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SEMAINE DU GOÛT ET GOÛT DE L’HISTOIRE : L’ANANAS OU LES PÉRIPÉTIES D’UN « FRUIT ROI » Concilier histoire et gastronomie : mission impossible ? Non !!! Les premiers à s’intéresser aux pratiques alimentaires sont les ethnologues en particulier avec les travaux de Claude Lévi Strauss sur Le Cru et le Cuit, parus en 1964. Les historiens étudient les choix alimentaires, leurs significations symboliques, les procédés culinaires, les manières de se comporter à table … Si les manières de préparer un plat diffèrent d’un peuple à l’autre, c’est en raison de différences technologiques, économiques ou sociales. On sait également qu’il ne suffit pas d’acclimater une plante pour que tous les habitants d’un même pays la consomment. Le thème de l’alimentation est d’abord abordé par les spécialistes de l’Antiquité grecque puis par les Modernistes et les Médiévistes dans les années 1980. Planche 567 : Ananasa rotundo fructu Élisabeth Blackwell, Herbarium Blackwellianum emendatum et auctum, idest, Collectio stirpium : Quae in pharmacopoliis ad medicum asservantur, quarum descriptio et vires, 1760, Nuremberg, Christian de Launoy. Dans le cadre cette semaine du goût, je vous propose de partir à la cueillette de l’ananas, surnommé en 1667, par le Père Dutertre, dans son Histoire des Antilles habitées par les Français, le « roi des fruits » : « Il est le meilleur et le plus beau de tous les fruits qui soient sur cette terre. C'est sans doute pour cette raison que le roi des rois lui a mis une couronne sur la tête qui est une marque essentielle de sa royauté, puisque quand le père tombe, elle produit un jeune roi qui lui succède dans toutes ses admirables qualités ». Dans la langue des Tupi, « nana » signifie parfum et « nana-nana » parfum des parfums. L’ananas est connu dans l’Antiquité gréco-romaine comme en atteste la découverte d’une peinture murale les représentant dans la villa de l'éphèbe à Pompéi. Christophe Colomb reçoit une tranche de ce fruit en 1493, de la part des habitants de la Guadeloupe, en signe de bienvenue. Ceux-ci en accrochent à l'entrée de leurs huttes en signe d'hospitalité. Christophe Colomb décrit ce fruit : « Il a la forme d'une pomme de pin, mais il est deux fois plus gros, et son goût est excellent. On peut le couper à l'aide d'un couteau comme un navet et il paraît très sain ». Le botaniste Jean de Léry est l'un des premiers à l'avoir décrit dans son Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, en 1555. C’est un Français, réfugié à Leyde en Hollande, qui fut le premier à cultiver l’ananas en serre, avec succès. Il devient aide-jardinier à la cour du roi d'Angleterre, Charles II, qui le dégusta en 1672. Charles II le surnomme la « pine apple » à cause de sa ressemblance avec la pomme de pain. En France, Louis XIV les fait cultiver à Choisy-le-Roi pour faire plaisir à Madame de Maintenon, à partir de 1702. Toutefois, cette culture est rapidement tombée en désuétude. En 1728, Louis XV confie à Louis Lenormand fils, second successeur de Jean-Baptiste de La Quintinye, deux œilletons d’ananas afin de les cultiver dans le jardin de Versailles. Ils meurent mais l’un d’eux avait eu le temps de donner une pousse. En 1732, Lenormand fils facilite la culture de ce fruit grâce à l’utilisation de serres hollandaises. Il finit par obtenir un fruit, servi au roi le 28 décembre 1733. L’ananas est surtout cultivé par les jardiniers des rois et princes car elle demeure très coûteuse et exigeante. Un ananas vaut un Louis vers 1760. Cependant, la culture de fruit connaît un grand succès à la fin du siècle, où l’on en recense quelques 800 pieds d’ananas dans le Royaume de France. La consommation d’ananas se développe au XIXe siècle. Dans sa propriété près de Ville-d’Avray, l’écrivain Honoré de Balzac envisage de se lancer dans la culture des ananas. Gustave Flaubert dans l’Éducation sentimentale (1869), parle de l’ananas : l’une de ses héroïnes, Rosanette choisit, dans un restaurant, une salade d’ananas en désert afin d’imiter les repas pris par la bourgeois. Cette mention atteste du succès de ce fruit auprès de la bonne société. La culture de l’ananas est progressivement abandonnée et laissée aux seules serres de Madère et des Açores. Sa consommation se vulgarise après les essais de conditionnement en conserve tentés aux Iles Hawaï dans les années 1880. La première conserverie d’ananas date de 1906. À la veille de la Première Guerre mondiale, l’invention de la « ginaca », par l’ingénieur américain Henry Gabriel Ginaca (1876-1918), pour la Dole’s Hawaiian Pineapple Compagny, permet de traiter cinquante fruits à la minute. Elle épluche les fruits, enlève le cœur et les découpe. Aujourd’hui, sur un total de 10 millions de tonnes produites à travers le monde, 500 000 tonnes environ sont exportées sous forme de produits frais et 900 000 tonnes sont mises en conserve pour l'exportation.