Pourquoi pas moi
Transcription
Pourquoi pas moi
Pourquoi pas moi ? « Je m’appelle Kamel, je suis né au Maroc et j’avais une petite vie paisible. Mais il me manquait une seule chose et cette chose, c’était mon père qui travaillait en France. Il venait une fois par an pour nous voir. A l’âge de 14 ans, mon père, après une longue discussion avec toute ma famille, décide de me ramener en France, il fait des démarches pour m’inscrire sur son passeport. Le 17 août 1999, je quittais le Maros pour un avenir meilleur et pour une vie agréable, car c’était ce que je croyais. Dès mon arrivée, j’étais scolarisé dans un collège. Je prenais le train tous les matins, mon père ainsi que mon frère me mettaient souvent en garde contre les contrôles de la police. J’étais mineur et la préfecture ne connaissait pas ma situation, j’étais un peu tranquille si on peut dire ça. Avant ma majorité, mon père décida de faire une demande de Régularisation, c’était en 2002, juste avant les élections et le cauchemar allait commencer. Je suis arrivé à ma majorité et là, j’ai su que si on m’attrapait, on me dégageait. J’ai commencé à faire attention plus qu’avant, à être le plus possible discret, ne pas me faire remarquer, mais hélas, la police était toujours là, dans les gares, dans les trains, ces deux choses qui présentent le plus de danger pour moi. En dehors des études, j’avais peur de sortir. Un jour, après avoir fini les cours, j’ai pris le train pour rentrer chez moi. Comme d’habitude, avant d’entrer dans la gare je vérifiai s’il n’y avait pas la police. Ce jour-là, il n’y avait personne dans la gare, mais hélas je n’étais pas au bout de mes surprises. J’étais assis avec mes camarades de classe qui ne savaient pas que j’étais un « sans-papiers ». Photo : © Réseau Education Sans Frontières (RESF). Des lycéens en France demandent à ce qu’un camarade de classe ne soit pas déporté. Tout d’un coup, les agents de police ont ouvert la porte, ils s’approchent de notre groupe et prononcent une phrase, la phrase qui tue : « contrôle d’identité ». Mon cœur battait très fort à tel point que je croyais qu’il allait s’arrêter. Tous mes camarades sont passés au contrôle mais, ce jour, le bon Dieu était avec moi : les agents ne m’ont pas contrôlé, je suis descendu à mon arrêt ; mon cœur battais toujours mais ma conscience me disait « c’est bon, c’est fini ». Les jours passent, les semaines défilent. Des mois d’attente et toujours pas de réponse de la préfecture. Chaque jour, dès mon arrivée, je saute sur le courrier, mais hélas, toujours rien. Attendre, c’est simple mais très dur. Chaque jour, on se dit que c’est le bon jour et qu’on va avoir une réponse, et bien sûr une réponse positive, car la vie n’est plus une vie mais un cauchemar qui se déroule en pleine journée. Toujours ce stress, toujours cette angoisse, toujours cette peur qui ne me lâche jamais. Dès que je mets le pied dehors, la peur vient, même si je ne connais pas ma réponse. Le jour J est arrivé. Je reçois chez moi la lettre de la préfecture. L’émotion vient, la peur aussi. J’ouvre la lettre et je découvre la réponse de deux années d’attente, de deux années d’espoirs, deux années où on rêve chaque jour. Une seule lettre et quelques phrases maudites pur vous désespérer, pour détruire vos rêves et surtout pour vous donner plus peur. A ce moment-là, on ne se sent plus un être humain, on n’a plus l’impression qu’on fait partie de la société, tout simplement on se sent rejeté, on nous met à l’écart, et le moral s’envole, emportant avec lui le goût de la vie. Vivre dans la peur, vivre entre l’espoir et le désespoir, être un oiseau mais qui n’a pas d’ailes pour voler, c’est ainsi que je me considère. C’est vrai, la vie pour nous est un enfer sur Terre, la peur nous accompagne partout. Des fois, les amies nous proposent de sortir, de nous changer les idées de temps en temps mais on ne peut pas, la peur est toujours là. Franchement, est ce que c’est une vie, ça, d’être enfermé chez soi ? A part les cours au lycée, on n’a pas d’autre activité et pourquoi ça ? Parce que la peur nous accompagne. Des fois, j’ai trop envie de sortir avec mes amis, faire la fête, danser, chanter, m’amuser, en un seul mot, être libre. Un jour, j’ai entendu un homme politique dire que les gens qui prenaient les transports en commun avaient peur de se faire agresser. Moi, j’ai cette peur. Mais ce n’est pas la peur de me faire agresser, c’est une peur qui est pour moi une phobie, une créature terrible qui est toujours avec moi. J’ai tenté de m’en débarrasser mais en vain elle est pertinemment présente. Cette situation dure depuis huit longues années. Sans cesse, on vit avec cette peur à chaque instant, on se pose des questions mais on n’a pas de réponse : pourquoi on me rejette ? Pourquoi on ne veut pas de moi alors que je n’ai rien fait de mal ? Je suis venu, je me suis intégré à cette société. C’est une chose dure mais j’y suis arrivé. J’ai fixé mes objectifs ici. Mes projets, j’ai envie de les réaliser ici en France, mais hélas, même avec tout ça, on ne veut pas de moi. La France m’a pris mon grand-père pour faire la guerre à ses côtés, elle m’a pris mon père pour la reconstruire alors pourquoi elle ne veut pas de moi ? J’attends toujours la réponse. » Kamel est parti du Maroc pour la France quand il avait 14 ans. Il a vécu avec son père, qui était en situation régulière, et qui vivait et travaillait en France. Une fois majeur, il a fait une demande de régularisation qui a été rejetée et il a été « obligé de quitter le territoire français ». Il est toutefois resté en France. La police a tenté de l’arrêter à son domicile mais il n’était pas chez lui. Il avait 22 ans quand il a écrit ce texte. Il a fini par avoir ses papiers avec l’aide de Réseau Education Sans Frontières (RESF). Depuis, il a un diplôme universitaire, est marié, est devenu père de deux enfants et travaille dans la maintenance industrielle. Source : Réseau Education Sans Frontières : ‘La plume sans papier’.