La grève invisible des soutiers du nettoyage parisien

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La grève invisible des soutiers du nettoyage parisien
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des vitres des immeubles dont il a la charge. « Sinon
je ne peux pas travailler, je suis noté absent, et je ne
suis pas payé. »
La grève invisible des soutiers du
nettoyage parisien
PAR MATHILDE GOANEC
ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 10 OCTOBRE 2015
Une cinquantaine d'employés d'une société de
nettoyage, prestataire du bailleur Paris Habitat, sont en
grève depuis trois semaines. Ils réclament un revenu
décent payé à temps, des produits pour nettoyer cages
d'escalier et halls d'immeuble, le remboursement de
leur titre de transport…
Grève de salariés d'OMS Synergie, à Paris © Mathilde Goanec
Sa collègue, Aïcha Konaté, travaille officiellement
sept heures par jour dans les halls d’immeuble et les
cages d’escalier des immeubles de Noisy-le-Sec. Une
demi-heure seulement pour manger, et il n’est pas rare
qu’elle fasse durer sa journée pour finir le tour des
locaux. « Ils veulent qu’on tienne toute la journée sans
manger, mais on est des êtres humains quand même !
On n’a pas de Ticket-Restaurant ou de cantine. Il y
a une boulangerie au coin mais ça veut dire qu’il
faut encore mettre la main dans notre porte-monnaie
pour manger ! » Aïcha Konaté est excédée, fatiguée
de « réclamer », pour le remboursement de sa « carte
orange », les balais, ou un chariot neuf pour porter
ses produits. Un autre gréviste le confirme, il travaille
avec un caddie de supermarché : « On travaille dur,
on ramasse la merde, et les urines. On ne réclame pas
grand-chose, juste attirer leur attention pour qu’ils
voient que ce qu’on fait c’est difficile. »
Ils sont massés là depuis trois semaines, sur un bout
de trottoir du fin fond du 20e arrondissement de
Paris. En guise d’emblème, quelques drapeaux du
syndicat Sud nettoyage et une banderole pâlotte. Trois
semaines de grève, dans un anonymat quasi total, c’est
long pour des salariés payés au Smic, d'autant plus
quand on travaille à temps partiel. Leur employeur,
OMS Synergie, est l’un des sous-traitants chargés du
nettoyage de Paris Habitat, bailleur social qui gère 123
000 logements dans la capitale et en proche banlieue.
La liste des doléances de la cinquantaine de grévistes
issus des 20e, 19e, et 13e arrondissements est un
douloureux inventaire à la Prévert. Absence de
vêtements adéquats, manque de produits pour faire le
ménage, temps de travail sous-évalué, fiches de paye
douteuses… Tout y passe. « On n’a pas de chaussures
de sécurité, or on travaille avec de l’acide pour
nettoyer les sols, détaille Assane Diop, représentant
du personnel et l’un des leaders du mouvement. Les
gens ont une seule blouse, distribuée une fois par an,
et encore, si tu t’entends bien avec ton chef d’équipe.
Les gants, ce sont souvent les gardiens qui nous les
prêtent. Les produits, pareil. Quand c’est l’hiver, pas
de parka, rien du tout. » Assane Diop assure devoir
acheter lui-même le produit nécessaire au nettoyage
« Ils », c’est l’agence de Massy du groupe OMS
Synergie, membre d’un groupe employant 4 454
salariés, dont 80 % de femmes, dans 15 établissements
en France. L’entreprise de nettoyage travaille depuis
longtemps pour le bailleur Paris Habitat, et a obtenu
il y a un an et demi un contrat supplémentaire,
celui des 20 et 19e arrondissements. Au titre de
l’annexe 7 de la convention collective encadrant le
secteur du nettoyage, elle a réembauché les salariés de
l’ancien prestataire, la société Puissance 5. Les agents
de nettoyage sont habitués à migrer de sous-traitant
en sous-traitant, mais estiment avoir sérieusement
perdu au change. « Quand ils sont arrivés, pendant
quatre mois la société ne nous a pas déclarés à la
Sécurité sociale. Donc on a perdu un trimestre de
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cotisations ! », se plaint Fanta Kande. « Certains
salariés, repris par l’annexe 7, n’ont toujours pas de
contrat jusqu’à aujourd’hui, assure Assane Diop. On a
averti la société, nous avons transmis des photocopies
pour les dossiers et les avons remis en main propre
au bureau. Mais on se pose la question : est-ce qu’ils
cotisent ou pas ? »
mes partenaires sociaux», c’est-à-dire les délégués FO
et CGT d’OMS Synergie. La grève, effectivement, est
du seul fait de SUD nettoyage, non représentatif au
sein de l’entreprise. « Ils veulent un 13e mois, une
requalification de leurs salaires, mais tout ça ce sont
des négociations que nous avons annuellement,objecte
Clément Kolagbe, représentant syndical FO. Ils ne
laissent pas le temps au patron. » Le délégué FO,
interrogé, assure également que Sud « mène les gens
en bateau » : « Ils vont les faire mettre dehors, comme
des animaux, s’emporte Balathiama Dianka. Sur le
matériel, ils racontent n’importe quoi, je gère une
équipe de 42 personnes et nous n’avons aucun
problème. »
Assane Diop, représentant du personnel chez OMS Synergie © Mathilde Goanec
Certaines fiches de paye produites par OMS Synergie,
et dont Mediapart a eu copie, sont en effet très
étranges. Sur plusieurs d’entre elles, le même numéro
de Sécurité sociale, une suite de 9 invraisemblable.
Untel ne touche plus rien depuis des mois, l’autre avec
20 ans d’ancienneté vient de passer de 1200 à 1100
euros de salaire sans justification, pour les mêmes 6
heures 30 de travail. « Ce sont des monuments du
genre, estime Raphaëlle Primet, élue Front de gauche
à la mairie du 20e arrondissement, qui a fait une alerte
à ce sujet au conseil de Paris. Et ce n’est pas la
première fois qu’il y a des problèmes avec cette boîte.
» Une gréviste, venue du 13e, travaille depuis plusieurs
années pour OMS Synergie, après avoir été employée
de Veolia : « Comme on ne sait pas bien parler en
français, et parfois pas bien lire, ils profitent de nous.
Je fais neuf bâtiments seule, j’ai un handicap, mais
ils ne veulent pas remplir les papiers pour toucher
l'allocation. Sur ta fiche de paye, tu touches moins que
ton vrai salaire, mais si tu le dis, on te menace de
licenciement. Dans notre loge, pendant la grève, ils
ont changé les serrures. On est à bout maintenant. »
Capture d'écran du site OMS Synergie © DR
Seul point d’accord, la date de paye, régulièrement
dépassée, ce qui n’a rien d’anecdotique. « On est
toujours payé avec cinq ou six jours de retard,
s’insurge Fanta Kande. J’ai des rejets de prélèvements
tous les mois. Avec une si petite paye, si je dois
payer la pénalité à chaque fois, qu’est-ce qu’il me
restera ? » Clément Kolagbe assure de son côté que
tous les salariés peuvent demander des acomptes, pour
payer les factures en temps et en heure.
Bataille syndicale, conflit social, grève longue, la
situation est forcément explosive. Lundi 5 octobre,
la situation a dégénéré lors d’une manifestation au
siège de l’entreprise. Un représentant syndical FO
assure avoir pris un coup de poing, un gréviste
montre son pouce cassé… Les violences ont provoqué
l’entrée en scène de l’inspection du travail, qui planche
désormais sur le dossier. Elle a également organisé
un contrôle inopiné rue de Meaux, sur l’un des sites
où officient normalement les grévistes, ces derniers
accusant OMS Synergie de faire travailler à leur place
des salariés sans papiers ou sans contrat. Une habitude
solidement ancrée dans le secteur du nettoyage et de
« Je n’ai pas eu connaissance de tels cas », assure
le directeur des sites concernés pour OMS Synergie,
Cyril Duminil. Concernant le matériel réclamé en
vain par les grévistes, il affirme également que des
classeurs sont remis aux chefs d’équipe pour noter tous
les produits nécessaires. Pour tout le reste, « contactez
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la maintenance. « Nous avons fait venir des salariés
polyvalents, ou demandé aux autres équipes de faire
des heures supplémentaires, ce qui est tout à fait
légal », explique Clément Kolagbe.
sociaux. « Il nous paraît essentiel de s’assurer, en
lien avec l’inspection du travail, de la conformité au
code du travail des pratiques des employeurs durant
l’exécution de leurs prestations », écrit le groupe
d’élus. Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris en
charge des questions de logement, a d’ailleurs signalé
la situation à Stéphane Dambrine, directeur général de
Paris Habitat.
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La grève touche 90 sites de Paris Habitat et donc des
milliers de locataires qui s’impatientent. Mais si Paris
Habitat, donneur d’ordre d’OMS Synergie, confirme
de gros « dysfonctionnements », l’organisme assure ne
pas pouvoir « s’immiscer » dans la relation employeuremployé. « Nous n’avons aucune responsabilité dans
ce conflit, nous ne sommes que des clients, dans le
cadre d’un marché public extrêmement codifié qui
nous interdit d’intervenir », souligne François-Marie
Retourné, directeur de la communication de Paris
Habitat. Ce n’est pas tout à fait l’avis du groupe Front
de gauche du conseil de Paris, qui « souhaite une
meilleure prise en compte des politiques de ressources
humaines des prestataires » auxquels font appel la
ville de Paris et ses « satellites » tels que les bailleurs
En attendant que le « dialogue social reprenne
sereinement »,selon le souhait de François-Marie
Retourné, plusieurs salariés disent avoir reçu des
lettres, pendant la grève, les convoquant à un
entretien préalable de licenciement ou de sanction
disciplinaire. « J’ai plus qu’un an avant la
retraite, souffle Mahamadou Traouré, 20 ans de
nettoyage dans les pattes, sur son bout de trottoir
parisien. Ils peuvent me virer s'ils veulent… »« Mais
non tu ne seras pas viré, ne dis pas ça,lui répond
Bassirou Tandjigora, représentant de la section
syndicale Sud. On est en France, on ne vire pas les
gens comme ça. »
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