de nuit

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de nuit
de nuit
Lucile Chombart de lauwe
Travailleurs nocturnes. Ceux qui prennent le relais d’un métier habituellement
effectué en journée. Un travail en continu. Exclus au regard des standards du
travail, non du fait de leur activité, mais par l’heure à laquelle elle a lieu.
C’est un négatif. Un univers à part entière, avec ses propres lois. La lumière
s’y fait rare, électrique et néoneuse. Elle ne suffit pas aux besoins physiques et
psychologiques de l’homme, en lutte avec un rythme social.
La nuit « tout est compliqué, plus long, plus lent... »
5 ans d’espérance de vie en moins qu’un travailleur de jour à poste «équivalent».
Environ 20 % de la population active française est amenée à travailler de nuit.
«Et la vie de Famille ? Bah… »
4:00 c’est l’heure où le corps est le plus froid, c’est le fameux «coup de barre».
Le temps d’une lutte avec un corps qui ne demande qu’à s’endormir, et un
esprit qui doit cependant rester éveillé et alerte.
Une tension somnolente, qui dure en silence.
De la nécessité d’une présence humaine.
Gare de triage, Bruxelles, Belgique
Usine Caterpillar, Charleroi, Belgique
Hôpital Arles, France
Commissariat, Arles, France
Centre de secours, Arles, France
Parking, Moules, France
Club, Moules, France
Usine Caterpillar, Charleroi, Belgique
Port, Marseille, France
Centre de tri postal, Wissous, France
Port, Marseille, France
USINE CATERPILLAR
CHARLEROI
Club, Moules, France
Site Pétrochimique, Lavera, France
Sécurité, Woluwe Saint-Pierre, Belgique
Hôtel, Arles, France
Parking, Moules, France
Protection civile, Paris, France
Je m’appelle Thomas. Ca fait 3 ans
et demi que je bosse de nuit. C’est pas
évident mais on a pas trop le choix.
On s’accroche. C’est passager c’est
sûr, disons que ça peut. Pour mettre
les pieds dans le plat, c’est conseillé
de prendre ce qu’on offre. A partir de
ce moment là faut être patient et faut
s’accrocher.
Directement en rentrant on m’a
proposé le poste de nuit. Mais au départ
j’étais pas ici, j’étais carrément de
l’autre côté. Mais c’était un parcours
assez spécial en fait, je sais pas si…
La nuit c’est la merde. Déjà les
relations… Je fais de la musique et
le week-end j’aime bien, voilà… Le
week-end c’est important quand tu
joues et que tu répètes, tous tes amis...
Tu vois plus grand monde, et niveau
alimentation aussi. J’ai perdu du poids
et c’est pas… c’est un peu la merde. Et
niveau couple aussi c’est pas évident,
ça a déjà foutu vachement la merde…
Maintenant tant que je fais la nuit,
bah c’est la nuit. Mais c’est passager
c’est sûr.
CHANTIER DU METRO
MONTROUGE
C’est plus tranquille. Le travail faut
que tu le fasses. Si on fait trop de
bruit il faut arrêter pour pas réveiller
le voisinage. Alors on fait d’autres
tâches. On est jusqu’à 23 mètres de
profondeur. A 80 mètres de profondeur
tu peux continuer à travailler avec les
machines.
On travaille la nuit c’est plus agréable mais il y a des contraintes. Familiales.Quand on m’a proposé, je me
suis dis pourquoi pas essayer. Finalement c’est pas mal avec ce système
de hiérarchie que t’as pas la nuit. Tu
gères toi-même ton ouvrage.
Je rame au niveau récupération.
Quand en été à 6h il fait jour. Tu te
lèves et ta journée elle est pas finie !
Faut pas que ça dure trop longtemps.
Le plus difficile c’est par rapport à ma
fille. Je vais la chercher chez la nounou à 16h. Après faut que je me relève, c’est la course.
Tout le monde a une vie de famille.
J’ai un enfant en bas âge. 7H du matin
t’es levé. Faut reprendre son rythme
normal le week-end et le lundi c’est
reparti. Il y a un ouvrier qui a 53 ans.
A 53 ans en général tu as moins besoin
de dormir. Ca fait 30 ans qu’il travaille
dans le bâtiment, en se levant à 7h.
Rythme des 30 ans. A 10h t’es réveillé,
t’es habitué à un rythme de jour.
Ma fille je la vois le week-end. Mon
cousin travaille dans une usine de pièces détachées. Il est célibataire. 7 ans de
nuit. Après c’est le décalage par rapport
aux sorties. Le samedi soir, on lui disait
de venir « non, je vais dormir, je suis
crevé ».
Je continue maximum jusqu’à la fin du
chantier, juin ou juillet et après ça sera
fini...
Pablo, chef de chantier
- Le sommeil de la nuit et du jour c’est pas les mêmes.
- Et t’as le téléphone qui sonne c’est fini.
- Par contre t’es endormi, vraiment, peut y avoir une bombe, je dors.
- A quelle heure tu te lèves toi ?
- 10h
- 13h
- 16h...
- A midi t’es réveillé ?
- Y’a pas les chefs, cette hiérarchie.
- Y’a moins de stress.
- Y’a moins de mouchards.
- Je dis pas qu’on bosse moins. On le prend pas de la même manière.
- Quand il y a moins de boulot c’est plus difficile à passer.
- La journée chacun se jette la pierre, y a plus de monde c’est le bazzard.
- C’est un investissement.
- Faut que physiquement et psychologiquement ça suive.
- L’autre jour je savais plus si on était le mercredi ou le jeudi.
- Les dates c’est encore pire.
- On est le 4 ?
- Non le 5.
- Ha c’est qu’il est minuit passé.
- Dans ma conscience ça passe beaucoup plus vite.
- Pourtant on fait une heure de plus.
- Oui mais on le sent pas.
- Ma femme je la vois le week-end ou le vendredi soir.
- Si tu travailles la nuit, la vie de famille t’en as plus.
- Si vous voulez voir des gens vous les voyez à la fin de la semaine.
- La nuit c’est un problème en lui-même, une contrainte entre guillemets.
- Si vous rajoutez les problèmes de hiérarchie ça va les dégoûter.
- Si vous mettez la pression en plus...
- C’est un choix.
- Oui mais il est pas définitif.
- C’est un choix personnel.
- Qu’est ce qu’on fout ?
- Rien.
- Ca la journée c’est pas possible.
- Si t’as rien à faire on va quand même vous trouver quelque chose à faire.
Entretient avec les ouvriers du chantier
Extraits du CODE DU TRAVAIL Section 1 : Dispositions générales
Article L213-1
Le recours au travail de nuit doit être exceptionnel. Il doit prendre en compte les impératifs de protection de la
sécurité et de la santé des travailleurs et doit être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale.
Article L213-1-1
Tout travail entre 21 heures et 6 heures est considéré comme travail de nuit.
APPLICATION IMMEDIATE DE LA DEFINITION DU TRAVAIL DE NUIT
Article L213-3
La durée quotidienne du travail effectué par un travailleur de nuit ne peut excéder huit heures.
La durée hebdomadaire de travail des travailleurs de nuit, calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives, ne peut dépasser quarante heures. Une convention ou un accord de branche étendu peut porter
cette limite à quarante-quatre heures lorsque les caractéristiques propres à l’activité d’un secteur le justifient.
Article L213-4
L’accord collectif prévoit des mesures destinées à améliorer les conditions de travail des travailleurs, à faciliter
l’articulation de leur activité nocturne avec l’exercice de responsabilités familiales et sociales, notamment en ce
qui concerne les moyens de transport, et à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment par l’accès à la formation.
Article L213-4-1
Les travailleurs de nuit au sens de l’article L. 213-2 qui souhaitent occuper ou reprendre un poste de jour dans le
même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise ont priorité pour l’attribution d’un emploi ressortissant
à leur catégorie professionnelle ou d’un emploi équivalent.
Article L213-4-3
Lorsque le travail de nuit est incompatible avec des obligations familiales impérieuses, notamment avec la garde
d’un enfant ou la prise en charge d’une personne dépendante, le salarié peut refuser d’accepter ce changement sans
que ce refus constitue une faute ou un motif de licenciement.
Article L213-5
Tout travailleur de nuit bénéficie, avant son affectation sur un poste de nuit et à intervalles réguliers d’une durée
ne pouvant excéder six mois par la suite, d’une surveillance médicale particulière.
Le travailleur de nuit, lorsque son état de santé, constaté par le médecin du travail, l’exige, doit être transféré à
titre définitif ou temporaire sur un poste de jour correspondant à sa qualification et aussi comparable que possible à
l’emploi précédemment occupé.
L’employeur ne peut prononcer la rupture du contrat de travail du travailleur de nuit du fait de son inaptitude au
poste comportant le travail de nuit au sens des articles L. 213-1-1 et L. 213-2.
Le médecin du travail est consulté avant toute décision importante relative à la mise en place ou à la modification de l’organisation du travail de nuit.
© Lucile Chombart de lauwe/ le bar Floréal.photographie 2010