6 COPINES 1962-66

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6 COPINES 1962-66
6 COPINES 1962-66
Les années 50, aux Etats-Unis, ont vu le grand courant fondateur qui a jeté les bases du rock, savant
alliage de blues et country. Dans les sixties ce phénomène prend une ampleur internationale, notamment en Angleterre et en France, avec des grands albums essentiels pour cette décennie, et au-delà.
n 1965, le sociologue Edgar Morin, qui a
popularisé le mot yéyé dans les colonnes
du Monde, après le concert de la Place de
la Nation de juin 1963, écrit que la chanson
yéyé française est l’acclimatation, l’acculturation, de la force originaire, sauvage du rock.
Une excellente définition ! On peut penser que
la qualité artistique de la musique jeune en a
pâti. Mais la grande bénéficiaire de cet adoucissement généralisé des rythmes et des
mœurs, en ce temps des copains, c’est la copine. Le monde viril du rock n’a guère permis aux
filles de s’exprimer. Il les cantonne à adopter
des attitudes garçonnes, à refouler leur féminité. Et lorsqu’elles osent monter sur une scène,
sifflets et insultes pleuvent. Nicole Paquin arrête sa carrière après le festival de rock du Palais
des Sports de novembre 1961 en disant que
c’est vraiment trop difficile pour une fille et les
débuts scéniques de Sylvie Vartan sont souvent orageux. En tournée avec elle, Johnny
Hallyday doit parfois intervenir pour imposer le
respect au public.
E
CHANSON FÉMININE
L’adolescente du début des années 60 n’a pas
une meilleure place dans les bandes de blousons noirs, où elle n’est respectée que comme
poule d’un mec à qui elle doit obéir au claquement de doigt. Sinon, elle tente de se conduire
comme un homme, à l’image du personnage féminin de la bande des Jets dans le film « West
Side Story ». Un jeu où elle part perdante. Tout
change à l’arrivée de la civilisation yéyé. Les artistes de cette génération et les personnages
présentés dans leurs chansons ne sont plus
sauvages, brutaux, libidineux et méprisants
avec les filles mais gentils et sensibles. Les garçons ne sont plus des bêtes, en conséquence,
elle n’est plus une proie. D’un autre côté, l’évolution du monde du travail, la montée du secteur
tertiaire et la simplification des tâches ménagères encouragent les jeunes filles à travailler.
Ce qui les sort d’une situation de dépendance
complète envers leur mari. Salut Les Copains,
très lu par la gente féminine d’où le lancement
Sylvie Vartan
de sa petite sœur, Mademoiselle Age Tendre, à
l’automne 1964, appuie fortement ces évolutions qui tendent à des relations égalitaires
entre garçons et filles et le courant yéyé leur
donne largement la parole. Les chanteurs de ce
style sont bien moins novateurs que les chanteuses. Leur message est conventionnel, leur
musique souvent adaptée des succès angloaméricains, alors que les filles, qui réussissent
le mieux, utilisent largement du matériel original
fait pour elles et délivrent des thèmes bien plus
personnels, en phase avec les évolutions fondamentales du moment. Le genre yéyé français
leur doit beaucoup, presque tout. Avec elles,
apparaît un nouveau type d’artiste féminine. La
chanson est un bon baromètre de leur condition. Elle l’exprime, la reflète mais aussi influence les comportements, les codifie, stimule les
évolutions. La gouailleuse des années 1900 est
souvent une fille qui a de l’humour, qui se défend, comme on le dit des prostituées. La chanteuse de caf’conc’, de beuglant, est au fond
assez proche de ces dernières, en tant que personnage de scène. Elle n’hésite pas à donner
dans le répertoire pimenté destiné à un auditoire adulte, averti, plutôt masculin.
Dans les années 30, elle perd son image provocante quand, avec la radio, elle s’adresse à un
public bien plus large, mais aussi plus populaire, plus familial, moins aisé, moins libéré. C’est
la grande époque des artistes réalistes, Edith
Piaf en tête, qui décrivent une femme amoureuse, abandonnée, éplorée. Ces morceaux tragiques traduisent sa dépendance envers le
mâle. Si l’amour est si essentiel, c’est que si son
homme ne l’aime plus, la femme n’existe plus.
Dite en termes dramatiques dans les chansons,
cette situation n’en reflète pas moins une cruelle vérité. En ces temps, socialement pas si lointains, l’épouse ne vit que par son mari. Elle n’a
d’ailleurs pas le droit de vote. Avec les années
50, cela prend un tour moins mélo. Line Renaud, Maria Candido ou Dalida créent un climat
enchanté et décrivent la relation amoureuse
comme un rêve réalisé, la rencontre du prince
charmant. La relation de couple semble plus
égalitaire mais la femme demeure dépendante
de l’amour. Ainsi, les chanteuses à textes, autre grande nouveauté de la décennie, Juliette Gréco, Catherine Sauvage, même Barbara à ses débuts, qui fréquentent pourtant des milieux intellectuels, anticonformistes, ne sont que
des interprètes au service
d’auteurs-compositeurs
masculins. Vers le milieu
des années 50, on peut voir
des signes avant-coureurs
d’émancipation féminine
au cinéma avec Brigitte
Bardot et dans la littérature
avec les très jeunes romancières Françoise Sagan et
Françoise Mallet-Joris, mais
les chanteuses restent bien
sages. Le terrain n’est vraiment pas préparé et il n’est
pas étonnant que les premières rockeuses se soient
brisées les ailes. Hédika,
Nicole Paquin, Jackie
Seven, Gillian Hills sont
vraiment trop décalées par
rapport à ce qu’on attend
d’elles. Seule Sylvie Vartan
tire son épingle du jeu. Tout change après 1962
quand le rock cède la place au yéyé. Les filles
peuvent alors exprimer leurs sentiments, leur
personnalité, une autre vision du monde.
LE SON SALLES DE BAINS
Pour dénigrer une jeune interprète, les mauvaises langues disent alors qu’elle chante dans
sa salle de bains et qu’un producteur passant
par hasard l’a entendue et engagée. On peut retourner ce propos, mal intentionné et stupide, en
une image finalement belle et juste. La salle de
bains est alors l’élément basique de la modernité. Seulement 30 % des Français en ont une. Et il
est bien connu que la jeune fille y passe beaucoup plus de temps que le reste de la famille. Et
qu’y fait-elle ? Elle construit sa personne, en se
regardant dans le miroir, crayon de maquillage
en mains, en choisissant ses habits. Et qui peutelle emmener avec elle dans cette pièce intime ?
Son meilleur ami ! C’est-à-dire son transistor. Et
effectivement, elle peut aussi fredonner, seule,
face à elle-même, dire sur un petit air facile tout
ce qui lui passe par la tête ou plutôt dans le
cœur, la chagrine ou la réjouit. C’est tout l’art du
mouvement yéyé. Chanter tout haut ce que les
autres ressentent tout bas. Mais le dire tout naturellement. Enlever toute forme littéraire et ne
laisser que le sentiment tout simple, le vrai, le
sincère. On demande à l’artiste yéyé de sonner
vrai, d’exprimer une émotion vraiment ressentie.
Et pour cela, il faut éviter toute surcharge. C’est
à ce prix qu’on a l’impression d’entrer dans son
intimité, de partager sa salle de bains ! La jeune
fille des années 60 devient une personne à part
entière. Elle travaille, elle conduit comme Sheila
une R4. En l’occurrence, elle fait aussi vendre
des voitures. Elle peut parler d’égal à égal avec
les garçons. Et ce n’est qu’un début, ces derniers n’ont encore rien vu. ■
BRIGITTE BARDOT
Brigitte Bardot (LP Philips 77914, 1963) :
L’Appareil A Sous/ Les Amis De La Musique/ El
Cuchipe/ Je Me Donne A Qui Me Plaît/ Invitango/ C’Est Rigolo/ La Madrague/ Pas Davantage/ Everybody Loves My Baby/ Rose D’Eau/
Noir Et Blanc/ Faite Pour Dormir.
Brigitte Bardot n’est pas restée
célèbre dans l’histoire comme une artiste
Eyéyé.videmment,
Ce n’est pas son premier métier. Chanter
n’est qu’accessoire pour elle. Elle n’apparaît
dans aucun dictionnaire du genre. On a cependant bien tort de négliger les apports des gens
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