Les Chats de Pessines

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Les Chats de Pessines
Légendes et Contes d’Aunis et Saintonge
Les chats de Pessines
Autrefois, les chats, surtout s’ils étaient noirs, passaient pour des animaux diaboliques, les
compagnons du démon et des sorciers. On les représentait, soit isolés, soit en couples, sur
les modillons des églises romanes toujours à l’extérieur : on prétend qu’ils n’avaient pas le
droit d’entrer dans l’édifice sacré. Dans certaines régions, il existait une coutume barbare
qui consistait à brûler les chats dans les feux de la Saint Jean.
Dans la commune de CHAMPNIERS, d’après une ancienne tradition rapportée par
M. SERBUISSON, les matous de la contrée se réunissaient à un carrefour à l’approche du
mardi-gras pour y faire le sabbat.
A une époque qu’il n’a pas été possible de préciser, le seigneur de l’Epinette les accusa
d’avoir pillé ses réserves alimentaires et fit décider que l’on tuerait tous les chats du pays.
Heureusement, deux rôdeurs furent arrêtés qui avouèrent leurs larcins, ce qui sauva la vie à
la gent féline.
Dans notre région, le rendez-vous des chats était le CHÊNE DE MONTRAVAIL, dans la
commune de PESSINES, à sept kilomètres de SAINTES. Cet arbre gigantesque avait une
circonférence de seize mètres cinquante à quarante centimètres du sol et passait pour être
vieux de 1 800 ans, c'est-à-dire qu’il aurait été contemporain de l’empereur Antonin et qu’il
aurait vu en Saintonge les splendeurs de la domination Romaine. Il était percé d’un trou de
trois mètres trente de haut et l’intérieur aurait pu contenir 12 personnes à table ou vingtcinq soldats en armes ». Il appartint longtemps aux PITARD, échevins de Saintes.
Son écorce rugueuse passait pour avoir été labourée par des chats qui se réunissaient à ses
pieds les nuits de sabbat, se faisaient les griffes sur son tronc, montaient dans ses branches
et se partageaient dans son creux les bons morceaux qu’ils avaient volé à leurs patrons.
Or la légende raconte que vivait à SAUJON un seigneur qui avait deux fils. L’aîné était brutal
et avide mais il était l’aîné ; le fils cadet était doux et désintéressé, mais il n’était que le
cadet. Pour lui donner tout de même sa chance, le seigneur décida qu’il laisserait son
héritage à celui des deux qui lui rapporterait un poisson d’or. L’aîné partit vers l’ouest et le
plus jeune vers l’est, tous deux bien ennuyés car ils ne voyaient pas où ils pourraient se
procurer ce que leur demandait leur père.
Chevauchant mélancoliquement, le cadet parvint à PESSINES. Comme il traversait les bois, il
entendit des cris d’agonie et, écartant les branches de la haie, vit un malheureux chat pris
par le cou dans un collet tendu pour les lapins et qui étouffait. Le jeune homme coupa le fil
et délivra la bête qui, ayant repris son souffle, se tourna vers lui comme pour lui dire de le
suivre et s’enfonça dans les fourrés.
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N’ayant rien à faire, le jeune homme le suivit et tous deux parvinrent à une source bien
cachée dans le sous-bois.
L’eau cristalline s’étalait dans une vasque bordée de violettes et de primevères : le cavalier
se pencha sur l’eau fraîche pour boire et vit alors un poisson d’or qui glissait
paresseusement entre deux eaux. Avec une épuisette qu’il avait emportée à tout hasard, il
le captura et revint à SAUJON, bien heureux. Aux portes de la ville, il rencontra son frère,
qui, lui n’avait rien trouvé. Sans méfiance, il montra le poisson d’or à son aîné qui le lui
arracha des mains et alla le porter à son père. Il hérita donc du domaine et pria alors son
cadet de quitter les lieux, ne lui laissant que son cheval et son épée.
Le malheureux jeune homme, ne sachant où aller, revint machinalement vers PESSINES et,
comme la pluie menaçait, alla s’abriter dans le chêne de MONTRAVAIL. Et là, qu’est-ce qu’il
trouva ? Le chat dont il avait sauvé la vie, qui se mit à miauler de façon très significative, si
bien que le jeune homme le suivit pour la seconde fois.
La queue en l’air comme une lance, le chat allait tout droit son chemin, suivi par le cavalier.
Ils traversèrent des bois et des fourrés et arrivèrent à la porte d’un beau château. Le jeune
homme tira sur la chaîne qui pendait près de l’huis, une cloche sonna et les battants
s’ouvrirent, sans que personne ne se fût montré. Il entra dans la cour, attacha son cheval à
un anneau, puis pénétra dans le bâtiment principal. Dès qu’il s’en approchait, les portes
s’ouvraient mystérieusement mais aucun serviteur n’apparaissait et il régnait dans la
demeure un étrange silence.
Enfin, tout au bout des appartements, il aperçut couchée sur un coussin brodé d’or, une
délicieuse chatte blanche aux yeux verts qui lui parla d’une voix douce comme un
murmure. Elle lui demanda qui il était, pourquoi il avait l’air si triste et le jeune seigneur, se
sentant en confiance, lui raconta sa vie sans s’étonner de causer avec un animal. La nuit
venue, ils dînèrent ensemble ; des mains invisibles tenaient des chandelles allumées et
servaient des plats délicieux. Puis la chatte blanche lui montra sa chambre, les mains le
déshabillèrent et il dormit merveilleusement.
Le lendemain et les jours suivants, le jeune chevalier vécut au château mystérieux, causant
avec la chatte qu’il trouvait de jour en jour plus intelligente et plus délicieuse.
Un soir, elle lui dit :
- Mon ami, les temps sont révolus. Pouvez vous me rendre un très grand service ? Mais il
faut me jurer de m’obéir, avant même de savoir de quoi il s’agit.
- Parlez, répondit-il. J’ai confiance en vous.
- Eh bien ! il faut que vous me coupiez la tête avec votre épée.
- C’est impossible, répondit-il je me suis attaché à vous, je ne veux pas vous perdre.
- Vous avez juré…
Et le jeune homme dut obéir. En pleurant, il coupa la tête de la chatte blanche. Mais alors,
du corps décapé sortit une merveilleuse jeune fille. C’était une princesse qu’un mauvais
sort avait transformée en animal.
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Ils se marièrent et furent heureux. Et, de temps en temps, ils allaient ensemble en pèlerinage
au chêne de MONTRAVAIL que la chatte avait marqué de ses griffes et dans l’écorce duquel
ils gravèrent, en souvenir, leurs noms entrelacés.
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