Interview avec Jacques de Larosière dans Le Figaro (11

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Interview avec Jacques de Larosière dans Le Figaro (11
Interview avec Jacques de Larosière dans Le Figaro (11 février 1993)
Légende: Le 11 février 1993, Jacques de Larosière, gouverneur de la Banque de France, accorde au quotidien français
Le Figaro une interview dans laquelle il commente la politique monétaire de la France face à la crise qui touche le
Système monétaire européen (SME).
Source: Le Figaro. 11.02.1993. Paris. "Le franc, bouclier de la construction européenne", auteur:Messarovitch, Yves;
Robin, Jean-Pierre.
Copyright: (c) Le Figaro
URL: http://www.cvce.eu/obj/interview_avec_jacques_de_larosiere_dans_le_figaro_11_fevrier_1993-fr-d413cc9705f3-49c3-a70f-2524e7b7610a.html
Date de dernière mise à jour: 20/12/2013
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Interview avec Jacques de Larosière
Le franc, bouclier de la construction européenne
Par Yves Messarovitch et Jean-Pierre Robin
Question: La spéculation à l'encontre du franc ne s'est pas totalement calmée. Que dites-vous aux
spéculateurs et aux investisseurs pour les convaincre que le franc n'a pas besoin d'être dévalué vis-à-vis du
mark?
Réponse: D'abord, la spéculation s'est arrêtée depuis le 5 janvier dernier, les positions se dénouent et les
réserves se reconstituent. Ensuite, je dis aux investisseurs que le franc est l'une des meilleures monnaies du
monde, que sa consolidation est le fruit d'une politique économique et monétaire menée depuis des années
avec constance, qui permet aujourd'hui aux entreprises françaises d'offrir des prix très compétitifs dans la
concurrence mondiale.
Je leur dis aussi que les deux tiers des Français, selon un récent sondage Sofres, approuvent cette politique et
qu'ils savent que ce n'est pas en dévaluant leur monnaie, c'est-à-dire en réduisant la valeur de leur épargne et
de leur pouvoir d'achat, que l'on bâtira la prospérité économique.
Je leur rappelle aussi des faits précis. Le franc est adossé à d'excellentes données fondamentales. Notre taux
de croissance en 1992, d'environ 2 %, est parmi les plus élevés du G7, et nettement supérieur à la moyenne
européenne. Notre hausse des prix de 2 %, soit la moitié de celle de l'Allemagne, est une des meilleures
performances mondiales. Notre commerce extérieur est excédentaire de 30 milliards. Nos parts de marché se
sont développées, ce qui explique le supplément de croissance en notre faveur. Tels sont les principaux
indicateurs témoins de l'amélioration de la position compétitive de l'économie française.
Question: La première bataille du franc, en septembre dernier, avait été violente mais courte. La seconde,
commencée en décembre, s'éternise. Les spéculateurs sont-ils devenus plus résistants?
Réponse: Deux attaques contre le franc se sont manifestées. L'une, très brève, a été centrée sur la date du
référendum du 20 septembre. Elle a échoué dans les conditions que l'on sait, et s'est traduite par des pertes
sévères pour ceux qui avaient joué contre le franc. A la fin du mois de novembre et en décembre, une
deuxième attaque a été constatée. Elle a été contrée avec succès. Contrairement à ce que vous dites, elle ne
« s'éternise » pas. Elle s'est arrêtée et est en train de se dénouer.
Pourquoi le franc a-t-il résisté à ces mouvements? D'abord parce que les données fondamentales sont
favorables et que la compétitivité de l'économie française est la meilleure du SME. Ensuite, parce que la
détermination des autorités françaises à défendre la parité est absolue. Il en va, en effet, de la crédibilité
même d'une politique qui a réussi, sur une longue période, à conserver le pouvoir d'achat de la monnaie.
Question: Pourquoi, puisque ses fondamentaux sont bons, le franc est-il attaqué?
Réponse: Il faut bien comprendre l'importance de l'enjeu. Ni les données fondamentales ni la détermination
des autorités monétaires ne sont en cause. Puisque tel est le cas - et personne ne le conteste -, il faut alors se
rendre à l'évidence: c'est autre chose qui est en jeu. En réalité, ce que certains opérateurs mettent en doute soit en l'espérant, soit en le redoutant -, c'est l'avenir du système monétaire européen (SME) et du processus
vers l'union économique et monétaire (UEM).
C'est une manifestation de l'affrontement entre deux conceptions, je dirais même deux cultures, la culture du
flottement et la culture de la stabilité dont le SME est le symbole. Et telle est la situation: le franc est
aujourd'hui le bouclier de la construction européenne.
C'est sa résistance à la spéculation qui, grâce à la coopération franco-allemande, préserve toutes les chances
de l'Union économique et monétaire, prévue par le traité de Maastricht comme le complément indispensable
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du marché unique européen. La spéculation s'attaquait donc d'une certaine manière à l'Europe en marche.
Etant donné l'enjeu, elle ne pouvait pas gagner. Elle s'est attaquée à plus fort qu'elle, et elle est en train de
s'en apercevoir.
Question: La coopération monétaire entre la Banque de France et la Bundesbank pour défendre les parités
actuelles fonctionne bien, mais elle n'arrive pas à s'imposer totalement face au marché. Est-il possible de
l'améliorer?
Réponse: La coopération franco-allemande en matière de changes a été sans faille, ainsi que les deux
banques centrales l'ont amplement montré par leurs déclarations et par leurs actes. Mais nous souhaitons
aussi que la convergence s'améliore et que le dosage des différents instruments de politique économique en
Allemagne soit mieux équilibré. Il ne faut pas en effet trop demander à la politique monétaire. La baisse de
taux décidée le 4 février par la Bundesbank va dans cette bonne direction.
Elle a été rendue possible par les efforts déployés par le gouvernement allemand en matière de consolidation
des finances publiques et de modération des évolutions nominales de revenus.
Question: Pour la France, il en résulte des taux d'intérêt très élevés, de trois à quatre points supérieurs aux
taux Allemands, sur les échéances très courtes. Cette situation qui perdure ne devient-elle pas réellement
insupportable?
Réponse: Je constate que sur les échéances longues, nos taux ont considérablement baissé depuis quelques
mois. Or ce sont eux qui sont les plus importants pour le financement de l'investissement. Les obligations
publiques à dix ans étaient à 9,15 % à la fin du mois d'août dernier. Elles sont à 7,70 % aujourd'hui, taux le
plus faible depuis 1986. En réalité, il faut remonter à 1972 pour constater sur une période durable des taux
nominaux aussi modérés.
C'est parce que le marché entretient de « bonnes anticipations » sur la stabilité du franc à moyen et à long
terme que nous avons réussi cette performance. L'écart avec l'Allemagne sur les taux à long terme est
aujourd'hui de l'ordre de 70 centimes, alors qu'il était de 120 points à fin août.
Avec les données très favorables en matière d'inflation et la détente générale des taux qui ne manquera pas
de se produire en 1993, ce mouvement devrait se poursuivre. La baisse sera d'autant plus ample que
cesseront les interrogations sur la valeur de la monnaie.
Pour ce qui est des taux courts, ils dépendent essentiellement de deux facteurs: le « socle » des taux
européens, et les anticipations sur la politique monétaire suivie. Toute inquiétude sur ce dernier point ne
pourrait que contribuer à majorer nos taux d'une prime de risque. Quant au « socle » de taux européen, avec
la baisse amorcée en Allemagne, qui s'est déjà traduite par une détente des taux en France, on peut espérer
que la situation va se normaliser.
Question: L'indépendance de la Banque de France est généralement considérée comme un moyen d'accroître
la crédibilité du franc. Concrètement, quels effets peut-on en espérer? Des taux d'intérêt plus bas pour
l'économie française?
Réponse: Comme je viens de le dire, c'est la constance de la politique monétaire et la qualité du « policymix » qui sont à la base de la stabilité du franc. Le fait d'octroyer l'indépendance à la Banque de France ne
pourra, à mon sens, que renforcer cette crédibilité en conférant une sorte de continuité institutionnelle à la
politique de stabilité du franc.
Question: Ne serait-il pas également souhaitable de préciser un peu mieux les règles du jeu pour la
coopération économique et monétaire franco-allemande? Peut-on envisager de rendre cette coopération plus
visible, plus officielle, et donc plus contraignante de part et d'autre?
Réponse: Cette coopération est très intense. Nous l'avons montré à plusieurs reprises. Mon sentiment, c'est
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qu'après la ratification du traité de Maastricht il faudra hâter la marche vers la réalisation de la phase 3
conduisant à la fusion des parités des monnaies.
Question: Le SME a fait l'objet de nombreuses critiques. Est-il amendable, ou la seule solution consiste-telle à accélérer le processus d'union monétaire européenne?
Réponse: Le SME a bien fonctionné. Il a été depuis 1979 une source de stabilité contre l'inflation, et a
considérablement contribué à la lutte contre l'inflation du fait des disciplines qu'il comporte.
Le SME a bien résisté à la crise des derniers mois, puisque tous les pays qui avaient participé depuis
l'origine à la marge étroite de fluctuation du SME sont demeurés dans le système, et ont la ferme intention
de continuer à y adhérer.
La France et l'Allemagne ont montré leur détermination absolue à faire fonctionner ce mécanisme essentiel
de stabilité et de convergence.
La France a bénéficié de l'ancrage allemand lorsque celui-ci jouait un rôle exemplaire dans la lutte contre
l'inflation. Grâce à ses excellentes performances (nous faisons actuellement autour de 2 % d'inflation alors
que l'Allemagne en est à 4,4 %), elle est désormais bien placée pour participer à un ancrage collectif du
SME. Le franc y tiendra la place à laquelle la qualité de ses données fondamentales lui permet de prétendre.
Question: Quelles leçons tirez-vous de l'expérience des devises qui ont quitté le SME - la livre, la lire et les
monnaies scandinaves qui y étaient rattachées? Les Britanniques ont aujourd'hui les taux d'intérêt les plus
bas d'Europe: n'est-ce pas la preuve qu'ils ont eu raison de reprendre leur indépendance?
Réponse: J'observe que la stratégie de flottement prônée par certains au nom de la lutte contre le chômage
donne de moins bons résultats en matière d'emploi que la stratégie française de désinflation compétitive.
Après six mois de dépréciation prononcée de leurs taux de change, les pays européens qui ont décroché du
SME et baissé leurs taux courts connaissent une forte progression de leur chômage (130000 chômeurs de
plus au Royaume-Uni au quatrième trimestre 1992, soit deux fois plus qu'en France sur la même période).
La croissance de ces pays est faible ou nulle, et leurs soldes de paiements courants se dégradent. Ceux qui
considèrent que nous pourrions tirer quelque avantage à dévaluer se trompent donc gravement. Le
décrochage du franc aurait rendu plus coûteuses nos importations. Il aurait entraîné l'augmentation des coûts
de fabrication et, par conséquent, des prix de vente des produits fabriqués en France. Loin de gagner des
parts de marché, et donc de la production, nous en aurions perdu.
Quand une monnaie est compétitive, la dévaluation n'a pas de sens. Elle ne fait que relancer l'inflation. Il
serait tragique de faire retomber notre pays dans une spirale inflationniste qui a tant affaibli notre économie,
notre croissance et notre crédibilité pendant des décennies.
Nous savons trop ce que donnent les relances isolées dans un monde ouvert, lorsqu'elles se produisent à
contre-courant de la conjoncture mondiale. En fait de relance, c'est celle des importations et de l'inflation qui
se produirait. Nous retomberions très vite dans le cycle bien connu du « stop and go ».
Question: On dit parfois que c'est la rigueur de la politique monétaire qui crée le marasme économique en
France. Qu’en pensez-vous?
Réponse: Cette assertion est fausse. Il y a aujourd'hui, et les chiffres de 1992 le montrent incontestablement,
deux moteurs de la croissance française, même si celle-ci est inférieure à ce que nous souhaitons tous: c'est
la consommation et les exportations. Or ces deux moteurs ont été stimulés par la politique de stabilité
monétaire.
En ce qui concerne la consommation, nos très bons résultats en matière de décélération des prix (+ 2 % en
1992, alors qu’on avait estimé en début d'année que l'inflation serait de 2,8 % et que les salaires avaient été
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déterminés en conséquence) ont entraîné un accroissement de pouvoir d'achat de l'ordre de 30 milliards de
francs. Quant à l'extérieur, c'est aussi la stabilité monétaire et la bonne compétitivité de l'économie qui ont
permis nos résultats à l’exportation.
Si la politique monétaire n'avait pas permis à ces deux moteurs de tourner comme ils l'ont fait, au lieu
d'avoir 2 % de croissance en 1992, nous aurions eu un chiffre proche de la moyenne européenne - environ 1
% -, et l'accroissement de notre chômage, au lieu d'être limité à 5 %, aurait sans aucun doute avoisiné les
progressions enregistrées au Royaume-Uni et en Allemagne (de 15 % à 17 %).
Loin d'avoir été un élément de récession, la politique de stabilité monétaire a été un facteur de soutien de la
conjoncture.
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