Rêve d`Ambre à Novodievitchi - Extrait -
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Rêve d`Ambre à Novodievitchi - Extrait -
Rêve d’Ambre à Novodievitchi Ekaterina Marsolle d’Alciati - Extrait Aussitôt arrivée à l’hôtel, une bonne odeur de vatrouchka m’appelait pour le petit-déjeuner. Mais je montai d’abord dans ma chambre, car ma promenade matinale avait fait jaillir quelques paroles poétiques en mon cœur, et je désirais les écrire tout de suite sur mon carnet, un très joli carnet Moleskine, qui m’avait été offert par ma grand-mère, et me suivait partout… Ton chant, ô mon Ange, Envoûtant violon, l’assoluto Comble dans la douceur 1 D’un murmure de violoncelle. Tu nous entraînes dans le tourbillon De ta danse étoilée. Pluie nimbée de lumière, Chatoiement des bleus nuits et azur, Des ors insondables. Jusqu’à la Vie, étincelles sanguines. L’atmosphère de ce poème annonçait la soirée inoubliable qui me fut accordée ce soir-là, entre rêve et réalité… Je ne sais si ma dernière soirée dans les brumes de SaintPétersbourg fut une réponse à mon poème. Était-ce un songe lié à mon poème et à ma promenade du matin ou un intermède vécu, dont les correspondances furent fondues à l’extrême… dont la présence du violoncelle tissait le lien. Douce comme un murmure de violoncelle, à la fois grave et satinée, sa voix s’éleva, se fondant dans les vibrations de l’heure bleue. Caressant mon visage, ses intonations subtiles glissèrent jusqu’au fond de mon cœur, lui apportant la sérénité d’un ronronnement de chat. Puis il y eut la beauté d’un point d’orgue silencieux, attendant la reprise qui ne tarda pas, en volutes étoilées. Une harmonie paisible se mit à couler, aussi limpide qu’un ruisseau à sa source et aussi réconfortante qu’un chocolat 2 chaud dégusté près des flammes dansantes de la cheminée. Le vin blanc d’Alsace à la belle robe ambrée, que nous savourions, apportait sa note de tendre ivresse, comme un enveloppement d’Anges musiciens. Dans cette douceur vespérale, nous parvînmes alors les merveilleuses senteurs des roses anciennes fraîchement coupées et déposées dans une coupe d’ambre en un ravissant bouquet. Une pluie tranquille et nimbée de lumière se mit à tambouriner avec grâce sur les tuiles couleur d’océan, nous offrant son chant délicieux et renouvelant le parfum épicé et sauvage de l’herbe et des feuilles qui se balançaient. Instant précieux, rare, et pourtant indispensable, barrière empêchant de sombrer dans les tempêtes inévitables. Les coupes d’ambre évoquées ci-dessus me firent regretter de ne pouvoir visiter la Chambre d’Ambre, car à cette époque elle n’avait pas encore été reconstituée (elle le sera en 2003) et avait donc purement et simplement disparu. Mais sa reconstitution n’en sera qu’une copie, si belle soitelle… La Chambre d’Ambre était considérée comme la huitième merveille du monde et avait été offerte à Pierre le Grand par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume Ier, en 1716. 3 Cette Chambre d’Ambre avait été commandée par le roi de Prusse Frédéric 1er mais c’est son successeur, FrédéricGuillaume 1er, qui en vit l’achèvement des travaux. Lors d’un voyage en Prusse, Pierre le Grand en fut si émerveillé qu’il en tomba amoureux et ce cadeau somptueux lui fut offert et transporté en Russie, plus précisément près de Saint-Pétersbourg, dans le Palais Catherine de Tsarkoïe Selo, résidence de vacances des tsars. Cette pièce était totalement recouverte de lambris d’ambre, de mosaïques florentines incrustées de pierres précieuses, d’or et de miroirs. Pierre le Grand était presque tombé en extase à la vue de cette munificence, motif pour lequel il l’avait reçu en cadeau. Mais nos pas nous menèrent tout de même à Tsarkoïe Selo et la Chambre d’Ambre rayonnait invisiblement. Le mystère de la Chambre d’Ambre semble vouloir jouer avec nous encore longtemps en ne cessant de nous inviter à le comprendre et le pénétrer. Saurons-nous un jour où est passé l’original de la Chambre d’Ambre ? Sa reconstitution, même la plus parfaite possible, ne pouvant usurper son identité première… À l’occasion de l’opération Barbarossa (attaque de l’Union Soviétique par l’Allemagne nazi) lors de la Seconde Guerre 4 mondiale, la Chambre d’Ambre partit pour un nouveau voyage vers l’Allemagne, son pays de naissance, et fut installée dans le château de Königsberg. En août 1944, le château fut bombardé par les Anglais et il y eut un incendie. Certains pensent que la Chambre y a brûlé et fut détruite à ce moment. Pourtant plusieurs documents laissent entendre que la Chambre d’Ambre aurait été préservée et se trouverait intacte en un lieu encore tenu secret, volontairement ou par ignorance… Elle se trouverait peut-être dans les fonds de la mer baltique, le paquebot où elle avait été mise à l’abri ayant coulé suite à l’attaque d’un sous-marin… Ou dans les caves du château de Königsberg, dont les passages secrets des souterrains demeurent inexplorés, tel un labyrinthe inaccessible… Ou encore dans les forêts du sud de l’Allemagne, la Forêt Noire vraisemblablement, d’où elle jaillira un jour de tous ses feux étincelants… Selon la légende, cette Chambre avait les vertus d’une fontaine de jouvence. Elle aurait eu le pouvoir de protéger et de guérir des outrages du temps les personnes qui y séjournaient. Que de rencontres intemporelles durent y avoir lieu. 5 La mystérieuse disparition de la Chambre d’Ambre est comme un clin d’œil pour nous rappeler que rien ne nous appartient sur cette Terre, que nous sommes tous des exilés. Et surtout qu’aucun être ne nous appartient, que prétendre réduire un être à l’impuissance, tel un objet, par un vouloir arbitraire, est la plus grande des déchéances. L’inclination à déposséder autrui de ses biens, de ses désirs, de ses rêves semble être la constante qui engendre les drames de l’histoire comme les drames de la vie quotidienne. « Si vous ne faites pas ma volonté, si vous ne correspondez pas à ce que j’attends de vous, ne vous étonnez pas de mes représailles. Si vous fuyez mes diktats, à vos risques et périls. » En quelque sorte, le choix est laissé entre l’illusion de sécurité et la liberté. Mais une sécurité prisonnière ne pourrait, certes, que laisser un goût amer… Le Cavalier de bronze, en l’occurrence Pierre le Grand, bâtisseur de Saint-Pétersbourg, ne quittait pas ma pensée. Une intuition me disait qu’il se manifesterait de nouveau lorsque nous serions bientôt à Moscou. Ici, en fier cavalier et là-bas, sous un autre jour… 6 Un des sites les plus enchanteurs à visiter fut l’Ermitage, où je retrouvai le chat de ma promenade matinale du début de séjour. Il m’accompagna durant toute la visite en me frôlant tendrement et m’offrant son regard intense et limpide. Il gambadait près de moi, multipliant les entrechats et arabesques. Au travers des immenses fenêtres, nous pouvions apercevoir le ballet de quelques hirondelles, qui loin de nous distraire, ne faisait que favoriser la contemplation des icônes, des tableaux et autres merveilles. Nos pas nous guidèrent également sur les lieux de misère qui inspirèrent Dostoïevski, comme la place des Armes-duRégiment-Samionovski, en passant devant l’église de la Sainte-Trinité. Prolonger la promenade sur le pont Kokouchkine jusqu’à la place au Foin nous rapprochait de Raskolnikov, en intériorisant l’atmosphère de Crime et Châtiment. Je connaissais à peine les autres participants, car j’étais la seule russisante en prépa et ne rencontrais que très rarement les élèves des autres classes. À part notre commun amour de la Russie, ce qui, certes, n’était pas négligeable, les nombreuses activités nous accaparaient et le temps nous manquait, qui nous aurait permis de nous découvrir d’autres affinités électives. 7 Retrouvez Rêve d’Ambre à Novodievitchi Sur Encrerouge.fr 8