Tarafoul Haidoucilor ou Taraf de Haïdouks. Etude diachronique d

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Tarafoul Haidoucilor ou Taraf de Haïdouks. Etude diachronique d
1
Dossier thématique
Titre : « Taraful Haiducilor ou Taraf de Haïdouks »
Sous-titre : « Etude diachronique d’une situation de communication interculturelle »
Auteurs :
Milanovic Dejana
Potterie Jean-Marc
Cours OIP 505 A « Sémiotique de la culture et communication interculturelle »
INALCO – CFI/OIPP
2005 - 2006
2
1) Présentation générale de l’étude
1. Objectifs :
Analyse d’une situation interculturelle dans le monde de la musique traditionnelle.
A partir d’une observation diachronique d’un groupe de musique traditionnelle de Roumanie, que peut-on déduire des
interrelations entre le monde du spectacle de producteurs belges et le monde des musiciens d’un petit village de
Valachie ?
3
2. Contenu :
Les participants à ce projet (Dejana Milanovic, Jean-Marc Potterie) avaient tous deux connaissance du groupe et de sa
musique avant cette étude. Dans des contextes différents (Serbie pour l’une, France pour l’autre) et à des époques
différentes, ils avaient assisté à certains de leurs concerts. C’est au départ une histoire de passion commune qui a initié
cette étude. Revenir sur l’ensemble de la carrière de ces « honorables bandits » a donc été avant tout un plaisir.
L’étude a essentiellement été réalisé à partir des documents existants sur le groupe : les disques bien sûr, mais aussi les
sites Internet qui évoquent le groupe, le film de Tony Gatliff « Latcho Drom » où une séquence est réservée au Taraf, sans
oublier le très réussi DVD « The continuing adventures of Taraf de Haïdouks » dont la sortie a miraculeusement coïncidé
avec le début de cette étude.
D’autres documents existent, nous n’avons malheureusement pas pu les consulter : on peut citer entre autres le
documentaire réalisé par Guy Demoy pour ARTE intitulé « Le Taraf de Haïdouks »
A partir des documents en notre possession, nous avons donc essayer de définir quel était le monde de vie de ces
musiciens avant et après leur rencontre avec les producteurs belges Stéphane Karo et Michel Winter qui ont contribué à
leur succès.
Notre étude comprendra deux parties principales qui correspondent à cet avant et cet après.
Des éléments observés, nous essaierons ensuite de déduire les constantes et les variantes de ce qui constitue l’univers
singulier du groupe.
3) Remarques personnelles
Lors de cette étude, nous avons eu la chance de voir une nouvelle fois le Taraf de Haïdouks en concert
(Paris/Bataclan/janvier 2006). Nous espérions pouvoir nous entretenir avec eux et ainsi mieux cerner ce qui faisait défaut à
notre étude. Ceci n’a pas été possible, nous nous en tiendrons donc à ce que nous avons pu observer de la salle.
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SOMMAIRE
1. Présentation générale de l’étude --------------------------------------------------------------------- 2
2. Principaux résultats de l’étude ------------------------------------------------------------------------ 5
3. Veille d’information sur Internet ---------------------------------------------------------------------- 6
4. Principales références discographiques ---------------------------------------------------------- 14
5. Références bibliographiques commentées ------------------------------------------------------- 18
6. Présentation de la problématique ------------------------------------------------------------------- 21
6.1 Introduction -----------------------------------------------------------------------------------------------6.2 Les Lǎutari de Clejani ----------------------------------------------------------------------------------6.3 Décembre 1989 Chute du régime de Ceausescu ----------------------------------------------6.4 Le Taraf de Haïdouk ------------------------------------------------------------------------------------6.5 Conclusion -------------------------------------------------------------------------------------------------
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24
27
28
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7. Intérêts pour l’interculturalité et rapports avec la globalisation -------------------------- 33
8. Glossaire ----------------------------------------------------------------------------------------------------- 36
9. Les auteurs du rapport -----------------------------------------------------------------------------------37
5
2) Principaux résultats de l’étude
Grâce au disque « Musique des tziganes de Valachie » où participaient certains des futurs membres du Taraf
de Haïdouks, et grâce au livret très bien documenté de disque, nous avons pu avoir une idée de l’univers de
ces musiciens avant la constitution du groupe en tant que tel. Les déductions que l’on peut tirer de l’avant et
de l’après Taraf de Haïdouks sont les suivantes :
La première chose c’est le nombre de participants dans le Taraf. Le nombre d’individus pour un Taraf
« courant » est de cinq ou six musiciens. Le Taraf de Haïdouks avec ses dix musiciens au départ, voire plus à
certains moments est donc assez exceptionnel. En fait, lors des concerts ce Taraf se subdivise. Il est
vraiment rare que tous les musiciens jouent ensemble.
La deuxième, c’est un répertoire qui au fil du temps se destine plus vers la musique à danser que les chants
épiques qui ont fait la réputation de ces musiciens. Mais rien n’est moins sûr que ce phénomène soit dû à
l’entrée du groupe dans le monde de la commercialisation de leur art.
En fait, on remarque peu de changement entre l’avant et l’après. Si ce n’est un changement d’auditoire et la
mise en scène qui suit les règles des concerts de variété occidentaux.
Sinon il apparaîtrait que la musique jouée par le Taraf de Haïdouk a subi moins de transformation que n’en
subissent les autres musiques roumaines. Pour certains des musiciens, le succès qu’ils ont eu grâce à
l’arrivée des producteurs belges serait même un garant de la tradition.
Mis à part les tournées internationales et un niveau de vie plus conséquent, les musiciens continuent à vivre
comme ils le faisaient avant : dans leur petit village de Clejani. L’apprentissage de la musique se transmet
toujours de façon orale dans la famille, si ce n’est une place plus importante de la mère qui remplace le père
absent à cause des tournées. Les musiciens continuent aussi à animer les mariages et autres cérémonies
comme ils le faisaient avant.
Ce que l’on peut noter, c’est une volonté d’ouverture avec des participations de musiciens originaires des
environs du village, puis des musiciens originaires de pays voisins.
Les membres du Taraf de Haïdouk ont donc globalement réussi à garder leur identité, tout en ayant une
faculté d’adaptation impressionnante aux éléments qui constituaient leur nouvel univers professionnel. Pour
l’anecdote, on pourrait dire que les plus grands bouleversements ont été vécus par les producteurs belges.
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3) Veille d’information sur Internet
Numéro
1
Nom du site
Divano Production
Adresse du site
http://www.divanoprod.com/ViewPage.aspx
Description/synthèse
Cette maison de production a pour objectif de promouvoir la musique traditionnelle
du monde et à travers le monde. Son aventure a commencé en 1989 avec le Taraf de
Haïdouks. Elle produit aujourd’hui des musiciens d’horizons différents : Roumains,
Macédoniens, Kurdes, Azerbaïdjanais, Touaregs du Mali.
Commentaire
Site assez sommaire de présentation du groupe et des autres groupes produits,
particulièrement destiné à la presse. On y trouve notamment une revue de presse,
des photos, une vidéo, ainsi qu’une discographie du groupe.
7
Numéro
2
Nom du site
Cramworld
Adresse du site
http://www.crammed.be/craworld/
Description/synthèse
Site du label belge qui distribue les productions du Taraf de Haïdouks depuis ses
débuts. Label qui, dès 1981 (chose rare à l’époque), décide de s’ouvrir à
l’éclectisme. Le label est reconnu pour son catalogue où se mêlent et se mixent des
cultures musicales hétérogènes. Pour plus de renseignements sur les motivations
du label, lire aussi l’interview que Marc Hollander, un des fondateurs, a donné à RFI
à l’occasion de la sortie d’une double compilation relatant 22 ans du label :
http://www.rfimusique.com/musiquefr/articles/060/article_14712.asp
Commentaire
On peut trouver sur ce site des articles diverses sur le Taraf de Haïdouks, dont celui
du magazine Civilization (avril 1999) qui aide à comprendre le début de la complicité
du Taraf avec ses producteurs belges.
8
Numéro
3
Nom du site
Mondomix
Adresse du site
http://www.mondomix.com/fr/itws.php?artist_id=146&reportage_id=2020
Description/synthèse
Sans doute un des sites les plus complet sur la world music. Trois rédactions de ce
site sont en corrélation : française, anglaise et depuis peu espagnole. On peut y
trouver tout ce que l’on souhaite sur l’activité de la world music : les nouveautés
discographiques, les concerts, des chroniques, des reportages filmés ou sonores,
etc. On peut aussi écouter des émissions de radios françaises, britanniques ou
encore de San Francisco qui traitent des musiques du monde. Mondomix organise
également des concerts avec TV5 que l’on peut visionner sur le site.
Commentaire
Une page du site a été élaborée en mars 2000 à la suite de concerts parisiens du
groupe. On peut y écouter de courtes interviews des musiciens Marius Manole et
Ioniça Manole. Ce dernier évoque entre autres les différences entre les prestations
avec le Taraf de Haïdouks et les prestations pour les fêtes en Roumanie.
9
Numéro
4
Nom du site
Arcomonde
Adresse du site
http://www.arcomonde.org/site/travel.php?Serv=arcomonde&ServReq=qui
Description/synthèse
Gabrielle, étudiante en Histoire de la musique et Culture au Conservatoire de Paris,
a créé en 2004 l’association Arcomonde (Arts et Artistes Coopérant autour du
Monde). Cette association « regroupe des étudiants, des artistes et professionnels
de divers horizons, désireux de communiquer autour des questions des échanges
interculturels plus spécifiquement orientés vers la musique. » L’intérêt principal du
site est le carnet de bord que Gabrielle a fait lors d’un voyage autour du monde.
Deux interviews réalisées lors du voyage de cette étudiante attirent plus
particulièrement notre attention pour le sujet qui nous intéresse.
La première est celle d’Héloïse, une ethnomusicologue qui prépare une thèse sur
les musiciens tsiganes des Balkans : de son témoignage, on peut se faire une
vision plus claire de la fonction du musicien lors des fêtes locales ; mais aussi des
musiciens tsiganes que l’on peut rencontrer dans le métro parisien.
La seconde est celle de l’ethnomusicologue Speranta Radulescu, qui a travaillé
avec des membres du Taraf de Haïdouks avant que le groupe n’existe en tant que
tel. Son témoignage sur la difficulté de définir la musique tsigane est
particulièrement éloquent.
Commentaire
10
Numéro
5
Nom du site
Etudes tsiganes
Adresse du site
http://www.etudestsiganes.asso.fr/musiques/chroniques.html#adventures
Description/synthèse
Depuis 1955 la revue Etudes tsiganes traitent de tous les aspects du monde
tsigane. Elle participe d’ailleurs à la gestion d’un centre de ressource qui, entre
autres, « rend compte de la vie nationale et internationale des Tsiganes grâce à son
fonds spécialisé (livres, revues, documents sonores, vidéos) ». Le site nous permet
une première ouverture sur ce patrimoine mais aussi de suivre l’essentiel de
l’actualité culturelle tsigane.
Commentaire
Au lien ci-dessus, on peut trouver une chronique concernant la sortie du DVD « The
continuing adventures of Taraf de Haïdouks »
Numéro
6
Nom du site
grovemusic.com
Adresse du site
http://www.grovemusic.com/shared/views/article;html?section=music.23736.3
Description/synthèse
Site de l’encyclopédie musicale qui fait référence auprès des musicologues et
ethnomusicologues. Attention accès réservé aux abonnés. Disponible à la BNF
Commentaire
On y trouve notamment un article de Speranţa Rǎdulescu sur la musique
traditionnelle de Roumanie et un sur la musique traditionnelle tsigane de Roumanie.
11
Numéro
7
Nom du site
grovemusic.com
Adresse du site
http://www.grovemusic.com/shared/views/article;html?section=music.41427.3
Description/synthèse
Site de l’encyclopédie musicale qui fait référence auprès des musicologues et
ethnomusicologues. Attention accès réservé aux abonnés. Disponible à la BNF
Commentaire
« La musique tsigane : Adaptation et conservation » article de I.K. Wilkinson
Numéro
8
Nom du site
wikipédia
Adresse du site
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tsiganes
Description/synthèse
L’encyclopédie libre désormais célèbre offre à cette adresse une synthèse des
principaux événements historiques qui ont touchés les peuples Rom. Mais aussi de
nombreux liens, des conseils de lecture, de films, etc.
Commentaire
Site intéressant pour se faire une idée générale de l’histoire des peuples tsiganes
avec, on ne s’en plaindra pas, une iconographie réussie.
12
13
Autres liens Internet ayant un rapport avec le sujet traité
http://www.telegraph.co.uk/arts/main.jhtml?xml=/arts/2002/05/18/bmgyps18.xml
Article du journaliste Peter Culshaw du 18/05/02 pour le journal britannique Telegraph.
Le journaliste a suivi le groupe lors d’une tournée et relate son expérience. De son témoignage, on peut voir
combien les musiciens restent fidèles à eux-mêmes malgré la notoriété.
http://www.passiondiscs.co.uk/e_pages/romanian_e/ethcd004.htm
Sur ce site de vente de CD en ligne, on peut découvrir deux albums (introuvables en France) qui présentent
des enregistrements de quelques musiciens du groupe avant l’ère Taraf de Haïdouks :
« Les « Haïdouks » d’autrefois, Outlaws of Yore » Vol 1&2. Aussi sur ce site, un article de Speranţa Rădulescu
à l’occasion des obsèques du violoniste Nicolae Neacşu.
http://encyclopedia.thefreedictionary.com/Taraf+de+Haidouks
Cette encyclopédie libre offre une sobre présentation du groupe avec toutefois des références
bibliographiques intéressantes comme le livre de l’ethnomusicologue roumaine Speranţa Rădulescu qui n’est
malheureusement pas consultable en France.
http://spectacles.telerama.fr/edito.asp?art_airs=WEB1000696&vrub=6&vpage=a_la_une&srub=1#
A l’occasion du festival « l’été gitan » qui s’est tenu au cabaret sauvage à Paris en juillet 2004, le magazine
Télérama revient sur les moments forts du festival. On peut consulter deux petits vidéo reportages du
manager du groupe Michel Winter et de l’accordéoniste Ioniça. Ce dernier y évoque entre autres la survie de
leur répertoire grâce à l’engouement de l’occident pour leur musique.
14
http://www.geocities.com/ckbtonroad/Lautari-Article-P1.html
Sur le site personnel du « journaliste voyageur » Chuck KB Todaro, on peut trouver cet article du Global
Rythms magazine de novembre 2004. Outre quelques anecdotes sur des membres du groupe, on peut y
trouver un résumé de l’histoire des tsiganes et de ses musiciens.
http://www.fondazionecini.it/italiano/04attivita/seminari/etno/etno2003/aubert.html
Texte très intéressant de l’ethnomusicologue suisse Laurent Aubert, issus d’un colloque du Séminaire
international « Etnomusicologia applicata : prospettive e problemi » à Venise en février 2003 : « Les passeurs
de musiques. Flux et reflux d’une éthique musicale transculturelle ». Laurent Aubert aborde ici la complexité
des rapports entre les musiques traditionnelles allogènes et les publics qui les reçoivent.
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4) Principales références discographiques
Année
Auteur(s)
Titre
Informations signalétiques
1988
Le taraf de Clejani
Musique des tsiganes de Valachie
RTSR, AIMP, Ocora Radio France
Description/synthèse
Enregistrements réalisés à l’institut de recherche ethnologiques et
dialectologiques de Bucarest le 8 décembre 1986.
Sous la démarche de l’ethnomusicologue suisse Laurent Aubert et
le conseil scientifique de l’ethnomusicologue roumaine Speranţa
Rǎdulescu, les tous premiers enregistrements de musiciens du
village de Clejani, dont certains d’entre eux deviendront membres
du célèbre Taraf de Haïdouks
Commentaire
Année
Auteur(s)
Titre
Informations signalétiques
1991
Taraf de Haïdouks
Musique des tziganes de Roumanie
Crammed discs
Description/synthèse
Commentaire
Le 1er enregistrement sous le nom de Taraf de Haïdouks
De la rencontre des producteurs belges Stéphane Karo et Michel
Winter, naîtra un groupe de douze musiciens et ce 1er album
composé uniquement de musiques issues du répertoire de ces
musiciens du village de Clejani.
16
Année
Auteur(s)
Titre
Informations signalétiques
1994
Taraf de Haïdouks
Bandits d’honneur, chevaux magiques et mauvais oeil
Crammed disc
Description/synthèse
2ème opus du groupe qui commence à gagner en popularité dans le
monde de la world music
Ce deuxième CD, considéré par beaucoup comme le meilleur album
du groupe, et par certains comme « un des meilleurs disques de
musique tzigane » jamais enregistré, se compose comme une suite
dans le droit chemin du 1er album.
Commentaire
Année
Auteur(s)
Titre
Informations signalétiques
1998
Taraf de Haïdouks
Dumbala Dumba
Crammed disc
Description/synthèse
Commentaire
3ème album
Pour ce 3ème CD, les musiciens de Clejani décident de jouer avec
d’autres musiciens originaires des alentours.
17
Année
Auteur(s)
Titre
Informations signalétiques
2001
Taraf de Haïdouks
Band of Gypsies
Crammed disc
Description/synthèse
Commentaire
3ème album, enregistré en public à Bucarest
Elargissement de l’univers musical pour le groupe avec comme
invités un Brass Band originaire de Macédoine (Koçani Orkestar
Gypsy Brass Band), un percussionniste turc (Tarik Tuysuzoglu) et
un clarinettiste bulgare (Filip Simeonov)
18
Année
Auteur(s)
Titre
Informations signalétiques
2005
Taraf de Haïdouks
The continuing adventures of Taraf de Haïdouks
Crammed disc
Description/synthèse
Commentaire
CD + DVD
Le Cd est un enregistrement en public donné au Live Union Chapel
de Londres en 2002.
Le Dvd comprend 3 documentaires :
« Taraf de Haïdouks live at union chapel » réalisé par Marc Allen
offre de large extraits d’un concert donné au lieu sus nommés
agrémenté d’interview de Johnny Depp, de Gabriel Yared et de
Michel Winter.
« No man is a prophet in his own land » réalisé par Elsa Dahmani,
est un documentaire filmé au moment de l’enregistrement du
concert de Bucarest où l’on découvre de nombreux éléments de
l’histoire du groupe.
« On the road with Taraf », montage d’images enregistrées entre
1990 et 2005 lors de leurs tournées internationales.
En bonus : « The Taraf speak to you… », le taraf interviewé par Marc
Allen, « Latcho Drom » extrait du film de Tony Gatlif où le groupe
représente la musique tsigane de Roumanie.
19
5) Références bibliographiques commentées
Année
Auteur(s)
Titre
Informations signalétiques
Description/synthèse
Commentaire
1996
MARTIN, Denis-Constant
« Who’s afraid of the big bad world music ? Désir de l’autre,
processus hégémoniques et flux transnationaux mis en musique
dans le monde contemporain » in Cahiers de musiques
traditionnelles Vol. 9
Georg, Ateliers d’ethnomusicologie, Genève
Quel crédit l’ethnomusicologie doit-elle accorder à la world music ?
Les musiques traditionnelles ne sont pas un phénomène figé dans
le temps. Toutefois, dans les années 80, la commercialisation de
musiques très diverses étiquetées « musique du monde » ou « world
music » a suscité un scepticisme de la part du monde des
chercheurs en ethnomusicologie. Pour Denis-Constant Martin, il
semble que, au contraire, les ethnomusicologues peuvent, de part
leurs connaissances, aider à comprendre la popularité de ces
musiques dans le monde occidental. Et ceci sans abandonner leurs
domaines de recherche qui restent importants pour comprendre les
phénomènes de transformation musicale.
20
Année
Auteur(s)
Titre
Informations signalétiques
2000
SPERANŢA Rǎdulescu
« Musique de métissage pan balkanique en Roumanie » in Cahiers
de musiques traditionnelles Vol. 13
Georg, Ateliers d’ethnomusicologie, Genève
Description/synthèse
Commentaire
Etude d’un nouveau style musical très populaire en Roumanie
Dans les années 70, une musique qui « semble être le fruit d’une
modernisation un peu déviante et barbare » voit le jour dans le sud
de la Roumanie. Cette musique, considéré comme moderne, a
grandi en notoriété dans les milieux populaires, ceux-ci hésitant
toutefois à la considérer comme leur musique, préférant l’attribuer à
d’autres. « du Banat », « serbe », « turque », « bulgare », « tsigane »
ou encore « orientale », telles sont les dénominations qu’on lui
attribue au grès des transformations qu’elle subit.
Année
Auteur(s)
Titre
1999
MORTAIGNE Véronique
« Musiques modernes, musiques métisses» in Les musiques du
monde en question
Babel, maison des cultures du monde
Informations signalétiques
Description/synthèse
Commentaire
De l’influence des musiques du monde sur les musiques actuelles
Quand on aborde les musiques du monde, la notion d’authenticité
est toujours exposée. Pourtant qui peut définir ce qu’est une
musique authentique ? A l’heure des réseaux de communication de
masse, les musiciens revendiquent le droit aux racines et au
métissage.
21
Année
Auteur(s)
Titre
Informations signalétiques
Description/synthèse
Commentaire
1999
LEFEUVRE, Gildas
« Les musiques du monde et leur public» in Les musiques du
monde en question
Babel, maison des cultures du monde
De la nécessité de définir ce que sont les musiques du monde et par
conséquent mieux comprendre la démarche des publics
Que mettre sous la dénomination « musique du monde » ? Doit-on
prendre l’expression au sens large, au risque d’y inclure tout et
n’importe quoi ? Ou doit-on avoir une vision puriste, au risque
d’exclure tout un pan de l’expression musicale actuelle ? Toujours
est-il que si l’on veut comprendre l’importance de la pratique du
« nomadisme musical », il faut avant toute chose comprendre
l’éclectisme de l’offre.
22
6) Présentation de la problématique
Par quels processus des musiciens originaires d’un petit village de Roumanie deviennent-il des
ambassadeurs de la musique tsigane de leur pays ?
Comment vivent-il les transformations liées à leur nouveau contexte de pratique ?
Quels sont les changements les plus significatifs dans leur pratique professionnelle, mais aussi dans leur vie
en général ?
Est-ce que ça change quelque chose à la façon dont ils se perçoivent et dont ils sont perçus ?
Est-ce que l’essence même de leur art, la musique, s’en trouve modifiée ?
Quelles généralités peut-on tirer de l’exemple du Taraf de Haïdouks quant à l’ouverture des musiques
traditionnelles au monde du show business ?
C’est à ces questions que nous allons essayer de répondre dans cette étude.
23
6.1 INTRODUCTION
L’histoire de ce groupe hors du commun commence dans une région du sud de la Roumanie, à la frontière de
la Bulgarie qui s’appelle la Valachie. Et plus précisément dans petit village (dont sont issus la plupart des
musiciens) du nom de Clejani ; village de 700 âmes situé à une trentaine de kilomètres au sud ouest de
Bucarest dans le département de Giurgiu.
24
C’est au XIVème mais surtout au XVème siècle, alors que des guerres incessantes opposent les Byzantins aux
Turcs, que la Roumanie et une grande partie de l’Europe voient affluer des peuples nomades appelés
Tsiganes. Leurs talents de musiciens et de danseurs sont très prisés. « Ils sont tenus en esclavage en
Roumanie, du XVème au XIXème siècle, pour les empêcher de priver les puissants du divertissement de leur
compagnie. »1
C’est après la révolution de 1848 que les tsiganes furent affranchis et que des terres leur furent allouées à la
périphérie des villages. Les groupes nomades en général, furent contraints de s’installer et d’adopter le mode
de vie de la population locale.
Les musiciens tsiganes commencèrent alors à se professionnaliser et à jouer aux célébrations de mariage,
de fêtes chrétiennes ou tout autre cérémonie que pouvait tenir les communautés roumaines, hongroises et
juives. Irén Kertész Wilkinson fait remarquer que le manque de nation propre, oblige les Tsiganes à une
certaine dépendance vis-à-vis des nations qui les accueillent. Il en résulte une volonté de s’adapter, de
conserver et de transformer les valeurs qu’ils trouvent.2 Ces processus d’adaptation et de transformation se
retrouvent dans leur musique : « Ils absorbent joyeusement les innovations musicales (instruments,
mélodies, styles), tout en conservant en même temps de vieux morceaux issus de la plus ancienne
tradition. »3 Les musiciens de Valachie n’échappent pas à la règle. Leur musique remaniée au cours des
siècles intègre des influences régionales, agrémentées de caractéristiques empruntées aux systèmes
musicaux orientaux et occidentaux. « Mais ce qui est propre aux Lǎutari (voir glossaire) de Valachie, c’est la
manière dont ils ont dû intégrer toutes ces influences pour en dégager une synthèse unique. »4
Le XXème siècle est une nouvelle ère de discrimination pour la communauté tsigane de Roumanie, surtout
sous la dictature de Ceausescu. C’est dans ce contexte que nos musiciens vivent au jour le jour, même s’il
semblerait que les Lǎutaris aient disposé d’un certain crédit de considération.
1
2
3
4
Tsiganes. Wikipédia. Internet. 25/01/06. URL http://fr.wikipedia.org/wiki/Tsiganes
WILKINSON, Irén Kertész. Internet. 15/01/06. URL http://www.grovemusic.com/shared/views/article;html?section=music.41427.3
RǍDULESCU, Speranţa. Internet. 15/01/06. URL http://www.grovemusic.com/shared/views/article;html?section=music.23736.3
AUBERT, Laurent. Musique des Tsiganes de Valachie, les Lǎutari de Clejani. Livret du CD. RTSR, AIMP, Ocora Radio France. 1988
25
6.2 LES LǍUTARIS DE CLEJANI
A la fin des années 80, les musiciens de Clejani ont déjà une bonne réputation aux alentours, voire même à
Bucarest. Le joueur de flûte Ion Falcaru ne raconte-il pas que lorsqu’il a commencé à comprendre que son
talent était reconnu, il avait décidé de rester devant sa maison à boire le café et d’attendre pour se vendre au
plus offrant.5 Cette solide réputation était d’ailleurs déjà d’actualité en 1969, au point qu’un
ethnomusicologue roumain du nom de Clobanu leur avait consacré un livre : « Lǎutarii din Clejani »
(Bucarest 1969).
Les musiciens sont essentiellement des hommes, mais les femmes peuvent toutefois y contribuer : « Ma fille
chantait aussi très bien, mais depuis qu’elle est mariée, elle ne chante plus aux noces. Si elle avait épousé un
Lǎutar, la situation aurait été différente. Mais voilà, elle a épousé Vasilé le chauffeur… »6 Pour participer à un
groupe, il n’y a pas de limite d’âge. Tout musicien peut jouer si la santé physique et mentale lui permet de
jouer. A titre d’exemple, Nicolae Neacşu expliquait que c’est à l’âge de 12 ans qu’il commençât à jouer pour
les mariages.
Ces musiciens virtuoses sont des professionnels. Leur activité est avant tout un moyen de gagner sa vie. Ils
jouent généralement en groupe : « Le Taraf valaque peut-être défini comme un ensemble vocal et
instrumental à géométrie variable selon les circonstances et la demande. »7 Les lieux dans lesquels les
musiciens interviennent sont des bars, des restaurants, des salles de banquet ou encore de grandes tentes
installés pour l’occasion.
Ce sont les principaux animateurs des fêtes villageoises et des cérémonies privées (mariages, baptêmes,
etc..) et ils ont la charge de mener les différentes phases récréatives et rituelles. Héloïse qui prépare une
thèse d’ethnomusicologie en Roumanie8 explique que les musiciens jouent deux catégories de musique, les
5
The Taraf speak to you, DVD « The continuing adventures of Taraf de Haïdouks ». Crammed Disc. 2005
Le Lǎutar Cacuricǎ. Bandits d’honneur, chevaux magiques et mauvais œil. Livret du CD. Crammed Disc. 1994
7
AUBERT, Laurent. Musique des Tsiganes de Valachie, les Lǎutari de Clejani. Livret du CD. RTSR, AIMP, Ocora Radio France. 1988
8
Arcomonde. Internet. 20/01/06. URL. http://www.arcomonde.org/site/travel.php?Serv=arcomonde&ServReq=qui
6
26
musiques à danser et les musiques à écouter : après deux ou trois heures de danses, les musiciens vont
informer les convives de l’arrivée d’un plat. Une fois ces derniers attablés, les musiciens vont commencer
une série morceaux de morceaux destiner à émouvoir l’auditoire. C’est dans cette que les musiciens peuvent
exercer leur talent d’interprètes de ballade et de chants lyriques improvisés. « Dans un baquet, mariage, etc.
le musicien s’adresse toujours à quelqu’un en particulier et s’il est un bon Lǎutar, il arrivera à susciter
l’émotion (souvent les larmes). Le fêtard lui glissera un joli bakchich dans les bretelles de l’accordéon ou
dans l’archet du violon… »9 Le Lǎutar Costica d’ajouter : « c’est ma spécialité les chants tsiganes. Mais je
dois dire que je les chante surtout parce que ça rapporte ! Aux noces et aux fêtes, ça marche bien parce que
ça relève de l’imagination immédiate : je sais qu’untel est séparé de sa femme, moi je trouve tout de suite les
mots adéquats et je les glisse dans la chanson : « Ca fait un an qu’elle est partie et je pleure de désespoir,
etc… » J’ai touché le type au bon endroit et il lâche le pourboire. »10
Le Lǎutar doit pouvoir répondre aux exigences de la fête et de ses convives. Et en premier lieu à
l’organisateur de la fête. Ceci demande une grande faculté d’adaptation. La réussite de la fête repose en
grande partie sur ses épaules et pourtant il n’est qu’un employé. Michel Winter précise d’ailleurs qu’en
Roumanie, les musiciens n’ont pas un statut plus important que les commis de salle.11 « Les Lǎutari
dépendent économiquement de la communauté qui les fait vivre, et à laquelle ils ne s’intègrent d’ailleurs
jamais complètement. La nature de leurs prestations, leur répertoire et leur style sont (…) constamment
soumis à la loi de l’offre et de la demande, et leur auditoire ne se prive pas, le cas échéant, de les remettre en
question. »12 Dans certaines fêtes, du temps de Ceausescu, les musiciens avaient un programme bien établi
qu’ils ne pouvaient transgresser.
Ces musiciens sont aussi des gardiens de la tradition. Leur art se transmet oralement au fil des générations :
« Au contact des aînés, il s’imprègne progressivement des techniques, du répertoire et du style propres à
son village et à sa région. Chaque Lǎutar apprend à chanter et à jouer de plusieurs instruments, de façon à
9
BERGMAN, Marta. Taraf de Haïdouks, Musique des tziganes de Roumanie. Livret du CD. Crammed discs. 1991
Le Lǎutar Costica, Bandits d’honneur, chevaux magiques et mauvais œil. Livret du CD. Crammed Disc. 1994
10
11
12
No man is a prophet in his own land, DVD « The continuing adventures of Taraf de Haïdouks ». Crammed Disc. 2005
AUBERT, Laurent. Musique des Tsiganes de Valachie, les Lǎutari de Clejani. Livret du CD. RTSR, AIMP, Ocora Radio France. 1988
27
diversifier ses qualifications et, de ce fait, à augmenter ses chances en tant que professionnel. Lorsque son
niveau musical est jugé suffisant, le jeune Lǎutar est très vite intégré à un Taraf pour parfaire sa formation
sur le tas. »13 C’est très jeune que le futur Lǎutar s’initie à la musique, en général dans la cellule familiale.
Lors d’une discussion qu’il avait eu avec le violoniste Caliu, le vieux Rapsode (voir glossaire) Nicolae Neacşu
précisait toutefois : « Ce métier ne s’apprend pas, il se vole. Un vrai Lǎutar, c’est celui qui lorsqu’il entend
une mélodie, rentre chez lui et la rejoue de mémoire. C’est quand même pas celui qui la joue qui va te
l’apprendre ! »14
En 1988 le petit village de Clejani compte une cinquantaine de musiciens. Les musiciens Tsiganes sont fiers
de leur art. Et rien n’est plus important pour une famille de musiciens que de savoir ses enfants dans la droite
lignée des ancêtres : Caliu raconte qu’à la naissance de son fils, il a posé un violon à la tête de l’enfant en
priant Dieu pour que celui-ci devienne violoniste à son tour.15 Son vœu a été exaucé puisque ce dernier a
rejoint le Taraf de Haïdouks pour leur dernière tournée.
13
AUBERT, Laurent. Musique des Tsiganes de Valachie, les Lǎutari de Clejani. Livret du CD. RTSR, AIMP, Ocora Radio France. 1988
Le Lǎutar Neacşu. Bandits d’honneur, chevaux magiques et mauvais œil. Livret du CD. Crammed Disc. 1994
15
The Taraf speak to you, DVD « The continuing adventures of Taraf de Haïdouks ». Crammed Disc. 2005
14
28
6.3 DECEMBRE 1989 RENVERSEMENT DU RÉGIME DE CEAUSESCU
« La chute de la dictature roumaine devait entraîner, de manière tout à fait fortuite, la fin du règne de
Neacsu sur le petit village de Clejani… Cet hiver là, alors qu’il chevauchait son vélo à travers les tourbillons
de neige, Nicolae est tombé et s’est brisé une jambe. Rabougri sous les couvertures, il a passé tout l’hiver à
houspiller Aurica, sa belle fille, à qui il n’en fallait pas plus pour le détester : « apporte mon violon ! Soulève
mes oreillers ! » Pour ce qui est de manger, un moineau avale plus de pain que lui. Aurica maudit encore le
jour où elle a épousé son fils, Fane, ce gros Tsigane bon à rien, sinon à la battre. « Torche les petits, écorche
le poulet, fais la soupe ! » Malheur de malheur ! Aurica soupire : elle qui avait eu tant de prétendants, la voilà
esclave. Justement le vieux l’appelle, puisse sa bouche édentée pourrir en enfer.
Pourquoi il l’appelle ? Parce qu’il a vu par la fenêtre un homme très très grand parcourir le sentier de
la Tsiganie (voir glossaire) et s’adresser par gestes aux rares matrones dehors par ce froid. L’une indique
« par là », une autre « par là ». L’homme dépose sa mallette dans la neige et de ses longs bras, il dessine
dans l’air glacé des instruments de musique. Puis il fait semblant d’en jouer. Ses gestes sont tellement précis
qu’on croirait entendre des sons. Ca fait rigoler les matrones, de gêne elles se frappent le visage. Pendant ce
temps, le sentier s’est transformé en un vaste poulailler en effervescence. Des Lǎutari sortis dare dare des
maisons accordent leurs instruments. Mais l’inconnu insiste, il semble à Nicolae qu’il vient de prononcer son
nom : « Neacsu Nicolae ». Est-ce possible ? Un étranger venu dans ce trou perdu pour le ressusciter, lui,
d’entre les morts ?
L’étranger se tient là, dans la cour, encerclé d’une horde d’enfants qui le dévisagent de leurs yeux
charbonneux. Les plus petits s’accrochent aux pans de son manteau. Le village entier est pendu à la clôture,
formant un mur humain sombre se détachant sur la neige. Aurica engueule les curieux de sa voix éraillée,
avec des rotations de bras comme pour chasser les poules. « Qu’est-ce que vous avez à regarder comme
ça ? Vous n’avez pas honte ? Allez, ouste ! » L’étranger appartient aux Neacsu puisqu’il est dans leur cour.
Elle le pousse à l’intérieur de la maison.
L’étranger vient du « pays de Belgique » et à partir de ce moment-là commence l’incroyable épopée
du « Taraf des Haïdouks » à travers l’Europe. »16
16
BERGMAN, Marta. Taraf de Haïdouks, Dumbala Dumba. Livret du CD. Crammed discs. 1998
29
6.4 LE TARAF DE HAÏDOUKS
Jusqu’à l’arrivée des producteurs belges, les musiciens de Clejani jouaient en Taraf modulables suivant les
demandes et les circonstances. Stéphane Karo et Michel Winter avaient l’intention d’emmener les musiciens
en tournée en Europe de l’Ouest, mais il était impossible d’emmener une trentaine de musiciens. Selon les
dires des producteurs17, le choix de la dizaine de musiciens qui allaient partir dans cette aventure s’est
déroulé « dans l’ombre. » Ce sont donc les musiciens eux-mêmes qui ont choisi les représentant les plus
symboliques de leur musique. Cinq d’entre eux avaient déjà enregistré un disque en 1986, au cours d’une
mission effectuée pour le compte des archives internationales de musique populaire du Musée
d’ethnographie de Genève. Le Taraf de six musiciens constitué à l’époque avait été publié sous le nom de
« Taraf de Clejani ». Pour cette nouvelle aventure, il semblerait que ce soit le groupe qui a choisi la
dénomination de « Taraf de Haïdouks » (voir glossaire)
Plus de quinze ans après le début de cette nouvelle vie pour les musiciens de ce petit village, après une
reconnaissance et une collaboration avec les plus grands artistes internationaux (Yehudi Menhuin, Kronos
Quartet, Johnny Depp…), des tournées dans les salles les plus prestigieuses d’Europe, des Etats-Unis ou
encore d’Asie, une reconnaissance des professionnels du spectacle avec un Grammy Awards en 2002, quels
changements peut-on identifier ?
La scène : les musiciens ont dû s’adapter à une nouvelle forme de représentation : ils ne se retrouvent plus
au même niveau que leur auditoire, à « marcher entre les tables » des convives comme l’évoquait Nicolae
Neacşu dans le livret du CD « Bandits d’honneur, chevaux magiques et mauvais œil », mais sur une scène
disposés comme en alignement, les joueurs de cymbalum et de contrebasse en léger retrait, comme
n’importe quel groupe de musique de variétés : section rythmique en retrait, solistes en avant.
17
No man is a prophet in his own land, DVD « The continuing adventures of Taraf de Haïdouks ». Crammed Disc. 2005
30
Pour la plupart des morceaux, il garde la structure de Taraf de « base » comme l’explique l’accordéoniste
Ioniţa dans une interview donnée pour Mondomix18 en 2000 : violon, accordéon, contrebasse, cymbalum,
chant. Ils ne se retrouvent tous ensemble que pour une ou deux ballades.
Les scènes occidentales obligent à une sonorisation et des lumières, ce qui écartent encore un peu plus les
musiciens du public.
Le public : Comme auparavant, leur rôle est de distraire et d’émouvoir le public. Mais les publics des scènes
internationales n’ont peut-être pas toutes les clefs pour comprendre le répertoire. Au fur et à mesure des
années, le répertoire des concerts semble moins fourni de ballades au profit de titres à danser. Ceci n’est
peut-être pas forcément dû à la nouvelle nature du public. Ioniţa expliquait lors d’une interview donnée en
2004 au magazine Télérama qu’en Roumanie, lors des fêtes de mariage personne ne demande plus de jouer
une ballade. 19 Un programme établi pour les concerts, c’est sûr. Mais si le public le demande, rien n’empêche
les musiciens de s’écarter du programme : A la fin du concert du Bataclan de janvier 2006, des personnes du
public montait sur scène pour demander aux musiciens de leur jouer des titres qu’ils avaient envie
d’entendre, tout en glissant un billet dans la main du violoniste.
La production discographique : le Taraf de Haïdouks a à son actif quatre CD et 1 DVD. Deux points sont à
relever. La constitution du groupe tout d’abord : à partir du troisième album « Dumbala Dumba », le Taraf de
Haïdouks fait appel à d’autres musiciens roumains pour les accompagner sur certains titres. Pour l’album
suivant « Band of Gypsies », c’est au tour d’une fanfare de Macédoine, d’un percussionniste turc et d’un
saxophoniste bulgare de les accompagner.
18
19
Mondomix. Internet. 20/01/06. URL. http://www.mondomix.com/fr/itws.php?artist_id=146&reportage_id=2020
Télérama. Internet.20/01/2006.URL.
http://spectacles.telerama.fr/edito.asp?art_airs=WEB1000696&vrub=6&vpage=a_la_une&srub=1#
31
Cela nous amène au packaging : le premier album était titré « Musique des tziganes de Roumanie » ; le
deuxième sous sa version disponible sur le marché francophone « Bandits d’honneur, chevaux magiques et
mauvais œil » et pour le marché anglo-saxon « Honourable brigands, magic horses and evil eye » ; le
troisième portait le nom d’une chanson tsigane « Dumbala Dumba » ; le quatrième « Band of gypsies » ; et le
DVD « The continuing adventures of Taraf de Haïdouks ».
Ces deux exemples montrent une intention d’ouverture de la part du groupe et une fonction qui se destine de
plus en plus à l’international.
Autre caractéristique que l’on peut lier à la production discographique, qui en tous cas est assez troublante
pour de la musique traditionnelle, la citation d’un compositeur-auteur pour les titres enregistrés : Sapo
Perapaskero.
La tradition :
Curieusement le succès international du groupe n’a que peut affecter le lien qu’entretiennent les musiciens
avec leur racine. On aurait même tendance à dire au contraire. C’est en tous cas ce qu’affirmait Ioniţa lors de
son interview à Télérama en 2004.20 Il pense qu’ils sont les derniers gardiens de la tradition et que celle-ci est
encore vivante grâce au succès qu’ils peuvent avoir à l’international.
Du côté de la transmission aux enfants, même chose. Le succès de ces musiciens donne un espoir pour la
jeune génération. Et l’intégration du fils de Caliu au sein du groupe en est un exemple. Même s’il avoue, qu’à
cause des nombreuses tournées, c’est surtout sa femme qui a joué le rôle de passeur de tradition.21
20
21
Télérama. Internet. 20/01/2006. URL. http://spectacles.telerama.fr/edito.asp?art_airs=WEB1000696&vrub=6&vpage=a_la_une&srub=1#
The Taraf speak to you, DVD « The continuing adventures of Taraf de Haïdouks ». Crammed Disc. 2005
32
Leurs vies :
Il est certain que le succès a aussi amélioré leurs conditions de vie. Il est d’ailleurs possible que leur statut
au sein de la communauté tsigane s’en soit trouver modifier. Mais même s’ils ne font plus la manche à la
sortie des concerts comme lors de leurs premières tournées, ils restent toutefois toujours très humbles. En
démontre leur choix de continuer à habiter le village qu’ils habitaient auparavant, mais aussi le fait qu’ils
continuent les uns et les autres à jouer dans des mariages.22 Mais aussi le comportement qu’ils peuvent avoir
à la fin de leurs concerts : ils participent au débarrassage du plateau, ils traversent la salle pour sortir par la
même porte que le public, certains d’entre eux l’accordéon au dos, ils discutent avec les uns et les autres et
certains encore essaient de vendre des instruments de musique d’occasion au public.
La reconnaissance auprès de la population roumaine n’est pourtant pas effective. Et les Tsiganes y souffrent
encore de discrimination. Les exemples cités dans le livret du disque « Band of Gypsies » sont là pour le
démontrer.
22
Plusieurs remarques des musiciens faites lors des différentes interviews en notre possession le laisse présumer.
33
6.5 CONCLUSION
L’entrée dans le monde de la production musicale occidentale pour ce groupe de Roumanie n’a pas
forcément que des aspects négatifs.
En effet leur art a certainement subi des transformations dues aux contraintes qu’impose le système, mais il
a le mérite de continuer à exister, là où de nombreuses traditions disparaissent. Pour Ioniţa, ils sont
d’ailleurs les derniers : les gens en Roumanie n’ont plus les moyens d’engager des Tarafs pour leurs fêtes et
peu de musiciens jouant dans les métros des grandes métropoles arrivent à vivre de leur art.23
De plus, le Taraf de Haïdouks a réussi à garder une posture relativement fidèle quant à la tradition, là où
d’autres s’engouffrent dans le Show business délaissant leurs racines.
Et on l’a vu, les emprunts à d’autres cultures font partie prenante de la musique des tsiganes. Ce n’est pas le
changement de situation qui a modifié la structure même de leur musique.
Ce que l’on peut regretter, c’est que l’adaptation ne se fasse que dans un sens. Car l’exemple du Taraf de
Haïdouks et sa force de flexibilité n’est certainement pas à généraliser. De même les rapports
qu’entretiennent les producteurs belges avec les musiciens. Il semble q’une interaction réelle existe entre les
deux parties. Stéphane Karo disait d’ailleurs : « Finalement au lieu de les rendre comme nous, c’est eux qui
nous ont rendus comme eux. C'est-à-dire que tout à coup ma vision du monde a changé (…) Je voyais le
monde de leur point de vue. J’étais du côté du Taraf. Je regardais mes propres contemporains occidentaux,
belges, français, etc. Je les voyais du côté du Taraf. Et c’était une grande découverte. Tout était plus
étrange. »24 (Il s’est d’ailleurs marié avec une fille du village)
Enfin pour conclure, un petit regret de n’avoir pu rencontrer les musiciens. De nombreuses interrogations
sont restées sans réponse et peut-être aurions-nous pu mieux cerner le sujet de cette étude. Quelques unes
en vrac : Est-ce qu’ils ont l’impression que leur musique a plus changé qu’au temps de leur parents ? Quelles
idées se font-ils de leur art et la meilleure manière de le préserver ? Est-ce que le rapport à la technologie
(sonorisation, prise de son pour les disques) modifie leur façon de jouer ? Etc.
23
The Taraf speak to you, DVD « The continuing adventures of Taraf de Haïdouks ». Crammed Disc. 2005 ; lire aussi l’article sur Héloïse sur
le site Arcomonde. http://www.arcomonde.org/site/travel.php?Serv=arcomonde&ServReq=qui
24
No man is a prophet in his own land, DVD « The continuing adventures of Taraf de Haïdouks ». Crammed Disc. 2005
34
7) Intérêts pour l’interculturalité et rapports avec la globalisation
Quand on parle d’interculturalité le domaine musical est souvent cité en exemple. Ne parle-t-on pas de ces
musiciens d’origine différentes qui collaborent pour des productions différentes ? Ou encore de l’ouverture
sur le monde que peut offrir la musique ?
Pourtant les musiques du monde, comme on les appelle, sont soient quasi exclusivement considérées
comme un domaine réservé à l’ethnomusicologie, soient ce sont des musiques qui ont été obligées de
s’adapter aux lois du marketing de la production discographiques.
Car il ne faut pas que l’exemple du Taraf de Haïdouks soit l’arbre qui cache la forêt. Combien de musiques
ont été littéralement dénaturées pour se sacrifier aux lois du marché.
Comme le fait justement remarquer Laurent Aubert : « L’explosion des flux migratoires a profondément
transformé notre perception de l’autre, désormais devenu notre voisin, notre semblable ; sa musique,
remodelée par la nouvelle donne, est en grande partie aussi devenue la nôtre. Mais il faut se garder
d’assimiler flux musicaux, flux humains et flux commerciaux, dont les devenirs ne se recoupent pas
forcément. »25 La commercialisation de ces musiques nous permet certes d’en prendre connaissance, mais il
faut prendre garde à ne pas les altérer.
En même temps, il ne faut pas tomber dans l’autre écueil, comme le fait remarquer Véronique Mortaigne. De
tous temps les musiques ont subi des transformations et des métissages et « la notion d’authentique est ici
hors de propos. » 26 Effectivement à l’heure de ce qu’on appelle la globalisation et d’Internet qui permet des
échanges en un clic avec l’autre bout de la planète, on peut avoir l’impression que les mutations musicales
25
Fondazionecini. Internet. 20/01/06. URL.
http://www.fondazionecini.it/italiano/04attivita/seminari/etno/etno2003/aubert.html
26
MORTAIGNE, Véronique, « Musiques modernes, musiques métisses» in Les musiques du monde en question, Babel, 1999
35
se font plus pressantes. Mais là encore l’exemple de la musique tsigane nous montre que bien avant l’ère
technologique les métissages se faisaient.
Et à en croire les études menées par Speranţa Rǎdulescu dans son pays natal, la Roumanie, la musique du
Taraf de Haïdouks n’est certainement pas la plus dénaturée qui soit.27
Il faut donc rester très prudent sur ce qu’on appelle les musiques traditionnelles ou musiques du monde.
Gildas Lefeuvre propose qu’avant toute chose, on définisse mieux ce qu’on entend par ces terminologies.
Pour lui, la musique a avant tout un rapport avec l’émotion qu’elle suscite. Mais il faudrait peut-être mieux
déterminer ce que sont ces musiques, pour qu’au moins le public s’y retrouve.28
C’est certes une notion qu’il faudrait arriver à mieux définir. Mais on a plutôt l’impression que c’est le
contraire qui se passe. Les majors discographiques et les distributeurs n’ont que peu d’intérêts sur la
dénomination des musiques qu’ils mettent sur le marché. Il suffit d’aller voir le moteur de recherche sur le
site d’Amazon pour comprendre.
Pour Denis-Constant Martin, il n’y a pas d’opposition à faire entre les musiques traditionnelles d’un côté et la
World Music de l’autre. Ces musiques ne seraient pas contradictoires. Et rien n’empêche l’ethnomusicologue
de continuer à répertorier et archiver les musiques qui restent de tradition orale, mais aussi d’étudier
comment d’autres se « compénètrent. »29
On le voit, ces musiques suscitent beaucoup d’interrogation sur les façons de les comprendre et de les
recevoir.
Il est peut-être dommage que l’on ne considère ces musiques que par rapport à leur conception.
Peut-être serait-il temps de s’intéresser aussi à leur diffusion ?
Il y a quelques années des ethnomusicologues réunis à un colloque à la maison des cultures du monde,
s’interrogeaient sur la représentation scénique de certains rituels ? Et ils n’avaient pas tort ?
Mais ces scientifiques sont loin de s’intéresser à des groupes comme le Taraf de Haïdouks qui sont déjà
entrés dans le domaine de la commercialisation. Mais peut-être qu’il faudrait aussi s’intéresser aux systèmes
27
RǍDULESCU, Speranţa, « Musique de métissage pan balkanique en Roumanie » in Cahiers de musiques traditionnelles Vol. 13, Georg,
2000.
28
LEFEUVRE, Gildas, « Les musiques du monde et leur public» in Les musiques du monde en question, Babel, 1999
29
MARTIN, Denis-Constant, « Who’s afraid of the big bad world music ? Désir de l’autre, processus hégémoniques et flux transnationaux
mis en musique dans le monde contemporain » in Cahiers de musiques traditionnelles Vol. 9, Georg, 1996.
36
de représentation scénique de groupes comme celui-là ? Et peut-être l’interculturalité aurait un rôle à jouer
dans ce domaine.
De nombreux artistes, sous prétexte d’être entrés dans la sphère commerciale, se produisent sur des scènes
internationales sans aucune considération sur le rapport qu’ils entretiennent au public. Mieux comprendre
ces musiques, passe aussi par une meilleure compréhension de leurs systèmes de diffusion originaux. Les
festivals, les théâtres, les grandes salles de concert ne sont peut-être pas à même de pouvoir susciter
l’émotion du public. Comment peut-on permettre au public de mieux comprendre ces musiques s’il les reçoit
comme un concert de Rock ? Les méthodes de sonorisation ne sont peut-être pas adaptées aux musiques
diffusées ? Nous pensons qu’une compréhension de l’autre commence par un respect de ses traditions et
qu’il ne suffit que l’autre s’adapte pour que la communication soit bonne. L’adaptation ne devrait-elle pas se
faire des deux côtés ?
37
8) Glossaire
•
Taraf : Nom d’origine arabe qui signifiait « bande », « troupe » ; nom utilisé pour désigner un orchestre
tsigane en Valachie.
•
Lǎutar : musicien professionnel de musique traditionnelle dont les qualités essentielles sont
l’interprétation, mais surtout l’improvisation. La plupart des Lǎutari sont tsiganes.
•
Haïdouks : bandit justicier de la Roumanie féodale. Héros de prédilection des ballades.
•
Ballade : chant à l’ancienne. Chant épique à caractère récitatif.
•
Rhapsode : détenteur des traditions musicales et épiques.
•
Tsiganie : partie du village où vivent les tsiganes.
38
9) Les auteurs du rapport
MILANOVIC, Dejana, [email protected]
POTTERIE, Jean-Marc, [email protected]