Dialogue de Ronan

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Dialogue de Ronan
Lundi 18 mars, cours de latin : « Bonjour ! Asseyez-vous ! Aujourd’hui, nous allons parler de la place
des femmes à Rome. Nous remontons le temps jusqu’à l’an 14. Pouvez-vous me dire quelles catégories de
femmes il y avait à l’époque de la Rome antique ? Florine ! Répond à cette question s’il te plaît ! »
Pendant ce temps, Ronan s’ennuyait ; alors il trouva sommeil... Dans son rêve, il était dans une ville assez grande et il marchait sur une grande avenue pavée. Quelques instants plus tard, il vit une foule
d’hommes drôlement habillés : ils portaient des toges. Puis, il vit un panneau où il était inscrit « Roma ». Il
alla vers la foule et se trouva sur un grand forum. Il aperçut une jeune femme toute seule assise sur un
banc ; alors il alla la voir :
« Bonjour ! dit Ronan.
— Bonjour ! dit à son tour la jeune fille.
— Comment t’appelles-tu ?
— Flavia. Et toi ? répondit-elle.
— Moi, c’est Ronan. Que fais-tu ici toute seule?
— J’attends mon mari, dit-elle.
— Ton mari ! Mais quel âge as-tu?
— Quatorze ans.
— Quatorze ans, et déjà mariée ! s’exclama-t-il extrêmement surpris. Mais en quelle année sommesnous ?
— En l’an 141.
— En l’an 14 ? Comme au cours de latin… Mais tu n’es pas à l’école ?
— Non. J’ai arrêté l’école il y a trois ans déjà.
— Moi, j’ai commencé l’école à trois ans et je n’ai pas encore fini...
— En fait, mes parents m’ont mariée à un homme riche et je devais apprendre les tâches d’une bonne
épouse. Je suis restée à l’école jusqu’à onze ans. Par contre, les garçons, eux, restent plus longtemps à
l’école et après travaillent pendant que nous, les filles, on reste à la maison. Mais moi, ça va encore, car
comme mon mari est riche, on a des esclaves.
— Des esclaves ?
— Oui. Quand nous gagnons une guerre, les soldats prisonniers et le peuple perdant deviennent des
esclaves. On les achète au marché.
— Les hommes que j’ai donc aperçus là-bas vendent des esclaves ?
— Non là-bas, c’est un sénateur qui s’appelle Tibère. Il se présente pour devenir notre futur empereur.
— Quand vas-tu voter ?
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La jeune fille devrait plutôt répondre « en 767 (depuis la fondation de Rome) », puisque l’on ne comptait pas encore
par rapport à une certaine année 0.
— Moi, jamais : les femmes n’ont pas le droit de vote. Et de toute façon, l’empereur n’est pas élu…
— Sinon, Flavia, pourrais-tu m’expliquer ce qu’est une Vestale. Je n’ai pas tout compris en cours de latin.
— Oui, bien sûr. Des filles de deux ans sont sélectionnées parmi les grandes familles par les prêtres et
leur supérieur, le grand pontife. Puis, il y a une élection quand elles ont entre six et dix ans. La Vestale est
élue par les prêtres et le grand pontife pour veiller sur le feu de Vesta, la déesse du Foyer de Rome. Si jamais le feu s’éteint, le Vesta est battue, puis enterrée vivante. Une de mes amies a subi ça.
—Ah... Toutes mes condoléances. En parlant de femmes importantes, il y en a des connues à Rome, en
dehors des Vestales ?
— Livie. C’est la maman de Tibère que tu as vu là-bas. Elle était mariée avec Tiberius Claudius, le papa
de Tibère. Tiberius a pris parti contre Octave (notre empereur actuel), mais Octave est tombé amoureux de
Livie. Tous les deux se sont mariés et Octave a adopté Tibère il y a dix ans environ. Moi, je suis sûr que le
futur empereur est devant nous ! Elle a eu de la chance, Livie, de mettre au monde un empereur.
— Sinon, que peut faire une femme à Rome pour s’amuser ?
— Tu peux aller à l’amphithéâtre pour voir des combats de gladiateurs ou au cirque pour assister à des
courses de chars. Ou alors tu peux aller au théâtre ou encore aux thermes.
— Tu y vas, toi, parfois ?
— Aux thermes, seulement le matin car ils sont alors réservés aux femmes. Sinon, je reste chez moi
pour m’occuper de moi et de mes toilettes. Je m’occupe de mes tunicae et de mes stolae1, j’enfile mes sandalia. Ma servante me fait mon chignon tous les matins. Et puis, le temps de me mettre tous mes produits
de beauté et mes parfums, ça m’occupe longtemps. J’en profite aussi pour effectuer mes rites religieux.
— Tu te fais belle pour ton mari ! Mais ton mari, tu l’aimes ?
— Tu sais, mon mariage a été arrangé. Nous, les filles, on a le droit de se marier dès l’âge de douze
ans ; par contre, les garçons doivent attendre quatorze ans. Mais, si les deux familles sont d’accord, on peut
se marier avant. C’est ce qui m’est arrivé…
— Pourquoi tu ne divorces pas ?
— Si un jour mon mari est lassé de moi, il pourra divorcer pour en épouser une autre plus riche. Mais il
faudra que je sois d’accord. Ou alors on peut divorcer pour faute grave comme l’adultère, le proxénétisme.
— Super…
— Tu sais, Ronan, poursuivit-elle, il est écrit dans la loi romaine que les femmes sont inférieures aux
hommes. On ne peut pas avoir de fonctions civiles ou publiques.
— Tu n’as donc le droit que de rester chez toi et de sortir de temps en temps
— C’est un peu exagéré, mais pas loin de la vérité !
— Et ça te plait cette vie ?
— C’est normal ici, comme vie !
— Et ton mari, il t’aime, lui au moins ?
— Mon mari me considère comme une vulgaire femme bonne à filer et à tisser la laine.
— Mais tu es riche pourtant !
— Non : c’est mon mari qui est riche. C’est grâce à lui si j’ai un statut de femme.
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La tunica est un vêtement placé sous la robe ; la stola est un type de robe très couvrant, qui doit cacher jusqu’aux
chevilles (à ses origines, du moins).
— Tu devais être plus libre avant d’être mariée alors !
— Non plus, car avant d’appartenir à mon mari j’appartenais à mon père. Tout le temps soumise à un
homme...
— Ça me rappelle un autre pays de mon époque qui s’appelle l’Afghanistan. Mais là-bas, c’est à cause
de la religion que les femmes sont traitées comme ça. Toi, ajouta Ronan, c’est à cause de la loi ou de la
religion, cette façon d’être traitée par ton mari ?
— Les deux. Et toi, Ronan, poursuivit-elle, tu es marié ?
— Non, pas du tout ! À mon époque, on ne se marie pas aussi jeune ! L’espérance de vie est beaucoup
plus longue, on a qu’un seul dieu, on parle le français et la technologie est beaucoup plus avancée. Tu mettrais un jean et des baskets comme moi.
— Les filles se déguisent en garçon ?
— Oui, si tu veux ! Et puis, tu aurais le droit de penser ce que tu veux, de travailler pas seulement chez
toi. Et tu aurais le droit de te marier et de divorcer autant de fois que tu veux !
— Mince ! Je vois mon mari qui arrive. Je dois te laisser, Ronan. Heureuse de t’avoir rencontré !
— Moi aussi, Flavia, je ne t’oublierai pas !
— Moi non plus… »
De retour dans la classe de latinistes, Ronan se réveilla paisiblement. Le professeur s’exclama :
« Enfin, Ronan, je t’attends depuis trois minutes !
— Trois minutes... J’ai l’impression que ça a duré beaucoup plus longtemps ! » songea Ronan.
Ronan, 5e9, 2013

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