La douleur, un nouveau volet du traitement des maladies

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La douleur, un nouveau volet du traitement des maladies
HOMMAGE BORÉAL
EDITORIAL
La douleur, un nouveau volet du
traitement des maladies rhumatismales
par Mary-Ann Fitzcharles, M.D., et Philip A. Baer, M.D.C.M., FRCPC, FACR
es rhumatologues ont beaucoup fait pour sensibiliser l’ensemble du milieu de la santé au phénomène
de la douleur chronique, les maladies musculosquelettiques étant une des causes les plus fréquentes de
cette douleur. La fibromyalgie (FM), une affection en
général traitée par les rhumatologues, a aussi contribué à
accroître la sensibilisation à la douleur chronique et à
stimuler les découvertes sur les mécanismes de la douleur1.
Faute d’une cure imminente pour les maladies rhumatismales, la douleur reste un symptôme fréquent qui nuit à
la qualité de vie et que nous devons traiter efficacement.
L
La douleur rhumatismale n’est pas seulement
nociceptive
La douleur rhumatismale n’est plus classée comme une
douleur purement nociceptive, mais comme ayant aussi
des composantes neuropathiques importantes. Les
mécanismes neuropathiques sont mis en jeu par l’interaction complexe de facteurs locaux à la périphérie, par la
modulation du message algique reliée à des anomalies
dans la mœlle épinière et le tronc cérébral, par une anomalie fonctionnelle dans le cerveau et, enfin, par des
effets induits par le système inhibiteur descendant, les
neurotransmetteurs comme la sérotonine et la noradrénaline jouant des rôles clés2.
Plusieurs résultats d’études renforcent l’hypothèse
d’une interaction de facteurs neurogènes dans la douleur
rhumatismale, par exemple la sensibilisation du système
nerveux central dans la gonarthrose, l’hyperalgésie aux
sièges de la douleur projetée, et des signes d’activation
dans le tronc cérébral en réaction à la douleur3-5.
D’autres résultats cliniques à l’appui du rôle de mécanismes neurogènes ont été publiés par un groupe de travail canadien qui a mené une étude auprès de personnes
atteintes d’arthrose; durant l’étude, au moins le tiers des
patients a décrit la douleur ressentie en des termes propres à la douleur neuropathique6. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a également
démontré la présence d’anomalies fonctionnelles et structurelles dans le cerveau de patients atteints d’arthrose7-8.
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JSCR 2012 • Volume 22, Numéro 1
Application des connaissances sur les mécanismes de
la douleur dans les soins cliniques
Alors, comment ce nouveau concept des mécanismes de
la douleur influera-t-il sur les soins aux patients atteints
de maladies rhumatismales? Je crois que nous verrons
l’éventail des modalités de traitement s’élargir pour
inclure des stratégies non pharmacologiques et pharma-
Faute d’une cure imminente pour les
maladies rhumatismales, la douleur
reste un symptôme fréquent qui nuit à
la qualité de vie et que nous devons
traiter efficacement.
cologiques souvent employées pour traiter la douleur
neuropathique. Il est également logique d’explorer l’emploi de médicaments d’appoint dont l’effet principal est
de soulager d’autres symptômes que la douleur, les deux
principales classes d’agents étant les anticonvulsivants et
les antidépresseurs. Aujourd’hui, les cliniciens prescrivent souvent des médicaments d’appoint pour traiter la
FM. Santé Canada a homologué la prégabaline et la
duloxétine pour le traitement de la FM et la duloxétine
pour le traitement de la lombalgie chronique. Les médicaments d’appoint offrent l’avantage de parfois influer
favorablement sur d’autres symptômes que la douleur, par
exemple les perturbations du sommeil et de l’humeur, et
même la fatigue.
Difficultés et réserves reliées au traitement de la
douleur rhumatismale
Les rhumatologues pourraient à juste titre se montrer
réticents à accepter ces nouveaux concepts du traitement
antalgique parce qu’ils y voient un volet additionnel du
traitement de ces patients alors qu’ils sont déjà accablés
par les longues listes d’attente et le manque de temps.
Sommes-nous suffisamment bien renseignés pour être en
mesure de faire des recommandations éclairées à propos
de la panoplie d’interventions non pharmacologiques et
pharmacologiques dans le traitement de la douleur
chronique? Il se peut que nos connaissances en ces
matières soient lacunaires, comme le montre un sondage
effectué auprès des rhumatologues ontariens9. En outre,
nous ne nous sentons pas entièrement à l’aise de prescrire
des antidépresseurs, des somnifères, des anticonvulsivants
ni même des opioïdes. Plus important encore, il se pourrait que les patients refusent ces médicaments compte
tenu du rapport risques-avantages évalué selon des
perspectives diverses.
Une autre difficulté est reliée à l’évaluation de l’efficacité d’une intervention antalgique, car cette dernière est
entièrement fondée sur les déclarations subjectives des
patients. L’effet antalgique significatif sur le plan statistique (soit une réduction de deux points sur 10 ou de
30 % du score de la douleur) risque de ne pas témoigner
fidèlement d’une réponse significative sur le plan clini-
« s’il est bien de se sentir mieux, il est
mieux de se sentir bien » (traduction
libre)10.
que. Il est préférable que le traitement se traduise par une
douleur chronique légère que par une douleur réduite à
une intensité modérée, mais accompagnée d’un déficit
fonctionnel continu. Comme l’a dit le professeur Maxime
Dougados, « s’il est bien de se sentir mieux, il est mieux de
se sentir bien » (traduction libre)10. Il faut aussi penser
que les caractéristiques de l’expérience de la douleur et
de la souffrance qui sont importantes aux yeux du patient
ne sont pas toujours prises en compte dans les soins cliniques usuels. En voici quelques exemples : la douleur nocturne de faible intensité qui sans causer de réveil conscient n’en perturbe pas moins l’architecture du sommeil;
la peur que la douleur cause des lésions; les perturbations
de l’humeur associées à la douleur chronique.
Malgré ces réserves et ces difficultés, les rhumatologues
doivent participer plus activement au traitement de la
douleur rhumatismale. Par exemple, il est essentiel d’utiliser des indices regroupés de l’activité de la maladie dans
l’arthrite rhumatoïde, de différencier la douleur d’étiologie inflammatoire de la douleur non inflammatoire si
l’on veut prescrire le traitement indiqué et efficace11. Les
progrès constants de la recherche sur les mécanismes et le
traitement de la douleur nous obligent à suivre cette évolution si nous voulons rester des médecins efficaces et de
bons défenseurs du bien-être de nos patients.
Mary-Ann Fitzcharles, M.D.
Professeure agrégée de rhumatologie,
Département de rhumatologie, Université McGill
Rhumatologue, Hôpital général de Montréal –
Centre universitaire de santé McGill (CUSM)
Montréal, Québec
Philip A. Baer, M.D.C.M., FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR
Scarborough, Ontario
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