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CONSEIL DE L’EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS PREMIERE SECTION DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ de la requête no 76878/01 présentée par Aleksandr Leyzerovich GRIBENKO contre la Lettonie La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 15 mai 2003 en une chambre composée de MM. C.L. ROZAKIS, président, P. LORENZEN, G. BONELLO, Mme F. TULKENS, M. E. LEVITS, Mme S. BOTOUCHAROVA, M. A. KOVLER, juges, et de M. S. NIELSEN, greffier adjoint de section, Vu la requête susmentionnée introduite le 13 septembre 1999, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante : EN FAIT Le requérant est un ressortissant russe, né en 1957 et résidant à Moscou (Russie). Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. 2 DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE A. Circonstances particulières de l’affaire 1. La genèse de l’affaire Le requérant naquit en 1957 à Jūrmala (Lettonie ; à l’époque la « république soviétique socialiste de Lettonie »). En 1975, il commença à y travailler. En 1978, l’autorité locale compétente lui délivra un passeport soviétique (ci-après le « premier passeport »). La même année, le requérant quitta la Lettonie pour la région de Tyumen (Russie), afin de travailler dans un chantier de construction organisé par les autorités soviétiques. En 1979, l’organe administratif compétent de Tyumen lui délivra un autre passeport (ci-après le « deuxième passeport »), sans toutefois lui demander de rendre le premier. En 1985, le requérant obtint un enregistrement officiel et permanent de son domicile dans la région de Tyumen. En avril 1990, le requérant se maria à Tyumen avec une ressortissante soviétique. Pour la célébration et l’enregistrement du mariage, il présenta son deuxième passeport, dans lequel l’officier de l’état civil apposa un cachet spécial. En mai 1990, le requérant demanda et obtint une « annulation temporaire » (en fait, une suspension) de l’enregistrement de son domicile, au motif qu’il avait envisagé de se rendre en Lettonie pour des vacances prolongées d’une durée de trois mois avec son épouse. Pour cette démarche, il utilisa le premier passeport, dépourvu de toute mention relative à son mariage. Après son arrivée en Lettonie, le 26 juillet 1990, la femme du requérant enregistra son domicile à Jūrmala. Le 1er août 1990, elle obtint un nouveau passeport soviétique en Lettonie. Toutefois, en mai 1991, le requérant et sa femme annulèrent l’enregistrement de leur domicile en Lettonie et rentrèrent en Russie. En juillet 1991, le requérant déclara aux autorités locales de la région de Tyumen qu’il avait perdu son premier passeport, délivré en Lettonie en 1978. Celles-ci en informèrent aussitôt la Division de passeports (Pasu nodaļa) de Jūrmala. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, deux mois plus tard, en septembre 1991, le requérant se rendit de nouveau à Jūrmala et demanda à la même Division d’y enregistrer son domicile, en présentant à cette fin son premier passeport, qu’il avait déclaré perdu. Ce passeport fut immédiatement confisqué. Le requérant, quant à lui, soutient que la perte du passeport avait effectivement eu lieu. Entre-temps, le 21 août 1991, le Conseil suprême de Lettonie adopta une loi constitutionnelle relative au statut étatique de la République de Lettonie et proclamant l’indépendance absolue et immédiate du pays. En décembre 1991, l’Union soviétique disparut ; le requérant, ayant jusqu’alors eu la DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE 3 nationalité soviétique, se vit dépourvu de toute nationalité. En janvier 1991, le requérant et sa femme eurent un fils, né sur le sol letton. En décembre 1992, la direction de police de Jūrmala délivra au requérant un nouveau passeport (ci-après le « troisième passeport ») ; les pièces d’identité de la République de Lettonie n’étant pas encore imprimeés, la population utilisait des passeports de l’ex-URSS avec des mentions spéciales. Le 5 mars 1993, le Département de la nationalité et de l’immigration du ministère de l’Intérieur (Iekšlietu ministrijas Pilsonības un imigrācijas departaments, ci-après le « Département ») autorisa la police à enregistrer le domicile du requérant à Jūrmala et ce, jusqu’au 30 septembre 1993. En août 1993, le requérant se rendit dans la région de Tyumen, où, le 6 août 1993, il obtint un passeport de citoyen russe. Quant au troisième passeport délivré en Lettonie, il le rendit aux autorités locales russes, qui le déclarèrent non valide et le détruisirent. En outre, le 31 août 1993, le requérant obtint un enregistrement permanent de son domicile à Raduzhnoye (région de Tyumen). Peu après, les autorités russes informèrent le Département de la destruction du troisième passeport et du nouvel enregistrement du domicile du requérant. 2. Les tentatives de régularisation du séjour du requérant Par un jugement du 21 mars 1994, le tribunal de première instance de Jūrmala reconnut au requérant le droit de location de l’appartement municipal dans lequel vivaient sa femme et son fils et où son domicile était officiellement enregistré. Toutefois, par lettre du 1 er décembre 1994, le Parquet général (Ģenerālprokuratūra) indiqua au requérant que ce jugement ne lui conférait automatiquement aucun droit de résider en Lettonie, et qu’il devait d’abord obtenir un permis de séjour conformément à la loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers et des apatrides en République de Lettonie (ci-après la « loi sur les étrangers »). Entre-temps, à une date non spécifiée, le requérant changea de résidence et vint s’installer à Moscou. En mai 1994, il sollicita un visa pour entrer en Lettonie ; il ressort de ses explications que, par lettre du 5 mai 1994, le Département rejeta sa demande au motif qu’il avait enfreint la réglementation en matière de visas. En outre, il lui fut expliqué qu’il avait été frappé d’une interdiction temporaire de séjour. Peu après, le requérant alla s’installer en Allemagne. En mai 1995, le requérant, se trouvant toujours en Allemagne, demanda au Département d’enregistrer son domicile à l’adresse de l’appartement municipal qu’il louait à Jūrmala. Suite au refus du Département, il saisit le tribunal de première instance de l’arrondissement du Centre de la ville de Riga, qui, par un jugement du 31 octobre 1995, rejeta son recours, indiquant que le requérant devait tout d’abord régulariser son séjour en Lettonie en obtenant un permis de séjour temporaire, ce qu’il n’avait pas fait. 4 DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE Peu après, le requérant adressa au Département une nouvelle demande visant à l’inscrire sur le Registre des résidents (Iedzīvotāju reģistrs) en tant que résident permanent de Lettonie. A cet égard, il insista notamment sur le fait qu’il était né en Lettonie, et que ses parents, sa femme et son fils y résidaient régulièrement et à titre permanent. Cette demande fut rejetée, au motif que, n’ayant pas eu de résidence permanente en Lettonie en 1992, il n’avait aucun droit à un enregistrement automatique. Le requérant saisit alors le tribunal de première instance de l’arrondissement du Centre de la ville de Riga, qui, par un jugement du 16 octobre 1996, le débouta, indiquant notamment qu’il devait passer par la procédure normale de régularisation, en demandant un permis de séjour temporaire. Contre ce jugement, le requérant interjeta appel devant la cour régionale de Riga. Dans son mémoire, il soutint qu’ayant longtemps résidé en Lettonie, il avait le droit au statut de « non-citoyen résident permanent » (nepilsonis), prévu par la loi relative au statut des citoyens de l’ex-URSS n’ayant pas la nationalité lettonne ou celle d’un autre Etat (ci-après la « loi sur les non-citoyens »). Par un arrêt du 25 février 1998, la cour régionale rejeta l’appel du requérant. Toutefois, le 1er juillet 1998, le Sénat de la Cour suprême, statuant sur le pourvoi du requérant, cassa et annula l’arrêt du 25 février 1998 pour un vice de procédure. L’affaire fut alors renvoyée devant la juridiction d’appel. Par ailleurs, par lettre du 26 juillet 1998, la Direction des affaires de la nationalité et de la migration du ministère de l’Intérieur (Iekšlietu ministrijas Pilsonības un migrācijas lietu pārvalde), ayant succédé au Département, informa l’avocat du requérant que l’interdiction du territoire prononcée à l’encontre de celui-ci viendrait à expiration le 21 août 1998. L’affaire du requérant fut réexaminée en appel le 30 novembre 1998. Par un arrêt rendu le même jour, la cour régionale de Riga débouta de nouveau le requérant de son recours. Aux termes de l’arrêt, le requérant ne tombait pas dans le champ d’application de la loi sur les non-citoyens. En effet, seuls les ressortissants de l’ex-URSS n’ayant pas et n’ayant pas eu la nationalité d’un autre Etat pouvaient obtenir le statut de « non-citoyen résident permanent » ; or, le requérant avait la nationalité russe. Le requérant se pourvut en cassation devant le Sénat de la Cour suprême, qui, par un arrêt du 17 mars 1999, rejeta son pourvoi. Selon le Sénat, le requérant ne remplissait pas les conditions énumérées à l’article 1er de la loi sur les non-citoyens, en soulignant notamment qu’il avait la nationalité russe et qu’à la date du 1er juillet 1992, son domicile n’était pas enregistré sur le territoire letton. Il ressort des pièces du dossier que le requérant réside actuellement à Moscou, et qu’il se trouve toujours dans l’impossibilité d’entrer en Lettonie. DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE 5 B. Le droit interne pertinent L’article 1 § 1 de la loi du 12 avril 1995 relative au statut des citoyens de l’ex-URSS n’ayant pas la nationalité lettonne ou celle d’un autre Etat (Likums « Par to bijušo PSRS pilsoņu statusu, kuriem nav Latvijas vai citas valsts pilsonības »), est rédigé comme suit : [Rédaction en vigueur avant le 25 septembre 1998] « Sont assujettis à la présente loi les citoyens de l’ancienne URSS résidant en Lettonie (...), ayant résidé sur le territoire letton avant le 1er juillet 1992 et y ayant été enregistrés à leur domicile, indépendamment du statut de leur logement, lorsqu’ils n’ont pas la nationalité lettonne ou celle d’un autre Etat ; ainsi que les enfants mineurs desdites personnes, lorsqu’ils n’ont pas la nationalité lettonne ou celle d’un autre Etat. » [Rédaction en vigueur depuis le 25 septembre 1998] « Les personnes assujetties à la présente loi, les « non-citoyens », sont les citoyens de l’ancienne URSS résidant en Lettonie (...) ainsi que leurs enfants, répondant aux conditions cumulatives suivantes : 1) au 1er juillet 1992, leur domicile était enregistré sur le territoire letton indépendamment du statut de leur logement ; ou leur dernier domicile enregistré jusqu’au 1er juillet 1992 se trouvait en République de Lettonie ; ou bien il existe un jugement constatant qu’avant ladite date, ils ont résidé sur le territoire letton pendant dix ans au moins ; 2) ils n’ont pas la nationalité lettonne ; 3) ils n’ont pas et n’ont pas eu la nationalité d’un autre Etat (...) » La situation des personnes n’ayant pas la nationalité lettonne et ne relevant pas de la loi sur les non-citoyens, est régie par la loi du 9 juin 1992 relative à l’entrée et au séjour des étrangers et des apatrides en République de Lettonie (Likums « Par ārvalstnieku un bezvalstnieku ieceļošanu un uzturēšanos Latvijas Republikā »), dont les dispositions pertinentes, modifiées par une loi du 18 décembre 1996, sont ainsi libellées : Article 11 « Tout étranger (...) a le droit de séjourner en République de Lettonie pendant « plus de trois mois » [rédaction en vigueur depuis le 25 mai 1999 : « plus de quatre-vingtdix jours au cours d’un semestre »], sous condition d’obtention d’un permis de séjour conformément aux dispositions de la présente loi (...) » Article 23 « Peuvent obtenir un permis de séjour permanent : (...) 2) le conjoint d’un citoyen letton, d’un « non-citoyen résident permanent » de Lettonie ou d’un étranger ou apatride [lui-même] muni d’un permis de séjour permanent, conformément aux articles (...) 25-1 [ou] 26 (...) de la présente loi, ainsi que les enfants mineurs ou à charge de ce conjoint (...) ; (...). » 6 DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE Article 23-1 « Peuvent obtenir un permis de séjour permanent les étrangers ayant eu, au 1er juillet 1992, leur résidence officiellement enregistrée pour une durée illimitée en République de Lettonie, si, au moment de la demande du permis de séjour permanent, ils ont leur résidence officiellement enregistrée en République de Lettonie et s’ils sont inscrits sur le registre des résidents. Les ressortissants de l’ex-URSS ayant obtenu la nationalité d’un autre Etat avant le 1er septembre 1996, doivent soumettre la demande de permis de séjour permanent d’ici au 31 mars 1997. Les ressortissants de l’ex-URSS ayant obtenu la nationalité d’un autre Etat après le 1er septembre 1996, doivent le faire dans le délai de six mois à partir de la date de l’obtention de la nationalité étrangère (...) » Article 25-1 « Il est délivré au conjoint d’un « non-citoyen résident permanent de Lettonie », lorsqu’il n’est ni citoyen, ni non-citoyen de Lettonie, ni ressortissant étranger ou apatride muni d’un permis de séjour permanent : 1) suite à la première demande – un permis de séjour temporaire pour la durée d’un an ; 2) suite à la deuxième demande – un permis de séjour temporaire pour la durée de quatre ans ; 3) suite à la troisième demande – un permis de séjour permanent (...) » Article 26 « « Il est délivré au conjoint d’un étranger ou apatride muni d’un permis de séjour permanent, lorsqu’il n’est ni citoyen, ni non-citoyen de Lettonie, ni [lui-même] ressortissant étranger ou apatride muni d’un permis de séjour permanent : 1) suite à la première demande – un permis de séjour temporaire pour la durée d’un an ; 2) suite à la deuxième demande – un permis de séjour temporaire pour la durée de quatre ans ; 3) suite à la troisième demande – un permis de séjour permanent (...) » Article 34 « L’intéressé peut, dans un délai d’un mois à compter de la notification du refus de permis de séjour, attaquer ce refus par voie de recours devant le chef de la Direction. Le Chef de la Direction examine le recours dans un délai d’un mois. Le ministre de l’Intérieur peut, par un arrêté, annuler une décision illégale de la Direction ou du chef de la Direction ordonnant de délivrer un permis de séjour ou le refusant. DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE 7 La décision ou l’arrêté susmentionnés peuvent faire l’objet d’un recours devant un tribunal : 1) de la part de l’intéressé, séjournant légalement sur le territoire de la République de Lettonie ; 2) de la part de la personne qui réside en Lettonie et qui a invité l’étranger (...) auquel le permis de séjour a été refusé, lorsque l’invitation est liée au regroupement familial (...) » Article 35 « Un permis de séjour n’est pas délivré à une personne qui : (...) 5) a été expulsée de la Lettonie au cours des cinq dernières années précédant la demande ; 6) a sciemment fourni de fausses informations afin d’obtenir un permis de séjour ; 7) est en possession d’une pièce d’identité ou d’un titre d’entrée faux ou invalides ; (...) » La décision du Conseil suprême de la République de Lettonie du 10 juin 1992 sur les modalités d’entrée en vigueur et d’application de la loi précitée précise le champ de son application. Elle oblige les personnes sans enregistrement permanent de domicile à la date de l’entrée en vigueur de la loi, à solliciter un permis de séjour dans le délai d’un mois à partir de cette date, sous peine d’un arrêté d’expulsion. GRIEFS 1. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint que le refus des autorités lettonnes de lui reconnaître le statut de « non-citoyen résident permanent » et de l’inscrire comme tel sur le Registre des résidents a enfreint son droit au respect de la vie privée et familiale. A cet égard, il rappelle qu’il est né et a longtemps vécu en Lettonie, que sa femme, son fils mineur et ses parents y résident régulièrement, et que l’impossibilité d’entrer en Lettonie entraîne sa séparation de sa famille. 2. Du fait d’être séparé de son épouse, le requérant s’estime également victime d’une violation de l’article 12 de la Convention et de l’article 5 du Protocole no 7. 3. Invoquant l’article 2 § 1 du Protocole no 4 à la Convention, le requérant soutient qu’en refusant de régulariser son séjour en Lettonie, les autorités lettonnes ont violé son droit à la liberté de circulation. 8 DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE 4. Invoquant l’article 3 du Protocole no 4 à la Convention relatif à l’interdiction de l’expulsion des nationaux, le requérant se plaint d’avoir été forcé à quitter son Etat et de n’être pas en mesure d’y retourner. 5. Sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention relatif au droit au respect des biens, le requérant se plaint qu’étant privé de son droit d’entrer en Lettonie, il ne peut pas disposer librement de l’appartement que son père lui a offert par un contrat de donation entre vifs en décembre 1993. EN DROIT 1. Grief tiré de l’article 8 de la Convention Le requérant se plaint que le refus des autorités lettonnes de l’autoriser à rentrer et à vivre en Lettonie en tant que « non-citoyen résident permanent » aux côtés de ses parents, de sa femme et de son fils, constitue une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale. Ce droit est garanti par l’article 8 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » La Cour rappelle que la Convention ne garantit pas, en tant que tel, le droit d’entrer ou de résider dans un Etat dont l’intéressé n’est pas ressortissant, ou de n’en être pas expulsé, et que les Etats contractants ont le droit de contrôler, en vertu d’un principe de droit international bien établi, l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux (voir, parmi beaucoup d’autres, El Boujaïdi c. France, arrêt du 26 septembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, p. 1980, § 39, et, plus récemment, Boultif c. Suisse, no 54273/00, § 39, CEDH 2001-IX, et Ezzouhdi c. France, no 47160/99, § 32, 13 février 2001, non publié). Ce droit de contrôle implique en particulier la possibilité d’appliquer des sanctions dissuasives contre les personnes ayant délibérément enfreint la législation en matière d’immigration. Toutefois, dans certains cas, les décisions prises par les Etats en la matière peuvent porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 § 1 de la Convention, notamment lorsque l’intéressé possède, dans l’Etat d’accueil, des liens personnels ou familiaux suffisamment forts qui risquent d’être gravement affectés en cas d’interdiction d’entrée ou en cas d’application d’une mesure d’éloignement. DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE 9 En outre, la Cour rappelle que l’article 8 de la Convention ne va pas jusqu’à garantir à l’intéressé le droit à un type particulier de titre de séjour (permanent, temporaire ou autre), à condition que la solution proposée par les autorités lui permette d’exercer sans entrave ses droits au respect de la vie privée et familiale (voir Sisojeva et autres c. Lettonie (déc.), no 60654/00, 28 février 2002, non publiée). Dans la présente affaire, il ressort des pièces du dossier et des explications du requérant que son épouse réside en Lettonie régulièrement et à titre permanent. La Cour ignore si celle-ci possède le statut de « noncitoyen résident permanent », prévu par la loi sur les non-citoyens, ou tout simplement un permis de séjour permanent, relevant de la loi sur les étrangers. En tout état de cause, elle note que l’article 25-1 de la loi sur les étrangers autorise une personne ayant la nationalité étrangère mais dont le conjoint est un « non-citoyen résident permanent », à obtenir un titre de séjour permanent, passant progressivement par deux permis temporaires ; l’article 26, quant à lui, prévoit une procédure identique au regard du conjoint d’un étranger ou un apatride muni lui-même d’un permis de séjour permanent. L’interdiction du territoire prononcée à l’encontre du requérant étant venue à expiration le 21 août 1998, et aucune autre mesure de ce genre n’ayant été appliquée à son encontre, la Cour ne voit pas d’obstacles à ce qu’il agisse conformément aux articles 25-1 ou 26 précités. Par ailleurs, la Cour observe qu’en cas de refus de la part des autorités lettonnes, le requérant ou son épouse pourraient attaquer ce refus par voie de recours prévu à l’article 34 de la même loi. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que le requérant dispose d’une voie de régularisation qu’il n’a pas utilisée et dont l’inefficacité n’est pas démontrée. Elle estime dès lors que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus et comme le prévoit l’article 35 § 1 de la Convention. Il est vrai que le requérant réclame le statut spécifique de « non-citoyen résident permanent », insistant sur l’intensité de ses liens personnels et familiaux avec la Lettonie. La Cour rappelle toutefois qu’en règle générale, l’article 8 ne garantit pas le droit à un statut particulier au regard de la législation en matière d’immigration (cf. supra). En outre, elle constate que l’article 1er de la loi sur les non-citoyens limite l’applicabilité de cette loi aux seules personnes n’ayant aucune nationalité, ce qui n’est manifestement pas le cas du requérant. Cet article étant rédigé en des termes suffisamment clairs et précis, le requérant n’est pas fondé à soutenir qu’il n’est pas conscient de l’étendue réelle de ses droits. En résumé, et eu égard à toutes les circonstances pertinentes de la présente affaire, la Cour relève qu’un permis de séjour, obtenu conformément aux dispositions de la loi sur les étrangers, permettrait au requérant de vivre sans entraves en Lettonie et 10 DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE constituerait dès lors un redressement adéquat de la situation dont il se plaint. Son grief est donc manifestement mal fondé sur ce point. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. 2. Griefs tirés de l’article 12 de la Convention et de l’article 5 du Protocole no 7 Le requérant estime que l’impossibilité, pour lui, de vivre aux côtés de son épouse en Lettonie, s’analyse en une violation de l’article 12 de la Convention et de l’article 5 du Protocole no 7. Ces dispositions se lisent ainsi : Article 12 de la Convention « A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. » Article 5 du Protocole no 7 « Les époux jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le présent article n’empêche pas les Etats de prendre les mesures nécessaires dans l’intérêt des enfants. » La Cour rappelle que, par l’article 12, se trouve garanti le droit fondamental de se marier et de fonder une famille (voir, par exemple, F. c. Suisse, arrêt du 18 décembre 1987, série A no 128, p. 16, § 32, et Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 98, CEDH 2002VI). Cependant, la disposition précitée n’oblige pas l’Etat à assurer la possibilité, pour les conjoints, de vivre ensemble, cet aspect de la vie familiale relevant plutôt de l’article 8 de la Convention (voir Draper c. Royaume-Uni no 8186/78, rapport de la Commission du 10 juillet 1980, Décisions et Rapports (DR) 24, p. 72, § 60, et E.L. H. et P.B. H. c. Royaume Uni, nos 32094/96 et 32568/96, décision de la Commission du 22 octobre 1997, DR 91, p. 61). Qui plus est, dans plusieurs affaires examinées sous l’angle de l’article 8 § 1 de la Convention, la Cour a jugé que cette disposition ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant une obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, de leur domicile commun et d’accepter l’installation des conjoints non nationaux dans le pays (voir Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A no 94, p. 34, § 68 ; Gül c. Suisse, arrêt du 19 février 1996, Recueil 1996-I, pp. 174-175, § 38, Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 114, CEDH 2002-..., et Shebashov c. Lettonie (déc.), no 50065/99, 9 novembre 2000, non publiée). La Cour estime que la même conclusion s’impose au regard de l’article 12 de la Convention (voir Patel c. Royaume-Uni, no 14069/88, décision de la Commission du 14 décembre 1988, et S.V. c. Royaume-Uni, no 19788/92, DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE 11 décision de la Commission du 6 juillet 1992, non publiées, ainsi que, mutatis mutandis, Schober c. Autriche (déc.), no 34891/97, 9 novembre 1999, non publiée). S’agissant enfin de l’article 5 du Protocole no 7, garantissant une égalité effective entre les époux, la Cour ne voit pas en quoi le droit protégé par cet article serait atteint en l’espèce. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. 3. Grief tiré de l’article 2 § 1 du Protocole no 4 Le requérant se plaint également que l’impossibilité d’entrer en Lettonie s’analyse pour lui en une violation de l’article 2 § 1 du Protocole n o 4 à la Convention, ainsi libellé : « Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence. » La Cour rappelle que l’article 2 § 1 précité n’est applicable qu’à une personne qui se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat, les critères et les exigences de régularité du séjour relevant en premier lieu du droit interne (voir, mutatis mutandis, P. c. Allemagne, no 12068/86, décision de la Commission du 1er décembre 1986, DR 51, p. 237). En effet, cette disposition ne concerne que le droit de circuler à l’intérieur d’un Etat et ne régit en aucune manière les conditions dans lesquelles une personne a le droit d’entrer et de résider dans un Etat (voir N. c. France, no 16698/90, décision de la Commission du 13 février 1992 ; Sisojeva et autres c. Lettonie (déc.), no 60654/00, 9 novembre 2000, et Kaftailova c. Lettonie (déc.), no 59643/00, 23 octobre 2001, non publiées). Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. 4. Grief tiré de l’article 3 du Protocole no 4 Le requérant soutient qu’en lui refusant le droit d’entrer en Lettonie, pays où il est né et où il a passé une grande partie de sa vie, les autorités lettonnes ont enfreint l’article 3 du Protocole no 4 à la Convention, ainsi libellé : « 1. Nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l’Etat dont il est le ressortissant. 2. Nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’Etat dont il est le ressortissant. » La Cour rappelle toutefois que l’article 3 précité est applicable aux seuls nationaux de l’Etat défendeur, la « nationalité » devant en principe être déterminée d’après le droit interne (voir Slivenko et autres c. Lettonie [GC] (déc.), no 48321/99, §§ 77-79, CEDH 2002-II). Or, dans le cas d’espèce, le 12 DÉCISION GRIBENKO c. LETTONIE requérant est un citoyen russe ; qui plus est, il n’a jamais soutenu qu’il aurait un droit défendable à la nationalité lettonne d’après la législation de cet Etat. Il s’ensuit que ce grief est lui aussi incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4. 5. Grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 Le requérant soutient qu’en l’expulsant du territoire letton, les autorités lettonnes l’ont privé de toute possibilité de gérer et de disposer librement de l’appartement qu’il possède. A cet égard, il invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, dont la partie pertinente se lit comme suit : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) » La Cour rappelle que les droits consacrés par l’article 1 du Protocole n o 1 ne comprennent pas le droit, pour un étranger qui possède des biens dans un autre pays, d’y résider de façon permanente pour jouir de sa propriété (voir notamment Ilić c. Croatie (déc.), no 42389/98, CEDH 2000-X). En l’espèce, elle observe que le requérant reste propriétaire de l’appartement en cause, et qu’il n’a jamais allégué que les autorités lettonnes aient porté atteinte à son droit de propriété en tant que tel (voir, mutatis mutandis, Kovalenok c. Lettonie (déc.), no 54264/00, 15 février 2001, non publiée). Même s’il est vrai qu’une interdiction d’accès à la propriété peut éventuellement poser problème sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, par exemple, Gillow c. Royaume-Uni, arrêt du 24 novembre 1986, avis de la Commission, p. 46, § 162), la Cour vient de constater que le requérant dispose d’une voie de régularisation susceptible de lui permettre de résider en Lettonie, et qu’il ne l’a pas utilisée (cf. supra). Dès lors, il n’a pas été établi que le requérant s’est vu refuser l’accès à sa propriété, ni qu’il en a perdu le contrôle effectif, ou qu’il n’a plus aucune possibilité d’usage ou de jouissance de ses biens. Dès lors, il n’y a en l’espèce aucune apparence de violation de l’article 1 du Protocole n o 1. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité, Déclare la requête irrecevable. Søren NIELSEN Greffier adjoint Christos ROZAKIS Président