Le Global Sports Forum cerne les atouts et les limites du sport

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Le Global Sports Forum cerne les atouts et les limites du sport
Tous droits réservés ­ Les Echos 2010
12/3/2010
P.11
LES STRATÉGIES
SPORT BUSINESS
Le Global Sports Forum cerne
les atouts et les limites du sport
Qu’il porte des valeurs ou
qu’il reflète les excès de
l’époque, le sport dispose
d’un impact médiatique tel
qu’il influence la société.
D’où la nécessité d’une
gouvernance partagée.
REUTERS
L
e sport doit-il être un modèle censé transmettre à la
population, par la grâce de
son énorme impact médiatique,
des valeurs positives combinant le
goût de l’effort, de la solidarité et
l’esprit d’équipe ? Ou bien le sport
n’est-il que le reflet de la société,
c’est-à-dire une activité humaine
imparfaite aux nombreux excès ou
errements ? La plupart des intervenants (dirigeants du mouvement
sportif, mais aussi responsables
d’organisations non gouvernementales, intellectuels ou élus) du
2e Global Sports Forum (GSF) qui
s’est tenu cette semaine à Barcelone ont oscillé entre ces deux visions. « Le sport n’est évidemment
pas un modèle sans défaut. Il recèle
des dangers, dont certains sont bien
connus comme le dopage ou la violence des supporters », explique Lucien Boyer, président d’Havas
Sports & Entertainment et créateur
de ce forum, qui ambitionne de
devenir le « Davos du sport ».
« Mais, d’abord, on peut limiter ces
aspects négatifs et, ensuite, l’hypermédiatisation du sport et l’hyperinfluence qu’il a sur le public est un
formidable moyen de faire passer
des messages positifs. Le sport, c’est
la passion, l’émotion, la joie, la
santé et toutes les valeurs que l’on
connaît. » « Le marché global issu
de la mondialisation n’a pas de référent. Le sport peut le devenir. C’est,
en effet, la seule activité, avec la
musique, véritablement globale,
Les JO d’hiver de Sotchi (Sochi,en anglais) nécessiteront 12 milliards
d’euros d’investissement.
qui ne nécessite pas de traduction »,
argumente de son côté le célèbre
publicitaire Jacques Séguéla.
Des avis divergents
Suivant ce raisonnement, de nombreux participants du GSF ont paré
le sport de toutes les vertus. L’écrivain britannique John Carlin,
auteur du livre ayant inspiré le film
« Invictus », a rappelé la façon dont
Nelson Mandela a utilisé la Coupe
du monde de rugby de 1995 pour
refonder la nation sud-africaine.
« Le rugby et les Springboks (nom
donné à l’équipe nationale de
rugby, NDLR) était le symbole
même de l’apartheid. Après la
Coupe du monde, il est devenu le
symbole de la nation arc-en-ciel. »
Pour autant, d’autres débatteurs
n’ont pas manqué de suggérer que
cet instrumentalisation du sport
pouvait servir des causes moins
nobles, à commencer par le nationalisme. Sergey Tsyplenkov, directeur général de Greenpeace Russie, a rappelé que les jeux
Olympiques d’hiver de Sotchi, en
2014, nécessiteront 12 milliards
d’euros d’investissement – dix fois
plus qu’à Vancouver – pour construire ex nihilo une station de
sports d’hiver dans une zone qui
est l’équivalent d’un parc naturel.
De son côté, Philip Beard, ancien
directeur du marketing du Locog,
le comité d’organisation des Jeux
de Londres 2012, a reconnu que
l’un des objectifs des responsables
de la ville était d’utiliser l’événement pour réhabiliter entièrement
la zone est de Londres. Confirmant
le fait que, dans les pays hôtes, le
premier bénéfice des grands événements sportifs est d’accélérer la
réalisation d’infra-structures
(comme par exemple un nouveau
port et une marina à Sotchi) qui, si
elles n’étaient pas tirées par ces
projets, mettraient des dizaines
d’années à sortir de terre.
Mais est-ce vraiment la vocation
des Jeux d’être un élément clef de
l’aménagement du territoire mondial ? « Le sport doit favoriser la
prise de conscience du public, sur
les questions d’environnement en
particulier », affirme au contraire
David Crawford, membre de
l’ONG canadienne Clean Air
Champion, impliqué dans l’organisation des JO de Vancouver et
qui précise : « Les hélicoptères et les
camions que l’on a vus apporter de
la neige sur les sites de compétitions
ne représentaient que 1 % des dépenses carbone des Jeux. »
« Ce qui est intéressant, analyse
Lucien Boyer, c’est qu’il est apparu
au cours des débats que toutes les
parties prenantes du sport devaient
être pragmatiques et échanger entre
elles. » La table ronde sur la gouvernance a corroboré cette idée.
Les pouvoirs publics, qui, on l’a vu,
ne négligent pas d’utiliser l’impact
social des grandes compétitions,
ont le devoir d’éviter les excès du
mouvement sportif. Ce dernier, qui
revendique son autonomie, a besoin des pouvoirs publics pour
réaliser des tâches qu’il n’a pas les
moyens de financer (développement de la pratique sportive, lutte
contre le dopage) mais doit aussi
lutter contre la propension des
Etats à utiliser le sport à des fins
purement politiques.
Sandro Rosell, favori pour la présidence du FC Barcelone, qui doit
être bientôt renouvelée, comme
Lassana Palenfo, président de l’Association des comités olympiques
africains, les représentants du gouvernement espagnol et du Conseil
de l’Europe, sont tombés d’accord
pour estimer qu’en matière de régulation, la coopération était nécessaire. En somme, s’il est vrai
que le sport jouit d’un pouvoir
d’entraînement sur la société, on
ne peut le laisser entre les mains
de quelques-uns.
PHILIPPE BERTRAND