Piste d`activités autour de l`analyse de l`image
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Piste d`activités autour de l`analyse de l`image
Piste d’activités autour de l’analyse de l’image L’image R. Capa. Guerre d’Espagne, camp républicain, 5 septembre 1936. © Magnum/Photos Un homme armé est arrêté net dans sa progression. Prêt à lâcher son fusil, il va tomber en arrière, les bras en croix. L’ombre portée permet de situer la prise du cliché en fin d’après-midi. L’homme est photographié seul, en pied, en légère contre-plongée, ce qui indique la proximité du photographe. Cette image est rapidement devenue mythique, l’image même donnée par la presse de l’époque de la guerre d’Espagne. Tout à la fois symbole d’un double héroïsme, celui du soldat républicain mourant au combat comme celui du reporter engagé risquant sa vie, et d’une double allégorie, celle de la lutte ardente du peuple espagnol contre le fascisme et celle de l’imminente chute de la République. La publication La photographie est publiée pour la première fois le 23 septembre 1936 dans un numéro spécial du magazine Vu consacré à la guerre d’Espagne. Lucien Vogel, créateur et directeur de Vu depuis 1928, sera d’ailleurs licencié en raison de l’orientation du journal, favorable à la cause des républicains. L’image y apparaît sur une double page, accompagnée d’un texte, mais sans indication sur les circonstances de la prise de vue. Elle se trouve au-dessus d’un autre cliché de Robert Capa représentant un républicain gisant au sol, avec pour même sous-titre « Comment ils sont tombés ». Elle sera également publiée plus tard dans Regards, à la une de Paris-Soir, le 28 juin 1937, puis, le 12 juillet 1937 dans le magazine Life avec une légende différente : « Un républicain espagnol fauché d’une balle en pleine tête sur le front de Córdoba ». Deux journalistes anglais, dans les années soixante-dix, ont mis en doute l’authenticité de ces clichés, soupçonnant Robert Capa d’avoir procédé à une mise en scène ou à un montage à des fins de propagande. La controverse subsiste, le négatif de cette image ayant été perdu, de même que le tirage original. Il semble néanmoins que le combattant ait été identifié comme Federico Borell Garcia, milicien de vingt-quatre ans, né à Alcoy, près d’Alicante, mort sur le front d’Andalousie lors d’une attaque près du village de Cerro Muriano à une douzaine de kilomètres de Cordoue, le 5 septembre 1936. Le photographe Robert Capa est le pseudonyme d’André Friedman, juif hongrois, né en 1913, originaire d’un milieu aisé. Il quitte Berlin, où il était étudiant, en 1933 pour fuir le nazisme et s’installe à Paris. Reporter free-lance, il collabore à plusieurs magazines français et étrangers, participe à l’agence Alliance Photo avec notamment René Zuber, Pierre Boucher, Pierre Verger. Avec sa compagne, la photographe Gerda Taro qui décédera en 1937, il photographie la guerre civile d’Espagne pour Alliance Photo, les magazines Vu et Regards. Il réalisera de grands reportages sur l’invasion japonaise en Chine en 1938, le tour de France en 1939, sur la seconde guerre mondiale de 1941 à 1945, en 1943 à Naples... Ayant émigré en 1939 aux États-Unis, il sera correspondant de guerre pour les magazines Life et Collier’s à New York, pour l’armée américaine en Europe. En 1947, il fondera, avec Henri Cartier-Bresson, David Seymour et George Rodger, l’agence coopérative Magnum, dont il sera président. Les créateurs de Magnum veulent une agence indépendante, forte, fondée sur une éthique du métier de photoreporter, sur une véritable tradition de photographie humaniste et engagée. Ils veulent en effet pouvoir imposer leurs sujets de reportage, leurs images aux journaux et conserver des droits sur leurs œuvres en demeurant propriétaires des négatifs. Cette conception novatrice a donné aux photographes une grande liberté dans le choix et le traitement des reportages, favorisant leur expression personnelle sur tout phénomène de société. Robert Capa mourra victime de l’explosion d’une mine, lors d’un reportage en Indochine, en 1954. Analyse L’image comporte peu de données descriptives et narratives : le document mise sur une esthétique du dépouillement. Le décor reste flou, non caractérisé ; la scène, isolée de sa légende, atteint une sorte d’universalité ou d’intemporalité (en dehors du fusil ou de l’uniforme). Deux effets majeurs : l’effet de flou et l’effet de pathos L’effet de flou Il peut renvoyer aux conditions de la prise de vue, à l’histoire vivante en train de se faire, prise sur le vif, faire référence au métier de reporter. Le flou devient rapidement la signature esthétique du photojournalisme, comme si la valeur émotionnelle, celle de l’événement vécu, prévalait sur la valeur esthétique. Ce parti pris anti-esthétique correspond à une éthique nouvelle de la profession. À pratique nouvelle, esthétique et éthique nouvelles. Le flou, l’estompage des formes dans le lointain (très différent du traitement qu’en a fait le pictorialisme) peut aussi permettre une manipulation de l’image : le photographe crée ainsi un « non-événement ». L’effet de pathos L’effet est créé par le spectacle de la mort en direct, dramatisé par l’effet de temps suspendu : la silhouette vacillante n’est pas encore tombée à terre. Le personnage anonyme est grandi au niveau d’un héros de la cause républicaine : cette dimension de martyr est soulignée par la légende de l’image (réappropriation de l’œuvre du reporter par un rédacteur). Les intentions du reporter et/ou du rédacteur sont nettes : le reporter est un artiste engagé qui défend une cause. Implicitement, c’est une démonstration par l’exemple de l’exploit du reporter qui va au front et prend les mêmes risques que le soldat ou, ici, le militant républicain. Cette exaltation implicite du grand reporter crée aussi un mythe. Nous vérifions ici qu’une œuvre d’art nous apprend des choses sur de multiples aspects : - sur le traitement de l’information (il faut alors penser à s’interroger sur les conditions de publication du document) ; - sur la photographie en général, autant que sur le sujet traité : cette photographie nous parle de la photographie de reportage autant que de la guerre civile espagnole. C’est un des enseignements majeurs de l’histoire des formes artistiques ; cela doit aussi devenir un des questionnements possibles du commentateur. Propositions d’activités Effectuer des recherches sur l’histoire de cette photographie mythique. L’enquête portera sur cet aspect majeur des productions artistiques : d’une part, les circonstances et conditions matérielles de la prise de vue, d’autre part, les conditions de la publication et les exploitations ultérieures (éditions, expositions), les discours et commentaires auxquels le cliché a donné lieu. Cette enquête, très ciblée, requiert une grande maîtrise de la recherche documentaire. Resituer cette photographie emblématique d’une œuvre dans le parcours personnel et les pratiques de Robert Capa. Étudier en quoi, dans les années trente et quarante, la conception du photoreportage par des photographes tels que Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, André Kertész, Brassaï ou Willy Ronis est novatrice. Analyser les raisons de l’émergence d’un type nouveau de reportage de guerre au moment de la guerre d’Espagne. Gérard Le Cadet, enseignant en option histoire des arts, lycée Pablo-Picasso, Fontenay-sous-Bois (Valde-Marne). www.cndp.fr