Siem Reap - Angkor. Architecture - Patrimoine
Transcription
Siem Reap - Angkor. Architecture - Patrimoine
bulletin n°1, septembre 2008 Observatoire urbain de Siem Reap/Angkor Architecture - Patrimoine - Développement IPRAUS Institut parisien de recherche : architecture, urbanistique, société, laboratoire de recherche de l’École nationale supérieure d’Architecture de Paris-Belleville et de l’Université Paris X Nanterre Département de l’UMR AUS n°7136 du CNRS Sommaire Observatoire urbain de Siem Reap/Angkor. Architecture – Patrimoine – Développement Éditorial Présentation , Le temps et l espace Introduction géographique Le territoire d’Angkor : site des capitales khmères Histoire et évolution urbaine Recherches Les recherches de l’équipe de l’Observatoire Patrimoine Le zoning Environmental Master Plan (ZEMP) Paysages et Réseaux : patrimoine en transition La prise en compte du patrimoine par le tourisme Patrimoine architectural en péril : Édi ices publics des années 1953-1970 Rénovation et reconversion Cartes et plans Formes architecturales et urbaines Compositions urbaines Formes architecturales Enseignement Atelier d’Architecture Siem Reap/Angkor Activités - Actualités Bibliographie - Travaux / Diplômes Journées d’études Observatoire urbain de Siem Reap/Angkor. Éditorial Architecture - Patrimoine - Développement La ville de Siem Reap est le passage obligé pour accèder au site prestigieux d’Angkor, sa porte d’entrée, ses coulisses, son avant scène. Chacun sait qu’Angkor est bien plus qu’une série de monuments prestigieux, c’est un ensemble de villes-capitales, déplacées sur un vaste territoire au cours des siècles. Avant donc d’être un parc archéologique, Angkor a été une série de villes successives, dont on fait remonter la première fondation à l’an 802 et l’abandon au cours du XVe siècle. C’est dans cette logique, cette histoire inscrite sur la longue durée que nous pensons que Siem Reap doit aussi être remarquable par ses qualités de vie et ses qualités architecturales, urbanistiques, paysagères et environnementales. Angkor aujourd’hui est dans un écrin constitué de son grand paysage, sur un vaste territoire, sa forêt, ses rizières, ses villages et Siem Reap est son avant scène, elle était une ville végétale, hydraulique, équilibre entre nature et bâti, aux qualités indéniables. Préserver les qualités de vie de Siem Reap, maintenir un équilibre qualitatif avec le site d’Angkor, préserver son patrimoine et en faire un lieu de création architecturale contemporaine digne de son passé archéologique est un enjeu urbanistique majeur. Cette situation nous pose ici une série de questions fondamentales, celle de la protection de grands territoires habités que l’on ne saurait mettre sous cloche mais dont il est impératif de contrôler et maîtriser le développement. Au moment de la réouverture du pays dès le début des années 1990 et, sous l’égide de l’UNESCO, Angkor a mobilisé, dans un élan exceptionnel de solidarité, la communauté internationale ; le site a été inscrit sur la liste du Patrimoine mondial avec un raffinement particulier dans l’élaboration du plan de zonage et la définition des zones de protection (cf. ZEMP et plan de zonage). Ce plan de gestion exemplaire prévoyait un élargissement progressif du périmètre, depuis la zone des monuments les plus prestigieux à savoir quelques 400 km², (l’équivalent de cinq fois la superficie de Paris construit hors Bois de Boulogne et de Vincennes) jusqu’à l’ensemble du territoire de la province. C’est donc ce rapport entre Angkor et la ville de Siem Reap, son territoire et celui élargi de la province, entre l’intérieur de zones de protection sévèrement gardées, de secteurs rigoureusement contrôlés et la ville autour, son cœur, ses extensions et son territoire agricole qui mérite aussi un traitement de qualité. Le quartier Nord de la ville se rapprochant du parc archéologique et réduisant la couverture végétale. Photographie aérienne © JICA, 2005. Angkor attire aujourd’hui un nombre croissant de touristes, passant en 15 ans, de quelques 40 000 visiteurs/an à près de 2 millions aujourd’hui. Angkor s’internationalise et de nombreux pays contribuent aux travaux entrepris sous l’Auto3 rité pour la Protection et la Sauvegarde du site, l’Autorité nationale APSARA. L’Autorité APSARA exerce aussi, à côté de ses responsabilités en matière de sauvegarde des monuments et d’archéologie, avec les instances de la ville et de la province, des compétences en matière de développement touristique, d’urbanisme et d’environnement. Les transformations rapides que connaît aujourd’hui la ville de Siem-Reap, l’enjeu important que son développement représente pour la préservation du site d’Angkor nous ont conduits depuis quelques années à mener à l’École nationale supérieure d’Architecture de Paris-Belleville (ENSAPB), avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication, diverses actions d’enseignement et de recherche, que nous avons regroupées dans un Observatoire urbain de Siem Reap/Angkor, ArchitecturePatrimoine-Développement, créé en collaboration entre l’Ipraus, laboratoire de recherche de l’ENSAPB – UMR A.U.S. 7136 du CNRS, et l’École française d’Extrême-Orient qui en héberge l’antenne sur le terrain. Sa fonction essentielle est le développement sur le long terme d’actions de recherches, architecturales et urbanistiques, sur les transformations de la ville, son patrimoine, son évolution, ses extensions, ses typologies ; les plans mis en œuvre, les acteurs et les moyens d’actions. Il a pour objectifs de contribuer à la connaissance du territoire et de fournir aux acteurs et partenaires locaux et internationaux, documentation et évaluation des évolutions. L’accès à Angkor se fait par la ville de Siem Reap qui aujourd’hui connaît des transformations profondes, c’est sur elle que nous avons depuis quelques 1 Une action conjointe APUR – IPRAUS sur le patrimoine de la ville de Phnom Penh avait été conduite sous la direction de Christiane Blancot par Aline Hétreau-Pottier; voir Starkmann Nathan, Blancot Christiane (ed.), Phnom Penh. Développement urbain et patrimoine, ministère de la Culture, Atelier parisien , d urbanisme, Paris, 1997, 160 p. 2 Frédéric Mauret, Identification et protection du patrimoine architectural et urbain de la ville 4 années porté un regard de chercheurs et d’enseignants. Le premier atelier de terrain, dans le cadre du cursus de l’ENSAPB, a été conduit en 1993-1994, organisé comme une extension de l’enseignement sur les métropoles asiatiques qui, pendant trois ans, a travaillé sur la ville de Phnom Penh au moment de sa “ réouverture ”1, en collaboration avec l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) et Christiane Blancot, architecte-urbaniste en particulier. Alors qu’avait été élaboré, entre 1994 et 1997, le Plan d’urbanisme de référence de la ville de Siem Reap (ARTE-BCEOM), s’appuyant largement sur les premiers travaux conduits précédemment sur la ville par Ros Borath et Aline HétreauPottier dans le cadre du plan de gestion et de zonage d’Angkor, élaboré en 199293 à la suite de l’inscription sur la liste du Patrimoine mondial (ZEMP), Frédéric Mauret, architecte, avait conduit en 1996 dans le cadre de l’Ipraus, auprès du Bureau d’urbanisme d’Apsara naissant, sous la direction de Tepp Vatho, une première action spécifique sur l’identification du patrimoine2 et le développement de la ville. Dans le même temps, Emmanuelle Gay faisait un mémoire sur l’eau et la ville3 et un diplôme d’architecte sur le siège d’Apsara. Depuis d’autres anciens étudiants de Paris-Belleville se sont installés à Siem Reap ou Phnom Penh et ont réalisé des œuvres architecturales significatives, Angkor Village (Olivier Piot) ; centre de conférences Kantha Bopha, salle de danse, Cyril et Lisa Ros (Asma Architectes). L’enjeu important que représente la ville de Siem Reap et son territoire pour la préservation du site d’Angkor nous ont conduits à développer depuis 2004, un atelier Angkor/SiemReap, studio de master de l’ENSAPB, avec Cyril Ros, Inès Gaulis, Nathalie Lancret, Aline Hétreau-Pottier, Lisa Ros et Adèle de Siem Reap, Rapport final, Ipraus/ministère de la Culture/Apsara, 1996. 3 Emmanuelle Gay, Étude de l’eau dans la cité , de Siem Reap, mémoire de diplôme de l École , d Architecture de Paris-Belleville, 1998. 4 Inès Gaulis, Les Leçons d’Angkor : dix ans de coopération internationale dans la région de Siem Reap/Angkor, Rapport de recherches, projet post-doctoral soutenu par une allo- Esposito. L’atelier a donné lieu depuis sa création à des expositions annuelles et conférences au Centre culturel français de Siem Reap. Mais très vite ces actions pédagogiques ont été relayées par des travaux de recherche auxquels l’Observatoire sert de support. Inès Gaulis, docteur en études urbaines, enseignant chercheur, s’est penchée sur les nombreux projets de coopération internationale initiés depuis 1991 : Les Leçons d’Angkor : dix ans de coopération internationale dans la région de Siem Reap/Angkor4. Aline Hétreau-Pottier, architecte et doctorante, sur le site depuis plus de 15 années, observe et inscrit les mutations de la ville et leur accélération dans la dernière décennie, dans une perspective historique qui est celle du siècle passé : “ Développement et patrimoine : formes et mutations de la ville de Siem Reap à l’ombre d’Angkor (1907-2007)5 ; Adèle Esposito, architecte et doctorante, travaille sur “ la mise en tourisme ” de Siem Reap et son impact sur les formes architecturales et urbaines : “ Siem Reap – Inventions et constitution d’un lieu de tourisme aux portes d’Angkor ”. Ce Bulletin de l’Observatoire n°1 publié en 2008 relate ses premières années de travaux. D’autre part, l’équipe de l’Observatoire devrait participer, en octobre 2008 à Siem Reap, à une table ronde sur le développement actuel de la ville et ses implications/interactions avec le site archéologique, organisée par le Centre d’Études khmères (CKS), avec le Bureau des Affaires urbaines d’Apsara, le Getty Conservation Institute, et le Pacific Rim Council for Urban Development (PRCUD). Pierre Clément cation de la Région Île-de-France, CNRS, UMR 7136 AUS, IPRAUS, juillet 2007, 142 p. , 5 Le volume d Autrement : Angkor VIIIe – XXIe siècle. Mémoire et identité khmères, février , 2008, sous la direction d Hugues Tertrais , , se fait l écho des travaux d Inès Gaulis, “Aménagement du territoire : le zonage, limite , ou frontière ? ” pp.168-181, et d Aline HétreauPottier, “ Siem Reap bouleversé : dynamique touristique et urbanisation ” pp.182-203. Observatoire urbain de Siem Reap/Angkor. Architecture - Patrimoine -Développement Présentation Siem Reap, modeste capitale provinciale, détient pourtant un statut international de par sa fonction d’accès et sa proximité avec Angkor. Depuis la réouverture du pays au début des années 90, la ville connaît un développement urbain accéléré, dû à la montée en puissance du tourismeϋ et à la conjoncture d’ouverture internationale qui en résulte. Cette conjoncture pose des problèmes d’infrastructures, de gestion urbaine, de respect du patrimoine et de l’environnement tant au niveau du site archéologique que de la ville. Par ailleurs, une part importante du développement économique du Cambodge repose sur le tourisme. Le patrimoine architectural, urbain comme naturel représente donc un atout majeur et un développement urbain harmonieux et durable, un véritable enjeu stratégique. L’ambition de l’Observatoire de Siem Reap Angkor est de s’intéresser aux transformations architecturales et urbaines suscitées par cette brusque accélération de l’urbanisation dans le contexte particulier de la confrontation d’un site archéologique majeur et d’une ville contemporaine qui doit s’adapter et se transformer sous la forte croissance des ϔlux touristiques et des investissements qu’ils suscitent. Site d’étude Cette ambition ne saurait cependant se limiter à la seule ville de Siem Reap. En effet, la frontière entre la ville et le site est à maints égards artificielle. Les sites archéologiques sont répartis sur l’ensemble du territoire, y compris celui de la ville de Siem Reap, et les structures anciennes – infrastructures hydrauliques, parcellaire –, héritées du passé, ont façonné l’ensemble de la région. De même, le parc archéologique d’Angkor n’est pas une zone dévolue entièrement à l’archéologie : 100 000 personnes habiteraient désormais les villages compris sur son territoire. L’Observatoire doit donc également porter attention à la dimension territoriale de la région de Siem Reap/Angkor et rendre compte de ce qui fait système à l’intérieur de cet espace complexe. Siem Reap intéresse et se transforme de par sa proximité avec Angkor. Il faut donc relier les deux territoires dans une interrogation commune. Siem Reap Siem Reap assure désormais gîte et couvert aux nombreux visiteurs étrangers et cambodgiens, venus découvrir les capitales successives de l’ancien Empire khmer. Cet afflux touristique a pour résultat une croissance urbaine extrêmement rapide, orientée bien souvent vers la construction d’équipements touristiques qui font fi des formes urbaines et architecturales héritées du passé et transforment progressivement la ville en un espace servant du site d’Angkor. Cette situation justifie l’intérêt que l’on porte à Siem Reap comme l’institution d’un observatoire dont la mission sera de rendre compte des transformations que subit la ville et d’en comprendre les mécanismes. Inès Gaulis Nathalie Lancret Centre ville, Psar Chas, le quartier administratif et le Psar Leu vus de ciel. ( A. Hétreau-Pottier, 2007) 1 Près de deux millions de visiteurs en 2007. 5 Une journée d’études, organisée par l’IPRAUS et l’École française d’Extrême-Orient, s’est tenue le 9 mars 2005 à Siem Reap dans les locaux de l’EFEO ; elle avait pour objectif de réϔléchir à la mise en place d’un tel observatoire. Cette rencontre a permis de préciser ses missions, objectifs et programmes. Objectifs, missions et programmes L’Observatoire de Siem Reap Angkor est une structure de recherche, rattachée à l’IPRAUS/ENSAPB et à l’École française d’Extrême-Orient, hébergée à Siem Reap dans les locaux de l’EFEO. Il travaille en collaboration avec APSARA. Mission de documentation Mission de recherche Mission d’information Une de ses premières missions est la constitution d’un fonds cartographique et de relevés des formes architecturales de Siem Reap. Cette mission a débuté par un recensement préalable et systématique de la documentation actuellement disponible dans d’autres centres de documentations ou d’archives : La mission de recherche est organisée autour des problématiques suivantes : Enfin il a été prévu d’éditer une lettre d’information, support de communication de l’Observatoire. - Inventaire de la cartographie – collecte des plans, numérisation et constitution de Cdrom, en relation avec le programme de cartographie des villes d’Asie de l’IPRAUS.. - Mise à disposition des chercheurs des documents récoltés dans un fonds propre à l’Observatoire (bibliothèque de l’EFEO à Siem Reap). - Représentations de la ville à travers cartes et plans, analyse des relations entre le site archéologique et la ville ; - Tourisme et développement urbain ; - Compréhension des outils opérationnels ; - Observation des transformations architecturales et urbaines de Siem Reap et de sa région (identification, classement et typologie des formes architecturales nouvelles, identification, classement et typologie des extensions urbaines) ; - Dynamiques urbaines et foncières ; - Patrimoine paysager, urbain et territorial. L’activité de l’Observatoire est fondée sur ces trois principales missions, menées tant à l’IPRAUS qu’à l’Observatoire de Siem Reap/Angkor/EFEO. Par ailleurs, une recherche post-doctorale et deux thèses, portant sur Siem Reap, actuellement en cours, signalent le démarrage de la mission recherche. L’Observatoire peut être également un instrument à la disposition de chercheurs ou de thésards dont les problématiques de recherche seraient proches de celles développées en son sein ou les complèteraient. Équipe scientifique Responsables scientifiques : Pierre Clément, professeur à l’ENSAPB, directeur de l’IPRAUS ; Nathalie Lancret, ENSAPB/chargée de recherches CNRS/IPRAUS ; Charles Goldblum, professeur des Universités Paris VIII/IFU ; Christophe Pottier, maître de Conférences à l’École française d’Extrême-Orient, responsable de l’antenne de l’EFEO à Siem Reap. Coordination scientifique ENSAPB/IPRAUS Inès Gaulis, Post-doctorante IPRAUS, enseignante, ENSAPB/atelier de master Angkor/Siem Reap 6 Responsable de l’Observatoire urbain à Siem Reap Aline Hétreau-Pottier, enseignante, doctorante IPRAUS, allocataire du ministère de la Culture Chargés de mission Adèle Esposito, doctorante, allocataire de recherches IPRAUS ; Cyril Ros, enseignant, ENSAPB/atelier de master Angkor/ Siem Reap ; Lisa Ros, enseignante, ENSAPB/atelier de master Angkor/ Siem Reap Le ttemps et l,espace L Introduction géographique Les monuments et vestiges, qui constituent le site d’Angkor (IXƉ– XVƉ siècles), se trouvent dispersés dans une région, celle de Siem Reap, située au nord-ouest de l’actuel Cambodge. Ce territoire est délimité au nord-est par une chaîne de montagnes, le Phnom Kulen (498m). Les principales rivières qui traversent et irriguent la plaine d’Angkor (les rivières Roluos, Siem Reap et Puok), prennent leur source dans ce massif, qui constitue ainsi le « château d’eau » de ce territoire, lieu également de rechargement des nappes phréatiques profondes de la région. Au pied des Kulen, s’étend la plaine d’Angkor, où l’on rencontre la plus forte densité de vestiges angkoriens ; elle s’achève au sud sur les berges du Tonlé Sap ou Grand Lac , qui constitue la principale réserve d’eau douce et halieutique du Cambodge. Entre ces deux éléments naturels forts, la montagne et le lac, les seuls reliefs, modestes, sont le Phnom Krom (137m), le Phnom Bakheng (60m) et le Phnom Bok (235m), éléments majeurs de la symbolique et de l’histoire du territoire. Le Mont Kulen (A. Hétreau-Pottier, 2007) Le Tonlé Sap offre une particularité unique au monde, qui fait de la plaine d’Angkor un milieu naturel singulier : à l’emplacement des « quatre bras », à Phnom Penh, plus de 300km au sud d’Angkor, site de confluence de la rivière Tonlé Sap, exutoire naturel du Grand Lac, et du Mékong, les eaux de ce dernier, sous l’effet de la crue en période de mousson, se précipitent dans la rivière, provoquant La région de Siem Reap/Angkor. © Google Earth, (Montage de l’image M. Kudlacik et D. Tarielashvili, 2007). 1 On désigne sous le nom de Tonlé Sap le système hydrologique comprenant le lac et son exutoire naturel qui le relie au Mékong. 7 l’inversion de son courant, et viennent remplir le lac dont la surface va jusqu’à quadrupler. Son niveau peut alors s’élever de sept à huit mètres et la zone inondée s’étendre sur 20 à 50km, engendrant des milieux naturels exceptionnels comme les forêts inondées, déposant aussi de riches alluvions dont les hommes ont très tôt su tirer parti, développant au cours des siècles la riziculture, qui marque encore le paysage actuel. Ainsi, la plaine d’Angkor vit-elle au rythme de l’inondation et son principal centre urbain actuel, Siem Reap s’est-il implanté légèrement au nord de la limite de battement des eaux du lac. 1 - Con iguration typique d’un temple (Prasat Kravan) : son tertre et ses douves. (A. Hétreau-Pottier, 2007) La particularité de ce territoire, l’omniprésence de l’eau, dont témoignent les légendes de fondation du Cambodge, ont impliqué une attention vite portée par les hommes à la maîtrise de l’eau, développant systèmes d’irrigation et ouvrages de rétention, dans un contexte climatique, celui du régime de mousson, où, soit l’eau est en surplus, soit elle vient à manquer. Le système hydraulique mis au point par les Khmers permet alors de résorber le trop plein en saison des pluies, grâce aux bassins artificiels, beng et trapeang , qui drainent les terrains, se remplissent en saison des pluies, constituant alors des réserves d’eau, qui se vident progressivement au cours de la saison sèche. Ainsi, la plaine d’Angkor, soumise au régime inégal de cet élément, milieu naturel fragile, constitue-t-elle aussi un paysage historique du fait de l’intervention ancienne et répétée des hommes. Cette occupation millénaire a laissé des traces monumentales, ces temples, palais, chaussées, douves, vastes pièces d’eau et baray qui entraînent chaque années l’affluence croissante de visiteurs, mais aussi plus modestes, les bassins de drainage, les canaux qui traversent et irriguent la plaine d’Angkor, le parcellaire de rizière mis en place peu à peu par les Khmers. Tous témoignent du modelage du territoire au cours des siècles écoulés , vaste paysage façonné progressivement par l’homme, où se mêlent vestiges archéologiques d’une importance variable et cultures, notamment rizicole, elles-mêmes témoignage historique. Ce territoire d’Angkor est donc caractérisé par la qualité de son écosystème et de son fragile milieu naturel, dont l’anthropisation au cours des siècles a suscité une interdépendance étroite des éléments historiques comme naturels qui le constituent. 1 Inès Gaulis 2 - Paysage de casiers de rizières dans la plaine d’Angkor. (rapport ARTE, 1994) 2 3 2 Les trapeang sont des bassins artificiels 4 Cf. Christophe Pottier, Carte archéologique de forme rectangulaire, bordés de berges épaisses. de la région d’Angkor – Zone sud, thèse sous la direction de Bruno Dagens, Université de Paris III - Sorbonne nouvelle, 1999, 3 volumes. , 3 Les baray sont de vastes réservoirs d eau, délimités par de hautes digues, 8 3 - Vue du Phnom Krom, les terres inondées sur les rives du lac Tonlé Sap. (A. Hétreau-Pottier, 2007) , Le temps et l espace Le territoire d’Angkor : site des capitales khmères Angkor, reconstituée par un siècle de recherches épigraphiques et monumentales, voit son histoire commencer vers la ϔin du VIIIƉ siècle avec les pérégrinations d’un jeune prince qui rassemble un pays divisé, se fait sacrer « souverain universel » au sommet du Phnom Kulen en 802 apr. J.C., et ϔinit ses jours en régnant sous le nom de Jayavarman II dans la cité de Hariharâlaya, identiϔiée dans la région de Roluos, à une dizaine de kilomètres à l’est de la ville actuelle de Siem Reap. Jayavarman II apparaît non seulement comme le premier « roi suprême » à régner dans la région d’Angkor, mais aussi – et surtout peut-être – comme le créateur de la royauté angkorienne, de sa titulature, de certains de ses cultes qui perdureront lors des dynasties suivantes. Avec Jayavarman II commence donc ofϔiciellement la période angkorienne ; et, hormis une brève inϔidélité d’une vingtaine d’années dans le courant du XƉ siècle, tous ses successeurs demeureront dans la région jusqu’à son abandon vers le XVƉ siècle, contribuant les uns après les autres à l’édiϔication de ce vaste complexe que constituera ϔinalement Angkor. La civilisation khmère n’est toutefois pas apparue aussi soudainement : elle prend racine dans une préhistoire encore mal connue au Cambodge, même si les recherches conduites depuis une dizaine d’années soulignent l’existence de continuités et d’une lente maturation conduisant, depuis les époques anépigraphiques (Âges du Bronze 1500 - 500 av. J.C. , puis du Fer 500 av. J.C. - 300 ap. J.C.) à l’apparition de premiers systèmes politiques complexes, puis aux premiers États. Les annales chinoises ont en particulier conservé la mémoire d’un premier royaume « hindouisé », qu’elles nomment Funan, dont le foyer était situé au sud, près du delta du Mékong, entre les IV et VI siècles. Cet État semble avoir été progressivement supplanté par un autre, que les mêmes sources nomment Chenla, et dont la capitale correspondrait un temps au site de Sambor Prei Kuk, au nord de la ville de Kompong Thom, sur la rive septentrionale du lac Tonlé Sap, à mi-chemin entre Siem Reap et l’actuelle capitale du pays, Phnom Penh. La « dislocation » du Chenla génère cependant au VIII siècle une époque particulièrement confuse, au moins d’un point de vue épigraphique et historique. Elle est généralement considérée comme une période de scissions diverses et successives et de luttes entre petits royaumes plus ou moins indépendants, auxquelles Jayavarman II vient mettre un terme, sinon définitif, du moins suffisant pour assurer une nouvelle cohésion à la base de l’expansion de « l’Empire khmer ». À son apogée cinq siècles plus tard, cet empire s’étendra sur tout l’actuel Cambodge, le Sud du Vietnam et du Laos, et le centre et le nord-est de la Thaïlande. Même si plusieurs indices suggèrent que divers établissements étaient déjà présents depuis la préhistoire dans la région Carte archéologique de la région d’Angkor - © Greater Angkor Project : Pottier/EFEO (1999) et Evans/GAP (2007) - Fonds (Topographie et hydrographie) d’après JICA 2005. 9 Temple d’Angkor Vat (C. Giraudet, 2007). d’Angkor, sur les rives du lac Tonlé Sap, et qu’un centre majeur y était déjà établi depuis le VII siècle, en particulier dans la région occidentale, l’installation de Jayavarman II à Roluos à l’aube du IX siècle célèbre communément le début d’Angkor en tant que capitale de l’empire angkorien. Pendant quelques 700 ans, une série de capitales successives, des centaines d’établissements villageois et de vastes aménagements territoriaux s’établiront dans toute la région, migrant et se superposant souvent, aboutissant à une densification rapide et à une transformation profonde de l’ensemble du terroir angkorien. Les souverains garderont pourtant une prédilection pour les environs du Phnom Bakheng, la plus centrale des rares collines de la plaine alluvionnaire qui descend progressivement depuis les plateaux réseux du Phnom Kulen au nord-est jusqu’au lac Tonlé Sap. C’est sur cette colline située à sept kilomètres au nord de Siem Reap que Yaçovarman 1er, abandonnant Hariharâlaya, installe le temple central de sa nouvelle ville de Yaçodharapura dès la fin du IX siècle. Et c’est dans cette zone qui constitue désormais le cœur du site actuel d’Angkor, que ses successeurs construiront leurs cités et leurs principales fondations religieuses, dont les imposants temples pyramidaux qui sont autant de jalons symboliques marquant les centres des capitales consécutives. De ce palimpseste émergent certains souverains, grâce aux inscriptions qui célèbrent leurs exploits et aux monuments spectaculaires qui leurs sont attribués. Il en est ainsi de Suryavarman II (1113-c. 10 1150), bâtisseur du temple vishnouïte d’Angkor Vat, considéré à juste titre comme l’acmé architecturale de la civilisation khmère. De même pour le roi Jayavarman VII (1181-c. 1218), souverain bouddhiste et fondateur de la dernière capitale, Angkor Thom, centrée sur le temple du Bayon aux célèbres tours à visages et enchâssée dans son impressionnante enceinte défensive carrée de trois kilomètres de côté. Mais le déplacement de la capitale vers la région de Phnom Penh, au milieu du XV siècle, sonne le glas d’Angkor qui semble alors avoir rapidement été abandonné. Hormis quelques îlots, tel le temple d’Angkor Vat qui demeurera l’important site de pèlerinage bouddhique que les premiers explorateurs occidentaux « découvriront » quatre siècles plus tard au milieu de la forêt qui a largement recouvert la région. Le site d’Angkor qui s’offre désormais aux visiteurs, présente avant tout une remarquable concentration d’œuvres architecturales monumentales, résultat de l’accumulation de fondations royales pendant des siècles. Ne subsiste pourtant en apparence que le squelette religieux de cette civilisation angkorienne, dans les résidus d’un écrin végétal largement décimé par la déforestation et les développements modernes. Mais au-delà des grands temples et de la zone centrale protégée, Angkor s’étend à l’ensemble de la région, intégrant d’ailleurs Siem Reap qui s’est constituée à la croisée de trois anciens canaux majeurs – dont la rivière actuelle – et dans un environnement ponctué de multiples vestiges angkoriens. Nos récentes recherches archéologiques, couplant télédétection et prospections au sol, révèlent à l’échelle de la région entière, l’ampleur de cette facette angkorienne non monumentale : les modestes ruines de centaines de petits sanctuaires, de milliers de bassins et de terre-pleins témoignent d’une myriade d’établissements villageois, qui s’inséraient dans un écheveau dense et complexe de chaussées, de canaux, de barrages et de réservoirs (baray) qui structuraient un vaste terroir dont on perçoit encore l’ancienne intensité d’occupation des sols par la présence des casiers des rizières fossiles. Façonné par les fondations pieuses, les établissements humains et les structures viaires et hydrauliques, Angkor constituait finalement une vaste mégalopole couvrant l’ensemble de la région dans un remarquable continuum urbain-rural. On rappellera donc en conclusion de cette courte introduction que le développement actuel de la ville de Siem Reap constitue une menace aussi sérieuse qu’inéluctable pour la conservation d’Angkor. Et que la préservation des temples monumentaux ne saurait masquer la richesse de l’archéologie du territoire et son importance pour une compréhension équilibrée du phénomène angkorien. Christophe Pottier Temple de Bakong à Roluos : vue aérienne depuis le nord-est (C. Pottier, 2004). Maître de Conférences à l’École française d’Extrême-Orient , Le temps et l espace Histoire et évolution urbaine Avec 80 000 habitants, la ville de Siem Reap, chef-lieu de la province du même nom, est située à 5 km d’Angkor Vat, à la croisée de deux voies perpendiculaires, le stung (rivière) Siem Reap et la route nationale n°6 (RN6). Elle occupe une place singulière au Cambodge : en plus de ses fonctions administratives, commerciales et résidentielles, sa proximité avec le site d’Angkor lui donne un statut de pôle touristique international. Ce statut s’est nettement renforcé depuis 1992 avec l’inscription d’Angkor au Patrimoine mondial. En moins de quinze ans, le développement économique du pays, l’explosion démographique et l’accroissement touristique (deux millions de visiteurs attendus en 2008), entraînent Siem Reap dans un cycle de mutations profondes et rapides. Extrait de la carte d’État-Major d’Indochine « Grand Lac », 1907. Échelle d’origine 1:200.000e. Arrivée au Phnom Krom. Source : Les aventuriers du monde, 1866-1914, Ed. L’Iconoclaste, Paris 2003, p. 41. Cette situation contraste avec une histoire urbaine présentant une évolution relativement lente sur plus de quinze décennies. Elle fut rythmée de phases de fabrication étroitement liées à l’histoire politique du pays. À la fin du XIX siècle, les descriptions données par les premiers découvreurs occidentaux et les cartes siamoises rendent bien compte des tracés et des structures existantes. Ce paysage associait la rivière et son écrin végétal à une série de villages avec leurs monastères, lieux de culte et de socialisation. Siem Reap était à l’aube du XX siècle la porte d’accès vers Angkor Vat, haut lieu de pèlerinage bouddhi- que. L’ensemble formait une agglomération administrative, commerciale et agricole qui s’étirait du nord au sud sur une dizaine de kilomètres. Le long de la rivière, les habitations de bois et de paille se succédaient sous un couvert arboré renforcé de plantations irriguées, bordées de chaque côté par des rizières. Cet aspect linéaire est omniprésent dans les descriptions que font les premiers Européens explorateurs des itinéraires qu’ils ont suivis pour accéder à cette « bourgade » en bateau depuis le lac du Tonlé Sap à une quinzaine de kilomètres au sud, puis en barque pour remonter la rivière. Dans la partie nord, sur la rive droite s’élevait la citadelle du gouverneur siamois entourée de remparts et de bastions. Au sud, un premier marché est implanté à la croisée d’anciens canaux et de pistes, au niveau de l’actuel monastère Vat Bo. Le pays est placé sous protectorat français depuis 1863, mais il faudra attendre une dizaine d’années après la rétrocession des Siamois de la province de Siem Reap en 1907 pour que l’administration française puisse commencer à aménager la ville et le site des temples. Elle déplace le marché existant à l’emplacement de l’actuel Psar Chas (Vieux Marché). Sur la base d’un plan d’ensemble, les premiè11 La citadelle de Siem Reap, 1902. Source : Musée national de Phnom Penh, collection privée. res rangées de compartiments à arcades en maçonnerie voient le jour autour d’une halle, alors qu’au nord la citadelle est rasée, laissant place à un quartier administratif développé sur un réseau de rues orthogonales. Dans ces prémices d’un premier aménagement urbain s’implantent la poste, la prison, l’hôpital et les divers équipements nécessaires au chef-lieu provincial que Siem Reap est devenu. Par la suite, le Grand Hôtel et un parc sont construits plus au nord, le dernier intégrant l’autel du Neak Ta Ya Tep, génie protecteur de la ville. Bien que la ville se développe toujours le long de la rivière, c’est à la fin des années 1920 qu’elle acquiert sa première organisation « centrée » sur un réseau viaire orthogonal, avec la création de la nouvelle route coloniale n°1bis, reliant Angkor à Saïgon via Phnom Penh, l’actuelle RN6. Cette nouvelle voie est-ouest modifie complètement l’approche initiale de la ville par voie d’eau. Le Protectorat continue à préciser l’organisation des infrastructures de Siem Reap et d’Angkor, forgeant lentement leurs caractères respectifs de petit chef-lieu et de grande attraction monumentale. Après l’Indépendance du Cambodge en 1953, l’organisation de la ville se poursuit par un renforcement de l’armature urbaine. La partie centrale se densifie, intensifiant le caractère urbain avec de nouvelles constructions symboliques du Cambodge nouveau. Il s’agit par exemple d’édifices de style moderne comme la Villa princière, le tribunal, le stade, les écoles primaires ou encore l’ancien lycée Suryavarman II en lisière de la 12 forêt d’Angkor. Le tourisme commence à se développer (environ 50 000 visiteurs vers la fin des années 1960 qui trouvent à se loger dans quelques hôtels), mais la ville reste de taille modeste avec une population d’environ 10 000 habitants. La partie marchande, relativement dense, contraste avec les autres secteurs de la ville où les édifices sont implantés au milieu de larges parcelles ouvertes. Si l’aérodrome s’agrandit et prend un statut international, la priorité des autorités concerne le développement d’autres villes provinciales du Cambodge. On observe déjà les prémices d’une confrontation entre Siem Reap et Angkor, augurant des enjeux entre patrimoine et développement. De nouveaux projets de développement en direction des temples sont prévus, mais avec l’occupation des temples par les Khmers Rouges en 1970, ces intentions sont arrêtées. En 1975, la ville est vidée de ses habitants. Après la chute du régime Khmer Rouge en 1979, la ville reste plongée dans un isolement défensif jusqu’en 1992. De cette période datent la digue périphérique de défense, le marché Psar Leu et le quartier de Phum Thmey. Depuis l’ouverture d’Angkor au réseau touristique mondial, radicalement différent de celui des années 1960, Siem Reap connaît une internationalisation qui bouleverse profondément ses mécanismes de développement et son rythme de fabrication. La réelle explosion constructive, liée à la stabilité retrouvée depuis les « ajustements » politiques de 1997-1998, se traduit au début par une densification du centre urbain, un développement hôtelier et commercial sur les axes estouest et nord, puis par une expansion de la surface de la ville en retrait des axes. Le développement se retrouve en décalage par rapport aux schémas directeurs qui ne cessent d’être élaborés. Ainsi la ville a décuplé de surface durant les dix dernières années. Les bouleversements récents touchent autant les secteurs hôteliers, commerciaux et celui des services, que les fonctions résidentielles et administratives qui se dispersent sur l’ensemble du territoire rural environnant. Ces bouleversements se traduisent par une altération du paysage rural, végétal, La rivière de Siem Reap, 1902. Source : Musée national de Phnom Penh, collection privée. (© Google earth, 2005) (© Google earth, 2005) (© Google earth, 2005) 1- Quartier du Vieux Marché 2- Sur la route d’Angkor, les hôtels et l’hôpital Kanta Bopha 3- Les villages le long de la rivière, au sud de Siem Reap. archéologique, une mise en péril du patrimoine urbain, une production architecturale sommaire et par la dégradation et la disparition des espaces publics. Rapidement, ces transformations morphologiques altèrent en profondeur le caractère de « ville jardin » de Siem Reap, pourtant toujours vanté tant dans la littérature touristique, que dans les discours officiels et les rapports d’études spécialisées. La configuration originelle de la ville se modifie profondément, transformant son rapport à la campagne. Construite par une succession d’à-coups issus majoritairement d’opportunités individuelles, la ville s’urbanise de façon fragmentaire. des systèmes parcellaires, une évolution des trames. À la modification des configurations architecturales, s’ajoute des surélévations, une minéralisation et des constructions bon marché et de faible qualité spatiale. L’infrastructure hôtelière est omniprésente avec plus de 10 000 chambres d’hôtels disponibles, dispersées en centre ville, le long de la route de l’aéroport et vers les temples. Les marchés, centres commerciaux, hangars à souvenir et restaurants ne cessent de se multiplier. La surenchère de compartiments, généralisés par d’importantes opérations immobilières, participe autant à la minéralisation de la ville qu’à sa mutation urbaine, aux portes d’Angkor comme en pleine campagne. Des projets privés dits culturels (musées, centre d’exposition) ou de loisirs (golf, village culturel) s’installent aussi selon une apparente autonomie, au centre comme en périphérie. Le centre se vide de ses édifices administratifs dont les services sont renvoyés au loin dans les rizières pour faire place à des opérations privées. Les zones résidentielles se déploient à l’écart des deux grands axes mais commencent à présenter des caractéristiques propres. Au nord-ouest, Phum Thmey a triplé de surface en s’étendant notamment sur les zones protégées du parc archéologique. Les vieux villages au nord-est sont par contre restés bloqués par une cité hôtelière fantôme, alors que le sud-est est devenu une vaste zone de développement résidentiel. Si le sud-ouest est pour l’instant demeuré peu développé, il devient une cible remarquable pour des opérations foncières d’envergure. Privatisations, enjeux spéculatifs du foncier, absence d’un schéma directeur approuvé, lacunes des réglementations, de leurs applications et lacunes de gestion de l’espace public, nouveaux acteurs nationaux et étrangers, nouvelles pratiques touristiques sont autant de facteurs qui génèrent de nouvelles configurations urbaines, modifiant l’identité originelle de la ville et de son territoire. La conjonction de la valeur foncière et de la rentabilité à court terme des investissements privés influe directement sur les formes urbaines et architecturales. On assiste à des densifications, des changements d’échelle, une répétitivité Ce dynamisme est insuffisant sinon absent dans les infrastructures sanitaires (adduction d’eau, drainage des eaux pluviales, évacuation et traitement des eaux usées, collecte d’ordure), et dans les équipements urbains collectifs (espaces verts et de loisirs, écoles publiques, administration). Le décalage entre le dynamisme privé et le développement modéré des infrastructures publiques est critique. À l’image de la capitale, la ville et son terroir se sont ouverts à la spéculation et au développement. Rompant avec les logiques habituelles du front pionnier linéaire, l’urbanisation de Siem Reap se déploie désormais résolument à travers son territoire. Elle n’obtient pas de nouveau statut urbain, ni d’identité patrimoniale propre. Elle n’a pas non plus pour l’instant fait l’objet d’une volonté d’y affirmer un quelconque projet public majeur ou d’y construire une image signifiante et les axes de son devenir. D’ailleurs, elle avait un nom, qu’elle risque de perdre, pour être rebaptisée « Angkor City »… à l’ombre d’Angkor. Aline Hétreau-Pottier 13 Recherches de l’équipe de l’Observatoire Recherche post-doctorale : Inès Gaulis Les leçons d’Angkor : dix ans de coopération internationale dans la région de Siem Reap/Angkor Cette recherche s’est intéressée à l’analyse des nombreux projets issus de la coopération internationale, concernant la région d’Angkor/Siem Reap. Ceux-ci ont été élaborés par différents organismes, cabinets d’études ou agences d’architecture, lors de la réouverture du Cambodge au début des années 1990. Dès 1989, les principaux partis cambodgiens s’adressent à l’UNESCO pour que celle-ci prenne en charge une campagne de sauvegarde d’Angkor. À l’automne 1991, la signature des Accords de Paris qui ramènent la paix au Cambodge autorise le lancement de cette campagne laquelle devient effective. Son premier acte sera l’inscription concomitante du site sur la liste du Patrimoine mondial et celle du Patrimoine en péril en 1992. Les projets, ici analysés, accompagnent cette action générale. Ils concernent la conservation et la protection des monuments, mais aussi l’aménagement du territoire à l’entour, notamment celui de la ville voisine de Siem Reap. En effet, il apparaît très vite que cette campagne de sauvegarde annonce une rapide ouverture au tourisme, dont on espère la montée en puissance. Il s’agit alors de mener, à travers et grâce à ces projets, deux types d’action essentiels : la protection du patrimoine d’Angkor et le redémarrage économique du pays (crucial après vingt ans de guerre et de troubles). Le développement touristique attendu désigne alors la région d’Angkor comme la zone moteur du redémarrage économique du Cambodge et le tourisme, principale industrie, pourvoyeuse de devises. On doit donc concilier deux objectifs, souvent considérés comme contradictoires : protection du patrimoine et développement économique. L’enjeu est rendu crucial par l’extrême pauvreté du pays et de la population, et par la valeur et les dimensions exceptionnelles du patrimoine considéré. En ce début de 14 décennie 1990, cette situation aiguë risque d’être brutalement confrontée à l’état existant du tourisme, à savoir une industrie en plein essor. Il fallait donc concilier développement économique, résultat du développement touristique, et protection du patrimoine archéologique, historique mais aussi environnemental (le bassin du Tonlé Sap était classé réserve de la Biosphère par l’UNESCO dans la foulée). Conscientes de ces enjeux, les autorités cambodgiennes, la communauté internationale, comme l’UNESCO, appelée au secours par les autorités cambodgiennes et qui assurera bien souvent la coordination de l’action menée en faveur d’Angkor, lancent une série de projets, visant la protection du patrimoine historique et naturel, l’aménagement du territoire, et par conséquent le contrôle de l’usage de l’espace, indispensable à la protection du site. Ce contrôle s’est organisé autour d’un plan de gestion et de protection de la région, Zoning and Environmental Management Plan for Angkor Area (ZEMP), qui a abouti à un zonage et à une délimitation des sites protégés. Les projets étudiés datent de la décennie 1991-2002. Ils ont été élaborés dans le contexte de la campagne de sauvegarde d’Angkor, souvent dans la suite du ZEMP, et ont cherché à concilier les deux priorités affichées par les autorités cambodgiennes : protection et développement économique. Dans cette recherche, il s’est alors agi d’interroger le statut de ces projets, leur fonction et d’en confronter les intentions avec la réalité du terrain. Ces projets touchaient à des domaines tels que la restauration et la conservation des monuments mais aussi l’établissement d’un schéma directeur d’aménagement, le développement touristique (pris sous un angle prospectif) ou la protection de la biodiversité. Ils ont fait appel à des expertises aussi diversifiées : historiens, archéologues, architectes, urbanistes, Directeur scientifique : Pierre Clément Recherche soutenue par l’attribution d’une allocation de recherches post-doctorale de la Région Île-de-France (IPRAUS/UMR 7136 A.U.S-CNRS) mais aussi paysagistes, anthropologues, ingénieurs hydrauliciens ont apporté leur contribution à cet objectif de protection et de développement contrôlé. Près de quinze ans se sont écoulés depuis l’élaboration des premiers projets, qu’en est-il des objectifs poursuivis ? Si le site, à savoir le parc archéologique (zones de protection 1 et 2 du ZEMP), semble protégé et entretenu, il n’en est pas de même de la ville de Siem Reap, qui connaît un développement accéléré du fait de l’afflux des touristes, lequel a engendré une forte spéculation foncière. Alors que la construction à l’intérieur du périmètre du parc archéologique paraît à peu près sous contrôle (néanmoins la population des nombreux villages, dispersés sur les 401 km² de la zone archéologique, a considérablement crû passant d’environ 25.000 habitants en 1992 à près de 100.000), le territoire de la ville de Siem Reap est la proie de la spéculation foncière. Ce développement affecte non seulement le paysage urbain, mais aussi l’environnement de la région, ainsi de la terre arable est-elle extraite de régions situées au bord du Tonlé Sap pour servir de remblai à des parcelles de rizières, transformées en terrain à bâtir. Très clairement, les tentatives de contrôler le développement de Siem Reap à travers schéma directeur et autres plans d’urbanisme ont échoué. Cet échec tient vraisemblablement à une volonté politique peinant à imposer son contrôle, sans doute également à la difficulté rencontrée pour établir une protection progressive (de la zone monumentale à la ville) et élargie à une part conséquente de la province car nous faisons l’hypothèse que ces plans successifs des années 1990 avaient aussi pour objectif de servir la protection du site (en protégeant ses abords) et en constituaient vraisemblablement l’un des dispositifs. Développement et patrimoine : formes et mutations de la ville de Siem Reap à l’ombre d’Angkor (1907-2007). Depuis la réouverture du pays et l’inscription du site d’Angkor sur la liste du Patrimoine mondial en 1992, Siem Reap s’est retrouvée confrontée à de profondes transformations induites par une explosion démographique et une croissance économique tirée par l’aide internationale et le développement touristique exponentiel. Cette ville secondaire du Cambodge fait dorénavant l’objet de recompositions et de mutations architecturales et urbaines signiϔicatives, tant dans sa partie centrale qu’en périphérie. Elle a vu sa surface décupler en une décennie, jusqu’à menacer d’empiéter la zone des temples. L’évolution récente de la ville illustre de manière singulière la difficile reconnaissance d’un patrimoine urbain face à la concurrence du « grand patrimoine » unanimement célébré des temples angkoriens. À l’échelle de la région et dans son rapport avec Angkor, elle montre l’ambiguïté de la perception, de la représentation de la ville et de ses identités territoriales. À cette dichotomie, s’ajoute l’opposition patente entre des structures de pierres millénaires et une ville séculaire largement constituée d’architectures végétales éphémères. Elle est désormais confrontée à de nouveaux enjeux. « Forêt de pierre vs. ville végétale », « grand et petit patrimoines », « conservation et développement urbain », tels sont des questionnements que Siem Reap permet d’aborder et d’approfondir dans un processus couvrant un siècle d’histoire et dans une actualité au dynamisme singulier. Sous le signe de l’ouverture et de la dichotomie, cette phase de croissance rapide offre l’opportunité d’analyser la relation que la ville entretient désormais avec ses héritages paysagers, ruraux, urbains et les nouvelles configurations spatiales. Dans ce dessein, en partant des caractéristiques et des processus majeurs de la production contemporaine, différents domaines d’investigations sont envisagés, tels l’identification des caractéristiques patrimoniales, le dégagement des périodes charnières de la fabrication et de l’évolution urbaine, la reconnaissance des enjeux politiques, économiques et stratégiques et l’étude des acteurs et des différents modèles, locaux ou exogènes qu’ils véhiculent. Plusieurs constats structurent notre démarche initiale. À l’ombre d’Angkor, Siem Reap s’inscrit dans un contexte culturel qui la différencie d’autres villes secondaires régionales. Plus commun, mais fondamental au regard de l’évolution contemporaine, Siem Reap possède des singularités locales ancrées dans le monde rural cambodgien. La ville « historique », dont le caractère urbain n’avait été que modérément affirmé, ne représente plus qu’une faible surface du territoire actuel. Dans un tel contexte, la relation entre les héritages et la fabrication urbaine se pose de manière diachronique et multiple. Dans sa dimension historique, les changements récents rendent possible un travail rétrospectif d’identification, d’analyse des modes de fabrication de cette ville, tant dans son rapport avec Angkor que dans son développement. Au-delà de 1992, la compréhension de la ville se fonde sur une lecture de son évolution à ses diverses échelles (territoire, village, quartier, îlot, bâtiment) afin de mettre en perspective les permanences et les mutations de cette fabrication. Sur la base d’un état des lieux des formes et des types actuels, une chronologie relative doit être développée, afin de souligner les périodes clés de l’histoire urbaine, depuis les installations coloniales jusqu’aux périodes de post-indépendance et contemporaine. Les questionnements de notre recherche aborderont l’influence qu’Angkor a eu sur le développement de Siem Reap, les traits de sa fabrication et ses cultures de projets face aux renouvellements des enjeux, la place et l’impact des référents patrimoniaux issus des singularités historiques et culturelles face à l’introduction de nouveaux modèles, ainsi que la volonté d’établir une identité locale confrontée à son histoire. D’un point de vue spatial, Siem Reap est face à de nouvelles qualifications des lieux, à une redistribution des cartes foncières, à des enjeux spéculatifs importants, à une recherche d’une rentabilité à court terme et à l’absence d’un schéma directeur fédérateur, associée aux lacunes des réglementations existantes et de la maîtrise de la gestion de l’espace public. L’urbanisation bouleverse le paysage et semble échapper aux logiques préétablies et aux outils de planification ordinaires. Les dynamiques territoriales Thèse en cours : Aline Hétreau-Pottier Directeur et codirecteur : Pierre Clément, Nathalie Lancret École doctorale Ville et Environnement, ENPC, ENSAPB. introduites par les acteurs de la nouvelle économie (foncier, immobilier et touristique) ont un impact fort sur les configurations, ne serait-ce que par la nature et la multiplication des opérateurs et de leurs réalisations. Qu’il s’agisse du secteur public, d’organismes internationaux et du secteur privé omniprésent, les conséquences se perçoivent sur les représentations de l’espace (conception) et sur les espaces de représentations (symbole) modifiant l’identité de la ville et de son territoire. Nos questionnements portent sur les origines, les modalités de ces transformations multiples qui touchent tant à l’évolution urbaine (résistances, superpositions, adaptations, suppressions de chemins, de tracés de rizière, de village, de jardins…) qu’à la production architecturale (densifications, surélévations, comblements selon une spéculation modeste ou de plus vaste envergure, mimétismes, pastiches ou assimilation des connaissances…). Ces réflexions motivent une analyse qui conjuguera plusieurs critères : - les héritages et leurs représentations (qualification, évolution, rapport paradoxal entre la ville et Angkor, discours et réalité) ; - les enjeux nationaux et internationaux, les acteurs et les outils des stratégies (pouvoirs publics, investisseurs privés, organismes internationaux, populations locales, professionnelles) ; - les productions urbaines et architecturales, projet et réalisation (situation, opération, stratégie, répercussion). Cette recherche s’insère ainsi dans un cadre méthodologique basé sur trois approches complémentaires pour une mise en perspective de la connaissance historique et spatiale de ses faits urbains, de ses référents et de ses modes de représentations : - identification rétrospective des types, des configurations urbaines et architecturales exogènes, endogènes, mixtes, y compris celles issues des nouvelles dynamiques (relevés, recherches de plans, reconstitution historique selon cas, genèse et analyse des transformations) ; - élaboration d’une cartographie diachronique et d’une analyse comparative d’un corpus couvrant plus d’un siècle de cartes, de plans « constats » et « projets », de photographies aériennes, d’images satellitaires (intégration dans un SIG) ; - Une série d’enquêtes de cas de certains acteurs des éléments représentatifs des phénomènes (chronologie, logique et modèles des projets). 15 Siem Reap - Invention et constitution d’un lieu de tourisme aux portes d’Angkor Les perspectives de développement touristique consécutives à l’inscription d’Angkor au patrimoine mondial suscitent l’aménagement du territoire pour le tourisme. Ce dernier s’afϔirme comme un outil du renouveau économique du pays, mais aussi de son ouverture à l’étranger. Angkor faisant l’objet d’un strict régime de protection, ces aménagements ont Siem Reap comme lieu d’implantation privilégié. Au début des années 1990, le Cambodge avait des infrastructures inadaptées au tourisme international. De plus, Angkor n’avait été visité que par un nombre limité de touristes : le développement du secteur, débutant entre les années 1950 et 1970, avait était interrompu par les Khmers Rouges. Ainsi, lors d’une première phase (1992-1999), qui suit le classement d’Angkor, les interventions sont-elles faites sous le signe de « l’urgence » : construction d’une première génération d’hôtels, aménagement de guest houses, amélioration de l’accès. A in de favoriser le redémarrage économique du Cambodge, l’objectif est l’augmentation du nombre de visiteurs par l’offre d’infrastructures de base1. Par la suite, les élections générales au Cambodge (1998) et son entrée dans l’ASEAN (1999) favorisent une nouvelle politique basée sur des objectifs quantitatifs, comme la prolongation des séjours. Aussi, à cause de la crise des économies asiatiques, le Cambodge manifeste-t-il le souhait de développer un secteur touristique plus diversi ié, et donc plus fort face aux aléas du scénario international2. Ainsi, l’ambition pour Siem Reap/Angkor, à partir de 2000, vise-t-elle à améliorer la qualité de l’accueil et à mettre en place des attractions « autres » que les temples. De nombreuses infrastructures sont implantées dans la ville, mais aussi des équipements culturels, ludiques et sportifs. Certains lieux sont valorisés pour la fréquentation touristique. De nouvelles pratiques voient le jour : les manifestations culturelles et l’éco-tourisme, les activités sportives. Face au patrimoine majeur d’Angkor, la ville de Siem Reap est, au cours des premières années, un lieu d’accueil et de service. Ensuite, le changement des politiques et le climat favo- 1 Cf. Ministère de la Planification, Premier Plan de Développement du Cambodge, 1996. 2 Cf. Ministry of Tourism, Report on recapitulation of Tourism Year 1998-2002, 2003. 3 Cf. Urry, J. (2002), The tourist gaze, London, Sage Publications ; Holden, A. (2005), Tourism 16 Thèse en cours : Adèle Esposito Directeur et codirecteur : Pierre Clément, Charles Goldblum École doctorale Ville et Environnement, ENPC, Université de Paris VIII. rable aux investissements contribuent à modi ier les façons dont on intervient dans la ville. Nous formulons l’hypothèse que Siem Reap engage, au cours des toutes dernières années, un changement de « vocation » : de lieu d’accueil dans « les coulisses d’Angkor », elle s’af irmerait comme lieu de tourisme à part entière. Cette « transition » se baserait sur une évolution des façons de concevoir Siem Reap, qui deviendrait un cadre agréable pour des visites et des activités de loisir. La prise en compte de la ville en fonction des demandes d’une clientèle « extérieure » reste constante ; en revanche, le contenu de ces demandes évoluerait. Pour enquêter sur ces processus, nous nous référons à la notion du « regard » employé dans la recherche en matière de tourisme3 : la perception des qualités des lieux est « socialement construite » par les acteurs de l’aménagement et de la promotion. La reconnaissance de l’intérêt touristique commence en amont du voyage, à travers la promotion du site par les images et les représentations mentales qui guident ensuite l’expérience du touriste : ainsi, les lieux qui con irment ces images sont-ils mis en valeur ou créés ex nihilo. À Siem Reap/Angkor, la création de cette imagerie commence avec les explorateurs du XIXe siècle. Bien que focalisée sur la magni icence d’Angkor, elle touche la ville, à laquelle on attribue un charme exotique et pittoresque. La continuité de ces images contribuerait à fonder la relation entre Siem Reap et Angkor qui, tout en étant hiérarchique, est loin de se limiter à une simple exaltation du site archéologique versus l’ignorance de la ville4. Ensuite, par l’introduction de la logique de développement touristique, cette relation devient aussi de complémentarité fonctionnelle : tandis qu’Angkor fait l’objet de la reconnaissance internationale, Siem Reap est un lieu « utilitaire ». Il est alors question de voir comment la relation entre Siem Reap et Angkor est fondatrice de la création urbaine et la prise en compte du patrimoine pour le tourisme5. Le regard découvre une nouvelle perception de la ville. Nous désignons sous le terme d’invention – action de créer par l’imagination – les projets fondés sur celle-ci. Ainsi, Siem Reap serait-elle inventée comme lieu de tourisme. Le nombre et la portée de ces interventions étant exceptionnels, nous considérons que celles-ci auraient non seulement un rôle transformateur, mais aussi « refondateur » aboutissant à la constitution des formes du lieu de tourisme6 . Nous enquêtons sur la culture de ces projets, les processus auxquels ils participent, les formes, les pratiques spatiales engendrées. Les acteurs – auteurs/promoteurs de projets – exerçant un regard particulier, témoignent des intérêts pluriels opérant sur la ville, et la transforment en un lieu de convergence d’enjeux complexes entre projets ayant des cultures et des stratégies hétérogènes. Depuis les années 1990, les projets de développement urbain par des équipes internationales ont rencontré de nombreuses dif icultés de réalisation. Entretemps, la ville est fabriquée par l’initiative privée : le décalage entre la ville projetée et sa factualité nous semble être alors une approche pertinente tant pour les projets de fabrication urbaine que pour ceux prenant en compte le patrimoine urbain en vue de sa valorisation touristique. Dans ce contexte, le déploiement des infrastructures touristiques et leur évolution sont une clé de lecture du développement urbain accéléré, de la recomposition des tissus constitutifs, ainsi que des dynamiques foncières. Aussi, considérons-nous ces infrastructures en tant que formes architecturales, en nous focalisant sur les lieux d’hébergement – hôtels et guest houses. Les cultures locales possédant peu de modèles d’hôtels, nous abordons la question de leur création dans la relation dynamique entre l’« importation » de références et modèles – leur appropriation et réélaboration et la prise en compte de la localité. Ensuite, nous enquêtons sur les processus par lesquels l’habitat est adapté à la fonction de guest house, ainsi que sur des constructions plus récentes qui semblent fondées sur la reproduction de modèles. En in, il semble que les formes du tourisme participent à un processus plus large d’innovation architecturale qui intéresse l’habitat : nous les abordons donc en tant que vecteurs de signes de nouveaux modes d’habiter ainsi que de références formelles. studies and the social sciences, Routledge. 4 Cf. Mouhot, H. (1872), Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de lindochine, Genève, Olizane ; Loti, P. (1912), Un pèlerin dAngkor, Paris, Calmann-Lévy Editeurs. 5 Pour la prise en compte du patrimoine par le tourisme, un des principaux axes de notre , recherche, nous renvoyons à l article paru dans ce même bulletin. 6 Cf. Equipe MIT (2005), Tourismes 1, Lieux Communs, Belin, Paris. Recherche Patrimoine Introduction L’intérêt que l’on porte à Siem Reap, qui justiϔie la création d’un observatoire, tient à sa proximité avec Angkor mais aussi à sa transformation au cours des quinze dernières années en un « espace servant » du site, pour reprendre la formule employée par Charles Goldblum. Au premier abord, cette relation entre Siem Reap et Angkor, ainsi déϔinie, pourrait relever d’une confrontation entre un site archéologique et historique majeur, qui allie symbolique nationale et renommée internationale, avec une modeste ville de province, dévolue à l’accueil des visiteurs. Le développement actuel de Siem Reap, comme sa fonction d’espace servant, serait le résultat d’une sorte de « choc » suscité par cette confrontation entre deux espaces de nature différente, un espace archéologique et un territoire urbain, le premier réservé à la conservation, le second au développement économique. La confrontation semble cependant se faire aussi entre un patrimoine monumental – celui d’Angkor dont les vestiges, qui répondent à la déϔinition du concept de « monuments historiques », sont immédiatement identiϔiés comme tels – et un ensemble urbain (que la culture occidentale qualiϔierait d’ailleurs plus volontiers de villageois) dont les qualités spatiales, comme l’évolution de la notion de patrimoine, aurait dû leur permettre d’acquérir le statut de patrimoine à divers titres : architectural, urbain, paysager. Or, cette confrontation semble se faire au détriment de ce patrimoine plus modeste, balayé par le développement et la soif de modernisation, faisant ainsi mentir cette évolution de la notion de patrimoine qui, théoriquement, lui réserve une place dans son souci de protection. Il s’établirait ainsi comme une sorte de rapport de forces qui opposerait le monument au vernaculaire, à l’habitat, aux petits « monuments » – vat ou équipements administratifs qui ont participé de la structuration de l’espace physique comme de l’espace social de la ville –, au paysage, comme si les monuments d’Angkor euxmêmes ne participaient pas de ce paysage. On observe donc aussi une scission entre le territoire du site et celui de la ville, une opposition entre le monument et un patrimoine « ordinaire » potentiel, qui, lui, n’est guère protégé. Peut-être et sans doute parce que ce patrimoine ordinaire n’est pas encore totalement identifié comme tel ou imparfaitement. Non pas tant qu’aucune valeur patrimoniale n’ait été reconnue à la ville et à son environnement : le ZEMP la classe en zone 3, c’est-à-dire en paysage culturel protégé. Dès le démarrage de la campagne de sauvegarde d’Angkor, nombreux furent les experts à souligner ses qualités et à prôner sa protection ; leur intérêt pour 1 Ce souci de protection est sous-entendu , dans l élaboration du plan directeur de Siem , , Reap par l équipe d ARTE-BCEOM en 1995. Siem Reap est cependant resté largement subordonné à Angkor. C’est la proximité d’Angkor qui justifie que l’on se soucie de protéger la ville (ne serait-ce que parce que c’est cette proximité qui la menace ) car protéger Siem Reap, c’est aussi protéger l’environnement élargi du site. C’est d’ailleurs bien souvent parce que la ville participe de cet environnement que l’on déplore sa destruction en cours, perçue, à juste titre, comme une menace pour le site. La question est donc de savoir si l’on accorde à Siem Reap une place et une valeur intrinsèques ou si elle est condamnée à n’exister que par rapport au site, à la fois cadre et environnement acceptables pour Angkor, mais volontiers sacrifié au profit du développement économique et de la modernisation. Confronté à un patrimoine monumental, le patrimoine mineur peine à se faire reconnaître. Le cas de Siem Reap permet donc d’aborder une série de problématiques touchant au patrimoine. Parmi lesquelles, nous noterons en premier lieu la dichotomie entre un certain regard occidental qui identifie dans un ensemble urbain un patrimoine potentiel et une volonté de développement économique qui ignore cette possibilité. Au demeurant, cette volonté de développement peut être portée aussi bien par des acteurs locaux qui souhaitent accéder à la modernité que par des investisseurs internationaux ; en second lieu, nous remarquerons la faiblesse d’un patrimoine mineur face à un patrimoine monumental, comme aussi les limites d’une extension de la protection à de très vastes territoires, comme c’est le cas à Angkor, face aux impératifs de développement. C’est la raison pour laquelle, nous proposons de développer ce sujet dans ce premier numéro du Bulletin de l’Observatoire. Nous présentons tout d’abord le cadre législatif de la protection du site d’Angkor et de ses environs, qui a actuellement cours, à travers le plan de zonage et de gestion de la région de Siem Reap /Angkor (ZEMP), élaboré en 1992-93. Adèle Esposito évoque ensuite la patrimonialisation de certains secteurs de Siem Reap par le regard de l’autre, en l’occurrence les touristes. Elle aborde la question de l’adaptation, de l’exportation de la notion de patrimoine, mais aussi de l’influence de ces visiteurs que sont les touristes à travers l’attente qu’on leur prête, ce qui suscite tant de la part des investisseurs privés que des autorités des actions en faveur de la ville, encore très balbutiantes, il faut le reconnaître. Enfin, Aline Hétreau-Pottier, dans une série d’articles, se prête à l’exercice de l’inventaire, inventaire de ce qui contribue aux qualités spatiales de Siem Reap et qui, par conséquent, serait susceptible d’être identifié, puis reconnu et enfin protégé. Dans un premier texte, le paysage de la plaine d’Angkor dans lequel s’insère Siem Reap est évoqué, démontrant le risque de rupture dans la continuité territoriale, existant entre le site et la ville, que son développement incontrôlé est susceptible de provoquer. Enfin, Aline Hétreau-Pottier, à travers une analyse des différents types d’architecture présents à Siem Reap (du village au chef-lieu de province du Cambodge indépendant en passant par la période du protectorat) établit un inventaire soigneux du patrimoine potentiel de Siem Reap, dont elle déplore le risque de disparition. Inès Gaulis 17 Recherches Patrimoine Le ZEMP et la délimitation du site d’Angkor À la demande du gouvernement cambodgien, se met en place au début des années 1990, le projet de sauvegarde du site d’Angkor, rapidement associé avec celui de l’inscrire sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette entreprise désigne alors la région d’Angkor/Siem Reap à l’attention de la communauté internationale qui va apporter son appui à la protection du site, bien souvent avec le soutien de l’UNESCO. Si, à cette occasion, l’attention s’est naturellement portée sur les monuments déjà répertoriés, on a aussi considéré la région tout entière du fait des principaux objectifs affichés par le gouvernement cambodgien : la conciliation de la conservation des monuments et du développement économique vivement souhaité de la région, lequel serait induit par l’augmentation attendue du tourisme. Le projet de sauvegarde d’Angkor, ainsi lancé, est marqué par sa grande échelle : nombre des vestiges à protéger, ampleur de la région considérée, complexité des objectifs de ce projet de sauvegarde, qui devait concilier protection et développement, un développement que l’on voulait respectueux des milieux naturels, humains et culturels. L’ambition du projet est donc proportionnelle à l’importance du rôle économique et culturel qu’il revêt. Détail de la carte général du ZEMP, ministère de la Culture et des Beaux-Arts. Royaume du Cambodge-UNESCO, Angkor GIS 1994 L’ensemble de la région de Siem Reap, à l’exception des zones 1 à 4, étant classé en zone 5, celleci n’est que partiellement représentée sur la carte ci-contre. Zone 1 : site monumental (monuments historiques et sites archéologiques du Domaine national) Zone 2 : réserve archéologique protégée (zone tampon autour du site monumental) 1 Décret royal du 28 mai 1994 (001/NS). 2 Soit les seules zones 1 et 2. Pour certains, dans la mesure où le zonage concerne la région tout entière, celle-ci devrait être considérée comme globalement inscrite sur la liste du Patrimoine mondial. 18 Zone 3 : paysages culturels protégés (environnement portant la marque de l’intervention humaine à travers le temps) Zone 4 : points d’intérêt archéologique, anthropologique ou historique (sites repérés ou à repérer, dont l’importance ne peut être reconnue que par des recherches sur le terrain) Zone 5 : périmètre de développement socio-économique et culturel de la région de Siem Reap Angkor. Le site d’Angkor est inscrit à titre provisoire sur la liste du Patrimoine mondial en 1992 comme sur la liste du Patrimoine en péril dont il sera retiré dix ans plus tard. Cette inscription est soumise à conditions, notamment l’établissement d’un plan de gestion et de protection. Pour répondre à cette dernière condition, une étude pluridisciplinaire est lancée, le ZEMP (Zoning and Environmental Management Plan for Angkor Area). Cofinancée par le Programme des Nations Unies pour le Développement, l’UNESCO et la Suède, elle concerne un territoire de 5.000km², allant des Monts Kulen au Tonlé Sap, rapidement porté à la totalité de la province d’Angkor/Siem Reap (10.000km²). Celleci sera alors étudiée tant du point de vue des vestiges qu’elle recèle que de son environnement naturel, sa population, ses implantations villageoises et urbaines. Cette étude aboutira à un décret qui découpe la région en cinq zones distinctes, correspondant à différents degrés de protection : (voir ci-contre) Le classement au patrimoine mondial concerne un territoire de 401km² qui reste habité. Celui-ci est divisé en trois parties. La première (351km²), le site d’Angkor proprement dit, est composée d’une combinaison de la zone 1 et de la zone 2. L’ensemble forme un vaste quadrilatère englobant les baray occidental et oriental. Au nord, se trouve la zone de protection du temple de Banteay Srei (20km²) et au sud-est, le site de Roluos, (30km²). Le décret délimite des corridors visuels (zone3) qui assurent une liaison entre les sites et protègent des périmètres particuliers comme les cours des rivières, incluant notamment le centre de Siem Reap. La zone 4 est réservée aux sites isolés ou à venir et implique un degré de protection équivalent à celui de la zone 2. La zone 5 concerne, elle, le reste du territoire de la province de Siem Reap. Les zones 1 et 2 sont non aedificandi et propriété de l’Etat. La zone 1 est réservée à la protection et à la mise en valeur du site monumental. Les seuls aménagements autorisés sont liés à l’organisation des visites. En zone 2, les projets de développement sont limités à la protection, à la mise en valeur des sites archéologiques et à la conservation des modes de vie locaux. Les villages anciens sont maintenus mais ne peuvent être agrandis. dures spécifiques d’approbation et de révision des projets de développement, incluant une étude d’impact sur l’environnement et une étude archéologique, sont prévues et des fouilles de sauvetage préalables à tout projet peuvent être ordonnées. Ce classement implique l’exercice d’un contrôle de l’administration (l’Autorité nationale APSARA qui assure la gestion de la région). Inscrit au Patrimoine mondial, Angkor bénéficie cependant de la double vigilance des autorités cambodgiennes et de la communauté internationale. Inès Gaulis Dans tous les sites protégés, des procé- Paysages et réseaux : patrimoines en transition Au début des années 1990, les auteurs des différents rapports d’études de la région vantaient, parmi les multiples valeurs d’Angkor, le caractère singulier de la ville de Siem Reap. Étaient en particulier soulignés son inscription dans l’environnement rizicole, le charme de sa rivière et l’écrin végétal qui enveloppait les chapelets de villages traditionnels et leurs pagodes, ou encore les qualités urbaines, spatiales et paysagères de son centre-ville. Les experts appelaient alors à la mise en place d’un développement respectueux de la ville. Dans cette perspective, dès 1994, le décret royal, portant sur le zonage et la protection de la région d’Angkor, intègre l’ensemble du tissu villageois et le centre urbain dans une zone de « paysages culturels » protégés, qui s’étend du parc d’Angkor jusqu’au lac Tonlé Sap. Les appareils législatifs et de gestion de cette zone ne sont alors pas déϔinis. Le terroir de Siem Reap recouvre un réseau de structures qui remontent en partie à la période angkorienne. Quelques tours de briques et de grès et des ruines éparses en constituent les vestiges les plus évidents. Elles sont encore visibles dans certains monastères de la ville. Digues et canaux, dont l’actuelle rivière de Siem Reap, strient la région, ponctuée de bassins toujours en eau, de tertres, de douves, de sanctuaires disparus et d’anciens terre-pleins. À ces vestiges archéologiques, correspond une végétation spécifique qui les rend reconnaissables dans le paysage. Un réseau de structures viaires et hydrauliques traditionnellement imbriquées les unes dans les autres s’est constitué et développé, de moins en moins visible sur le terrain. À l’origine, tant les grandes routes digues, telle la RN6, que les simples pistes de villages étaient bordées de canaux favorisant le drainage, d’une végétation généreuse et d’habitations largement en recul. Le paysage urbain Carte des réseaux, © JICA, 2005, adaptation Aline Hétreau-Pottier. Rue du quartier administratif, bordée d’arbres de hautes tiges. (A. Pegaz-Fiornet, 2005) 19 Route et canal (ARTE, 1994). et rural et son réseau viaire étaient le résultat d’un équilibre fragile entre la présence de l’eau, d’un écrin végétal et d’habitations. Durant les périodes du Protectorat et de l’Indépendance, une présence végétale importante et une faible densité du bâti caractérisent les aménagements urbains. Le long des voies urbaines, au bord de la rivière et dans le jardin du Grand Hôtel, des plantations d’arbres de hautes futaies et d’espèces variées conservent et renforcent le couvert végétal. Ce paysage végétal est en osmose avec le couvert végétal des villages (arbres fruitiers) et des temples (forêt sempervirente). L’enchaînement végétal entre forêt, campagne et ville atténue le caractère urbain de ce petit siège administratif provincial et noyau marchand. En ce sens, Siem Reap renvoie l’image d’une ville jardin où seule la partie marchande, plus dense et minérale, contraste avec les autres secteurs de la ville. C’est aussi une ville aérée car les bâtiments administratifs et résidentiels sont implantés au milieu de larges parcelles ouvertes ou parfois délimitées par de simples clôtures basses. Si par le décret du ZEMP, Siem Reap est reconnue comme l’une des zones culturelles protégées, le dispositif qui devait accompagner ce statut est resté vague. Bien que les diverses facettes patrimoniales de la ville aient été alors identifiées et prises en compte par la suite par certains schémas directeurs, les autorités ne leur ont pas apporté la considération qui aurait pu guider les aménagements et les extensions urbaines. Si le caractère végétal, la faible densité du bâti, la présence de l’eau et les nombreuses structures archéologiques participent à la constitution d’un patrimoine singulier, la présence voisine d’Angkor relègue ce patrimoine aux domaines du non-monumental. Le patrimoine paysager aurait pu être valorisé et exploité mais faute de reconnaissance locale de sa valeur, en une décennie, bien de ces structures et caractéristiques ont disparu sous le coup du développement rapide de la ville. Le dernier schéma directeur n’offre aucun espoir dans ce sens. Certes, le parc du Grand Hôtel, de la Conservation d’Angkor, de certains monastères et les berges de la rivière font illusion. Les autorités ont récemment amorcé la remise en valeur de la partie centrale de la rivière à des fins essentiellement touristiques. Mais ces travaux ne suffisent pas à ralentir une tendance lourde à la dégradation globale et irréversible du paysage végétal, hydraulique et archéologique dans l’ensemble de la ville. Au comblement des canaux et des anciens bassins, succède la destruction des anciens tertres angkoriens, rasés pour la vente de leurs remblais. Certaines constructions privées empiètent sur l’espace public avec leur Piste de village bordée de canaux (A. Hétreau-Pottier, 2007). 20 aménagement de parking, leur extension ponctuelle, le tout au milieu d’une densification générale des parcelles et de constructions désormais en limite de voierie aux dépens des jardins privés. Ce phénomène s’étend sur l’ensemble de la ville et de son territoire proche. La végétation et l’eau ne trouvent plus leur place. Le cas de la route nationale n°6 est significatif de ces transformations. Marquant l’entrée de la ville pour les nombreux visiteurs venant de l’aéroport, cette voie large de 60 mètres était bordée d’arbres, de canaux puis d’une seconde rangée végétale faisant partiellement écran aux constructions édifiées en retrait. En une décennie, la pression spéculative et le désintérêt pour la protection de cette configuration équilibrée ont eu raison de cet agencement et d’une large part de l’espace public associé. Les canaux comblés et la végétation décimée ont laissé place à des aires de stationnement, de stockage, de petits commerces, de jardins « kitschs » et de gigantesques panneaux publicitaires. Enfin, l’abandon du retrait des constructions achève de détruire l’aspect paysager originel au profit d’un front quasi continu en limite de propriété. Ce phénomène semble désormais se propager au nord où il altère profondément la transition entre la ville et le parc d’Angkor. En arrière des axes majeurs, la dégradation du cadre végétal se poursuit en relation proportionnelle avec la valeur foncière, densifiant, morcelant et clôturant les parcelles avec des murs désormais hauts, minéraux et opaques. L’évolution du réseau viaire est un autre aspect de la dégradation des structures paysagères. À la réouverture du pays, le développement urbain se concentre le long des deux principaux axes routiers, la route nationale n°6 et la route des temples où se trouve désormais la Canaux le long de la nouvelle route des temples (A. Hétreau-Pottier, 2007). majorité des gros hôtels et des espaces commerciaux. Des travaux de rénovation et d’extension financés par des institutions internationales élargissent ensuite le potentiel de développement urbain : réfection de la RN6, construction d’une route desservant la cité hôtelière, voies contournant le parc et la ville. La saturation des deux grands axes traversant la ville et la spéculation foncière ont motivé le renforcement et surtout la création d’un réseau de voies secondaires. Ce réseau a été rapidement élargi par une autre série d’extensions qui se sont opérées à un rythme d’autant plus soutenu qu’elles étaient motivées par des initiatives privées et des investissements spéculatifs, sans tenir compte dans leurs tracés des configurations traditionnelles. Alors que la ville s’étend dans toutes les directions en annexant de vastes espaces agricoles, les rizières qui constituaient l’horizon traditionnel du paysage urbain disparaissent dans de vastes zones de friches. Le fragile équilibre entre l’eau, le végétal, l’architecture et les héritages angkoriens est menacé. Alors que le paysage de Siem Reap constituait un trait d’union entre la campagne, la ville et Angkor, aujourd’hui l’harmonie a pratiquement disparu pour laisser Extension du réseau secondaire dans le territoire agricole (C. Pottier, 2006). Coupe de principe sur la RN6. Source originelle (retouchée) © rapport ARTE BCEOM, Plan d’urbanisme de référence et projets prioritaires, nov. 1995. place à un environnement déstructuré. Ceci n’est guère prometteur en ces temps de développements durables. Aline Hétreau-Pottier La prise en compte du patrimoine urbain par le tourisme Durant les premières années de développement touristique, correspondant au premier plan de développement national (1996-2000), la volonté de préparer le territoire de Siem Reap Angkor à l’accueil des touristes, par la création d’infrastructures et l’amélioration de l’accessibilité, est primordiale dans un pays qui sort d’une longue période de guerre¹. La ville de Siem Reap devient le lieu d’implantation privilégié de ces infrastructures. Ainsi, tout en faisant l’objet d’une réflexion sur ses qualités urbaines et paysagères dans le cadre du ZEMP, la question de l’héritage urbain reste-t-elle marginale dans les processus de fabrication et de transformation de la ville, par rapport aux impératifs d’une stratégie touristique visant à emmener sur le site le plus grand nombre de touristes. Par la suite, au tournant de l’année 2000², après la crise des économies asiatiques, un changement intervient dans les politiques nationales : la volonté de rendre l’économie touristique moins assujettie aux aléas du scénario international et celle de diffuser ses bénéfices auprès de 21 couches plus larges de la population se manifestent dans des stratégies visant le prolongement des séjours sur place et la diversification de l’offre, en particulier dans la région de Siem Reap Angkor. Il s’agit alors de mettre en place des activités qui sont de l’ordre du loisir et du divertissement. Dans les discours des acteurs, tant des autorités nationales que de ceux de la coopération internationale³, apparaît alors la nécessité d’offrir un cadre agréable et esthétique, pour que ces activités soient véritablement attractives. En nous fondant sur les politiques touristiques et les stratégies qui les véhiculent, nous pouvons formuler l’hypothèse qu’un changement apparaît dans la prise en compte de la ville et de son héritage bâti et paysager. Il s’agira ici de déterminer le rôle des différents acteurs dans ce processus et les façons dont ils interviennent sur l’espace. L’UNESCO, organisme international qui s’est fait porteur de la déclaration de la valeur patrimoniale universelle d’Angkor, a tardé à se pencher sur la question du patrimoine urbain du Cambodge, certes mineur mais non négligeable. Pourtant, il a récemment commencé à afficher, dans ses discours , un rôle de sensibilisation à la prise en compte de l’ensemble du patrimoine du pays et d’encouragement à la création d’un cadre institutionnel pour sa protection. Il a, à ce sujet, animé un séminaire sur la préservation de l’héritage urbain national en 2006, où il a exprimé sa conception : le patrimoine dépasse les classements, il est étendu à l’ensemble du territoire et comprend tout regroupement de bâtiments, structure ou espace ouvert, en milieu urbain ou rural, dont la valeur est reconnue. Audelà des discours, alors que l’UNESCO a joué un rôle essentiel à Angkor de par son classement, l’attention accordée à l’héritage urbain ne se traduit pas en pratiques. La nécessité, exprimée dans les discours de cet organisme, d’inventaires, lois et mesures de contrôle reste insatisfaite. La seule étude du patrimoine de Siem Reap, par F. Mauret (1997), n’a pas eu de suite. Ainsi, faute d’identification et de classification, l’héritage bâti se révèle- 1 Cf. Ministry of Planning, First Socio-Economic Development Plan 1996-2000, Phnom Penh, février 1996. 2 Cf. Ministry of Tourism, Report of Tourism Year 1998-2002 and Action Plan 2003, et les plans de développement 1996-2010. 22 t-il extrêmement fragile face au développement actuel de la ville. C’est pourquoi sa prise en compte passe d’abord par l’action individuelle d’acteurs privés. Le Vieux Marché, premier lieu de tourisme dans la ville, en est un bon exemple : l’initiative privée est à l’origine des premiers aménagements à la fin des années 1990. L’adaptation du quartier aux nouvelles fonctions touristiques se fait à travers la mise en place de dispositifs, typiques de tout lieu de tourisme : la promenade, à laquelle les rues commerçantes s’adaptent, les lieux de rencontre – terrasses de bars et restaurants – où de nouvelles formes de sociabilité se développent et, très récemment, un passage couvert, qui semble reprendre le célèbre modèle parisien . Ce quartier n’étant pas protégé par des normes de construction ou de transformation du bâti (tout en l’étant formellement par le ZEMP), les acteurs privés et les professionnels embauchés suivent leur goût personnel dans les choix d’aménagements et d’architecture. Dans cette variété de volontés individuelles, ces acteurs semblent échapper à l’arbitraire des critères d’intervention en partageant un certain souci d’esthétisme, qui cherche à agréer le regard touristique : le cadre en est le bâti colonial, auquel ces acteurs attribuent des qualités esthétiques. Alors qu’au début du XX siècle les quartiers coloniaux étaient considérés uniquement pour leur fonctionnalité, leur historicisation leur confère une qualité nouvelle : en particulier, leur architecture d’inspiration occidentale présente un certain exotisme. Celle-ci se prête bien à la composition d’un cadre familier pour les touristes, tout en inspirant « l’ailleurs ». Les interventions jouent donc la conciliation entre ces deux termes – familiarité et exotisme – qui deviennent fondateurs de « l’embellissement » du quartier. Les acteurs privés seraient donc les premiers à formuler un discours sur les qualités du bâti et à le traduire en aménagement. Ce discours se met au service de la satisfaction de la demande touristique, « filtre » à travers lequel les qualités de l’héritage sont perçues. Les acteurs privés comblent le vide qui s’est instauré entre des théories patrimoniales, issues d’un contexte international, et pas encore « assimilées » par le Cambodge, un cadre institutionnel défaillant et une conscience locale encore tâtonnante. Une piste de recherche intéressante est donc l’éventuelle influence des conceptions fondant les interventions privées sur celles qui président aux politiques et aux interventions sur la ville menées pas les autorités, et qui contribueraient à ce changement de la prise en compte de la ville que nous évoquons ici. Nous prenons comme argument la rivière de Siem Reap. Selon le ZEMP, il s’agit d’un paysage culturel protégé : ses eaux étaient sacrées et primordiales dans l’aménagement de la région d’Angkor, comme pour l’irrigation. Le plan protège une aire équivalente à la quasi totalité du centre historique de Siem Reap. Pourtant, aucune pratique n’est venue conforter cette déclaration d’intention. Récemment, APSARA a promu, dans le cadre du CIC, un projet d’aménagement de la rivière et de ses berges dans l’objectif de créer une promenade touristique qui deviendrait le prétexte à la mise en valeur de la totalité de l’héritage de Siem Reap : les pagodes, les villages, la ville coloniale, les rizières… La rivière ayant été le premier axe structurant de la ville, elle devient, dans les discours officiels, le pivot de la prise en compte de son héritage. Parcours privilégié des voyageurs des XIX -XX siècles vers Angkor, son rôle de couloir d’accès aux temples doit être préservé. Pourtant les interventions en cours sont modestes : nettoyage, relogement des squatteurs, plantations et mobilier urbain. Des acteurs privés aux autorités, l’objectif encore une fois manifesté dans les discours est la création d’un paysage « attirant », d’un « panorama épatant pour les touristes » . Dans la conscience de la valeur patrimoniale, le fil conducteur reste la recherche de propreté, d’ordre et de décor. Ainsi, le tourisme est-il le sauveur d’un héritage orphelin car il motive les acteurs à sa prise en compte, tout en représentant un danger pour son intégrité face à la servilité imposée par le regard de l’autre. 3 Nous faisons référence aux documents évoqués ci-dessous, aux discours des acteurs qui interviennent au Comité de Coordination pour la Sauvegarde et le Développement du Site dAngkor, ainsi quà létude élaborée pour le Master Plan de Siem Reap, JICA (2006). et à un entretien avec Mr T. Jinnai, responsable du bureau UNESCO de Phnom Penh, 2007. 4 Cf. Actes du séminaire The preservation of Urban Heritage in Cambodia, 16-17 Janvier 2006 Adèle Esposito 5 À ce propos, voir Equipe MIT, Knafou (dir.), (2005), Tourismes 2. Moments de Lieux, Berlin, Paris 6 Source : www.apsara.org. Patrimoine architectural en péril : édiϔices publics des années 1953-1970 Les années qui suivent l’Indépendance marquent une volonté à l’échelle nationale de moderniser l’image du pays. Alors que de grands efforts en faveur de l’urbanisme sont réalisés à Phnom Penh, Siem Reap ne témoigne que modérément de cet élan. Cependant quelques bâtiments illustrent ce courant de création architecturale de style moderne : par exemple, le tribunal (1958, Seng Suntheng), la Villa princière (1963, Laurent Mondet), le stade « Preah Vihear », plusieurs écoles dont le lycée Suryavarman II (1959), le terminal international de l’aéroport (1963, Vann Molyvann). L’architecture des années 60 et l’utilisation privilégiée du béton apportent une nouvelle silhouette à l’architecture khmère. La tradition culturelle est réinterprétée et se métamorphose dans l’architecture moderne adaptant la grammaire architecturale ancienne aux contraintes climatiques du pays, conjuguant ventilation naturelle (pilotis, impostes ϔilantes, pièces traversantes, courant d’air froid/chaud) et système de protection contre le soleil et la pluie. Cette architecture exogène s’adapte au cadre paysager et climatique du pays : l’édiϔice se distingue par une architecture aux lignes sobres, faite de toiture-terrasse et d’ornements fonctionnels et minimalistes. Des jeux de volume, de transparence et d’écrans apportent des solutions climatiques. Des éléments tels que les brise-soleil, les auvents et les claustras de diverses hauteurs participent à la composition architecturale des façades, rythmées par des pans de murs en pierre apparente. Le « modernisme tropical » marque ces années qui suivent l’indépendance. Mais ce patrimoine important est actuellement en péril. Le risque de voir disparaître ces constructions est grand car elles appartiennent pour une grande majorité à l’État qui accentue depuis quelques années sa politique de vente de terrains et d’édifices publics. Le visiteur peut encore apprécier certains d’entre eux, restés dans leur environnement d’origine. Beaucoup sont malheureusement détruits, défigurés ou en sursis. La liste des destructions ne cesse de s’allonger. L’ancien terminal de l’aéroport, témoin de l’architecture originelle et audacieuse de cette époque est resté longtemps dans son état d’abandon ; il vient juste d’être détruit. Le tribunal, édifice sur pilotis, s’est retrouvé enserré entre deux nou- veaux hôtels et un magasin de souvenirs ; les services de la justice sont désormais transférés en rase campagne. Il n’a pas été immédiatement détruit, mais simple répit, il a aussitôt été transformé et compartimenté. Le stade qui accueillait des activités tant sportives que festives a été vendu au secteur privé et le lieu se transforme en un vaste projet de compartiments. Par contre un bel exemple de rénovation de cette architecture des années 50 est le lycée (devenu centre de formation provincial des professeurs). Rénové grâce à des aides internationales, il a retrouvé toute son ampleur originelle au milieu d’un vaste espace paysager. Son architecture présente des jeux d’épaisseurs séduisants sur les diverses façades : paresoleil, claustra, bandeaux débordants et circulations extérieures. Mais il n’est pas pour autant à l’abri d’une opération Logement de la conservation d’Angkor (A. Hétreau-Pottier, 2006). immobilière dans un futur proche. Quelques témoins de logement collectif de l’époque sont aussi à découvrir. Le premier, dessiné par l’architecte J. Dumarcay, fut construit pour les cadres de la Conservation d’Angkor au sein de celle-ci. Il est le résultat d’une réflexion constructive mêlant maçonnerie et béton afin d’obtenir un « confort sans ventilation ». Il développe en particulier « l’effet de cheminée », une ventilation transversale directe avec une seule pièce en épaisseur et une isolation par une double toiture. Le sort de cet édifice dépend de celui qui sera réservé à l’institution appelée à se transformer. Centre de formation provincial des professeurs (A. Hétreau-Pottier, 2007). distribution en coursive à l’étage. Habité par plusieurs familles, cet édifice montre des modifications dues à un rajout de sanitaires et de cuisines individuels (à l’origine collectifs), et des extensions de cabanes sur la façade arrière. L’espace libre entre l’édifice et la RN6 se remplit de petites échoppes. Sa situation centrale est attractive sur le marché foncier et laisse présager une destruction rapide qui n’a été empêchée que par faute d’entente entre tous les propriétaires. Parmi les divers édifices de l’hôpital provincial, un bâtiment est représentatif des prescriptions hygiénistes amorcées durant le protectorat. Son orientation selon les vents dominants, sa galerie ouverte sur les deux façades, ses ouvertures supérieures entre les chambres alignées assurent à l’édifice une ventilation « hygiénique », qui renforce la protection contre l’humidité tout en s’intégrant dans son environnement paysager et fonctionnel. Ici encore, le bâtiment est en sursis, l’ensemble de cet hôpital risquant Un des édifices de l’hôpital (A. Hétreau-Pottier, 2007). Le second exemple, situé à proximité de la rivière, sur la route nationale 6 était à l’origine destiné aux fonctionnaires. Il est dans la logique de la ville ouverte. Implanté en retrait, construit perpendiculairement à la parcelle, il offre une 23 Rénovation et reconversion Avec la réouverture du pays, Siem Reap est naturellement redevenue la porte d’entrée du prestigieux site d’Angkor. La ville possédait certains atouts pour mener à bien les mutations rendues nécessaires par l’accroissement des flux touristiques. Cette mutation semblait pouvoir se faire en harmonie avec son histoire et son paysage, en évitant les diverses « erreurs » de développements régionaux voisins. Ceci passait entre autres par la compréhension et la prise en considération de son héritage propre, non monumental et fragile. Face au grand héritage que représentent les temples angkoriens labellisés patrimoine mondial, la place était réduite mais réelle pour valoriser en contrepoint le patrimoine culturel, religieux et naturel de cette petite ville. Si les monuments d’Angkor, symboles identitaires nationaux autant qu’icônes patrimoniales internationales, ont bénéficié d’une mobilisation générale, les menaces qui pèsent sur le patrimoine plus modeste de Siem Reap sont réelles. Elles sont d’autant plus fortes qu’il est resté méconnu, sinon communément ignoré au profit d’autres intérêts économiques, d’un développement touristique non contrôlé et d’un urbanisme non planifié. Il est vrai que, au fil de son histoire, Siem Reap n’a pas produit de monument spectaculaire ni de véritable ensemble patrimonial fort et facilement identifiable en dehors peut-être de son vieux marché. Elle est constituée d’un ensemble d’édifices de styles variés et d’époques différentes, inscrits dans des milieux et des tissus divers : marchand, administratif et résidentiel. Dès 1992, une part importante de la ville avait été identifiée et incluse dans une zone de protection dite de « paysage culturel » (zone 3). Faute d’actions, le patrimoine architectural et paysager de la ville demeure plus que jamais en péril. Il n’est que rarement inscrit à l’ordre du jour des réunions internationales patrimoniales ou dans l’agenda des diverses études de schémas directeurs urbains qui se succèdent. Lorsque le patrimoine de Siem Reap est évoqué dans les discours Le grand café, Vieux Marché (A. Hétreau-Pottier, 2007). et les rapports d’experts, c’est essentiellement pour véhiculer une vision réduite à l’image touristique d’une promenade sur les berges ombragées de la rivière entre le Grand Hôtel et le Vieux Marché abusivement qualifié de « colonial ». Le patrimoine urbain n’est considéré que sous un angle touristique réducteur. Ignorés et délaissés, les monastères constituent pourtant un patrimoine réel dont le potentiel touristique est à l’échelle de son authenticité « khmère » et de sa représentativité de la culture contemporaine. Si certains sanctuaires principaux semblent pour l’instant préservés de la destruction comme ceux de Vat Bo, Vat Atvhear et Vat Damnak, nombre d’autres moins centraux, comme celui de Vat Aranh Sakor, s’altèrent progressivement. C’est souvent dans l’attente d’être remplacés par une rutilante masse de béton de proportions « modernes » ornemen- Logement des Bonzes au monastère Vat Bo (A. Hétreau-Pottier, 2007). 24 tée de motifs angkoriens comme dans le monastère Vat Po Banthey Chey. Au sein de leurs enceintes, l’environnement des monastères se transforme aussi profondément avec le regain de religiosité que connaît le pays. Des bâtiments secondaires, très spécifiques de l’architecture des monastères comme les logements des bonzes disparaissent au profit de la multiplication de nouvelles constructions peu « en harmonie » avec les anciens édifices. Le patrimoine séculier domestique est encore moins bien protégé : les maisons en bois, implantées le long de la rivière et dans les villages disparaissent régulièrement. Leur conservation semble plus souvent liée à l’incapacité d’engager des transformations (manque de moyens ou conflit de propriété) qu’à une réelle volonté de les préserver. Quelques cas de rénovation et de reconversion font parfois exception dans les zones résidentielles illustrant bien les possibilités d’adaptation aux nouveaux besoins de « modernisation ». Dans le centre ville quelques maisons ont été aménagées en guesthouse ou en restaurant comme le Café Indochine. Monastère Vat Damnak (A. Hétreau-Pottier, 2007). Mais ces exemples sont rares et témoignent de l’absence d’une vision d’ensemble pour appréhender la conservation d’un patrimoine épars et varié. Ce phénomène touche de même manière les édifices singuliers, sinon remarquables, des diverses périodes de l’histoire récente. À l’échelle de la ville, destructions, transformations et altérations sont le fait d’une spéculation qui ignore le potentiel que peuvent représenter des édifices de qualité. Quelques rares rénovations ont pourtant été réalisées par des architectes, souvent à l’instigation d’investisseurs étrangers sensibles à la valeur spécifique que peuvent revêtir ces édifices. C’est le cas par exemple de la rénovation du Grand Hôtel (1997), de la Villa princière devenue l’hôtel Amansara (2003) offrant de nouvelles extensions en adéquation avec les édifices d’origine. pour le patrimoine demeurent encore des valeurs qui ne sont pas prises en compte ni par les autorités nationales, ni par la majorité des acteurs du développement. L’aspect culturel de la ville apparaît comme un sujet secondaire et négligeable, même si quelques contreexemples démontrent comment la mise en valeur d’édifices anciens constitue un atout important au sein d’une production de masse médiocre, et comment un traitement de qualité de ces bâtiments peut aboutir à l’image valorisante d’une nouvelle modernité. Ces exemples sont souvent à l’initiative d’investisseurs étrangers. C’est aussi le cas d’édifices moins prestigieux, de quelques « villas compartiments », réaménagées en bureaux par la compagnie Forte Assurance, en agence de voyage avec « Peace Tour », en Centre culturel français (2006) ou encore en restaurant avec l’Alliance café. Il est tentant de considérer ces quelques cas comme des précurseurs de rénovations, mais ils demeurent encore peu suivis et représentent une approche marginale. La revitalisation du quartier du Vieux Marché est en ce sens la partie la plus visible. Ses compartiments offrent un cadre suffisamment flexible pour être rapidement et sans trop de frais reconvertis. Parmi les nombreux cas de rénovation, on citera celui de la galerie Mac Dermoth, associée au singulier « One Hôtel » (2006, Asma Architectes) : les dépendances et l’espace de la courette, ancien dispositif de ventilation et desserte, ont été réinvestis avec finesse. Notons aussi la rénovation du Grand Café, il a su garder un des plus anciens compartiments d’angle du marché. La conservation de l’existant s’est prolongée par un mimétisme, ou plus exactement par un « façadisme », sur les parcelles qui étaient encore libres. Celle-ci reste toutefois très localisée et, non loin de là, la densification et la surélévation des nouvelles constructions sans caractère reprennent. Les qualités architecturales et urbaines, leurs bénéfices potentiels et l’intérêt One Hôtel, ASMA Architectes (ASMA Architectes, 2006). Ces reconversions préservent et souvent renforcent les qualités architecturales existantes. Les extensions s’intègrent ou jouent des langages architecturaux d’origine tout en s’adaptant aux nouveaux usages et aux contraintes économiques du marché foncier. Fortes d’une réflexion sur l’environnement initial, ces reconversions intègrent alors certaines singularités de Siem Reap comme ses qualités urbaines de « ville-jardin » : un traitement attentif des clôtures marquant la limite entre privé et public, la conservation et le développement du cadre végétal ou encore le respect des gabarits et des retraits. La rénovation d’un modeste édifice transformé en hôtel, le Foreign Correspondant Club, est à ce titre exemplaire. Le bâtiment existant a été maintenu et mis en valeur au sein d’une série de nouveaux édifices qui ont densifié la parcelle toute en conservant une continuité visuelle, théâtralisant les qualités spatiales du lieu. L’Amansara constitue une opération similaire mais moins ostentatoire. Aussi discret et plus modeste, le cas du Viroth Hotel présente une rénovation sensible où une maison de la même période a été transformée en hôtel « design » aux lignes modernes qui jouent du style des années 60 et de des qualités architecturales intrinsèques de cette période. Malgré la petite surface du terrain et la promiscuité d’un voisinage dense, une relation introvertie mais équilibrée a été atteinte entre l’architecture et ses extérieurs. Ces opérations particulièrement réussies illustrent comment la restauration et la reconversion du bâti existant peuvent s’affranchir d’une attitude strictement passive, considérée comme antagonique au développement, et comment éviter que ces démarches ne tombent dans une « citation historique » simpliste. Ne se cantonnant pas à la conservation d’un objet désormais inadapté, les « héritages » liés à l’édifice et à son environnement sont alors pris en compte pour générer une nouvelle qualité du cadre bâti. Celleci préserve l’histoire de la ville tout en la revitalisant. Ces reconversions exemplaires sont toutefois exceptionnelles face à la production commune actuelle à Siem Reap. Elles sont d’autant plus remarquables qu’il n’y a pas de volonté publique de valorisation, comme le prouve la disparition de certains édifices publics. Mais, même si ces quelques opérations concernent à l’évidence une clientèle et un public minoritaires, elles s’inscrivent dans la même logique de rentabilité que d’autres investissements touristiques et sont viables. À défaut de générer une prise de conscience rapide du potentiel patrimonial auprès d’autres acteurs du développement, ces opérations constituent pour l’instant l’une des rares possibilités de sauvegarde des diverses architectures en péril. Aline Hétreau-Pottier 25 26 adaptation Aline Hétreau Pottier © JICA, APSARA, 2005, échelle originale 1:25000e, Plan de la ville de Siem Reap, , Le temps et l espace Histoire et évolution urbaine 27 Recherches Cartes et plans Les représentations cartographiques de Siem Reap et de sa région constituent une des sources disponibles pour analyser la fabrication et les transformations urbaines de la ville. L’analyse des cartes se fait par l’étude des documents iconographiques et des photographies aériennes et satellitaires. Elle permet, en remontant dans le temps, de suivre le parcours historique et urbanistique et d’identifier les éléments constitutifs tant à l’échelle urbaine, architecturale que territoriale. Ces cartes offrent le support à une série de recherches relatives aux relations qu’entretiennent les représentations cartographiques avec la fabrication urbaine (sources mais aussi vecteurs des transformations), au statut et au pouvoir des cartes, à l’évolution des enjeux de la région, l’étude cartographique montre comment la ville a été, et est encore perçue, représentée et souvent occultée dans son rapport avec Angkor. À ce jour le corpus comporte des plans « constats » représentant la réalité ou un de ses aspects, des plans « projets » illustrant un projet au regard d’une situation existante, des cartes « produits » de consommation touristique, des plans analytiques, des photographies aériennes verticales et obliques, des images satellitaires et des plans provenant des plateformes informatiques. La cartographie de Siem Reap est ainsi caractérisée par une dichotomie entre Siem Reap et Angkor, entre les différents acteurs mais aussi dans le temps marqué entre un « avant » et un « après » 1992, suite Les ruines d’Angkor Siem-réap Cambodge Siamois, M. E. Doudart de Lagrée, 1865. politiques, économiques et stratégiques, aux divers acteurs et à leurs actions, ainsi qu’aux différents modèles, locaux ou exogènes qu’ils véhiculent. Ce travail révèle par ailleurs les sorts divers réservés au patrimoine de la ville à travers la permanence, la mutation, voire la disparition des agencements et des diverses architectures (traditionnelles, « coloniales » et post-indépendance). À l’échelle 1 Le recensement de ces cartes et plans est effectué dans le cadre de lObservatoire (banque de données de lIPRAUS) et de notre thèse (fonds et archives privés). 28 aux accords de paix et au classement du site au Patrimoine mondial. La première période illustre la lente genèse d’une ville provinciale où les « plans projets » sont rares mais dont les « cartes constats » permettent de suivre l’évolution. À l’inverse, la seconde période s’illustre par l’explosion rapide et complexe de l’agglomération, une abondance de plans d’analyses et de plans projets issus des schémas directeurs successifs. Ceux-ci demeurent inopérants face à une réalité en pleine mutation et dont on suit en partie le dynamisme grâce à de nouvelles cartographies. Le corpus documentaire rassemblé à ce jour couvre une centaine de représentations cartographiques, allant du XVII siècle jusqu’à nos jours. Il présente des lacunes, les documents se répétant et restant essentiellement basés sur des fonds de référence limités. Leur nature est assez hétéroclite ; les échelles, les sujets et les informations varient suivant les périodes. Ils nous renseignent sur les cadrages retenus (régionaux ou urbains), sur l’organisation territoriale, les moyens et les personnalités des acteurs, leurs usages et désormais les outils informatiques utilisés. Les documents relatifs à la ville même sont nettement plus rares. Cette quasi-absence reflète une vision que nous développerons plus bas. Malgré ce handicap, la diversité du langage carto- The East part of India, P. Ganges, Londres, 1729 graphique utilisé dans ce corpus (termes, symboles, couleurs…) et le recoupement avec certains plans existants témoignent néanmoins des éléments constituants et signifiants de la géographie physique et historique des lieux, de la perception des réseaux, des espaces naturels et des lieux d’histoire. Enfin, le corpus a été élargi aux prises de vues aériennes qui furent introduites dès les années vingt à Angkor et régulièrement utilisées jusqu’à nos jours. Ces documents aériens se révèlent particulièrement intéressants, Détail de la carte d’Angkor, service géographique de l’Indochine 1915, 1/100 000 . en partie pour la période de 1945 à 1970 car les plans conservés sur la ville sont très rares, probablement en raison des conflits qui ont suivi. Plusieurs cartes illustrent cette partie d’Asie du Sud-Est dès le XVII siècle. Elles mentionnent le Royaume du Cambodge et le cours du Mékong, mais ignorent le lac Tonlé Sap et Angkor, bien qu’ils soient fréquentés par plusieurs Occidentaux (Portugais) puis quelques missionnaires, sans compter les nombreux pèlerins bouddhistes et les Cambodgiens eux-mêmes. Les plus anciens documents signalant Siem Reap semblent être à ce jour trois cartes retrouvées récemment au Palais Royal de Bangkok : datées globalement de la première moitié du XIX siècle, ces cartes reflètent les objectifs stratégiques des forces siamoises qui occupaient les provinces cambodgiennes depuis 1794. Si l’emprise siamoise dure jusqu’en 1907, nombre de missions exploratoires se succèdent à Siem Reap dans la seconde moitié du XIX siècle, produisant des cartes axées sur la « découverte » d’Angkor. Elles sont influencées par les visées coloniales en Indochine ou directement motivées par des études stratégiques, par exemple sur la navigabilité des réseaux hydrauliques liés au Mékong ou sur les délimitations des frontières avec le Siam. Dans le sillage de l’implication occidentale, essentielle- ment française, est introduit un nouveau mode de représentation cartographique qui produit une série de cartes planimétriquement plus précises mais encore approximatives. Montrant les éléments principaux de la géographie physique et historique et autres indications, elles dessinent la silhouette d’un territoire et de la « bourgade » de Siem Reap autour de quelques éléments naturels ou anthropiques marquants. Nombre de ceux-ci se retrouvaient déjà, malgré des standards cartographiques différents, dans les cartes siamoises qui enregistraient assez similairement les quelques éléments forts de Siem Reap : citadelle, rivière, Angkor Vat, Phnom Krom. Siem Reap et sa province sont rétrocédées au Cambodge en 1907 et rejoignent alors le giron et l’administration du Protectorat français installé dans ce pays depuis 1863. Les territoires sont alors couverts par les travaux du Service de Géographie de l’Indochine, qui y réalise une série de cartes d’État-Major au 1/100 000 périodiquement remises à jour de 1915 à 1952. Celles-ci, malgré leur échelle peu précise, offrent une représentation assez détaillée des structures existantes et un remarquable témoignage de l’évolution de la ville et de son environnement. Dans la continuité des explorateurs et des marins, les topographes puis les archéologues auront à cœur d’enregistrer l’existant sans pour autant plaquer leurs référents occidentaux autres que topographiques. Cet esprit de recensement « objectif » influence le contenu des cartes qui enregistrent alors le terrain sans trop d’interprétation. À Siem Reap, devenue chef-lieu provincial, elles témoignent des structures anciennes, des temples, des réseaux viaires locaux, signalant, codifiant et nommant les éléments structurants tels la citadelle, les monastères, l’emprise des villages, le marché. Bien que le Cambodge n’ait pas eu un intérêt économique primordial dans la politique coloniale, la région de Siem Reap a fait l’objet d’une attention particulière en raison de sa valeur symbolique, touristique et archéologique jusqu’en 1970. À ce titre, les travaux réalisés par l’École française d’Extrême-Orient sur Angkor contribuent aussi à renseigner Siem Reap et sa région ; les recherches visent à intégrer les temples dans leur environnement territorial. Il est significatif que la première carte du groupe d’Angkor dressée par la mission de Lunet de la Jonquière en 1909 ne signale la ville que de façon anecdotique, à l’extrême sud du cadrage retenu. Ce n’est que trente ans plus tard qu’une nouvelle cartographie d’Angkor s’étendra plus au sud, jusqu’au lac Tonlé Sap, et intègrera alors la ville. 29 Siemréap, Defense Mapping Agency Washington, Service géographique des F.A.R.K., 1971, 1/50 000e. Elle reflète l’importance croissante de cette dernière, désormais suffisante pour être liée à Angkor. Ce cadrage heptagénaire et la représentation même de la ville n’ont guère changé depuis et sont encore en vigueur dans la majorité des cartes touristiques que l’on nommera « produits » destinées aux « consommateurs » d’Angkor. La réalisation d’une topographie détaillée par l’IGN en 1962 sur l’ensemble de cette zone, incluant la ville, constitue aussi une contribution importante. Dressées en vue de la réalisation d’un atlas archéologique de la région qui demeurera à l’état de projet, ces cartes IGN resteront inédites trente ans. L’indépendance du pays en 1953 s’accompagne d’un changement d’acteurs, dont les répercussions sont modérées par la continuité de l’aide technique française à la nouvelle administration locale. Il faut attendre la collaboration de l’armée américaine avec le Service géographique des FARK (forces armées royales khmères) au milieu des années soixante pour voir les cartes d’État-major passer du 1/100 000 au 1/50 000 . La compréhension du site et de la ville reste globalement inchangée et les diverses versions qui seront réalisées montrent une fiabilité toute relative à la réalité. On peut douter de l’existence de réels « plans projets » durant les périodes dramatiques qui ont suivi, lorsque la ville était encerclée par les Khmers Rouges puis lorsqu’elle fut vidée de ses habitants en 1975. Mais les services géographiques et cadastraux sont reconstitués dès 1980 avec la collaboration vietnamienne. Si la production locale se cantonne à reprendre les cartes américaines, celles réalisées avec le support technique vietnamien montrent l’intérêt apporté aux modifications d’ordre stratégique qui sont accomplies sur la ville. Nous y avons notamment retrouvé une carte « constat » détaillée au 1/10 000 , couvrant la ville et une partie de sa périphérie dont l’aéroport et Angkor Vat en suivant le nouveau système défensif qui aboutit au sud du temple. Cette carte constitue par ailleurs l’une des rares représentations centrées sur la ville. La colonisation française a produit dès le début du siècle nombre de plans de villes en Indochine, au fur et à mesure Topographic Map for Angkor Archeological Area In Siem Reap region of the Kingdom of Cambodia, Japan International Cooperation Agency, 1998, 1/50 000e. 30 qu’elles rejoignaient le système administratif, mais Siem Reap ne semble pas avoir été l’objet de tels travaux. Il est vrai qu’au début du XX siècle, elle ne présentait guère de caractère urbain, mais un schéma spatial traditionnel et villageois ancré sur des traces d’installations angkoriennes et dont n’émergeait qu’une citadelle. Ce n’est qu’à partir des années vingt qu’une volonté urbaine est affichée pour ce chef-lieu provincial et qu’un « centre urbain » est initié, générant quelques « plans projets ». Ceux que nous avons retrouvés furent élaborés par le Service du Cadastre. Ils restent focalisés sur le projet même et ne s’étendent jamais au contexte environnemental. La rareté de documents graphiques détaillés sur la ville, tant pour la période du protectorat qu’après l’Indépendance, tient à plusieurs raisons. D’une part, selon les accords bilatéraux préliminaires à l’Indépendance, les documents administratifs et les plans cadastraux des archives coloniales sont restés sur place. Ils ont presque tous disparu lors des conflits ultérieurs et, avec eux, ceux produits depuis l’Indépendance. D’autre part, Siem Reap est demeurée une ville secondaire : étrangère à des intérêts commerciaux majeurs avant que le tourisme ne prenne son essor, elle n’a jamais fait l’objet de grands projets. Les quelques cartes constats retrouvées (l’une probablement d’après-guerre, l’autre de 1962) montrent une ville de faible importance où les extensions et les densifications poursuivent lentement l’impulsion donnée dans les années vingt, mais sans réelle modification de fond. Même durant le gouvernement du Sangkum, Siem Reap semble ne pas avoir été concernée par la campagne de développement des villes secondaires qui est alors engagée au Cambodge. Seuls quelques plans projets apparaissent à la fin des années soixante, avec la volonté d’orienter et de développer Siem Reap vers Angkor. Mais ces projets papiers se sont aussi volatilisés et les quelques réalisations engagées ont été depuis détruites. Enfin, un dernier facteur peut expliquer le manque d’informations précises sur la ville. Il tient à la vaste étendue linéaire et à la spécificité du tissu villageois et urbain de Siem Reap, peu propice à une représentation à grande échelle. Alors que les limites de ce tissu peu dense sont indiquées sur les cartes générales dès la fin du XIX siècle, sa représentation fidèle semble avoir été négligée au point qu’il finira par la suite par disparaître complètement. Ceci est vrai aussi à des échelles plus détaillées et dans les cartes récentes. Depuis la réouverture du pays en 1992, l’inscription d’Angkor sur la liste du Patrimoine mondial et sur la carte du tourisme mondial contemporain, les temples et leur région ont bénéficié d’une série d’aides internationales qui ont généré de nouvelles représentations de la ville. En particulier, Siem Reap a été l’objet d’une succession d’études urbaines et de propositions diverses. De multiples expertises étrangères se sont régulièrement attachées à produire des schémas directeurs. Complémentaires et parfois redondants, aucun d’eux n’a cependant dépassé le stade de l’étude ni n’a été ratifié par le gouvernement. Et nombre d’entre eux se sont confrontés à la difficulté de saisir la réalité du terrain, tant dans sa globalité que dans son détail. Dès 1992, le premier plan de zonage et de gestion d’Angkor, le ZEMP, a soulevé l’ampleur du problème documentaire lorsqu’il a été contraint de réaliser un recollement des cartes « constats » disponibles, se basant essentiellement sur les cartes américaines des années 70 et une nouvelle couverture de photographies aériennes allant du plateau du Kulen jusqu’au Tonlé Sap (Finmap, 1992, 1/25 000 ). Le contrôle d’un développement cohérent de Siem Reap étant alors reconnu comme une condition nécessaire pour la bonne conservation du site archéologique, une nouvelle carte topographique de la ville fut produite pour fournir à l’autorité nationale APSARA un outil de planification. Son cadrage restrictif s’arrêtait cependant rapidement au Nord, sans permettre de lien avec le parc archéologique, sans offrir de vision globale, (IGN, 1994, 1/10 000 ). Une seconde carte topographique fut réalisée en 1997 sur le parc (JICA, 1/10 000 ). Complémentaires dans le principe, les deux cartes ne seront pourtant que très rarement réunies et il faudra attendre huit ans, soit quarante ans après les cartes topographiques de 1962, pour qu’une carte topographique couvre enfin la ville et les temples et en offre une vision générale homogène (JICA, 2005, 1/10 000 ). Cependant, ces plans constats semblent avoir été inégalement intégrés en tant qu’outils par les acteurs institutionnels impliqués dans l’aménagement du territoire. Nombre d’utilisateurs ont recours à des montages de cartes de formats distincts et de périodes différentes pour appréhender la globalité du site. Cette différence de cadrage des cartes provenait en partie de la dichotomie qui existe entre la ville et le parc mais elle contribuait aussi largement à la perpétuer. Elles permettent toutefois de suivre le dynamisme du développement urbain, même si ce dernier reste plus rapide que la réactualisation ou le renouvellement des cartes. Depuis 1992, la région de Siem Reap a donc atteint un niveau inégalé dans la connaissance cartographique grâce aux travaux topographiques et aux couvertures aériennes et satellitaires détaillées. Mais si les détails de la réalité géographique et du bâti y sont fidèlement enregistrés, leur « objectivité » pâtit du manque de qualité des informations de terrain (toponymes, réseaux informels…) qui enrichissaient les cartes du début du siècle. Cette lacune doit être corrigée par l’introduction puis la généralisation du système d’information géographique auprès des autorités qui accumulent des données sur la ville et le site d’Angkor. Ces plateformes devraient constituer désormais une aide pour appréhender assez fidèlement la réalité physique de la fabrication urbaine et de son évolution, mais il est encore difficile d’évaluer à quel point elles servent en tant qu’outil de contrôle de l’espace. Leur production et leur existence même restent confidentielles. Il est significatif que tous les documents collectés à ce jour demeurent muets sur les informations cadastrales, et donc foncières. Cause ou conséquence, malgré les enjeux du foncier et la rapidité du développement depuis dix ans, aucun plan précis sur l’ensemble de la ville n’a été commandé et donc produit à grande échelle (1/2000 ou 1/5000 )! D’autres cartes et plans ont enfin été recensés en parallèle dans le corpus, produits par l’administration et les acteurs liés au tourisme depuis les années 90. Alors que Siem Reap est en plein bouleversement, le reflet que ces documents renvoient semble curieusement figé aux limites de la ville des années 60 et, audelà, à un environnement rural idyllique. Loin des cartes constats, distinctes des cartes projets, on pourrait les qualifier de cartes produits, tant l’industrie touristique qui les génère s’inscrit dans une stratégie consumériste. Ces cartes ne cherchent plus à représenter le terrain, elles deviennent média. Depuis 1992, elles présentent d’ailleurs continuellement les deux mêmes images : la carte d’Angkor ne montre de la ville qu’un petit rectangle à la croisée de ses deux axes viaires, et la carte de Siem Reap donne une image digne des années 30 où les seules mentions des environs suivent l’extension des hôtels le long de la RN6. Aline Hétreau-Pottier 31 Recherches Formes architecturales et urbaines Adèle Esposito Compositions urbaines Ville végétale Établissement informel le long de la rivière Siem Reap, (A. Esposito, 2008). Les villages, s’égrenant le long de la rivière, sont à l’origine de Siem Reap. Ils constituaient une bande peu épaisse de maisons immergées dans la végétation, en relation avec l’eau et les champs, desservies par des chemins. Nous appelons « ville végétale » ces établissements à la végétation dense, où l’eau est omniprésente, à l’habitat en matériaux naturels, aux chemins en terre, comprenant des infrastructures hydrauliques anciennes. Progressivement absorbés par le développement urbain au XX siècle, ils ont laissé des traces toujours perceptibles dans la ville, notamment autour des pagodes : leurs complexes, entourés par des enclos et incluant souvent des écoles, ponctuent le paysage de la rivière. Aujourd’hui la persistance de ces formes est mise en danger par le développement urbain, par la faiblesse du régime de protection et par la disponibilité de terrains dans ces aires encore peu denses. Si on suit le cours de la rivière, on reconnaît plusieurs séquences formelles selon l’homogénéité des tissus et la persistance des éléments constitutifs des villages. Au sud de la RN6, ceux-ci ont été effacés ou profondément transformés par la ville coloniale. Toutefois, on retrouve quelques agglomérations de maisons. Le tracé de la rue Vat Bo a également suscité l’absorption du tissu villageois dans des compositions nouvelles ; en s’éloignant d’une cinquantaine de mètres on retrouve cependant les basses densités, la richesse végétale et les champs cultivés. Au sud du marché, la rive ouest est bordée par une route goudronnée qui descend au Phnom Krom. Ici, le tissu végétal est réduit par la minéralisation du bâti à proximité du centre ville, où plusieurs infrastructures touristiques sont implantées. Du côté de la rive est, les formes traditionnelles sont prégnantes. L’habitat se déploie le long d’une piste en terre, la Vat Athvear (A. Pégaz-Fiornet, 2005) 32 végétation est dense. Vers la rivière, les maisons en matériaux végétaux occupent des petites parcelles et plongent leurs pilotis dans l’eau. De l’autre côté, on trouve tant des maisons en bois que des villas récentes, qui respectent la trame de vastes parcelles clôturées avec accès sur la piste. Quelques chemins emmènent vers l’est, où le tissu se fait de moins en moins dense. Au nord de la RN6, des établissements informels sont venus s’installer le long de la rivière. Ils emploient certains éléments caractéristiques des formes villageoises dans la construction et l’organisation spatiale mais sont construits sans permis sur de toutes petites parcelles, emploient des matériaux de fortune. Cela suscite l’opposition des autorités, qui, ne les reconnaissant pas comme des « villages traditionnels », voudraient les reloger et aménager la rivière comme promenade. Par contre, à l’arrière, la rive est montre encore des caractères villageois. La densification du centre, le développement urbain partant des principaux axes sont parmi les facteurs qui risquent de faire perdre à Siem Reap ce passage progressif de la ville végétale vers la campagne qui la caractérisait. D’abord, par la transformation des aires proches de la rivière, ensuite, par l’urbanisation non planifiée des terres qui demeuraient rurales, où les bâtiments en durs s’élèvent aujourd’hui à un rythme soutenu. Noria (A. Hétreau-Pottier, 1994) Compositions urbaines Vieux Marché Le quartier vu d’en haut, (A. Hétreau-Pottier, 2007). Le protectorat français est à l’origine du premier centre urbain moderneϋ de Siem Reap. Situé à l’ouest de la rivière, il est constitué, au sud par le quartier marchand du Psar Chas, au nord par un quartier administratif. Ainsi, les deux fonctions sont-elles séparées, situées dans deux secteurs contigus. Le premier acte de planification est le remblaiement de la zone occupée par le centre et le tracé des rues qui le délimitent (19201930). Malgré leur petite échelle, comparée aux autres villes coloniales d’Asie du Sud-Est, on peut reconnaître dans les quartiers « coloniaux » de Siem Reap, certaines conceptions et formes, propres à la planification de ces villes : spécialisation fonctionnelle, hiérarchisation des réseaux, plan en damier, quartiers aux vastes parcelles plantées, ponctuées de bâtiments administratifs et emploi d’un vocabulaire néoclassiqueό. L’urbanisation du quartier du Vieux Marché a suivi la réalisation du réseau viaire secondaire qui définit des îlots compacts, édifiés de compartiments . Ce terme désigne un type de construction, décrit comme le « modèle urbain dominant d’agrégation urbaine dans toutes les villes d’Asie du Sud-Est » (Viaro, 1992). Ce type, malgré des variantes liées aux matériaux, aux techniques employés et aux modes d’occupation de l’espace, présente des caractères qui lui sont spécifiques, présents au Vieux Marché : parcelle oblongue et mitoyenne, façade étroite orientée vers la rue, mixité des fonctions, commerce au rez-de-chaussée et habitat à l’étage. Ici, leur construction a été progressive et s’est poursuivie bien au-delà 1 Les explorateurs des XIXe-XXe siècles décrivent Siem Reap comme « La neuve, le chef-lieu moderne ». La réalisation des quartiers « coloniaux » a eu la portée dune nouvelle fondation pour cette petite bourgade de maisons sur pilotis. Cf. Mouhot, H. (1863); de la domination française. Les compartiments ont donc des formes hétérogènes, mais respectent les alignements, le découpage foncier, conférant une cohérence à l’ensemble. Ceux qui entourent la halle du marché emploient un langage néoclassique et possèdent au rez-dechaussée une galerie qui unifie l’ensemble des façades. En général, les compartiments de ce quartier sont constitués de plusieurs parties se développant dans la profondeur de la parcelle : la première, publique et commerciale, orientée vers la rue, est constituée par la boutique dont les étales se prolongent souvent sur le trottoir ; la seconde est dévolue au service ou à la vie familiale. Ces deux parties sont souvent séparées par une cour intermédiaire, indispensable à l’aération du compartiment. Cette cour est parfois couverte pour obtenir un espace de vie supplémentaire, causant des problèmes de climatisation. La boutique se prolonge souvent sur le trottoir par des vérandas, étales de marchandises ; l’espace public ainsi approprié est délimité par des plantes, des enseignes ou des bancs. Le trottoir est également utilisé comme parking à vélos et motos. L’étage, desservi par un escalier interne, est traditionnellement résidentiel, habitat de la famille exerçant le commerce. Selon la surface disponible, il est constitué d’un seul espace de sommeil ou réparti en plusieurs chambres, desservies par un couloir. S’adjoignent toujours des espaces de service, cuisine et/ou toilettes. Le développement du quartier a été interrompu sous les Khmers Rouges et le gouvernement pro vietnamien, périodes pendant lesquelles le Vieux Marché est abandonné : il retrouvera sa fonction durant les années 1990. La halle du marché est alors réhabilitée, le quartier tout entier rénové et reconverti au commerce touristique, devenant à Siem Reap le principal site visité par les touristes. Par le décor, les aménagements internes et les trottoirs, mais parfois aussi les modifications de la structure et de la répartition interne, les compartiments sont adaptés à une nouvelle pratique commerciale. Ainsi une promenade touristique et commerçante est-elle créée et profite-t-elle de la cohérence de la composition uniforme de la « façade commerciale ». Dans certains cas, les résidants demeurent, exacerbant l’opposition entre espaces publics et privés : à deux mètres des boutiques, les ruelles sont appropriées pour les fonctions ménagères et de sociabilité, les édifices sont surélevés. Dans d’autres cas, les transformations fonctionnelles liées au tourisme dénaturent l’occupation traditionnelle des compartiments. L’étage est alors transformé en restaurant, magasin ou loué. Ainsi, ce quartier s’est-il adapté du fait des aménagements liés au tourisme : cela se manifeste dans la flexibilité de ses formes, mais suscite également des questions sur la prise en compte de l’héritage bâti par le tourisme. Compartiment autour de la halle avant la reconversion (P. Clément, 1994) Compartiment autour de la halle (A. Hétreau-Pottier, 2007) Bouillevaux, C.E. (1874). 2 Sur les villes dAsie du Sud-Est à lépoque coloniale, voir Culot, M. et Thieveaud, J.M (1995).Architectures françaises Outre Mer, Liège, Margada. 3 À propos des compartiments, voir Goldblum, C. (1985), Capitales d’Asie du Sud-Est Stratégies urbaines et politiques du logement, Paris, GRASE, 365 p. ; Viaro. A (1992), « Le compartiment chinois est-il chinois? » in Les cahiers de la recherche architecturale, n. 27/28/1992, pp. 139-150. 33 Compositions urbaines Psar Leu rue Vat Bo Psar Leu À gauche : rue commerçante. (K. Tan, 2005) Après la chute des Khmers Rouges et le retour des habitants dans les villes, à Siem Reap, le Psar Chas reste inutilisé pendant toute l’occupation vietnamienne, tandis que de nouveaux marchés se constituent à la périphérie de la ville : le Psar Leu à l’est, le long de la route nationale 6, et le Psar Krom au sud. Au Psar Leu, une première implantation spontanée de marchands est suivie par la construction d’une halle en 1985, à l’initiative des autorités, reconstruite à la fin des années 1990. La présence du marché a poussé les habitants à l’auto promotion d’un quartier qui s’est branché au tissu en voie de constitution le long de la route nationale 6. Une première bande de compartiments en bois, disposée en couronne autour de la halle, en constitue le noyau. Ils créent un front cohérent par le respect de l’alignement à la rue commerçante bordant le marché, la similarité des caractères architecturaux et des organisations des façades (largeur du front vers la rue d’environ 4m), les toitures communes, le parcellaire en peigne (profondeur de la parcelle environ 18m), l’aménagement des espaces internes et externes. Au rez-de-chaussée, une grande pièce sert de boutique. À l’arrière, se trouvent les espaces de service et parfois une cour clôturée. La famille dort à l’étage, généralement dans une grande pièce où les divisions sont créées par des rideaux. Ces Ville de Siem Reap, d’après © JICA, 2005. compartiments sont donc caractérisés par la multifonctionnalité des espaces et la flexibilité des séparations ; l’espace commerçant est également celui de la vie quotidienne, les divisions spatiales, déterminées par le mobilier, ne sont pas figées. Au-delà de la première bande commerçante, formée pendant les années 1980, le développement du quartier se fait surtout dans la décennie suivante et gagne progressivement les champs vers le sud. À proximité de la halle, quelques rangées de maisons continuent à s’organiser le long de rues parallèles à la « couronne » de compartiments. Toutefois le bâti est mixte et le parcellaire en peigne a une fonction uniquement résidentielle. Les rues deviennent ensuite sinueuses et les impasses nombreuses. Le tissu est constitué par des types et des formes d’organisations spatiales variés : maisons en bois, logements collectifs, édifices en brique, paillotes, logements précaires en tôle, disposés le long de chemins, autour de cours, d’espaces végétaux et de bassins. Il montre depuis peu une tendance à la densification. Dans le processus d’urbanisation du quartier, on remarque d’une part un développement concentrique autour de la halle, d’autre part un développement linéaire le long des rues. Par ce double mouvement, la ville s’étend par la constitution d’établissements denses dont la limite avec la campagne se meut vers le sud. Les abords de l’aire urbanisée sont « flous », dans le sens où le tissu est désagrégé, souvent dégradé, des populations défavorisées vivent dans des bâtiments collectifs en tôle ou en paille. Au Psar Leu, la rue et la halle s’affirment donc comme des éléments structurants de l’espace urbain et stimulent son développement. Ces formes d’organisation, typiquement urbaines, coexistent avec d’autres, issues du milieu rural. Cette hybridation tient à l’origine du quartier : les nouveaux habitants, originaires des campagnes, arrivent en ville attirés par son potentiel économique. Ainsi, tout en s’établissant dans un milieu urbain et commerçant, ils se réfèrent à l’univers rural pour construire leurs habitations. Ne disposant pas de larges parcelles et ayant intérêt à s’établir à proximité du marché, l’établissement qui en résulte est compact. La densité ne cesse d’augmenter rendant les conditions de vie précaires : l’habitat étant souvent de médiocre qualité et les infrastructures de base insuffisantes. L’urbanisation dépend fortement du réseau viaire, se déployant le long des principaux axes. De plus, la minéralisation du bâti fixe ces établissements, alors que les villages ont traditionnellement une flexibilité d’implantation. Cela correspond à une perte des valeurs symboliques et sociales propre à l’habitat en milieu villageois, en faveur d’une hybridation des formes . 1 C. Goldblum a étudié un processus similaire, dans les grandes villes dAsie du SudEst, de reflux des formes dhabitations issues des systèmes villageois vers la ville, et quil a nommé « village urbain ». Bien que le contexte soit différent, sa recherche constitue notre référent théorique pour lanalyse du quartier du Psar Leu (cf. Goldblum, C. (1987), Métropoles dAsie du Sud-Est Stratégies urbaines et politiques du logement, Paris, LHarmattan. Compartiments en bois au Psar Leu (A. Esposito et K. Tan, atelier 2005). 34 Compositions urbaines La rue Vat Bo a été tracée à l’époque coloniale sur un site auparavant villageois. Le quartier prend le nom de la pagode qui se trouve à l’est : cet emplacement religieux est ancien et, même si on n’a pas d’informations sur la date de sa fondation, on peut affirmer qu’il remonte bien au-delà du XIXe siècle. Une trame de ruelles transversales se branche à la rue pour rejoindre celle-ci à l’ouest et se perdre dans les champs à l’est, en dessinant des parcelles où le bâti est peu dense et conserve ses caractères villageois. petits restaurants et commerces touristiques. Dans une première phase, ce sont les maisons privées qui s’ouvrent à la location de chambres pour les touristes. Ensuite, des acteurs locaux, propriétaires de maisons ou petits investisseurs se lancent dans l’édification de bâtiments destinés spécifiquement à cette fonction d’accueil. À partir de la rue Vat Bo, ces infrastructures se diffusent dans les ruelles et s’implantent dans un tissu qui est encore très végétal, souvent en réhabilitant d’anciennes maisons ou villas. Ces modes d’occupation génèrent de nouvelles formes de coexistence entre l’habitat et les bâtiments du tourisme, où ce dernier s’adapte au système de ruelles et cours qui caractérise ce quartier. Toutefois, quelques bâtiments récents – hôtels, guest houses – en dur, de taille supérieure, dont les parcelles n’incluent presque pas d’espaces végétalisés, détonnent avec les qualités spatiales et architecturales qui ont caractérisé Vat Bo jusqu’à présent. Le quartier peut être divisé en trois parties selon les types et l’origine du bâti : au sud, le bâti des années 1960 ; au centre, Pendant les années 1960, des équipements administratifs, symboles du Cambodge indépendant, sont édifiés dans cette rue surtout dans le secteur sud. À cette époque, le tissu est aussi caractérisé par des maisons en bois, situées dans de vastes parcelles, des compartiments et petites échoppes implantés sur des îlots en lanière, des villas entourées par une végétation dense et des clôtures vers la rue. Par la suite, avec le développement du tourisme, la rue devient un des premiers axes de développement des guest houses, 0 Vat Bo 300 m 0 Repérage des maisons en bois (M. Cabouat-Martel, atelier 2004/2005) Repérage des infrastructures touristiques : Hôtels, guest houses, commerces et restaurants touristiques, (A. Esposito, 2007, fond de plan © JICA, 2005, échelle originale 1:5000). les commerces de proximité et les bâtiments résidentiels qui se développent à proximité de la pagode ; au nord, les infrastructures touristiques profitant de la proximité de la RN6 sont particulièrement denses. Toutefois, celles-ci ont aujourd’hui tendance à se diffuser de plus en plus au sud. À proximité de la rue, le tissu devient typiquement villageois, s’organise en cercle autour de bassins d’eau, et l’activité principale est l’élevage des vaches : les fonctions urbaines et rurales coexistent à Vat Bo. La rue est aussi caractérisée par une occupation diversifiée de l’espace public qui varie en dimensions et fonctions entre la rue et le bâti. Parkings, plantations, petits commerces, panneaux publicitaires et pots empiètent sur les trottoirs, démontrant la capacité des habitants à s’approprier et à organiser l’espace public. 300 m Repérage du bâti des années 1960 (M. Cabouat-Martel, atelier 2004/2005) 1 2 1 - Appropriation des trottoirs par les commerces, (M. Cabouat-Martel, atelier 2004/2005). 2- Compartiments, (M. Cabouat-Martel, atelier 2004/2005). 35 Compositions urbaines Rue Sivatha RN6 Élévation le long de Sivatha, côté ouest, secteur du Vieux Marché. (H. Glowinski et W. Yato, atelier 2004/2005) Rue Sivatha Ville de Siem Reap, d’après © JICA, 2005. Tracée à l’époque coloniale en bordure des quartiers du Vieux Marché et administratif, la rue Sivatha relie la RN6 à la rivière et, par son orientation diagonale par rapport au Psar Chas, rompt avec la continuité des îlots en damier. Elle sépare la ville « coloniale », remblayée, de celle des populations locales, périodiquement inondée. Les formes architecturales et urbaines qui s’implantent à ses abords sont hétérogènes : à l’est, son urbanisation s’organise selon la trame de quartiers coloniaux ; à l’ouest, par contre, la rue est bordée d’établissements différents : tissu mixte s’implantant le long de la rue et chemins en terre aboutissant dans les champs. Ainsi, la rue Sivatha peut-elle être perçue à la fois comme frontière entre deux formes d’organisations spatiales et comme « trait d’union » entre celles-ci, grâce à la commune fonction commerçante des bâtiments qui la bordent et à l’emploi du module du compartiment, qui se décline à Sivatha dans des formes très variées. À la hauteur du quartier administratif, le tissu fait aujourd’hui l’objet de transformations intenses dues au tourisme : auparavant peu denses et désagrégées, ses parcelles ont attiré les investisseurs de par leur proximité avec le centre ville et la route des temples. Ainsi, des complexes hôteliers et commerciaux ont-ils été récemment construits, se substituant parfois à des équipements publics, comme le lycée, déplacé pour laisser la place à une opération immobilière à grande échelle. 36 Rue Sivatha côté ouest, (A. Esposito, 2006). Le long de la rue, à la limite entre les quartiers administratif et du marché, les transformations récentes ont généré un véritable « nœud » urbain, concentration d’activités touristiques et commerciales : l’Hôtel de la Paix (construit à l’emplacement de l’ancien hôtel de la poste) n’est pas qu’un lieu d’hébergement mais aussi un équipement urbain, « manifeste » de la modernité, et lieu de rencontre des milieux expatriés ; la construction du Psar Kandal, nouveau marché touristique, a suscité le développement récent de nouvelles formes commerciales à l’entour. Plus au sud, à côté du marché, les compartiments, dont nombre date de l’époque coloniale, s’adaptent aux îlots trapézoïdaux en laissant des larges trottoirs, appropriés par les boutiques. Du côté opposé, Sivatha est caractérisée par un bâti dense et mixte, où le compartiment toutefois domine. Au cours des dernières années, des formes commerciales et des équipements hôteliers et touristiques se sont diffusés aux ruelles transversales. Ce quartier, aux formes plus typiquement villageoises, est aujourd’hui en train d’acquérir un statut urbain et la rue Sivatha, commerçante depuis son origine, catalyse les activités et contribue au développement de la ville. Avec le tourisme, ses formes commerçantes se transforment : les boutiques de compartiments coexistent avec les supermarchés, les bars à touristes, les maisons traditionnelles rénovées, transformées en restaurants. Séquence de façades (H. Glowinski et W. Yato, atelier 2004/2005). Compositions urbaines La route nationale 6, tracée à l’époque coloniale, contourne le lac et relie Siem Reap avec la Thaïlande à l’ouest et Phnom Penh à l’est. En franchissant la rivière, elle confère à la ville une forme de croix. Au cours du XXƉ siècle, elle a déterminé une urbanisation linéaire, peu dense et épaisse, qui a connu différentes phases. Entre 1940 et 1970, s’amorce un timide processus, les villages se rapprochent des grands axes de communication, se concentrant en noyaux à proximité de la rivière. Le bâti est alors constitué par des maisons en bois, implantées en retrait par rapport à l’axe, reliées à celui-ci par des chemins en terre. Après la chute du régime Khmer Rouge, le Psar Leu s’installe le long de la RN6, à la périphérie est de la ville. Cette section est prend alors une fonction commerçante ; le bâti se densifie et s’en rapproche progressivement. La petite échelle des interventions, initiative des habitants, et leur étalement dans le temps ont généré un tissu très varié en hauteurs, alignements, matériaux, aux fonctions à la fois résidentielle et commerciale dont le bâti, dans la majorité des cas, suit le type du compartiment. Ce tissu forme une bande orientée vers la route ; à l’arrière, quelques rangées de maisons desservies par des impasses dissimulent les terres agricoles. Cette morphologie se poursuit jusqu’au Psar Leu : plus à l’est, le tissu, moins dense, est constitué surtout de compartiments en bois ou de petites échoppes en tôle, jusqu’à un lotissement nouveau, en cours de construction. Cette opération immobilière de grande envergure (sa superficie est supérieure à celle du centre colonial de Siem Reap), reliée à la nationale, se développe selon une maille orthogonale, construite de com- partiments. Le lotissement est doté d’un marché, d’une université privée, d’infrastructures touristiques : il témoigne de la tendance actuelle à la création de nouveaux quartiers autonomes, d’initiative privée, reliés aux principaux axes. À partir des années 1990, cette section est accueille quelques infrastructures touristiques. De fait, son tissu, assez dense, laisse peu de parcelles disponibles. Des hôtels et guest houses s’insèrent cependant dans le tissu des compartiments ; quelques larges parcelles sont libérées pour laisser place à des hôtels de grande taille. En même temps, l’urbanisation, à la fois résidentielle, commerciale et touristique s’étend en direction du nord et du sud à partir de la nationale : les impasses sont prolongées, les hôtels s’implantent dans cette nouvelle trame tout en signalant leur présence le long de la route. Elle devient un catalyseur de l’urbanisation en direction des terres agricoles. À l’ouest, la présence de l’aéroport, ainsi que l’embranchement avec la route des temples, qui mène directement au parc d’Angkor, a rendu cette section de la RN6 particulièrement attractive pour les infrastructures touristiques. Si on ajoute à cela une urbanisation préexistante (avant 1990) constituée d’un tissu peu développé et de constructions en matériaux naturels, on saisit le potentiel de cet axe. Cette section comporte plusieurs séquences : la première, bordant le quartier administratif, est composée par le Grand Hôtel (1929) et les bâtiments royaux. À proximité de la rue Sivatha, un tissu de compartiments cède assez tôt la place aux larges parcelles des hôtels. Dans les interstices de ce tissu récent, des maisons en bois et quelques compartiments résistent avec leur boeung (bassins), progressivement remblayé. Ces hôtels ont com- Route nationale 6 mencé à s’implanter au cours des années 1990 mais ont connu un véritable essor à partir de 2000. Le tissu est composé de nos jours par la juxtaposition d’hôtels occupant des larges parcelles. Ceux-ci sont généralement constitués par des barres en forme de L ou de U, contenant une cour intérieure et une piscine. Leur architecture est massive. Seuls les toitures et les accès se réfèrent à l’architecture khmère – les temples et les pagodes – en stylisant certains éléments typiques dans les décors de façade. Cette route soutient une urbanisation spécialisée où chaque hôtel profite de la relation avec un axe au statut essentiellement de desserte et de liaison territoriale. À l’arrière, ces grands hôtels laissent place à des champs et des maisons en bois dispersées, territoires gagnés progressivement par l’urbanisation ces dernières années. Au sud, les chemins, partant de la nationale, ont commencé à s’affirmer comme rues urbaines avec la multiplication des commerces, guest houses et hôtels qui absorbent et insèrent dans des compositions nouvelles le bâti préexistant. Un nouveau réseau de voirie est en train de se former qui s’appuie sur des voies existantes. Au nord, si le réseau se développe, l’urbanisation reste moins dense. À la périphérie, le Cambodian Cultural Village s’est installé en 2003. Parc à thème qui entend reproduire les types de villages et les principaux monuments du pays, il occupe une surface de 21ha, supérieure à celle du centre historique de Siem Reap. Façades le long de la RN6 vers Psar Leu (Aurore Pegaz-Fiornet, 2005). 37 Formes architecturales 1 2 1- Plan de situation, d’après © JICA, 2005. 2 - Plan du rez-de-chaussée et du premier étage. Façade principale et coupe transversale. Maison du médecin La maison se trouve le long de la rivière, au nord de la pagode Mondol, cachée par des ateliers d’artisanat. Elle est implantée sur une petite parcelle car le bâti s’est densifié de tous côtés. Le rez-de-chaussée, sous pilotis en bois, a une largeur de portée d’environ 4m pour le noyau central, de 2 pour les espaces périphériques. L’espace ouvert est utilisé pour les activités ménagères. Une chambre a été créée à ce niveau avec des murs en dur. L’étage, auquel on accède par deux escaliers, l’un principal, l’autre de service, est doté d’une vaste véranda, espace de la vie quotidienne. Il est divisé en plusieurs chambres à coucher et de séjour. Le toit est constitué par deux charpentes en bois et une couverture en tuiles. Cette maison est destinée à une famille relativement aisée. 0 5 15 m Relevés et photographie H. Glowinski et W. Yato, (Atelier 2004/2005) Maison en bois 1 2 1- Plan de situation, d’après JICA ©, 2005. 2 - Plans du rez-de-chaussée et du premier étage 3 - Façades latérale et principale La maison est située le long de la rivière, à proximité du Vat Polanka. Elle est implantée sur une vaste parcelle, délimitée par une clôture et des plantations, qui inclut un espace non bâti à l’avant et un espace planté à l’arrière. Elle se trouve au milieu d’établissements traditionnels. Trois ménages y cohabitent pour un total de onze habitants. Le rez-de-chaussée est utilisé pour la vie quotidienne. Il comprend un garage, réalisé en fermant partiellement l’espace sous pilotis, une annexe de la cuisine, un espace de vie pendant la journée. À l’étage, se trouvent les chambres à coucher et un séjour. Relevés et photographie A. Pegaz-Fiornet et M. Cabouat-Martel, 2005, (Atelier 2004/2005) 38 Villa de la Croix-Rouge Relevés et photographie A. Pegaz-Fiornet et M. Cabouat-Martel, 2005, (Atelier 2004/2005). Cette villa se trouve dans une vaste parcelle plantée, intégrée au quadrillage du quartier administratif. Elle est implantée en biais par rapport à l’alignement des rues, avec un accès principal orienté au sud-est. L’espace non bâti de la parcelle est partiellement occupé par des constructions faisant fonction de dépôt et parking. Elle est constituée de trois niveaux, dont un étage semi-enterré, occupés par le siège de la Croix-Rouge. La villa est représentative du langage architectural à l’époque du protectorat et rappelle les expériences européennes contemporaines de pavillons dans les « cités jardin ». Façade / Plans du rez-de-chaussée et du premier étage. Église catholique Relevés et photographie W. Punto et H. Min, (Atelier 2004/2005) L’enclos de l’église comprend une villa, datant des années 1960, achetée par l’Église qui y a installé son siège et un bâtiment pour le culte, construction en dur au rez-de-chaussée, en bois à l’étage. La villa a été transformée en guest house et une extension réalisée à l’arrière : bâtiment en dur, à un étage, couvert d’un enduit blanc, avec une terrasse couverte en tôle. Ainsi la grande parcelle, est-elle occupée par ces deux bâtiments et des espaces utilisés pour le jeu des enfants, les activités quotidiennes et l’enseignement de la danse. Le rez-de-chaussée comporte un hall, une véranda et des chambres ; le premier, des chambres, desservies par un couloir et un grand balcon. La structure est constituée par des poteaux/poutres avec une largeur de portée d’environ 4 m. Plan du rez-de-chaussée et façades 39 Formes architecturales Façades vers la rue et vers la rivière / Façade latérale/ Schémas des pratiques des espaces Bâti informel le long de la rivière. Habitat informel sur l’eau Cette maison fait partie des établissements informels le long de la rivière. Elle a une surface de moins de 30m² et abrite huit personnes : deux sœurs et leurs enfants respectifs. La famille paie un loyer de 20$/mois. Étant données les dimensions réduites du logement, la vie quotidienne se déroule principalement à l’extérieur, tandis que l’intérieur, composé d’une chambre, d’une cuisine et d’un espace de séjour, est utilisé pour les fonctions ménagères et pour dormir. La rue qui longe la rivière devient ainsi un espace commercial, d’activités quotidiennes et de sociabilité. Le bâtiment est construit sur pilotis, qui le protègent des crues de la rivière. Il est constitué par une structure simple poteaux/poutre en bois, aux parois en matériaux hétérogènes et au toit en tôle. Relevés et photographie M. Camps et J. Thibault (Atelier 2004/2005). Habitat informel 1 2 La maison, en bois et tôle, est habitée par deux frères et une sœur. Située à l’entrée du Vat Enkosa, elle dispose d’un commerce au rez-de-chaussée. Bien qu’elle soit considérée comme « informelle », car elle fait partie des établissements irréguliers le long de la rivière, on remarque une conception assez ingénieuse du bâtiment. Celui-ci présente de multiples ouvertures favorisant une ventilation naturelle et sélective selon les exigences et le rapport avec l’espace extérieur, primordial pour la boutique qui se trouve au rez-de-chaussée ; la surface réduite est soigneusement exploitée pour les fonctions commerciales et ménagères. L’espace du rez-de-chaussée est multifonctionnel : commerce de jour et chambre pour les frères la nuit ; le premier étage est réservé à la sœur. 1- Plan-masse 2- Plans / façades nord et est Relevés et photographie M. Camps et J. Thibault (Atelier 2004/2005) 40 Vieux Marché Compartiment en dur Le bâtiment fait partie de la « couronne » de compartiments, entourant le Vieux Marché et date de l’époque coloniale. L’îlot, où il se situe, est composé de plusieurs modules à peigne similaires avec deux orientations principales - la rue commerçante et la rivière – délimité sur ses autres façades par des ruelles. La toiture est commune à l’ensemble des compartiments, à double pente et en tuile. Le bâtiment relevé est composé de plusieurs blocs en dur, séparés par une cour intermédiaire, qui a été couverte. La façade est composée d’une galerie au rez-de-chaussée et de loggias à l’étage. Le rez-de-chaussée est divisé entre les espaces publics du restaurant et ceux de la vie quotidienne, se déployant à l’arrière. Il est doté d’une cuisine indépendante. L’étage est composé de plusieurs chambres et d’une terrasse, transformée en cuisine. 1 2 1- Plan de situation, d’après © JICA, 2005. 2 - Coupe longitudinale / façade vers la rue / Plans du rez-de-chaussée et de l’étage. Relevés et photographie M. Camps et J. Thibault (Atelier 2004/2005). Compartiment en bois Plan de situation La rue vue de l’intérieur d’un compartiment. Coupe longitudinale Plans du rez-de-chaussée et de l’étage. Il fait partie de la bande de compartiments qui entoure le Psar Leu. Il a été construit il y a environ vingt ans par le père de la famille qui y habite encore. Il s’insère dans le parcellaire à peigne, ses dimensions sont d’environ 4x20m. Il est orienté vers la rue marchande qui longe le marché mais « étouffé » à l’arrière par l’expansion urbaine qui bloque l’aération et le passage. La charpente et les murs sont en bois, les espaces de service sont par contre réalisés avec des matériaux de fortune. La grande salle du rez-de-chaussée est un restaurant, mais sert aussi d’espace de vie pour la famille. Les toilettes et la cuisine se trouvent dans la cour arrière. À l’étage, un grand espace, divisé par des rideaux, sert de chambre aux neuf habitants (le père et ses enfants). Vers la rue, une véranda, couverte de tôle, tient lieu d’espace de vie durant les heures les plus chaudes. Relevés et photographie par A. Esposito et K. Tan (Atelier 2004/2005). 41 Enseignement Atelier d’architecture de Siem Reap / Angkor Cyril Ros, architecte et enseignant ENSAPB Dans le prolongement des enseignements réalisés à Phnom Penh et à Siem Reap de 1991 à 1994, un atelier du DPEA MAP a été organisé à Siem Reap/Angkor en 20042005. Il a procédé d’une coopération avec l’Autorité pour la Protection du Site et l’Aménagement de la Région d’Angkor (APSARA), l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) et a bénéϔicié du soutien moral de l’UNESCO et de l’Association des Amis d’Angkor. Il est reconduit depuis 2006/07, sous la forme d’un studio de master de l’ENSA de Paris-Belleville. Siem Reap / Angkor Patrimoine/tourisme, contemporanéité/développement Pierre Clément, Cyril Ros, Inès Gaulis, Nathalie Lancret, Aline Hétreau-Pottier, Lisa Ros, Adèle Esposito. Latelier est composé de deux parties complémentaires, latelier Plan de Ville et latelier Projet. Latelier Plan de Ville consiste en une approche de la ville, fondée sur une analyse cartographique. Il vise au décryptage dinformations, à lacquisition dun savoir sur la ville à partir de la compréhension de cartes et de plans allant de léchelle du territoire à celle du quartier. Latelier Projet privilégie la démarche et lapproche personnelles de létudiant. Il comporte trois phases : le travail à Paris dans un premier temps (la trame), la confrontation avec le lieu, le terrain, (séjour à Siem Reap), puis la finalisation par un projet architectural (le projet). 1 2 La trame L’étudiant doit d’abord comprendre et diagnostiquer les enjeux, les pathologies, les besoins d’une ville confrontée à un tourisme au développement rapide. L’objectif est d’utiliser la « non connaissance » du lieu comme moteur de réflexion. Pour cela, l’exercice a un point de départ : la réflexion sur les anciens canaux angkoriens et les points d’eau parsemant la ville, souvent mis à mal par les développements actuels. Puis, vient s’y superposer la trame, point d’entrée de l’étudiant dans une réalité imaginée, soulevant des questions comme les modes d’habiter, le développement urbain, la traversée de la ville et les séquences qu’elle propose. Cette trame doit être conçue de sorte à faire support à de la ville et doit être envisagée comme un moyen de produire de la ville dans une optique d’incitation. Le terrain Le terrain, lieu d’intervention et d’expérimentation, est une étape fondamentale du travail de projet, poursuivant en cela les expériences précédentes. L’étudiant est alors amené à confronter l’hypothétique et le réel dans une approche critique. Il choisit un site, un sujet, inclus dans sa trame pour établir un programme, se fondant sur des recherches, analyses et relevés de terrain. Le projet Cette dernière phase consiste en la finalisation du travail de terrain. L’accent est mis sur la pertinence de l’insertion urbaine, l’adaptation au climat, à la lumière, l’utilisation des matériaux, la gestion de l’espace, la structure et les modes de représentation. Exposition des travaux d'étudiants 1- Plan du canal, d’après JICA © 2005. Cartes par D. Munoz, M.I. Costa, M. Fernandez, P. Gonzalez Valcarcel, 2006 2 - Le canal, vu du Nord (A. Hétreau-Pottier, 2007) 42 Les travaux des étudiants font chaque année l’objet d’une exposition au Cambodge, à Siem Reap, accueillie jusqu’à présent, dans les locaux du Centre culturel français. Cette exposition permet une présentation des problématiques identifiées par les étudiants, des diagnostics et des solutions qu’ils proposent. Intervention au Vieux Marché Marine Camps, Justine Thibault (2004/2005) Plan général du projet Vue à partir des halles Mise en situation du marché avec un système de ventilation naturelle On s’est ici intéressé à la rivière, à son rôle de limite et au potentiel d’exploitation des espaces libres le long de ses berges. On choisit d’intervenir dans le secteur du Vieux Marché, à la fois cœur historique et touristique de la ville. Sur la rive est, on propose d’établir une relation entre le Vat Damnak (monastère) et la rivière grâce à une rue qui la franchit au moyen d’un pont routier, piéton et commercial, générant ainsi un espace ouvert, place à la fois pour le Vat et pour le marché car on y déplace le Psar Chas. On définit un module d’implantation spatial (stand) et quelques cheminements : la végétation délimite les espaces non constructibles ; on aménage des endroits stratégiques, tout en laissant la liberté d’établissement et de densification dans le temps. Sur l’autre rive, un jardin public, généré par le déplacement du marché, accueille un centre culturel et un auditorium. Articulation de la place du Vat et du pont Coupe de principe révélant le dénivelé créé avec un fond sur le pont et la stratification des espaces 43 Aménagement urbain au Psar Leu Adèle Esposito, Kanitha Tan (2004/2005) Aire d’expansion urbaine potentielle prise en compte par le projet. Constatant l’extension actuelle de la ville vers le sud à partir du Psar Leu, on propose un aménagement de ses abords, afin de guider le développement urbain. Pour faciliter l’accès au marché, on ouvre des routes vers le sud et on crée une voie de contournement est/ouest. Ces routes deviennent les éléments structurants de l’urbanisation, auxquels se branchent des « pôles » d’activités – commerces, équipements – qui la stimulent grâce aussi à la mise en place d’une voirie secondaire. On se concentre ensuite sur les abords de l’aire urbanisée où l’on propose une expansion urbaine commerciale et résidentielle pour le relogement des ménages précaires et l’installation de nouveaux résidants. Le bâti s’organise aujourd’hui autour d’espaces vides, dépôts d’ordures, envahis par la végétation, qu’on valorise, en créant une place végétale, avec échoppes, terrain de sport, école. On laisse aux habitants une liberté d’auto-construction mais on leur donne des indications : l’urbanisation se fera autour de bassins qui drainent l’eau de pluie et structurent les entités spatiales entourées de végétation, où l’on détermine les parcelles, bâtissables selon un règlement de construction. L’urbanisation se déploiera également le long de rues commerçantes bâties de compartiments, dont on définit les gabarits. Simulation d’occupation spatiale d’un îlot. Coupe sur le tissu décousu et mixte aux abords du Psar Leu. 44 Plan-masse : implantation des bassins 0 50m Développement urbain, trame hydraulique et auto-construction Miriam Fernandez Ruiz (2006/2007) Ce projet propose un développement urbain suscité à partir de la trame hydraulique de la ville et d’un système constructif. En partant de bassins ou de la rivière, on organise le développement urbain sur la base de deux zones que l’on établit dans le pourtour de l’élément hydraulique considéré : la première, inondable, est déclarée inconstructible ; la seconde, zone à bâtir. On a ensuite imaginé un développement urbain fondé sur une double circulation, commerciale et domestique et joué sur différentes dispositions des habitations, permettant des densités plus ou moins grandes. L’urbanisation est fondée sur un système mixte d’auto-construction. En premier lieu, vient la trame, découpage du terrain en bandes de 2 x 1 m, disposées en quinconce, sur lesquelles vient se placer une plate-forme puis un noyau en dur, contenant salle d’eau, cuisine et escalier. L’habitation, sur pilotis, se trouve à l’étage ; son aménagement est abandonné à l’initiative des habitants. Exemple d’implantation urbaine autour d’un bassin. Coupe et plan : implantation des maisons le long de la rivière. Plan : exemple de disposition des habitations et leur rapport à l’espace urbain Maquettes : différents exemples d’implantations et de développement de la maison à partir du noyau central. Maquette : auto construction - chaque famille va effectuer elle-même la construction des murs au moyen de matériaux comme le bambou. L’orientation des pièces à l’étage est aussi laissée à l’initiative du propriétaire. 45 Centre d’agriculture expérimental Pablo Valcarcel (2006/2007) Il s’agit d’implanter un centre d’agriculture sur des terrains partiellement occupés par des bassins artificiels, créés par l’excavation d’anciennes rizières pour fournir de la terre de remblai. L’emplacement choisi est situé à l’ouest du stung Siem Reap. Une première délimitation du terrain englobe une zone de 56ha, avec une extension possible de 27ha. Un réseau hydraulique stratifié permet une optimisation de la production. L´eau superficielle est nécessaire en toutes saisons. La station de compostage : une maille de bambou articulée permet de contenir la matière organique en décomposition. Cette solution donne de très bonnes conditions de ventilation, indispensable aux premières phases du processus. De plus elle sert de barrière visuelle. Les propriétés physiques du bambou, flexibilité et légéreté, lui donnent une très bonne résistance à la traction et une mise en œuvre aisée. Trois types de construction trouvent place dans ce centre : - une station de compostage, formée d’une maille de bambou articulée. - Un poste de repos, élément léger et mobile. - le bâtiment principal, implanté au croisement de l’accès principal avec une route est-ouest au milieu du terrain. Plan d’implantation du centre. Satellite : c’est un poste de repos, élément indispensable dans un parc de plus de 50 ha. Léger, il est capable de protéger un individu du soleil comme de la pluie. Élément mobile, sa localisation n´est pas constante. Il doit donc être facilement transportable. Vues intérieures du centre : l´occupation du centre s´effectue au moyen d’éléments mobiles. L´espace intérieur mute en fonction des besoins de la recherche scientifique et des événements publics. Ce bâtiment est construit à partir d’un seul élément, réalisé selon trois portées différentes. Cette cote est standardisée et reproduite plusieurs fois pour générer une peau structurelle, composée d’éléments verticaux. Le volume général du bâtiment est constitué de l’addition de volumes primi- 46 tifs. Cette addition est conditionnée par le programme, la fluidité des circulations et les directions principales du vent. Le résultat est un élément dynamique, construit à partir d’éléments statiques. La peau structurelle, grâce aux variations du rythme vertical, transcrit les différents moments de l’espace intérieur. Pour répondre aux conditions climatiques du Cambodge, on propose de conserver la ventilation naturelle du bâtiment dont on protégera l’intérieur des insectes par la création d’un treillage anti-moustiques. Coupe longitudinale du bâtiment principal Extension de l’école de Phum Thmey Maria Inès Costa (2006/2007) Plan de situation 0 500 Le site des écoles est divisé en deux terrains : celui du sud accueille l’école primaire, composée de six bâtiments disposés en U ; celui du nord, sur lequel on a choisi de travailler, accueille le lycée, constitué de trois bâtiments qui s’organisent en L autour d’une cour. 1500m La capacité d’accueil actuelle est nettement insuffisante, l’augmentation de la superficie disponible de l’école est l’objectif principal, suivi par une mise en relation plus directe avec le canal et le quartier environnant. On propose donc l’occupation du terrain qui se trouve de l’autre côté du canal par de nouveaux bâtiments. La décision d’ouvrir l’école au canal nécessite la « destruction » d’un des bâtiments existants auquel on substitue un édifice d’exception, sur pilotis, qui fonctionne comme le cœur de l’école, une articulation entre les anciens bâtiments et les nouveaux qui vont s’implanter de l’autre côté du canal. Ce nouveau terrain, dévolu à l’école, est caractérisé par une zone d’inondation du canal qui va déterminer l’implantation des nouvelles salles des cours. L’organisation de l’ensemble génère deux cours, la cour existante et la nouvelle, la cour « végétale » et la cour « d’eau ». L’entrée de l’école sera déplacée à proximité du canal, permettant aux gens de traverser l’école comme cela se fait dans l’espace d’une pagode. Les nouvelles salles de cours s’organisent en trois bâtiments, connectés par une galerie continue, chacune d’entre elles dispose d’une petite cour située entre le bâtiment et le mur de clôture. Les matériaux choisis sont le béton, la brique et le bois. Élevations et coupes En haut : bâtiment central En bas : coupe générale du projet 47 Ensemble de logements Coralie Buchart (2006/2007) Schéma de la végétation et des chemins ; chemin des poteaux structurant l’ensemble. Maquette Coupe d’un ensemble de bâtiments. Le projet consiste en l’implantation d’un ensemble de logements le long du canal, au sud de la RN6. L’objectif étant de donner aux habitants une certaine liberté d’aménagement de leur habitation, le bâtiment leur est livré comme un « squelette » comprenant la structure, les murs de cloisonnement, la toiture, ainsi que les arrivées d’eau et de gaz. Le cloisonnement et l’habillage sont laissés à leur initiative. Chaque bâtiment comporte deux appartements, un au rez-de-chaussée et un à l’étage. À l’échelle urbaine, les bâtiments s’organisent en groupes de trois, reliés entre eux par une passerelle, s’élargissant aux abords des logements pour devenir espace de rencontre. Ils partagent également une tour, réservoir pour l’eau de pluie qui descend dans des conduits en sous-face des passerelles et arrive ainsi dans chaque logement. Plans de l’étage et du rez-de-chaussée et coupe type. Plan d’un groupe de trois bâtiments. 48 Bibliographie APSARA (ANG Choulean, PRENOWITZ Eric, THOMSON Ashley), Angkor, passé, présent et avenir, Phnom Penh/Paris, Unesco, 1997. ARTE BCEOM, Ville de Siem Reap - Angkor. Plan d’Urbanisme de référence et projets prioritaires, Synthèse, Rapport dé initif, 3 vol., Conseil supérieur de la culture nationale, APSARA, Royaume du Cambodge, Étude inancée avec le concours de la Caisse française de Développement, novembre 1995. BOUCHAUD Christian, GROUPE HUIT, Siem Reap/Angkor. Plan d’Urbanisme de référence et projets prioritaires. Étude touristique. Évaluation des études de première phase, Conseil supérieur de la culture nationale, APSARA, Royaume du Cambodge, novembre 1994. Mission d’étude tourisme. Angkor/Siem Reap. Rapport de phase 2, Document de travail, volume I, Royaume du Cambodge, Conseil supérieur de la culture nationale, APSARA, Détente Consultants, SCORE TOURISME, GIE Villes nouvelles, non daté. Mission d’étude tourisme. Angkor/Siem Reap. Rapport de phase 2, Document de travail, volume II, Royaume du Cambodge, Conseil supérieur de la culture nationale, APSARA, Détente Consultants, SCORE TOURISME, GIE Villes nouvelles, non daté. GAULIS Inès, Les leçons d’Angkor : dix ans de coopération internationale dans la région de Siem Reap Angkor, Rapport de recherche sous la direction de Pierre Clément, projet soutenu par une allocation de la Région Île-de-France, CNRS/ IPRAUS, Paris, Juillet 2007, 142p. GAULIS Inès, « Aménagement du territoire : le zonage, limite ou frontière ? », Angkor VIIIe-XXIe siècle, Mémoire et identité khmères, Collection Mémoires/Villes, Ed. Autrement, Paris, 2008, pp. 168 -181. GAULIS Inès, « Sauvegarde et plani ication urbaine dans la région d’Angkor. Le plan d’urbanisme de référence : 1995 », IIIe congrès du Réseau Asie-IMASIE, Atelier 12, Architectures de la ville, 27 sept 2007, Paris, www.reseau-asie.com. HÉTREAU-POTTIER Aline, « Siem Reap bouleversée : dynamique touristique et urbanisation », Angkor VIIIe-XXIe siècle, Mémoire et identité khmères, Collection Mémoires/Villes, Ed. Autrement, Paris, 2008, pp. 182-204. MAURET Frédéric, Identiϔication et protection du patrimoine architectural et urbain de la ville de Siem Reap (Cambodge), rapport inal, IPRAUS Développement/ ministère français de la Culture/APSARA, XX, 1996. POTTIER Christophe, Carte archéologique de la région d’Angkor - Zone sud, thèse sous la direction de Bruno Dagens, université Paris III-Sorbonne nouvelle 1999, 3 vol. 384p. + 32 planches. ROS Borath, HÉTREAU-POTTIER Aline, UNESCO Project. Zoning and Environnemental management plan for the Angkor Area (ZEMP). Urban development, UNESCO, Siem Reap/Paris, 1993. UNESCO, Zoning and environnemental management of Angkor within the Siem Reap region, UNESCO, UNDP, SIDA Agency, Sweden, Final Report, Phnom Penh, 1993. HÉTREAU-POTTIER Aline, « Siem Reap aux marges d’Angkor : fabrications et représentations », IIIe congrès du Réseau Asie-IMASIE, Atelier 12, Architectures de la ville, 27 sept 2007, Paris, www.reseauasie.com. ESPOSITO Adèle, « Siem Reap : Formes architecturales des lieux d’accueil touristique », IIIe congrès du Réseau AsieIMASIE, Atelier 12, Architectures de la ville, 27 sept 2007, Paris, www.reseauasie.com. 49 Diplômes et travaux d’étudiants : CALIFANO Cécile, Les saisons de l’eau à Siem Reap-Angkor. Tourisme, patrimoine et développement dans un milieu régi par la logique de l’eau, DESS d’Urbanisme et d’Aménagement, Institut français d’Urbanisme, Université Paris VIII, juin 2005, 81p. CHMIELCZYK Katia, Aménagement territorial de la zone de développement Run Ta Ek : métissage des formes. Entre cité rurale et ville végétale, PFE, École nationale supérieure d’Architecture de Nancy, Marie-José Canonica, Emmanuel Cerise (dir.), soutenance septembre 2008. COUËRO Adeline, HAMON Anthony, Kok Thlok, Histoire au pays de l’eau, Bourse de la fondation EDF, cession 2006-2008, Juin 2008. ESPOSITO Adèle, Formes architecturales et urbaines du commerce, mémoire de 5e année, Nathalie Lancret (dir.), École nationale supérieure d’architecture de ParisBelleville, janvier 2006. GAY Emmanuelle, Étude de l’eau dans la cité de Siem Reap, École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville, P. Clément (dir.), juillet 1998, 49p. TAN Kanita, Expansion urbaine aux abords du Psar Leu, École nationale supérieure d’architecture de Paris La Villette, H.Y. Shin (dir.), décembre 2007, XXp. THIBAULT Christelle, Siem Reap-Angkor, une région du Nord-Cambodge en voie de mutation, Coll. Mémoires et documents de l’UMR Prodig, Paris, 1998, 152p. BOISSELET Aurélie, L’accès à l’eau dans la ville de Siem Reap au Cambodge: demande des ménages et gestion des services d’eau, maîtrise de Géographie de l’Université de Paris la Sorbonne, Olivier Sevin (dir.), 2005. MORIN A. et LENOIR V, Un musée comme amorce d’un nouvel élan touristique et urbain dans le centre ville de Siem Reap au Cambodge, PFE, École nationale supérieure d’Architecture de Paris Versailles, Gérard Cladel (dir.), 2005. Activités Journée d’études « Patrimoine mondial et grands sites : Asie et Europe en miroir » Le 26 octobre 2007, à l’ENSA de ParisBelleville, était organisée une journée d’études consacrée aux sites du patrimoine mondial et aux grands sites en général, à savoir exceptionnels soit par leurs dimensions soit par leur importance, mesurée par leur valeur symbolique et le public nombreux qu’en conséquence ils attirent. Ces caractéristiques ne sont pas sans poser des questions de gestion complexes. Cette journée, à travers l’invitation faite à des acteurs – architectes concepteurs de plan de gestion – et experts de présenter leur travail, a donc été l’occasion de lancer des pistes de ré lexion sur la gestion d’une part de la protection, d’autre part des lux croissants des visiteurs. Elle a aussi été l’occasion d’une sorte de confrontation entre l’Asie et l’Europe. En Asie émerge actuellement une demande d’expertise dans le domaine du patrimoine comme aussi un public croissant. L’Europe, elle, est la région du monde où est née la notion de patrimoine, où celle- ci s’est progressivement constituée. C’est aussi la région qui a exporté cette même notion et le regard particulier sur le passé que celle-ci implique à l’ensemble du monde. Pourtant Asie comme Europe sont désormais confrontées, dans ce domaine singulier du patrimoine, à l’essor de l’industrie mondiale du tourisme, laquelle suppose la mise au point d’outils de gestion de plus en plus complexes. Cette journée nous a aussi permis d’approfondir une coopération déjà ancienne avec le Cambodge, grâce à l’intervention d’un ancien Ministre d’État, Monsieur Vann Molyvann, et à celle d’Adèle Esposito qui entreprend une thèse sur le tourisme à Siem Reap/Angkor ; de lancer une coopération nouvelle, au titre de la recherche comme à celui de l’enseignement, notamment avec l’Université La Sapienza de Rome, à travers le professeur Paola Falini, experte auprès de l’UNESCO, pour l’élaboration de plans de gestion de sites patrimoniaux italiens. L’équipe de l’Observatoire participera, en octobre 2008 à Siem Reap, à une table ronde sur le développement actuel de la ville et ses implications/interactions avec le site archéologique, organisée par le Centre d’Études khmères (CKS), avec le Bureau des Affaires urbaines d’Apsara, le Getty Conservation Institute, et le Pacific Rim Council for Urban Development (PRCUD). BULLETIN " (D c te ur de RA U S) "" Chr " re t , Po t t ..... " ier, .......... phe .......... i s to "" .......... " ble! " anc " ie L "" hal à ta o n ": "" Nat re t ier, anc ott eL "" hali u-P " ciati ! "asso " " re a " Hét Na t l’IP er, line tti s, A - Po uli au Ga t re i re Hé ès " " """ " " " " , In ne Ali sito lis, spo Gau le E nès Adè o, I "" osit ent , # " " "# " Clém Esp èle i e r re " " Ad "" ""P "" " " " " " " " " Cy r i l Ro s ENSA Paris-Belleville 78 rue Rébeval 75019 Paris tél : +33 (0)1 53 38 50 51 / fax : +33 (0)1 53 38 50 50 Http ://www.paris-belleville.archi.fr