actualités sur l`amnésie épileptique transitoire

Transcription

actualités sur l`amnésie épileptique transitoire
Le point
Actualités sur l’amnésie
épileptique transitoire
Une forme originale d’épilepsie temporale tardive
n Cette synthèse des dernières publications sur le syndrome d’amnésie épileptique transitoire
(SAET) est le prétexte à un bref regard historique sur ce thème. Elle est surtout l’occasion d’attirer l’attention des neurologues, neuropsychologues et épileptologues sur les caractéristiques
cliniques critiques et intercritiques du SAET. Autant d’éléments nécessaires aussi bien pour le
diagnostic que pour la compréhension de cette forme résolument originale d’épilepsie temporale tardive.
L’
amnésie
épileptique
transitoire (AET) n’est
pas de description tout à
fait récente. Les premiers cas ont
été publiés par Kapur et al. en 1993
[1] et les critères diagnostiques
(Encadré p. 66) ont été formulés à sa
suite en 1998 par Zeman [2].
L’AET est une forme particulière
de crise du lobe temporal interne,
dont la caractéristique est d’entraîner une amnésie antéro-rétrograde brève (< 3h en principe,
le plus souvent < 1h). Elle s’associe
très fréquemment à des troubles
mnésiques intercritiques. Ainsi,
crises et perturbations cognitives
intercritiques définissent ensemble un syndrome particulier, le
syndrome d’amnésie épileptique
transitoire (Fig. 1) de description
relativement récente [3].
Dans la pratique quotidienne ce
syndrome concerne certainement
plus les neuropsychologues que
les épileptologues, compte tenu
*Département de Neurologie des Hôpitaux universitaires de
Strasbourg ; Centre Mémoire, de Ressources et de Recherche
d’Alsace (Strasbourg-Colmar) ; Laboratoire ICube, CNRS-Université de Strasbourg ; Centre de Compétences des démences rares
des Hôpitaux universitaires de Strasbourg
Neurologies • Février 2015 • vol. 18 • numéro 175
Benjamin Cretin*
de l’appartenance incontestable
de sa sémiologie au champ de la
cognition. Pourtant, s’il ne fait pas
de doute aux épileptologues qu’il
faut se préoccuper de cognition, il
faut toujours encourager les neuropsychologues à se préoccuper
d’épilepsie…
Ce que l’on sait
du SAET
En 15 ans, à partir des trois principales séries de patients publiées
[1-3], les caractéristiques essentielles du SAET ont été dégagées
(Fig. 1). Elles peuvent être récapitulées en 3 points :
1. Les AET sont des amnésies
transitoires antéro-rétrogrades
pures qui touchent les sujets âgés
de 50 à 70 ans.
“Pures” signifie qu’elles ne sont
pas accompagnées de troubles
prolongés de la conscience ni de
symptômes dyscognitifs comme le
seraient d’habituelles crises partielles complexes. Néanmoins, des
automatismes moteurs (oro-ali-
mentaires ou gestuels) ou une aura
(hallucination olfactive notamment) peuvent être associés à l’épisode amnésique et ont évidemment
une grande valeur diagnostique. Les
témoins pourront souvent mieux
attester de ces éléments, de même
qu’ils pourront signaler une brève
rupture de contact et l’absence d’anxiété ou de questions itératives. En
outre, les AET sont brèves et durent
moins d’une heure en général. Un
autre indice d’AET est la précipitation de l’événement amnésique par
le réveil. Malgré toutes ces caractéristiques ictales typiques, il faut bien
dire que la distinction est ardue en
comparaison de l’ictus amnésique
(Tab. 1).
2. Le deuxième point est que la
plainte cognitive intercritique
est très courante sans être systématique (80 %) [3] et qu’elle a pu
précéder la survenue de la première amnésie transitoire [4, 5].
Le cas échéant, il s’agit d’un petit
indice supplémentaire en faveur
d’une AET plutôt que d’un ictus
amnésique [6]. Ce qui est carac63
Le point
Facteur étiologique variable :
téristique de cette plainte, c’est
qu’elle concerne exclusivement
les capacités de mémoire sur une
temporalité longue : les patients
oublient des informations nouvellement assimilées d’une semaine à
l’autre, mais pas d’un jour à l’autre
(oubli accéléré) ; ils oublient aussi
certaines périodes de leur vie dans
les 10-15 années passées, voire plus
(oublis autobiographiques). De fait,
les tests usuels des consultations
mémoire – inscrits dans une temporalité courte – sont fréquemment normaux chez ces patients,
mais pas toujours : Gallassi avait
signalé depuis longtemps que le
profil pouvait être celui d’un MCI
amnésique simple ou multi-domaines [7, 8].
3. Le troisième point est enfin que
ce syndrome est en lien avec un
dysfonctionnement temporal
interne comme le suggère l’EEG
intercritique qui montre, dans environ 2/3 des cas, des anomalies en
Altérations hippocampiques
limitées
dysimmunitaire, tumoral,
dégénératif...
Manifestations critiques
Manifestations intercritiques
Plainte cognitive portant sur la
mémoire à long terme
- Difficultés autobiographiques (70 %)
- Oubli accéléré (≈ 50 %)
Amnésies transitoires brèves
constamment présentes
- Durée < 1h
- Possiblement au réveil
- Accompagnées de “signes
épileptiques” (hallucinations
olfactives, aura épigastrique
ascendante, automatismes
oro-alimentaires, rupture de contact)
Tests neuropsychologiques
- Epreuves usuelles = résultats
normaux ou MCI amnésique
± altérations exécutives modérées
- Epreuves spécifiques
= confirment la plainte cognitive
Autres types de crises
- Crises focales sans amnésie
associée = possible
- Généralisation = rare
Examens paracliniques
- EEG prolongé anormal dans au moins 2/3 des cas (pointes ou anomalies lentes de localisation
temporale ou temporo-frontale, uni- ou bilatérale)
- IRM fréquemment normale
Figure 1 - Récapitulatif des points-clés (étiologie, clinique, paraclinique) du syndrome
d’amnésie épileptique transitoire.
projection temporale ou temporofrontale, uni- ou bilatérale [3]. Au
sein du lobe temporal, on a pu préciser que les perturbations étaient
hippocampiques grâce à des analyses volumétriques en IRM [9, 10].
Ces techniques d’imagerie étaient
nécessaires car les acquisitions
conventionnelles ne montrent
qu’exceptionnellement des lésions
(IRM dite normale jusqu’à 98 % des
cas) [3]. Quelques cas histopathologiques ont démontré des anomalies
microvasculaires et gliotiques dans
Tableau 1 - Critères sémiologiques du diagnostic différentiel entre amnésie épileptique transitoire et
ictus amnésique.
Amnésie épileptique transitoire
Ictus amnésique
Age moyen
50-70 ans
50-70 ans
Histoire médicale antérieure
Ø
Migraine
Facteur favorisant
ou déclenchant
Réveil
Eau froide, antéflexion du tronc, exercice
physique, stress psychologique
Profil mnésique ictal
-M
émoire antérograde massivement
- Mémoire antérograde altérée de façon
variable, questions répétitives dans 50 % des altérée avec questions répétitives fréquentes, anxiété et perplexité nettes
cas, patient peu perplexe ou anxieux
-A
mnésie rétrograde présente (concer- Amnésie rétrograde absente ou présente
nant une durée variable)
(concernant une durée variable)
- Mémoire non déclarative indemne
- Mémoire non déclarative indemne
Durée et récupération
En général < 1h
(plus prolongée chez 30 %, jusqu’à plusieurs
jours)
Récupération progressive
1-24h
Typiquement 4-10h
Récupération progressive
Récurrence
Habituelle (de 2 à plusieurs dizaines d’épisodes)
En moyenne > 10 épisodes/an
Rare
Autres symptômes durant
l’épisode amnésique
± Rupture de contact
± Hallucinations olfactives/gustatives
± Automatismes oro-alimentaires
± Céphalées
± Nausées
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les hippocampes de certains patients, qui tendent à confirmer une
compromission ammonienne dans
ce syndrome [11, 12].
Les nouvelles séries
de SAET publiées
en 2013 et 2014
• Une première série italienne est
sortie en novembre 2013 [13]. Elle
concerne 11 patients. L’âge moyen
était de 55 ans, avec une prédominance d’hommes (n = 7), et les patients étaient référés en épileptologie pour des amnésies transitoires
récurrentes brèves de moins de 10
minutes (n = 8 ; en moyenne = 4,4
min) et/ou des malaises avec
troubles de la conscience (n = 3).
Deux patients avaient également
présenté des crises convulsives généralisées. Le nombre moyen d’AET
par patient était de 14 (extrêmes :
3-48) ; elles avaient commencé un
peu plus d’un an et demi auparavant
(délai diagnostique moyen = 19,5
mois ; extrêmes : 6-39). Lors des
amnésies transitoires, 4 patients
présentaient des signes concomitants évocateurs d’épilepsie temporale (hallucination olfactive,
sensation épigastrique ascendante
ou gêne abdominale, automatismes
oro-alimentaires).
Les autres éléments syndromiques étaient les suivants :
- L’EEG prolongé (ambulatoire)
intercritique était normal chez
2 patients et montrait pour les
autres des ondes à front raide
et/ou des pointes en projection
bitemporale
(grapho-éléments
asynchrones) ou fronto-temporale unilatérale (droite ou gauche).
- L’imagerie était fréquemment
pathologique avec des anomalies
temporales (n = 5) ou frontales
(n = 3) : gliose post-traumatique
(n = 3), sclérose hippocampique
uni- ou bilatérale (n = 2), lésions
vasculaires (n = 2) et tumeur gliale
de bas grade (n = 1).
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- Les tests cognitifs étaient normaux dans 8 cas sur 11, et montraient pour les 3 autres des difficultés en mémoire antérograde
(rappel et reconnaissance notamment) associées à des difficultés
modérées sur le Stroop.
- S’agissant des AET, les patients
étaient tous répondeurs au traitement, avec même une liberté de
crises dans 90 % des cas. Ils étaient
principalement sous lévétiracétam (posologie de 750 mg à 1 000
mg/j ; n = 6) ou carbamazépine
(200 à 800 mg/j ; n = 3). La lamotrigine n’a pas été utilisée.
• L’autre série fraîchement sortie
est française (mai 2014). On la doit
à l’équipe des épileptologues et
neurologues-neuropsychologues
de Marseille [14]. Elle porte sur
un plus grand nombre de sujets
(n = 30) et sa particularité est de
communiquer des résultats scintigraphiques en plus des éléments
syndromiques habituels. Certains facteurs de risque d’épilepsie étaient présents (dépression
dans 1/3 des cas, histoire familiale
d’épilepsie dans 10 % des cas),
alors qu’au niveau étiologique une
pathologie auto-immune était notée dans environ 1/4 des cas (thyroïdite et syndrome de Gougerot
essentiellement). L’âge moyen du
diagnostic était de 62 ans, alors que
les amnésies transitoires avaient
débuté en moyenne 3 ans auparavant. La durée moyenne des amnésies était variable : < 5 min pour
23 %, 5 à 10 minutes pour 37 %,
30-60 min pour 13 % et > 60 min
pour 27 %. Un indicateur d’épilepsie était associé aux épisodes amnésiques transitoires dans 80 %
des cas : signes dysautonomiques
(n = 7), peur intense (n = 7), aura
épigastrique ascendante (n = 7),
secousses myocloniques (n = 6),
déjà-vu (n = 5), automatismes
oro-alimentaires (n = 4), troubles
du langage (n = 3), hallucinations
olfactives (n = 2) principalement.
De façon intéressante, les patients
étaient capables de se remémorer
partiellement leur épisode dans
un tiers des cas et ne posaient des
questions répétées que dans 1 cas
sur 5.
La survenue au réveil ne concernait qu’un quart des sujets. Les
autres aspects syndromiques
étaient comme suit :
- L’EEG de veille était normal pour
43 %, alors que l’EEG de sommeil
était anormal dans la grande majorité des cas (96 %). Les anomalies du tracé consistaient en des
grapho-éléments paroxystiques
(ondes à front raide, pointes ou
pointes-ondes) ou en un ralentissement thêta de projection
majoritairement temporale (soit
bilatérale : 53 % ; soit unilatérale
gauche : 20 %, ou droite : 23 %).
- L’imagerie était généralement
normale (près de 3/4 des sujets)
ou montrait une atrophie corticale
modérée (n = 3), des hypersignaux
corticaux temporaux internes
(n = 2) ou des lésions hémisphériques droites (n = 2 ; méningiome
pariétal, séquelles ischémiques).
- Les tests cognitifs usuels étaient
normaux à l’échelle du groupe,
bien que 9 patients marquèrent
des troubles de la mémoire antérograde et 6 des difficultés exécutives modérées. Les paradigmes
spécifiques de mémoire1 confirmèrent chez tous des déficits mnésiques particuliers (en mémoire
autobiographique sur les 5 dernières années et en consolidation
à 6 semaines).
- S’agissant des AET, les patients
étaient tous répondeurs au traitement (liberté complète de crises
dans environ 3/4 des cas) et étaient
principalement sous lamotrigine
(96 %) en monothérapie (93 %)2.
- La TEP révélait des anomalies
1. De passation difficile en pratique courante.
2. Posologie non communiquée.
65
Le point
hypométaboliques temporales internes (gyrus parahippocampique
droit et uncus gauche) corrélées
aux troubles mnésiques antérogrades et rétrogrades. En outre,
l’hypométabolisme intercritique
touchait aussi certaines régions
frontales (précentrales notamment).
Les illustrations
du diagnostic
différentiel du SAET
Cette question concerne aussi bien
les manifestations inter­
critiques
que critiques.
S’agissant des AET, on a déjà dit
qu’elles ne sont pas toujours évidentes à distinguer des ictus
amnésiques (Tab. 1) mais aussi des
amnésies pyschogènes [3].
• Face à une amnésie transitoire
avec aphasie, il n’est pas illégitime
de suspecter un AVC3 [3, 14] de
localisation hippocampique, thalamique ou cingulaire [6, 15, 16], ou
une aura migraineuse atypique
impliquant l’hémisphère dominant [3, 17]. En cas de confusion
associée, AVC et aura migraineuse
sont aussi possibles (touchant
cette fois l’hémisphère mineur),
aussi bien que les effets de certains toxiques (alcool, benzodiazépines, anticholinergiques…) ou
d’un traumatisme crânien [3].
• De façon intéressante, deux
papiers récents ont rappelé le
diagnostic différentiel neuropsychologique, c’est-à-dire intercritique, du SAET [18, 20]. Le premier article [18] insiste sur le fait
que les patients atteints de SAET
– en général âgés de 50 à 70 ans
– peuvent se glisser sans peine
dans un suivi de consultation
mémoire (CM) pour troubles
légers de la mémoire (MCI am3. AIT ou AIC régressif.
66
Critères diagnostiques des amnésies
épileptiques transitoires
1. H
istoire d’épisodes récurrents d’amnésie transitoire auxquels des
témoins ont assisté.
2. A
utres fonctions cognitives intactes durant les épisodes amnésiques
d’après le jugement d’un(de) témoin(s) fiable(s).
3. E
pisodes amnésiques associés à au moins 1 des arguments suivant
pour le diagnostic d’épilepsie.
a. anomalies paroxystiques à l’EEG ;
b. installation concomitante d’autres symptômes épileptiques (ex :
automatismes oro-alimentaires, illusions/hallucinations olfactives…) ;
c. réponse nette (arrêt ou franche diminution de la fréquence des épisodes) à un traitement antiépileptique.
nésique ou plaintes isolées). En
conséquence, ces malades sont
considérés comme d’éventuels
porteurs de pathologies neurodégénératives prodromales et surveillés comme tels. Ceci semble
d’autant plus légitime que des
anomalies IRM peu spécifiques
ne sont pas rares chez eux : leucoaraïose modérée et/ou atrophie
temporale interne ± néocorticale
[14, 19]. Ainsi, un certain nombre
d’“Alzheimer prodromaux” suivis
dans les CM n’en sont pas. Ils sont
en réalité des SAET et les auteurs
insistent sur la nécessité d’un
interrogatoire approfondi à la
recherche d’épisodes antérieurs
d’amnésies transitoires, brefs ou
non. Mais pas seulement : désorientations spatiales fugaces et
difficultés intermittentes de reconnaissance des visages doivent
aussi alerter, surtout quand elles
sont associées à des auras épigastriques ascendantes. Les témoins
peuvent aussi signaler des fluctuations cognitives, dont l’origine
épileptiques pourra être plus aisément suspectée si elles sont ornées de moments d’altération du
contact avec fixité du regard et/ou
automatismes – mais ce ne sera
pas toujours le cas. Malheureusement, l’EEG standard peut être
pris en défaut et ne permettra pas
toujours de rectifier le diagnostic. Les auteurs plaident pour des
enregistrements de haute densité,
qui semblent en mesure d’améliorer la détection d’anomalies intercritiques temporales ± frontales.
Pourquoi pas, mais nous n’avons
pas tous accès à ces méthodes électrophysiologiques. Un traitement
antiépileptique d’épreuve peut
donc aussi se discuter.
• Après ce qui vient d’être dit sur
les fluctuations cognitives, on
peut imaginer que certains SAET
posent le problème d’un diagnostic
syndromique compatible avec une
maladie à corps de Lewy (MCL)
prodromale. En effet, un dysfonctionnement exécutif modéré et des
troubles mnésiques en contexte de
fluctuations cognitives sont évocateurs de MCL prodromale. Si l’on
rajoute à cela des crises nocturnes
avec agitations (pouvant donc être
prises pour un trouble du comportement moteur en sommeil paradoxal) et des crises diurnes avec
forte composante visuelle (flashbacks ou états de rêve critiques),
alors la critériologie de la MCL est
respectée et l’on se trompe dans la
prise en charge.
C’est exactement ce qu’ont déNeurologies • Février 2015 • vol. 18 • numéro 175
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montré Park et al. très récemment
[20]. Ils rappellent de ce fait la nécessité d’analyser la durée des fluctuations et des “hallucinations”
visuelles, toujours brèves en cas
d’épilepsie (1 à 5 minutes).
• Cela se situe dans la lignée de
Rabinowicz et al. qui suggéraient
de rechercher certaines autres caractéristiques “épileptiques”
des fluctuations cognitives des
patients :
1. déambulation ;
2. désorientation dans des lieux
pourtant très familiers ;
3. exacerbation brutale et transitoire de l’amnésie du sujet sans
autre symptôme cognitif évident.
Figure 2 - Un exemple de SAET lié à une pathologie tumorale limitée à l’hippocampe.
Le patient, âgé de 62 ans, présente depuis plusieurs semaines des épisodes d’amnésie
transitoire associés à des manifestations évocatrices de crises temporales (aura épigastrique ascendante, pilo-érection hémicorporelle gauche). Leur fréquence est croissante
et les troubles mnésiques intercritiques en aggravation subaiguë depuis quelques
semaines. L’imagerie révèle une tumeur gliale de bas grade, localisée dans les structures temporales internes gauches. A = coupe axiale en séquence FLAIR montrant un
hypersignal de la tête de l’hippocampe gauche. B = coupe sagittale en séquence T1
Y a-t-il un intérêt au
traitement du SAET ?
Ce point a été abordé dès la publication de Butler en 2007 [3], qui indiquait clairement que les patients
traités continuaient à se plaindre
de leur mémoire pour la plus
grande partie d’entre eux. On pouvait donc penser qu’il ne fallait pas
promettre de normalisation cognitive aux malades sous traitement.
• La série marseillaise [14] apporte
plus d’espoir sur ce point, en décrivant non seulement une amélioration subjective des 12 patients
réévalués à 1 an, mais aussi une
augmentation de leurs capacités
de rappel en mémoire autobiographique concernant la période
s’étalant des 12 derniers mois aux
5 années passées. La nature du
traitement ne peut qu’être interrogée face à cela : la lamotrigine
– majoritairement utilisée par
ces auteurs – ne doit-elle pas être
favorisée dans le SAET au vu de
l’évolution cognitive publiée ? On
est tenté de répondre OUI.
• Des travaux complémentaires
sont bien sûr nécessaires. Dans
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montrant la formation tumorale en hyposignal limitée à l’hippocampe gauche, qui
apparaît ici tuméfié (astérisque).
Clichés dus à l’amabilité du Dr Nathalie Philippi (CHU Strasbourg, CMRR d’Alsace).
cette perspective, les 4 patients de
Del Felice et al. [18] voyaient leurs
scores de MMS s’améliorer discrètement sous traitement (score
moyen = 26,75 avant traitement et
27,5 après), mais pas leurs plaintes
subjectives, alors qu’un seul était
traité par lamotrigine (150 mg/j).
Deux étaient sous carbamazépine
(600 et 800 mg/j respectivement)
et un sous valproate (600 mg/j).
Quoi qu’il en soit, l’élimination
des fluctuations cognitives et des
récidives d’amnésie est pratiquement assurée par l’utilisation d’un
antiépileptique, compte tenu de
la bonne pharmaco-sensibilité du
SAET [20]. On évitera aussi l’accidentologie inhérente à la récidive
et à l’aggravation des malaises.
Le problème majeur
du SAET : l’étiologie
A la lecture des parties précédentes, on aura compris que le
SAET n’est pas en soi une maladie.
C’est un syndrome qui reconnaît –
comme tous les syndromes – plusieurs causes possibles.
On a beaucoup insisté sur la bénignité de cette forme particulière
d’épilepsie temporale dans la mesure où les premiers cas publiés ne
présentaient pas d’anomalies radiologiques ou alors une discrète
atrophie ± des lésions vasculaires
fixées [1-3, 19]. Certains méningiomes de la base du crâne ont pu
aussi être rapportés [3]. Mosbah et
al. [14] démontrent aussi une implication de l’auto-immunité qui,
si elle n’est pas très agressive, doit
néanmoins être surveillée.
Cela dit, il y a des situations dans
lesquelles le SAET est symptomatique de pathologies plus urgentes,
notamment tumorales comme
cela a été décrit dans l’article de
Lapenta et al. [13] et comme nous
l’avons rencontré dans notre pratique au CMRR d’Alsace (Fig. 2).
L’imagerie est donc toujours rapidement recommandée, idéalement une IRM pour ne pas man67
Le point
quer les tumeurs de bas grade.
Enfin la plainte cognitive chronique des patients et sa régulière
résistance aux médicaments anti­
épileptiques pose la question de
perturbations limbiques dégénératives précoces. C’est le cas dans
un certain nombre d’observations
que notre équipe a publiées, en lien
avec une MA très prodromale (démontrée sur la base d’une analyse
du LCR et par l’évolution démentielle des patients sur une durée de
plusieurs années) [21, 22].
En résumé le SAET n’est donc
pas toujours bénin.
Conclusion
Après l’article de Butler et al. en
2007 [3], un engouement majeur a
eu lieu autour du SAET et a abouti
à de nouvelles publications qui
ont permis de préciser le phénotype de ce syndrome très singulier
d’épilepsie temporale interne.
Les publications que nous avons
présentées ici valident les trois
grandes caractéristiques du SAET
décrites en première partie de cette
synthèse. Ils introduisent cependant des nuances qui méritent
d’être récapitulées : variabilité
étiologique (rôle de l’auto-immunité, attention aux pathologies
malignes ou dégénératives débutantes), épisodes courts d’amnésie
(bien moins qu’une heure dans une
grande partie des cas, en fait moins
de 10 minutes) dont la survenue au
réveil est certes typique mais pas si
courante, signes épileptiques associés jusqu’à 80 % des cas (et pas 20
à 40 % comme initialement rapporté) et bénéfice du traitement
médicamenteux peut-être meilleur
qu’annoncé (à condition d’utiliser
de la lamotrigine ?) .
Le SAET dévoile en outre que le
terme de fluctuations cognitives
ne recoupe pas une réalité monolithique. Leur mécanisme ici épileptique les colore d’une clinique
particulière et reconnaissable à
l’anamnèse (cf. supra), pour peu
que l’on se donne la peine de fouiller l’interrogatoire des patients et
des témoins.
En tout état de cause, les manifestations critiques et intercritiques
du SAET sont le reflet de désorganisations hippocampiques subtiles et limitées (au début, même si
elles peuvent ensuite s’aggraver).
De fait, le SAET est une opportunité unique pour les neurologues,
qui permet d’étudier et comprendre l’intervention de l’hippocampe dans la physiologie de la
mémoire à long terme.
On ne s’étonnera pas, dès lors, que
le gros de la littérature actuelle sur
le SAET soit constitué par des articles de cognition traitant de l’oubli accéléré, des oublis rétrogrades
autobiographiques et des modalités de leur constitution [23]. Nous
laissons les lecteurs intéressés
découvrirent par eux-mêmes ce
corpus scientifique.
Conflits d’intérêt : aucun.
Correspondance :
Dr Benjamin Cretin
CMRR d’Alsace - Département de
Neurologie - Hôpitaux Universitaires
de Strasbourg - Pôle Tête et cou
Hôpital de Hautepierre
1 Avenue Molière
67200 Strasbourg
E-mail :
[email protected]
Mots-clés : Amnésie épileptique
transitoire, Epilepsie temporale,
Plainte cognitive, Hippocampe, Tests
cognitifs, Antiépileptiques, Lamotrigine, IRM, PET, Diagnostic différentiel,
Ictus amnésique, Amnésies psychogènes, AVC, Migraine, MCI, Maladie
d’Alzheimer prodromale, Maladie à
corps de Lewy prodromale, Tumeurs
cérébrales
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Neurologies • Février 2015 • vol. 18 • numéro 175

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