Les firmes multinationales : évolutions - Maison franco
Transcription
Les firmes multinationales : évolutions - Maison franco
Les firmes multinationales : évolutions structurelles et stratégies face à la mondialisation Michel Delapierre, Chargé de recherches CNRS FORUM/CEREM, Université de Paris-X, URA CNRS 1700 Avec la globalisation les firmes sont entrées dans un monde turbulent, marqué par une forte incertitude. La déréglementation, l'internationalisation et l'accélération du rythme des innovations ont conduit au démantèlement de nombreuses barrières à l'entrée. La concurrence dans la plupart des industries s'est exacerbée du fait de la multiplication de nouveaux arrivants en provenance de l'étranger, par la multinationalisation ou venant d'autres secteurs en s'appuyant sur des technologies ou des produits nouveaux. Dans leur mouvement de globalisation les industries mondiales sont entrées dans un processus de déstructuration et de recomposition de leurs modes d'organisation et de fonctionnement. Les modalités de la concurrence, les types de barrières à l'entrée, mais aussi les formes d'organisation des firmes, des industries et des systèmes productifs nationaux se transforment. L'accroissement de la complexité qui caractérise la globalisation se traduit par une augmentation de la densité des relations qui sont tissées entre les activités. On constate alors la conjonction de deux tendances. On observe, en premier lieu, l'intégration croissante des fonctions qui assure le renforcement de la cohésion d'activités autrefois spécialisées : au sein des firmes la R&D, la production et la commercialisation sont organisées en ensembles étroitement imbriqués afin d'améliorer le suivi de la demande et de réduire les temps d'accès au marché. On assiste, en second lieu, à un net mouvement de décentralisation et d'autonomisation des unités intégrées, dans des firmes structurées en réseau. La densification des interrelations déborde même du cadre de l'entreprise et s'étend à la structuration des industries qui apparaissent, à leur tour, comme des réseaux de firmes interdépendantes. 1. Les firmes multinationales face à la mondialisation Les deux principaux effets de la globalisation sur l'environnement des firmes sont l'internationalisation des activités et l'accentuation du rôle et du rythme des innovations. Elles se traduisent, d'une part, par la multiplication du nombre des concurrents, d'autre part, par la diversification des modes de la concurrence. 1.1. L'augmentation du nombre des concurrents. La multiplication des concurrents découle tout à la fois de l'accentuation du mouvement de multinationalisation des firmes et de l'apparition de firmes innovantes. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.1 L'accentuation de la multinationalisation Pendant la période des crises des années soixante-dix les investissements directs à l'étranger ont connu une forte croissance qui s'est interrompue dans la première moitié des années quatre-vingt, avant de reprendre de manière très vigoureuse à partir de 19851 . Tableau 1 : répartition des flux d'investissements directs selon les zones d'implantation part du total des flux 70-79 80-85 86-90 91-93 Total monde 100 100 100 100 Pays en développement 25 17 21 31,5 -dont Asie de l'est, du 6 9 9 18,8 sud et du sud est croissance annuelle 70-79 80-85 86-90 91-93 16 -1 24 5,6 21 4 22 56,3 16 7 28 33,6 Source : World investment report 1992. transnational corporations as engines of growth, UNCTC 1992, ST/CTC/130. P.23 et World investment report 1995, Transnational corporations and competitiveness, 1995 UNCTAD/DTCI/26, p.52. Une des caractéristiques du mouvement accru de multinationalisation est sa polarisation sur les pays de la Triade : l'Amérique du Nord, l'Europe et le Japon. L'entrecroisement des flux rompt avec la distinction antérieure des pays en pays exportateurs d'investissements et pays récepteurs d'investissements. Les entrées de capitaux aux Etats-Unis ont été multipliés par 7,5 entre 1975 et 1986 et le pays est devenu, au cours de cette période, un importateur net de capitaux. Corolairement, la part des firmes américaines dans les investissements directs à l'étrangers mondiaux est passée de plus de la moitié au quart, l'Europe et le Japon apparaissant comme les investisseurs internationaux les plus dynamiques2.La conséquence, pour les firmes, est l'accroissement du nombre des concurrents auxquels elles ont à faire face sur leur marché d'origine et sur leurs marchés d'implantation. Dans le même temps la diffusion rapide des produits et des procédés de fabrication, le développement de moyens de circulation des marchandises à l'échelle mondiale, la mise en place de stratégies d'industrialisation par la remontée des filières industrielles ont permis l'émergence de nouveaux producteurs et donc de nouveaux concurrents, originaires des Nouveaux Pays Industrialisés (NPI). D'une manière générale, la division internationale du travail qui reposait sur une spécialisation des tâches entre les pays, avec une hiérarchisation claire, dominée par les EtatsUnis, et une orientation des flux d'investissement directs, du plus avancé vers les moins développés, s'estompe. La logique de la distribution des activités ne suit plus seulement la donnée du coût des matières premières ou de la main d'oeuvre, mais également celle des sources d'innovations et de la localisation des marchés finaux. De plus, la hiérarchie à l'intérieur des industries globalisées n'est plus le strict reflet de la hiérarchie des systèmes productifs nationaux. La composition selon la nationalité d'origine des pelotons de tête des principales industries mondiales s'est diversifiée, même si seules n'y ont accès que les firmes de la triade. L'accélération du rythme des innovations. 1 Il est difficile d'analyser le dynamisme de la croissance des firmes à l'étranger à partir de la seule donnée des investissements directs tirée des Balances des paiements. Dans la plupart des cas les réinvestissements des profits réalisés sur place ne sont pas pris en compte. Echappent également au recensement les investissements effectués à partir d'emprunts locaux et qui ne donnent donc pas lieu à un transfert international de capitaux. Plus fondamentalement encore, dans une période où se généralisent d'autres formes de croissance des firmes - cf. infra -, les modalités autre que la croissance externe par prise de contrôle sont occultées. 2. UNCTC, Transnational corporations in world development, op. cit. p.74. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.2 La globalisation s'est accompagnée d'une formidable prolifération d'innovations, dans la plupart des domaines, mais principalement dans ceux qui ont de la sorte échappé largement à la crise. L'électronique en fournit un exemple classique : l'électronique grand public avec le développement des produits vidéo ou laser, l'informatique avec les ordinateurs personnels, sans oublier la base des composants avec le formidable développement des semi-conducteurs. L'accélération du rythme des innovations s'est opérée par l'expansion très rapide du phénomène des création d'entreprises nouvelles ("start up"). De nouvelles entités ont été crées, avec le soutien financier du capital risque, dans des domaines non couverts par l'offre des grands groupes. Elles contournent les barrières à l'entrée fondées sur la taille et recherchent des niches relativement étroites qu'elles s'efforcent de développer. Confrontées à la saturation de leurs marchés de masse traditionnels, les grandes firmes multinationales ont été contraintes de rechercher de nouveaux types de débouchés, et donc en particulier d'apprendre à intervenir sur des segments de taille réduite parce que en émergence. Elles ont visé à renouveler leur bases de débouchés par l'introduction de nouveaux produits, les constructeurs automobiles ont ainsi raccourci la durée de vie de leurs modèles ; à susciter de nouvelles demandes en segmentant leur offre, ainsi dans l'habillement où la mode est aujourd'hui structurée selon les tranches d'âge ; à faire face à l'apparition de nouveaux concurrents en développant des procédés de fabrication plus efficaces. Le lancement de nouveaux marchés, les stratégies de renouvellement continu et de segmentation fine de l'offre impose alors le recours à de nouvelles formes d'organisation de la production qui privilégient la variété et la flexibilité. L'apparition rapide de produits et de procédés nouveaux ne conduit pas seulement à une remise en cause permanente des situations acquises sur les marchés traditionnels. Elle provoque l'émergence de nouveaux domaines d'activité, à côté des domaines traditionnels, comme dans l'espace des services. Elle établit également des passerelles entre des industries autrefois distinctes, comme l'électronique grand public et l'informatique. 1.2 La multiplication des formes de la concurrence. La multiplication des formes de la concurrence découle de la rupture du modèle dominant dans les années soixante soixante-dix, principalement fondé sur l'exploitation des effets de taille et reflet de l'organisation de l'industrie américaine. Elle apparaît en premier lieu du fait de l'émergence de firmes globales issues d'autres systèmes productifs nationaux, tout particulièrement du Japon et, en deuxième lieu, de la diversification/complexification des facteurs de compétitivité. La rencontre de firmes issues de systèmes productifs nationaux distincts. La rencontre de firmes issues de systèmes nationaux différents conduit à la confrontation de plusieurs modes de concurrence, reflets des différences dans les modes d'organisation et de fonctionnement de leurs systèmes industriels nationaux. L'application du diamant de l'avantage compétitif des nations élaboré par M. Porter permet de spécifier les facteurs stratégiques privilégiés par les firmes selon leur origine nationale3. Les quatre pointes du diamant concernent : -les conditions des facteurs de production, y compris les infrastructures -les conditions de la demande domestique -les industries de soutien, fournisseurs d'équipements, de services, de produits intermédiaires -les stratégies et la structure des firmes et les conditions de la concurrence entre elles. 3.Porter, M. The competitive advantage of Nations, The Free Press, 1990 Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.3 Les firmes américaines ont traditionnellement bénéficié d'infrastructures de recherche et de développement, dont une large part avec un soutien financier de l'Etat. La R&D des industries manufacturières, en pourcentage de la valeur ajoutée y est la plus importante au monde. Elle passe même de 5,7% en 1971 à 7,6% en 1986, dans la même période le Japon passe de 2,8% à 5,6% et l'Allemagne de 3,4% à 5,2% 4. Elles se sont développées sur un vaste marché intérieur qui les a conduit à favoriser les évolutions en termes d'organisation du travail et de procédés de fabrication fondées sur l'exploitation des effets de taille. Les firmes sont intégrées verticalement avec des réseaux de sous-traitants, ce qui a plutôt conduit à la constitution de groupes relativement spécialisés dont les stratégies privilégient l'innovation et surtout les coûts. Par contraste, les firmes japonaises ont été confrontées à une pénurie du système national de la science et ont donc privilégié les stratégies d'acquisitions des technologies étrangères. Elles ont bénéficié de conditions de demande interne protégée, avec une forte rapidité d'absorption des produits nouveaux et donc une rapide montée en volume des producteurs domestiques. L'organisation industrielle s'appuie sur des groupes horizontaux qui s'efforcent de maximiser les gains de spécialisation et de coordination, avec des stratégies axées sur la qualité et le service. De plus, la concurrence entre groupes horizontaux les a conduit à s'engager dans les mêmes activités au même moment, ce qui s'est traduit par la constitution de fortes surcapacités et donc la contrainte de chercher des débouchés à l'étranger, en bénéficiant de coûts optimums5. Les groupes européens, pour leur part, ont pâti de conditions de la demande caractérisées par des marchés nationaux étroits, que la pratique des commandes publiques et le protectionnisme ont tenté de compenser. Ils se sont donc efforcés, le plus souvent, d'atteindre une puissance financière par diversification de leurs activité, sans pouvoir véritablement bénéficier d'effets d'échelle au niveau de la production. Les firmes, selon leur nationalité, bénéficient donc de combinaisons spécifiques d'avantages. Leurs stratégies globales s'appuient sur ces avantages autant que sur ceux qu'elles peuvent avoir développés de manière propre et sur ceux qu'elles peuvent s'approprier dans les pays où elles s'implantent6. La variété croissante des barrières à l'entrée. La diversité des formes de la concurrence dans les industries de type oligopolistique se traduit par la variété des types de barrières à l'entrée. La globalisation marque le passage d'un système où les barrières dominantes, statiques, étaient fondées sur la taille, à un système où viennent s'ajouter des barrières, dynamiques, fondées sur la flexibilité, la connaissance et les réseaux. La période antérieure à la globalisation se caractérise principalement par les barrières fondées sur la taille. A l'heure actuelle encore, si certaines situations comme celle des marchés en émergence ou certaines évolutions comme le renouvellement des procédés de fabrication provoquent la disparition de certaines barrières de taille, elles demeurent ou se reconstituent dans de nombreux domaines. La taille joue à tous les niveaux. La surface financière, mise en évidence par les classements des grandes banques (AAA, AA,..), permet un accès plus aisé 4. OCDE, La technologie et l'économie, les relations déterminantes, Paris, OCDE, Programme TEP, 1992, p36. 5. Turcq, D. L'inévitable partenaire japonais, repères dans un dédale. Paris, Fayard, 1992, chap.IV. 6. Cf la classification des facteurs de multinationalisation, selon les facteurs liés à la firme (Ownership), liés au pays d'implantation (Localisation) et liés à l'internationalisation (International), dans le modèle ILO de la Théorie Eclectique de l'investissement international de J. Dunning. Dunning, J. Explaining international production, Londres, Unwyn Hyman, 1988. Sur les particularités des comportements des firmes selon leur origine nationale voir également Delapierre, M. et Zimmermann, J.B. "Les multinationales de l'électronique : des stratégies différenciées." Revue d'Economie Industrielle, n°28, 1984. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.4 aux capitaux nécessaires. Pour la recherche développement les seuils de coûts de mise au point de produits complexes ont très fortement augmenté, qu'il s'agisse des grands centraux de commutation téléphonique, des nouveaux microprocesseurs ou encore des avions long courrier. Le développement d'un appareil long courrier de 150 places coûterait aujourd'hui au minimum 2,5 milliards de dollars7. La fabrication reste encore fortement marquée par les effets de taille, en particulier pour la production de composants standards qui seront ensuite utilisés pour l'assemblage de produits diversifiés. Les composants pour l'automobile, l'aéronautique, les produits électroniques, mais aussi les produits de base pour la chimie et la pharmacie sont toujours tributaires d'unités de fabrication de grande capacité. La commercialisation, enfin implique généralement l'acquisition d'une part significative du marché mondial et exige souvent la mise en place d'un service de distribution et de maintenance couvrant une aire géographique de plus en plus étendue. Les effets de variété reposent à la fois sur l'exploitation de la taille dans la mesure où des synergie peuvent apparaître entre les activités ou des complémentarité et des externalités entre des segments de marché. Au plan global, la constitution d'un portefeuille d'activités permet une réduction des risques, la compensation d'activités ayant des cycles différents où se trouvant à des stades différents de leur cycle de vie. Les industries pétrolières se sont souvent engagées dans l'industrie chimique dans cet esprit. En effet la baisse des prix du pétrole diminue les coûts d'approvisionnement de la chimie, tandis que leur hausse rétablit la rentabilité de l'industrie pétrolière. Dans la R&D la variété devient une des conditions de production d'innovations par la combinaison de technologies8. Au stade de la fabrication, la recherche de variété passe par la mise en place d'ateliers flexibles pour la production de produits spécifiques. L'offre de produits spécifiques implique un contact plus étroit avec la demande et donc induit un critère de compétitivité de type qualité plutôt que prix. La maîtrise, l'appropriation et l'accumulation des connaissances constituent une troisième catégorie de barrières à l'entrée9. L'incertitude qui caractérise l'environnement industriel impose aux groupes de maintenir une veille stratégique sur leurs concurrents, actuels et potentiels, sur leurs principaux marchés comme à l'étranger. Les société de commerce japonaises sont connues pour leur rôle de recueil et de centralisation de l'information sur les marchés mondiaux, au bénéfice des autres sociétés de leur groupe. L'importance de la connaissance à tous les niveaux d'activité des firmes à été mise en évidence à de multiples reprises. La croissance des investissements immatériels, R&D, mais aussi logiciels, publicité, études de marché illustre ce type de barrières10. Tableau : 2 Les principaux types de barrière à l'entrée, par type de domaine ou de fonction Domaine\type taille variété global surface financière du groupe portefeuille d'activités diversifié R&D seuils d'investissement en R&D combinatoire des technologies 7. Mowery, D.C. et Rosenberg, N. Technology and the pursuit of economic growth, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, pp.171-173, cité in OCDE, La technologie et l'économie, op. cit. 8. La combinatoire de technologies constitue le fondement des stratégies de grappes technologiques, dont le principe est la valorisation systématique par la recherche d'applications diversifiées, du potentiel de connaissances de la firme. Cf. GEST, Grappes technologiques. Les nouvelles stratégies d'entreprise, Paris, McGreaw-Hill, 1986. 9 Sur ces barrières fondées sur la connaissance, voir Ernst, D and David O'Connor [1992] Competing in the Electronics Industry Paris, OCDE, Centre de Développement, 1992, et Mytelka, L.K. "The Growth of Strategic Alliances: A Stock Taking", à paraître, 1993. 10 Caspar, P et Afriat, C. L'investissement intellectuel. Essai sur l'économie de l'immatériel , Paris, Economica, 1988. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.5 fabrication capacité optimale fabrication de produits standards commercialisation parts de marché minimales implantations mondiales concurrence par les prix Domaine\type global connaissance veille stratégique R&D veille technologique accroissement du contenu en connaissances apprentissage par la fabrication développement de connaissances tacites connaissance des conditions d'usage des produits : offre de performances concurrence par la qualité fabrication commercialisation ateliers flexibles fabrication de produits spécifiques couverture d'une gamme complète de produits différenciation des produits concurrence par la qualité réseau intégration des fonctions normes liens avec la science (Universités, Organismes de Recherche) relations avec les sous-traitants fourniture de produits-systèmes relations avec les utilisateurs offre de solutions Un quatrième type de barrières à l'entrée est formé par ce que l'on peut appeler les effets réseau. Ils mettent l'accent sur les bénéfices de la coordination sur l'intégration. Ils recouvrent la capacité pour un groupe d'établir un tissu dense de relations non seulement de manière interne entre ses divers départements et unités, mais aussi externe avec ses clients, des universités et des organismes de recherche, ses fournisseurs, ses concurrents. L'avantage ne provient pas ici de l'appropriation d'un actif, matériel ou immatériel, mais plutôt de l'appartenance à un ensemble d'acteurs dont les stratégies sont coordonnées. La participation à des espaces de normalisation est caractéristique de ce type de barrière. Les fournisseurs qui n'obtiennent pas le label de conformité sont exclus de cette zone de marché, tandis que ceux qui bénéficient du label demeurent concurrent entre eux, mais dans le cadre d'une concurrence régulée par la fixation de la norme. Ces divers types de barrières ne constituent pas néanmoins une taxonomie des modes de concurrence, mais plutôt une classification des dimensions de la concurrence. Dans ce sens les modalités de la concurrence effective sont des combinaisons de ces diverses dimensions11. Il faut y ajouter l'importance de la vitesse, vitesse de réaction, vis-à-vis des mouvements de la concurrence, réduction des délais de mise sur le marché, travail en juste à temps. L'impératif de vitesse joue à la fois dans la recherche de la maximisation de la productivité de l'ensemble des facteurs de production et non plus principalement du travail comme dans le système fordiste, et comme facteur stratégique. La rapidité est fondamentale dans un environnement incertain, tant pour rattraper un innovateur que pour abandonner une direction qui se révèle sans avenir. La firme multinationale est touchée en profondeur par ce phénomène. Il n'est désormais plus possible de privilégier une fonction qui réponde au mieux aux conditions, ou qui constitue un facteur dominant, de compétitivité. L'excellence dans un domaine isolé ne permet plus de compenser des insuffisances dans les autres. Il faut rechercher l'optimum à 11. On s'écarte de ce fait de la conception développée par R. Salais et M. Storper qui présentent quatre types d'industries en fonction des caractéristiques des produits, des types d'économie d'échelle ou de variété et du niveau de prédictibilité des marchés et dont notre analyse s'est directement inspirée, dans la mesure où la multiplicité des formes de la concurrence nous semble beaucoup plus importante et provenir de la combinatoire plutôt que de la distribution des caractéristiques. Salais, R. et Storper, M. "The four 'worlds' of contemporary industry", Cambridge Journal of Economics, 1992, 16, pp. 169-193. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.6 tous les niveaux de l'entreprise. Il importe d'insister ici sur le fait que la relation au marché revêt dans la globalisation une importance aussi grande, même si elle n'est pas mise en avant avec autant d'insistance, que la R&D. L'intensification de la connaissance dans les activités industrielles ne se limite pas aux technologies de produits et de procédés de production, mis au point dans les laboratoires, elle recouvre l'accroissement de l'ensemble des compétences mises en oeuvre à tous les stades12. L'intensification de la concurrence exige, en effet, de resserrer autant que possible les liens avec la clientèle et ce, d'autant plus, que la segmentation croissante des marchés amène les entreprises à chercher à se situer au plus près des particularités de la demande. Le sur-mesure supplante de plus en plus le standard sur la plupart des marchés. Une des conséquences majeures de la multiplication des modes de la concurrence est la disparition des modèles uniques. La triade voit l'affrontement de plusieurs modèles industriels, en lutte pour assurer leur hégémonie ou pour défendre leur identité. Au sein des industries les plus marquées par le progrès technique le palmarès des groupes de tête est en permanence bouleversé. De ce fait il est de plus en plus rare que s'installe à la tête d'une industrie, une firme qui en oriente et définit l'évolution de manière durable et donc trace la voie pour les suivantes. L'existence de ce type d'entreprise constituait un élément important de régulation dans de nombreuses industries oligopolistiques de type traditionnel. Elle servait à fixer les solutions techniques aussi bien que le niveau des prix, créant de la sorte une zone de stabilité qui permettait aux autres de faire des plans à moyen terme et de procéder à des investissements avec un niveau de risque acceptable. 12. Cf. Mytelka, L.K., "The evolution of knowledge strategies.." op. cit. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.7 2. Les stratégies des firmes multinationales face à la globalisation La globalisation conduit les firmes multinationales à mettre en oeuvre leurs stratégies et à structurer leurs activités à l'échelle de la planète toute entière. Les contraintes de rapidité et de flexibilité les amènent à privilégier, d'une part, les stratégies de croissance externe pour couvrir les marchés mondiaux et, d'autre part, les structures de type coopératif pour faire face à la turbulence et à l'incertitude de leur environnement. La combinaison de ces deux types de stratégie débouche sur de nouveaux modes de structuration : la firme réseau. 2.1. Les stratégies de croissance Dans la logique des modes de concurrence analysés dans la section précédente, les firmes déploient des stratégies de croissance fondées à la fois sur la recherche d'effets de taille, par le jeu des prises de contrôle et d'effets de réseau, par le développement des alliances.. 2.1.1 Les stratégies de contrôle. Le phénomène des prises de contrôle par fusion ou acquisition n'est pas une nouveauté. Ils est tout d'abord apparu dans les pays anglo-saxons, Etats-Unis et Grande Bretagne, grâce au rôle majeur qu'y joue le marché boursier dans le financement des entreprises. Il est cependant resté principalement circonscrit aux territoires nationaux jusque vers la moitié des années quatre-vingt13. C'est à partir de 1985 que les fusions-acquisitions transfrontières, c'està-dire impliquant des firmes de nationalités différentes, prennent un essor marqué. Le graphique ci-après met en évidence la très rapide croissance des prises de participation majoritaires transfrontières en Europe jusqu'en 1989, tant d'origine communautaire qu'extracommunautaires. Pour la même période l'accentuation de la pénétration des investissements directs étrangers aux Etats-Unis s'est largement opéré par des acquisitions de firmes nationales par des groupes étrangers : les groupes américains ont vendu quatre fois plus d'actifs qu'ils n'en ont acheté14. Le principe stratégique à la base des prises de contrôle est avant tout la recherche des économies de dimension, effets de taille et d'envergure. Dans les stratégies des entreprises multinationales elles présentent sur les stratégies de croissance interne le double avantage de la vitesse d'abord, de la sécurité ensuite. Il est, en effet, plus rapide d'acheter un ensemble d'actifs représentant une activité entièrement constituée que de la bâtir ex nihilo. C'est également plus sûr dans la mesure où l'on acquiert une solution qui fonctionne déjà, une part d'un marché existant, tout en réduisant le nombre de concurrents. Elles suivent deux logiques, une logique financière et une logique industrielle. 13. Pour un historique du phénomène voir Prot, B. et de Rosen, M. Le retour du capital.. op. cit., chap 1. 14id. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.8 Fusions-acquisitions dans la CEE 4000 3000 2000 1000 0 1987 1988 Opérations nationales Opérations internationales 1989 + 1990 1991 1992 Opérations communautaires Source : Buigues, "Les fusions-acquisitions en Europe." Economie et Prospective Internationale, 1993. La logique industrielle La logique industrielle se situe dans le cadre de systèmes industriel de type oligopolistique, caractéristiques de la globalisation. Elle met l'accent sur les contraintes de taille. Il ne faudrait cependant pas en rester à une approche traditionnelle, limitant les contraintes de taille à la capacité des installations de fabrication. Les effets de seuil ou de taille critique interviennent à tous les niveaux de l'activité des firmes. De plus, La logique de la concentration économique peut recouvrir des types de situations contrastés de l'environnement des firmes qui y ont recours. Elle intervient, en premier lieu, dans des buts de rationalisation de l'outil de production dans les industries en situation de surcapacité 15. Les opérations de rationalisation interviennent le plus souvent par des reprises et échanges d'actifs entre grands groupes. Elle correspond, en second lieu, à des stratégies de consolidation dans des industries naissantes, après une phase de bouillonnement d'innovations assurée par de petites et moyennes entreprises 16. La consolidation touche alors plus particulièrement les PMI. 15. CF. les restructurations dans l'industrie chimique et dans la fabrication des téléviseurs. 16. Cf. Les mouvements d'expansion et de contraction au sein de l'industrie électronique, voir McClellan, S.T. The coming computer industry shakeout, New York, John Wiley and sons, 1984. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.9 La logique financière La logique financière répond à une stratégie de rentabilisation des actifs financiers. Elle se fonde sur le fonctionnement du marché boursier, plus que sur l'état des industries et des marchés. On en trouve une preuve manifeste dans le fait que les pays où la pratique des prises de contrôle est la plus fréquente sont ceux où le marché boursier est le plus développé, en particulier ceux qui ont un fort niveau de capitalisation boursière, les Etats-Unis et la Grande Bretagne, par opposition à l'Allemagne et au Japon. Les entreprises cotées en Bourse représentent 37% de l'emploi total aux Etats-Unis, 51% en Angleterre et seulement 10% en Allemagne17, quand au Japon, les firmes appartenant aux grands groupes sont détenues à plus de 70% par des sociétés alliées dans une imbrication étroite de participations croisées18. On pourrait opposer les opérations de fusion-acquisition selon qu'elles répondent à une logique industrielle ou à une logique financière. La logique industrielle trouverait sa légitimité dans la rationalisation d'industries en déclin où la structuration d'industries parvenant à maturité. La logique financière reviendrait à la généralisation d'une économie de type casino, gouvernée par la rentabilité à court terme et les opérations de caractère purement spéculatif. Il faut néanmoins prendre en compte que les instruments financiers qui ont facilité l'explosion des fusions-acquisitions ont de ce fait rendu plus flexible la structure industrielle en période de transformation. La revente d'actifs ne peut s'opérer que si des repreneurs industriels se présentent. La logique industrielle et la logique financière sont donc articulées. Stratégies de prise de contrôle et globalisation. L'internationalisation des intermédiaires financiers, l'ouverture internationale des marchés nationaux de valeur favorisent largement la globalisation des groupes industriels19. Les stratégies de croissance externe correspondent à l'entrecroisement et à l'intensification des relations au sein de la triade. Les groupes, dans leurs stratégies de pénétration à l'étranger, entrent sur des territoires déjà structurés par des industries solidement installées. L'acquisition directe de capacités installées et de parts de marché consolidées apparaît donc un comportement adapté. De plus, la globalisation financière, la circulation internationale des moyens de paiement accompagne et facilite ce mouvement20. On est ainsi amené à constater que les pays qui étaient restés en dehors de la vague des fusions-acquisitions, spécifiquement l'Allemagne et le Japon sont en train d'entrer dans ce processus. Ils y sont d'une part contraints par le mouvement de restructuration qui touche l'environnement industriel mondial. Les groupes et les banques sont à la recherche de nouvelles activités et de repreneurs pour les actifs dont ils veulent se défaire. La récession qui touche l'Allemagne et l'éclatement de la bulle financière au Japon vont pousser les entreprises qui recherchent des capitaux à envisager des fusions ou des acquisitions 2.1.2. Les stratégies d'alliance 17. Prot, B. et de Rosen, M. Op. cit. 18. Gerlach, M.L. op. cit. p.55. 19. C.A. Michalet fait du primat de la croissance externe une des caractéristiques de la globalisation, cf. Michalet, C.A. "Attractivité des pays en développement et stratégies des multinationales." contribution au colloque de l'Association Française de Science Economique sur La localisation des activités économiques dans l'espace mondial, sept. 1992. 20. La fièvre des acquisitions s'est nettement ralentie depuis 1991 du fait de multiples facteurs, en tout premier lieu la crise qui réduit l'attrait des cibles potentielles et alourdit l'endettement des repreneurs, la difficulté de trouver des financements, ensuite, avec en particulier le maintien des taux d'intérêts élevés et enfin le mouvement des privatisations, tant en Europe que dans les Pays de l'Est qui assèchent les disponibilités. cf Financial Times special survey on "Corporate finance", 19/07/93. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.10 Les stratégies d'alliance constituent le complément des stratégies de fusion-acquisition. Alors que ces dernières visent à obtenir le contrôle exclusif, propriétaire, d'une opération, elles cherchent, elles, plutôt la coordination des activités des partenaires. Pas plus que les fusions et acquisitions, les alliances ne constituent un phénomène nouveau, mais, au même titre qu'elles, elles présentent des aspects caractéristiques de la globalisation aujourd'hui. Leur analyse pose des problèmes particuliers du fait qu'elles s'inscrivent dans un éventail de modalités plus varié que les fusions acquisitions. Figure 2 : Partenariats stratégiques incluant des groupes européens évolution entre 1980 et 1989. 600 CATI 500 400 CEREM 300 200 nombre d'accords 100 0 1980198119821983198419851986198719881989 Source : Base de données CEREM 1992 et Schakenraad 1992. Parallèlement aux opérations de fusion et d'acquisition, elles se sont développées depuis le début des années quatre-vingt, avec deux caractéristiques majeures, la multiplicité des alliances de type international d'une part, et leur fréquente polarisation sur la production commune de connaissances. L'alliance établit une relation entre des partenaires, pour une durée déterminée, avec un objectif fixé. Elle est contraignante pour chacun d'entre eux, mais sans qu'aucun ne perde son autonomie stratégique, en dehors des domaines couverts par leur engagement réciproque. La durée de l'accord peut être fixée par une date de cessation ou déterminée par l'obtention du but fixé. Deux types de relations entre partenaires peuvent être définis dans le cadre des alliances21. Le premier concerne principalement le partage ou l'addition d'actifs ou de compétences, le second recouvre la coopération véritable. Le premier cas fait référence à des opérations qui s'inscrivent fondamentalement dans une logique d'échange. Ce sont les 21. Cette distinction s'appuie sur Delapierre, M. "Les accords inter-entreprises, partage ou partenariat ? Les stratégies des groupes européens du traitement de l'information." Revue d'Economie Industrielle, n° 55, 1er trim. 1991 pp 135-161. Elle recoupe celle établie par E. Brousseau cf. L'économie des contrats. Technologies de l'information et coordination interentreprises. Paris, PUF, 1993, pp. 52-60. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.11 alliances dont l'objet se réalise dès la mise en place de l'accord. Ainsi le contrat par lequel une firme apporte sa technologie ou ses produits à une autre pour qu'elle les produise et les distribue sur son marché. De nombreux accords organisent l'échange entre des compétences ou une avance technologique contre un accès au marché22. Dans ces relations la mise en commun des ressources, technologie et base de clientèle, porte déjà en elle-même le résultat final. Il y a risque, comme dans toute opération industrielle, mais les conditions de mise en oeuvre sont connues, l'avenir n'est pas incertain, il est probabilisable. L'approche en termes de coûts de transaction rend bien compte de cette forme d'alliance. Elle est en effet, proche de l'échange, avec une situation dans laquelle il est difficile d'évaluer les contreparties proposées, technologie comme fidélité de la clientèle, et où une bonne partie des actifs concernés sont fortement spécifiques23. Le deuxième type de relations concerne les coopérations qui ont pour objet de produire en commun de la valeur. Elles associent les compétences complémentaires des partenaires dans un objectif à atteindre par la mise en oeuvre de ces actifs. En d'autres termes le but est incertain. Entrent typiquement dans cette catégorie les coopérations en R&D portant sur la production de connaissances. C'est sans doute pour cette raison que les analyses des alliances comme phénomène nouveau se sont souvent focalisées sur les coopérations technologiques. L'alliance n'est pas alors réductible à un échange, mais présente un caractère de producteur de valeur. Les alliances de type partage L'approche en termes de partage met l'accent sur la mise en commun d'actifs dont l'effet est relativement attendu et prévisible. Ils répondent à un type de contrainte relativement simple, celui de la taille. L'alliance revient à découper le problème en éléments gérables par chacun des participants, souvent même déjà individuellement maîtrisés par chacun d'eux, chacun apportant des compétences complémentaires bien établies. L'ensemble équivaut à une quasi-grande entreprise. Les participants s'associent pour combiner leurs actifs et atteindre ainsi la taille critique. La question se pose alors de la raison du choix de l'alliance par opposition à l'intégration par internalisation. Un premier élément de réponse concerne le rapport de forces entre les partenaires. Pour une firme qui cherche à pénétrer sur un marché étranger de type oligopolistique, les firmes locales déjà en place risquent d'être des départements de grands groupes diversifiés. Le rachat d'un groupe tout entier pour accéder à une activité particulière s'avère peu souhaitable. Une alliance permet une relation limitée entre grands groupes. Un deuxième élément renvoie à l'acquisition de compétences ou d'actifs étroitement spécialisés sans avoir à acquérir leur détenteur dans sa totalité. Les alliances de type partenariat Le partenariat joue principalement sur les effets réseau, c'est à dire le jeu des complémentarités. Il résulte à la fois de la nature de plus en plus combinatoire des activités au sein des industries globalisées et de leur contenu croissant en connaissance. La conception et la fabrication d'un nombre croissant de produits impliquent le recours à des compétences couvrant un éventail de plus en plus large. Les constructeurs automobiles doivent maîtriser l'utilisation des matériaux nouveaux et de l'électronique aussi bien que leurs savoirs traditionnels concernant les moteurs et l'aérodynamique. Plus encore, à tous les stades de la fabrication les savoir faire mis en oeuvre deviennent de plus en plus complexes et les 22. Cf. Hamel, G.Y., Doz, Y. et Pralahad, C.K. "Collaborate with your competitors - and win.", Harvard Business reviewn n°1, 1989. 23. Pour une présentation des conditions d'efficacité des hiérarchies face aux coûts de transaction voir Williamson, O.E. The economic institutions of capitalism, New York, The Free Press, 1985. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.12 connaissances exigées des opérateurs, plus pointues. Le savoir et le savoir faire sont des éléments dont l'appropriation est difficile. Ils sont souvent constitués par des compétences individuelles plutôt qu'incorporés à des actifs ayant une contre valeur financière : équipements, brevets, réputation. Leur mobilisation ressort donc plus de l'organisation du travail que d'une logique de gestion d'actifs. Les stratégies de coopération doivent ici venir en complément aux stratégies de contrôle. La R&D constitue, à l'évidence, un terrain particulièrement favorable au développement des partenariats, combinatoire et connaissance y sont fondamentales. Le partenariat joue ici un rôle très important dans les domaines les moins ouverts à la prévision : ceux du lancement d'un nouveau marché. Il y a en effet une différence essentielle entre les nouveaux produits qui apparaissent sur un marché existant et le lancement d'un produit qui crée un marché nouveau. Dans le premier cas le marché existant définit une règle du jeu, rassemble un certain nombre de fournisseurs identifiés, les produits répondent à un ensemble de critères de définition ou de performance. La firme qui veut lancer un nouveau produit sur ce type de marché peut établir avec une relative sécurité le cahier des charges à respecter. Dans le deuxième cas l'innovateur entre dans un monde totalement inconnu. La nouveauté de son produit ne s'exprime pas relativement à des produits existants qu'il concurrence, mais de manière absolue, il n'a pas d'équivalent auquel se comparer. Le partenariat permet alors d'organiser des relations de coopération/concurrence à l'origine d'un marché nouveau. La conception en commun d'un appareil enregistreur-lecteur de disques compacts par des groupes de l'électronique, s'il permet une répartition des frais et des risques, garantit aussi que la solution technique retenue étant identique, elle conduira à une offre de produits substituables sur le futur marché qui donne confiance aux consommateurs sur le maintien d'une telle offre sur le long terme, justifiant ainsi une décision d'achat de leur part. A l'origine d'une nouvelle activité, la coopération est un préalable à la concurrence 24. Au stade de la production, le partenariat instaure des modalités de relation nouvelles entre clients et fournisseurs ou entre sous traitants et donneurs d'ordres. Dans le cadre de la définition de produits modulaires ou de produits systèmes, un donneur d'ordre ou un intégrateur conçoit l'architecture du produit final,. Chacun des fournisseurs de composants procède alors à la conception de son module et en assure la fabrication. L'avantage ici est double. Tout d'abord cette procédure de travail en parallèle permet de gagner du temps sur les procédures en séquentiel où chaque élément est mis au point à la suite l'un de l'autre. Elle permet surtout, ensuite, d'associer les compétences spécifiques de chacun des producteurs spécialisés25. La commercialisation voit aussi le développement de véritables partenariats avec l'intervention de revendeurs dits à valeur ajoutée. Au contact étroit avec la clientèle, ils peuvent fournir une adaptation des produits à des modalités particulière d'application. Ces revendeurs doivent acquérir une connaissance à la fois des besoins et des types d'utilisation d'une catégorie particulière de clientèle et des caractéristiques du produit ou de la gamme de produits qu'il commercialisent. Le partenariat apporte ici une flexibilité à l'offre, en lui permettant de coller plus étroitement à ses fluctuations. L'opposition entre les accords de partage et les accords de partenariat marque un clivage entre deux types de situations. Les accords de partage tendent à réduire la concurrence par la concentration des forces des partenaires. Les accords de partenariat mettent en place 24. Ce qui ne veut pas dire que les stratégies actuelles des firmes visent à maintenir systématiquement la concurrence. Une fois le marché établi, le type d'application ou de produit accepté par les consommateurs, les stratégies traditionnelles de contrôle du marché retrouvent toute leur vigueur. 25. On entrouve de nombreuses illustrations dans la transformation des relations de sous-traitance dans l'industrie automobile, cf. Coriat, B. L'atelier et le robot, Paris, C. Bourgois, 1990. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.13 une relation de coopération-concurrence. Ils réduisent l'incertitude en organisant un certain nombre de règles que les partenaires s'engagent à respecter. Plus fondamentalement, les accords de partage concernent avant tout l'organisation du marché, les partenariats touchent directement la production, c'est-à-dire l'organisation du travail. A ce titre, ils ne sont pas seulement une modalité de relation entre entreprises indépendantes, ils interviennent de plus en plus comme modalité d'organisation des relations à l'intérieur des firmes elles-mêmes, entre départements et fonctions. 2.2. Les nouvelles formes de structuration des entreprises : la firme réseau. Le nouveau principe de structuration des entreprises est fondé sur le partage des connaissances plus que sur la spécialisation, c'est-à-dire leur appropriation exclusive, sur la coordination plus que sur la hiérarchie. Il conduit tout d'abord à la décentralisation des activités. Les grands groupes sont éclatés en unités opérationnelles indépendantes, sous la tutelle d'une holding maison-mère. Le découpage en lignes de produits autonomes, s'il permet une mise en concurrence des unités au sein du groupe, présente cependant un inconvénient majeur, le caractère monolithique, abandonné au niveau du groupe tout entier, se retrouve à celui de l'unité. De plus, la cohérence de l'entreprise, au sens industriel, risque de disparaître en ne lui laissant qu'une signification purement financière. La responsabilité mondiale d'une ligne de produit peut conduire à une rigidification de l'offre sous la forme d'un standard universel du produit proposé sur le marché mondial. Ce serait perdre de vue la relative différenciation des goûts des consommateurs qui résistent encore fortement aux tendances à l'homogénéisation ; c'est oublier aussi les stratégies des firmes qui s'efforcent de segmenter leurs marchés pour rendre plus difficile la mobilité de leur clientèle. Les firmes sont ainsi confrontées au double problème de produire au moindre coût, c'est-à-dire en recherchant les économies d'échelle et de suivre au plus près les demandes de la clientèle en offrant des solutions adaptées, du surmesure. Nous avons vu que la modularité des produits se prête assez bien à cette double exigence : elle permet le sur-mesure grâce à la combinatoire des composants et elle bénéficie des économies d'échelle par la forte standardisation des éléments de base. Une telle contrainte conduit à la mise en place de structures encore plus souples que la ligne de produit mondiale. Le choix retenu par IBM dans sa dernière restructuration, à l'image de nombreuses autres compagnies, a été de distinguer entre le niveau de la fabrication et celui de la distribution. Les unités de production sont dotées de capacité de R&D et de fabrication. Elles doivent produire des éléments de qualité au moindre coût. Les unités de commercialisation sont des sociétés de service, elles sont au contact de la clientèle qu'elles doivent satisfaire au mieux. Les unités en aval ne sont plus strictement tenues d'utiliser les produits des unités amont : elles négocient avec elles les qualités et les prix. Chacune peut faire appel à des fournisseurs extérieurs ou est encouragée à rechercher des clients non liés au groupe. Pour l'entreprise, la perception de l'intérieur et de l'extérieur est relativement brouillée : on peut être amené, dans certains cas, à travailler pour les concurrents et à s'affronter aux unités soeur. La firme s'efforce de la sorte de faire face à chacune des modalités de la concurrence qu'elle rencontre dans une industrie globalisée : les coûts, la qualité, le service. Les unités indépendantes, qui se rapprochent du mode d'organisation des petites entreprises26, sont responsables de leurs activités à l'échelle mondiale, et leurs relations les unes aux autres entrent dans le cadre du partenariat. L'autonomisation répond à la généralisation des produits de type modulaire : systèmes constitués par combinaison de composants élémentaires, ou activités résultant de combinatoires de compétences. Cette 26. On évoque à ce propos le développement de "l'intraprise", indication d'une tendance au renforcement des qualités caractéristiques de l'entrepreneur, l'innitiative, la rapidité d'ajustement et de prise de décision, face à celles du gestionnaire, l'application de régles précises. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.14 évolution ne concerne pas que les industries d'assemblage, de manière croissante les industries de procès sont soumises à ce phénomène, les matériaux composites sont formés par assemblage de constituants tels que trames, colles et résines. Certaines divisions fournissent des composants à d'autres ou partagent des composants entre elles. La gestion d'un tel ensemble devient particulièrement complexe dans la mesure où il se traduit par la mise en place de hiérarchies enchevêtrées. En effet, chaque filiale dans un pays donné est soumise à une double ligne hiérarchique : celle du produit qui dispose d'un mandat mondial, et celle du marché qui a le plus souvent une responsabilité territoriale nationale. Il n'est alors plus possible d'affecter à chaque responsable une autorité complète sur l'ensemble des personnes qui doivent concourir au résultat qui lui a été assigné. La coordination des tâches se substitue nécessairement à la relation hiérarchique. Le réseau est la structure qui caractérise le mieux ce type de situation. Chaque activité doit se maintenir en relation avec les activités de même niveau fonctionnel, entre les unités autonomes et garder une articulation étroite au sein de chacune d'elles, avec les autres fonctions. L'ensemble est de ce fait beaucoup plus facilement reconfigurable27. Les réseaux assurent une circulation de l'information entre les divers niveaux sans emprunter des lignes de nature hiérarchique, c'est pourquoi ils correspondent à une forme d'organisation de travail fondée sur la coopération, le travail en équipe. Ils ne constituent cependant pas des structures simples. La firme apparaît de plus en plus comme un ensemble de plusieurs réseaux, enchevêtrés. La R&D par exemple, en tant que fonction spécifique d'un groupe peut être le réseau qui joint les divers départements de recherche appartenant aux lignes de produits entre eux et à un laboratoire central chargé de la recherche plus fondamentale ou à horizon plus lointain. Pendant le même temps, la ligne de produit peut se définir comme un réseau reliant le département de R&D, les unités de fabrication spécialisées et les services commerciaux sur les divers marchés nationaux. En ce sens on pourrait parler d'entreprise virtuelle dans la mesure où la configuration physique de la firme n'est pas un ensemble verticalement intégré, fixe, mais un regroupement mobile, évolutif de fonctions, R&D, fabrication, distribution, remplies tour à tour par les départements de l'entreprise, mais dont la configuration est en recomposition permanente, même si le consommateur, confronté à une offre homogène de la part de la firme, n'en a pas conscience. De la même manière, les communications téléphoniques suivent des lignes virtuelles dans la mesure où les conversations transitent d'un support physique à l'autre en permanence, alors que les interlocuteurs pensent utiliser une ligne unique durant tout le temps de leur liaison 28. Simultanément, les réseaux de relations ne sont pas strictement limités à l'espace interne de l'entreprise. Les coopérations lient, nous l'avons vu, les firmes entre elles et avec d'autres acteurs de leur environnement. La circulation des connaissances n'est pas un phénomène purement interne. On constate ainsi que les départements des groupes, dans des fonctions de recherche, de fabrication comme de commercialisation, participent à des réseaux d'échange d'information ou de coopération avec leurs homologues d'autres groupes. Les centres de recherche, en particulier, entretiennent des relations avec des laboratoires publics ou des centres universitaires 29. Les associations professionnelles permettent aux ingénieurs et aux commerciaux d'échanger des expériences. Le jeu des alliances et des coopérations structure l'environnement industriel aussi bien que l'espace des firmes. 2.3. Partenariat et nouvelles formes de structuration des industries et des marchés. 27. Pache, G., et Paraporanis, C., L'entreprise réseau, Paris, PUF, Coll. Que-sais-je ? 1993, p. 63. 28. voir aussi Business Week du 8/02/93 29. Imai, K.I., "The Japan's national system of innovation", contribution to the NISTEP conference on Science and technology policy research -- what should be done ? what can be done ?, Septembre 1990. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.15 Les alliances et coopérations constituent en période de globalisation, un mode notable de régulation des industries. L'exacerbation de la concurrence, le caractère turbulent et changeant de l'environnement risquent de décourager l'investissement. Les firmes ne peuvent plus compter sur la stabilité des règles de fonctionnement des marchés soumis aux ruptures provoquées par l'accélération des cycles d'innovation, elles recourent alors aux coopérations pour créer des zones de stabilité qui autorisent de prendre des engagements sur l'avenir, en d'autres termes qui permettent d'investir. Un élément caractéristique de nombreuses industries globalisées ou en cours de globalisation est la disparition des leaders qui apparaissaient autrefois comme des modèles à suivre pour l'ensemble de l'industrie. L'entrée continue de nouveaux venus, avec des solutions, des applications ou des produits nouveaux, provoque une recomposition permanente du classement des principaux acteurs. Il est alors particulièrement difficile pour une entreprise de repérer les tendances majeures de l'industrie : ses concurrents les plus dangereux, les orientations technologiques les plus probables. L'incertitude et l'imprévisibilité sont très fortes. Cette imprévisibilité est une préoccupation d'autant plus importante que l'évolution technologique accélérée interdit ou limite sévèrement la stabilité des règles de fonctionnement des industries et des marchés. En d'autres termes, le jeu concurrentiel n'a pas de règles figées et il n'y a aucun pionnier reconnu par tous pour montrer la voie de l'évolution. Dans ces conditions, les alliances assurent une régulation de l'industrie. Elles interviennent, en premier lieu, pour organiser la compatibilité des éléments, équipements ou composants qui entrent dans la constitution des produits systèmes30. On assiste ainsi à la généralisation des associations ou des organismes de normalisation. Ces derniers accueillent d'ailleurs un nombre croissant d'utilisateurs à côté des fournisseurs, ce qui montre l'importance du rôle qu'elles jouent, parallèlement et dans bien des cas antérieurement, aux marchés dans le processus d'adaptation de l'offre à la demande. En ce sens l'accord crée les conditions de la concurrence plutôt qu'il ne la supprime. En posant les conditions de compatibilité des équipements, la norme assure la substituabilité entre les éléments de même type. Les bases d'apparition d'un marché véritable sont alors ainsi définies. La fixation d'une norme permettant l'intégration des composants fait remonter la standardisation du niveau du produit final à celui du produit intermédiaire. A ce stade la substituabilité permet l'exploitation des économies d'échelle et assure les conditions de réalisation d'une concurrence par les coûts. Les alliances concourent à la fixation des règles du jeu de la concurrence et non pas à leur élimination. Les alliances internes à l'industrie ont, en deuxième lieu, un effet de régulation de la dynamique de l'évolution. Nous avons vu dans l'analyse de la justification des accords, le rôle que ces derniers peuvent jouer dans l'apparition d'un nouveau marché, en assurant un consensus sur les solutions techniques. Compte tenu de l'accroissement des investissements unitaires nécessités par le lancement d'une nouvelle ligne de fabrication ou le développement d'un nouveau produit, rares seraient les firmes qui pourraient s'y engager sans avoir au préalable un minimum d'assurance de pouvoir déboucher sur un marché effectif. Une coopération technologique entre plusieurs constructeurs, non seulement permet de partager les coûts, mais plus encore, établit un ensemble de normes techniques qui serviront de cadre et de base au futur marché. La généralisation des formes réseau touche à la fois la structure interne des firmes multinationales et l'organisation de nouveaux espaces industriels. On assiste en effet à l'émergence de nouvelles formes de structuration d'oligopoles en réseau fondés sur la 30. Les constructeurs indépendants d'imprimantes et d'unités centrales doivent être assurés que leurs matériels fonctionneront ensemble. Les fabricants de carburateurs ou de systèmes de freinage doivent s'entendre avec les constructeurs automobiles pour que leurs pièces soient montées sans difficulté sur les moteurs ou les châssis. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.16 connaissance. Ces nouveaux oligopoles ne se définissent pas par des marché dominés par un petit nombre de producteurs, mais bien plutôt par des espaces de technologies génériques contrôlés par des groupes multinationaux qui en maîtrisent la valorisation et l'évolution31. La mise au point du multimédia intéresse des groupes industriels de l'électronique grand public, des composants, des télécommunications, de l'informatique, des industries des programmes. Ils ne sont pas tous directement concurrents entre eux, mais sont tous concernés par les développement des technologies à la base de ces nouveaux produits et de ces nouvelles applications. La formation de consortium pour la définition des nouvelles normes technologiques est tout à la fois une forme de sélection des participants aux segments à venir et une modalité de détermination des formes de la concurrence qui s'y déploieront. Les firmes multinationales contribuent de manière de plus en plus déterminée à la mise en place des formes d'organisation et de régulation des industries mondialisées. 31. Voir à ce sujet, Delapierre M. et L. K. Mytelka, "Blurring boudaries: new interfirms relationships and the emergence of networked, knowledge-based oligopolies", contribution au colloque de l'EMOT, Come, Septembre 1994. Michel Delapierre, CEREM/FORUM 1996 p.17