Architecture Le Louvre

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Architecture Le Louvre
La pyramide de la discorde
Vingt ans après, le Grand Louvre continue à attirer des milliers de gens du monde
entier. Dans la cour Napoléon tous les regards se fixent sur l'énorme pyramide de
verre, à l'entrée du musée. Une entrée certainement atypique d'autant plus que l'on a
accès au musée le plus grande du monde par le sous-sol. Le 21 mars dernier, Le
Monde, a publié un dossier qui nous raconte toutes les vicissitudes de ce polémique
projet dans les années 80.
Le titre du dossier nous indique déjà la magnitude du projet du Grand Louvre: "Grand
Louvre, chroniques d'un projet pharaonique". Une magnitude dans tous le sens parce
que d'une part, les dimensions du musée étaient énormes et le travail, titanesque, mais
d'autre part, le projet a suscité une grande et vive controverse.
Le dossier est divisé en trois parties: a) L'opinion des adversaires du projet; b) La
réponse du concepteur et la description de son parcours et c) Une visite objective du
nouveau musée ainsi que le rapport étroit entre le projet et Mitterrand. Nous nous
bornerons à faire un commentaire de chacune de ces trois parties.
La polémique
En 1981 François Mitterrand est élu président de la République. Un de ses objectifs
c'est de rénover le musée du Louvre dans le cadre de ses opérations culturelles. En
1982 il désigne Emile Biasini pour diriger le travail d'extension du Louvre.
L'architecte choisi c'est le sino-américain Ieoh Ming Pei qui, en 1984, propose de
créer dans le sous-sol de la cour Napoléon la seule entrée au musée, en faisant un
vaste hall lequel jouera aussi le rôle de centre culturel avec des galléries, des
restaurants et des magasins. Enfin il propose de bâtir une grande pyramide en verre
sur l'emplacement du nouvel espace. Ainsi au milieu de la solennelle cour Napoléon
brillera comme un diamant cet énorme polyèdre glacé. Le projet est approuvé et on
commence à l'exécuter immédiatement.
La réaction est vive. Le Monde publique les critiques de deux adversaires du projet:
André Fermigier et Michel Guy. Le dossier du 21 mars dernier nous donne un article
de chacun publiés à l'époque. Quels sont les axes de leurs critiques? Examinons
brièvement leurs textes.
Commençons par le premier. André Fermigier dans sa critique Un diamant? Non, un
zircon insiste sur deux points: d'abord, l'absence d’un concours pour choisir le projet
de rénovation du musée du Louvre ce qui est en usage pour ce type d'opérations.
Ensuite, la désinformation. Personne n'a eu connaissance de ce projet qu'après
approbation officielle. En un mot, pour Fermigier le projet du Grand Louvre va à
l'encontre des valeurs démocratiques. Par ailleurs, Fermigier dresse un réquisitoire
contre les partisans du projet et contre le projet. Il signale que le projet a été politisé
puisque la réplique de partisans aux protestations est toujours associée à l'idée de
manœuvre politicienne. Ils n'acceptent pas que l'on puisse faire une critique à ce
projet en dehors de toute intention politique. Dans un autre plan, il signale que faire
une pyramide de verre au milieu de la cour Napoléon ne correspond pas avec l'idée de
modernité. Idée que lui-même il célèbre et voit magistralement représentée dans, par
exemple, la Tour Eiffel. Finalement, il soutient que le forum souterrain ne fait que
retarder l'entrée du public au musée, que cet espace ne permet pas non plus au visiteur
d’apprécier l'ensemble du bâtiment et que la pyramide est un élément complètement
étranger aux caractéristiques architecturales de la cour Napoléon.
En ce qui concerne Michel Guy, son opinion est peut-être plus radicale que celle de
Fermigier. Pour Guy le projet est médiocre. En effet il pense que le programme pour
créer le nouveau Louvre a été élaboré sans la lenteur et la réflexion nécessaires.
Comme Fermigier, il trouve que le hall souterrain retarde inutilement l'entrée du
visiteur et s'insère mal dans la cour Napoléon. Mais il considère aussi ces 4 points
suivants: premièrement, le projet a déjà un défaut grave: c'est l'idée que le musée doit
disposer d'une entrée unique au centre de la cour Napoléon. Pour lui cette idée est
fausse. Deuxièmement, il se demande pourquoi un si vaste palais ne devrait avoir
qu'une seule entrée. Il remarque que le palais du Louvre est un ensemble de
constructions faites successivement, ce qui montre sa complexité et sa richesse. Une
seule entrée est donc insuffisante. Troisièmement, il affirme que l'on n'entre pas à un
musée par le sous-sol. De plus, c'est inutile faire un centre culturel dans un complexe
souterrain. Ces espaces doivent être destinés plutôt à un parking, par exemple.
Finalement, ce souterrain, qu'il arrive même à qualifier de "inhumain", a un bas
plafond si bien qu'il finit par être étouffant. Alors l'architecte a imaginé la pyramide
pour essayer d'alléger cette sensation d'étouffement. Sinon il ne peut pas trouver une
autre explication à cet appendice.
Nous venons de voir les deux opinions qui représentent la voix de ceux qui se sont
opposés à ce projet du Grand Louvre. Dans le centre de la controverse, le hall d'entrée
souterrain et la pyramide de verre dans la cour Napoléon. Voyons maintenant, la
réponse de l'architecte.
L’objectif d’I. M. Pei
Boston: une ville comme les autres où l'espace se rompt en mille stalagmites. Ici,
l'élégance du verre dessine délicatement la forme du Christian Science Church Center;
là, la tour John Hancock miroite, digne et imposante. Plus loin, l'œil du spectateur est
émerveillé par la pureté de lignes de la bibliothèque Kennedy. Les trois édifices ont
été créés par Ieoh Ming Pei, l'architecte sino-américain, né 1917. L'œil émerveillé:
l'architecture c'est une poésie de l'espace mais elle entre d'abord par les yeux. Ce sont
les yeux qui découvrent les premiers la forme, la couleur, la texture d'un bâtiment. Ce
sont les yeux qui veulent deviner les secrets d'une forme complexe. Après, au fur et à
mesure que l'on pénètre dans le bâtiment il nous révèle ses secrets, il nous désabuse
des illusions optiques initiales, il nous étonne davantage. L'architecture est donc un
jeu où, souvent, l'extérieur et l'intérieur s'opposent.
Quand I. M. Pei a été désigné le concepteur du Grand Louvre, sa première réaction a
été de dire qu'on n'y pouvait rien faire, parce que l'intérieur et l'extérieur avaient déjà
leur forme, leurs caractéristiques, étaient déjà un symbole lié directement au passé des
français. Et c'était avec cette forme, avec ces caractéristiques et avec ce symbole qu'il
devait faire la transformation.
Certes, la pyramide au centre de la cour Napoléon a une grande importance
décorative. Vue de l'extérieur elle s'impose, elle fait une contrepartie à la solennité de
la cour. Elle est une forme classique mais elle ne s'efface pas dans le rythme classique
de la cour et des bâtiments qui l'entourent. Elle s'adapte sans s'y dissoudre. Mais la
pyramide ne constitue pas l'élément le plus important du projet d’I. M. Pei. Ce qui est
le plus significatif c'est précisément ce qu'on ne voit pas d’emblée, ce qui reste caché
aux yeux du spectateur: le hall d'entrée souterrain. Ici le jeu entre l’extérieur et
l’intérieur qu’on perçoit dans, par exemple, les bâtiments bostoniens, est plus subtil,
moins évident. L’œuvre la plus importante du projet ne s’impose pas aux yeux du
premier coup. L’accessoire qui la complète, la pyramide, conserve son indépendance
bien qu’elle l’indique de façon symbolique.
Dans un entretien avec Michèle Champenois, publié dans Le Monde en 1985, I. M.
Pei parle de son objectif avec son projet. Il voulait créer un espace vaste, confortable
et lumineux, un espace qui indique que c’est l’entrée au Grand Musée. D’où
l’importance du matériel mais surtout de la minutie du travail. Voilà l’importance du
hall souterrain. Tout espace crée une façon de se comporter, une attitude, tout espace
donne un rôle à ceux qui l’habitent. Le hall souterrain, en tant qu’espace accueillant,
crée un nouveau comportement chez le public. Celui-ci ce n’est plus un simple
visiteur d’un musée qui va regarder les œuvres dans les salles et après s’en va satisfait
et fatigué. Maintenant, il trouve un espace aérée, ouvert, beau, où il y a des boutiques,
des cafés, des restaurants, des salles d’exposition; un espace où les distances sont
raccourcies ce qui permet au public de ne pas faire des itinéraires longs et épuisants.
Un espace, enfin, qui est « un hommage au public », comme l’ont indiqué en 1989
Fréderic Edelmann et Emmanuel de Roux, dont la visite objective est publiée dans le
dossier que nous commentons.
En effet dans leur visite objective, les deux journalistes insistent sur deux points: d’un
côté, le travail d’I. M. Pei se caractérise par avoir un style sobre où joue surtout la
clarté de l’espace et qui permet le dialogue entre l’ancien et le moderne. Dans ce sens,
son travail suit de près le classicisme. D’un autre côté, le Grand Musée, à travers le
hall d’accueil, s’ouvre au public et le respecte. C’est donc un espace qui partagent les
membres de la société et de ce fait l'intention de l'architecte atteint le but de
l'urbanisme: créer des lieux où il y ait une intégration sociale.
Et la pyramide, nous rappellent les journalistes, c’est un symbole du nouveau musée.
Un musée nouveau dans son infrastructure mais aussi dans l’attitude qu’il éveille dans
le visitant. La pyramide est transparente par temps clair, elle donne la sensation
d’amplitude lorsqu’on est à l’intérieur, elle permet l’entrée de la lumière et le jeu des
reflets en multipliant les possibilités de l’espace. Vue de l’extérieur, elle s’adapte à
l’humeur changeante de Paris, commente I. M. Pei: transparente lorsque le temps est
ensoleillé, obscure lorsque le ciel est gris. C’est à ce moment qu’elle devient plus
compacte, qu’elle devient véritablement un objet indépendant. Mais elle est aussi
classique. Le secret du classicisme ###du classicisme français### c’est l’universalité
de ses œuvres. Elles peuvent être comprises par tout le monde et dans toutes les
époques. Et la pyramide est classique puisque précisément elle est une forme
internationale, elle est une figure qu’appartient à toutes les époques et qui est
reconnue par tous. Elle symbolise donc le Grand Musée qui est un musée universel.
Mitterrand et le Grand Louvre
Le dossier aussi nous informe de ceux qui ont été derrière ce projet titanesque.
L’histoire du Grand Louvre est lié au président François Mitterrand. Tandis que ses
prédécesseurs ont laissé leur signature d’après leur style de gouvernement il voulait
s’immortaliser dans la pierre, nous expliquent encore une fois Frédéric Edelman et
Emmanuel de Roux dans un article publié dans le Monde en 1995. En effet, le
gouvernement de Mitterrand a été vigoureux sur le plan du développement de
l’architecture. La France a connu dans les années 80 de nombreuses créations dans
l’infrastructure de ses principales villes, dont le Grand Louvre est un magnifique
exemple. On peut citer aussi, l’Institut du Monde Arabe, le Nouvel Opéra ou encore la
cité de la musique.
On sait que la création du Grand Louvre a eu beaucoup de revers. Le ministère de
finances occupait une ses ailes. Le gouvernement de Mitterrand a obligé ce ministère
à déménager afin de laisser place libre aux travaux. Mais en 1986, la droite gagne les
élections législatives. Le nouveau ministre de finances se réinstalle dans les locaux en
refusant de fixer son centre d’opérations à Bercy. Cependant la réélection de
Mitterrand réactive les travaux du Louvre et en 1987 il inaugure avec la tête du projet,
Emile Biasini, le passage Richelieu.
En effet, Biasini c’est l’autre homme derrière ce vaste projet. Lui, qui avait aménagé
en 1970 la côte d’Aquitaine, a été choisi par Mitterrand pour diriger les travaux de
reconstruction du Louvre, grâce à sa réputation de bâtisseur et à son talent
d’administrateur. Dans le dossier apparaît un article qui décrit la participation de
Biasini. L’article nous révèle, par exemple, que le réaménagement du Louvre était
l’occasion parfaite pour désigner I. M. Pei, auquel Mitterrand voulait confier quelque
chose. Il nous révèle aussi que la règle de ce réaménagement était de faire toutes les
transformations dans le sous-sol, pas dans la surface. En tout cas Biasini a été celui
qui a permis à Mitterrand d’immortaliser son nom dans l’énorme musée. Lorsque
Mitterrand dit sèchement à Biasini: « Faites le Grand Louvre », en réalité il ne
demandait pas seulement la construction d’un musée de grandes proportions. Il
voulait donner une dignité à un musée qui garde un patrimoine culturelle qui
appartient à toute l’humanité. Il voulait que ce musée soit un musée universel.
L'affaire du musée du Louvre peut être vu dès deux points de vue: d’un côté, comme
l'intérêt d'un président de s'immortaliser à partir de la construction du musée le plus
grand du monde. D'un autre côté, comme la construction d’une polémique œuvre
d'architecture qui marque un style et une nouvelle attitude chez le visitant.
L'importance de l'œuvre il faut la chercher dans l’espace accueil souterrain en tant que
espace d’intégration sociale et en tant qu'entrée atypique à un musée. Cependant la
pyramide, principal objet de discorde lors de la rénovation du Louvre, c’est le
symbole de ce nouvel espace et aussi un accessoire qui, grâce à l’élégance et à la
pureté du verre, complète la beauté du hall d’entrée en lui donnant la luminosité et la
fraîcheur d’un espace ouvert.
Andrés Arboleda