas se passer des femmes”
Le Women’s Forum for the Economy and Society est votre
bébé. Est-ce l’aboutissement d’un rêve et des années d’une
carrière entrepreneuriale exemplaire ?
L’aboutissement d’une carrière et en même temps, c’est
devenu un rêve ! Lorsque j’ai décidé de créer ce projet, je
savais que j’avais la force et l’âge de le faire. C’est le projet de
la maturité en quelque sorte. À 40 ans, j’aurais été incapable
de porter un tel projet, mais à 50 ans, c’était le bon moment.
D’autant plus que le sujet commençait à se faire « désirer ».
Ma spécialité, c’est d’avoir du flair, de pouvoir détecter les
choses au moment propice. Je sentais que le phénomène des
femmes arrivait. Le projet du Women’s Forum en lui-même est
très lourd, aucune banque à l’époque ne souhaitait me financer et
je ne disposais pas non plus d’argent. Pour financer ce projet, j’ai
vendu mon autre société, tellement j’y croyais. C’est mon dernier
projet, je le sais. Cela fait cinq ans que le Forum existe, sept ans
que j’y travaille.
pas à l’époque pourquoi l’on entendait si peu la voix des femmes.
Nous ne sommes pas des « anti-hommes ». Nous sommes
complémentaires.
C’est un forum que j’ai réussi à faire, entre autres, parce
que j’étais moi-même très équilibrée dans ma vie personnelle.
Je n’étais pas dans une démarche de revendication. Le monde
d’aujourd’hui ne peut pas se passer des femmes. Les femmes sont
moins « guerrières », elles ont une autre approche quand il s’agit
de la gestion du risque. On voit bien que la crise des subprimes
est avant tout une crise masculine et c’est un véritable constat.
C’est tout simplement du bon sens qu’en tant qu’entrepreneur,
j’ai décidé de monter ce forum qui n’existait pas. J’ai longtemps
travaillé sur le business model, près de 18 mois. J’ai été entourée
de beaucoup de femmes importantes connues qui allaient à
Davos, mais j’ai été également à l’écoute de la plus jeune génération, à travers ma fille et ses copines. C’était important d’avoir
leur avis aussi.
Parlez-nous du forum ?
C’est un projet qui est simple : donner la parole aux femmes
comme aux hommes, car on n’est pas féministe, on reste pragmatique. Ceci dit, ce projet donne principalement la parole aux
femmes sur les grands enjeux économiques et sociétaux. Nous
représentons 50 % de la population mondiale et je ne comprenais
On aurait plutôt tendance à penser que la question de la
parité est plus un problème venant des pays du Sud ?
Absolument pas. Je pense réellement que le monde entier
est concerné. Les seuls pays qui ont un équilibre légal et non
naturel, seraient les pays scandinaves. Ceci dit, dans certains
pays comme la Chine, les femmes ont réellement un pouvoir,
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car elles ont envie de voir leur pays fonctionner selon les
normes occidentales. D’ailleurs, nous sommes déjà installées
dans cette région. Nous avons déjà organisé deux forums, un
à Shanghai en 2007 et un à Pékin, le prochain étant prévu à
Shanghai en 2010. Le monde entier doit prendre conscience, car
les hommes ont encore un peu peur des femmes. Le travail des
femmes est important et pourtant un homme chef d’entreprise,
par facilité, recrutera un homme. Question d’habitude aussi,
d’où la nécessité de faire changer les mentalités.
Est-il évident d’être femme et chef d’entreprise ?
On peut dire, aujourd’hui, qu’on assiste à un changement
fondamental de la société. On se pose plus de questions,
on réalise peu à peu la place et l’importance de la femme.
Moi-même, je le sens et c’est une intime conviction. C’est mon
intuition et c’est ce que les chiffres démontrent aussi. Je pense
que d’ici à deux ans, on verra les choses bouger davantage. Je
suis un chef d’entreprise inné. J’ai lancé ma première société
à 22 ans. J’ai commencé par des études en psychologie, mais
ma mère m’a coupé les vivres, car elle ne comprenait pas mes
choix. J’ai été vite confrontée à la réalité de la vie. J’ai alors créé
un journal gratuit. À l’époque, c’était très à la mode en France.
la possibilité à une autre femme qui n’en a pas les moyens de
venir sans payer son entrée. C’est un forum de solidarité. Nous
recherchons nos futures femmes leaders à travers le Women’s
Forum. Nous voulons identifier, repérer les femmes qui ont un
parcours exceptionnel. Nous souhaitons les aider, les mettre
en réseau et les faire venir tous les ans à Deauville.
Les femmes du Sud sont de plus en plus présentes, malgré
un contexte économique difficile.
Ces femmes sont très présentes. En revanche, je fais une
distinction entre les femmes africaines et les femmes du
Maghreb parce que l’Afrique subsaharienne est plus pauvre.
Nous repérons les femmes leaders en Afrique subsaharienne,
celles qui ont un rôle important dans leur pays. Des femmes
capables de changer les choses pour leur société. Qu’elles aient
ou non une fonction politique ou économique.
La numéro deux de la Banque mondiale, ancienne ministre
des Finances du Nigeria détient un rôle très important. On
note également l’émergence de femmes sud-africaines très
influentes, dont une a failli être présidente. À noter aussi, le prix
Nobel, la Kenyane Wangari Maathai. On recherche des femmes
africaines qui soient leaders et exemplaires dans leur pays.
S’agissant du Maghreb, il est vrai qu’il y
a une proximité géographique et culturelle avec la France. Par exemple, une
Tunisienne a fait venir des personnalités
de son pays à Deauville, de même que
pour le Maroc. On fonctionnait beaucoup
en réseau, aujourd’hui, nous avons signé
un accord avec Publicis et nous espérons
ouvrir de nouvelles perspectives.
C’est aussi pour cela que New African
Woman est important pour nous, pour
communiquer et informer sur le Women’s
Forum. Cela nous permettra d’identifier
ces femmes influentes, notamment celles qui sont en devenir.
Notre souhait est également de développer et de renforcer
notre relation avec le Maghreb et toutes ces femmes
formidables. Car, nous sommes proches à la fois dans la culture
et dans l’histoire. Pourquoi ne pas imaginer une délégation de
ces femmes dans le cadre du forum ?
La difficulté à surmonter aujourd’hui, c’est de pouvoir aller
vers des femmes qui ne font pas partie de notre réseau de
connaissances. L’Algérie, la Libye, sont des pays intéressants,
où les femmes ont beaucoup de mal à avoir de la visibilité. C’est
pour cela que le forum est important !
Des parcours uniques, des projets pleins
d’espoir, des réussites assumées qui ont
été médiatisés à l’occasion du Women’s
Forum for the Economy and Society
et du Cartier Women’s Initiative Award
à Deauville.
Pendant six ou sept ans, j’ai développé ce journal. Après un
divorce et mon retour en France, une chose m’est alors parue
évidente : je ne pouvais pas délaisser mon rôle de chef
d’entreprise. Mon tempérament me rendait incapable d’être
salariée. Après plusieurs créations d’entreprises et près de
30 ans d’expérience en tant que chef d’entreprise j’ai créé le
Women’s Forum for the Economy and Society. Ce forum
représente l’aboutissement de ma carrière, mais je dois aussi
dire que ma principale motivation a été une fascination pour
le courage et la volonté des femmes.
Vous avez pu fédérer avec ce forum, la crème des femmes
d’affaires et des entreprises au féminin, quel est votre
sentiment aujourd’hui ?
Je suis plus pour un féminisme pragmatique, avec les pieds
sur terre, pour montrer comment les femmes contribuent à
monde meilleur.
Quand la crise est arrivée, il m’est paru évident que 2005
était le bon moment pour lancer le forum. J’en suis d’ailleurs
très fière. C’est émouvant, car, non seulement, je réunis la
crème des femmes, mais nous faisons venir aussi des femmes
des pays en voie de développement. C’est un
engagement social que nous prenons. À chaque fois que
l’entreprise paye très cher pour qu’une femme vienne, on donne
Quels sont les projets qui vous ont le plus touché en
Afrique ?
Ce sont des projets de microcrédit, mais aussi des projets
dont on me fait part, menés par des Africaines qui ont des idées
pour préserver la vie ! Quand une Africaine a accès à un peu
d’argent, la première chose qu’elle va faire, c’est éduquer ses
enfants ! Je suis, moi-même, bouleversée par le courage de ces
femmes qui ont compris que l’éducation est la base de tout.
C’est pour cela que d’ailleurs nous avons un prix annuel avec
Cartier. Nous avons également un autre prix : Women for
Education, soutenu par Renault-Nissan et qui concerne des projets
basés en Afrique. Renault-Nissan sponsorise ce prix à hauteur
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de 100 000 euros, ce n’est pas négligeable. Il s’agit de projets
d’éducation pour les petites filles. Aujourd’hui, l’avenir du monde
dépend de l’éducation. Nous nous focalisons sur les filles, car nous
savons qu’elles impulseront un changement dans un esprit de
partage et de solidarité.
En Europe, et plus particulièrement en Occident, je dis
toujours aux femmes qu’elles ne se rendent pas vraiment compte
comme elles sont gâtées ! Certes, nous connaissons le chômage,
la problématique des femmes battues et maltraitées, mais quand
on compare avec les pays du Sud, et l’Afrique en particulier, nous
devons avoir plus de modestie.
Comment peut-on encourager l’esprit d’entreprise en
Afrique eu égard à la situation politique et sociale qui n’est
pas toujours favorable aux femmes ?
C’est par les modèles qu’il faudra passer. Je crois en cela. Ces
femmes qui font des choses extraordinaires « elle l’a fait, donc je
suis moi aussi capable de le faire » ! Je recherche des femmes avec
de la personnalité. Plus les femmes qui font des choses seront
connues des autres et plus cela donnera des idées à celles-ci, c’est
très simple. Les femmes ont des doutes sur leurs capacités et il
faut des modèles. L’Afrique en particulier regorge d’incroyables
talents qu’il faut faire connaître. Il est nécessaire qu’ensuite ces
modèles soient intégrés dans les réseaux.
L’échange d’expérience entre le Nord et le Sud, le réseau
est-ce un début ?
Oui bien sûr ! Autrefois les femmes n’avaient pas le temps
pour s’engager dans des réseaux. Aujourd’hui, le couple a
changé et il y a une répartition plus équilibrée des tâches. Les
femmes peuvent consacrer plus de temps au développement
de leur réseau. Le Women’s Forum est un réseau mondial,
c’est le plus grand du genre. Il y a aussi les réseaux interprofession entre, par exemple, les avocats et les médecins, les
chefs d’entreprise. Tout réseau féminin est bon à développer.
Ces réseaux doivent ensuite se comparer et développer des
meilleures pratiques pour savoir « comment puis-je m’y prendre,
alors que je suis isolée dans mon métier ? Que faire pour aller
vers les autres ? ». En outre, il est nécessaire de beaucoup lire
sur ce qui se passe et de s’inspirer des modèles.
Que dire aux femmes africaines futures chefs d’entreprise ?
Je leur recommanderais de ne pas rester sur un projet
de petite taille. Il faut essayer de se rapprocher d’un coach
ou d’un mentor pour établir un bon modèle d’activités. Il faut
un positionnement permettant d’avoir accès à des crédits
bancaires. Il faut également se créer de la crédibilité. Je dirais
aux femmes d’avoir plus confiance en elles et d’écouter
profondément leur intuition. n
Cartier Women’s Initiative Awards | édition 2009
Portrait
des femmes
performantes
africaines
Au sein du Women’s Forum for the Economy and Society, la Fondation Cartier a
lancé, en 2006, le prix Cartier Women’s Initiative Awards. Un concours international
de création d’entreprise qui récompense chaque année cinq lauréates, une par
continent. Toute femme, quel que soit son pays d’origine ou sa nationalité, peut
participer au concours en présentant un projet en cours de lancement ou une jeune
entreprise de moins de trois ans. Prix : un an de conseil personnalisé offert par
Cartier, McKinsey & Company et l’Insead, 20 000 $ (15 800 euros) de financement
et une invitation au Women’s Forum Global Meeting à Deauville.
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Jife Williams (Nigeria) lauréate Afrique
Des services sanitaires (douches et toilettes)
dans les lieux publics, à Lagos
La journée d’une Nigériane qui
travaille sur le marché est de
10 heures, l’accès à des toilettes
est donc primordial.
Au moins 70 % des 18 millions d’habitants de Lagos n’ont pas accès à des sanitaires appropriés. Les habitants qui sortent
de la maison ne peuvent avoir accès à des
sanitaires que de retour chez eux, « une
situation qui génère des pratiques peu
hygiéniques, sources de nombreuses contaminations », explique Jife Williams.
MN Environmental Services
La société MN Environmental Services
a été créée en septembre 2008, après
que Jife Williams et son associée Deola
ont travaillé pour une association dans
une communauté pauvre de Lagos.
Confrontées aux conditions sanitaires
déplorables, notamment sur les marchés,
elles décident de trouver des réponses
adéquates à la problématique de l’hygiène.
MN Environmental Services essaie
de trouver les moyens de créer des sanitaires dans les lieux publics des zones très
défavorisées : marchés publics, stations
de bus, HLM, en collaboration avec le
gouvernement qui lui donne les terrains
sur lesquels l’entreprise peut implanter
ses installations.
Lauréate du prix Afrique du Cartier
Women’s Initiative Awards 2009, Jife
Williams savoure sa victoire qui « a redynamisé notre confiance en notre entreprise.
Le fait d’avoir la confiance de Cartier sur
un projet de bien-être social et de confort,
c’est important », ajoute Jife.
Ce travail n’est pas très glamour, mais
les deux femmes d’entreprise connaissaient l’importance de leur projet pour la
population de l’État de Lagos. « Car vous
n’imaginez pas ce que cela signifie de
pouvoir utiliser des toilettes publiques ».
Le calvaire des femmes de Lagos
La journée d’une Nigériane qui
travaille au marché est de dix heures. Il
lui faut aller aux toilettes au moins deux
fois dans la journée. « Alors imaginez ce
scénario, soit elle se retient, soit elle est
obligée d’aller très loin ou carrément de
se soulager en plein air » ! Cela a des effets
désastreux sur la santé.
Avec la récompense de la Fondation
Cartier, la société a l’ambition d’apporter
concrètement de meilleures pratiques
d’hygiène à la population, « il ne s’agit pas
uniquement de construire des toilettes et
des douches, mais d’éduquer les populations sur la nécessité de changer ses
habitudes ».
Le financement permettra la construction de structures sanitaires, et de veiller,
par le biais d’une campagne de sensibilisation, à ce que les populations adoptent
les bons réflexes. « Nous sensibilisons
les populations durant la construction
des sanitaires, et après nous informons,
communiquons à l’aide d’associations et
de campagnes, de distribution de tracts.
Nous nous faisons également aider par les
médias », explique Jife Williams.
Pendant un an, Cartier et ses partenaires vont suivre l’entreprise pour l’aider
à améliorer son modèle d’activité, pour
s’assurer qu’elle adoptera les bonnes stratégies et qu’elle atteindra ses objectifs :
construire, dans les cinq ans qui viennent,
plus de 50 structures sanitaires dans tout
l’État de Lagos.n
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société
événement
Laura Mc Seveney-Sprague (Swaziland)
finaliste Afrique
GAEA, un centre pour les enfants abandonnés, orphelins, et séropositifs
Le Swaziland détient le taux de VIH/
sida le plus élevé au monde (44 %), environ
220 000 Swazis sont séropositifs.
« Dans ce pays, les enfants sont souvent
considérés comme un fardeau », explique
Laura Mc Seveney-Sprague, initiatrice
du projet. La pauvreté est telle qu’il n’y a
aucune perspective pour ces enfants et le
pays n’a mis en place aucun système de
protection pour eux.
La situation est donc très dangereuse
pour près de 130 000 orphelins et enfants
vulnérables. Sans compter le nombre de
grossesses non désirées et d’enfants abandonnés.
Au Swaziland, il n’y a pas de centres
d’accueil pour les enfants et aucune loi ne
garantit leurs droits. « Ce qui est anormal,
c’est-à-dire abandonner un enfant, est
devenu normal », ajoute Laura Mc SeveneySprague.
Selon une estimation des Nations unies,
à moins de contenir cette situation et de
trouver un remède, le Swaziland risque de
s’éteindre d’ici à 2050 !
Le pays a une population de moins
d’un million d’habitants. Les inégalités
sociales sont criantes : 10 % de la population contrôle 40 % des richesses. Avec
le taux de séropositivité le plus élevé au
monde, l’espérance de vie est de 37 ans.
Sur 535 000 Swazis, 56 % ont moins
de 18 ans, dont 75 000 sont orphelins.
65 % de ces orphelins sont séropositifs.
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De plus, 15 % des familles sont assumées
par des enfants qui ont moins de 18 ans.
Une petite fille sur trois est abusée sexuellement et une sur quatre est victime de
maltraitance physique.
GAEA, une terre d’espoir
pour ces enfants en danger
« J’ai grandi dans une famille d’entrepreneurs, mais c’est mon travail dans
les hôpitaux qui m’a mis en contact avec
les nouveaux-nés dans l’unité néonatale et cela m’a marqué », révèle Laura.
Proposant ses services en tant que volontaire alors qu’elle était collégienne, Laura
Mc Seveney-Sprague découvre le drame
des enfants abandonnés à peine nés. « Cela
m’a tellement bouleversé que je savais
que je ne pouvais me cacher la réalité ».
Être mère à son tour va lui faire
prendre conscience de l’horreur de l’acte
d’abandon et lui permettre d’imaginer
l’extrême douleur d’une mère qui laisse
son enfant sur le perron d’un hôpital.
« GAEA, c’est mon rêve et je dois
arriver à le concrétiser. C’est un projet,
ce n’est pas une entreprise capitaliste ».
Et pourtant, sans financement, Laura Mc
Seveney-Sprague ne peut espérer trouver,
un jour, une réponse à ce fléau. Trouver le bon modèle d’activité est le
premier pas à franchir ; trouver les financements est le second. GAEA entend fonctionner comme une ONG qui développerait
un environnement propice à l’éducation,
et au soin de l’enfant. Bien que caritative
et humanitaire, la structure doit générer
des revenus. Ce centre a l’ambition de
pouvoir un jour devenir autosuffisant sur
le plan financier pour pouvoir accueillir
les enfants abandonnés et orphelins du
Swaziland. « Nous serons un exemple pour
les autres organisations en charge de l’enfance, car nous allons créer un centre qui
générera des revenus », ajoute la fondatrice.
« GAEA, c’est aussi une autre vision de
comment la société devrait fonctionner »,
explique Laura. C’est l’ambition qu’elle a
pour son pays. « L’Afrique a toujours tendu
la main vers les pays développés en vue
d’une assistance. Aujourd’hui, il faut nous
débrouiller par nous-même, il est impératif de parvenir à montrer l’exemple à nos
enfants en leur prouvant qu’on est capable
de s’en sortir par nous-mêmes ».
Ce centre pourrait permettre à une
génération d’enfants de sortir de cette
spirale infernale et de devenir capables, à
leur tour, de rendre ce qu’on leur a donné,
en aidant les enfants démunis. n
Jeanne Habashi (Égypte)
finaliste Afrique
La ligne Jeanne Habashi-le Caire, des produits
cosmétiques haut de gamme
inspirés des méthodes de l’Égypte antique,
est destinée aux grands hôtels et spas du pays.
Oriance, un laboratoire spécialisé dans
la formulation en cosmétologie
Oriance est à l’origine de trois
marques : Olydra, soins dermo-cosmétiques pour les peaux les plus fragiles ;
Jeanne Habashi - Le Caire, première
ligne de produits cosmétiques de luxe
du Moyen-Orient et du continent africain ; et Folies sur le Nil, une marque de
soins ludiques aux noms évocateurs (Râ
j’adore !, Sabah el Yasmin, Café Moulu
façon tarbouche, etc.).
Jeanne Habashi - Le Caire a été finaliste pour le Cartier Women’s Initiative
Awards. Unique, elle fait revivre les
secrets de beauté des Égyptiennes de
l’Antiquité associés aux dernières technologies en cosmétologie. « Imaginez ce que
ces reines de beauté utiliseraient encore si
les traditions ne s’étaient pas figées dans
les papyrus », explique Jeanne Habashi.
C’est ainsi que la ligne de soin visage
Rituel d’éternité marie le lotus blanc, plante
sacrée, emblématique de l’Égypte, que l’on
retrouve dans de nombreuses formules
antiques de produits de beauté, avec le lin, la
cire d’abeille, la réglisse…, mais aussi avec le
caviar d’Iran et le Macadamia d’Hawaï, actifs
extrêmement efficaces qui auraient probablement complété les formules de l’époque
si elles avaient été connues.
Ce mariage d’ingrédients endémiques
avec d’autres importés de terres lointaines, de traditions égyptiennes et de
technologie suisse en cosmétologie, crée
une véritable alchimie (de l’arabe « Al
Kemya »… la chimie, qui vient lui-même de
Kemet, le nom que les anciens donnaient
à l’Égypte). Cette magie est le cœur de la
personnalité de la marque : l’alliance de
tradition et de modernité, d’Orient et d’Occident pour créer un produit d’excellence,
dont le nom lui-même traduit la mixité :
Jeanne, un ancien prénom français, et
Habashi, un nom bien connu au MoyenOrient qui affiche ses racines africaines,
puisqu’il signifie « abyssin, ou éthiopien ».
Jeanne Habashi - Le Caire
ne se positionne pas comme une ligne
de soins « ethnique »
« Personnellement, c’est un concept
qui me dérange », explique la créatrice.
L’ethnie évoque le communautaire et finalement renvoie facilement au concept de
race, de clan, et rapidement d’exclusion.
Cette voie éloigne des notions universelles
qui rassemblent et des valeurs de diversité, de mixité auxquelles la créatrice est
personnellement très attachée.
Par ailleurs, sur le plan dermatologique, scientifique, il y a moins de différence entre des peaux blanches, jaunes
ou noires qu’entre des peaux grasses et
des peaux sèches, des peaux jeunes et des
peaux matures. Les pigments de la peau ne
modifient en rien sa physiologie, « il est vrai
qu’il y a des tendances générales, les peaux
blanches étant souvent fines et sèches et
les peaux orientales plus grasses, mais il y
a aussi des peaux orientales fines et sèches,
des peaux blanches épaisses et grasses… ».
Jeanne Habashi préfère donc rester en
dehors de ces considérations pour conserver une dimension universelle en offrant
des produits pour différents types de peau
et garder le critère « couleur de peau » pour
le choix du fond de teint C’est aussi pour cela que Jeanne
Habashi a fondé l’Association femmes
actives d’Égypte (FACE), qui a été honorée
de la médaille du Sénat grâce au sénateur
des Français de l’étranger, Michel Guerry,
ainsi que du trophée Femmes 3000 Afrique.
Jeanne Habashi - Le Caire offre des opportunités d’emploi en priorité aux femmes,
mais cela ne suffit pas. 1 % est reversé,
pour tout achat d’un produit de la marque,
à des organisations actives, sélectionnées
en Égypte, pour l’amélioration de la condition des filles et des femmes.
La promotion de la culture égyptienne
prend forme grâce à un programme de
réintroduction du lotus en Égypte, celui-ci
ayant été chassé des bords du Nil et des
canaux par la jacinthe d’eau, pour se réfugier dans un bassin au musée du Caire.
Ce programme sera la première pierre
d’un ensemble plus large de réintroduction des espèces endémiques qui permettra d’offrir des emplois à des villageoises
défavorisées qui cultiveront les différentes
espèces pour les replanter le long du Nil,
mais aussi pour en extraire les actifs végétaux qui entrent dans la composition des
crèmes et de leur parfum enivrant. n
L’indépendance financière
des femmes : cheval de bataille
de la marque
Jeanne Habashi - Le Caire s’inscrit sur
deux axes du développement durable : l’indépendance financière des femmes et la
promotion de la culture égyptienne.
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événement
Essma Ben Hamida (Tunisie)
Membre du jury pour l’Afrique aux
Cartier Women’s Initiative Awards
M
embre du jury pour l’Afrique, la Tunisienne Essma
Ben Hamida, est connue dans son pays pour être
une « as » de la microfinance. À la tête d’Enda interarabe, une institution de microfinance, Essma Ben
Hamida encourage depuis des années les femmes à
se lancer dans l’entreprenariat et le travail à leur propre compte.
« J’étais fière d’être choisie par Cartier pour faire partie du jury
pour l’Afrique, ayant moi-même débuté de zéro », souligne-telle. Et c’est justement ce genre d’appui et les encouragements
par les différents bailleurs de fonds reçus dans le passé par sa
structure, qui font qu’aujourd’hui, cette institution de microfinance est une des plus performantes au monde.
En effet, Enda interarabe a été précurseur en Tunisie, suivant
certaines pratiques financières reconnues au plan international. L’idée était d’adapter l’expérience de la Grameen Bank du
Bangladesh au contexte local et de faciliter l’accès des femmes à
faible revenu au crédit et à la formation pour en faire de vraies
entrepreneuses.
Partant d’une « aventure » tentée en 1995, encouragée par la
fondation Ford et quelques ONG européennes telles qu’Emmaüs
international (France) et Intermon (Espagne) et, au départ, avec
de la modique somme de 20 000 $, Enda interarabe a aujourd’hui
un portefeuille de 53 millions $ entre les mains de 123 000 microentrepreneurs dont 80 % de femmes. En l’espace de 15 ans, Enda
interarabea déboursé plus de 250 millions $ en prêts accordés aux
femmes. Aujourd’hui, 57 agences sont réparties sur tout le territoire
tunisien dans les quartiers populaires et les villes reculées de Tunisie.
Le taux de remboursement
dépasse les 99 %
Cette structure a réussi à encourager une explosion de l’entreprenariat féminin dans les quartiers, les villages, et a démontré que
les entrepreneurs à bas revenus, et notamment les femmes, comme
partout dans le monde, sont capables d’utiliser leurs prêts à bon
escient et de les rembourser à temps.
Le taux de remboursement dépasse les 99 % et 80 % des microentrepreneurs financés par Enda interarabe ont obtenu une série
de prêts, certains ayant remboursé plus de 20 prêts successifs. Les
plus anciens ont même cumulé des sommes avoisinant les 100 000
$, ont créé des emplois et ainsi participé à la croissance économique
du pays. Grâce à l’accès au crédit et à l’encadrement, les femmes
ont fait preuve de dynamisme et d’innovation en développant et en
diversifiant leurs entreprises et en créant d’autres projets pour leur
mari ou leurs enfants.
En l’espace de 15 ans, Enda interarabe a réussi à changer
les mentalités, amenant les pauvres à compter sur leurs propres
moyens, leur inculquant la notion du droit au crédit, instaurant une
discipline pour le remboursement de la dette.
Un mouvement entreprenarial féminin se développe de jour en
jour, poussant les femmes à sortir de leur cloisonnement ancestral
pour produire, négocier, acheter, vendre et ouvrir des boutiques.
Les femmes ont démontré que les bénéfices servent à assurer le
bien-être de la famille, notamment l’éducation des enfants et surtout
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des filles. Les taux de réussite au bac en Tunisie, témoignent des
efforts de toutes ces mères qui insistent pour que leurs filles aient
un avenir meilleur.
Présence timide
de l’Afrique francophone et du Maghreb au Forum
Seul bémol : l’Afrique francophone, et notamment le Maghreb,
étaient presque absents de cette compétition. La principale raison
étant l’exigence de la langue anglaise pour la présentation du
plan d’affaire. En effet, les femmes jeunes entrepreneuses de
ces deux régions ne sont pas toutes capables de présenter et de
défendre leur projet en anglais. « Malgré les efforts entrepris par
tous les membres du jury et par l’équipe de Cartier, nous n’avons
pas réussi à faire connaître l’initiative dans la région du Maghreb
et en Afrique francophone en général pour attirer beaucoup de
candidates valables », explique avec regret Essma Ben Hamida.
L’Afrique reste le parent pauvre des grandes manifestations
internationales. La présence des Africaines dans le forum, comme
dans le concours de Cartier d’ailleurs, reste malheureusement limitée, toujours pour des raisons de moyens et de publicité ciblée.
Le forum est une belle plate-forme très riche en expériences et
informations et favorable au développement des réseaux pour
les femmes du monde. Cependant, le coût très élevé exigé pour
participer à cette manifestation annuelle ne peut qu’exclure les
Africaines et les Maghrébines.
« À mon sens, ce serait utile de prévoir quelques bourses pour
faciliter la participation à ce genre de forum de femmes Africaines
et Arabes, y compris des micro-entrepreneuses », propose Essma
Ben Hamida. Si les femmes du Maghreb sont particulièrement
absentes de ce forum, pour les raisons déjà citées et également
parce que la communication se fait en anglais au sein du forum, il
est toujours possible d’inviter celles d’entre elles qui occupent des
postes de décision dans leur pays ainsi que des parlementaires,
des femmes artistes, pour traiter de sujets spécifiques à la région
avec une bonne couverture médiatique dans la région.
Une initiative qui pourrait faire connaître le forum dans les
pays maghrébins et inciter plus de femmes à y participer pour
établir un réseau de compétence à l’international. n
V
ital Voices Global Partnership est une ONG qui identifie
et forme les femmes leaders et les nouveaux entrepreneurs sociaux dans le monde entier. L’équipe est
composée de plus de 1 000 partenaires, comprenant des
experts y compris des cadres supérieurs de gouvernements, des entreprises et des dirigeants d’ONG. Ils ont formé
et encadré plus de 5 000 femmes leaders émergeants dans
plus de 150 pays en Asie, en Afrique, en Eurasie, en Amérique
latine, et au Moyen-Orient depuis 1997. Ils forment ces femmes
à la gestion, au développement des affaires, au marketing, à
la communication ; ils leur fournissent les compétences nécessaires pour développer leurs entreprises, les aider à subvenir
aux besoins de leurs familles, et à créer des emplois dans leurs
communautés. Ces femmes retournent ensuite chez elles pour,
à leur tour, former et encadrer plus de 100 000 autres filles et
femmes de leur communauté.
Née d’une initiative gouvernementale américaine
L’initiative Vital Voices est née en 1997, grâce à la première
dame de l’époque, Hillary Clinton, et à l’ancienne secrétaire d’État,
Madeleine Albright. Elle a été instaurée juste après la tenue de
la IVe Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes.
Adoptée ensuite comme faisant partie de la politique étrangère
américaine et sous le leadership de plusieurs instances, l’initiative
Zoë Dean-Smith (Swaziland)
Membre du jury pour l’Afrique au
Cartier Women’s Initiative Awards
démocratique Vital Voices du gouvernement américain, en partenariat avec notamment la Banque de développement inter-américaine, les Nations unies, la Banque mondiale, l’Union européenne,
a permis de fédérer et de réunir des milliers de femmes issues de
plus de 80 pays.
Aujourd’hui, Vital Voices continue à former les femmes dans
les domaines économique, politique et social. Vital Voices leur
permet de cultiver leur talent, leur réseau, d’échanger les expériences, de créer des partenariats avec d’autres femmes dans le
monde afin de les aider à se perfectionner.
Vital Voices en Afrique
Les droits de l’Homme, la consolidation économique et la participation politique sont les trois terrains d’activité de Vital Voices
sur le continent. Le programme africain de l’ONG consiste à mettre
en oeuvre avec les Africaines des initiatives innovantes pourleur
permettre d’accéder aux sphères économique, politique et sociale,
notamment par le biais des réseaux.
Des femmes d’affaires organisées en réseau
Africa Businesswomen’s Network (ABWN) est un partenariat
entre les femmes d’affaires appartenant à des organisations dans
tout le continent. Le but de l’ABWN est de construire et entretenir un réseau de femmes issues d’organisations africaines en
vue d’accroître le nombre de celles qui réussissent en tant que
chef d’entreprise et leaders dans le monde de l’entreprise. Il s’agit
également d’augmenter la crédibilité et les talents de ces femmes,
de développer les opportunités au sein des réseaux et de favoriser
les initiatives susceptibles de faciliter leur expansion économique.
D’autres initiatives comme African Women’s Leadership
Initiative (sponsorisée par la Fondation Exxon Mobil) ou le
programme Vital Voices Leadership & Advocacy Fund for African
Women (avec le soutien de la fondation Bill & Melinda Gates),
promeuvent des projets dont l’objectif est d’améliorer la condition des femmes.
Produire à temps, avec un service de bonne qualité
et au bon prix
Pour Zoë Dean-Smith, la culture d’entreprise chez la femme
africaine est innée. Beaucoup le sont, car elles sont le pourvoyeur
de la famille, « mais, je pense aussi, qu’elles doivent être formées à
développer davantage leurs capacités. Il faut impérativement leur
inculquer des règles managériales et financières de base, les aider
à faire un business plan. Le coaching est crucial il faut parvenir à ce
que la femme africaine devienne autosuffisante, qu’elle se prenne
en charge et qu’elle cesse le recours à l’aide extérieure, je préfère
l’expression échange et non assistance », souligne Zoë Dean-Smith.
« Mon rêve est d’avoir face à moi des femmes africaines qui aient
acquis la bonne culture entreprenariale : produire à temps, avec
un service de bonne qualité et au bon prix », assure-t-elle. Pour
elle, il n’y a pas de solution miracle. Dans le domaine de l’artisanat, la concurrence est féroce et il est temps, pour l’Afrique,
de se débarrasser de la production bon marché pour proposer
d’excellents produits.
Les histoires dramatiques n’intéressent plus personne. C’est le
cas, par exemple, pour le travail artisanal réalisé par des victimes
de mines anti-personnels, ou encore par des veuves de génocides.
« Le produit doit se suffire, par sa beauté, son prix compétitif, parce
qu’il est livré à temps ». Bien sûr s’il y a une histoire sociale en
prime, pourquoi pas ? n
Hiver-Printemps 2010 | New African WomAn | 33

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