La faible estime de soi des élèves dyslexiques : mythe ou
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L’Année psychologique http://www.necplus.eu/APY Additional services for L’Année psychologique: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here La faible estime de soi des élèves dyslexiques : mythe ou réalité ? Tamara Leonova et Gaëlle Grilo L’Année psychologique / Volume 109 / Issue 03 / September 2009, pp 431 - 462 DOI: 10.4074/S0003503309003042, Published online: 29 September 2009 Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S0003503309003042 How to cite this article: Tamara Leonova et Gaëlle Grilo (2009). La faible estime de soi des élèves dyslexiques : mythe ou réalité ?. L’Année psychologique, 109, pp 431-462 doi:10.4074/ S0003503309003042 Request Permissions : Click here Downloaded from http://www.necplus.eu/APY, IP address: 78.47.27.170 on 11 Feb 2017 La faible estime de soi des élèves dyslexiques : mythe ou réalité ? 1 1 2 Tamara Leonova * et Gaëlle Grilo Département de Psychologie, Université Nancy 2, France 2 Université de Strasbourg, France RÉSUMÉ Il existe très peu de recherches empiriques sur l’estime de soi des élèves dyslexiques. Quand elles existent, les résultats sont contradictoires et leur validité externe est limitée aux dyslexiques anglophones. Aucune étude – francophone ou anglophone – n’a exploré l’estime de soi des élèves dyslexiques dans les écoles spécialisées. L’objectif de la recherche présentée est d’explorer l’estime de soi des enfants et adolescents dyslexiques francophones scolarisés au sein d’un établissement spécialisé. L’estime de soi de 35 enfants dyslexiques âgés de 8 à 14 ans a été comparée à celle de 31 enfants du groupe contrôle. Les résultats ne révèlent pas de différences entre l’estime de soi des deux groupes sur les dimensions relatives à l’estime de soi scolaire, à l’acceptation sociale, aux compétences physiques, à l’apparence physique, aux capacités d’autocontrôle et à la valeur propre. The low self-esteem in dyslexic children: myth or reality? ABSTRACT Researchers have given little attention to self-perceptions in children with dyslexia, especially to their self-esteem. To date, the results are inconsistent and the external validity of these studies is limited essentially to English-speaking dyslexics. There is no study focused to the self-esteem in pupils with dyslexia in special schools. The current study explored the self-esteem in French-speaking dyslexics attending a special school in Switzerland. Thirty-five dyslexic children were compared on different subscales of * Correspondance : Tamara Leonova, Département de Psychologie, Université de Nancy 2, 3 boulevard Albert 1er, 54015 Nancy Cedex. E-mail : [email protected] Remerciement. Nous tenons à remercier la direction, M. Noël et Mme Savoy, ainsi que l’équipe médico-pédagogique de l’Institut Saint-Joseph de Fribourg (Suisse) dont l’ouverture d’esprit et la qualité d’accueil nous ont permis de réaliser cette étude. Nous exprimons toute notre gratitude aux parents et aux enfants qui ont participé à notre recherche. Nous remercions Malika Currat, Nadine Christen, Danièle Kolly et Anne-Laure Angéloz, étudiantes de l’université de Fribourg en 2005-2006, pour leur précieuse aide pendant la collecte des données. Toute notre gratitude va au Professeur Jean Retschitzki (Université de Fribourg, Suisse) qui a soutenu notre projet de recherche et nous a créé les meilleures conditions pour le mener à bien. Enfin, nous remercions Professeur Arlette Streri et deux experts anonymes pour la qualité d’expertise et la bienveillance. L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 432 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo self-esteem (Harter, 1985) to 31 children without dyslexia. Results indicated no significant difference for the perceived academic, social and physical competence ratings, appearance and general self-worth ratings. INTRODUCTION Quand il s’agit de l’estime de soi, définie par Harter (1998) comme l’évaluation globale de la valeur de soi en tant que personne, chez des enfants et adolescents dyslexiques, leurs parents, les psychologues scolaires et les enseignants avancent l’opinion de l’existence d’une faible estime de soi chez cette population et la présentent quasiment comme une donnée normative. Celle-ci apparaît comme inhérente à la condition d’être dyslexique. Dans l’espace virtuel, il suffit de faire une rapide recherche sur Google avec comme mots-clés « estime de soi – dyslexie » pour découvrir 592 000 références en langue anglaise et 71 200 en français sur ce thème. La question de l’estime de soi chez des personnes dyslexiques semble donc bien ancrée dans la réalité des faits et des chiffres. On s’attend à ce qu’elle soit explorée de manière approfondie par des chercheurs en psychologie, en sciences de l’éducation et en éducation spécialisée. Les enfants dyslexiques constituent en fait entre 5 % et 8 % des enfants scolarisés1 . Néanmoins, en approfondissant la question, on voit surgir un vrai paradoxe entre ce que l’on pense savoir sur ce sujet et ce que l’on sait en réalité de celui-ci, à travers les résultats des études empiriques. En effet, la première étude empirique sur l’estime de soi et la dyslexie date de 1973 (Rosenthal, 1973). Depuis, est apparue une petite douzaine de travaux empiriques sur l’estime de soi des personnes dyslexiques anglophones et un article empirique basé sur les données recueillies auprès d’enfants dyslexiques francophones. Les livres consacrés à la dyslexie sont nombreux. Toutefois, l’analyse de trente ouvrages en français sur la dyslexie nous conduit à conclure que seulement quatre ouvrages abordent les problèmes relatifs au développement psychologique des enfants dyslexiques (Dumont, 2003 ; Lobrot, 1977 ; Malmquist, 1973 ; Van Hout & Estienne, 2001). En outre, aucun de ces ouvrages ne rend compte des résultats des recherches sur le développement psychologique des enfants dyslexiques francophones. Quand les auteurs francophones font référence aux études empiriques, ces études concernent soit les enfants francophones 1 Ces chiffres sont souvent cités dans la littérature anglo-saxonne, ainsi que dans des ouvrages francophones (Sprenger-Charolles & Colé, 2003 ; Stanovich, 1986). Une récente étude épidémiologique réalisée en France trouve 3,5% d’enfants dyslexiques dans la population d’enfants en CE1 (Billard et al., 2007). L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 433 avec des troubles d’apprentissage en général, soit les enfants parlant d’autres langues que le français. Les chercheurs, aussi bien francophones qu’anglophones, s’intéressent essentiellement aux causes de la dyslexie et à sa remédiation. Les problématiques liées à l’adaptation scolaire des élèves dyslexiques, ainsi qu’au développement socio-émotionnel des personnes dyslexiques restent quasi inexplorées dans le paysage scientifique francophone. L’estime de soi constitue l’un des concepts fondamentaux des théories du développement et de l’apprentissage. Afin de mieux appréhender les relations entre la dyslexie et l’estime de soi, nous commencerons par la présentation de la dyslexie. La deuxième partie de notre article sera consacrée au concept d’estime de soi. Dans la troisième partie, seront exposés les résultats des recherches sur l’estime de soi des élèves dyslexiques. Nous terminerons par la présentation de l’objectif de notre étude et des hypothèses. Dyslexie ou trouble spécifique du langage écrit « La dyslexie développementale ou trouble spécifique de la lecture, est définie comme la survenue non attendue d’un déficit spécifique et persistant de l’acquisition de la lecture chez un enfant d’intelligence normale, en dépit d’une instruction adéquate, et en l’absence de déficits sensoriels visuel ou auditif sévères, d’une pathologie psychologique ou neurologique avérée ou de carences psychoaffectives graves » (Chaix, Trabanino, Taylor, & Demonet, 2005, pp. 73-74). Il est à noter que les langues se différencient en fonction des caractéristiques spécifiques de leurs systèmes alphabétiques qui varient dans le degré de transparence entre les correspondances phonèmes (i.e. unité sonore) - graphèmes (i.e. lettre ou groupe de lettres). Certaines langues (comme l’espagnol, l’allemand, l’italien, le finlandais, le grec, le norvégien) possèdent des systèmes qualifiés de transparents parce qu’ils reflètent de manière relativement fidèle la phonologie de surface : les lettres ou groupes de lettres se prononceront toujours de la même manière et un même phonème s’écrira toujours de la même manière. En revanche, d’autres langues (e.g. l’anglais, le danois) possèdent une orthographe opaque, i.e. non consistante au niveau des règles de correspondances grapho-phonologiques : les lettres ou groupes de lettres peuvent être prononcés de différentes façons et à l’inverse, un même phonème peut avoir des orthographes différentes (Demont & Gombert, 2007 ; Grigorenko, 2004 ; Ziegler & Montant, 2005). L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 434 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo Les recherches sur l’acquisition de la lecture et de l’écriture en français ont mis en évidence que la langue française occupe une position intermédiaire entre les langues à orthographe opaque et celles à orthographe transparente. Ainsi, le français est proche des langues transparentes au niveau de la lecture. En revanche, les relations phonèmes-graphèmes en français sont beaucoup plus irrégulières (Peereman & Content, 1999 ; Sprenger-Charolles & Serniclaes, 2003 ; Ziegler, Jacobs, & Stone, 1996). Par conséquent, en ce qui concerne l’acquisition de l’orthographe, le français se rapproche davantage des langues opaques ou irrégulières comme l’anglais (Ziegler & Montant, 2005). Le degré d’opacité de la langue influencerait l’apprentissage de la lecture dans cette langue. Une étude réalisée à l’échelle européenne qui a comparé l’apprentissage de la lecture à travers 14 pays (Seymour, Aro, & Erskine, 2003), a conclu que la langue anglaise était la plus difficile pour l’apprentissage de la lecture, car elle contient des irrégularités à la fois en écriture et en prononciation. En matière de dyslexie, une étude interlangue de Ziegler, Perry, Ma-Wyatt, Ladner et Schulte-Körne (2003) a comparé les dyslexiques anglophones et germanophones. Les auteurs ont conclu que la langue anglaise, du fait de son extrême irrégularité, fournit aux jeunes lecteurs anglophones davantage d’occasions de faire des fautes de lecture, même si la vitesse de lecture, les difficultés spécifiques de lecture des non-mots, le mécanisme de décodage phonologique extrêmement lent et sériel constituent les points de similitude entre les dyslexiques appartenant à deux familles différentes de langues (opaques vs transparentes). Il semble donc que malgré la similitude des manifestations de la dyslexie dans des langues différentes, il existerait des langues plus « amicales » que d’autres envers les personnes dyslexiques (Frith, 1999). Prise en charge des élèves dyslexiques Outre les systèmes orthographiques des langues, les modalités de prise en charge des élèves dyslexiques ne sont pas identiques en fonction des pays. Pendant les dernières années, les revues European Journal of Psychology of Education en 2006 et Learning Disabilities Research & Practice en 2007 ont consacré chacune un numéro spécial à la prise en charge dans différents pays du monde des élèves souffrant de troubles d’apprentissage. Les articles publiés dans ces numéros décrivent une grande variété de pratiques mises en œuvre par les gouvernements. Dans la partie qui suit nous décrirons les modalités de prise en charge des élèves dyslexiques dans les pays anglo-saxons, en France et en Suisse romande, pays qui sont concernés plus directement par la problématique de notre recherche. L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 435 Il est à noter que les pays anglo-saxons possèdent une longue tradition d’intégration scolaire des enfants avec des troubles d’apprentissage (Kirk & Bateman, 1962). Au Canada et aux Etats-Unis, il existe quatre principaux types de structures scolaires pour les enfants ayant des troubles d’apprentissage (TA). Les enfants avec un TA faible à modéré sont placés dans une classe régulière et soit un enseignant spécialisé vient dans la classe pendant 1h 30 par jour (In-Class Support), soit les enfants se déplacent dans une autre classe durant 1h 30 par jour afin d’y recevoir un soutien spécifique (Ressource Room). Les enfants ayant un TA sévère sont placés soit dans une classe d’inclusion, c’est-à-dire une classe ordinaire mais avec deux enseignants dont l’un est un enseignant spécialisé qui s’occupe principalement des enfants en difficulté (Inclusion Class), soit dans une classe spéciale, mais avec une inclusion dans une classe ordinaire pour certaines leçons (Self-Contained Special Education). Il existe aussi des écoles spécialisées pour les enfants et adolescents dyslexiques. Depuis 1989, la France a admis l’existence de déficiences du langage et de la parole qui peuvent entraîner selon leur nature et leur gravité, des incapacités et des désavantages pour les enfants, les adolescents ou les adultes concernés. Pourtant, il a fallu attendre mars 1999, pour que le Haut Comité de la Santé Publique aborde les troubles d’apprentissage comme un véritable problème de santé publique. En 2000, le rapport « A propos de l’enfant dysphasique et de l’enfant dyslexique » (Ringard, 2000) détermine avec plus de rigueur les dispositifs d’intégration scolaire des élèves dyslexiques, dispositifs qui peuvent être de trois ordres, en fonction de la sévérité des troubles et des aides accessibles : a) scolarisation dans les classes ordinaires, dans le cadre d’un projet individuel d’intégration ; b) scolarisation dans une classe d’intégration scolaire (CLIS dans le premier degré, UPI dans le second degré) ; c) scolarisation dans les classes d’un établissement spécialisé. Il est à noter que les premières CLIS ou UPI spécifiquement pour enfants dyslexiques ou dysphasiques ont commencé à faire leur apparition au début des années 2000 (Le Rapport IGAS/IGEN et les dispositifs d’aide à l’intégration scolaire, janvier 2002). En Suisse romande l’enseignement spécialisé se présente sous trois formes distinctes semblables à celles qui existent en France. On trouve tout d’abord les écoles spécialisées dans un ou plusieurs types de handicaps. Pour les enfants avec un handicap plus léger, il existe des classes d’enseignement spécialisé avec des services auxiliaires d’institution (i.e. L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 436 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo psychologie, logopédie, psychomotricité). Elles accueillent des enfants et adolescents qui, en raison de leur difficulté dans les apprentissages scolaires, ne peuvent suivre une classe ordinaire. Ces classes possèdent un petit effectif et des enseignants spécialisés. Un grand pourcentage d’enfants souffrant de troubles d’apprentissage fréquente des classes régulières avec un soutien logopédique, psychologique ou médical en parallèle de l’école (Serveur Suisse de l’Éducation, 2006). La comparaison des différents systèmes d’intégration scolaire des élèves dyslexiques conduit à conclure que la prise en charge de ces élèves diffère en fonction des pays, les pays anglophones ayant un système plus élaboré et différencié d’aide à ces élèves. En ce qui concerne le continent européen, force est de constater à ce jour qu’il n’existe pas au sein de l’Europe de modèle unifié de prise en charge des élèves souffrant de troubles du langage écrit. Dans la suite de notre article, nous envisagerons les conséquences de la diversité des prises en charge sur la validité externe des recherches réalisées sur l’estime de soi auprès de populations d’élèves dyslexiques anglophones. Mais avant d’aborder cette question, dans la partie qui suit nous nous arrêterons sur le concept d’estime de soi, ses modèles théoriques et son développement. Estime de soi : définition, modèles, développement L’estime de soi renvoie à l’acceptation générale de la personne, c’est-à-dire au degré avec lequel une personne pense avoir de la valeur en tant qu’individu (Burns, 1979). L’estime de soi est l’une des notions centrales en psychologie (Baumeister, Kampbell, Krueger, & Vohs, 2003). L’estime de soi se construit à travers les interactions avec autrui et en se comparant aux autres. Les débats concernant la nature de l’estime de soi ont conduit à l’émergence de deux types de modèles. D’après les modèles unidimensionnels, les individus s’évaluent de la même manière dans tous les domaines de leur vie en donnant lieu à l’évaluation générale d’une personne (e.g. Coopersmith, 1967 ; Piers, 1984). Les modèles multidimensionnels (e.g. Harter, 1999 ; Marsh, 1990) postulent que les individus peuvent se percevoir de façon multiple selon les domaines considérés. Une personne peut donc avoir une forte estime de soi générale (i.e. estime de soi relative à la valeur propre de soi), tout en ayant une faible estime de soi dans un domaine particulier. Il n’existe pas de consensus au sujet des dimensions du soi et de leur nombre. C’est pourquoi les échelles multidimensionnelles se différencient en fonction du nombre et des dimensions du soi explorés. L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 437 L’estime de soi se construit et se développe tout au long de la vie. Des recherches empiriques (e.g. Marsh et al., 2002 ; Verschueren, Marcoen, & Schoefs, 1996) ont mis en évidence que les enfants âgés de 4-5 ans étaient capables de fournir des autoévaluations en fonction de différents domaines et que l’estime de soi la plus élevée correspond à la période de l’enfance (entre 9 et 12 ans). Ensuite, elle décline entre 13-22 ans pour augmenter jusqu’à 29 ans. Elle finit par atteindre un plateau entre 30 et 40 ans avant de décliner à nouveau de 50 à 80 ans (Robins, Trezniewsky, Tracy, Goling, & Potter, 2002). Harter (1999) a présenté un modèle plus nuancé du développement de l’estime de soi pendant l’enfance et l’adolescence. Selon son modèle, à la vision optimiste et très positive de soi chez l’enfant succède, à l’adolescence, une baisse de l’estime de soi due au jugement plus réaliste de ses capacités. Un pic dans le déclin de l’estime de soi est constaté au début de l’adolescence, vers 11-13 ans. Il est suivi par une amélioration progressive de l’estime de soi au cours de l’adolescence. À notre connaissance, une seule étude longitudinale sur deux ans (Kistner & Osborne, 1987) a exploré l’évolution de l’estime de soi (scolaire, sociale, compétences physiques et valeur propre de soi) chez des élèves âgés en moyenne de 11 ans ayant des troubles d’apprentissage. Les résultats de cette étude ont mis en évidence que, comparés aux élèves sans troubles, ces élèves avec TA avaient un concept de soi plus négatif. Pourtant, ils n’ont pas manifesté de baisse significative de l’estime de soi pendant les deux ans qui ont suivi la première évaluation. Les résultats de cette étude longitudinale vont dans le sens de celle – transversale – de Kistner, Haskett, White et Robbins (1987) qui ne révèle pas de différences entre les élèves avec des troubles d’apprentissage à l’école élémentaire et au collège. Ces résultats suggèrent qu’il n’y a pas de détérioration de l’estime de soi pendant les années de scolarisation chez les élèves souffrant de troubles d’apprentissage. Dans la partie qui suit, nous exposerons les résultats des recherches empiriques sur l’estime de soi des élèves dyslexiques. Estime de soi des personnes dyslexiques Dans la première étude consacrée à cette problématique, Rosenthal (1973) a comparé un groupe d’enfants dyslexiques provenant de familles bien informées sur la dyslexie, un groupe d’enfants dyslexiques provenant de familles mal informées, un groupe d’enfants au développement normal et un groupe d’enfants souffrant d’asthme. Les résultats de cette recherche ont mis en évidence que ce sont les enfants dyslexiques appartenant aux familles mal informées sur la dyslexie qui avaient l’estime de soi la plus L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 438 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo faible. D’une manière générale, les enfants dyslexiques avaient une estime de soi inférieure à celle des enfants des autres groupes. Black (1974) est arrivé à une conclusion similaire en comparant l’estime de soi des enfants dyslexiques à celle d’un groupe contrôle. De plus, il a trouvé une corrélation négative entre le niveau d’estime de soi et l’âge et une absence de corrélation entre le niveau d’estime de soi et le QI des élèves dyslexiques. Les résultats de ces premiers travaux suggèrent donc que l’estime de soi des enfants dyslexiques est inférieure à celle des élèves sans trouble. Quelques années plus tard, les chercheurs ont intégré dans leurs travaux le concept multidimensionnel de soi en explorant chez les enfants dyslexiques l’estime de soi générale et celle relative aux domaines spécifiques. Les résultats obtenus ont permis de constater que les enfants dyslexiques avaient à la fois une estime de soi générale et une estime de soi académique inférieures comparées à celles des enfants sans dyslexie. D’autre part, les enfants dyslexiques faisaient les plus fortes associations entre le fait d’être un bon lecteur et d’être heureux (Thomson & Hartley, 1980). La dyslexie semble donc affecter la perception des compétences cognitives et l’image de soi en général, y compris dans les domaines qui n’ont pas de lien avec la lecture. Pourtant, les résultats d’une étude plus récente suggèrent que si l’estime de soi scolaire est plus faible chez les élèves dyslexiques comparés à leurs pairs sans dyslexie, leurs estimes de soi générale, sociale, relative à l’apparence physique, aux compétences physiques et à la capacité d’autocontrôle ne se différenciaient pas de celles des élèves du groupe contrôle (Frederickson & Jacobs, 2001). L’étude de Chapman, Silva et Williams (1984) a confirmé le résultat de Thomson et Harley (1980) en ce qui concerne la faible estime de soi scolaire des enfants ayant un trouble spécifique en lecture. De plus, il semble que la perception des capacités cognitives des enfants dyslexiques est fortement liée à leur succès à l’école et est relativement indépendante de l’intelligence mesurée par le WISC-R. Un résultat similaire a déjà été rapporté par Black (1974). Les croyances de ces enfants en leurs compétences cognitives se formeraient donc plus par le biais de l’histoire de la réussite ou de l’échec scolaire que sur la base du constat avéré de l’existence de capacités intellectuelles suffisantes pour réussir (i.e. le QI). L’unique étude longitudinale portant sur le développement psychologique des enfants dyslexiques a été réalisée en Norvège (Gjessing & Karlsen, 1989). Dans le cadre de cette étude, les enfants dyslexiques ont été suivis pendant les quatre premières années de leur scolarité. Les auteurs ont conclu que les enfants dyslexiques et les mauvais lecteurs avaient un concept de soi négatif pendant toute la période d’observation. L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 439 D’autres recherches nous renseignent sur l’évolution de l’estime de soi des enfants dyslexiques. Ainsi, dans son ouvrage Dyslexia and development paru en 1990, Thomson rapporte les résultats d’une étude séquentielle qui permet de suivre l’évolution de l’estime de soi d’enfants dyslexiques placés dans une école spécialisée. La première mesure de l’estime de soi a été réalisée auprès d’enfants dyslexiques avant leur entrée à l’école (n = 15), les suivantes ont mesuré l’estime de soi chez les enfants qui ont passé 6 mois (n = 15) et 18 mois (n = 15) au sein de cette école. Thomson a constaté qu’il y avait une augmentation significative de l’estime de soi chez les enfants dyslexiques au cours de leur séjour dans une école spécialisée. Il est à noter que la méthode transversale constitue une importante limitation de cette étude. Dans la même perspective, Hamphrey et Mullins (2002) ont exploré à l’aide du questionnaire de Marsh (1990b) l’estime de soi des enfants dyslexiques en fonction des systèmes d’intégration scolaire en comparant les dyslexiques scolarisés dans des classes traditionnelles (n = 23) avec les dyslexiques scolarisés dans des classes spéciales2 (n = 28) et avec les enfants sans dyslexie (n = 29). Les résultats de cette étude permettent de conclure que presque 50 % des enfants dyslexiques interrogés ont été victimes de moqueries et parfois de brutalités de la part de leurs camarades. En ce qui concerne l’estime de soi, il n’y a pas de différence entre les enfants dyslexiques scolarisés dans des classes spéciales et les enfants sans dyslexie. En revanche, les enfants dyslexiques scolarisés dans des classes traditionnelles ont une estime de soi significativement inférieure à celle des enfants dyslexiques scolarisés dans des classes spéciales. Ces résultats sont en accord avec ceux obtenus par Hamphrey (2002) dans une étude basée sur les mêmes groupes de comparaison (23 dyslexiques scolarisés dans des classes ordinaires vs 28 dyslexiques scolarisés dans des classes spéciales vs 29 enfants du groupe contrôle) mais avec des mesures différentes de l’estime de soi (i.e. le questionnaire de Lawrence, 1996). L’estime de soi cognitive des dyslexiques scolarisés dans des classes ordinaires est inférieure à celle du groupe contrôle. De plus, l’estime de soi liée à l’acceptation sociale est la plus basse chez les enfants dyslexiques scolarisés dans des classes ordinaires. Ce dernier résultat témoignerait de la faible intégration sociale de ces enfants, ainsi que de l’importance d’une prise en compte des différentes dimensions de l’estime de soi chez les élèves dyslexiques. 2 Il s’agit des classes spéciales pour les enfants avec des troubles d’apprentissage au sein de l’école traditionnelle et non pas des classes de l’école spécialisée. L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 440 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo Parmi les recherches sur l’estime de soi des enfants et adolescents dyslexiques en fonction de leur prise en charge, une étude récente a exploré l’impact du système d’intégration scolaire des dyslexiques sur leur estime de soi et leur identité (Burden, 2005). L’objectif de cette étude était de décrire la condition de personnes dyslexiques vue et vécue par les dyslexiques eux-mêmes. Ainsi, 50 garçons dyslexiques âgés de 11 à 16 ans et scolarisés dans une école spécialisée ont passé l’entretien sur leur expérience de vie en tant que dyslexique, la mesure de l’estime de soi académique et l’échelle de l’identité dyslexique. Cette recherche ne contient pas de groupe contrôle, mais son auteur a conclu que sur tous les paramètres étudiés, les dyslexiques se sentaient relativement bien. Ce sont les plus jeunes adolescents de l’échantillon – âgés de 11 ans – qui exprimaient un niveau de détresse psychologique plus important, car ils étaient au début de leur séjour dans cette école. À mesure que les années passaient, les adolescents se sentaient de mieux en mieux : leur concept de soi s’améliorait, leur locus de contrôle était devenu plus interne, ils étaient plus orientés vers l’effort dans leur travail scolaire et l’explication de leur réussite scolaire et croyaient en leurs capacités à atteindre les objectifs fixés. Burden a constaté très peu de signes de résignation apprise et de dépression, contrairement à ce qui a été trouvé chez les faibles lecteurs intégrés dans des classes traditionnelles (e.g., Butkowsky & Willows, 1980). Même si l’étude de Burden (2005) possède une faible validité externe (tous les garçons provenaient de la même école spécialisée) et fournit essentiellement les résultats descriptifs et qualitatifs, elle permet tout de même de conclure que le bien-être des adolescents dyslexiques dépend fortement de leur environnement scolaire. Pris dans leur ensemble, les résultats des études mentionnées suggèrent que, dans un premier temps, l’estime de soi des enfants dyslexiques tend à évoluer, et que, dans un second temps, le système d’intégration scolaire des élèves dyslexiques influence cette évolution. Certains chercheurs, outre l’estime de soi, ont mesuré l’anxiété et le sentiment de bonheur chez les enfants ayant des troubles spécifiques de lecture. Ils ont constaté que ces enfants avaient non seulement une estime de soi scolaire plus faible, mais aussi un sentiment de bonheur moins intense et un niveau d’anxiété plus élevé que les enfants sans troubles (Casey, Levy, & Brooks-Gunn, 1992). Les résultats de l’étude de Thomson et Hartley (1980) permettent de mieux comprendre ce faible niveau de bonheur des dyslexiques par l’intermédiaire du lien que ces chercheurs ont trouvé entre le fait d’être un bon lecteur et d’être heureux. Concernant la dimension de l’anxiété, des résultats différents ont été trouvés par Riddick, Sterling, Farmer et Morgan (1999) chez les dyslexiques adultes. Ces chercheurs ont mesuré l’estime de soi et l’anxiété de 16 L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 441 dyslexiques adultes âgés de 18 à 42 ans. Si au niveau de l’anxiété il n’y avait pas de différence entre le groupe de dyslexiques et le groupe contrôle, l’estime de soi générale (le questionnaire utilisé ne mesurait pas l’estime de soi cognitive) chez les dyslexiques adultes était significativement plus faible que celle du groupe contrôle. Susceptible d’évoluer quand le contexte devient favorable (e.g. Burden, 2005 ; Thomson, 1990), l’estime de soi générale des dyslexiques reste néanmoins plus faible que celle des personnes sans dyslexie, même à l’âge adulte, alors que les performances scolaires ne constituent plus le domaine valorisé par excellence et que d’autres priorités et champs d’accomplissement personnel remplacent la réussite scolaire. Donc, l’image de soi semble marquée à vie par l’expérience de la dyslexie. Enfin, l’étude la plus récente sur l’estime de soi des dyslexiques a évalué l’estime de soi de 19 adolescents dyslexiques, ainsi que leurs stratégies de résistance au stress et leur niveau de dépression (Alexander-Passe, 2006). Étant donné que cette étude ne contient pas de groupe contrôle, ses résultats nous renseignent sur le niveau d’estime de soi des dyslexiques comparé aux données provenant d’autres études basées sur les mêmes questionnaires. L’auteur de l’étude conclut néanmoins qu’il existe des différences de genre au niveau de l’estime de soi : l’estime de soi générale et scolaire des filles dyslexiques étaient particulièrement faibles comparées à celles des garçons dyslexiques. La plupart des recherches sur l’estime de soi chez les dyslexiques ont été réalisées dans des pays anglo-saxons. À notre connaissance, il n’existe qu’une seule étude empirique de l’estime de soi chez les enfants dyslexiques francophones. Dans leur recherche, Pakzad et Rogé (2005) ont comparé les différentes dimensions de l’estime de soi dans trois groupes d’enfants : 33 enfants dyslexiques (M = 8 ans) scolarisés dans les classes traditionnelles vs 32 enfants sans dyslexie ayant de bonnes performances scolaires vs 31 enfants sans dyslexie en difficulté scolaire. Les résultats de cette étude suggèrent que les élèves dyslexiques possèdent une estime de soi similaire à celle des deux autres groupes d’enfants pour les dimensions physique, sociale et générale. Ils ont, par contre, une faible estime de soi cognitive, quel que soit le groupe de comparaison. Il n’y a pas de différence entre l’estime de soi des deux groupes sans dyslexie. Les résultats de cette étude francophone ne corroborent pas ceux des chercheurs anglo-saxons qui constatent que l’estime de soi générale se trouve affectée chez les enfants dyslexiques (Black, 1974 ; Rosenthal, 1973 ; Thomson & Hartley, 1980) et adultes (Riddick et al., 1999). Ils vont aussi à l’encontre de la conclusion de Humphrey (2002) qui trouve que l’estime de soi relative à l’acceptation sociale des élèves dyslexiques L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 442 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo scolarisés dans des classes traditionnelles serait inférieure à celle des élèves du groupe contrôle. En revanche, les conclusions de Pakzad et Rogé (2005) concernant la faible estime de soi cognitive sont similaires aux résultats de Polychroni, Koukoura et Anagnostou (2006) obtenus auprès de 32 élèves dyslexiques grecs âgés de 10-12 ans : les élèves dyslexiques ont une estime de soi cognitive inférieure à celle des élèves de bon et de faible niveaux scolaires pris séparément. D’autre part, les résultats de Pakzad et Rogé corroborent ceux obtenus par Frederickson et Jacobs (2001) qui constatent des différences entre les élèves dyslexiques des classes traditionnelles et les élèves sans dyslexie uniquement sur la dimension d’estime de soi scolaire, les deux groupes avaient des niveaux identiques d’estime de soi générale, sociale, relative à l’apparence, aux compétences physiques et aux capacités d’autocontrôle. Deux conclusions peuvent être faites suite à l’analyse des résultats des recherches présentées. Premièrement, les études sur l’estime de soi chez les personnes dyslexiques constituent un ensemble très hétéroclite. Elles se basent sur des échantillons d’enfants de différents âges, avec des prises en charge différentes, sélectionnés sur des critères différents, utilisant des outils de mesure d’estime de soi différents, parlant des langues différentes et appartenant aux cultures différentes. La première conséquence de cette hétérogénéité consiste en des résultats divergents et difficiles à synthétiser à cause des variations méthodologiques. La seconde est en rapport avec les fondements théoriques de ces recherches. Aucun chercheur n’a accompli un programme de recherche sur la problématique de l’estime de soi des élèves dyslexiques en explorant systématiquement les facteurs susceptibles d’influencer l’estime de soi des élèves dyslexiques. Si l’estime de soi des élèves dyslexiques scolarisés dans des classes traditionnelles et spéciales (au sein des écoles traditionnelles) a été explorée dans quelques études, il n’existe aucune étude empirique comparant les élèves dyslexiques de l’école spécialisée aux élèves sans trouble de lecture. Donc, les études empiriques existant à ce jour ne couvrent pas toutes les prises en charge des élèves dyslexiques. De plus, malgré l’existence dès les années 1980 des échelles multidimensionnelles de l’estime de soi, les chercheurs ont essentiellement exploré l’estime de soi scolaire et générale. Dans le cas où d’autres dimensions d’estime de soi ont été prises en compte, les résultats s’avèrent contradictoires (e.g., Black, 1974 ; Frederickson & Jacobs, 2001 ; Humphrey, 2002 ; Pakzad & Rogé, 2005 ; Rosenthal, 1973 ; Thomson & Hartley, 1980). L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 443 OBJECTIF ET HYPOTHÈSES L’objectif de notre recherche est d’explorer différentes dimensions – cognitive, sociale, relatives aux compétences physiques, à l’apparence, aux capacités d’autocontrôle et à la valeur propre – d’estime de soi des élèves dyslexiques francophones scolarisés au sein de l’école spécialisée de Suisse romande. Les hypothèses qui seront testées dans l’étude présentée sont les suivantes : 1. Les niveaux d’estime de soi cognitive, générale (i.e. relative à la valeur propre), sociale, relative à l’apparence physique et aux compétences physiques seraient similaires entre les élèves dyslexiques et ceux du groupe contrôle pour quatre raisons. Premièrement, les classes à effectif réduit permettent aux enseignants de réaliser une approche individuelle à l’égard de chaque élève et d’ajuster le niveau d’aide et d’exigences scolaires au niveau de chaque élève en tenant compte de la gravité de son trouble. Deuxièmement, la formation en éducation spécialisée rend les enseignants de l’école spécialisée aptes à apporter un soutien approprié aux besoins spécifiques de chaque élève, soutien qui constitue l’un des facteurs influençant l’estime de soi. Troisièmement, l’école spécialisée fournit aux élèves dyslexiques le contexte de comparaison et de développement homogène : ces élèves se comparent avec les élèves souffrant des mêmes troubles d’apprentissage qu’eux et non pas avec des élèves sans troubles, comme c’est le cas dans une école traditionnelle (Humphrey, 2002 ; Renick & Harter, 1989), ils ne sont pas systématiquement rejetés par leurs pairs à cause de leur trouble, car tous les enfants y sont confrontés. Enfin, la langue française par sa régularité fournirait moins d’occasions de stigmatiser les élèves dyslexiques apprenant à lire dans cette langue. 2. Plusieurs recherches attestent que les enfants dyslexiques ont un niveau élevé de problèmes de comportement (Heiervang, Stevenson, Lund, & Hugdahl, 2001 ; Sanson, Prior, & Smart, 1996 ; Trzesniewski, Moffitt, Caspi, Taylor, & Maughan, 2006 ; Willicut, & Pennigton, 2000). Ce résultat nous permet de prédire l’existence d’une estime de soi liée aux capacités d’autocontrôle plus faible chez les enfants dyslexiques, comparée à celle des enfants sans dyslexie. 3. Les recherches réalisées sur l’évolution de l’estime de soi auprès des élèves sans TA ont mis en évidence la diminution de l’estime de soi au début L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 444 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo de l’adolescence (Harter, 1999). En même temps, les résultats des recherches réalisées sur l’évolution de l’estime de soi chez les élèves avec des troubles d’apprentissage suggèrent que l’estime de soi de ces élèves ne se détériore pas à mesure qu’ils grandissent (Kistner & Osborne, 1987 ; Kistner et al., 1987). Elle peut même s’améliorer chez les élèves dyslexiques des écoles spécialisées (e.g., Burden, 2005 ; Thomson, 1990). Nous nous attendons donc à trouver une estime de soi générale plus élevée chez les élèves dyslexiques de 11-14 ans, comparée à ceux de 8-10 ans. Ces deux groupes d’âge correspondent aux périodes enfance-préadolescence(8-10 ans) et adolescence (11-14 ans) particulièrement intéressantes à explorer pour des raisons d’importants changements de la représentation de soi et de l’estime de soi propres à l’adolescence (Bariaud & Bourcet, 1998 ; Harter 1999). 4. Harter, Whitesell et Junkin (1998) ont constaté que l’estime de soi cognitive des filles est inférieure à celle des garçons. Alexander-Passe (2006) a mis en évidence que l’estime de soi des filles dyslexiques est inférieure à celle des garçons dyslexiques. Nous nous attendons, donc, à une estime de soi cognitive plus faible chez les filles dyslexiques que chez les garçons dyslexiques. MÉTHODE Participants Soixante-six enfants ont participé à l’étude : 35 enfants dyslexiques scolarisés dans une école spécialisée et 31 enfants sans dyslexie constituant le groupe contrôle. Tous étaient domiciliés dans le canton de Fribourg en Suisse et étaient de langue maternelle française. Le français était l’unique langue parlée à la maison. Tous ont été scolarisés dès l’âge de 5-6 ans3 , ont suivi une scolarité conventionnelle, n’avaient pas de problèmes neurologiques graves, de problèmes graves de vision et/ou d’audition, de prise régulière de médicaments, de problèmes du langage oral. Cette information a été obtenue à partir des réponses de parents au questionnaire conçu dans le cadre de cette étude. Les caractéristiques sociodémographiques des familles sont présentées dans le Tableau I. 3 Dans le canton de Fribourg, l’école enfantine (dès l’âge de 5 ans) n’est pas obligatoire. La majorité des enfants commencent à fréquenter l’école primaire dès l’âge de 6 ans. L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 445 Tableau I. Caractéristiques sociodémographiques des familles. Table I. Demographic characteristics of the sample. Enfants dyslexiques Groupe contrôle (n = 35) (n = 31) Age M 10,7 ans 11,2 ans SD 1,49 2,46 Filles Garçons 13a 22 16 15 Niveau d’études Primaire de la mère Secondaire Supérieur Valeurs manquantes 5,4 43,3b 45,9 5,4 3,2 58,1b 38,7 - Profession de la mère Manuelle Non manuelle Femme au foyer Valeurs manquantes 24,3c 64,9 5,4d 5,4 12,9c 67,7 19,4d - Profession du père Manuelle Non manuelle Valeurs manquantes 48,7 45,9 5,4 41,9 58,1 - Sexe a En %. b p < 0,001 (χ 2 (2, N = 62) = 17,94. c p < 0,05 (χ 2 (2, N = 62) = 3,90. d p < 0,001 (χ 2 (2, N = 62) = 23,09. Sélection des enfants dyslexiques Tous les élèves dyslexiques de notre étude proviennent d’une école spécialisée pour enfants souffrant de troubles du langage oral et écrit. Dans cette école sont scolarisés les enfants âgés de 7-8 à 13-14 ans. L’âge moyen d’entrée dans cette école est de 8-9 ans. Tous les élèves sont pris en charge par les logopédistes (trois fois par semaine), les psychomotriciennes (une fois par semaine) et, éventuellement, les psychologues ou les psychothérapeutes. La durée moyenne du séjour dans cette école est de 2 ans 8 mois. Les parents reçoivent un soutien efficace de la part de l’école. Au cours de l’année ont lieu trois réunions obligatoires L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 446 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo entre les parents et les professionnels qui suivent l’enfant à l’école. Dans les cas difficiles, ces réunions peuvent avoir lieu chaque semaine. Cela permet une bonne coordination entre l’école et la famille. Tous les enseignants de l’école possèdent 7-8 années d’expérience dans l’enseignement et une formation en enseignement primaire et spécialisé. Annuellement, des semaines thématiques destinées à la fois aux parents et aux enfants sont organisées au sein de l’école. Chaque année tous les membres de l’équipe médico-pédagogique sont impliqués dans un projet d’école (e.g., sommeil, alimentation, estime de soi, stress, détente). Afin de constituer un échantillon d’enfants dyslexiques, 80 familles domiciliées dans le canton de Fribourg (Suisse) et ayant des enfants dyslexiques scolarisés au sein de l’école spécialisée ont été contactées par l’intermédiaire d’une lettre envoyée aux familles par la direction de l’établissement. 59 familles ont accepté de participer à la recherche. Suite à l’étude des dossiers, 3 dossiers ont été écartés de l’échantillon car le QI des enfants était inférieur à 80, 18 dossiers parce que les enfants avaient des troubles du langage oral et/ou des troubles neurologiques graves (i.e. épilepsie), un dossier parce que l’enfant prenait régulièrement des médicaments et deux autres pour raison d’enfants bilingues. Finalement, 35 enfants dyslexiques (M = 10 ans 7 mois, SD = 1,49, allant de 8 ans 2 mois à 14 ans 10 mois, 13 filles et 22 garçons) ont participé à l’étude. Tous ont été diagnostiqués dyslexiques par des services scolaires du canton dès l’âge de 8-9 ans. Tous avaient un QI global supérieur à 80 (les scores de QI ont été indiqués dans le dossier scolaire des enfants). Tous les enfants dyslexiques étaient suivis en rééducation orthophonique trois fois par semaine sur une année scolaire (la durée moyenne de la rééducation hebdomadaire était d’une heure et demie). Tous les enfants dyslexiques avaient entre 1 an 8 mois et 4 ans 9 mois de retard en âge lexique au test de l’Alouette. L’âge retenu pour les participants se justifie par le fait que la scolarité obligatoire en Suisse commence à 6 ans et se termine à 15 ans. Par conséquent, le retard de 2 ans dans l’apprentissage de la lecture – l’un des critères reconnus de la dyslexie – peut être constaté chez les enfants dès l’âge de 8 ans. Sélection des enfants du groupe contrôle Les enfants du groupe contrôle ont été recrutés dans les écoles francophones du canton de Fribourg. Au total, 31 enfants (M = 11 ans 2 mois, SD = 2,46, allant de 8 ans 4 mois à 15 ans 1 mois ; 16 filles et 15 garçons) ont participé à l’étude. Tous les enfants avaient obtenu l’autorisation de leurs parents de participer à la recherche. Ces derniers ont dû également remplir le questionnaire identique à celui du groupe d’enfants dyslexiques dans le but de recueillir les informations sur les familles et le développement de l’enfant. Dans les limites du possible, les enfants dyslexiques et les enfants du groupe contrôle ont été appariés en sexe et en âge. Nous n’étions pas autorisées à faire passer le test du QI : selon les autorités scolaires, tous les enfants suivant une scolarité normale possèdent un QI normal. Les enfants du groupe contrôle ont passé le test de lecture (le test de l’Alouette) afin de contrôler leurs performances en lecture, ainsi que le questionnaire d’estime L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 447 de soi de Harter (1985). Les résultats au test de l’Alouette ont permis de constater que les performances en lecture des enfants du groupe contrôle correspondent aux normes établies pour leurs groupes d’âge. Procédure Après avoir reçu l’autorisation de la direction de l’établissement spécialisé pour les enfants dyslexiques, les familles de ces enfants ont été contactées par courrier. Une réunion d’information a été organisée au sein de l’école pour les familles qui avaient accepté de participer à l’étude. Après cette réunion, les parents ont reçu le questionnaire nécessaire pour recueillir les informations générales sur la famille et l’enfant. L’étude s’est déroulée en deux étapes. Pendant la première étape, pour nous assurer que notre échantillon était bien constitué d’enfants dyslexiques, nous avons effectué des tests de sélection auprès des enfants diagnostiqués comme étant dyslexiques. Nous avons utilisé l’ODEDYS (2002) qui propose un certain nombre d’épreuves visant à évaluer certaines des compétences qui sont fréquemment limitées ou déficitaires chez les enfants dyslexiques. Les scores sur chaque épreuve de l’ODEDYS sont présentés dans le Tableau II. La deuxième étape consistait en la passation du questionnaire de l’estime de soi de Harter (1985) présenté ci-dessous. Mesures The Self-Perception Profile for Children (SPPC ; Harter, 1985) Pour évaluer l’estime de soi, le questionnaire de Harter (1985) a été administré aux élèves de manière individuelle. Ce questionnaire (pour son contenu voir Annexe A) est conçu pour mesurer l’estime de soi chez les enfants et adolescents âgés de 8 à 14 ans. Il a été choisi parce qu’il possède de bonnes caractéristiques psychométriques et permet l’évaluation de différentes dimensions de l’estime de soi. La consistance interne mesurée par les alphas de Cronbach de la version originale va de 0,77 à 0,84 ; la fiabilité test-retest va de 0,69 à 0,87 à 3 et 9 mois d’intervalles (Renick & Harter, 1989). Les alphas de Cronbach de notre étude sont présentés dans le Tableau III où ils sont comparés aux alphas d’autres études. Étant donné que notre mesure d’estime de soi était dichotomique, nous avons calculé les coefficients de KuderRichardson 21. Ils sont généralement similaires aux alphas de Cronbach. Ce questionnaire, administré en groupe ou individuellement, mesure l’estime de soi des sujets dans plusieurs domaines. Dans sa version française validée par Pierrehumbert, Plancherel et Jankech-Caretta (1987) il est composé de 30 items répartis en 6 dimensions : compétences cognitives, compétences sociales, compétences physiques, capacités d’autocontrôle, apparence physique, valeur propre générale. Chaque dimension contient 5 items. Le format de présentation des questions est le suivant. Chaque item est composé de deux phrases contrastées (e.g., Certains enfants ont l’impression de L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 448 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo Tableau II. Moyennes et écarts types des scores aux épreuves de l’ODEDYS. Table II. Means and standard deviations of the ODEDYS tests. Epreuves de l’ODEDYS M SD Nombre de mots réguliers lus correctement 6, 61(20)a 4, 66 Temps pour cette épreuve (sec) 51,52 Nombre de mots réguliers lus correctement 14, 39(20) Temps pour cette épreuve (sec) 44,85 Nombre de pseudo-mots lus correctement 12, 06(20) Temps pour cette épreuve (sec) 46,76 25, 85 4, 42 24, 32 4, 38 22, 95 Nombre de réponses correctes à l’épreuve de suppression 6, 67(10) 2, 47 Nombre de réponses correctes à l’épreuve de fusion 6, 91(10) 2, 55 - Empan endroit 5,91 (8) 1,91 - Empan envers 2,73 (8) 1,13 Nombre de mots irréguliers écrits correctement 2,36 (10) 3,00 Nombre de mots réguliers écrits correctement 6,06 (10) 2,81 Nombre de pseudo-mots écrits correctement 5,61 (10) 3,07 Mémoire à CT a Entre parenthèses est indiqué le score maximal de chaque épreuve. bien travailler à l’école. MAIS d’autres se demandent s’ils travaillent suffisamment). Cette formulation vise à neutraliser la tendance à donner des réponses socialement désirables. On demande à l’enfant de choisir à quel type d’enfants il ressemble le plus, en cochant la case à côté de la phrase qui lui correspond le plus. Les enfants dyslexiques ayant plusieurs tests de sélection à passer en une session, nous avons raccourci la version originale du questionnaire en supprimant les gradations « tout à fait vrai », « plutôt vrai ». Par conséquent, les scores à chaque item vont de 0 à 1. Les scores sur chaque dimension varient de 0 à 5. Plus le score est élevé, plus l’estime de soi est importante. L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 449 Tableau III. Les alphas de Cronbach obtenus au SPPC de Harter (1985) selon différentes études. Table III. Cronbach’s α of the SPPC from different studies. Dimensions de l’estime de soi Compétences cognitives Notre étude 0,57 (0,55)a Butler & Renick & Marinov-Glassman Harter (1989) (1994) 0,71a 0,68 0,69c Compétences sociales 0,83 (0,84) 0,72 0,65 Compétences physiques 0,61 (0,56) 0,71 0,58 Apparence physique 0,74 (0,74) - - Capacités d’autocontrôle 0,58 (0,56) - - Valeur propre 0,65 (0,62) 0,73 0,60 a entre parenthèses sont indiqués les coefficients de corrélation de Kuder-Richardson 21. b les enfants avec des troubles d’apprentissage (TA) scolarisés dans des classes ordinaires. c les enfants avec des troubles d’apprentissage scolarisés dans des classes spéciales. RÉSULTATS Différences d’estime de soi en fonction des groupes, de l’âge et du sexe Pour tester nos hypothèses, nous avons réalisé l’ANOVA mixte 2 Groupe (Dyslexiques vs Contrôle) Inter × 2 Age (8-10 ans vs 11-14 ans) Inter × 2 Sexe (Filles vs Garçons) Inter × 6 Dimension (scolaire, sociale, physique, apparence, autocontrôle, générale) Intra avec les variables Groupe, Age, Sexe et Dimension introduites comme variables fixes. Les résultats mettent en évidence l’absence d’effets principaux de Groupe (F < 1), d’Age (F < 1) et de Sexe (F < 1), ainsi que d’effets L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 450 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo d’interaction (p > 0,05). Ils permettent de constater l’effet principal de Dimension : le test de Greenhouse-Geisser, F (5,290) = 5,39, p < 0,001. L’analyse des contrastes met en évidence que l’effet principal de la variable Dimension s’explique par le fait que le score de l’estime de soi scolaire est significativement plus faible que celui de l’estime de soi relative à la valeur propre, F (1,58) = 16,40, p < 0,001, que le score de l’estime de soi relative aux compétences physiques est significativement inférieur que celui de l’estime de soi relative à la valeur propre, F (1,58) = 22,26, p < 0,001 et que le score de l’estime de soi relative aux capacités d’autocontrôle est significativement inférieur à celui de l’estime de soi relative à la valeur propre de soi, F (1,58) = 10,15, p < 0,01. Pour les moyennes et les écarts types, voir Tableau IV. Il n’y a pas d’effet d’interaction entre les différentes variables indépendantes (p > 0,05). Différences individuelles Les élèves avec des troubles d’apprentissage et, en particulier, les élèves dyslexiques constituent un groupe très hétérogène du point de vue de ses caractéristiques sociocognitives et comportementales. Généralement, les chercheurs se limitent aux comparaisons intergroupes sans explorer les différences individuelles de ces élèves. Certaines revues de littérature ont critiqué les conclusions des recherches basées uniquement sur ce type d’analyses (e.g., Greenham, 1999). Le fait de constater l’absence de l’effet principal de la variable Groupe sur les dimensions de l’estime de soi ne nous renseigne pas sur le niveau d’estime de soi des enfants dyslexiques. La question importante qu’on pourrait alors se poser sur la base de nos données est celle de savoir si les élèves dyslexiques peuvent avoir une estime de soi élevée et quelle est la proportion de ces élèves. Le questionnaire de l’estime de soi de Harter (1985) ne possède pas de données normatives. Pour contourner cet obstacle, les chercheurs qui ont exploré les différences individuelles de l’estime de soi chez les élèves avec des troubles d’apprentissage ont utilisé comme points de référence les moyennes des scores sur chaque dimension obtenus par les élèves du groupe contrôle (e.g. Kistner & Osborne, 1987). Nous avons procédé de la même manière en recodant les scores de l’estime de soi en variables catégorielles : nous avons attribué 1 aux scores inférieurs à la moyenne du groupe contrôle sur chaque dimension et 2 aux scores supérieurs, en distinguant de cette manière l’estime de soi faible et élevée. Ensuite, nous avons calculé les pourcentages d’élèves ayant le score de l’estime de soi faible et élevé sur chaque dimension et pour chaque groupe. Les L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 3,66 3,51 4,31 3,63 4,23 Compétences sociales Compétences physiques Apparence physique Autocontrôle Valeur propre a Le score maximal pour chaque dimension est égal à 5. 1,35 3,31 a Compétences cognitives 1,03 2,26 0,9 1,07 1,76 SD M Dimensions de l’estime de soi Dyslexiques (n = 35) 4,45 3,87 3,71 3,03 4,26 3,87 M 1,15 1,2 1,74 1,74 1,32 1,31 SD Groupe contrôle (n = 31) 4,33 3,59 4,03 3,29 3,94 3,87 M 1,09 1,43 1,38 1,43 1,59 1,31 SD Échantillon global (n = 66) Table IV. Means and standard deviations of self-esteem as a function of self-esteem dimensions and groups. Tableau IV. Moyennes et écarts types des scores de l’estime de soi en fonction des dimensions de l’estime de soi et des groupes. Estime de soi et dyslexie 451 L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 452 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo résultats représentés dans le Tableau V montrent clairement que dans le groupe d’élèves dyslexiques 50 % environ possèdent une estime de soi faible sur presque toutes les dimensions, excepté l’estime de soi relative à l’apparence physique (seulement 17 % d’élèves dyslexiques possèdent sur cette dimension une estime de soi faible). Dans le groupe contrôle un tiers d’élèves environ possède une estime de soi faible sur les dimensions de l’estime de soi scolaire, sociale, apparence physique, d’autocontrôle et de valeur propre. Tableau V. Pourcentage d’élèves avec l’estime de soi faible vs élevée en fonction de groupes et de dimensions de l’estime de soi. Table V. Percentage of students with high vs low self-esteem as a function of group and sub-scales. Dyslexiques (n = 35) Dimensions de l’estime de soi Groupe contrôle (n = 31) ES faible ES élevée ES faible ES élevée Compétences cognitives 57 43 32b 68b Compétences sociales 49 51 32b 68b Compétences physiques 46 54 55 45 Apparence physique 17a 83a 39 61 Autocontrôle 49 51 26c 74c Valeur propre 43 57 26c 74c a p < 0,001 (χ 2 (1, N = 35) = 15,11. b p < 0,05 (χ 2 (1, N = 31) = 3,90. c p < 0,01 (χ 2 (1, N = 31) = 7,26. Relations entre différentes dimensions d’estime de soi et une estime de soi relative à la valeur propre Afin d’explorer les relations entre l’estime de soi relative à la valeur propre et d’autres dimensions d’estime de soi, les analyses corrélationnelles ont été réalisées séparément pour chaque groupe. Les résultats révèlent que la mesure dans laquelle les élèves dyslexiques s’acceptent tels qu’ils sont L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 453 est plus fortement liée à l’estime de soi relative aux compétences sociales (r = 0,38, p < 0,05) et à l’estime de soi relative à l’apparence physique (r = 0,49, p < 0,001). Chez les élèves du groupe contrôle, la valeur propre est significativement corrélée à l’estime de soi relative aux compétences physiques (r = 0,41, p < 0,05), à l’apparence (r = 0,79, p < 0,001) et à l’autocontrôle (r = 0,45, p < 0,05). L’analyse des comparaisons de corrélations suggèrent l’existence de la différence significative (p < 0,01) entre les corrélations relatives à l’apparence physique des élèves dyslexiques et ceux du groupe contrôle (voir Tableau VI). Tableau VI. Corrélations entre l’estime de soi relative à la valeur propre et d’autres dimensions de l’estime de soi. Table VI. Correlations between the scores on the self-worth sub-scale and other sub-scales. Estime de soi relative à la valeur propre Dimensions de l’estime de soi Élèves dyslexiques Groupe contrôle Compétences cognitives 0, 14 0, 28 Compétences sociales 0,38* 0,25 Compétences physiques 0,1 0,41* Apparence physique 0,49** 0,79** Autocontrôle -0,09 0,45* ∗ p < 0,05 ; p < 0,01. DISCUSSION Rappelons que l’objectif de notre étude était d’explorer l’estime de soi des enfants dyslexiques. Ce domaine a suscité très peu de recherches dans le monde anglo-saxon. Il est resté quasiment inexploré dans les pays francophones. À notre connaissance, quelle que soit la langue, aucune étude n’a exploré l’estime de soi sur plusieurs dimensions chez les élèves dyslexiques scolarisés au sein d’un établissement spécialisé en les comparant aux élèves sans dyslexie. D’où l’originalité de la recherche présentée à la L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 454 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo fois dans le contexte francophone et international. Les résultats obtenus à l’issue de notre étude permettent d’avoir un nouveau regard sur le bien-être psychologique des élèves dyslexiques et d’approfondir notre connaissance des effets du contexte scolaire sur l’adaptation sociale et émotionnelle des enfants avec des troubles d’apprentissage en général. Conformément à notre première hypothèse, les estimes de soi scolaire, sociale, relative aux compétences physiques, à l’apparence et à la valeur propre des élèves dyslexiques scolarisés dans une école spécialisée seraient similaires à celles des élèves du groupe contrôle. Il est à noter qu’en ce qui concerne l’estime de soi scolaire, ce résultat va à l’encontre des résultats de toutes les recherches sur l’estime de soi des élèves dyslexiques, notamment les recherches qui ont comparé l’estime de soi scolaire des élèves dyslexiques à l’estime de soi scolaire des élèves sans dyslexie. Ces recherches ont conclu que la dimension d’estime de soi scolaire différencie systématiquement les élèves dyslexiques des élèves sans trouble (e.g., Casey et al., 1992 ; Chapman et al., 1984 ; Frederickson & Jacobs, 2001 ; Humphrey, 2002 ; Pakzad & Rogé, 2005 ; Thomson & Hartley, 1980). Les différences de résultats concernant la dimension de l’estime de soi scolaire pourraient être dues au système d’intégration scolaire des élèves dyslexiques qui constituent notre échantillon. L’écrasante majorité des recherches sur l’estime de soi des élèves dyslexiques porte sur les enfants et adolescents dyslexiques scolarisés soit dans des classes traditionnelles, soit dans des classes spéciales faisant partie d’écoles traditionnelles. En nous intéressant au bien-être psychologique des enfants avec des troubles d’apprentissage en général, nous avons constaté qu’il existait extrêmement peu de recherches conduites au sein des écoles spécialisées. Les chiffres provenant d’une méta-analyse sur l’estime de soi chez les enfants avec des troubles d’apprentissage (Elbaum, 2002) sont révélateurs : sur 36 publications parues entre 1975 et 1999, seules deux (Butler & Marinov-Glassman, 1994 ; Ley, 19834 ) ont exploré l’estime de soi des enfants scolarisés au sein d’un établissement spécialisé. Les résultats de l’étude de Butler et Marinov-Glassman (1994) mettent en évidence que les enfants de l’école spécialisée ont une estime de soi scolaire, sociale et générale significativement plus élevée que ceux des deux autres groupes. Les résultats des enfants scolarisés dans des classes spéciales sont souvent proches des élèves de faible niveau scolaire. Donc, l’unique étude sur l’estime de soi des enfants avec des TA évoluant au sein de l’école spécialisée permet de conclure que le bien-être psychologique de ces enfants est 4 La publication de Ley (1983) constitue une thèse de doctorat. L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 455 supérieur à celui des enfants avec des troubles placés dans des classes spéciales, et des enfants avec des difficultés d’apprentissage (i.e. de faible niveau scolaire). En ce qui concerne l’estime de soi sociale, les résultats de notre étude vont à l’encontre de ceux obtenus par Humphrey (2002) qui a constaté une estime de soi relative à l’acceptation sociale des élèves dyslexiques des classes traditionnelles inférieure à celle des élèves du groupe contrôle. En revanche, nos résultats sont similaires à ceux obtenus par Thomson (1990) qui a mis en évidence que l’amélioration de l’estime de soi sociale serait le principal avantage du placement des enfants dyslexiques dans une école spécialisée. Ils sont aussi en accord avec les résultats des études de Frederickson et Jacobs (2001) sur la population anglophone et de Pakzad et Rogé (2005) sur la population francophone. Dans ces deux études, les chercheurs ont exploré l’estime de soi sociale des élèves dyslexiques intégrés dans des classes traditionnelles à l’aide du questionnaire de Harter (1985), alors que Humphrey (2002) a utilisé le questionnaire de Lawrence (1996). Ceci pourrait expliquer les divergences dans les conclusions des recherches mentionnées. En ce qui concerne l’estime de soi liée aux capacités d’autocontrôle, les résultats obtenus à l’issue de notre étude ne confirment pas l’hypothèse. Contrairement à nos attentes, les élèves dyslexiques auraient une estime de soi sur la dimension d’autocontrôle similaire à celle des élèves sans dyslexie. Deux explications peuvent être avancées pour rendre compte de ce résultat inattendu. Premièrement, les élèves dyslexiques de l’école spécialisée se trouvent parmi d’autres élèves avec le même trouble d’apprentissage et, éventuellement, les mêmes difficultés de comportement. Les enseignants les comparent entre eux et non pas aux élèves sans troubles. De plus, les enseignants spécialisés sont plus compréhensifs et tolérants envers les élèves avec des troubles. En d’autres termes, on pourrait supposer que le seuil de tolérance face aux comportements déviants soit plus élevé au sein de l’école spécialisée. Par conséquent, les élèves auraient une perception plus positive d’eux-mêmes relative à leurs capacités d’autocontrôle. D’autre part, au sein de l’école spécialisée d’où provient notre échantillon d’élèves dyslexiques, il existe la règle « Stop», explicitement acceptée par chaque élève dès son intégration à l’école. Cette règle postule qu’un élève doit immédiatement cesser l’action en cours dès que l’adulte dit « Stop ». Cette règle simple et admise par tous les élèves pourrait à son tour renforcer le sentiment d’autocontrôle de la part des élèves avec des conséquences sur l’estime de soi sur cette dimension. Enfin, en ce qui concerne les effets attendus de l’âge et du sexe, les résultats obtenus vont à l’encontre des hypothèses. La difficulté à recruter L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 456 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo les sujets dyslexiques, ainsi que la proportion inégale de garçons et de filles parmi les dyslexiques conduisent soit aux études impliquant uniquement les garçons, soit aux groupes très déséquilibrés, soit à l’impossibilité de constituer des groupes d’âge en raison de la faiblesse des échantillons. Compte tenu du nombre très réduit des études empiriques qui ont exploré ces effets auprès des élèves dyslexiques, dans l’avenir, les programmes réguliers de recherche doivent tendre à mieux comprendre l’évolution de l’estime de soi et du bien-être psychologique des élèves dyslexiques en fonction de leur âge et de leur sexe. L’absence de l’effet d’âge chez les élèves dyslexiques de notre étude semble contredire le résultat de Thomson (1990) qui met en évidence une amélioration constante du niveau d’estime de soi des élèves dyslexiques scolarisés au sein de l’école spécialisée. Les divergences de conclusions entre ces deux études pourraient s’expliquer par le fait que, dans notre étude, la répartition en groupes d’âge ne coïncide pas avec une répartition rigoureuse en deux groupes en fonction de la durée du séjour à l’école, car certains enfants intègrent cette école à l’âge de 7-8 ans, d’autres à 9 et même 11 ans. Une étude longitudinale conduite dans cette école devrait nous permettre de comparer nos résultats de manière plus légitime avec ceux de Thomson qui avait utilisé la méthode transversale. Dans leur ensemble, les résultats de notre étude permettent d’apporter des réponses quantifiées allant dans le sens des résultats d’ordres descriptif et qualitatif obtenus par Thomson (1990) et Burden (2005) auprès d’élèves dyslexiques anglophones scolarisés au sein d’un établissement spécialisé. Rappelons que les résultats de Thomson (1990) suggèrent, qu’après 6 mois d’intégration dans une école spécialisée, l’estime de soi des enfants dyslexiques est en progression constante jusqu’à 18 mois de séjour. Toujours dans une étude transversale sur la population anglophone, Burden (2005) présente une conclusion similaire. En approfondissant les connaissances issues de ces deux recherches, les résultats de notre étude mettent en évidence que l’intégration des enfants dyslexiques dans une école spécialisée produit un effet bénéfique sur leur estime de soi. La comparaison sociale pourrait être l’un des facteurs qui contribuent à l’amélioration de l’estime de soi des élèves dyslexiques de l’école spécialisée. Les recherches auprès d’élèves avec des troubles d’apprentissage, y compris les élèves dyslexiques, ont mis en évidence qu’ils se comparent avec les élèves sans troubles d’apprentissage quand ils sont scolarisés dans des classes traditionnelles (Humphrey, 2002 ; Renick & Harter, 1989). Par conséquent, ils ne tirent aucun bénéfice psychologique de cette comparaison ascendante. L’école spécialisée offre un contexte de comparaison homogène susceptible de contribuer à l’amélioration de l’estime de soi, en particulier de l’estime de soi scolaire. Les résultats de notre étude permettent de conclure que les L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 457 élèves dyslexiques – même dans les cas les plus difficiles – peuvent atteindre une estime de soi similaire à celle des élèves sans dyslexie sur toutes les dimensions. Et si, comme le suggèrent Baumeister et al. (2003), l’estime de soi positive ne contribue pas tellement aux performances mais au sentiment du bonheur, nous pouvons soutenir que les enfants et adolescents dyslexiques peuvent se sentir heureux malgré le fait qu’ils soient mauvais lecteurs. Pourtant cette conclusion doit être pondérée par les résultats relatifs aux différences individuelles des élèves dyslexiques. Les résultats obtenus à l’issue de l’étude présentée mettent en évidence que presque un élève dyslexique sur deux possède une estime de soi faible (i.e. au-dessous des moyennes du groupe contrôle) sur toutes les dimensions, excepté celle de l’estime de soi relative à l’apparence physique. En d’autres termes, il ne faut pas oublier que derrière le groupe d’élèves dyslexiques qui ne se différencie pas dans notre étude de celui d’élèves sans dyslexie, se trouvent des individus dont la moitié souffre d’estime de soi faible et en conséquence ont plus besoin d’aide et d’attention que leurs pairs. Ainsi, les résultats basés sur la comparaison des moyennes nous conduisent à conclure que la dyslexie n’est pas systématiquement associée à une estime de soi faible, y compris dans le domaine scolaire. En même temps, un regard plus attentif porté sur les différences individuelles tempère notre optimisme. Il conduit à conclure que les élèves dyslexiques scolarisés dans une école spécialisée constituent un groupe à risque et, à ce titre, ont besoin d’un soutien constant de la part des adultes pour que leur handicap n’ait pas d’impact trop négatif sur leur bien-être psychologique. Limites de l’étude et perspectives de recherche Malgré son originalité et le caractère novateur des résultats, l’étude présentée souffre de limites méthodologiques. Ainsi, il est à noter que la validité externe de notre recherche est limitée aux élèves dyslexiques de l’une des écoles spécialisées située en Suisse romande. Cette étude doit être répliquée dans d’autres écoles de ce type aussi bien en Suisse romande, qu’en France, au Québec, en Belgique pour qu’un jour nous puissions conclure sur le rôle des écoles spécialisées dans le système d’intégration scolaire des élèves dyslexiques. Vue sous cet angle, cette limite ouvre des perspectives de projets en collaboration avec les chercheurs des pays francophones. Une autre limite serait la taille de l’échantillon. Néanmoins, il est à noter que peu d’études sur l’estime de soi des élèves dyslexiques ont eu un si grand échantillon comme la nôtre (e.g. Pakzad & Roger, 2005 en L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 458 Tamara Leonova r Gaëlle Grilo français). En général, dans le domaine de la dyslexie, le nombre de sujets par groupe est inférieur à 20. La raison principale est que ces recherches sont très lourdes, alors qu’elles portent sur une population fragile : les tests de sélection avec plusieurs épreuves afin de confirmer le diagnostic de la dyslexie et d’éliminer tous les cas de co-morbidité sont suivis de tests ou de questionnaires portant sur les dimensions étudiées. En protégeant ces enfants vulnérables, les parents, les directeurs d’école et les enseignants sont très réticents à donner leur accord de participation à des études. Le problème semble inhérent à toutes les recherches conduites sur les élèves souffrant des troubles d’apprentissage (Bryan, 1991). La troisième limite est en rapport avec un inéluctable principe du volontariat qui conduit au biais que nous appelons « le biais du bien-être ». Nous pouvons supposer que les familles avec beaucoup de difficultés – du fait de la dyslexie de leur enfant ou pour une autre raison – échappent aux études dans ce domaine. Elles se replient sur elles-mêmes et refusent de participer aux recherches. Par conséquent, l’échantillon de notre étude ne serait pas représentatif de la population générale des élèves dyslexiques et les résultats obtenus doivent être interprétés avec prudence et avec la présence constante à l’esprit de cette limite. Enfin, la consistance interne du questionnaire de Harter (1985) utilisé dans notre étude conduit également à rester prudents concernant les résultats obtenus et leur interprétation. En effet, quels que soient les coefficients de corrélation (i.e. alphas de Cronbach ou KR-21), ils sont particulièrement faibles pour les dimensions de compétences cognitives, compétences physiques et capacités d’autocontrôle (0,55-0,56). En mentionnant cette limite de notre étude, nous voudrions soulever une question importante relative à la fiabilité des recherches publiées dans le domaine en question. À plusieurs reprises nous avons constaté que les chercheurs citent les propriétés psychométriques des questionnaires en se référant aux études conçues pour valider ces questionnaires. Ce n’est que rarement qu’ils mentionnent les coefficients de la consistance interne propres à leur étude. Parfois ils indiquent de très bons coefficients relatifs à l’ensemble des items en omettant de préciser les coefficients de chaque sous-échelle (e.g. Gadeyne, Ghesquière, & Onghena, 2004). Dans un des rares cas où les chercheurs ont mentionné l’alpha de Cronbach sur la dimension de l’estime de soi scolaire des élèves avec des TA, nous découvrons que ce coefficient est de 0,45 (Kistner & Osborne, 1987). Ce résultat nous conduit à la prudence dans l’interprétation des résultats. Mais les alphas faibles dans le cas des élèves avec des troubles d’apprentissage ne devraient pas être un critère rédhibitoire. Peut-être s’agit-il de problèmes L’année psychologique, 2009, 109, 431-462 Estime de soi et dyslexie 459 méthodologiques plus sérieux, dépassant le cadre d’une étude particulière ? La suite de nos travaux nous permettra de répondre à cette question. Pour conclure, l’ensemble des limites mentionnées ci-dessus fixe, d’une part, les frontières de la généralisation des résultats de notre étude. De l’autre, il permet de mieux comprendre pourquoi il existe si peu de recherches dans le domaine du développement psychologique des élèves dyslexiques à travers le monde. BIBLIOGRAPHIE Alexander-Pass, N. (2006). How dyslexic teenagers cope: An investigation of selfesteem, coping and depression, Dyslexia, 12, 256-275. Baumeister, R.F., Campbell, J.D., Krueger, J.I., & Vohs, K.D. (2003). Does high selfesteem cause better performance, interpersonal success, happiness, or healthier lifestyles? Psychological Science in the Public Interest, 4, 1-44. Bariaud, F., & Bourcet, C. (1998). 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