Apprendre à entreprendre par l`accompagnement d`entrepreneurs

Transcription

Apprendre à entreprendre par l`accompagnement d`entrepreneurs
Apprendre à entreprendre par l’accompagnement d’entrepreneurs en phase
de réinsertion: une réflexion à partir des Cordées de l’Entrepreneuriat
Roland Condor
Virginie Hachard
Titulaire de la chaire Entrepreneuriat
Enseignant-chercheur en entrepreneuriat
[email protected]
[email protected]
EM Normandie
30, rue de Richelieu
76087 LE HAVRE Cedex
Résumé
Un examen attentif des pratiques pédagogiques en entrepreneuriat dans l’enseignement supérieur
fait apparaître deux tendances : le développement d’incubateurs ou de procédés d’incubation et les
méthodes d’observation-conseil. Ces dernières sont minoritaires par rapport aux incubateurs. Elles
consistent à accompagner un projet porté par d’autres alors que les incubateurs permettent
d’apprendre en travaillant sur son propre projet. Mais quelle méthode est la plus efficace en termes
d’acquisition de compétences entrepreneuriales ou de renforcement de la désirabilité
d’entreprendre ? Partant de cette question générique, les auteurs étudient un cas de pédagogie par
observation-conseil : les Cordées de l’entrepreneuriat. Le cas permet d’avancer l’idée que ces deux
types de méthodes ne sont pas opposées mais complémentaires car ayant des objectifs différents
(sensibiliser et accompagner). Le cas soulève toutefois la question du modèle de référence dans la
démarche de sensibilisation. Alors que la plupart des publications suggèrent une sensibilisation à
partir d’un modèle idéal (l’entrepreneur de start-up ayant réussi), les Cordées de l’entrepreneuriat
suggèrent une autre forme de sensibilisation à partir d’un modèle d’entrepreneuriat dit alternatif.
Mots-clés
Accompagnement, éducation, entrepreneuriat alternatif,
pédagogiques, pôles entrepreneuriat étudiant
intention entrepreneuriale, méthodes
1
Introduction
Depuis quelques années, les dispositifs de formation à l’entrepreneuriat par l’action ou par projet se
sont fortement développés dans les écoles de management, les écoles d’ingénieurs et les universités
(Verzat, 2012). Cet essor répond aux critiques émises à l’encontre des méthodes d’enseignement par
cours magistral, jugées inadaptées ou insuffisantes pour insuffler l’esprit entrepreneurial (Fayolle,
2008 ; Surlemont et Kearney, 2009). En France, le lancement des Pôles Entrepreneuriat Etudiant
confirme cette tendance et en même temps montre une grande diversité des pratiques
pédagogiques1.
Si la plupart des dispositifs ont vocation à développer l’esprit entrepreneurial des étudiants, un
certain nombre envisagent l’atteinte de cet objectif par des mises en situation d’accompagnement
d’entrepreneurs. Ce sont des dispositifs à double finalité : ils ont la particularité d’avoir un objectif
pédagogique et en même temps une visée pratique (aider un entrepreneur à lancer son entreprise,
réaliser l’étude de marché et/ou le business plan). Si ces méthodes sont profitables pour l’étudiant
en les mettant en face de réalités opérationnelles, elles sont sujettes à questionnements. En effet,
elles créent des situations où l’étudiant –qui est en cours de formation- joue le rôle de consultant.
L’accompagné qui doit normalement être l’étudiant devient en même temps accompagnant (Bégin et
Condor, 2010). La situation d’accompagnement devient alors mutuelle ce qui pose la question de
l’efficacité d’un tel dispositif à la fois pour l’étudiant et la personne accompagnée.
Ce type de dispositif n’est pas nouveau : les Junior Entreprises en sont le parfait exemple. Mais alors
que l’appel à projets du gouvernement sur les Pôles Entrepreneuriat Etudiant ont fait des Junior
Entreprises un modèle de référence, très peu d’universités semblent l’avoir adopté. Y a-t-il une
raison à cela ? N’est-il pas efficace ou présente-t-il des difficultés de mise en œuvre qui le rendent
peu attrayant ? Est-ce les méthodes à double finalité en général qui posent problème ?
L’objectif est ici de discuter des avantages et inconvénients des modèles d’apprentissage à double
finalité (que nous appelons aussi « d’observation-conseil »). Contrairement aux incubateurs par
exemple (qui font partie des principaux outils mis en œuvre par les écoles et les universités pour
développer les compétences entrepreneuriales et générer de la création d’entreprise2), les étudiants
qui évoluent dans un tel registre ne travaillent pas sur leur propre projet mais « font pour le compte
de ». De plus, à l’inverse des jeux, simulations ou créations d’entreprises virtuelles, ils apprennent
dans un contexte réel. Quel est alors leur intérêt par rapport à ces autres méthodes pédagogiques ?
Nous nous focaliserons dans ce papier sur un cas : les Cordées de l’Entrepreneuriat qui ont été créées
par l’EM Normandie et qui sont actuellement en cours de développement dans plusieurs grandes
écoles de commerce. Il s’agit d’un dispositif particulier puisqu’il vise à accompagner des porteurs de
projets de Zones Urbaines Sensibles par des étudiants de grandes écoles. Ce cas est intéressant car il
place les étudiants en situation de coaching d’entrepreneurs qui n’ont pas a priori de compétences
entrepreneuriales. C’est donc un dispositif paradoxal. En effet, un des objectifs des méthodes
d’observation-conseil est justement d’observer des entrepreneurs aguerris, qui sont capable de
transmettre des compétences ou une envie d’entreprendre aux étudiants. Dans le cas présent (que
1
Voir le document « 20 pôles de l’entrepreneuriat étudiant pour offrir aux étudiants les moyens
d’entreprendre », disponible à l’adresse :
http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2010/55/1/Pages_de_entrepreuneuriat-5_156551.pdf.
2
Voir par exemple Rasmussen et Sorheim (2006).
2
l’on peut rencontrer également dans les Junior Entreprises), l’entrepreneur est peu expérimenté. Les
étudiants jouent alors pleinement leur rôle d’accompagnateur mais n’ont pas la figure emblématique
de l’entrepreneur en face d’eux3. Ce cas soulève ainsi des questionnements de par ses particularités :
-
le fait qu’il s’agisse d’un dispositif de formation par l’accompagnement et non par
l’incubation de son propre projet ;
le fait qu’il consiste en l’accompagnement de néo-entrepreneurs sociaux et non en
l’accompagnement d’entrepreneurs aguerris.
Quel est l’effet de ce dispositif pour les étudiants ? Permet-il d’acquérir des compétences
entrepreneuriales ? Si oui, lesquelles ? Si non, quelles compétences développe-t-il ? Et en quoi ce
dispositif est utile pour le système voire l’écosystème éducatif ? En quoi peut-on généraliser nos
observations à l’ensemble des méthodes dites à double finalité ? Que penser des méthodes de
formation à l’entrepreneuriat alternatif ?
A la lumière des Cordées de l’entrepreneuriat, nous montrerons que l’intérêt majeur des méthodes
d’accompagnement « à double finalité » se situe essentiellement dans l’apprentissage de
l’accompagnement entrepreneurial (méthodes de coaching…). Sur le plan de l’acquisition de
compétences entrepreneuriales, cette méthode ne s’oppose pas aux autres, en particulier celles
basées sur l’incubation. Il s’agit simplement de méthodes de sensibilisation à l’entrepreneuriat alors
que les modèles d’incubation visent la création d’entités à forte valeur ajoutée. Le cas des Cordées
de l’entrepreneuriat soulève par ailleurs la question de la sensibilisation des étudiants au modèle de
l’entrepreneuriat alternatif. Alors que certains travaux tentent de comprendre ce qui influe sur
l’intention d’entreprendre, le cas émet la proposition que la sensibilisation par l’entrepreneuriat
alternatif contribue à la désirabilité d’entreprendre.
1. L’évolution récente des méthodes pédagogiques en entrepreneuriat
Les modules de formation en entrepreneuriat se sont considérablement développés au cours des
trente dernières années. Comme l’indique Katz (2003), le premier cours en entrepreneuriat a été
dispensé à l’Université d’Harvard en 1947. Depuis, ce type de formation s’est étendu à grande
vitesse. Katz (2003) rapporte également qu’en 1994 plus de 120 000 étudiants s’étaient inscrits dans
des cours en entrepreneuriat. Ce fort développement a été constaté également dans d’autres pays
comme le Canada (Carrier, 2009) ou la France (Fayolle, 2003). Aujourd’hui, la plupart des écoles de
commerce ou d’ingénieurs en France proposent des modules de formation en entrepreneuriat. Grâce
aux Pôles Entrepreneuriat Etudiant, l’Université suit le même chemin, de même que les collèges
(Koumba, 2012) et les lycées (Allemandi et Neunreuther, 2002).
3
Dans la perspective de développer l’esprit d’entreprendre, les propositions émises ici et là tendent à mettre
en avant l’idée de « modèle de référence ». La sensibilisation de l’étudiant ne pourrait se faire que par l’écoute
ou l’observation de personnages entreprenants (pas uniquement des entrepreneurs au sens strict du terme
d’ailleurs). Ceux-ci seraient alors des modèles dans lesquels les étudiants puiseraient leur intention
d’entreprendre.
3
1.1. Les méthodes pédagogiques récentes en entrepreneuriat
Le développement de l’enseignement de l’entrepreneuriat s’est également traduit par des évolutions
au niveau des méthodes pédagogiques ; Kuratko (2005) évoque un apprentissage expérientiel
répandu, appliqué sous différentes formes : business plans, création de start-ups par les étudiants,
discussions avec des entrepreneurs, simulations informatisées… et diffusé comme méthode à
déployer dans l’enseignement supérieur (Kolb et Kolb, 2005)
Une étude réalisée par Bennett (2006) montre que de nombreuses innovations pédagogiques
apparaissent depuis le début des années 90.
Graphique 1 – Les méthodes pédagogiques récentes selon Bennett (2006)
Source : Mwasalwiba (2010)
L’étude de Bennett (2006) montre que la méthode classique fondée sur des lectures et de la théorie
reste dominante. Suivent les études de cas ainsi les simulations et les discussions de groupes. Mais
l’enquête fait apparaître une grande variété de méthodes : le recours à des vidéos, la création
d’entreprise réelle, les compétitions et jeux d’entreprises, les témoignages d’entrepreneurs, les
projets, visites d’entreprises, etc., dites méthodes actives.
Carrier (2009) regroupe ces méthodes en grandes catégories :
-
les simulations et jeux, se développant récemment autour de jeux virtuels
(business games)4 ;
4
Mais on trouve également parmi les simulations, des simulations dites « comportementales » (Carrier, 2009).
L’auteur cite de nombreuses méthodes appartenant aux deux registres (simulations sur ordinateur et
comportementales).
4
-
-
des approches métaphoriques : par la lecture de romans classiques (Le prince de
Machiavel, La République de Platon ou encore Othello de Shakespeare), par le
visionnage de vidéos (films grand public ou films d’entreprises) ;
les récits de vie (interventions d’entrepreneurs qui expliquent leur vécu,
comment ils ont créé et fait croître leur entreprise) ;
les jeux de rôles.
Carrier note également la sous-exploitation de certaines méthodes, a priori simples, mais pourtant
très formatrices : les interviews d’entrepreneurs par les étudiants suivis de discussions avec ces
mêmes entrepreneurs en salle de classe. L’auteure parle également de la formation à la créativité,
laquelle ne serait pas suffisamment enseignée alors qu’elle est la base des processus créatifs et de
l’identification d’opportunités d’affaires. Elle propose notamment des exercices de créativité (type
Mind Mapping) ou la création de produits ou d’œuvres d’art (création de jeux, musique, dessin…).
Pour Verzat (2012), l’enseignement de l’entrepreneuriat se situe plus largement dans la logique des
pédagogies actives : « Il existe un certain consensus sur le fait que les pédagogies actives sont
théoriquement plus cohérentes que les autres avec les processus entrepreneuriaux à éduquer »
(Verzat, 2012, p.85). Pour l’auteure, ces pédagogies auraient été mises en œuvre pour deux raisons :
-
-
Les limites perçues dans tous les secteurs de la formation des méthodes
classiques basées sur des cours (pédagogie transmissive) ou des cas pratiques,
telles qu’explicitées dans les pédagogies par objectif ;
Le besoin spécifique à l’entrepreneuriat de former autrement. Etre entrepreneur,
c’est être confronté à des situations complexes, incertaines où la résolution de
problèmes est essentielle. «…L’acquisition de la compétence professionnelle d’un
entrepreneur (…) met en œuvre un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de
savoir-être articulés dans une dynamique de processus originaux où l’individu est
acteur et auteur de son projet ». (Verzat, 2012, p.85). Acquérir l’esprit
d’entreprendre, c’est également adopter le mode d’apprentissage des
entrepreneurs eux-mêmes, fondé sur une perspective d’apprentissage pratique
où l’entrepreneur construit son savoir chemin faisant.
Les travaux qui portent sur les modèles d’intention (Boissin et Emin, 2007 ; Boissin et al., 2009)
montrent par ailleurs que c’est la désirabilité d’entreprendre qui influence l’intention. Ainsi, les
méthodes qui donnent envie d’entreprendre, en particulier, celles basées sur la gestion de projets en
groupe favorisent l’intention de créer. Ceci montre que les méthodes classiques comme les cours,
bien que « formant des têtes bien faites », n’engendrent pas nécessairement un accroissement de
l’intention d’entreprendre. Boissin et Emin (2007) ainsi que Boissin et al. (2009) montrent qu’il faut
trouver des modèles pédagogiques alternatifs tout en reconnaissant que l’intention entrepreneuriale
est changeante. Ainsi, une méthode jugée bonne par les répondants dans la foulée de l’exercice
pédagogique peut être qualifiée de moins bonne si l’on observe les comportements
entrepreneuriaux sur le long terme.
Kirby (2004) note que les formations en entrepreneuriat se décomposent en deux grandes
catégories : celles qui visent à enseigner « sur » l’entrepreneuriat et celles dont l’enseignement est
« pour » l’entrepreneuriat. « Often such programs equate entrepreneurship with new venture
creation or/and small business management and educate « about » entrepreneurship and enterprise
5
rather than educating “for” entrepreneurship. Only rarely, it would seem, is the focus on developing in
their students the skills, attributes and behavior of the successful entrepreneur” (Kirby, 2004, p. 514).
Kirby (2004) montre ainsi que si le système éducatif forme à l’entrepreneuriat, forme-t-il pour autant
des entrepreneurs ? Comme d’autres auteurs l’ont montré (Verzat, 2012), les organismes de
formation commencent à intégrer la notion de compétence. En pédagogie, la compétence est « la
capacité intériorisée par l’individu à mobiliser, c’est-à-dire identifier, combiner et activer un ensemble
de savoirs, savoir-faire et savoir-être pour résoudre une famille de situations problèmes » (Verzat,
2012, p.51).
Il ne s’agit plus désormais de donner des cours en entrepreneuriat mais de former des individus
ayant les compétences d’un entrepreneur : prise de risque, créativité, négociation, leadership,
réseautage….
Mwasalwiba (2010) va plus loin en distinguant quatre façons d’enseigner l’entrepreneuriat :
- « Pour » entreprendre
- « A propos » d’entreprendre
- « de » l’entrepreneuriat
- « au travers » l’entrepreneuriat
« Pour » entreprendre devrait être le but ultime des formations. Celles-ci devraient avoir pour finalité
la création d’entreprises ou de nouveaux business. Mais en réalité l’enseignement de
l’entrepreneuriat prend des chemins détournés. Ainsi, un enseignement peut porter sur ce qu’est
l’entrepreneuriat (à propos de). Il se limite alors à de la transmission de connaissance sur les
processus entrepreneuriaux. Il peut y avoir également un enseignement « de »
l’entrepreneuriat autour de la question « comment entreprendre ? ». L’objectif est alors de faire des
individus des individus entreprenants dans leur vie (personnelle et professionnelle). Mais pourtant
vont-ils créer des activités à valeur ajoutée pour la société? Le dernier cas (au travers) consiste à
utiliser l’entrepreneuriat comme support pour acquérir des compétences diverses. L’apprenant
développe des compétences à partir d’une expérience entrepreneuriale. Pour Mwasalwiba (2010),
cette façon de procéder contribue au « pour » entreprendre. L’expérience entrepreneuriale va
permettre de développer des compétences que pourra utiliser l’apprenant dans des contextes non
entrepreneuriaux. Mais sa valeur ajoutée est sans doute également dans l’incitation à créer des
entreprises. En se servant d’une situation réelle dite entrepreneuriale (la gestion d’un projet
associatif par exemple), l’étudiant développe une envie d’entreprendre qui peut se manifester plus
tard par la création d’activités à forte valeur ajoutée.
C’est dans ce cadre que s’inscrit la méthode étudiée dans ce papier, à savoir le coaching de porteurs
de projet de création issus de Zones Urbaines Sensibles, et plus généralement les méthodes
consistant en l’accompagnement d’entrepreneurs. Celles-ci sont assez peu évoquées dans la
littérature. Quand on regarde les pratiques pédagogiques au sein des Pôles Entrepreneuriat Etudiant
en France, on observe une faible présence de ces méthodes à l’inverse des dispositifs de
sensibilisation de type « conférences » et « témoignages », d’amorçage, d’incubation, ou encore
l’apprentissage par le mode virtuel. Quelle place alors leur accorder alors que quelques écoles
(notamment de management) y ont recours ?
6
1.2. La situation en France
Comme dans beaucoup de pays, la France n’échappe pas au développement tous azimuts des
formations en entrepreneuriat. Celles-ci touchent tous les niveaux de formation : du collège jusqu’à
l’université. La création en 2010 des « Pôles de l’entrepreneuriat étudiant » est sans doute le
dispositif le plus évolué avec 23 pôles créés en France sur la base d’un appel d’offre national5. De par
son origine gouvernementale, c’est une initiative de grande envergure et qui est aussi relativement
bien documentée.
En reprenant le document listant les pôles et les actions menées en leur sein (« 20 pôles de
l’entrepreneuriat étudiant pour offrir aux étudiants les moyens d’entreprendre »), on peut se faire
une idée des pratiques pédagogiques en entrepreneuriat au sein des différents établissements6.
L’analyse du document suggère une classification en deux dimensions (cf tableau 1): travailler sur son
propre projet ou celui d’un autre ; monter un projet virtuel ou réel7.
Nous excluons ici les cours, interventions, témoignages de sensibilisation, et autre dispositifs dans
lesquels l’étudiant ne pratique pas mais écoute.
Tableau 1 – Deux dimensions pour qualifier les pratiques pédagogiques en entrepreneuriat
Son projet
Le projet de qui ?
Celui d’un autre
Projet virtuel
Réel ou virtuel ?
Projet réel
Exemples de pratiques
Incubateur étudiant
Parrainage ou coaching
Missions de conseil
Projets de junior entreprise
Simulations, jeux d’entreprise
Incubateurs virtuels, création d’entreprises virtuelles
Projets réels de création d’entreprise
Autres projets dits entrepreneuriaux
Beaucoup de pratiques tournent autour de l’incubation de projets et, plus généralement, autour de
mesures permettant aux étudiants de créer leur entreprise8. L’incubateur étudiant est l’exemple
5
http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid5757/la-formation-et-la-sensibilisation-a-lentrepreneuriat.html#Les_p%C3%B4les%20de%20l%27entrepreneuriat%20%C3%A9tudiant%20inter%C3%A9tablissements%20:%20les%20P.E.E
6
Avec la limite que des décalages peuvent être constatés entre les pratiques réelles et le déclaratif des
référents de pôles. S’ajoute à cela le fait qu’il n’y ait pas une uniformisation des pratiques, chaque pôle étant
libre de construire son programme de formation et d’employer les termes qu’il juge adéquats. On peut trouver
ainsi des méthodes très différentes sur le papier et très proches dans la pratique.
7
Une analyse plus fine pourrait aboutir à quatre dimensions. Aux deux premières évoquées pourraient
s’ajouter la possibilité offerte aux étudiants de travailler seul (entrepreneuriat en solo) ou en groupe
(entrepreneuriat collectif) et les méthodes basées sur le « challenge » (type Challenge de Business Plan) ou
non.
8
Opérant un focus sur 5 universités suédoises, Rasmussen et Sorheim (2006) confirment la prégnance des
dispositifs d’incubation parmi les méthodes pédagogiques en entrepreneuriat. Celles-ci prennent généralement
la forme de travaux de groupes avec un mix d’étudiants ingénieurs ou de sciences dures et d’étudiants en
management. Les auteurs notent que ce mix est nécessaire pour faire aboutir des projets d’envergure
importante. Ils notent également que l’apporteur d’innovation peut avoir un rôle passif se limitant à l’apport
7
type : l’étudiant travaille sur propre projet, lequel repose sur une véritable envie de créer avec un
projet qui doit être un minimum formalisé pour pouvoir être hébergé par l’incubateur.
Mais si ce cas de figure semble ressortir assez souvent, il existe d’autres pratiques pédagogiques :
-
-
les jeux et simulations qui sont généralement menées en groupe autour d’un
challenge mais qui contrairement aux dispositifs d’accompagnement sont
virtuels. La vocation n’est pas alors de créer une entreprise mais de développer
des compétences entrepreneuriales.
la création d’entreprises virtuelles (cas des Entrepreneuriales ou de Créa’IUT par
exemple). Ici, l’étudiant n’a pas nécessairement un projet de création
d’entreprise mais il est amené à en concevoir un de manière à acquérir des
réflexes d’entrepreneurs.
Les missions de conseils auprès d’entrepreneurs, où l’étudiant observe des entrepreneurs et agit
pour leur compte en terme de coaching, d’études de marché, de réalisation de plans de financement,
etc. sont assez peu présentes mais elles méritent qu’on s’y intéresse. En effet, la plupart des
méthodes basées sur des créations d’entreprises réelles ou virtuelles visent l’acquisition de
compétences entrepreneuriales par le « faire ». Que peut-on penser de ces méthodes d’observation
et de coaching où l’étudiant agit « pour » et/ou « à côté de » ?
1.3. La place des méthodes à double finalité
Les méthodes d’observation et de conseil, fondées sur une pédagogie active, sont en réalité des
dispositifs à double finalité :
-
Elles sont mise en place par les écoles pour confronter les étudiants à des
situations entrepreneuriales, de façon à les sensibiliser à l’acte d’entreprendre.
Elles sont généralement menées en groupe autour d’un projet extérieur réel.
Outre la sensibilisation à l’entrepreneuriat par le conseil aux entrepreneurs, ils
forment à la gestion de projet, à la réalisation d’affaires, ce qui constitue en soi
des compétences entrepreneuriales9.
du concept. Tout en faisant partie de l’équipe, il est assez peu investi, de sorte que la frontière entre le
« travailler pour quelqu’un » et « travailler pour soi » est floue. Les étudiants d’écoles de management intégrés
dans le groupe sont considérés comme membres de l’équipe entrepreneuriale mais la faible implication de
l’ingénieur laisse suggérer qu’il y a une scission : que l’élève ingénieur considère les autres membres comme
extérieurs. On pourrait en conclure que tant que l’entreprise n’est pas créée, il est difficile de dire si la
méthode pédagogique relève du « consulting » ou de l’« internalisation ». Tout dépend par ailleurs de l’intérêt
que les étudiants portent au projet. Selon les cas, ils peuvent se sentir consultants ou membres de l’équipe.
Notons également que Rasmussen et Sorheim (2006) voient dans les processus d’incubation un moyen de créer
de la richesse à court terme (par création d’entreprise ou vente du brevet) alors que l’objectif des méthodes
pédagogiques en entrepreneuriat en général vise à développer l’esprit d’entreprendre (vision à long terme). La
forte prégnance des modèles d’incubation dans leur travail résulte ainsi d’un choix méthodologique (se
focaliser sur le transfert de technologie). Une définition plus large de la pédagogie en entrepreneuriat aurait pu
conduire à des observations plus hétérogènes.
9
Associer la gestion de projet à l’entrepreneuriat est un vrai sujet de débat (Barès et al., 2011). Comme
l’indiquent Condor et Hachard (2007), entreprendre est l’acte de développer un projet pour soi. Mais
8
-
Elles visent à conseiller l’entrepreneur. Qu’elles fassent l’objet d’une prestation
payante (Junior entreprises) ou qu’elles soient intégrées dans le programme de
formation, elles doivent également apporter une valeur ajoutée à l’entrepreneur.
C’est dans cette exigence de réponse au cahier des charges d’un client qu’elles
ont un aspect formateur. Citons l’exemple des missions HEC Entrepreneurs
développées par l’EM Normandie depuis 12 ans (Gay Anger et Hachard, 2011) sur
l’ensemble de son cursus Master (cf tableau 2).
Tableau 2 – Un exemple de méthode à double finalité : la mission création d’entreprise à l’EM
NORMANDIE
Objectif pédagogique de
la mission
Mettre l’étudiant en situation réelle de conseil d’un futur créateur
d’entreprise.
Validation pédagogique
du contenu de la mission
Effectuée par le responsable du programme, via un cahier des charges
soumis par le futur responsable mission (RM).
Durée de la mission
Quatre à cinq semaines, intégrées dans le cursus Master.
Mode d’évaluation
académique
Les étudiants, le RM, un tuteur.
Le responsable du programme supervise le bon déroulé de l’ensemble
des missions mais n’interfère pas dans le contenu.
Une soutenance devant un jury final de professionnels invités. Un
rapport final écrit remis au RM. Une note individuelle attribuée par le
RM aux membres de l’équipe étudiante.
Apprentissage individuel
complémentaire
Retour collectif et individuel d’expérience, le lendemain du jury final,
sous forme d’un « 360° », encadré par un professeur de l’école.
Acteurs de la mission
Source : Gay Anger et Hachard (2011)
Les Junior Entreprises ont largement popularisé ces méthodes (Barès et al., 2011)10 mais d’autres
dispositifs se rapprochent d’elles, créant ainsi un groupe de méthodes dites « à double finalité ». Il ne
s’agit pas ici de défendre ce type de méthodes mais plutôt de le comparer par rapport aux autres,
notamment les incubateurs (qui s’en rapprochent par le côté réel et en groupe mais s’en
lorsqu’une équipe projet développe un projet, c’est souvent pour quelqu’un d’autre (un client ou une direction
qui joue le rôle de commanditaire). Si des compétences se croisent, il y a aussi beaucoup d’oppositions, en
particulier, lorsque l’on considère l’entrepreneur comme un être libre. La gestion de projet consiste à gérer
sous une triple contrainte de coût, de délai et de qualité. Même si on peut admettre que l’entrepreneur subit
également des contraintes, il garde une liberté de choix que n’ont peut-être pas autant les gestionnaires de
projets.
10
La création de Junior Entreprises à l’Université était un des sous-objectifs de l’appel d’offre lancé par le
gouvernement dans le cadre des Pôles Entrepreneuriat Etudiants mais force est de constater que peu
d’universités les ont adoptées, contrairement aux grandes écoles qui en font leur porte-drapeau depuis des
décennies.
9
démarquent par le côté « observation participante » plutôt que « recherche action »). Le tableau 3
dresse quelques éléments de comparaison11.
Tableau 3 – Comparaison entre les méthodes à double finalité (observation-conseil) et les
dispositifs d’incubation
L’étudiant
L’école
L’économie locale
Incubation
Intérêt : profiter de l’environnement
de l’école pour créer sa propre
entreprise ; parfois, l’entrée dans un
incubateur peut être une stratégie
de repli (remplacer un stage en
entreprise
par
une
solution
permettant de rester dans l’école)
Intérêt : communiquer sur l’idée
d’école
entrepreneuriale ;
augmenter le taux d’entreprises
créées pendant et à la sortie de
l’école
Observation-Conseil
Intérêt : être mis dans une situation de
gestion de projet, de réalisation d’une
affaire, se former au conseil (aux
entrepreneurs mais pas seulement).
Intérêt : affirmer un rôle de
dynamiseur de l’économie régionale,
d’aide aux entreprises. Rapprocher
l’école de l’entreprise. Outil de
captation de ressources financières
(taxe d’apprentissage)
Intérêts : créer des emplois à terme, Intérêt : appui aux entreprises en
garder des entrepreneurs en herbe matière de conseil, mise à disposition
sur place, vanter les mérites d’une de main d’œuvre bien formée pouvant
ville entrepreneuriale.
réaliser des enquêtes ou autres
business plan à moindre coût.
Ces deux approches -qui ne s’opposent mais qui sans doute se complètent- présentent l’intérêt
d’apporter une valeur ajoutée au territoire, ce que ne permettent sans doute pas les méthodes
virtuelles. Mais, comparativement, qu’apportent-elles aux étudiants et aux écoles ? Sous prétexte
qu’elles placent l’étudiant en situation réelle, sont-elles pour autant préférables aux créations
d’entreprises virtuelles par exemple ? Quel est l’apport de ces méthodes pour l’étudiant ? Nous
rejoignons ici la question de l’évaluation d’une formation à l’entrepreneuriat (Fayolle et Gailly, 2009 ;
Fayolle, 2011) et, plus généralement, la question de l’impact de ces méthodes en termes d’intention
d’entreprendre (Boissin et Emin, 2007 ; Boissin et al., 2009)
L’objectif n’est pas ici d’affirmer qu’une méthode est préférable à une autre mais plutôt d’ouvrir un
débat. Les méthodes pédagogiques en entrepreneuriat sont très variées et en même temps l’analyse
des pratiques dans l’enseignement supérieur (au sein des PEE) laisse suggérer que des
regroupements sont possibles. Notre tendance est plutôt de privilégier les approches « réelles »
plutôt que « virtuelles », l’entrepreneuriat devant à notre sens être vécu plutôt qu’imaginé12. Mais
11
Il est fondé partiellement sur le Business School Score sur lequel a planché M. Kalika et qui est employé
actuellement par la Fnege. Voir http://www.directetudiant.com/magazine/formation_initiale/1197/la-fnegelance-le-business-school-impact-score-bsis.
12
Cette position mérite d’être débattue car tout dépend notamment de l’objectif et du niveau d’études. En
termes de « sensibilisation » pour des étudiants ne dépassant pas le stade de la licence, les méthodes virtuelles
sont sans doute une bonne méthode mais dans une optique d’acquisition de compétences entrepreneuriales à
un stade Master par exemple, les situations réelles semblent devoir être privilégiées. Le référentiel de
compétences en entrepreneuriat et esprit d’entreprendre va d’ailleurs dans ce sens en évoquant la nécessité
10
parmi les méthodes de mise en situation réelle, il faut distinguer celles où l’étudiant travaille sur son
propre projet et celles où il travaille pour le compte d’un porteur de projet externe. Quel est
l’avantage comparatif des méthodes d’observation-conseil ? Peuvent-elles contribuer au
développement de l’esprit d’entreprendre des étudiants ? Quels autres intérêts présentent-elles ?
Devons-nous les opposer ou les considérer comme complémentaires ? Voici quelques questions
structurantes auxquelles nous tenterons de répondre à partir de l’exemple des Cordées de
l’Entrepreneuriat. Nous verrons que ce cas pose également la question du modèle de référence.
Alors que l’intention d’entreprendre dépend en grande partie de l’observation d’entrepreneurs
aguerris et à succès, quelle peut être l’influence d’un accompagnement de néo-entrepreneurs en
situation de réinsertion ?
2. Le cas des Cordées de l’entrepreneuriat
Le dispositif des Cordées de l’entrepreneuriat est atypique car non seulement il met les étudiants en
situation d’accompagnement mais il les fait travailler pour de néo-entrepreneurs engagés dans une
démarche de réinsertion par l’entrepreneuriat13. Il s’agit d’un cas extrême d’accompagnement qui
permet de voir quel est l’apport des méthodes à double finalité en termes d’acquisition de
compétences entrepreneuriales ou de développement de l’esprit d’entreprendre.
Nous apportons quelques éléments de réponse à partir d’une enquête portant sur la troisième
promotion d’étudiants engagée dans ce dispositif.
2.1. Le contexte d’étude
ACCES (Association de Coaching à la Création d’EntrepriseS) est une jeune association créée en 2009
par sept étudiants de l’EM Normandie. Elle a donné naissance à un mouvement plus large, les
Cordées de l’Entrepreneuriat, lancé à l’échelle nationale en mars 2011 et mis en œuvre dans d’autres
écoles de commerce depuis. ACCES travaille en partenariat avec d’autres institutions au niveau local :
les Chambres de Commerce et des Métiers, Pôle Emploi ainsi qu’avec d’autres associations qui aident
à la création d’entreprise. Elle bénéficie par ailleurs de subventions du Ministère de la Ville et du
ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
L’objectif de l’association est d’accompagner des porteurs de projet de création d’entreprise issus de
quartiers classés en Zones Urbaines Sensibles (ZUS) du Havre et de sa périphérie. Les porteurs de
projet sont identifiés par le responsable du service Amorçage Projet de la ville du Havre qui les dirige
ensuite vers l’association.
L’objectif de l’association est de créer un lien fructueux entre les étudiants, forts de leurs
compétences en gestion de projet et en coaching, et les futurs créateurs, via des rencontres et des
pour les étudiants arrivés au stade de Master et Doctorat « d’ancrer leur projet dans un réalité économique,
sociale et environnementale. La confrontation à la réalité doit amener l’étudiant à capter le maximum de
ressources du milieu dans lequel il veut insérer son projet. Cette confrontation ne devra pas se cantonner à une
démarche théorique ou virtuelle mais intégrer une démarche réelle de rencontre avec les parties prenantes du
projet » (p. 16).
13
D’où le terme « d’entrepreneuriat alternatif ».
11
échanges sur le projet. Il s’agit plus ici d’accompagner le porteur de projet-futur dirigeant que le
projet de création en tant que tel (Audet et Couteret, 2006 ; Cloet et Vernazobres, 2012).
Le fonctionnement de l’association est le suivant : des étudiants en Master 1 du programme Grande
Ecole vont accompagner en binôme chaque porteur de projet retenu, avec un ou deux étudiants de
niveau Undergraduate, membres de l’association, qui vont observer au cours de l’année le processus
de coaching qu’ils mettront concrètement en œuvre l’année suivante.
Nous retiendrons comme point de départ de la définition du coaching : « Le coaching professionnel
est l’accompagnement de personnes ou d’équipes pour le développement de leurs potentiels et de
leurs savoir-faire dans le cadre d’objectifs professionnels » (Persson et Bayad, 2007, p.159). Plus
précisément, après étude de la littérature dédiée au coaching, Persson et Bayad proposent une
définition plus complète du coaching :
« Le coaching consiste en une relation d’accompagnement, en général circonscrite dans le temps,
utilisant principalement des situations d’entretien, visant à résoudre des problèmes, à atteindre des
objectifs et à générer du mieux-être, notamment en situation de changement, dans la perspective
ultime de développer des ressources humaines latentes pour une organisation donnée, dans une
approche conjointe organisation-individu, favorisant une dynamique d’apprentissage. » (Persson et
Bayad, 2007, p.163).
Dans un souci d’efficacité, les étudiants de Master 1 ont tous reçu en début d’année scolaire une
formation au coaching dispensée par un professionnel. Les étudiants assurent ensuite un coaching
personnalisé, au cours de leur année scolaire entre octobre et mai, de chaque porteur de projet pour
aider à la formalisation et à la maturation du projet de création, notamment en posant de
nombreuses questions à leur interlocuteur, ce qui facilite l’avancée du processus.
Il appartient donc bien au porteur de projet de trouver lui-même les réponses et de venir en discuter
avec les étudiants au fil des rendez-vous. Enfin, le projet, une fois bien structuré, aboutit à la phase
de lancement d’une étude de marché, confiée à la Junior Entreprise de l’école, qui confirme ou non
le potentiel commercial du projet. L’association s’engage ensuite à suivre tout projet lancé sur une
période de trois ans.
En trois ans, seize porteurs de projets ont ainsi bénéficié de l’appui des étudiants de l’association.
Celle-ci a vocation à croitre par le nombre d’étudiants impliqués et de porteurs de projet coachés.
2.2. Le dispositif méthodologique
L’étude empirique porte sur six étudiants car c’est le chiffre maximal d’étudiants considérés comme
accompagnateurs au sein d’ACCES en 2011-2012.
Le chiffre de six ne pouvait donc être dépassé ce qui n’exclut pas à terme qu’il puisse être étendu,
soit par adjonction de nouveaux étudiants-accompagnateurs venant de l’école, soit par une
recherche en partenariat avec d’autres écoles engagées dans le même dispositif. Cette recherche
doit donc être considérée comme exploratoire avec une possible extension à de nouveaux cas
12
(l’extension pouvant également se faire vers des dispositifs de type « observation-conseil » autres
que les Cordées de l’entrepreneuriat).
Pour la collecte des données, nous avons procédé en trois étapes :
1. Des entretiens individuels ou collectifs avec les 6 étudiants accompagnateurs ainsi qu’avec le
responsable du service « Vie de l’étudiant » de l’école, afin d’appréhender le contexte du
projet associatif ACCES. Les entretiens ont en moyenne duré une heure.
2. La remise d’une grille d’acquisition de compétences qui devait être remplie par chaque
étudiant et retournée à l’équipe de recherche. Cette grille a été remplie au mois de mai
2012, soit à la fin de l’année de coaching effectuée par les étudiants de M1. La grille
comprenait pour chaque question une échelle de mesure : nulle, faible, moyenne, forte, très
forte. Cinq thématiques ont été étudiées :
-
-
-
-
-
Les méthodes de coaching : nous cherchions à évaluer les capacités d’écoute et
d’empathie, la capacité à prendre du recul, à poser des questions, à reformuler
des propos, à faire émerger de nouvelles idées, à remotiver le porteur de projet,
à passer d’une posture d’étudiant à celle d’accompagnateur d’un porteur de
projet de création d’entreprise ;
L’adaptation à un public particulier : nous avons testé la capacité à comprendre
un projet, à comprendre les enjeux personnels des porteurs de projet (PP), la
capacité à convaincre les PP de l’intérêt du coaching, la capacité à s’adapter à un
public différent, à communiquer aisément et à mettre en confiance ;
L’apprentissage de la gestion de projets associatifs, dans la mesure où le cadre
d’action des étudiants se situe en dehors du périmètre classique de la salle de
cours ou de séances encadrées par des professeurs. Nous avons testé leur
capacité à travailler en équipe, à recruter de nouveaux membres, à trouver des
financements, à travailler « en continu » en menant d’autres activités en
parallèle (cours, sport…) ;
L’acquisition de compétences en matière de faisabilité de projets de création
d’entreprise : nous voulions vérifier que les étudiants avaient pris conscience de
la difficulté de créer une entreprise et qu’ils avaient appris comment mesurer les
risques associés à ce type de projets (étudier le marché, la cohérence personneprojet, états financiers…) ;
L’intention de créer une entreprise : nous voulions voir quel était l’impact de
l’exercice sur l’intention de créer une entreprise.
3. La récolte de données complémentaires à l’issue de l’analyse de la grille auprès des deux
étudiants les plus impliqués dans l’association (Adrien, le président de l’association, et
Florian).
13
Ces différents thèmes devaient nous permettre de mesurer les compétences acquises en matière de
coaching et d’entrepreneuriat mais aussi de mesurer la désirabilité perçue de créer une entreprise à
la suite de l’exercice14.
3.3. Résultats de l’enquête
Deux types de compétences ont été développés au travers du projet : des compétences de coaching
d’une part et des compétences entrepreneuriales d’autre part. Les entretiens suggèrent également
une désirabilité de créer une entreprise à terme.
3.3.1. Les compétences en matière de coaching
Les compétences développées concernent tout d’abord les compétences de coaching : ils ont
d’abord développé fortement ou très fortement leur capacité d’écoute et d’empathie (4 étudiants
sur 6), leur capacité à poser des questions (5/6), leur capacité à reformuler des propos (6/6) et dans
une moindre mesure, leur capacité à prendre du recul. En revanche, ils éprouvent plus de difficulté à
faire émerger de nouvelles idées ou à remotiver le porteur de projet (capacités jugées « moyennes »
par la plupart des étudiants à l’issue de l’exercice).
Les compétences développées concernent ensuite la capacité à s’adapter à un public spécifique,
issu de zones sensibles. Les étudiants développent fortement ou très fortement leur capacité à
comprendre les enjeux personnels du porteur de projet (4/6), à comprendre le projet et à s’adapter
à un public différent (5/6) Toutefois, les étudiants ont rencontré plus de difficultés à convaincre les
PP de l’intérêt du coaching ou à les mettre en confiance (capacités jugées « moyennes » à « fortes »).
Concernant la capacité à accompagner un porteur de projet entrepreneurial, quatre étudiants
répondent avoir fortement ou très fortement développé cette compétence. Les deux autres ont jugé
l’acquisition de compétences faible et moyenne.
Le président de l’association, Adrien, évoque l’efficacité du fonctionnement en binôme pour
s’autoévaluer et améliorer le processus d’accompagnement d’une séance à l’autre afin d’« optimiser
le temps du porteur de projet » venu au rendez-vous. Par ailleurs, Adrien estime avoir été « plus
performant avec le dernier porteur de projet accompagné qu’avec le premier à la première séance ».
Il constatait cela au travers de la motivation croissante de chacun des porteurs de projet.
Selon Florian, leur intervention a permis « une prise de recul, l’apport d’une méthodologie, et
quelquefois une analyse ». Le coaching lui a permis de se poser les bonnes questions, à comprendre
les principales difficultés rencontrées par ces derniers ».
Selon Florian, il est toutefois important de choisir des porteurs de projet en adéquation avec ce que
peuvent apporter les étudiants », et le rôle du responsable projet à la ville du Havre est en ce sens
incontournable puisqu’il opère déjà une première sélection des porteurs de projets envoyés auprès
des membres de l’association ACCES.
14
Le guide d’entretien sera à retravailler pour les prochaines enquêtes en détaillant davantage les
compétences entrepreneuriales et les questions relevant de la faisabilité et de la désirabilité.
14
2.3.2. Les compétences et intentions entrepreneuriales
Nous traitons ici de deux compétences entrepreneuriales : la gestion de projet et la capacité à
mesurer la faisabilité d’un projet. L’intention entrepreneuriale au travers la désirabilité de créer une
entreprise a été également étudiée.
a) La gestion de projet
La gestion de projet est un des piliers de l’esprit d’entreprendre (Verzat, 2012), en particulier lorsqu’il
est demandé aux étudiants de faire émerger un projet, de le construire et de le mettre en œuvre, de
le communiquer et de le présenter, puis d’apprendre de cette expérience15. La gestion de projets
entrepreneuriaux consiste en la capacité de mener des projets ouverts, de construire des réseaux et
de mobiliser des ressources (Verzat, 2012).
Les résultats de l’enquête montrent que cinq étudiants ont développé fortement ou très fortement
leur capacité à recruter de nouveaux membres (à savoir des étudiants de première année). Quatre
d’entre eux ont aussi développé fortement ou très fortement leur capacité à mener d’autres activités
en parallèle. Deux autres résultats sont plus nuancés : la capacité à travailler en équipe,
moyennement développée pour quatre d’entre eux, et la capacité à trouver des financements pour
l’association : quatre ont répondu l’avoir moyennement développée et deux estiment le
développement de cette capacité nul (ce qui s’explique dans la mesure où la recherche de
financements n’était pas un objectif affiché pour les étudiants).
Les résultats demandent à être approfondis en partant d’une définition plus fine des compétences
attendues en matière de gestion de projet. Mais d’une manière générale, les quelques compétences
évaluées semblent inférieures à celles attendues. Cela s’explique par plusieurs raisons :
-
-
15
L’accompagnement de porteurs de projets ne met pas suffisamment les
étudiants en mode projet. La démarche de créativité attendue dans la plupart
des projets n’apparaît pas dans cet exercice. Leur rôle est avant tout
d’accompagner le PP. La démarche est celle d’une équipe d’accompagnateurs à
qui une mission a été confiée. S’ils peuvent développer des capacités d’autoorganisation et de leadership au sein de l’équipe, il manque la partie amont du
processus (initiation de projets) et la partie aval (définitions d’objectifs clairs,
suivi du projet et clôture). Ceci conforte l’idée que dans les projets étudiants, les
compétences entrepreneuriales et managériales sont entremêlées (Barès et al.,
2011). Dans le cas présent, des compétences de management (d’une équipe de
coaches) semblent avoir été développées, au détriment des compétences en
gestion de projet.
Le coaching a fait l’objet d’une formation préalable. Ils ont donc pu appliquer
dans la foulée les recommandations de leur formateur et ont pu juger ainsi qu’ils
ont progressé dans leurs capacités de coaching. La gestion de projet a fait l’objet
d’un séminaire en début d’année scolaire et les fondamentaux en termes de
Référentiel de compétences en entrepreneuriat et esprit d’entreprendre.
15
méthodes s’appliquaient mal à cet exercice dont la finalité opérationnelle était
bien l’accompagnement de porteurs de projets. On rejoint ainsi l’idée générique
qu’on ne peut pas attendre d’un exercice d’autres compétences que celles
initialement visées (compétences de coaching versus capacités à entreprendre). Il
faut reconnaître également que l’école –dans une perspective de développement
des capacités entrepreneuriales- est ouverte à toutes les propositions
d’associations venant des étudiants. Accès a été créée, non pas dans une
perspective pédagogique (par la direction pédagogique), mais dans une
perspective de coaching d’entrepreneurs (par les étudiants).
b) La capacité à juger qu’un projet est faisable
Quatre étudiants ont moyennement développé cette capacité, un fortement et l’autre très
fortement développé.
Cela peut s’expliquer par le nombre de projets suivis, chaque binôme suivant deux ou trois projets ;
le président de l’association, qui a suivi l’ensemble des projets, a pu « corréler les raisons de succès
ou d’échec des porteurs de projet ; il a par ailleurs développé sa capacité à « anticiper certains
risques d’échec » et pouvait donc « recadrer la situation », ou à l’inverse « anticiper un succès » et
aller « encore plus loin avec le porteur ».
Florian est plus nuancé : « je ne suis pas sûr qu’ACCES nous permette d’améliorer notre jugement, en
revanche, tous les cours que nous suivons durant nos études, oui. Mais c’est une chose très difficile à
faire. La faisabilité d’un projet dépend de beaucoup de facteurs que ce soit au niveau de la
psychologie et des qualités du porteur de projet, de l’aspect financier, du marché visé, de la stratégie
commerciale… ».
Les réponses apportées peuvent s’expliquer par deux raisons principales. D’une part, la phase
d’étude de marché est confiée à la Junior Entreprise. Les étudiants d’Accès ne participent pas à cette
étude mais ils font simplement un débriefing avec le porteur de projet à partir des résultats. Cela ne
leur permet pas de développer leur capacité à réaliser les études de marché. En revanche, ils
comprennent tous les enjeux de la création d’entreprise ce qui, en termes de sensibilisation, n’est
pas si mal. D’autre part, on retrouve l’idée que la valeur ajoutée de l’exercice n’était pas d’apprendre
à faire des études de marché mais bien de coacher un PP. Finalement, les réponses apportées par les
étudiants en termes de « gestion de projet » et « de faisabilité » sont plutôt rassurantes : si des
compétences « satellites » n’ont pas été acquises, les compétences centrales (de coaching) semblent
l’avoir été. La mission telle qu’elle a été définie préalablement semble donc avoir été accomplie.
c) Le désir de créer personnellement une entreprise
Cinq étudiants ont moyennement ou fortement développé leur désir de créer personnellement une
entreprise.
Selon Adrien, si le désir de créer n’est pas immédiat, l’association leur permet d’apprendre « le
processus de création d’entreprise », de suivre plusieurs porteurs de projet dans différents secteurs
et à des stades d’avancée différents : il a suivi « la réalisation personnelle et professionnelle sur
16
l’année ». Cela développe « une fibre entrepreneuriale » ; il pense peut-être développer à moyen
terme un projet.
Quant à Florian, il avait déjà le désir de créer avant de rejoindre l’association. Il ajoute : l’année
passée au sein de cette dernière « a surement accru ma motivation et mon envie ». Cela lui a
également « montré les étapes importantes pour la création ».
Ces réponses semblent être liées à la nature des personnes accompagnées (des entrepreneurs) mais
on peut estimer également qu’avoir des responsabilités à la tête d’une telle association contribue à
développer l’esprit d’entreprendre.
En synthèse de l’étude de terrain, il semble donc que les compétences en matière de coaching
d’entrepreneurs non aguerris sont dans l’ensemble plus fortement développées que les
compétences entrepreneuriales. Les résultats sont dans l’ensemble cohérents avec les objectifs du
dispositif ACCES qui ne sont pas de former des entrepreneurs, côté étudiants, mais bien
d’accompagner des porteurs de projet issus de Zones Urbaines Sensibles. L’association ACCES permet
aux étudiants membres d’expérimenter un nouveau cadre d’apprentissage par l’accompagnement de
porteurs de projets issus de zones urbaines sensibles.
La nouveauté du cadre d’apprentissage couplée avec la connaissance de PP issus d’un milieu social
que les étudiants ne côtoient pas forcément tous les jours permettent d’expliquer en partie les
résultats. Toutefois, la question de l’efficacité du système peut se poser en termes de
développement de l’intention entrepreneuriale des étudiants. L’expérience n’est pas suffisante pour
développer de manière significative le désir et la faisabilité de créer ; elle permet du moins une forte
sensibilisation à l’entrepreneuriat, pour développer « une fibre entrepreneuriale ».
La question légitime du pédagogue est alors la suivante : peut-on conjuguer objectif
d’accompagnement « social » à la création et développement de l’intention entrepreneuriale des
étudiants ?
3
Discussion, apports et limites
L’apprentissage par la mise en œuvre de pédagogies actives est un élément fort de l’enseignement
au sein de l’EM Normandie. Après douze années d’expérimentation du concept de mission (Gay
Anger et Hachard, 2011) dans le cadre du programme Master, l’école reste un laboratoire possible
d’expérimentation de nouvelles pratiques pédagogiques, inscrites dans le cadre des pédagogies
actives.
La mise en œuvre récente de l’accompagnement de porteurs de projets de création, issus de Zones
Urbaines Sensibles dans le cadre de la gestion de projets associatifs est une nouvelle
expérimentation pédagogique. Elle a été créée dans la perspective d’aider des entrepreneurs sociaux
à créer leur entreprise. Il s’agit d’un dispositif d’accompagnement dont on peut se poser la question
de son utilité pédagogique. Sert-il l’esprit entrepreneurial ou l’apprentissage du coaching chez les
17
étudiants ? Les réponses obtenues auprès des étudiants expérimentant cette approche semblent
mettre en avant les apprentissages en termes de coaching. La mesure s’avère intéressante pour
comprendre les motivations des porteurs de projets des zones urbaines sensibles, pour aider ces
personnes à réaliser leur projet et surtout pour développer chez ces derniers le questionnement.
On pourrait aller plus loin en se demandant si ce genre d’exercice n’aide pas les entrepreneurs
sociaux à devenir des entrepreneurs eux-mêmes. Sans doute l’exercice pratiqué de façon isolée ne
permet pas d’atteindre cet objectif mais associé à d’autres mesures d’accompagnement à la création
d’entreprise, son rôle est non négligeable. Sa caractéristique principale par rapport aux autres
mesures est qu’il est animé par des étudiants. Le retour d’expérience montre que les porteurs de
projets sont sensibles à cet aspect16. En effet, ce public n’a pas nécessairement la confiance pour
entreprendre. Se faire accompagner par des entrepreneurs expérimentés n’est pas forcément
approprié car cette situation peut faire apparaître un « gap » trop important entre ce qui maîtrisé et
ce qui doit l’être. L’accompagnement par des étudiants est intéressant car il réduit ce gap, ce qui
conduit l’entrepreneur non aguerri à trouver la confiance pour entreprendre.
Les étudiants apprennent l’art du coaching dans une situation marquée par le décrochage et le
besoin de réinsertion par l’entrepreneuriat17. C’est un terrain profitable pour eux pour apprendre le
métier de coach. Dans une situation où ils seraient coaches d’entrepreneurs aguerris, sans doute
n’apprendraient-il pas le métier de la même façon. Le cas particulier des entrepreneurs sociaux est
donc un bon support pour apprendre le métier de coach. Il conviendrait de développer ce genre
d’initiatives dans les formations en sciences sociales ou même dans les formations à
l’accompagnement.
Concernant les apprentissages en termes de compétences ou d’intentions entrepreneuriales, notre
hypothèse de départ était que ce dispositif ne permettait pas de sensibiliser ou de former des
entrepreneurs comme le feraient d’autres méthodes centrées sur ces objectifs. Mais les réponses
apportées nous amène à nuancer le propos et enrichir le questionnement. Le cas Accès met les
étudiants en situation de gestion de groupe. Ils ont ainsi à recruter de futurs collègues, à gérer une
équipe de coaches, à fonctionner en mode matriciel, c’est-à-dire à gérer les activités de coaching et
les cours. Or, comme l’indique Verzat (2012) mais, plus généralement, les observateurs des pratiques
pédagogiques qui se réfèrent au « référentiel de compétences en entrepreneuriat et à l’esprit
d’entreprendre », la gestion de projet constitue le cœur même de l’apprentissage à
l’entrepreneuriat. Dans le cas présent, certaines compétences en gestion de projets semblent avoir
été développées alors que d’autres non, ceci étant partiellement liée à la nature de la mission
(coacher des entrepreneurs).
Mais comme l’indiquent les deux étudiants les plus impliqués, l’intention entrepreneuriale est
relativement bien présente à l’issue de l’exercice. Ceci montre l’importance du projet associatif et
des responsabilités au sein de l’association dans la désirabilité d’entreprendre. L’accompagnement
d’entrepreneurs semble développer des compétences en matière de coaching tandis que le fait
d’être à la tête de l’association renforce le désir d’autonomie et donc l’intention d’entreprendre.
16
Entretiens effectués avec quelques porteurs de projets. Non relatés dans ce papier.
Bien que les entrepreneurs soient sélectionnés en amont par le service d’amorçage des projets de la Ville, ce
qui permet d’éviter les gaps trop importants.
17
18
Finalement, on ne peut pas affirmer que l’exercice Accès, parce qu’il touche à l’entrepreneuriat,
permet de former des entrepreneurs. Le coaching aurait pu porter sur d’autres publics (en situation
de réinsertion par exemple), l’effet aurait été le même. Comme l’indiquent Neck et Greene (2011),
les situations de créations d’entreprise sont un support possible pour apprendre à entreprendre mais
d’autres situations sont tout autant utiles : les projets sportifs, les projets événementiels, les projets
humanitaires... Ce qui compte en définitive dans l’apprentissage à l’entrepreneuriat, c’est le mode
projet, pas le type de projet. Pour développer l’esprit entrepreneurial, il vaut donc mieux choisir des
associations qui n’ont pas de liens a priori avec la création d’entreprise mais qui développent l’esprit
d’entreprendre.
Tout ceci mérite d’être étayé par de nouvelles observations et une définition plus fine des
compétences entrepreneuriales. Il s’agirait également d’ouvrir l’étude empirique à d’autres
associations de l’école afin de voir en quoi elles contribuent à développer l’esprit entrepreneurial.
L’apport serait complémentaire aux travaux de Barès et al. (2011) qui se focalisent sur les juniorentreprises. Les résultats pourraient également conforter les Pôles Entrepreneuriat Etudiants à
développer les projets associatifs au sein de l’Université.
Quel est l’intérêt d’une approche spécifiquement dédiée au coaching d’entrepreneurs non-aguerris ?
Le fait d’être coach à la création d’entreprise présente l’intérêt d’apprendre aux côtés de la personne
coachée les difficultés de la création et les façons de les contourner. C’est ce que montrent les
résultats de l’enquête bien qu’il faille approfondir les réponses. Ils montrent également qu’un projet
mené dans un contexte de création d’entreprise permet d’appréhender les facteurs de risques de la
création d’entreprise associés aux entrepreneurs sociaux. Contrairement à un accompagnement
d’entrepreneurs ayant connu le succès, l’étudiant se retrouve face à de néo-entrepreneurs dont les
ressources, les réseaux, la confiance, ou la formation rendent plus compliquée la démarche
entrepreneuriale. Ils voient la « face sombre » de l’entrepreneuriat ce qui semble utile et qui est
visiblement peu dissuasif en termes d’intention d’entreprendre (cf réponses des étudiants). On
touche alors à une question centrale en matière d’entrepreneuriat : faut-il uniquement faire
intervenir des entrepreneurs à succès pour donner de l’appétence ?
On retrouve ici la question que posent Boissin et Emin (2007) en conclusion de leur papier : « Faut-il
alors donner une vision complète de l’acte entrepreneurial (prenant en compte la difficulté et
longueur du parcours, le risque d’échec ...) ou donner l’envie d’entreprendre en ne faisant intervenir
par exemple que des entrepreneurs ayant réussi ou ayant su rebondir ? ». Les auteurs montrent en
effet que c’est l’attrait ou la désirabilité de la création d’entreprise qui explique le plus l’intention
d’entreprendre. La faisabilité et les normes perçues agissent peu sur l’intention. Ainsi, dans le cas des
Cordées de l’entrepreneuriat, si les étudiants analysent les difficultés de la création, c’est surtout la
désirabilité qui doit être mesurée. Or, les entrepreneurs sociaux constituent-ils un modèle de
référence propre à augmenter la désirabilité d’entreprendre ?
Il s’agit ici d’un sujet crucial alors que se développent les formations et les recherches en économie
sociale et solidaire. Les interviews réalisées avec les étudiants ne semblent pas montrer un
affaiblissement de la désirabilité. L’entrepreneuriat alternatif serait-il alors autant vecteur d’esprit
d’entreprendre que l’entrepreneuriat classique ? Certains étudiants remarquent parfois qu’il existe
un gap trop important entre le « modèle par la réussite » et la perception qu’ils ont de leurs propres
capacités. Les mettre face à des entrepreneurs sociaux n’est-il pas une façon de rendre
19
l’entrepreneuriat moins élitiste, plus abordable ? N’est-ce pas un moyen de désacraliser
l’entrepreneuriat pour ouvrir sa désirabilité au plus grand nombre ? La question mérite d’être posée
à la lumière du cas des Cordées de l’entrepreneuriat.
Plus généralement, c’est l’apprentissage autour d’un modèle d’entrepreneuriat alternatif qui est
soulevé par le cas. Que ce soit au travers de structures régionales d’accompagnement de l’économie
sociale et solidaire, de fondations, de recherches… l’entrepreneuriat alternatif a le vent en poupe. Il
va de soi que les écoles doivent s’ouvrir à ce type d’entrepreneuriat. Ces dernières années ont vu
apparaître de nombreuses initiatives en matière d’apprentissage à l’entrepreneuriat. L’éducation à
l’entrepreneuriat 2.0 passe sans doute par l’économie sociale et solidaire. Les écoles devront sans
aucun doute développer des outils pédagogiques en matière d’entrepreneuriat alternatif. Les
Cordées de l’entrepreneuriat en sont un exemple. Il serait intéressant à l’avenir d’ouvrir les
recherches à ce type de pédagogies. Elles ne remettent pas en cause les compétences
entrepreneuriales telles que les référentiels les définissent. Elles incitent en fait les écoles à ouvrir
l’apprentissage par projets à d’autres projets que ceux que nous avions l’habitude de voir.
Enfin, concernant l’avantage concurrentiel des méthodes d’observation conseil par rapport aux
procédés d’incubation, nous dirions que les deux sont nécessaires et qu’ils sont plus
complémentaires qu’antagonistes. Si l’on reprend le référentiel de compétences en entrepreneuriat
diffusé au sein des pôles entrepreneuriat étudiant, celui-ci fait apparaître quatre étapes dans le
parcours d’un étudiant formé à l’entrepreneuriat : 1) informer les étudiants par des conférences et
autres manifestations ; 2) sensibiliser les étudiants via des modules crédités et ce pour donner l’envie
d’entreprendre ; 3) approfondir la formation en entrepreneuriat par des modules plus techniques
(élaborer un business plan) et enfin, 4) accompagner les étudiants qui sont porteurs de projets. Les
dispositifs d’incubation s’inscrivent pleinement dans la dernière étape. Les Cordées de
l’entrepreneuriat et plus généralement, les méthodes de conseil-observation se situent davantage
dans l’étape de sensibilisation. Dans le parcours d’un étudiant, elles constituent ainsi un moyen
parmi d’autres de sensibiliser l’étudiant à la démarche entrepreneuriale, l’accompagnement de son
propre projet le cas échéant étant l’étape suivante.
Il va de soi que, dans ce papier, nous contribuons davantage à un débat sur les méthodes
d’apprentissage à l’entrepreneuriat qu’à enrichissement des recherches par des résultats empiriques.
Notre recherche qui se limite à quelques interviews avec des étudiants et qui porte sur un dispositif
très récent apporte des éléments de discussion plus que des conclusions. De plus, les interviews ont
été menées tardivement, à la toute fin du processus, à un moment où les étudiants avaient l’esprit
occupé par leur prochain départ en stage ou en année de césure à l’étranger. La rigueur
méthodologique voudrait que le processus de suivi et d’interview démarre au début de l’année
scolaire, à la mise en place des nouvelles équipes étudiantes. Un suivi processuel permettrait de
mesurer avant et après l’intégration dans l’association ACCES l’évolution de l’intention
entrepreneuriale étudiante, en tenant compte également des facteurs influençant l’intention
entrepreneuriale : appartenance à une famille d’entrepreneurs, séjours à l’étranger, sensibilisations
préalables à l’entrepreneuriat notamment (Fayolle, 2011, p.153-154)
20
Conclusion
Depuis une vingtaine d’années, les pédagogies en entrepreneuriat se sont fortement développées
dans les écoles de management et d’ingénieur mais cette tendance s’est accélérée ces dix dernières
années. Les écoles positionnées sur le champ de l’entrepreneuriat ne se comptent plus sur les doigts
d’une main. Quasiment toutes proposent aujourd’hui des formations, des dispositifs
d’accompagnement, des modules de sensibilisation, des chaires, des équipes de recherche, etc.
L’entrepreneuriat est devenu ainsi un véritable maquis d’autant que depuis 2007, les universités sont
incitées à développer l’esprit entrepreneurial chez leurs étudiants. Ce développement tous azimuts
créent ainsi des confusions et des questionnements. La perception de ce qu’est l’entrepreneuriat et
de ce qu’est une bonne méthode pédagogique en entrepreneuriat est différente selon les acteurs.
Ainsi, certaines pratiques semblent vraiment s’inscrire dans une démarche de formation à
l’entrepreneuriat alors que d’autres n’en ont peut-être que l’apparat. La multiplication des initiatives
nécessite ainsi une observation attentive et une évaluation comparative.
Nous avons distingué dans ce papier deux grandes méthodes : à double finalité ou d’observationconseil et de type incubation. Les procédés par incubation sont très courants alors que les méthodes
d’observation-conseil sont plus rares. Nous souhaitions ainsi ouvrir un débat sur l’avantage
comparatif de ces deux pratiques pédagogiques. Nous disposions en effet d’un cas atypique que nous
souhaitions exploiter sur la base d’une hypothèse générale que les modèles à double-finalité ne
fabriquent pas des entrepreneurs, contrairement au modèle par incubation. L’exploitation du cas ne
nous permet pas de valider ou d’invalider de façon ferme cette hypothèse car les Cordées de
l’entrepreneuriat sont une initiative récente. De plus, toute recherche sur l’éducation à
l’entrepreneuriat présente des difficultés quant à la mesure de son efficacité. Si l’on sait que
l’objectif des formations à l’entrepreneuriat est de développer l’esprit d’entreprendre, il est toujours
difficile de mesurer son impact dans le temps, sachant que les intentions entrepreneuriales sont
fragiles et que l’esprit d’entreprendre se mesure tout au long d’une vie (Boissin et al., 2009).
Le cas des Cordées de l’entrepreneuriat suggère cependant que l’important n’est pas la nature du
projet mais l’autonomie, la prise de décision inhérente à tout projet associatif. Les Cordées de
l’entrepreneuriat constituent ainsi un support possible de développement de l’esprit entrepreneurial
comme bon nombre d’associations étudiantes.
Il serait intéressant de poursuivre cette recherche en se focalisant sur des modèles pédagogiques
basés sur l’entrepreneuriat alternatif. Il s’agirait alors de renforcer l’idée que ce modèle ne
développe pas moins l’esprit entrepreneurial que le modèle classique.
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