La diversité culturelle en question

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La diversité culturelle en question
© Éric GEORGE 2002
La diversité culturelle en question
par Éric GEORGE, professeur à l’Université d’Ottawa, chercheur au Groupe de recherche
interdisciplinaire sur la communication, l’information et la société (GRICIS) courriel :
[email protected]
Pour citation :
GEORGE Éric, 2002, « La diversité culturelle en question », Possibles, vol. 26, n° 4, p. 94-110.
Le Canada et la France ont été les premiers pays à introduire les notions d’“ exception culturelle ”
et d’“ exemption culturelle ” dans les relations internationales. Cela a notamment été le cas à
l’occasion des négociations sur l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA ) et sur le
General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) lorsque se posa la question de savoir si la
libéralisation des échanges devait s’appliquer aux biens et services culturels. Face au premier
producteur en la matière, les États-Unis, promoteur de la doctrine du “ free flow of information ”
depuis leur sortie de l’isolationnisme à la fin de la seconde guerre mondiale ; plusieurs pays, à
commencer par le Canada et la France, se sont inquiétés devant le risque d’envahissement de
leurs territoires par des produits états-uniens, non seulement pour des raisons économiques, mais
aussi pour des raisons culturelles et identitaires. En ce début de XXIème siècle, l’enjeu est d’autant
plus d’actualité que deux séries de négociations, tant au sein de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC ) à l’échelle planétaire que dans le cadre de la création de la Zone de libreéchange des Amériques (ZLEA) à l’échelle continentale, sont entrées dans une phase qui pourrait
être déterminante pour l’avenir des politiques culturelles à travers le monde. Dans ce contexte, les
opposants à la libéralisation sans contrainte des échanges culturels parlent de moins en moins
d’“ exception culturelle ” ou d’“ exemption culturelle ” mais plutôt de “ diversité culturelle ”.
Nous allons questionner cette notion en étudiant la façon dont elle est mobilisée par deux acteurs
sociaux, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et le
Réseau international sur la diversité culturelle (RIDC). Nous ferons ensuite le point sur le nouvel
instrument international pour la diversité culturelle (NIIDC) puis conclurons en nous demandant
pourquoi l’expression “ diversité culturelle ” est autant mobilisée.
Les produits culturels : un enjeu crucial pour les États-Unis
Les États-Unis ont toujours de très bonnes raisons de lutter sur le terrain des biens et services
culturels alors qu’ils sont les premiers producteurs du monde en la matière1. Indissociablement,
leurs intérêts sont à la fois idéologiques2 et économiques. Le cas du cinéma est exemplaire à cet
1
Cette domination des États-Unis ne signifie pas que certains réalisateurs n’ont pas de problèmes pour financer leurs films dans
leur pays. Il arrive fréquemment que des investisseurs étrangers récupèrent des projets rejetés par les producteurs étatsuniens. Des
films qui ne répondent pas aux normes hollywoodiennes, réalisés par des indépendants, sont financés par des investisseurs
étrangers, notamment européens. C’est par exemple le cas de toutes les œuvres de Woody Allen depuis une dizaine d’années. Ses
réalisations sont désormais financées par une compagnie indépendante, Sweetland Films, qui réunit principalement des
actionnaires européens.
2
Nous ne nous attarderons pas sur la deuxième dimension dans le cadre de ce texte mais il importe aussi de tenir compte des
éléments d’ordre idéologique. On retrouve ainsi dans bon nombre de films issus des États-Unis une façon de vivre (“ l’american
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égard. En 2000, 762 films ont été produits dans ce pays. Ceux-ci ont compté pour presque 95%
de la distribution en salles. Quant au marché total, il s’est avéré encore une fois très dynamique
avec des recettes en salles qui ont atteint un montant de 7,66 milliards de dollars. Pourtant, même
si le marché intérieur est très dynamique, la sortie à l’étranger est de plus en plus souvent
considérée comme cruciale. C’est notamment du au fait que les budgets des films ont tendance à
augmenter, étant donné les coûts croissants des campagnes de promotion. Celles-ci sont d’ailleurs
maintenant mises en place dès la phase de production du film, grâce à l’existence de sociétés qui
intègrent les fonctions de production et de distribution. Non seulement les dépenses de marketing
comptent de plus en plus dans le coût total mais les campagnes publicitaires peuvent elles-mêmes
mettre en avant le fait que le film a coûté cher ! Ces campagnes de publicité visent à essayer de
diminuer au maximum les incertitudes qui caractérisent toujours les industries culturelles dont le
cinéma fait partie. Il en résulte qu’aux États-Unis, les dépenses de promotion représentent
maintenant en moyenne 50% des dépenses de production (en France, elles restent en deçà de
10%).
Pour favoriser la croissance des recettes à l’étranger, les sorties des films sont de plus en plus
souvent organisées à l’échelle planétaire. C’est ainsi qu’en 2000, 35% des films sont sortis hors
des États-Unis moins de quinze jours après leur sortie sur le marché intérieur et 60% moins d’un
mois après. Dorénavant, les recettes d’exportation sont devenues une composante essentielle des
revenus totaux et dépassent même parfois les apports du marché domestique. Avec une part de
60% de recettes en provenance de l’étranger pour les majors de Hollywood, on peut émettre
l’hypothèse qu’il s’agit là d’un changement structurel. La place occupée par le cinéma étatsunien
sur les écrans étrangers -- 80% des parts du marché allemand, 83% des parts du marché
britannique, 70 % des parts du marché italien, alors que dans ces pays, la part du cinéma national
varie entre 13 et 16% -- est donc de plus en plus cruciale. Seul en Europe, le cinéma français, qui
représente en moyenne entre 3 et 4% du marché mondial, atteint le tiers du marché intérieur
(33%). Dans l’ensemble du Canada, c’est encore pire car le cinéma du voisin du sud occupe 98%
du marché. Seul le Québec échappe un peu à cette tendance avec une part de marché pour les
États-Unis de “ seulement ” 85%. Au-delà du cas de l’industrie cinématographique, les biens et
services culturels arrivent aujourd’hui au premier rang des exportations de l’économie des ÉtatsUnis, devançant ainsi le secteur de l’aéronautique. Ces secteurs apportent une contribution
largement positive à une balance commerciale globale très déficitaire. On comprend dès lors leur
importance. Cette tendance pourrait même encore se renforcer avec le développement des
réseaux de communications, actuellement concrétisés par l’Internet, qui devrait permettre un
renforcement de la marchandisation de la culture et de l’information3
L’UNESCO et la diversité culturelle
L’UNESCO a adopté le 2 novembre 2001 la Déclaration universelle sur la diversité culturelle dans
le cadre de la 31e session de la Conférence générale, organe décisionnel suprême de
l’organisation. Le directeur général, Koïchiro Matsuura, a souligné l’importance de ce geste en
way of life ” largement basé sur des valeurs consommatoires), une conception de la vie (“ le happy end ” souvent atteint grâce à
un héros ou une héroïne solitaire), la place du pays dans le monde (forcément centrale), qui contribuent également à assurer la
place de ce pays en tant que leader du monde.
3
Cette tendance n’est pas sans contre-tendance avec la formation d’une offre gratuite.
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souhaitant que ce texte puisse “ revêtir un jour la même force que la Déclaration universelle des
droits de l’homme ”4. Cette adoption a fait suite à plusieurs années de réflexion notamment
marquées par la création de la Commission mondiale de la culture et du développement (CCMD),
mise en place en 1992 et auteur du rapport intitulé “ Notre diversité créatrice ” paru trois ans plus
tard. C’est dans celui-ci que le parallèle entre biodiversité et diversité culturelle a été établi pour
la première fois. Cette Commission présidée par l’ancien secrétaire général des Nations-Unies,
Javier Perez de Cuellar, a souligné la nécessité des efforts pour relever les défis du
développement et promouvoir la diversité des cultures. On a continué à discuter du sujet dans le
cadre de la Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles pour le développement
tenue à Stockholm en 1998 avant d’en venir à la réunion de la 31e session de la Conférence
générale. L’accent a alors été mis à la fois sur l’ouverture de “ l’environnement médiatique
transnational ” qui “ élargit l’éventail des choix, ouvre de nouveaux horizons à la diversité et
facilite une circulation plus libre de l’information ” et sur la concentration de la propriété des
médias qui favorise un accès limité et une homogénéisation des contenus (chapitre 4 du rapport
“ Notre diversité créatrice ”).
Cela dit, le contenu du texte signé le 2 novembre 2001 reste fort général. La définition même du
terme “ culture ” est très englobante : “ la culture doit être considérée comme l’ensemble des
traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un
groupe social et […] englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre
ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ”5. Il est question d’identité, de
cohésion sociale, de développement d’une économie fondée sur le savoir, de respect de la
diversité des cultures, de tolérance, de dialogue et de coopération, de paix et de sécurité
internationales, de “ solidarité fondée sur la reconnaissance de la diversité culturelle, sur la prise
de conscience de l’unité du genre humain et sur le développement des échanges interculturels ”,
de la mondialisation qui “ bien que constituant un défi pour la diversité culturelle, crée les
conditions d’un dialogue renouvelé entre les cultures et les civilisations ”.
À cette occasion, la “ diversité culturelle ” est portée au rang de “ patrimoine commun de
l’humanité ” et “ aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l’ordre du
vivant ” (art. 1). Présenté comme étant indissociable d’un cadre démocratique, le pluralisme
culturel est annoncé “ comme la réponse politique au fait de la diversité culturelle ” (art. 2). La
diversité culturelle est présentée comme une source de développement économique mais aussi
intellectuel, affectif, moral et spirituel (art. 3). Elle est indissociable des libertés fondamentales et
des droits de la personne, y compris ceux des minorités et des peuples autochtones (art. 4). Elle
est notamment liée aux droits culturels, ce qui comprend que “ toute personne doit pouvoir
4
La conjoncture a été particulière, la signature intervenant moins de deux mois après les attentats de New York et de Washington.
Cela explique que Koïchiro Matsuura ait déclaré à cette occasion : “ "A l’heure où certains voudraient voir dans la situation
internationale actuelle l’expression d’un conflit entre les cultures, les États membres de l’UNESCO [...] ont adopté par acclamation
aujourd’hui la Déclaration universelle sur la diversité culturelle qui réaffirme leur conviction que le dialogue interculturel
constitue le meilleur gage pour la paix, rejetant ainsi catégoriquement la thèse de conflits inéluctables de cultures et de
civilisations ” (<http://www.unesco.org/confgen/press_rel/fr_021101_clt_diversity.shtml>). L’assistance aux trois semaines des
travaux de la Conférence générale a atteint un record avec 2965 participants dont 2522 représentants de 185 des 188 États
membres de l’organisation. Présidée par Ahmad Jalali (République islamique d’Iran) elle a vu trois chefs d’État -- ceux de France,
de Lituanie et du Nigeria -- et 230 ministres et secrétaires d’État participer aux activités.
5
Cette définition est présentée comme étant conforme aux conclusions de la Conférence mondiale sur les politiques culturelles
(Mondiacult, Mexico, 1982), de la Commission mondiale de la culture et du développement (Notre diversité créatrice, 1995) et de
la Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles pour le développement (Stockholm, 1998).
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s’exprimer, créer et diffuser ses œuvres dans la langue de son choix et en particulier dans sa
langue maternelle ; toute personne a le droit à une éducation et une formation de qualité qui
respectent pleinement son identité culturelle ; toute personne doit pouvoir participer à la vie
culturelle de son choix et exercer ses propres pratiques culturelles, dans les limites qu’impose le
respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ” (art. 5). Jusque là, les droits
demeurent fort généraux. Il n’est guère d’article directement applicable.
L’article 6 est un peu plus précis car il porte sur la diffusion des idées. Néanmoins, il peut être
considéré comme ambigu car dans la même phrase, il est question à la fois de “ libre circulation
des idées ” et du fait que toutes les cultures doivent “ s’exprimer et se faire connaître ”. Alors que
l’article 7 est consacré au patrimoine culturel, le suivant porte sur les biens et services culturels
qui sont présentés comme “ des marchandises pas comme les autres ”. Cette fois, il est question
de la “ diversité de l’offre créatrice ” et de la “ juste prise en compte des droits des auteurs et des
artistes ” dans un contexte marqué par les “ mutations économiques et technologiques ”. L’article
9 est tout aussi ambigu que l’article 6 étant donné qu’il est question de “ libre circulation des
idées et des œuvres ” et de politiques culturelles qui “ doivent créer les conditions propices à la
production et à la diffusion de biens et services culturels diversifiés, grâce à des industries
culturelles disposant des moyens de s’affirmer à l’échelle locale et mondiale ”. Les États se
voient reconnaître un rôle moteur en la matière : “ il revient à chaque État, dans le respect de ses
obligations internationales, de définir sa politique culturelle et de la mettre en œuvre par les
moyens d’action qu’il juge les mieux adaptés, qu’il s’agisse de soutiens opérationnels ou de
cadres réglementaires appropriés ”. L’article 10 est complémentaire et est consacré aux pays qui
n’ont pas d’industrie culturelle et qui doivent être aidés par les autres. La mondialisation est
présentée à la fois comme une menace car elle entraîne des déséquilibres en ce qui concerne les
flux de produits culturels à l’échelle mondiale et comme une chance car il est possible de
renforcer la coopération et la solidarité internationales. L’article suivant est aussi consacré au
partenariat mais cette fois entre secteur public, secteur privé et société civile. Enfin, l’article 12
porte sur le rôle de l’UNESCO qui s’attribue la responsabilité de promouvoir les principes énoncés
par la déclaration, servir d’instance de référence et de concertation entre les États, les organismes
gouvernementaux et non gouvernementaux internationaux, la société civile et le secteur privé
pour élaborer conjointement des concepts, des objectifs et des politiques en faveur de la diversité
culturelle, poursuivre son action normative et de faciliter la mise en œuvre du Plan d’action, dont
les lignes essentielles sont annexées à la Déclaration.
On retrouve dans le plan d’action bon nombre de points déjà abordés ci-dessus mais il est
également question d’une réflexion sur la mise au point éventuelle d’un instrument juridique
international sur la diversité culturelle. Il est également question dans le rapport de la possibilité
de créer de nouveaux médias internationaux de service public. Cela dit, dans son ensemble,
même si la Déclaration a le grand mérite d’être le premier instrument normatif majeur conçu pour
promouvoir la diversité culturelle, l’ensemble reste flou6.
6
Les membres de la Commission mondiale de la culture et du développement ( CCMD) avaient reconnu de leur côté que “ plutôt
que de formuler des réponses le rapport a tenté de poser les bonnes questions, de manière à enrichir le débat. Citant Ilya Prigogine
qui observait que “ le XXème siècle a transformé le monde fini des certitudes qu’était devenue notre planète tout entière en un
monde infini d’interrogations et de doutes ”, le rapport reconnaît qu’il existe de l’incertitude ” (1998).
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Du RIDC au NIIDC
Le RIDC est né en 2000 à l’occasion de la conférence inaugurale de Santorin (Grèce). Il s’agit
d’un réseau mondial d’artistes et de groupes culturels qui “ s’efforce de contrecarrer
l’homogénéisation culturelle occasionnée par la mondialisation ”. Les membres du réseau
affirment dans leur déclaration de “ Principes ” qu’“ aucun gouvernement ne doit signer un
accord susceptible de porter préjudice aux cultures locales et aux mesures qui les appuient ” et
“ qu’un nouvel accord international devrait être créé pour fournir un fondement juridique
permanent pour la diversité culturelle ” (s.d.). Ses activités se développent parallèlement au
travail effectué par les ministres de la culture au sein du réseau international pour la politique
culturelle (RIPC)7 qui soutient d’ailleurs financement le RIDC. Lors de la première conférence en
Grèce, les membres du RIDC ont souscrit au concept d’un nouvel instrument pour la diversité
culturelle, une idée née au sein d’un groupe consultatif mis sur pied par le ministère canadien des
Affaires étrangères et du Commerce international afin de donner des conseils au ministre8.
La deuxième conférence internationale a eu lieu du 21 au 23 septembre 2001 à Lucerne (Suisse).
Étaient présents 85 délégués de 33 pays et de tous les continents9. Les membres ont réfléchi à la
création d’un nouvel instrument international pour la diversité culturelle, le NIIDC. À la lecture
des propos tenus sur celui-ci, on constate qu’il s’agit encore essentiellement d’une déclaration de
principes interprétative. On se contentera de rappeler ici que “ le soutien à l’expression artistique
et à la production culturelle ” est considéré comme “ un outil important de développement
économique durable ” et que “ l’accès à l’information et […] la liberté et le pluralisme des
médias sont des conditions préalables à la création et à l’échange culturels diversifiés ” (2001).
La nécessité d’aller au-delà de ces principes, aussi fondamentaux puissent-ils être, est mentionnée
mais les propos restent encore assez généraux -- les pays doivent garder le rôle principal dans les
aides à la production et à la diffusion culturelles qui peuvent être de nature privées ou publiques,
les mécanismes d’aides mis en place par les gouvernements doivent être explicites tout en étant
ouverts en vue d’une adaptation aux technologies nouvelles -- avant de devenir plus précis.
Il est question de “ contingentement du contenu ” susceptible de permettre aux produits locaux
d’avoir une place dans les industries culturelles, de “ limites relatives aux investissements et aux
mesures réglementaires ”, du rôle direct des gouvernements, “ un rôle public légitime dans la
production, la distribution, la présentation et la préservation ” (ibid.). Les gouvernements peuvent
aussi veiller à ce qu’il y ait une véritable concurrence dans certains secteurs, participer au soutien
à “ la radiodiffusion publique en tant qu’élément essentiel de la diversité culturelle et du discours
démocratique ” (ibid.). Enfin, il est rappelé que, dans certaines parties du monde, les industries
culturelles n’existent pas et que les avoirs culturels doivent être soutenus financièrement et
protégés. Par rapport à l’ensemble des nécessités présentes ci-dessus, le NIIDC devrait “ s’assurer
7
Le RIPC a été mis sur pied par le Canada et comprenait 46 pays des Amériques, d’Asie, et de l’Union européenne au début de
2002. Il demeure un lieu largement informel pour les ministres nationaux responsables de la culture qui peuvent ainsi échanger
des idées sur les nouveaux enjeux et les questions de politique culturelle qui se dessinent à l’horizon, sur les moyens de favoriser
la diversité culturelle dans un contexte de mondialisation croissante.
8
Les membres du groupe, essentiellement des représentants des milieux culturels canadiens, ont émis le vœu que cet instrument
établisse les principes de base devant présider à la formulation des politiques culturelles et au commerce des produits culturels et
permettrait à tous les signataires de maintenir des politiques qui assurent la promotion de leurs industries culturelles (1999, p. 33.).
L’instrument “ exposerait de manière explicite dans quelles circonstances les politiques culturelles seraient admissibles et seraient
par là même exemptes de toute tentative de rétorsion commerciale ” (ibid.).
9
En 2002, le réseau comprenait des membres dans 52 pays.
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que les limites convenues soient respectées en fournissant un système de vérification ayant force
exécutoire et qui soit approprié pour le secteur culturel ” (ibid.).
À propos du nouvel instrument
L’attention est donc actuellement focalisée sur la mise au point d’un instrument international sur
la diversité culturelle qui prendrait place en dehors de l’OMC et qui aborderait la problématique de
la diversité culturelle dans un contexte global caractérisé par la mondialisation économique. Cet
instrument est généralement considéré comme intéressant par les partisans de la diversité
culturelle mais il pose problème à plusieurs titres, notamment au sujet de son éventuel
rattachement à une institution. Pour la coalition pour la diversité culturelle10, ce nouvel
instrument international doit être développé et géré “ dans un forum intergouvernemental
approprié, reconnaissant d’emblée le caractère exceptionnel des œuvres, productions, biens et
services culturels, et non sous l’égide de l’OMC ou d’autres organismes où dominent les règles
usuelles du commerce international des marchandises ” (2000). Les dispositions de cet
instrument devront prévaloir sur celles des accords de commerce international et les décisions
découlant de leur mise en application, notamment en cas de litige, devront être de nature
exécutoire. Du côté de l’UNESCO, il est seulement question de faire “ avancer […] la réflexion
concernant l’opportunité d’un instrument juridique international sur la diversité culturelle ”. Cette
formulation timide s’explique parce qu’il a fallu tenir compte de positions parfois différentes sur
cette question. Cependant, le Réseau international pour la diversité culturelle trouve que “ le fait
que l’UNESCO ait établi un consensus sur cette initiative et ait évité un vote potentiellement
fractionnel est de bon augure pour sa mise en œuvre éventuelle ” (2001).
L’UNESCO semble en effet être l’organisation existante la plus pertinente étant donné qu’elle est
justement chargée de la culture à un niveau mondial. De plus, nous avons vu ci-dessus qu’elle a
adopté une déclaration importante sur la diversité culturelle. Enfin, elle est bien implantée dans
les pays en développement, ce qui est important car jusque là, les notions d’exemption culturelle
et d’exception culturelle proviennent des pays riches. Or, les pays pauvres ne doivent pas être
écartés du débat. Néanmoins, l’enceinte de l’UNESCO n’est pas forcément idéale. Elle est marquée
par l’absence des États-Unis qui se sont retirés en 198511, par un manque d’efficacité car les
décisions prises doivent l’être largement sur la base du consensus et par un poids plus faible que
celui de l’OMC qui témoigne de la priorité accordée par les responsables politiques à la
mondialisation économique. Le RIDC est d’ailleurs prudent quant à l’implication de l’organisation
en précisant que s’il s’est engagé à travailler avec celle-ci, il faut “ beaucoup plus qu’une
10
Fondée au printemps 1998 par les principales associations québécoises du milieu culturel à l’occasion de la lutte contre le projet
d’AMI, la Coalition s’est ouverte aux principales associations professionnelles du monde de la culture au Canada à l’automne
1999. En 2001, elle comprenait 32 associations représentant les créateurs, artistes, producteurs, distributeurs, radiodiffuseurs et
éditeurs œuvrant dans les secteurs du livre, du cinéma, de la télévision, de la musique, des arts d’interprétation et des arts visuels.
11
Lors de la 31 e session, Ray Wanner, chef de la délégation d’observateurs des États-Unis est intervenu lors de la séance de
clôture. Il a fait part “ du respect et de la reconnaissance de son gouvernement envers le Directeur général, la Conférence générale
et le Conseil exécutif pour leur condamnation sans ambiguïté du terrorisme et pour avoir affirmé que rien ne saurait justifier de
tels actes. Je les remercie, ainsi que le dévoué personnel de l’UNESCO, pour leurs efforts vigoureux en vue de construire, par la
coopération dans l’éducation, la science, la culture et la communication, la confiance, la compréhension, le respect et le dialogue
entre les civilisations et nations, ce qui est essentiel à la construction d’une paix durable ”. Ray Wanner a poursuivi en
promettant : “ nous allons continuer à œuvrer pour le jour où les États-Unis pourront être membre à part entière de l’UNESCO et
participer avec tous les États membres à la réalisation de ces objectifs essentiels ”.
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déclaration de principes ” (2001), qu’il est nécessaire d’“ établir un fondement juridique pour les
interventions visant à promouvoir la diversité culturelle ” et que si “ sa portée doit aller au-delà
des arts et du patrimoine ”, “ nous devons également nous rappeler que nous discutons de la
culture, pas de la science ou de l’agriculture ” (ibid.).
Cela dit, il semblerait que l’organisation, pressentie pour encadrer les négociations, ait fait savoir
par la voix de son directeur général, Koïchiro Matsuura, qu’elle ne se substituerait pas à l’OMC
(Tremblay, 2002). Reste à savoir si cet instrument pourrait être abrité par un autre organisme que
l’UNESCO, sans que l’OMC ne soit concerné. Reste à envisager aussi l’idée que l’instrument ne soit
rattaché à aucun organisme comme c’est le cas dans le secteur de l’environnement. Le problème
deviendrait alors celui du suivi, des règlements des différends, voire des sanctions. Il faudrait
aussi que, dans ce cas de figure, nombreux soient les États qui s’engagent en faveur de cet
instrument afin de lui fournir une légitimité forte.
Pourquoi parler de diversité culturelle ?
En conclusion, nous allons nous intéresser aux raisons qui expliquent, selon nous, pourquoi
l’expression de “ diversité culturelle ” est abondamment mentionnée dans les discours actuels. On
constate notamment que l’expression a plusieurs significations différentes -- qui peuvent même
s’avérer contradictoires -- susceptibles d’être mobilisées par différents acteurs sociaux. Ainsi, la
notion de diversité culturelle peut à la fois être considérée comme intégrant en son sein les
notions plus anciennes d’exception ou d’exemption culturelles et comme dépassant ces deux
notions. L’UNESCO propose de considérer que “ la "diversité culturelle" apparaît […] comme
l’expression positive d’un objectif général à atteindre : la mise en valeur et la protection des
cultures du monde face au danger de l’uniformisation. Dans cette perspective, il est de fait que
l’"exception culturelle" représente un des moyens parmi ceux qui peuvent conduire à la
protection et à la mise en valeur de la diversité culturelle ” (s.d.). On constate ici, d’une part, que
la diversité culturelle est opposée à l’uniformité et, d’autre part, que l’exception culturelle n’est
pas complètement oubliée puisque elle est considérée comme un moyen au service de la diversité
culturelle. En revanche, certains analystes constatent que les pays sont souvent plus ouverts à
l’idée de diversité culturelle qu’à celles qui l’ont précédé, ce qui amène à les opposer : “ alors que
la notion d’exception culturelle apparaissait comme une construction nombriliste et
présomptueuse de la France, celle de diversité culturelle, fondée sur la mise en valeur d’un intérêt
commun, a rallié tous les suffrages ” peut-on lire dans le bulletin d’information de l’association
pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens (ATTAC) qui s’intéresse au
dossier de la marchandisation de la culture. Or, bien qu’on puisse toujours parler
d’“ impérialisme culturel ” à propos des États-Unis, il ne faut pas oublier que d’autres pays
mènent des politiques d’exportation de leurs produits culturels à une échelle sans doute moins
étendue, mais de façon toute aussi volontaire. Citons par exemple le Mexique qui vise notamment
les marchés d’Amérique Latine et le marché états-unien hispanophone. Bien que parlant
portugais, le Brésil a également des velléités sur le continent sud-américain. La France
s’intéresse, quant à elle, aux marchés francophones. Et on pourrait multiplier les exemples à plus
ou moins grande échelle. Or, quand un pays comme la France impose que tout film de cinéma
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doublé en langue française le soit sur le territoire national pour y être diffusé, est-on plutôt dans
le registre de l’exception culturelle ou dans celui de l’impérialisme culturel ?12
De plus, l’expression “ diversité culturelle ” a le mérite de ne pas considérer d’emblée que la
mondialisation est négative13. On constate d’ailleurs que les opposants à la mondialisation
économique et financière qui se battent sur le terrain culturel et sur d’autres terrains contribuent
dans une large mesure à créer un mouvement social diversifié mais lui-même à dimension
internationale. L’objectif consiste clairement à éviter l’uniformisation du monde en préservant la
diversité des cultures, voire en faisant la promotion de la diversité de l’offre culturelle, ce qui est
plus précis. Il est alors question non seulement de préserver son territoire d’une trop grande
domination de la diffusion de produits culturels en provenance de certains pays, à commencer par
les États-Unis, mais aussi de favoriser la diffusion de produits culturels en provenance d’autres
pays. Les expressions d’exception et d’exemption culturelle n’intégraient pas cette deuxième
dimension. La diversité culturelle apparaît donc comme la mise en valeur et la protection des
cultures du monde face au danger de l’uniformisation, mais dans un contexte de mondialisation et
notamment de multiplication des échanges culturels internationaux. Elle devient une
revendication à connotation largement positive et offensive, finalement préférée à celle
d’exception culturelle, beaucoup plus défensive, voire suspecte pour certains pays.
Reste à savoir si la notion de “ diversité culturelle ” peut être portée à long terme par les États. La
culture est-elle considérée comme indissociable de l’histoire et de l’identité nationales, en tant
qu’expression première de la nation, qui ne saurait survivre à l’affaiblissement, moins encore à la
négation de celle-ci ? N’induit-elle pas d’une certaine façon un abandon de certaines
prérogatives souverainistes qui seraient conférées à une structure supranationale politique
librement consentie qui reconnaîtrait comme principe fondateur que les cultures et les langues
pourraient se percevoir et s’apprécier d’égales à égales ? Parler de “ diversité culturelle ” ne sousentend-il pas dans une certaine mesure que le point de vue de l’acteur social se situe à l’échelle
planétaire ? Pour le moment, il est difficile d’aller plus loin dans l’analyse.
Toutefois, il convient de faire attention. Jusqu’à maintenant, la notion de “ diversité culturelle ”
n’a aucune traduction juridique contraignante. Elle ne peut donc pas remplacer les notions
12
Attention, nous ne voulons pas dire que, finalement, à bien y regarder, les politiques étatsunienne et française se
ressembleraient. Des pays comme les États-Unis soutiennent que la culture se limite essentiellement aux beaux-arts, c’est-à-dire
au théâtre, au ballet, aux pièces symphoniques, à l’art exposé dans les galeries, etc. Tout le reste appartient au divertissement et au
commerce. Il en est ainsi des livres, des magazines, des films, de la programmation télévisuelle et de la musique populaire -- en
d’autres termes, les produits des industries culturelles -- qui sont considérés comme étant des biens marchands parmi d’autres,
seules les forces du marché devant gouverner leur création et leur commercialisation. Dans cette perspective, les politiques et les
programmes culturels sont des obstacles au commerce qui doivent être éliminés, comme d’autres le furent par le passé, dans le
cadre du processus de libéralisation du commerce. Pour d’autres, en revanche, en France notamment, la culture transcende
largement les beaux-arts : elle embrasse toutes les formes d’expression et de communication, y compris les films, la
programmation télévisuelle, la musique populaire, les livres et les magazines, qui sont considérés comme ayant tous un impact
significatif sur le quotidien de la plupart des gens. Ces produits ont une valeur et une importance qui transcendent le caractère
utilitaire de biens marchands, et ils doivent donc faire l’objet d’un traitement différent dans le contexte des règles commerciales
internationales. Ces deux conceptions sont manifestes lorsqu’il s’agit de discuter quels produits doivent être aidés d’une façon ou
d’une autre par les pouvoirs publics.
13
La mondialisation des échanges peut aussi s’avérer profitable à d’autres pays que les États-Unis. Fabriquer un film coûte de
plus en plus cher : le coût moyen d’un film français - qui s’établissait en 2000 à un peu moins de 30,7 millions de francs -- a été
multiplié par 3,5 en vingt ans. Les productions comprises entre 10 et 20 millions de francs diminuent au profit des films dont le
devis s’établit entre 20 et 50 millions. En conséquence, il devient de plus en plus crucial d’envisager d’amortir les coûts en tenant
compte de l’exportation.
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d’exception et d’exemption culturelles, celles-ci permettant d’inscrire l’action dans le cadre
d’éventuels rapports de force. Le danger consisterait à vouloir rassembler le plus largement
possible autour de cette nouvelle notion, de tellement rassembler que celle-ci serait diluée dans
un magma consensuel, où l’on ne défendrait plus rien de précis. C’est là un danger de taille,
surtout quand on sait qui, après avoir annoncé “ la fin de l’exception culturelle ”14, affirme que la
force de son groupe réside justement dans la “ diversité culturelle, la fantastique diversité de nos
équipes, de nos productions, de nos catalogues. Je crois très fortement que le monde de demain
sera un monde métissé, riche de ses différences ”15. Ces propos sont ceux de Jean-Marie Messier,
président-directeur général de Vivendi-Universal, que l’on présenta comme le fleuron du système
audiovisuel français, voire européen, avant que la majorité des actionnaires ne deviennent
étatsuniens et que Jean-Marie Messier ne s’installe… à Manhattan.
Références bibliographiques
Canada (ministère des Affaires étrangères et du commerce extérieur, Groupe de consultations
sectorielles sur le Commerce international (GCSCE) - Industries culturelles), 1999, La culture
canadienne dans le contexte de la mondialisation. Nouvelles stratégies pour la culture et le
commerce, Ottawa, février, <http://www.dfait-maeci.gc.ca/tna-nac/canculture-f.asp>.
Coalition pour la diversité culturelle, 2000, Déclaration de principes, juin, <http://www.cdcccd.org/Francais/Liensenfrancais/qui_sommes_nous.htm#Ancredeclaration_qui>.
Réseau international pour la diversité
<http://www.incd.net/html/francais/qui/prin.htm>.
culturelle
( R I D C ),
s.d.,
Principes,
Réseau international pour la diversité culturelle (RIDC ), 2001, Vers un pacte culturel global.
Déclaration finale et rapport aux ministres de la culture formant le Réseau international sur la
politique culturelle, Lucerne (Suisse), du 21 au 23 septembre 2001,
<http://www.incd.net/html/francais/conf/declare.html>.
TREMBLAY, Odile, 2002, “ L’exception française face à la culture Universal ”, Le Devoir, repris
dans Courrier international, <http://www.courrierinternational.com/mag583/fr.htm>.
(31e conférence générale), 2001, Déclaration universelle sur la diversité culturelle, 2
novembre, <http://www.unesco.org/confgen/press_rel/fr_021101_clt_diversity.shtml>.
UNESCO
(Commission mondiale de la culture et du développement), 1998, Notre diversité
créatrice, <http://www.unesco.org/culture/policies/ocd/html_fr/index_fr.shtml>.
UNESCO
14
C’est le lundi 17 décembre 2001, lors d’une conférence de presse consécutive au rachat d’USA Networks, que Jean-Marie
Messier a prononcé ces quelques mots ; ce qui a provoqué de nombreuses réactions de la part de responsables politiques français,
et ce quelques mois avec les élections présidentielles et législatives.
15
Extrait du site : <http://www.vivendiuniversal.com/vu2/fr/who_we_are/speeches/messier/messagejmm90301_fr.pdf>.
© Éric GEORGE 2002 10
UNESCO,
s.d., “ Qu’appelle-t-on "diversité culturelle" ? ”, dans Culture, commerce et
mondialisation.
Questions
et
réponses,
<http://www.unesco.org/culture/industries/trade/html_fr/question18.shtml>.
Autres références
Conseil de l’Europe (comité des ministres), 2000, Déclaration sur la diversité culturelle, 7
décembre, <http://culture.coe.fr/Infocentre/txt/fr/fdecldiv.htm>
ONU,
2001, Résolution adoptée par l’Assemblée générale. Les droits de l’homme et la diversité
culturelle, 26 février, <http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/TestFrame/
4d7d54a5c18baa57c1256a0f00383d89?Opendocument>
Sites
Coalition pour la diversité culturelle : <http://www.cdc-ccd.org>
Réseau
international
pour
la
diversité
culturelle
(R I D C ) :
<http://www.incd.net/html/francais/index_f.htm>
Réseau international sur la politique culturelle (RIPC) : <http://64.26.177.19/index_f.shtml>
UNESCO : <http://www.unesco.org>