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n° 17 – janvier 2011 Variétés et diffusion du français dans l’espace francophone à travers la chanson Numéro dirigé par Michaël Abecassis et Gudrun Ledegen GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne SOMMAIRE Michaël Abecassis, Gudrun Ledegen : Variété et diffusion du français dans l’espace francophone à travers la chanson. Michaël Abecassis : From sound to music : voices from old Paris. Sofiane Bengoua : L’usage du français au travers des comptines dans deux zones périurbaines en Algérie. Belkacem Boumedini, Nebia Dadoua Hadria : Emprunt au français et créativité langagière dans la chanson rap en Algérie : l’exemple de T.O.X., M.B.S et Double Canon. Adeline Nguefak : La chanson camerounaise comme lieu d’expression et de construction de nouvelles identités linguistiques. Prisque Barbier : Place et rôles de la chanson dans la dynamique sociolinguistique ivoirienne. Joëlle Cauville : La Marseillaise, ses variantes et ses parodies : leçon d’humour à la française ! Patricia Gardies, Eléonore Yasri-Labrique : Mise en portée, mise à portée… utilisations didactiques de la chanson en FLE. Marine Totozani : Petit niveau cherche chanson… La chanson francophone plurilingue en classe de langue. Sandra Tomc : La chanson en classe de FLE comme vecteur pour l’étude de compétences linguistiques et socioculturelles : lecture critique de l’impact identitaire des stéréotypes. Amy J. Ransom : Language choice and code switching in current popular music from Québec. Compte-rendu Fabienne Leconte : AUGER Nathalie, 2010, Elèves nouvellement arrivés en France – Réalités et perspectives pratiques en classe, préface de J-L Chiss, Editions des archives contemporaines, Paris, 152 pages. GLOTTOPOL – n° 17 – janvier 2011 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol LA CHANSON EN CLASSE DE FLE COMME VECTEUR POUR L’ETUDE DE COMPETENCES LINGUISTIQUES ET SOCIOCULTURELLES : LECTURE CRITIQUE DE L’IMPACT IDENTITAIRE DES STEREOTYPES Sandra TOMC Université Jean Monnet Saint-Etienne, CEDICLEC- équipe CELEC Le point de départ de notre étude est « Une lettre ouverte sur la chanson » publiée par Francis Debyser en 1969. Debyser refuse d’utiliser la méthodologie traditionnelle applicable aux textes littéraires pour la chanson, c’est-à-dire ni dissertation, ni commentaire composé ou explication de texte pour aborder la chanson en classe et motiver les apprenants. Il propose des exploitations pédagogiques phonétiques, la chanson étant le lieu privilégié de la phonétique corrective. Il propose de choisir le texte en fonction de sa charge culturelle universelle. A travers le refrain émergent les exercices structuraux, ce qui ne correspond plus à l’usage pédagogique actuel à cause de leur aspect réducteur. En 1984, Licari s’oriente vers de nouvelles perspectives. Toute approche de la chanson doit tenir compte de la spécificité du genre. Une chanson est un texte court et complet qui présente une expression simple et qui permet au niveau linguistique et sémantique de travailler tous les niveaux. Dans notre article, nous posons l’idée selon laquelle la chanson sert de vecteur à l’étude d’une compétence socioculturelle et à celle d’une compétence linguistique. Nous avons choisi une chanson de Renaud, artiste contemporain, dont le titre est Miss Maggie1(1985), en guise d’illustration à nos propos. D’un point de vue culturel, elle permet de découvrir un tronçon de vie. Elle est un témoignage de civilisation qui s’insère dans un réseau de significations culturelles. La chanson se réfère à un ancrage social spécifique, un lieu et une époque déterminée. Ce préalable posé, nous pouvons nous demander quelles sont les caractéristiques du genre du discours. On ne peut exploiter une chanson qu’en l’ayant définie. Comment intégrer la chanson dans l’approche en classe ? Il est souhaitable de ne pas cantonner l’exploitation méthodologique de la chanson à son seul support audio mais d’intégrer les concerts, les clips vidéo, les pochettes de cd, les sites internet etc. Il est souhaitable d’appréhender la chanson comme un objet culturel multimodal. 1 Le texte figure intégralement en annexe. 107 Dans la première partie de cet article, nous cherchons à appréhender la chanson comme un genre de discours. Nous présentons les spécificités de la chanson pour parvenir à des orientations didactiques d’ordre général. La suite de la réflexion nous permet d’établir les conditions de l’exploitation en classe de FLE. Par souci d’exhaustivité, il serait souhaitable d’aborder la problématique selon deux pôles : le pôle enseignement avec comme perspective objet la chanson, seul axe développé dans cet article et le pôle apprentissage en prenant en compte la problématique des apprenants qui appréhendent le message et son impact. Dans notre deuxième partie, nous cherchons dans quelle mesure les stéréotypes sont des révélateurs et analyseurs sociologiques. Nous réfléchissons sur les éléments caractérisant les stéréotypes, leurs finalités et nous tentons de découvrir quels sont les enjeux. Nous prolongeons notre réflexion sur le comportement qu’adopte l’enseignant, eu égard aux représentations. La chanson comme genre de discours. Démarche méthodologique pour utiliser la chanson. Nous élaborons un exemple de séance pour exploiter la chanson en classe de Français Langue Etrangère. La démarche préconisée est la suivante : d’abord sélectionner la chanson puis la contextualiser, en définir les objectifs et les compétences visées avant de construire une fiche pédagogique susceptible d’être utilisée en classe. Miss Maggie fait partie de l’album Mistral gagnant. La chanson est utilisée dans sa version studio (sans réaction du public). La chanson interdite au Royaume-Uni en 1985 brocarde la première ministre anglaise avec humour. Elle a été écrite après le drame du Heysel et a provoqué un mini scandale l’année de sa sortie en raison de ses paroles virulentes contre Margaret Thatcher. Un peu plus tard, Renaud a écrit une adaptation en anglais de sa chanson, disponible sur l’album Les Introuvables. Des chansons en retour furent composées par des Britanniques contre les Français (l’une d’elles était jouée par Jeremy Nicholas sur l’air de La Marseillaise). Choisir une chanson n’est pas une démarche banale. Envisager d’employer une chanson en classe de langue nécessite d’avoir cadré au préalable les objectifs visés. Le Cadre Européen Commun de Références pour les Langues décrit ce que les apprenants d’une langue doivent apprendre afin de l’utiliser dans un but communicatif. Deux des compétences générales établies par le CECR nous intéressent : le savoir englobant la culture générale (une image du monde et de ses mécanismes) puis le savoir socioculturel, faisant référence aux connaissances de la société et de la culture de communautés. Le savoir socioculturel n’appartient pas au savoir antérieur de l’apprenant et est déformé par des stéréotypes et la prise de conscience interculturelle. Il s’agit de la compréhension de relations entre le monde d’où l’on vient et le monde de la communauté cible. La chanson permet une approche socioculturelle idéale. C’est ce que décrit Calvet (1980 : 2) : Enfin il y a des arguments culturels en faveur de la chanson en classe : les peuples chantent et écoutent des chansons qui, d’une façon ou d’une autre, parlent d’eux, de leurs problèmes, de leur histoire, de leur situation. Et si apprendre une langue, c’est aussi apprendre un peu de la civilisation qui a donné naissance à cette langue et dans laquelle elle vit, la chanson se trouve justement à la croisée de ces différents chemins. Tentons de définir les caractéristiques de ce genre de texte par le biais de quatre entrées : les thèmes, le style, la dimension pragmatique et l’intertextualité. GLOTTOPOL – n° 17 – janvier 2011 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 108 Les thèmes La chanson de Renaud se veut une ode aux femmes, soulignant l’absence de femmes dans les atrocités de l’humanité. Le chanteur y exprime son dégoût de la violence des hommes (morale guerrière, meurtrière, armes à feu, chasseurs), de la bombe atomique et des génocides. L’objectif étant de préparer les apprenants au thème de la chanson, l’enseignant peut demander d’exposer brièvement les représentations des hommes et des femmes, s’il y a lieu l’évolution de leur perception au cours de leur arrivée et la comparaison avec leur culture. Cela peut préparer la compréhension des paroles. D’autres réflexions peuvent être menées, impliquant des enjeux interculturels tels que la critique de la société de consommation (« sauver son autoradio »), le sport et les supporters, l’alcool. Autre thématique abordée, celle de l’opposition aux forces de sécurité (« les crétins en bleu ») et l’antimilitarisme (les soldats sont des « salauds en vert »), mais aussi l’antifascisme ou le parti pris dans le conflit israëlo-palestinien. Les paroles de la chanson Miss Maggie où la répression de l’Intifada est comparée au génocide arménien et à la Shoah, déclenchent d’ailleurs une polémique et lui valent des accusations d’antisémitisme. Renaud avouera la tournure maladroite, même si le but était bien de provoquer, et remanie la phrase « et pas une femme n’a sur les mains le sang des Indiens d’Amérique, Palestiniens et Arméniens témoignent du fond de leurs tombeaux qu’un génocide c’est masculin »2. Les apprenants pourraient dégager les thèmes de chaque couplet en leur donnant un titre. Il s’agirait de développer l’écoute synthétique ou globale. Elle suppose que les élèves soient attentifs aux détails pour arriver à un raisonnement par induction. Le contenu thématique fait apparaître d’autres problématiques telles les valeurs attribuées aux hommes (fierté, malhonnêteté), les passions automobiles (bagnole, phare, autoradio), la vulgarité et les insultes (queue, bite, putain, con, salauds, conne, tarés, minables, crétins, imbéciles), la fin de vie (l’enfer, témoignent du fond de leur tombeau). A travers ce repérage des indices thématiques, l’apprenant convoque sa compétence lexicale, c’est-à-dire sa capacité à utiliser le vocabulaire d’une langue, qu’il s’agisse de mots isolés ou d’expressions toutes faites. Le style La chanson est un système articulant trois dominantes : la musique, l’interprétation vocale et le texte. L’écriture musicale permet d’entrer dans la chanson de façon globale, de plonger dans le paysage sonore de la chanson. L’enseignant demande aux apprenants de relever les instruments de musique qu’ils entendent, de prêter attention à la voix (qualificatifs divers sur la voix, changeante par rapport au rythme), tente de leur faire deviner l’identité du chanteur (âge, origine, etc.) puis il leur demande de donner leurs impressions. La batterie, la guitare électrique et l’orgue évoquent un caractère violent bien que l’’aspect musical passe plutôt au deuxième plan dans Miss Maggie. Au niveau interprétatif, l’enseignant demande aux apprenants de prendre en considération les jeux sur les effets de voix (nette accentuation sur Madame Thatcher ce qui permet à l’enseignant de rebondir sur le personnage en question). Renaud n’ayant jamais pris de cours de chant, sa voix éraillée peut déplaire, d’autant que la cigarette et l’alcool ont accentué l’aspect rauque vocal. La compétence phonologique est exploitée par le biais de la recherche d’accent, d’intonation etc. Au niveau des textes, il s’agit d’établir une grille d’exploitation situationnelle. Ce sont des activités davantage centrées sur les paroles dans lesquelles les apprenants doivent relever des informations grâce aux indices. Au préalable, l’enseignant demande aux apprenants de relever 2 Les modifications de texte entre les différentes versions ne gsont pas disponibles. GLOTTOPOL – n° 17 – janvier 2011 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 109 les personnes impliquées dans la chanson, de s’intéresser aux paroles, de tenter d’en comprendre globalement le sens, de repérer des indices formels d’organisation. Lorsque l’apprenant repère les indices énonciatifs, il travaille sa compétence pragmatique qui recouvre l’utilisation fonctionnelle des ressources de la langue. Il s’agit de comprendre la réalisation des fonctions langagières et des actes de parole en s’appuyant sur les scripts de la chanson. Les apprenants peuvent classer les termes suivant la taxinomie : langue normée/langue argotique. Il est souhaitable d’expliciter la dimension lexicale à cause des expressions idiomatiques et familières. En ce qui concerne l’énonciation, rappelons que le point de vue est masculin. L’unité d’ancrage est confirmée par l’emploi déictique de la première personne du singulier opposé à l’usage de la deuxième personne du pluriel manifestant ainsi le sentiment d’appartenance à deux communautés distinctes. Dimension pragmatique Exploiter la chanson sous un troisième angle, à savoir l’entrée pragmatique consiste à appréhender celle-ci à la lumière de sa finalité. Il s’agit d’une chanson culturellement et sociologiquement située qui s’adresse à un public assez vaste puisque certains étaient déjà adultes lors du drame de Heysel. La chanson brosse le tableau sociologique de la violence des hommes, des représentations liées au genre et de la critique de la politique de Madame Thatcher en jouant sur son image de femme de fer. Intertextualité La démarche méthodologique pour utiliser la chanson en classe de français langue étrangère se focalise sur l’entrée intertextuelle. Il s’agit de faire référence à d’autres chansons. Au niveau textuel, musical et interprétatif, la chanson Miss Maggie s’inscrit dans une tradition de chanson française. De nombreux groupes et artistes disent avoir été inspirés par Renaud comme Mano Solo, Tryo, Zebda, Mickey 3D, Têtes Raides (qui ont repris Hexagone, une chanson de Renaud, lors de leur tournée 2004) ou Bénabar. Renaud, dans la tradition de la chanson française, accorde avant tout une importance au texte. Il a d’ailleurs écrit la quasitotalité de ceux qu’il chante. Une bonne partie de ses textes utilisent l’argot, un langage populaire que Renaud a appris enfant puis en fréquentant la rue alors qu’il vivait de petits boulots, et comprennent de nombreux calembours. Outre les chansons engagées, Renaud écrit également sur des sujets plus personnels, souvent biographiques, comme la famille, le divorce ou l’enfance. Renaud glisse fréquemment quelques touches humoristiques dans ses chansons en se servant de la parodie ou de la satire pour mieux faire passer ses messages ou simplement faire rire. Les jeux de mots portant sur l’équivoque des ressemblances entre les termes femmes et femelles sont nombreuses « femme normale star ou boudin femelles en tout genre je vous aime » et les définitions personnelles de l’auteur « déifiant les crétins en bleu insultant les salauds en vert » tendent à accentuer l’aspect sarcastique de la chanson. Renaud est connu pour recourir fréquemment au portrait dans ses textes. Certains de ses personnages sont biographiques (Miss Maggie, Petite conne), d’autres sont des caricatures de groupes sociaux (Deuxième génération, Dans mon HLM, Petit pédé). Les apprenants peuvent se documenter via Internet pour trouver des articles, des clips, des concerts sur l’artiste, l’objectif étant de comprendre en quoi Renaud est un pilier de la chanson française. Cette intertextualité concernant le pôle récepteur permet à l’apprenant de repérer les références en fonction de sa culture et de ses représentations. GLOTTOPOL – n° 17 – janvier 2011 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 110 Lecture critique de l’impact identitaire des stéréotypes Il convient d’ajouter une compétence à celles acquises dans l’analyse des chansons. L’ethnosocioculture représente selon Boyer (1995 : 41) « un ensemble composite de traits constitutifs d’imaginaires collectifs ». Il ajoute que la compétence ethnosocioculturelle, faite (…) d’images, de valeurs, d’attitudes concernant le réel communautaire (et qui sont d’autant d’éléments d’auto-identification pour la communauté), ne doit pas être confondue avec l’ensemble des savoirs objectifs, plus ou moins complets, disponibles sur ce réel communautaire, (…) qui concerne aussi bien des lieux géographiques que le patrimoine artistique ou l’organisation de la société. La classification implicite qu’un Français peut faire d’un artiste national relève de ce type de compétence, qui parait fondamentale dans l’approche de la chanson. Les propos de Boyer prolongent les théories de Galisson (1987 : 23) qui rapproche les concepts d’identité collective et de culture partagée, qu’il oppose à la culture savante : « connaissance d’auteurs (littérature) de créateurs (arts), (…) que le milieu d’origine et l’école impriment dans la mémoire des natifs favorisés ». C’est cette « culture partagée des natifs » qui s’acquiert partout, au contact des autres, dans les relations familiales, grégaires, sociales, à travers les médias, par exposition, immersion, imitation, inculcation, etc. » (op.cit., 126) que l’enseignement/apprentissage d’une langue doit viser. Or la chanson représente une composante de cette culture partagée (transmission au niveau de la famille, social, médiatique etc.). Dans le cas de notre illustration à travers le corpus Miss Maggie, il s’agit d’établir une approche descriptive des traits caractéristiques du système social qui comprend les relations entre les sexes et le système culturel, sur la diffusion des codes de croyances, sur le domaine des normes et des valeurs. Nous empruntons la notion de crible de Troubetzkoy (1949) – crible phonologique pour expliquer les difficultés à passer d’un système culturel à un autre. Ce concept s’est généralisé à toutes les composantes verbales et non verbales de la communication, entre autres celui de crible culturel. La culture a été définie dans un rapport des Nations Unies (2004 : 4) comme : une manière d’être, de se comporter, de croire et d’agir dont les gens vivent dans leur vie et qui est dans un processus constant de changement et d’échange avec d’autres cultures. Le crible culturel a plusieurs modes de fonctionnement dont deux nous intéressent plus particulièrement. Bourdieu (1992 : 178) parle d’habitus de classe, qu’il définit comme « un système de dispositions durables et transposables, qui, intégrant toutes les expériences passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions, d’appréciations et d’actions ». La notion de crible est également sous-tendue par le recours aux représentations dans lesquelles une société se reconnait. Il s’agit d’un ensemble de caractéristiques qui typifie un groupe dans son comportement et dans son aspect par exemple. Après avoir ciblé des exemples de stéréotypes issus de la chanson de Renaud, la deuxième partie consiste en une lecture critique de leur impact identitaire. Dans quelle mesure ceux-ci prennent-ils le rôle de révélateur et analyseur sociologique ? Nous réfléchissons sur les éléments caractérisant les stéréotypes, leurs finalités et nous tentons de découvrir quels sont les enjeux. Nous prolongeons notre réflexion sur le comportement qu’adopte l’enseignant, eu égard aux représentations. Le terme stéréotype vient du grec « stereos » qui signifie dur, solide et de typos, empreinte. Au 18èmesiècle, il s’agissait d’une impression obtenue avec une plaque d’imprimerie, reproduite en nombre important. Ce terme est utilisé surtout en sociologie et en psychologie au sens figuré. En sociologie, le stéréotype prend la forme d’une opinion généralisée et concerne un groupe d’individus ou une classe sociale. L’image que le stéréotype donne du sujet tient GLOTTOPOL – n° 17 – janvier 2011 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 111 davantage de la réputation de ce dernier que de faits avérés. Zarate (1986 : 63) définit les stérotypes comme un ensemble de traits censés caractériser ou typifier un groupe, dans son aspect physique et mental et dans son comportement. Cet ensemble s’éloigne de la réalité en la restreignant, en la tronquant et en la déformant. L’utilisateur du stéréotype pense souvent procéder à une simple description, en fait il plaque un moule sur une réalité que celui-ci ne peut contenir. Après avoir opéré quelques éclaircissements du concept, nous nous interrogeons sur la composante des stéréotypes. Notons que le stéréotype est généralisation. Stéréotyper c’est utiliser les mêmes concepts pour définir les éléments d’une catégorie sans se préoccuper des exceptions. Nous pouvons déduire avec Bardin (2001 : 51) qu’un stéréotype est l’idée qu’on se fait de…, c’est-à-dire l’image qui surgit spontanément lorsqu’il s’agit de…C’est la représentation (d’un objet, de choses, de gens, ou d’idées) plus ou moins détachée de sa réalité objective, partagée par les membres d’un même groupe social. Il correspond à une mesure d’économie dans la perception de la réalité. Cette perception est ainsi soumise à l’influence de l’expérience personnelle, du milieu culturel, ou encore des médias. Naissant de la confrontation de deux groupes, le stéréotype a une double fonction : une fonction cognitive et une fonction identitaire. L’humain schématise son environnement pour tenter de le maitriser (fonction cognitive). La langue étant un marqueur d’identité et l’identité ne se construisant que dans le rapport d’altérité, cette dynamique ouvre la porte aux stéréotypes. L’identité repose sur un imaginaire collectif (stéréotypes) souvent à la base de catégorisations sociales. Quand le processus de catégorisation s’applique aux humains, on parle de catégorisation sociale. Une des conséquences de la catégorisation sociale est que nous accentuons les différences entre les personnes appartenant à des groupes distincts et que nous minimisons les différences entre les individus appartenant au même groupe. (Tajfel, 1981 : 23). L’enjeu des stéréotypes ne relève pas de la connaissance mais des relations qu’un individu ou qu’un groupe souhaite entretenir avec cet autre. Dans la communication interculturelle, les représentations jouent un rôle important puisqu’elle implique que nous devons être attentifs à nos propres préjugés. Dans quelle mesure l’enseignant doit-il faire abstraction de ses stéréotypes pour mener la tâche qui lui a été confiée ? Le concept de culture met en jeu l’identité de l’individu par rapport à l’autre (au groupe). La démarche interculturelle nécessite un apprentissage des autres mais aussi une plongée en soi même pour comprendre comment son propre conditionnement culturel façonne le regard sur les autres. D’une manière générale, présenter aux étudiants des films, des séries, des chansons constitue un moyen de vivre et de connaitre la culture française afin que les apprenants aient une vision d’ensemble et leur permet de comparer les deux cultures différentes. Il s’agit d’une démarche réflexive qui : se donne pour objet de donner à entendre comment ces représentations stéréotypées ont été construites, à travers quelles expériences elles ont été intériorisées ; cette étape implique à la fois un retour individuel sur des expériences personnelles et une expérience collective sur les mécanismes d’imposition et de représentations dominantes. (Zarate, 1995 : 124). Cette démarche permet de repérer les stéréotypes, ses effets et d’analyser leur fonctionnement. Les individus ne vivent pas dans un cadre isolé mais en situation GLOTTOPOL – n° 17 – janvier 2011 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 112 d’interaction avec la société. Les représentations d’une personne, d’un objet, d’un pays sont marquées par des facteurs sociaux, historiques et culturels. Ainsi la problématique des représentations se situe plutôt au niveau social et culturel. L’intégration de la notion de représentation doit être un principe important pour orienter l’apprentissage-enseignement des langues. Conclusion Soulignons le caractère ludique de l’apprentissage par la chanson. L’approche communicative y trouve tout son sens : au niveau pédagogique les éléments linguistiques et extralinguistiques sont liés et se combinent dans la chanson. Ce support didactique est un véritable vecteur socioculturel. Dès lors se pose la question du choix des textes à étudier. Privilégier l’étude de la chanson pour rendre plus amusant l’enseignement de la langue, pour présenter des cours d’histoire (exemple du génocide arménien dans le texte de Renaud), pour établir des études contrastives entre les différences culturelles et travailler sur la description d’une culture, sur la construction de stéréotypes culturels et linguistiques. Les objectifs didactiques sont divers. Il est souhaitable de dépasser le stade de l’exploitation simple d’une seule chanson, en lui associant clips-vidéo, concerts, articles de journaux, sites internet afin de mettre au jour les liens d’interaction entre ces éléments et aussi pour enrichir le potentiel méthodologique. En définitive, les enseignants sensibilisent et incitent les apprenants à aller vers une remise en question de leurs représentations. Il est indispensable de créer une ambiance culturelle favorable à l’enseignement-apprentissage du français pour que les apprenants éprouvent le sentiment de travailler avec des documents authentiques issus de la culture française. Bibliographie BARDIN L., 2001, L’analyse de contenu, PUF, Paris. BESSE H., 1984, « Eduquer la perception culturelle », Le Français dans le monde, n°188, 4654. BLANCHET P., 1998, Introduction à la complexité de l’enseignement du FLE, Peeters, Louvain. BOURDIEU P., 1992, Esquisse d’une théorie de la pratique, Genève, Droz. BOYER H., 1995, « De la compétence ethnosocioculturelle », Le Français dans le monde, 272, 41-44. Cadre Européen Commun de Références pour les Langues, 2001, Didier, CALVET L.-J., 1980, La chanson dans la classe de français langue étrangère, Paris, CLE International. DEBYSER F., 1969, « Lettre ouverte sur la chanson », Le Français dans le monde, 66, 6-8. Décennie des Nations Unies de l’éducation pour le développement durable, 2005-2014, Projet de Programme d’application international, Octobre 2004. DUMONT P., 1998, Le français par la chanson, Paris, L’Harmattan. GALISSON R., 1987, « Accéder à la culture partagée par l’entremise des mots à Charge Culturelle Partagée (C.C.P.) », E.L.A, 67, 119-140. LHOTE E., 1995, Enseigner l’oral en interaction, Paris, Hachette. LICARI A., 1984, « Bien faite pour apprendre…la chanson », Le Français dans le monde, 184, 34-37. MOIRAND Sophie, 1979, Situations d’écrit, Paris, Clé International. GLOTTOPOL – n° 17 – janvier 2011 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 113 Rapport Décennie des Nations Unies de l'éducation pour le développement durable, 20052014, Projet de Programme d'application international, Octobre 2004. RICHER J.-J., 2005, « Le cadre Européen Commun de Référence pour les Langues : des perspectives d’évolution méthodologiques pour l’enseignement/apprentissage des langues ? », Synergies Chine, l. TROUBETSKOY N., 1949 [1939], Principes de phonologie, traduits par J. Cantineau, Paris, Klincksieck. TAJFEL H., 1981, Introduction à la psychologie sociale, Paris, Editions Larousse. ZARATE G., 1986, Enseigner une culture étrangère, Paris, Editions Hachette. ZARATE G., 1995, Représentations de l’étranger et didactique des langues, Paris, Didier. Annexes Miss Maggie (Renaud, 1985) Femme du monde ou bien putain Qui bien souvent êtes les mêmes Femme normale, star ou boudin, Femelles en tout genre je vous aime Même à la dernière des connes, Je veux dédier ces quelques vers Issus de mon dégoût des hommes Et de leur morale guerrière Car aucune femme sur la planète N’ s’ra jamais plus con que son frère Ni plus fière, ni plus malhonnête A part peut-être Madame Thatcher Femme je t’aime parce que Lorsque le sport devient la guerre Y a pas de gonzesse ou si peu Dans les hordes de supporters Ces fanatiques, fous-furieux Abreuvés de haines et de bières Déifiant les crétins en bleu, Insultant les salauds en vert Y a pas de gonzesse hooligan, Imbécile et meurtrière Y’en a pas même en Grande-Bretagne A part bien sûr Madame Thatcher Femme je t’aime parce que Une bagnole entre les pognes Tu n’ deviens pas aussi con que Ces pauvres tarés qui se cognent Pour un phare un peu amoché Ou pour un doigt tendu bien haut Y’en a qui vont jusqu’à flinguer Pour sauver leur autoradio Le bras d’honneur de ces cons-là Aucune femme n’est assez vulgaire Pour l’employer à tour de bras GLOTTOPOL – n° 17 – janvier 2011 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 114 A part peut être Madame Thatcher Femme je t’aime parce que Tu vas pas mourir à la guerre Parc’ que la vue d’une arme à feu Fait pas frissonner tes ovaires Parc’ que dans les rangs des chasseurs Qui dégomment la tourterelle Et occasionnellement les Beurs, J’ai jamais vu une femelle Pas une femme n’est assez minable Pour astiquer un revolver Et se sentir invulnérable A part bien sûr Madame Thatcher C’est pas d’un cerveau féminin Qu’est sortie la bombe atomique Et pas une femme n’a sur les mains Le sang des Indiens d’Amérique Palestiniens et Arméniens Témoignent du fond de leurs tombeaux Qu’un génocide c’est masculin Comme un SS, un torero Dans cette putain d’humanité Les assassins sont tous des frères Pas une femme pour rivaliser A part bien sûr Madame Thatcher Femme je t’aime surtout enfin Pour ta faiblesse et pour tes yeux Quand la force de l’homme ne tient Que dans son flingue ou dans sa queue Et quand viendra l’heure dernière, L’enfer s’ra peuplé de crétins Jouant au foot ou à la guerre, A celui qui pisse le plus loin Moi je me changerai en chien si je peux rester sur la Terre Et comme réverbère quotidien Je m’offrirai Madame Thatcher GLOTTOPOL – n° 17 – janvier 2011 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne Comité de rédaction : Michaël Abecassis, Salih Akin, Sophie Babault, Claude Caitucoli, Véronique Castellotti, Régine Delamotte-Legrand, Robert Fournier, Emmanuelle Huver, Normand Labrie, Foued Laroussi, Benoit Leblanc, Fabienne Leconte, Gudrun Ledegen, Danièle Moore, Clara Mortamet, Alioune Ndao, Gisèle Prignitz, Georges-Elia Sarfati. Conseiller scientifique : Jean-Baptiste Marcellesi. Rédacteur en chef : Clara Mortamet. Comité scientifique : Claudine Bavoux, Michel Beniamino, Jacqueline Billiez, Philippe Blanchet, Pierre Bouchard, Ahmed Boukous, Louise Dabène, Pierre Dumont, Jean-Michel Eloy, Françoise Gadet, Marie-Christine Hazaël-Massieux, Monica Heller, Caroline Juilliard, Jean-Marie Klinkenberg, Jean Le Du, Marinette Matthey, Jacques Maurais, Marie-Louise Moreau, Robert Nicolaï, Lambert Félix Prudent, Ambroise Queffélec, Didier de Robillard, Paul Siblot, Claude Truchot, Daniel Véronique. Comité de lecture pour ce numéro : Salih Akin (Rouen), Jacqueline Billiez (Grenoble), Karine Blanchon (Paris), Joëlle Gardes-Tamine (Paris 4), Jeanne Gonac’h (Rouen), Amélie Hien (Université Laurentienne, Canada), Cristina Johnston (Stirling), Germain Lacasse (Montréal), Emmanuelle Labeau (Aston), Laure Lansari (Reims-Champagne Ardenne), Emilie Née (Paris 3), Ambroise Queffélec (Université de Provence), Gwenn Scheppler (Montréal), Cyril Trimaille (Grenoble). Laboratoire LiDiFra – Université de Rouen http ://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol ISSN : 1769-7425