Le ganglion sentinelle en routine dans les cancers du sein

Transcription

Le ganglion sentinelle en routine dans les cancers du sein
Le ganglion sentinelle en routine dans les
cancers du sein. Expérience de l’Institut
Curie (Routine sentinel node detection in
breast cancer. Experience of the Institut
Curie)
C. Nos, S. Delahaye, M. Benamor, A. Vincent-Salomon,
C. El Khoury, V. Doridot, K. B. Clough et le groupe Sein
de l’institut Curie
Résumé
Depuis janvier 2000, la technique du ganglion sentinelle (GS) est devenue une activité de routine à l’Institut Curie, pratiquée par une équipe multidisciplinaire comprenant des chirurgiens, des médecins nucléaires, des radiologues et pathologistes
entraînés. Sur une période de trois ans, 738 patientes consécutives ont bénéficié de
cette technique dans le cadre d’un traitement conservateur d’un cancer du sein de
petite taille. Nos recommandations spécifiques pour la procédure du GS était la pratique systématique des diagnostics pré-opératoires par cytoponction ou biopsie, le
choix d’un site d’injection des traceurs toujours péritumoral, un prélèvement chirurgical premier du GS en vue d’un examen extemporané par coupe congelé et
enfin l’application de critères précis pour décider d’une ré-intervention chirurgicale. Cet article est une évaluation des pratiques d’un centre spécialisé et permet de
dégager les points forts et les points faibles de la procédure.
Mots-clés : cancer du sein, ganglion sentinelle, lympho-scintigraphie mammaire,
micro-métastase.
Abstract
Since January 2000, sentinel lymph node detection is routinely performed at the
Institut Curie, involving a multidisciplinary team of trained surgeons, nuclear
medicine physicians, radiologists and pathologists. Thus during a three-year period,
739 patients undergoing tumorectomy with conservative surgical treatment of the
breast were included in the sentinel node procedure consisting of systematic preoperative tumor biopsies, peritumoral lymph tracer injections, primary surgical
removal of the first sentinel lymph node followed by sentinel lymph node biopsy
using a standardized pathological analysis and finally the application of precise criteria to determine whether further surgery is necessary. This article is an evaluation
346 Cancer du sein
of the sentinel lymph node technique used and provides a breakdown of the strong
points and weak points of the procedure.
Key words : Breast cancer, sentinel lymph node, breast lymphoscintigraphy, micrometastasis.
Introduction
Depuis maintenant dix ans, l’individualisation du ganglion sentinelle (GS) comme
alternative au curage axillaire représente une avancée majeure dans la prise en
charge du cancer du sein (1-3). Les nombreuses publications sur le sujet, ainsi que
les résultats des études prospectives, ont permis d’aboutir à un consensus international en 2001 (4) et français en 2003 (5).
Cette technique a imposé un changement de concept majeur dans la prise en
charge chirurgicale des cancers du sein, notamment par le développement de la
médecine nucléaire et des techniques spécifiques d’examen anatomo-pathologique.
La chirurgie du cancer du sein est, de par cette technique, devenue véritablement
multidisciplinaire. A l’Institut Curie, nous avons développé l’apprentissage chirurgical de cette technique depuis 1996 (6) et celle-ci a commencé a être pratiquée en
routine à partir de janvier 2000. Nous donnons ici les résultats de trois années d’expérience (2000, 2001, 2002) du GS en routine, en développant particulièrement les
conséquences des spécificités de cette technique, notamment la recommandation de
diagnostic systématique pré-opératoire de cancer du sein invasif avant la pratique
d’un GS et la nécessité de ré-intervention systématique par curage en cas de GS
positif (5).
Matériel et méthode
Entre janvier 2000 et décembre 2002, la recherche du GS pour cancer du sein a été
effectuée selon une procédure définie. 8 chirurgiens ayant préalablement réalisé une
phase d’apprentissage comprenant un minimum de 30 patientes opérées ont participé à cette étude.
L’indication retenue était les patientes présentant un cancer du sein infiltrant,
unifocal, dont la taille estimée de la composante infiltrante était inférieure à 15 mm
et sans atteinte ganglionnaire clinique. La taille des tumeurs était estimée cliniquement et échographiquement.
La procédure recommandée pour la pratique du GS prévoyait de connaître
avant l’intervention le diagnostic de carcinome par la pratique de cytologie, microbiopsie ou macro-biopsie (Mammotome®). Le but était d’éviter autant que possible
d’avoir recours à l’examen histologique extemporané diagnostique sur la pièce de
tumorectomie.
La technique de repérage du GS utilisait toujours un site d’injection péritumoral. Mais nous utilisons trois types de protocole : la technique du bleu patenté
seul, le bleu associé à l’injection d’isotope, et une technique ajoutant à la précédente
la réalisation d’une scintigraphie.
Le ganglion sentinelle en routine dans les cancers du sein…347
La technique au bleu seul était indiquée pour les patientes non obèses, avec une
poitrine de volume petit ou moyen et présentant une tumeur en place de localisation plutôt externe (7). Dans cette technique, la coloration bleue devait pouvoir être
vérifiée par le médecin pathologiste (8). Dans les techniques combinées utilisant les
isotopes, la scintigraphie était pratiquée de préférence pour les tumeurs des quadrants internes et pour les patientes obèses, en raison d’une difficulté prévisible
pour la localisation de GS axillaire (9).
Dans la technique isotopique, les injections péri-tumorales de nanocolloïdes
étaient pratiquées à l’aide de deux seringues contenant chacune 40 MBq (1,1 mCi)
dans un petit volume de 0,2 ml et réalisées aux pôles interne et externe de la tumeur,
au niveau équatorial. En cas de tumeur infraclinique, les injections péri-tumorales
étaient pratiquées sous échographie ou sous mammographie stéréotaxique, dans
l’unité de sénologie interventionnelle autorisée à détenir des radio-éléments artificiels.
Lorsque la lympho-scintigraphie mammaire était réalisée, l’enregistrement
débutait une heure après l’injection et comprenait deux incidences, acquises en
mode statique, face antérieure avec bras en abduction à 90° (position chirurgicale)
et profil bras levé. Les images scintigraphiques obtenues permettaient la visualisation du drainage lymphatique tumoral (cartographie lymphatique) et le repérage à
la peau du (ou des) GS (premier point chaud à proximité de la tumeur), en position
axillaire le plus souvent, ou parfois extra-axillaire (mammaire interne). Si aucun
ganglion n’était vu, une nouvelle série d’images était enregistrée deux heures après
l’injection.
L’intervention chirurgicale était programmée le lendemain, soit dix-huit heures
après l’injection d’isotope. Dans les cas où la chirurgie était pratiquée le jour même
(soit deux heures après l’injection), la dose était réduite de moitié (soit deux fois 20
MBq (0,5 mCi).
Pour toutes les patientes, le protocole chirurgical consistait en l’injection de 1 à
4 cc de Bleu Patenté V Guerbet® en péri-tumoral. L’intervention débutait par
l’abord premier du creux axillaire et le prélèvement du GS chaque fois que le diagnostic pré-opératoire de néoplasie était connu. Les GS ont été soumis à un examen
extemporané par coupe congelée à partir de 2001. En cas de positivité de l’examen
extemporané ou en cas d’échec de mise en évidence du GS, un curage complémentaire des niveaux I et II de Berg était réalisé dans le même temps opératoire.
Chaque GS prélevé a fait l’objet d’un examen histologique complet selon une
technique spécifique, utilisée en routine dans notre centre (10). La recherche de
micro-métastases était effectuée par coupes sériées à 150 µm d’intervalle colorées en
HES, puis par coloration immuno-histochimique (IHC). En cas de positivité du GS
(micro-métatases HES ou micro-métastases IHC), un curage axillaire était systématiquement proposé. De même, les patientes dont l’exérèse tumorale était incomplète
ont été réopérées.
348 Cancer du sein
Résultats
738 patientes ont été opérées en trois ans avec une croissance exponentielle du
nombre des indications (tableau 1). L’âge moyen des patientes était de 58 ans
(extrêmes 27-97 ans). Pour 4 % des patientes, il s’agissait d’un cancer bilatéral et,
parmi les 96 % des patientes présentant un cancer unilatéral, 9 % avaient un antécédent de cancer du sein controlatéral traité antérieurement.
Sur l’ensemble des patientes, 22 % étaient réglées, 41 % étaient ménopausées
avec traitement hormonal substitutif, et 37 % étaient ménopausées sans traitement
hormonal.
Tableau 1 - Descriptif des techniques d’identification du GS de 2000 à 2002.
B : bleu seul, I+B : isotope + bleu, I+S+B : isotope avec scintigraphie + bleu.
Nombre de patientes
Technique
d’identification
B/I+B/I+S+B (%)
Identification
du GS (%)
Nombre moyen
de GS prélevé
2000
2001
2002
116
249
373
34/38/28
28/33/29
50/8/42
94,9 %
96 %
96,%
2,1
2,07
1,99
Diagnostic pré-opératoire (tableau 2)
Tableau 2 - Influence des résultats du diagnostic pré-opératoire sur le déroulement de la
procédure.
n
Chirurgie débutant par le prélèvement du GS
Cytologie de la tumeur +
Micro-biopsie de la tumeur +
Cytologie et micro-biopsie de la tumeur * +
Macro-biopsie (Mammotome®)de la tumeur +
Tumorectomie diagnostique antérieure **
Chirurgie débutant par extemporané de la tumeur
Cytologie et/ou micro-biopsie de la tumeur ambiguë
Pas de diagnostic pré-opératoire de la tumeur**
Total
* Cytologie et micro-biopsie faites en même temps.
** Procédure GS faite en dehors de la procédure pré-établie à l’Institut Curie.
(%)
591 (80,1)
274 (37,1)
145 (19,6)
125
(17)
36
(4,9)
11
(1,5)
147 (19,9)
121 (16,4)
26
(3,5)
738 (100)
Le ganglion sentinelle en routine dans les cancers du sein…349
Dans 80 % des cas, la chirurgie a débuté par le prélèvement du GS, comme prévu
dans notre protocole, et dans 20 % des cas la chirurgie a dû débuter par une tumorectomie à visée diagnostique. L’examen extemporané diagnostique de la tumeur a
été fait, soit parce que le diagnostic pré-opératoire n’avait pas été proposé, soit parce
que les résultats des diagnostics pré-opératoires étaient suspects ou non interprétables.
Identification du GS
Dans notre série, le GS n’a pas été identifié dans 4 % des cas, soit 30 patientes
(tableau 3). Nous n’avons pas pu mettre en évidence de différence significative entre
les trois méthodes utilisées pour l’identification du GS (p = 0,6). Sur ces 30 échecs
d’identification, 14 patientes avaient eu une identification au bleu seul, 7 patientes
au bleu associé aux isotopes et 9 patientes avec la technique scintigraphique.
Le GS a été identifié dans 96 % des cas, soit 708 patientes. 2 GS en moyenne ont
été prélevés et analysés par patiente. Pour la technique au bleu seul (296 patientes),
un contrôle de qualité de la couleur du GS transmis à l’anatomo-pathologiste a été
réalisé dans 100 % des cas, 90% des ganglions analysés étaient bien bleus.
Tableau 3 - Résultats des GS et du curage axillaire.
(%)
GS non identifié
GS identifié
indemne
métastatique
micro-métastatique HES
micro-métastatique IHC
n
Curage positif*
Curage axillaire
non fait
4 % (30/739)
76 % (23/30)
0
69% (489/708)
16% (115/708)
9 % (60/708)
6 % (44/708)
37 % (41/112)
8 % (4/50)
5 % (2 /38)
489
3
10
6
* Présence d’au moins un ganglion métastatique dans les ganglions du curage.
Examen anatomo-pathologique du GS
Examen extemporané
409 patientes, soit 58 % des patientes pour lesquelles le GS a pu être identifié, ont
eu un examen extemporané du GS par une coupe congelée. Dans 15 % des cas (61
patientes), l’examen extemporané a conclu à un envahissement métastatique du GS
et le curage axillaire a été réalisé dans le même temps opératoire.
Pour 348 patientes, soit 85 % des examens extemporanés, l’analyse extemporanée était négative. Parmi ces 348 patientes, 16 avaient en réalité un envahissement
métastatique du GS, ce qui donne une sensibilité de l’examen extemporané par
coupe congelée pour la recherche de macro-métastases de 79 %.
350 Cancer du sein
Cependant, pour 67 autres patientes dont l’examen extemporané était négatif,
l’analyse définitive du GS par coupes sériées et immuno-histochimie a permis
d’identifier des micro-métastases, ce qui porte à 43 % la sensibilité de l’examen
extemporané macro- et micro-métastases comprises.
Examen définitif
Au total (tableau 3), le GS était le siège d’un envahissement métastatique dans 16 %
des cas, 9 % étaient micro-métastatiques en HES, 6 % étaient micro-métastatiques
en IHC et 69 % des GS étaient strictement indemnes.
La tumorectomie
Un traitement conservateur du sein par tumorectomie a pu être réalisé chez 730
patientes (99 %) en association avec l’individualisation du GS.
L’information sur la taille clinique initiale a pu être obtenue chez 613 patientes.
566 patientes (92 %) présentaient une tumeur classée T1, dont 159 (26 %) étaient
non palpables. 47 patientes (8 %) présentaient une lésion classée T2. L’information
sur la taille échographique des tumeurs a été obtenue chez 567 patientes et la taille
moyenne était de 10,3 mm (de 3 à 25 mm). Toutes les patientes étaient classées N0,
mais 14,5 % présentaient un ganglion palpable dans l’aisselle jugé réactionnel à la
ponction pré-opératoire diagnostique. Les résultats anatomo-pathologiques de la
pièce opératoire ont confirmé le caractère infiltrant de la tumeur chez 728 patientes,
soit 98,6 % des cas. Pour 9 patientes (1,2 % des cas), l’analyse histologique a mis en
évidence un carcinome intracanalaire strict. Enfin, pour 1 patiente (0,2 % des cas),
l’analyse histologique de la lésion était bénigne. Cette patiente présentait une
tumeur infraclinique dont la cytologie concluait à un adénocarcinome. Il s’agissait
d’un faux-positif d’un diagnostic pré-opératoire cytologique qui s’est avéré être une
lésion d’adénose sclérosante de 5 mm de diamètre. Les informations sur l’histologie
des 738 tumeurs figurent dans le tableau 4.
Taux de ré-intervention
152 patientes, soit 20,5 % ont du être réopérées.
Pour 98 patientes (13,2 %), la ré-intervention a consisté en un curage axillaire
pour GS positif. Les résultats du curage en fonction des caractéristiques du GS sont
répertoriés dans le tableau 3.
25 patientes, soit 3,3 %, ont été réopérées pour une reprise au large des berges
de tumorectomie qui étaient atteintes.
Pour 29 patientes, soit 4 %, la ré-intervention consistait à la fois en un curage
axillaire et en une reprise de tumorectomie.
Au total, 127 patientes (17,2 %) ont donc été réopérées par curage axillaire, mais
19 autres patientes qui présentaient aussi un GS positif n’ont pas été réopérées pour
des raisons diverses. Les caractéristiques de ces patientes sont reportées dans le
tableau 5.
Le ganglion sentinelle en routine dans les cancers du sein…351
Tableau 4 - Caractéristiques des tumeurs.
Histologie de la tumeur
Canalaire infiltrant
Lobulaire infiltrant
Autres infiltrant
CIC strict
Bénin
569 patientes
120 patientes
39 patientes
9 patientes
1 patiente
77,1 %
16,2 %
5,3 %
1,2 %
0, 1 %
Taille histologique de la
composante invasive (n= 728)
12,3 mm +/- 0,21 (0-39 mm)
Grade histo-pronostique
EE (n = 728)
I
II
III
Impossible à déterminer
Non évalué
Présence d’emboles vasculaires
péri-tumoraux (n = 728)
Oui
Non
Non précisé
17 %
70 %
13 %
Récepteurs hormonaux (n = 728)
Positif
Négatif
Non dosés
86 %
9%
5%
54,3 %
34,8 %
10,2 %
3,3 %
0,7 %
54 patientes, soit 7,3 %, ont été réopérées pour berges atteintes, dont 20 ont dû
avoir une mammectomie.
Dans cette série, où le recul moyen est de dix-huit mois, aucun cas de récidive
locale axillaire n’a été colligée à ce jour.
Tableau 5 - Caractéristiques des 19 patientes avec un GS positif (métastatique ou micrométastatique) qui n’ont pas eu de curage axillaire.
Résultat
du GS
1
Métastase
2
"
3
"
4 Micrométastase
5
"
6
"
7
"
8
"
9
"
10
"
11
"
12
"
13
"
14
"
15
"
16
"
17
"
18
"
19
"
Âge
N°
de GS
prélevé
Raison de
l’absence
de curage
Irradiation
axillaire
81
88
64
77
55
47
78
54
50
72
76
84
73
70
71
63
52
62
75
2
5
5
3
2
2
1
2
2
4
4
3
1
3
3
1
2
3
1
âge
âge
refus de la patiente
âge
antécédent de CA controlatéral
profession : violoniste
âge
profession : danseuse
antécédent de CA controlatéral
antécédent de CA controlatéral
âge
âge
antécédent de CA controlatéral
non proposé par le chirurgien
antécédent de CA controlatéral
non proposé par le chirurgien
carcinome adénoïde kystique
état général altéré
âge
oui
oui
-
Chimioth/
Hormonoth
oui
oui
oui
oui
-
352 Cancer du sein
Discussion
La pratique du GS en « routine » à l’Institut Curie a entraîné de profondes modifications dans la prise en charge des patientes consultant pour une petite tumeur du
sein. Nous sommes passés d’une situation où la chirurgie était standardisée, avec des
curages axillaires programmés et une hospitalisation d’une durée moyenne de
quatre jours à une situation différente : les patientes ont quasi systématiquement
avant l’intervention un geste programmé au plateau de radiologie interventionnelle
(ponctions diverses, repérage tumoral, injection d’isotope) et sortent généralement
dès le lendemain de l’opération. L’équipe médicale multidisciplinaire s’est adaptée
progressivement à cette nouvelle technique, mais sans réflexion approfondie. Le GS
étant une technique non évaluée à long terme, il nous a semblé nécessaire de la pratiquer dans les meilleures conditions possibles décrites dans la littérature pour
éviter au maximum les risques de récidives axillaires (4, 11). Pour cette raison, nous
avons choisi de faire pratiquer une courbe d’apprentissage aux chirurgiens avant de
les autoriser à pratiquer cette technique (5, 12). De même, le site d’injection est toujours péri-tumoral car les injections péri-aréolaires n’ont pas été validées dans de
grandes séries.
Dans un but de reproductibilité des résultats, nous essayons de standardiser nos
pratiques à tous les niveaux, et cet article a un but d’évaluation des points forts et
des points faibles de la prise en charge. Trois points de discussions apparaissent :
– faut-il faire systématiquement des prélèvements pré-opératoires ?
– faut-il faire systématiquement des recherches du GS avec une méthode combinée ?
– et, enfin, le point le plus important, comment limiter le risque de ré-intervention ?
Le diagnostic pré-opératoire
Le diagnostic pré-opératoire de carcinome infiltrant apporte de grands bénéfices à
l’organisation de la chirurgie. Cette notion fait d’ailleurs l’objet de la recommandation n° 6 pour la pratique du GS où il est stipulé que l’on doit avoir obtenu une
preuve histologique de cancer du sein invasif avant une biopsie de GS (5).
L’argument majeur pour cette pratique est le gain de temps obtenu lorsque l’intervention commence par le prélèvement du GS. En effet, le GS est confié à l’extemporané pendant que le chirurgien effectue la tumorectomie. Cette diminution du
temps opératoire par rapport à une tumorectomie première sous extemporané diagnostique, suivi d’un prélèvement du GS qui est lui-même examiné sous extemporané est considérable.
Le deuxième argument en faveur du diagnostic pré-opératoire est que la
recherche du GS est gênée par la tumorectomie, qu’elle soit antérieure de plusieurs
jours à la recherche du GS ou qu’il s’agisse d’une tumorectomie sous extemporané.
En effet, si la tumeur est en place, les taux d’identification du GS avec utilisation du
site d’injection péri-tumoral sont meilleurs, que l’on utilise le bleu seul ou le bleu
avec isotopes (7, 13).
Le ganglion sentinelle en routine dans les cancers du sein…353
Les autres arguments en faveur des prélèvements à visée diagnostique pré-opératoires sont : une information plus facile délivrée aux patientes concernant le déroulement de l’intervention, les projets thérapeutiques et, surtout, la possibilité de sélectionner en pré-opératoire des patientes ne présentant pas d’indication au GS.
Notre attitude systématique de diagnostic pré-opératoire a abouti à opérer des
cancers dans plus de 99 % des cas, puisque seule une patiente présentant une lésion
bénigne a été opérée avec un GS. Ce cas unique ne pose pas à nouveau la question
de l’examen extemporané systématique de la tumeur. En effet, la morbidité engendrée par le prélèvement d’un GS est jugée nettement inférieure à celle d’un curage,
comme le montrent les séries publiées (14, 15), mais les séquelles fonctionnelles au
niveau de l’aisselle opérée existent néanmoins pour des cas individuels.
Dans cette série également, 9 patientes (1 %) présentant un carcinome intracanalaire strict ont eu un prélèvement de GS par excès. Ce taux nous semble difficile
à améliorer puisque le diagnostic histologique pré-opératoire n’est pas toujours
possible et que les diagnostics cytologiques seuls ont été réalisés sur les tumeurs de
moins de 7 mm.
Enfin, certains étudient actuellement l’intérêt d’une stadification ganglionnaire
par GS en cas de carcinome intracanalaire (16).
La méthode d’identification
La faisabilité de la technique n’est plus à démontrer, et beaucoup d’équipes publient
des taux d’identification du GS en routine proche de 100 % (15, 17). Avec 96 %
d’identification, l’expérience de l’Institut Curie va dans ce sens. Ces bons résultats
sont obtenus avant tout grâce à la pratique de la technique réservée aux chirurgiens
entraînés (12). Cependant, nos méthodes d’identification sont diverses. Nous avons
introduit depuis trois ans la technique scintigraphique pour la mise en évidence du
GS, technique que nous réservons essentiellement aux tumeurs des quadrants
internes et aux patientes en excès pondéral (9, 13). C’est probablement ce choix
préalable en fonction des quadrants qui ne permet pas, sur l’ensemble des données
dont nous disposons pour cette série, de mettre en évidence une technique significativement plus fiable pour l’identification du GS. Si on analyse plus précisément les
30 cas d’échec d’identification du GS, on retrouve que 47 % des échecs avaient eu
une identification au bleu seul contre 23 % pour la technique bleu et isotope, et
30 % avec la scintigraphie. Ces chiffres sont bien en faveur d’un gain d’identification en cas de multiplicité des techniques, idée largement développée récemment
dans la littérature (17, 18).
À noter que le chiffre de GS prélevé est stable, année après année (tableau 1), et
que la tendance actuelle est de toujours rechercher un deuxième GS quand un premier a été détecté, car l’analyse de plus d’un GS est un facteur permettant de diminuer le risque de faux négatifs (19).
354 Cancer du sein
Les ré-interventions
La recommandation n° 11 pour la pratique du GS stipule que, dans tous les cas de
GS positifs, quelle que soit la taille de la micro-métastase, il faut pratiquer un curage
axillaire (5). Mais, les ré-interventions pour curage axillaire constituent le principal
défaut de cette technique. Elles ont concerné 17,2 % des patientes de cette série.
Pour ces patientes ré-opérées, la technique du GS ne représente pas une avancée thérapeutique, d’autant plus qu’un curage réalisé quinze jours après un GS est potentiellement source de séquelles fonctionnelles.
Pour diminuer ce taux de ré-interventions, il faut améliorer nos performances
pour le diagnostic extemporané de positivité du GS. Le diagnostic par coupe
congelée semble être spécifique et l’objectif de diagnostiquer toutes les macro-métastases des GS devrait être possible. Cependant, dans notre série, la sensibilité de
l’examen extemporané n’est que de 78 % pour les macro-métastases. Ceci est probablement lié au fait que seul le GS le plus suspect macroscopiquement était analysé
en extemporané quand plusieurs GS étaient prélevés.
Pour le diagnostic extemporané des micro-métastases, l’amélioration importante de la sensibilité de la coupe congelée semble difficile. Une voie de recherche
possible serait la pratique des appositions et des colorations spécifiques, surtout si
le prélèvement est ciblé sur la partie du GS recevant le lymphatique coloré afférent
(20).
L’amélioration du taux de ré-intervention passe aussi par l’obtention de berges
saines, puisque 7,3 % des patientes ont été ré-opérées pour berges atteintes à l’histologie. Ce taux est faible, mais il est pourrait être encore abaissé par la pratique
d’un examen extemporané sur les berges tumorales, technique à l’étude.
L’analyse per-opératoire du GS a permis aussi, en cas de positivité, de limiter les
délais pour les traitements postopératoires (chimiothérapie et radiothérapie) qui
ont pu être programmés dès le lendemain de l’intervention.
Enfin, 19 patientes n’ont pas été ré-opérées. L’analyse des caractéristiques des 19
patientes qui, malgré leur GS positif, n’ont pas été ré-opérées souligne encore plus
le problème que posent les ré-interventions (tableau 5). La possibilité de ré-intervention doit être clairement expliquée aux patientes dès la première consultation. Il
est certainement trop tôt pour proposer une alternative thérapeutique (irradiation
axillaire, abstention) en dehors d’un essai thérapeutique. Ces essais sont en cours ;
l’essai EORTC AMAROS compare l’irradiation axillaire au curage axillaire (21), et
l’essai américain ACOSOG 001 compare le curage axillaire à l’abstention thérapeutique après GS positif (22).
Conclusion
Notre évaluation de trois ans de pratique du GS « en routine » a mis en exergue les
points forts et faibles de notre pratique. La diagnostic systématique pré-opératoire
a permis de sélectionner des patientes présentant de véritables petites néoplasies
infiltrantes dans quasiment tous les cas. Le site d’injection péri-tumoral a été toujours respecté, même pour les tumeurs infracliniques. Cette technique a a priori
Le ganglion sentinelle en routine dans les cancers du sein…355
rendu service aux trois quarts des patientes qui avaient soit un GS indemne, soit un
GS positif à l’examen extemporané. Pour les autres, cette technique n’a pas apporté
de bénéfice puisqu’elle a soit échoué, soit surtout a été la cause d’une ré-intervention. Ces chiffres seront certainement améliorés au fil des années, notamment
quand le pronostic des patientes présentant un GS micro-métastatique aura été clarifié. Cependant, la technique du GS dans le cancer du sein n’est à ce jour pas encore
validée et les grands essais randomisés (ALMANAC en Angleterre (23), NSABP 32
aux États-Unis (24), GFGS 01 en France) devront permettre d’affirmer si les
patientes opérées par cette technique du GS n’ont pas de préjudice carcinologique
à long terme.
Remerciements
Les auteurs remercient Marie-Christine Falcou pour les analyses statistiques. Les
chirurgiens qui ont participé à cette étude sont les Drs Krishna Clough, Virginie
Doridot, Jean-Noël Guglielmina, Jean-Pierre Hamelin, Denis Heitz, Vincent de
Margerie, Claude Nos et Rémy Salmon.
Références
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