Le jeûne textes à méditer
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Le jeûne textes à méditer
Le jeûne. Quelques textes… à méditer… Au sens large, le jeûne est une limitation volontaire des besoins pour rendre le désir à son élan originel, c'est-à-dire vers Dieu et vers la création de Dieu. Le jeûne exorcise les deux "passions-mères" qui sont l'avidité et l'orgueil. Les expressions populaires "se mettre sous la dent", "ce qui tombe sous le sens" suggèrent notre relation mortifère avec le monde. Le jeûne nous délivre des images carnivores, il nous aide à découvrir la profondeur infinie des êtres et que chacun mérite attention et respect. Il est à la fois retrait et ouverture, légèreté intérieure et accueil. Bien entendu, le jeûne de nourriture n'a de sens que lié au "jeûne des passions". Il faut apprendre à jeûner de l'amour du pouvoir, de la fascination des richesses, des vains raisonnements et des "vaines paroles". Olivier Clément, introduction à la Philocalie Si tu fuis la gourmandise, garde-toi de vouloir plaire aux hommes en cherchant à leur montrer ostensiblement la pâleur de ton visage. Thalassius l'Africain (7e siècle) Les jeûnes et les veilles ont pour but de te rendre l'âme humble. Tu prends ainsi mieux conscience de tes limites et tu souffres avec ceux qui meurent de faim et ne dorment plus la nuit. Le vrai jeûne, c'est lorsque tu oublies de manger lorsque tu demeures absorbé et rassasié en Dieu. Mais si tu penses sans cesse aux aliments dont tu te prives, ton jeûne n'est d'aucune utilité pour la purification de ton coeur et de ton intellect. Jean-Yves Leloup, Paroles du Mont Athos Le jeûne est une violence faite à la nature, l'amputation de ce qui flatte le goût, l'extinction du feu de la luxure, le retranchement des pensées mauvaises, la délivrance des rêves, la pureté de la prière, la lumière de l'âme. la garde de l'intellect, l'affranchissement de l'endurcissement, la porte de la componction, l'humble gémissement, la contrition joyeuse, l'assoupissement de la loquacité, la source de l'hésychia, la santé du corps, le protecteur de l'impassibilité, la rémission des péchés, la porte du Paradis et ses délices. St Jean Climaque, l'Echelle sainte, 14ème degré, § 37 La règle générale à suivre, quant à l'abstinence, consiste à s'accorder, selon ses forces et son âge, ce qu'il faut de nourriture pour sustenter le corps, pas assez pour l'assouvir St Jean Cassieu, Conférence avec les Pères du désert, chap. 22 L'ascèse exige discernement. Passer la bénédiction des choses de la vie, qui sont fondamentalement bonnes, à une exigence radicale de dépassement exige qu'on pressente une plus haute plénitude, et que Dieu nous ait donné des arrhes de sa "douceur" (même s'il doit se retirer et nous demander de traverser le désert). Sinon, l'ascète volontariste ou pharisien risque de se dessécher vainement entre terre et ciel. Olivier Clément, Sources, les mystiques chrétiens des origines p. 126-128 Manger et boire en rendant grâce à Dieu de tout ce que l'on sert ou prépare ne s'oppose nullement à la règle de la connaissance. Car tout est "très bon" (Gen 1, 31) Mais s'abstenir volontiers de l'agréable et de l'abondant témoigne d'un grand discernement et de plus de connaissance. Nous ne méprisons pas volontiers les agréments de cette vie si nous ne goûtons la douceur de Dieu en une sensation totale de plénitude. Diadoque de Photicé, chap. gnostiques, 44 (SC n° 5bis, p.110-11) L'ensemble de la praxis trouve son symbole dans le jeûne, à condition d'entendre celui-ci, comme le font les Pères, à la fois de l'âme et du corps. Dans l'épreuve imposée par Dieu à la liberté et à la confiance d'Adam, l'Eglise ancienne voyait le commandement du jeûne: il eût fallu que l'homme, au lieu de se jeter sur le monde comme une proie, apprît à le contempler comme un don de Dieu et une échelle vers lui. Dans cette perspective, nous retrouvons le péché comme captation et égocentrisme, volonté d'utiliser et de consommer le monde au lieu de le transfigurer. Le Christ, en contraste, a jeûné quarante jours au désert, pour montrer au tentateur que "l'homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sorte de la bouche de Dieu. Le jeûne signifie donc un changement radical dans notre relation avec Dieu et avec le monde. Dieu -et non l'ego- devient le centre et le monde sa création, un dialogue des hommes entre eux et avec le Créateur. le jeûne empêche l'homme de s'identifier au monde dans la seule perspective de la possession pour assurer le monde dans une lumière venue d'ailleurs. tout être, toute chose, devient alors objet de contemplation. le jeûne introduit entre l'homme et le monde la distance du respect et de l'émerveillement, il permet à l'homme d'avoir faim aussi de Dieu et d'accueillir, de répercuter la faim, le "soupir" de la création. C'est pourquoi, pour les Pères, le jeûne de nourriture est inséparable de la prière et de l'aumône: de la relation aimante rétablie avec Dieu et du partage spontané, inventif avec le prochain, car tel est bien le sens de l'aumône aux premiers siècles. Olivier Cément, Sources: les mystiques chrétiennes des origines Chérissons le jeûne: car le jeûne est la grande sauvegarde, avec la prière et l'aumône. ils délivrent l'homme de la mort. de même que pour avoir mangé en refusant de faire confiance, Adam fut chassé du paradis, de même c'est par le jeûne et la foi que celui qui le veut entre au Athanas d'Alexandrie, De la virginité, 6 p 28, 260 paradis. Le jeûne est nourriture de l'âme, aliment de l'esprit Ambroise de Milan, Sur Elie et le jeûne, 2, 2 (pl. 14, 698) Le jeûne allège le corps, le prépare à la résurrection, l'ouvre à la grâce qui guérit. Il facilite la transparence de l'âme, la prédispose à l'étude de la sagesse, à l'écoute de la Parole. il permet le partage et l'entraide. Dieu n'a pas donné le corps pour qu'il fasse obstacle par son poids… Une chère plus légère Tertullien, Du jeûne, 17 p. 2, 978 ressuscitera plus vite: Celui qui jeûne se nourrit comme Moïse de la familiarité de Dieu et de sa parole. Il éprouve la vérité de cette sentence: L'homme ne vit pas de pain seulement mais de toute parole qui sort Jérôme, lettre 130 de la bouche de Dieu. Nous avons des journées de carême consacrées au jeûne. Nous avons chaque semaine le mercredi et le vendredi… Et le chrétien est libre de jeûner en tout temps, non par superstition, mais pas détachement volontaire… Comment en effet étudierait-on les Saintes Ecritures, comment se consacrerait-on à la connaissance et à la sagesse si l'on ne maîtrisait sa bouche et son ventre? Mais il est une autre raison, spirituelle aussi, que certains apôtres ont louées dans leur lettres… : bienheureux qui jeûne dans le but de nourrir le pauvre! Origène, Homélie sur le Lévitique, 10, 2 (PG 12, 528) Le jeûne facilite la prière. La prière de celui qui jeûne est l'aigle en plein vol. Celle de l'homme aviné, la satiété la fait lourde et la tire vers le bas. Pseudo-Nil (Evarge le Pintique). Des huits esprits du mal, 1 (PG 79, 1145) De la même façon qu'appesanti par la multitude de mets le corps rend l'esprit lâche et paresseux, de même aussi, exténué par une abstinence excessive, il inspire tristesse et dégoût à la partie contemplative de l'âme. Il faut donc, d'après les mouvements du corps, régler aussi la nourriture, afin que, lorsqu'il est en santé, il soit maîtrisé convenablement et que, lorsqu'il est faible, il soit raisonnablement fortifié. Il ne faut pas, en effet, que l'athlète soit d'un corps débile… Diadoque De Photicé, Chapitres gnostiques, 45 (SC n° 5bis, p. 111) Le jeûne risque de rendre méchant, ou de donner bonne conscience pharisaïque. D'où l'appel constant au respect du prochain, à la lutte contre la médisance, et aussi au partage avec le pauvre et aux œuvres de la justice. Abba Pambo interrogea abba Antoine: Que dois-je faire? Le vieillard lui dit: Ne te confie pas dans ta justice, ne t'afflige pas du passé, mais domine ta langue et ton ventre. Apophtegmes, Antoine, 6 (SO n° 1, p. 21) Si vous jeûnez et ne veillez pas sur votre bouche pour qu'elle ne dise aucune parole de méchanceté ou de colère, aucun mensonge, aucun parjure, si vous dites du mal de votre prochain, même si cela vient de la bouche d'un jeûneur, le jeûne ne servira de rien et sera Athanase d'Alexandrie. De la virginité, 7 (PG 28, 260) peine perdue. A quoi bon observer le jeûne quarante jour et ne pas en respecter le sens? A quoi bon s'interdire les banquets et passer son temps en procès? A quoi bon ne pas manger la pain que l'on possède, si l'on doit voler celui du pauvre? … Le jeûne du chrétien doit alimenter la paix, non les querelles. A quoi bon sanctifier son estomac par le jeûne et souiller ses lèvres de mensonges? Frère, tu ne pourras venir à l'église que si tes pieds ne s'emmêlent pas dans les filets de l'usure. Tu n'auras le droit de prier que si l'envie, dans ton cœur, ne fait pas obstacle… L'argent que tu donnes au pauvre ne le sera en toute justice que si tu ne l'as pas extorqué à un autre pauvre. (…)$Ainsi, imitons autant que possible le jeûne du Christ pas la pratique des vertus, afin que vienne sur nous la grâce par les jeûnes jumeaux du corps et de l'esprit. Maxime de Turin, Sermon de carême, Homélie 44, 8 (PL 57, 135-136) Toute l'ascèse, en effet, est aimantée par l'amour. elle nous configure au Christ crucifié, mais la croix est inséparable de Pâques, et qu'il soit souffrant ou triomphant, il s'agit toujours de l'amour. "Celui qui veut demeurer en Christ doit vivre comme il a vécu… celui qui aime son frère demeure dans la lumière" (Jean I, chap.1, versets 6 et 10) Le premier et le principale des commandements, c'est l'amour. Grâce à l'amour, l'esprit voit l'Amour originel, c'est-à-dire Dieu. Car par notre amour, nous voyons celui de Dieu envers nous, comme il est dit dans le psaume: "Il enseigne ses voies à ceux qui sont doux" Evagre le Pontique, lettre 56 (Ed. Frankenberg, p. 605) La clé du progrès spirituel, selon les plus grands témoins de l'ascèse, est donc l'amour évangélique des ennemis. C'est-à-dire, d'abord, très simplement et très difficilement, le refus de juger, le refus de se faire valoir en méprisant ou condamnant les autres. Seule cette attitude donne le détachement et la paix. le reste est secondaire. Un frère demande à abba Poemen: "Que dois-je faire? le courage me manque quand je prie seul dans ma cellule." L'Ancien lui dit: "Ne méprise, ne condamne, ne blâme personne. Dieu te donnera la paix et tu méditeras dans le calme." Apophtegmes (in Th. Merton, La Sagesse du desert, Paris, 1967, p.71) […] Le but du jeûne est de nous éviter de devenir anthropophages, "mangeur d'hommes", en précisant que les pires anthropophages ne sont pas ceux qui se délectent de chairs humaines pour nourrir en eux l'esprit de leurs Ancêtres, mais ceux qui n'ont rien d'autre à se mettre sous la dent que la réputation de leurs voisins, et dont les mâchoires bouffies de pois et de graines n'en dégoulinent pas moins de sang. […] Ainsi, plus important que l'évacuation de nos graisses superflues, le jeûne a pour fonction de nous préparer à la contemplation de "l'Etre qui est" et que nous sommes lorsque nous acceptons d'être dépouillés des lourdeurs et des opacités de l'ego. Mais les prophètes nous rappellent que le jeûne peut encore être récupéré par le "vieux singe"; coupé de la prière et de l'amour, il ne sert qu'à flatter Narcisse qui se fait maigre pour plaire à l'église ou la société environnante. […] Rendre libre, briser le joug, délier les chaînes… Le jeûne est mis en relation avec la liberté, il s'agit de jeûner de ce qui nous aliène le plus et aliène les autres… Chacun sait alors où son jeûne doit se situer, parce que chacun sait ce qui le rend "dépendant", aliéné à une habitude qui n'est pas nécessairement une nourriture. Chacun sait avec quoi il comble son manque, les gaufres, les armes ou les bijoux qui rassurent son néant. […] Cesser de nous manger, de nous dévorer les uns les autres, communier enfin, qui n'est pas se connaître sans appétit mais sans appétit de possession, c'est-à-dire sans angoisse. Ne plus être anthropophage, découvrir la monophagie, le goût de l'Un, du plat unique, de l'unique nécessaire. Se nourrir du Soi, tandis que jeûne et s'épuise le moi. Se nourrir de l'Etre… Ne nous en a-t-il pas prié au jour de sa Pâques: "Prenez et mangez en tous"? Nourris du Soi, nos amours ne seront plus soifs qui s'étreignent mais fontaines qui débordent. S'ils ne nous conduisent pas à cette Source de l'Un, à quoi servent nos jeûnes et nos carêmes? Jean-Yves Leloup, Un art de l'attention