L`instabilité des comportements électoraux

Transcription

L`instabilité des comportements électoraux
ENSEIGNEMENT DE SPECIALITE
Sciences sociales et politiques
Il est demandé au candidat de répondre à la question posée par le sujet :
- en construisant une argumentation ;
- en exploitant le ou les documents du dossier ;
- en faisant appel à ses connaissances personnelles.
II sera tenu compte, dans la notation, de la clarté de l'expression et du soin apporté à la présentation.
Ce sujet comporte deux documents.
THÈME DU PROGRAMME
La participation politique
SUJET
Comment peut-on expliquer l’instabilité des comportements électoraux ?
Document 1 –
C'est la mobilité entre abstention et vote qui apparait la plus significative. (...) Le deuxième type de volatilité la plus courante
est celle interne à un camp (gauche ou droite). On reste dans sa « famille » politique mais on s'y déplace. (...) La mobilité «
transgressive » (passer de gauche à droite, ou inversement) est marginale. Elle concerne moins de 10 % des électeurs (...). La
barrière gauche / droite demeure relativement imperméable. Le profil de ces électeurs transgressifs est très variable : on trouve à
peu près une moitié d'électeurs informés et politisés ([plutôt] conformes à la figure de l'électeur stratège), [l'autre] présentant des
caractéristiques opposées : faibles intérêt et compétence pour la politique. La volatilité électorale peut s'expliquer par un
affaiblissement du clivage gauche / droite en termes d'offre [qui] a pu provoquer une perte de repères chez des électeurs peu
insérés dans la société, se sentant plus incompétents et décodant mal les jeux et enjeux politiques. (...) Ces comportements «
flottants » traduisent beaucoup plus une difficulté à se repérer dans l'univers politique qu'ils ne manifestent la naissance d'un
« nouvel électeur » au comportement rationnel.
(Source : Leçons d'introduction à la science politique, LEFEBVRE Rémi, 2010).
Document 2 – Les trajectoires de vote à la présidentielle et aux législatives de 2007 selon la PCS (en %)
Stables de
(l)
gauche
Stables de
(2)
droite
Mobiles entre
gauche et droite
Ensemble du
(3)
panel
Indépendants
13
16
8
11
Cadres supérieurs,
professions libérales
12
10
5
8
Enseignants
4
2
3
3
Professions
intermédiaires
19
18
11
18
Employés
22
20
28
24
Ouvriers
20
19
34
24
Étudiants
7
6
6
7
Inactifs
3
10
6
6
100
100
100
100
Total
(4)
(Source : CEVIPOF, 2007).
(1)
II s'agit des électeurs qui ont voté Ségolène Royal au second tour de l'élection présidentielle de mai 2007 et pour
le parti socialiste au premier tour des élections législatives en juin 2007.
(2)
Il s'agit des électeurs qui ont voté Nicolas Sarkozy au second tour de l'élection présidentielle de mai 2007 et pour
l'Union pour un mouvement populaire au premier tour des élections législatives en juin 2007.
(3)
Un panel est un groupe de personnes interrogées régulièrement dans le cadre d'une enquête. Ici, il est constitué
de 1846 personnes, 24% d'entre elles appartenaient à la catégorie « ouvriers ».
(4)
Compte tenu des arrondis, le total n'est pas toujours égal à 100.
1 – Analyse du sujet : Comment peut-on expliquer l’instabilité des comportements électoraux ?



Expliquer = Donner les raisons…
Instabilité des comportements électoraux = Volatilité qui peut correspondre pour un électeur à l’alternance entre le vote ou
l’abstention, au changement de choix à l’intérieur de la gauche ou de la droite et au vote transgressif qui voit l’électeur
passer de la gauche vers la droite ou inversement.
Champ spatial et temporel = Les sociétés démocratiques contemporaines
2 – Réponse à la question posée :
Introduction :
Amorce = Jusque dans les années 60-70, dans les démocraties occidentales, les choix électoraux étaient plutôt caractérisés
par leur stabilité. Il y avait, d’après le modèle de l’école de Columbia, l’influence de variables lourdes telles que le sexe, l’âge, la
CSP, la religion…Depuis en France, il se manifeste une crise de la participation électorale et un déclin apparent du vote de classe.
Au XXI° siècle, on dénonce de plus en plus une « démocratie de l’abstention » et une hausse de la volatilité électorale
Problématique = Quelles sont les raisons qui poussent les électeurs à voter de façon occasionnelle ? Quelles sont les raisons
qui incitent les citoyens à déplacer leur vote vers des partis alternatifs ? Quelles sont celles qui les amènent à franchir le clivage
droite-gauche ?
Annonce du plan = Nous expliquerons l’instabilité des comportements électoraux d’une part par des facteurs sociologiques et
d’autre part, par des facteurs politiques.
1 – Les comportements électoraux sont mobiles pour des raisons sociologiques :
A – Des causes socio-culturelles ?
Les jeunes semblent particulièrement concernés par la volatilité électorale. Sur 100 étudiants, seul 7% sont des stables de
gauche, ce qui revient à dire que 7 étudiants sur 100 ont voté S. Royal au second tour de l’élection présidentielle de 2007, mais
également pour le PS au 1° tour des élections législatives (Doc 2). Comment peut-on expliquer ce comportement juvénile ? La
socialisation à culture civique serait-elle moins intense avec l’individualisation de la famille ? N’est-ce pas plutôt le retard et les
difficultés d’intégration dans la vie active qui expliquerait cette instabilité ? Quand ils ne savent pas pour qui voter, soit les jeunes
s’abstiennent, soit ils ne s’inscrivent pas sur les listes électorales, ou alors, ils choisissent un vote contestataire (donc variable
d’une élection à l’autre).
Les plus mobiles appartiennent aussi aux milieux populaires. 34% des ouvriers et 28% des employés sont des électeurs
mobiles entre gauche et droite, alors que c’est seulement le cas pour 5% des cadres supérieurs et 3% pour les enseignants (Doc
2). L’électeur volatile n’est pas un électeur rationnel, mais plus un électeur qui est moins intégré dans la société et/ou ne décodant
pas assez les enjeux politiques. D’autre part, certains d’entre eux ayant bénéficié d’une faible culture civique n’ont pas d’intérêt ou
estiment ne pas avoir de compétences pour se positionner sur l’axe gauche – droite. (Doc1). Selon P. Lazarsfeld, ce sont les
caractéristiques sociales qui déterminent les préférences politiques. Ainsi, les citoyens des milieux populaires vont avoir tendance à
« l’auto-déshabilitation », masquant un sentiment d’indignité, alors même qu’ils ont leur mot à dire quand on les interroge. Le
volume de capital culturel serait déterminant pour expliquer l’instabilité éléctorale.
B – Des raisons stratégiques ?
L’électeur informé et /ou politisé serait un électeur stratège. Il voterait en fonction des informations données dans les
programmes des candidats. Il ferait un choix rationnel, en fonction de l’offre sur le « marché des candidats ». Ces « nouveaux
électeurs » tendent à choisir les candidats selon leur position par rapport à des enjeux politiques (chômage, immigration…)
auxquels ils accordent de l’importance. Les politistes parlent de « vote sur enjeux ». Cela ne concernerait que 5% des électeurs
transgressifs qui passent de gauche à droite ou inversement (Doc 1). Cela peut aussi concerner les électeurs qui restent dans leur
famille politique mais qui préfèrent passer d’un parti à un autre (Du PS aux Verts, par exemple).
D’autre part, sur un modèle de « récompense-punition », le vote apparait aussi comme le produit d’une appréciation portée sur
les performances du gouvernement sortant. Choix auquel ni la personnalité des challengers, ni les programmes présentés par les
candidats en lice, ne changent rien. Il s’agit alors d’un « vote rétrospectif ». Une façon de punir le candidat sortant est de se réfugier
dans l’abstention. Or, souvent ceux qui se réfugient dans l’abstention ne sont pas des stratèges mais des personnes ayant peu de
compétence politique et déçu par la politique menée (Doc 1).
2 – Les comportements électoraux sont mobiles pour des raisons politiques :
A – Un affaiblissement du clivage gauche- droite ?
Le clivage gauche–droite serait-il moins pertinent en termes d’offre politique ? Cet affaiblissement supposé déstabiliserait
certains électeurs qui auraient perdu leurs repères. Lors des dernières élections présidentielles de 2012, plus d’ouvriers ont voté à
l’extrême droite que lors des élections de 2005. De même, certains indépendants votant plus facilement à droite, ont finalement
choisi la gauche, par mécontentement, mais aussi du fait de la proximité des programmes des candidats. Pourtant, au deuxième
tour, ils rejoignent leur camp politique (Doc 1). Dans ce cas, ils ont voulu signifier leur méfiance vis-à-vis de l’offre politique, les
partis au pouvoir apparaissant usés (vote protestataire).
De même, la perte d’emprise de l’ensemble des partis politiques favorise la volatilité électorale. C’est d’ailleurs ce que mesure
l’indice de volatilité électorale. Il deviendrait donc difficile de prévoir les tendances politiques et les choix électoraux des citoyens les
plus instables. On constate ainsi la montée de l’abstention intermittente qui est surtout le fait des électeurs les plus éclairés.
B – Une influence des média ?
Les citoyens ont davantage accès à l’information, par les réseaux sociaux, internet et la télévision. Ils ont plus de données sur
les candidats et peuvent se laisser influencer par l’opinion publique. De ce fait les comportements électoraux sont plus changeants
en fonction des informations trouvées par chacun et en fonction de la pertinence des campagnes électorales. Cependant, P.
Lazarsfeld nous explique qu’il n’y a pas d’influence directe des messages médiatiques sur l’ensemble de la population, même si
ceux-ci peuvent déterminer l’agenda politique et influencer l’électeur sur la façon de voir les choses (effet de cadrage).
Enfin, les campagnes électorales seraient devenues plus intenses. Lors d’une étude des sociologues de Columbia, 8% des
électeurs avaient finalement changé d’opinion à l’issue de la campagne électorale à travers les medias. Une part suffisante pour
faire basculer un scrutin d’un côté ou de l’autre.
Conclusion :
Rappel de la démonstration = L’influence de variables lourdes est principale mais elle ne suffit plus pour expliquer les
comportements électoraux. La société devenant plus individualiste et plus éduquée pourrait favoriser la montée de la volatilité
électorale dans les démocraties représentatives mais ces éléments ne remettront pas en cause le poids de la socialisation
politique.
Ouverture = La demande de la population pour plus de démocratie participative est aussi une autre façon de remettre en cause
la représentativité des élections et des élus.