Quand les lois du marché font payer les actifs

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Quand les lois du marché font payer les actifs
EN COUVERTURE
Quand les lois du marché
font payer les actifs
Gogos. Comment ceux qui ne
peuvent pas réserver très à l’avance
sont pénalisés.
PAR MICHEL REVOL
A
cheter un billet d’avion pas
cher, c’est simplissime : il suffit de s’y prendre 53 jours à
l’avance et de voyager un mardi.
Une fois qu’on connaît cette règle,
révélée par une étude du moteur
de recherche de vols momondo.fr,
on peut décrocher sans peine un
billet pour l’Espagne sur Easy-Jet à
37 euros. Mais, tous ceux qui
voyagent le savent, on ne peut quasiment jamais réserver 53 jours à
l’avance en partant un mardi, sauf
à être retraité, étudiant ou chômeur
– tous ces profils qui profitent à
plein du yield management.
Sous ce terme un rien barbare,
une technique mise au point par
le patron de Delta Airlines au
moment de la libéralisation du
transport aérien, dans les années 80.
Pour remplir ses avions, il applique,
en gros, la règle suivante : plus le
client réserve tard, plus il paie cher
– une logique qui va jusqu’à la surréservation, c’est-à-dire vendre plus
de places qu’il n’y en a dans l’avion.
Depuis, tout le monde s’y est mis :
le ferroviaire, l’hôtellerie, les stations de ski… « La logique, c’est premier arrivé, premier servi », résume
Lubica Hikkerova, professeur à
l’Ipag, coauteur d’une étude sur le
yield management.
Pour l’entreprise, les intérêts
sont évidents : mieux remplir ses
avions ou ses trains, donc, mais
aussi cibler ses actions marketing
en fonction de la période. A la SNCF,
on asssure aussi que le client en
profite au premier chef : à partir
d’un tarif de base, l’entreprise décline tout un tas de réductions liées
78 | 6 novembre 2014 | Le Point 2199
Plein pot. Soit Marc, 48 ans, patron d’une petite entreprise d’aménagement de bureaux. Chaque
semaine, il doit sauter dans un TGV
ou un avion au dernier moment
pour se rendre sur un chantier. Il
paie donc toujours plein pot, ce qui
fait grimper sa note annuelle de
voyages à quelque 20 000 euros. Et
attise sa colère. Lubica Hikkerova
en vient à douter des intérêts de la
technique : « Est-ce que ça ne serait
pas plus judicieux pour l’entreprise de
proposer un prix moyen plus lisible et
plus équitable pour le client ? Quand
le voyageur voit qu’il existe trente cas
de réduction mais qu’il n’en profite pas
parce qu’il n’a jamais le profil, il peut
avoir l’impression de financer les réductions des autres. Car, pour mettre
sur le marché beaucoup de places
pas chères, une compagnie doit en
vendre des très chères. Il faut bien
­compenser ! »
Les entreprises ont saisi le danger. Elles tentent de désamorcer la
grogne en offrant des facilités (annulation au dernier moment sans
frais) et en proposant des cartes de
fidélité à ses bons clients. Certaines
bradent aussi leurs billets invendus sur Internet. Sur les sites comme
Lastminute.com, on peut trouver
des vols à prix cassés pour l’Espagne
la veille du départ. Mais là, mieux
vaut ne pas avoir d’enfants §
La règle pour acheter un billet d’avion
pas cher : réserver 53 jours à l’avance
et partir un mardi…
ILLUSTRATION : GOUBELLE POUR LE POINT
à l’âge du voyageur, à sa condition
(retraité, père ou mère de famille…)
ou à la période à laquelle il réserve
son billet. Sans le yield management,
assure-t-on à la SNCF, le tarif moyen
serait beaucoup plus élevé. Sans
doute. L’ennui c’est que cette pratique crée comme un sentiment de
malaise. D’abord, selon l’Ipag, le
client accepte mal de devoir payer
plus cher une chambre d’hôtel à la
journée que s’il la prend pour la semaine entière. Ensuite, et c’est plus
embêtant, le yield management
frappe presque toujours les mêmes
victimes : « L’actif âgé de 30 à 50 ans »,
assure Lubica Hikkerova.