Entretien entre les danseurs du collectif ex nihilo et Johanne

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Entretien entre les danseurs du collectif ex nihilo et Johanne
Entretien entre La Compagnie et les danseurs du collectif ex nihilo
Adresse : http://www.la-compagnie.org
Quelle est l’origine du projet Passants ?
Anne Reymann : à l’origine du projet il y avait déjà la forme solo. Un solo c’est un moment pour
prendre une parole, avoir à un moment une parole personnelle, et puis il y avait aussi une envie de ré
interroger vraiment notre rapport à la rue, comment on a envie de s’inscrire dans la rue, qu’est-ce que
c’est vraiment danser dans la rue, c’était un peu ça le projet de départ, c’était vraiment de prendre à
nouveau un temps à nous pour retrouver des sensations premières essentielles sur ce qui nous a amené
à danser dans la rue. Parmi les dernières créations d’ex nihilo, il y en a eu une en site spécifique sur
une plage, c’est une pièce qui travaillait sur le paysage, sur l’écoute extérieure, il y a eu aussi Salida,
un travail sur le duo, c’était à un moment avoir envie de sortir un espace assez intime, intérieur. Il faut
qu’on réfléchisse à nouveau sur ce que c’est que travailler dans la rue, c’est une envie de revenir à des
sensations premières avec le mouvement des gens avec des matériaux, on a été aussi très inspiré par
le travail d’Ernest Pignon Ernest à Naples, avec les grandes affiches qu’il posait dans les rues qui
mettent en valeur des espaces, une architecture particulière. C’est très beau Belsunce, c’est
dégueulasse mais c’est très beau. Dans la rue des Petites Maries, on a trouvé de superbes escaliers,
l’autre jour on a fait une improvisation là-bas à quatre, une personne par escalier et c’était superbe. La
petite place devant le bar Jacques est très belle aussi avec les trois gros bancs là, comme ça, j’aime
bien cette place en pente. Il y a beaucoup d’endroits très intéressants dans Belsunce, des carrefours,
forcément dans un carrefour tu vas avoir une envie de bouger particulière par rapport à tous ces
croisements, il y a des endroits beaucoup plus intimistes, on croise souvent des gens qui sont assis
juste là et qui s’arrêtent, qui sont assis sur un escalier et qui discutent, ça c’est aussi une proposition
dansée différente, plus calme.
Christoph : ce que je comprends et ce qui me plaît dans Passants c’est qu’il y a une forte envie de
s’interroger et de construire un projet autour d’un besoin. Je pense qu’il y a deux niveaux, il y a des
niveaux individuels comme interprète, danseur ou chorégraphe, ou acteur même et aussi l’autre niveau
de la compagnie, la démarche d’ex nihilo, notamment dans la rue. Avec Passants, il y a l’envie de se
retrouver dans la rue, plus concrètement dans la rue et pas forcément dehors sur une place isolée, avec
des gens qui passent. Je pense qu’il y a déjà assez de références comme envie d’être dehors en tant
qu’individu mais aussi en tant qu’artiste qui travaille. Il y a des gens qui passent et d’un coup on s’est
posé cette question : nous aussi on est des passants. Après, on est rentré plus dans l’éducation, ça veut
dire quoi Belsunce, ça veut dire quoi cet endroit pour moi. Je ne suis pas français, ça veut dire que je
suis déjà étranger et c’est une expérience intéressante, aller dans un quartier qui est plutôt un quartier
d’étrangers, il n’y a pas beaucoup de français ici, il y a des gens qui viennent d’ailleurs et pour moi ça
me pose déjà plein de questions. C’est intéressant de voir comment moi aussi je réagis, comment les
gens réagissent en face de moi sans forcément savoir que je suis étranger, mais ça se fait assez vite si
on parle, il y a un autre rapport déjà, étranger-étranger tu as un autre rapport avec quelqu’un qui vient
d’ailleurs ou avec un français. Quand même je suis blanc, ça change aussi, c’est clair je ne suis pas
africain, mais ça c’est un sujet pour moi, pour travailler.
Est-ce que vous vous êtes donnés un point de départ précis puisque vous avez commencé à
travailler, vous avez passé du temps dans les rues ? De quoi êtes-vous partis ?
Christoph : la première semaine qu’on a passée, on s’est donné un point de départ plutôt
géographique, c’est à dire qu’on a décidé d’une rue pas trop large, pas trop grande, pas trop fréquentée
pour commencer à travailler. Et à partir de là on est un peu descendu dans cette rue, sur une autre
place, autour d’un bloc. Pour moi par exemple, un point de départ c’est déjà être là, être dans la rue et
pas forcément commencer à danser, c’est un peu normal, c’est comme dans une création, il y a un côté
physique que tu peux faire même sans gens autour, sans décor, de manière plutôt intime. Et il y a
l’autre côté, tu mets ça dans un contexte, là dans Belsunce, le contexte, c’est les gens qui passent,
l’ambiance, l’architecture, même le temps, tout ça c’est beaucoup plus important que pour une autre
création, une autre pièce. Et pour moi c’est ça qui est important, de déjà commencer ça, d’être là, et
sentir, passer, regarder, écouter. Je sais que je commence souvent un travail dans le « silence » par
FfFriche Belle de Mai, 41 rue Jobin 13003 marseille
tel : 04 95 04 96 42 – fax : 04 95 04 96 44 – [email protected]
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exemple avec une musique ou avec un texte, ou seulement, réfléchir, regarder à la fenêtre des nuages
qui passent ou quelque chose comme ça.
Ici, j’ai le besoin d’être sur un banc et regarder ou être dans un café et regarder, ça pour moi c’est déjà
un point de départ. Et là, d’un coup ça donne quelque chose à quoi je peux répondre.
Allez-vous aussi partir de choses qui existent comme le comportement corporel de gens de
Belsunce ?
Anne Reymann : je ne sais pas, pourquoi pas, c’est le début. L’autre jour devant la pâtisserie à l’angle
de la rue d’Aix, je voyais un homme plein de tics, ce jour-là je ne dansais pas mais peut-être que si
j’avais dansé j’aurai repris une gestuelle particulière qui était très intéressante d’un point de vue
chorégraphique. La dernière fois, on a fait de grandes traversées, toutes les rues très longues comme la
rue Longue des Capucins donnent envie de créer une danse pour toute la rue entière parce qu’il y a une
si belle perspective qu’on a envie d’occuper cet espace-là, ça ne veut pas dire qu’on va chercher à faire
plein de sauts, on est parti d’une marche simple, je crois qu’on est assez proche quand même d’une
danse très concrète, très réaliste. Je vois les enfants dans Belsunce, mais pas que dans Belsunce, dans
la rue, n’importe où, c’est vrai qu’il n’y a qu’à regarder, il faut observer comment les enfants jouent
avec un élément qu’ils ont trouvé : une rambarde ou une chose comme ça, ils vont monter dessus,
sauter de la rambarde. Nous, on est aussi làdedans, c’est très ludique en fait ce qu’on fait, je crois qu’il
ne faut pas chercher forcément loin, c’est du jeu, c’est du jeu vraiment.
Ça vous a semblé compliqué la première semaine dans les rues, le fait de ne pas être en
représentation mais d’être exposés à un regard en tous cas ?
Christoph : oui et non parce que l’accueil est assez sympa, plus facile que je ne pensais. Il y a des
gens quand même qui disent : « ah dans Belsunce vous êtes courageux, c’est difficile, c’est sale, c’est
dangereux », on a tous ces bagages aussi avec nous. D’accord il y a des voleurs, des gens qui ne sont
pas sympas, qui n’aiment pas forcément que nous soyons là pour danser, on ne sait pas forcément ce
qu’il se passe. En même temps, ce n’est pas du tout ça, je pense que jusqu’à maintenant les gens sont
très ouverts, curieux, pas trop avec des préjugés, et ça c’est bien, ils sont vraiment curieux : « mais
qu’est-ce qu’on fait, pourquoi, comment ? ». En fait, on réalise qu’il y a plein de gens intéressants ici
qui sont plus ou moins cachés, qui ont une histoire, qui ont des choses à dire, qui ne s’expriment peutêtre pas forcément parce qu’il n’y a pas de moyen. Là on a réalisé que c’est intéressant de ne pas
forcément danser, danser tout le temps dehors, comme on fait normalement pour les créations, on
danse comme des fous, des heures par jour s’épuiser, trouver, chercher, laisser tomber, mais aussi
prendre des moments : il y a quelqu’un qui passe qui a une chose à dire, et là il faut s’arrêter aussi
pour parler ou inviter, discuter. C’est vraiment différent que pour d’autres projets mais très intéressant
en même temps parce que ça donne aussi des choses, ça donne quelque chose à transmettre ou à
changer, à sculpter ...
Vous avez commencé à travailler dans les rues, comment ça se passe ?
Jean-Antoine : au mois de Juillet, pour nous c’était drôle, parce que ce n’était pas gagné d’aller
dehors. Donc on est arrivé tout doucement sur nos petits pieds rue Longue, et puis en fait, au fur et à
mesure, ça s’est étalé, on a démarré tout en haut de la rue Longue, après, ça a pris tout le pâté de
maison, on est parti sur la rue qui monte vers la gare St Charles et puis devant Chez Jacques. Ce qui
est assez drôle, pour moi de l’intérieur c’est justement cette prise de confiance qui au fur et à mesure
se fait aussi par prise d’espace. Au départ tu as une espèce d’appréhension à aller dans un endroit qui
ne t’appartient pas, et puis en fait c’est ouvert, à toi de rentrer dedans. J’ai trouvé ça vraiment agréable
d’arriver, de se poser à l’intérieur, de se tranquilliser à l’intérieur. Dans les rues de Belsunce, tu n’es
pas chez les gens en même temps tu es quand même dans le jardin de beaucoup de personnes, comme
beaucoup de choses se passent à l’extérieur, même chez le coiffeur, il y a un coiffeur qui est en bas, il y
a toujours une chaise à l’extérieur, il y a toujours plein de gens qu’on voit dans la rue. Donc, tu es dans
une rue qui est à tout le monde et en même temps tu es quand même chez les gens. Je pense qu’eux
sont dans le même rapport, tu es chez eux mais en même temps tu n’es pas chez eux, moi aujourd’hui
j’ai pensé à ça.
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Quel accueil avez-vous reçu dans le quartier ?
Jean-Antoine : on regarde les gens, eux nous regardent, parfois on ne regarde pas, parfois eux ne
regardent pas, ils finissent toujours par aller au bout de la rue et jettent un oeil, ça j’aime bien le « je
regarde pas mais en fait j’ai regardé avant et après ».
Anne Le Batard : moi, aujourd’hui j’ai eu l’impression que le rapport était dans les deux sens, c’est à
dire que nous avons une certaine appréhension à nous étaler mais en même temps dans le regard des
gens il y a une certaine appréhension à nous regarder. En fait dans les deux situations, j’ai senti qu’il y
a une vraie volonté de ne pas déranger l’autre, je me suis dit ça parce qu’on est autant intrigué d’être
dans ce quartier
que les gens sont intrigués de nous voir là faire ce qu’on fait, c’est sûrement une espèce de bête
rapport animal. Ce n’est pas forcément inhabituel de voir des gens bouger même si tu n’identifies pas
que c’est de la danse les gens voient quand même qu’on est des adultes qui faisons des choses bizarres
dans la rue, les enfants font ce qu’ils veulent, nous on est des adultes qui faisons un peu comme des
enfants, en plus on est tous blancs donc il y a quelque chose qui intrigue. Il y a une espèce de
superposition de modes, c’est à dire des gens qui font de la danse et des gens qui passent, il y a des
gens qui passent qui ne sont pas du quartier du tout, en fait c’est souvent les gens qui ont l’air du
quartier qui sont le plus intéressés.
Dans le sens du projet Passants à la compagnie, nous pouvons expérimenter quelque chose c’est clair
qu’il y a un facteur humain très fort, il y a quelque chose de relationnel qui se passe, on ne peut pas
forcément l’identifier mais c’est évident que du fait qu’on soit dans un espace si habité il y a forcément
de la relation, ce qui n’était pas le cas avant parce que souvent quand on répétait dehors, on allait se
mettre dans un endroit un peu protégé, on fait ça encore à Belsunce mais protégé reste quand même
très relatif. Il faut qu’on arrive peu à peu à prendre de la confiance peut-être dans la relation avec les
gens en même temps on n’est pas très pour, enfin, je ne sais pas si il faut vraiment aller à un moment
donné danser avec les gens parce que c’est une autre histoire. Dans le quartier, physiquement, les gens
sont assis, sont debout, appuyés, ils parlent et sont peu actifs finalement, enfin ils ont une activité mais
ça ne déborde pas de physicalité, par contre ils parlent beaucoup et je me rends compte que nous aussi
on se retrouve à parler beaucoup c’est à dire que quand on danse, il y en a toujours un qui se fait
accaparer par un passant ou des passants pour parler. La relation humaine passe beaucoup par la
parole, c’est là que tu dis bonjour, même si la danse est un mode d’expression quand même au
moment où il y a vraiment une relation d’homme on parle.
Jusqu’au mois de Décembre vous allez être dans le quartier de Belsunce, vous avez prévu à
un moment donné de faire des formes définitives ?
Christoph : on a plus ou moins défini que ce projet-là ne va pas finir avec un spectacle, ce qui est
assez difficile comme but parce que normalement, tu amènes toujours un projet pour aboutir sur un
spectacle, la danse existe seulement dans ce moment-là. Comme on écrit des choses et on ne travaille
pas forcément sur l’improvisation, c’est assez délicat de trouver une formule, une forme, un cadre pour
ça. Il y a seulement des moments décidés où il y a un public, ça peut être un petit public, ça peut-être
quelqu’un avec une caméra, ça peut-être quelqu’un qui dessine ou écrit, ça veut dire que déjà ça peut
être plutôt un échange avec des gens, avec un autre artiste mais aussi avec des gens dans la rue c’est
plus dans cette façon-là, mais pas amener par exemple 200 ou 300 personnes qui viennent voir un
spectacle d’ex nihilo. Le but c’est de finir avec quelques solos chacun dans des formes différentes, soit
avec musique, soit avec quelque à côté, ensemble ou vraiment isolés, ça c’est à définir, ça on peut dire
que c’est déjà un but, travailler sur les solos qui sont écrits dans un endroit spécifique.
Entretien entre les danseurs du collectif ex nihilo
et Johanne Larrouzé la compagnie, septembre 2002
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