Sans-papiers : l`autre « chiffre » de la politique d`expulsion

Transcription

Sans-papiers : l`autre « chiffre » de la politique d`expulsion
Sans-papiers : l’autre « chiffre » de la
politique d’expulsion
par Damien de Blic
Le 14 mars 2007
L’équivalent du déficit annuel de l’assurance vieillesse : c’est le coût des
expulsions réalisées par le ministère de l’Intérieur depuis 2003.
Novembre
2006 à Paris, dans le Xème, rafle à l’angle du bd de Strasbourg, des rues Château d’eau et des
Petites écuries. Photos Patrick Sagnes/Zarma.
La lutte contre l’immigration clandestine constitue depuis les années 1970 un objectif déclaré
des politiques migratoires définies dans la plupart des pays industrialisés. Pour la première
fois cependant, cet objectif prend depuis quatre ans en France la forme d’un programme
chiffrant précisément un nombre de reconduites à la frontière à réaliser chaque année. Cette
initiative est due au ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy qui, dans une circulaire en date du
22 octobre 2003, demande aux préfets de doubler à court terme les expulsions d’étrangers en
situation irrégulière. La raison de cette instruction est précisée dans le texte : « L’exécution
effective des décisions d’éloignement est la condition de crédibilité de toute politique
publique de maîtrise de l’immigration. » Cette circulaire précède de quelques jours l’adoption
par le Parlement français d’une loi « relative à la maîtrise de l’immigration et au séjour des
étrangers en France » (promulguée le 26 novembre 2003) qui donne à l’administration les
moyens de répondre aux nouveaux objectifs : accroissement de la durée maximale de
rétention administrative, fichage systématique des demandeurs de titres de séjour,
subordination de l’octroi de ces titres à des garanties d’ « intégration républicaine »
notamment [1] .
Cette politique d’expulsions massives n’est pas revendiquée par le seul ministre de l’Intérieur,
manifestement soucieux d’afficher sa fermeté en matière d’immigration dans la perspective de
l’élection présidentielle de 2007. Elle est largement confortée par le Premier ministre
Dominique de Villepin qui expose le 11 mai 2005 un « plan d’action de lutte contre
l’immigration irrégulière » qui reprend à son compte les objectifs chiffrés par Nicolas Sarkozy
en lui assurant le concours d’un comité interministériel et propose la création de « pôles
départementaux » destinés à faciliter la gestion des éloignements d’étrangers irréguliers. Le
nouveau dispositif, assorti de fortes pressions sur les préfectures, à qui sont fixées par le
Ministère de l’Intérieur un nombre annuel d’expulsions à réaliser [2] , semble porter
rapidement ses effets, comme en témoignent les chiffres bruyamment annoncés à la fin de
chaque année civile : objectif de plus de 15 000 expulsions fixé en 2004, près de 20 000 en
2005, 24 000 en 2006, 28 000 pour 2007.
Dans la mesure où la volonté de faire du « chiffre » est au principe de la politique menée
depuis 2003, il n’est pas inutile de se pencher sur l’autre chiffre que masque cette politique, à
savoir son coût financier pour la collectivité. Ce chiffre-là, par contraste avec celui des
reconduites, n’est guère mis en avant par les auteurs de cette politique. Seul Dominique de
Villepin évoque, comme par lapsus, l’ « effort considérable » réclamé par les reconduites
massives et va jusqu’à estimer leur coût à 67 millions d’euros pour l’année 2005 [3] . Le
silence qui règne par ailleurs s’explique aisément dès lors qu’on prend la (dé)mesure de
l’ensemble des moyens mobilisées pour atteindre le chiffre érigé en « priorité absolue » [4] de
l’action du ministère de l’Intérieur depuis plus de trois ans.
Une politique d’expulsions conduite à tout prix
Il peut sembler déplacé d’aborder la politique de reconduite à la frontière sous un angle
monétaire, tant son coût, bien avant d’être budgétaire ou économique, est bien évidemment un
coût humain : mise en grand danger de personnes renvoyées dans des pays où elles sont
parfois gravement menacées, familles disloquées, enfants séparés de l’un de leur parents,
stigmatisation et culpabilisation des étrangers résidant en France… Ces maux répétés
commencent aujourd’hui à être connus grâce à l’activité des collectifs militants attentifs aux
droits des étrangers. La mise en parallèle des moyens déployés pour maximiser les
reconduites à la frontière et des drames vécus par ceux qui en sont les victimes met un peu
plus en lumière, toutefois, le caractère inhumain d’une logique du chiffre poussée jusqu’à
l’absurde.
Pour sa seule partie émergée, la politique d’expulsion de sans-papiers mobilise l’équivalent de
plus de 10 000 emplois à temps plein. Mais cette politique a aussi besoin de moyens beaucoup
moins visibles, parce qu’ « empruntés » à des services normalement destinés à d’autres
emplois : fonctionnaires affectés au centres de rétention, policiers assurant les interpellations,
les gardes à vue et les transferts divers, escortes internationales vers les pays de retour, toutes
les activités sans lesquelles les nombres fixés d’éloignement seraient tout simplement
impossibles à atteindre. On peut ainsi raisonnablement estimer que c’est l’équivalent d’au
moins 15 000 emplois à temps plein qui est consacré à l’expulsion des sans-papiers.
Nicolas
Sarkozy justifiait en 2003 sa volonté d’éloignement systématique des étrangers en situation
irrégulière par sa contribution à la « crédibilité » d’une politique de lutte contre l’immigration
irrégulière. Il semble urgent d’interroger ce souci de crédibilité au regard de ces chiffres : si
l’on suppose que le nombre de 28 000 expulsions sera atteint à la fin de l’année 2007, il aura
fallu pour réaliser deux de ces expulsions l’équivalent de l’emploi annuel à temps plein d’un
fonctionnaire. Si l’on traduit ces emplois sous une forme monétaire, ce sont donc au minimum
3 milliards d’euros [5] qu’auront coûté au total les expulsions réalisées depuis 2003 :
l’équivalent du budget annuel du ministère de la culture ou encore deux années de
fonctionnement de la ville de Marseille. C’est aussi le déficit de la caisse national d’assurance
vieillesse prévu pour 2007. Compte tenu par ailleurs du coût humain individuel – lui
inestimable – pour tous ceux qui auront été arrachés au territoire français et à toutes les
attaches qu’ils ont pu y nouer, la démesure et l’absurde d’une politique fondée sur des chiffres
qui ne semblent finalement servir qu’une « opération de communication » [6] apparaît ici
dans toute son évidence.
Le difficile chiffrage des reconduites à la frontières
Dresser les comptes de la politique d’éloignement s’avère un exercice difficile. La Cour des
comptes elle-même, malgré les moyens humains et matériels dont elle dispose, a dû renoncer
à une évaluation du « coût global » de la lutte contre les séjours irréguliers, évaluation qui lui
semble pourtant nécessaire au regard du caractère prioritaire donnée par le ministère de
l’Intérieur à cette lutte. L’extrême difficulté du calcul correspond à différentes causes : une
volonté du ministère concerné de masquer le coût d’une politique qui risquerait précisément
de faire apparaître son caractère démesuré ; mais aussi le fait que les éloignements massifs ne
reposent pas seulement sur la création de nouveaux moyens mais aussi sur le redéploiement
de dispositifs destinés initialement à d’autres actions.
Certains coûts sont cependant bien visibles. Dominique de Villepin, dans l’interview citée
plus haut, annonce lui-même un triplement entre 2004 et 2005 du budget consacré à la lutte
contre l’immigration clandestine, de 33 millions à 100 millions d’euros, et l’affectation de 600
policiers supplémentaires à la Police de l’Air et des Frontières (PAF). Cet effort financier va
croissant, puisque le budget 2007 de la Police national laisse apparaître une nouvelle hausse
de 60 % de ce volet budgétaire largement consacré aux frais d’expulsions, à hauteur de 107
millions d’euros. D’après Carine Fouteau des Echos [7] , la prise en compte de la masse
salariale fait croître le budget de la lutte contre « l’immigration irrégulière » jusqu’à 687
millions d’euros, soit l’équivalent de plus de 10 000 emplois à temps plein destinés à
l’expulsion des sans-papiers.
Le gouffre des CRA
Une partie importante du budget que la Police nationale consacre à l’immigration irrégulière
est dédiée à l’entretien des Centres de Rétention Administrative (CRA). Créés en 1984, les
CRA ont pour but de retenir les étrangers en situation irrégulière avant leur éloignement du
territoire national. Ils constituent une pièce essentielle du dispositif d’expulsion. Or, le coût de
ces centres croît lui aussi dans des proportions spectaculaires. La multiplication des
expulsions nécessite tout d’abord l’agrandissement des sites existants (au nombre de 19 au
début de 2007) et la construction de nouveaux centres (trois sont prévus en 2007), l’objectif
étant d’atteindre un nombre de 1 500 places disponibles à la fin de l’année 2007 contre un peu
plus de 1 000 aujourd’hui. Les dépenses d’investissement relatives au CRA représentent dans
le budget 2007 une somme de 270 millions d’euros, dont 48,5 millions d’euros destinés à la
construction des nouveaux centres [8] .
Le nombre moyen d’étrangers hébergés quotidiennement en CRA augmente certes du fait du
nombre croissant d’interpellations mais aussi en raison de l’allongement de la durée moyenne
de rétention qui a doublé (de 5 à 10 jours) entre 2002 et 2005. L’effet conjugué de ces deux
facteurs conduit ainsi à accroître fortement le nombre quotidien moyen de personnes en
rétention qui passe de 370 en 2002 à 840 en 2005 [9] .
Or, le coût de chaque rétention augmente fortement dans le même temps. L’indicateur sur le
coût moyen d’une rétention administrative, mis en place dans le cadre de la nouvelle Loi
organique relative aux lois de finance (LOLF), prévoit un chiffre de 1 000 euros pour 2007
(contre 600 euros en 2004), sous l’effet non seulement des durées plus longues de rétentions
mais aussi de « l’amélioration des prestations hôtelières » qui fait suite aux dénonciations
répétées des conditions inhumaines de rétention des personnes en voie d’expulsion [10] .
Encore cet indicateur semble largement sous-évalué puisqu’il n’intègre pas, par exemple, les
charges liées aux heures de fonctionnaires consacrées à la rétention. Pas moins de 890
policiers étaient affectés aux CRA en mai 2006.
On soulignera au passage que parmi l’ensemble des personnes en rétention, une grosse
majorité n’est pas effectivement expulsée : en 2005, seulement 32% [11] d’entre elles ont
effectivement été reconduites à la frontière. Une avocate toulousaine cite le cas de quatre de
ses clients ayant séjourné chacun 32 jours en CRA -séjour sans conséquences dramatique,
aucun consulat ne les ayant reconnus. Elle calcule elle-même : « cette rétention administrative
inutile a donc coûté 32 jours x 87,5 euros (chiffres pour 2006) x 4 personnes = 11 187,20
euros au contribuable français » [12] . S’il l’on se rappelle que cette situation concerne le tiers
des détenus, soit environ 10 000 étrangers en 2006, on arrive à une dépense de près de 9
millions d’euros, absurde d’un point de vue financier mais parfaitement logique dans le cadre
d’une politique où aucune occasion d’augmenter le chiffre d’expulsés ne doit être perdue…
La face cachée de la politique d’éloignement : les « rafles »
Le budget de la
Police consacrée explicitement à l’immigration clandestine ou celui affecté au fonctionnement
des centres de rétention peuvent ainsi donner lieu à des estimations en termes de coût,
quoique largement sous-estimées en elles-mêmes. Mais ces dépenses « budgétisables » et
donc partiellement visibles masquent tout un ensemble de moyens déployés pour atteindre les
chiffres annuels d’éloignement qui ne font eux l’objet d’aucune évaluation. Avant d’être
placés en CRA, les étrangers irréguliers doivent être interpellés. Or, les services de police
spécialisés dans la lutte contre l’immigration clandestine (du type de la 12e section des
renseignements généraux de la préfecture de Paris) ne peuvent à eux seuls assurer plus de 20
000 expulsions par an. Ce sont les forces de police locales qui sont dès lors sollicitées pour
assurer que l’objectif soit atteint.
La contribution des forces de la police « ordinaire » à l’interpellation des personnes en
situation irrégulière prend la forme de vastes opérations de contrôles d’identité sur la voie
publique. Dans la circulaire du 22 octobre 2003 déjà citée, Nicolas Sarkozy demandait en
effet aux préfets, en vue d’assurer un nombre suffisant d’éloignements, de mobiliser toutes les
opportunités ouvertes par l’article 78-2 du code de procédure pénal qui permet, sur
réquisitions écrites du procureur de la République, de vérifier l’identité de toute personne
dans un lieu et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. De fait, sous couvert
d’assurer la sécurité des biens et des personnes ou de prévenir des atteintes à l’ordre public,
les opérations reposant sur l’article 78-2 prennent de plus en plus la forme de véritables
« rafles » au cours desquelles ne sont contrôlés que les personnes susceptibles d’être
« irrégulières ». Comme le résume la CIMADE, « la police ne tombe plus "par hasard" sur les
sans-papiers, elle va les chercher » [13] . Dans les quartiers populaires du nord et de l’est de
Paris se multiplient ainsi depuis l’été 2006 des opérations visant à interpeller un maximum de
sans-papiers. Ces opérations, indispensables pour atteindre le chiffre d’éloignement fixé aux
préfectures par le ministère de l’Intérieur, supposent un déploiement considérable de moyens
dont le coût n’apparaît cette fois dans aucune des lignes budgétaires de la lutte contre
l’immigration clandestine.
Un officier de police judiciaire (OPJ) d’un commissariat du nord de Paris, habitué de ce genre
d’opérations et qui a accepté de répondre à nos questions sous couvert d’anonymat explique
ainsi : « les critères de "réussite" des opérations, dont dépend la carrière de nos chefs, sont le
nombre de gardes à vue, puis le nombre de placements en rétention. A moins de dix sans-
papiers interpellés, l’opération est un échec. Pour parvenir à ces chiffres, il faut au moins dix
fonctionnaires procédant aux interpellations sur la voie publique, sur une durée de deux
heures en moyenne. Chaque garde à vue mobilise ensuite deux à trois fonctionnaires. Le
nombre augmente pour peu qu’il y ait une mobilisation autour d’une personne arrêtée, s’il
s’agit d’un parent d’enfant scolarisé par exemple. Au coût horaire des fonctionnaires, ça
commence à chiffrer vite. Il faut ajouter ensuite, pour chaque interpellé, la venue d’un
traducteur et le coût de la visite médicale, souvent demandée, et qui se situe autour de 50
euros. Il faut enfin ajouter les frais de transfert vers le centre de rétention ». Bien conscient du
caractère « non raisonné » de cette politique du chiffre, cet OPJ insiste sur la détérioration
« évidente » de la qualité du travail judiciaire ordinaire que provoque la concentration des
forces policières. « On est de plus en plus nombreux à être exaspérés par ces consignes qui
nous obligent à arrêter des sans-papiers plutôt que des "crapules" ».
Or, malgré ces critiques partagées par un nombre croissant de policiers [14] , le rythme des
rafles tend à s’accélérer. D’une à deux par semaine en moyenne pour l’année 2006, les
opérations d’interpellations de sans-papiers sur la voie publique sont devenues quasiquotidiennes, comme en témoignent les réseaux de vigilance mis en place par les différents
collectifs militants à Paris. Une partie du contingent policier qui n’est pas destinée a priori à la
lutte contre l’immigration clandestine peut être ainsi amenée à consacrer une bonne moitié de
son activité à la « chasse aux sans-papiers ». Et pour éviter les protestations, de plus en plus
nombreuses, elles aussi, des riverains et des militants, les opérations de nuit se multiplient,
avec les surcoûts salariaux correspondant.
De vastes opérations sont plus difficilement envisageables en province ou dans des villes de
taille moyenne où les sans-papiers sont moins concentrés que dans certains quartiers parisiens.
Les arrestations de sans-papiers posent alors d’autres problèmes, à l’origine d’autant de coûts
supplémentaires. De nombreux pays refusent en effet d’accueillir leurs nationaux renvoyés de
France sans preuve officielle de leur nationalité, preuve indispensable pour l’obtention du
laissez-passer nécessaire à l’expulsion. En l’absence de passeport ou de pièces d’identité
officielle, l’administration doit dès lors présenter l’étranger arrêté à son consulat, qui n’existe
parfois qu’à Paris ou dans certaines métropoles régionales. Il est ainsi très courant qu’à
l’interpellation et à la garde-à-vue succède un coûteux aller-retour, toujours sous escorte
policière, du sans-papier vers Paris, Toulouse ou Marseille, sans aucune garantie sur le succès
de la démarche.
A rebours, pour
« rationaliser » les expulsions, les opérations d’interpellations menées à Paris se focalisent
volontiers sur certains ressortissants dont on sait que le pays d’origine délivrera sans difficulté
le laissez-passer nécessaire à l’éloignement. C’est ainsi que les populations chinoises
concentrent l’essentiel des interpellations réalisées dans certains arrondissements de la
capitale. Certaines opérations ont pu ainsi être « cassées » devant les tribunaux parce que les
équipes policières arrivaient sur les lieux de la rafle accompagnées d’un traducteur chinois…
De manière générale les efforts de l’administration pour réaliser des économies d’échelle en
matière d’éloignement aboutissent logiquement à de nombreux vices de procédures, au point
qu’en 2006, un quart des personnes placées en rétention administrative ont été remises en
liberté à la suite d’une décision du juge des libertés et de la détention [15] : chiffre à apprécier
en regard du coût rappelé plus haut de la rétention.
L’expulsion de la famille Raba constitue sans doute l’un des cas les plus tragiques engendrés
par la politique d’éloignement menée par le gouvernement français. Musulman albanophone
du Kosovo, Jusuf Raba refuse en 2001 de participer aux exactions menées contre la minorité
serbe de sa région. A titre de représailles, sa femme, Shrepsa, subit une agression sexuelle.
Jusuf et Shrepsa fuient avec leur fils vers la France où l’asile politique leur étant refusé,
contrairement à leurs frères et sœurs, ils deviennent « sans-papiers ». Cinq ans plus tard, en
2006, la famille Raba qui s’est agrandie de deux enfants fait une demande de titre de séjour
dans le cadre de la circulaire « Sarkozy » du 13 juin – ouvrant sous conditions la possibilité de
régularisations pour les familles sans-papiers dont les enfants sont scolarisés en France.
Cette régularisation leur étant refusée, la gendarmerie vient chercher le 17 novembre la
famille à son domicile de Gray, en Haute-Saône, en vue d’une expulsion. Devant la résistance
désespérée de Jusuf et Shrepsa, face aux protestations émanant de leurs voisins, des
instituteurs des enfants, des militants des droits de l’homme et du Réseau Education Sans
Frontières, la police décide d’employer les grands moyens. Après une première une première
période de rétention de 17 jours et une tentative « manquée » d’expulsion depuis Paris, la
famille est conduite à Toulouse, loin de ses soutiens, d’où un avion militaire spécialement
affrété les dépose au Kosovo quatre jours plus tard. On peut rester longtemps songeur face au
dispositif déployé pour éloigner deux parents et leurs trois enfants, âgés de 7, 4 et 3 ans. Les
raisons sont sans doute à chercher du côté d’un ministre de l’Intérieur soucieux de soigner son
image de fermeté ou de l’aubaine que constitue, pour la préfecture d’un département rural en
déficit d’éloignements, l’opportunité d’expulser cinq personnes d’un coup. L’acharnement a
toutefois un coût et l’indignation partagée par de nombreux citoyens s’accroîtra sans doute si
on en prend la mesure. Les 21 jours qu’auront au total passé en rétention les cinq membres de
la famille Raba, ramenés au coût journalier évoqué plus haut, représentent une somme
supérieur à 10 000 euros. On peut estimer à un montant équivalent les différents trajets que
l’administration policière a fait effectuer aux Raba à travers la France : Gray-Lyon, un allerretour Lyon-Paris dans le cadre de la première expulsion manquée, un aller simple vers
Toulouse, sans compter les multiples trajets entre le Centre de rétention, le Tribunal
administratif ou le Tribunal de grande instance. Le prix de l’heure de vol d’un avion militaire
est d’environ 5 000 euros [16] . Celui qui a été affrété pour les Raba a ainsi dû voler du
Bourget à Toulouse, de Toulouse à Tirana, de Tirana à Pristina, puis de Pristina au Bourget :
au moins 50 000 euros pour ce seul poste. Il faut ajouter à ces dépenses les frais représentés
par l’ensemble du personnel policier mobilisé pour l’opération : pas moins de dix policiers et
une infirmière ont escorté la famille jusqu’à Pristina, ont ensuite dû loger sur place avant de
revenir en France : difficile de chiffrer ce poste à moins de 10 000 euros. Soit environ 80 000
euros (au bas mot) : tel aura été le prix consenti par les autorités française pour « éloigner » –
et mettre en danger – trois enfants et leur parents. Expulser à tout prix : tel semble être la
maxime des responsable de la politique d’éloignement systématique.
Autre illustration des aberrations générées par la politique du chiffre, le cas de Suzilène
Monteiro, lycéenne de Colombes (Haut-de-Seine), expulsée en octobre 2006 vers le Cap-Vert.
Traitement exceptionnel, là encore : c’est pour cette seule jeune fille qu’a cette fois été affrété
un avion par le ministère de l’Intérieur. La très forte mobilisation organisée par ses soutiens a
conduit Nicolas Sarkozy à revenir pour une fois sur une décision d’expulsion et à accorder à
Suzilène la délivrance d’un visa long séjour pour poursuivre ses études : quatre mois après
son éloignement, Suzilène a pu revenir en France. Le coût de cette opération n’est sans doute
guère inférieur à celui de l’expulsion de la famille Raba (du fait de l’affrètement notamment).
Et celle-ci n’aura même pas permis de gonfler les statistiques de la chasse aux sans-papiers.
__________________________________
Source TERRA : http://www.mouvements.asso.fr/spip.php?article26