DSM-5 : tempête dans un verre d`eau ou tsunami ? Origines et
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DSM-5 : tempête dans un verre d`eau ou tsunami ? Origines et
Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 335–341 Éditorial/Point de vue DSM-5 : tempête dans un verre d’eau ou tsunami ? Origines et conséquences d’une mise à jour controversée DSM-5: Storm in a teacup or tsunami? Origins and consequences of a controversial updating L’année 2013 a vu arriver la nouvelle version du Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM) publié par l’American Psychiatric Association (APA). Prévue initialement pour 2012, cette parution a eu lieu en mai 2013, après 12 ans de gestation. Ce n’est pas tant le temps de son élaboration, ni son retard, qui pourrait faire de cette édition un blockbuster, mais la polémique qui continue d’enflammer la planète de la psychiatrie anglo-saxonne et internationale. Mais qu’est-ce qui se cache derrière ces 3 lettres ? 1. Bref historique C’est au XIXe siècle qu’ont émergé les premières classifications diagnostiques reconnues. En effet, celles-ci permettaient de faciliter la compilation des dossiers et les statistiques sanitaires des flambants neufs asiles psychiatriques. Durant les deux Grandes Guerres, l’intérêt pour la classification des troubles mentaux est allé croissante, dès que les médecins ont compris que les troubles mentaux constituaient l’une des principales raisons de l’impossibilité de servir sous les drapeaux. Le système diagnostique élaboré par les psychiatres durant la seconde guerre mondiale a été modifié, ce qui a constitué l’origine du DSM-I. Cet ouvrage qui regroupait environ 100 pathologies a été publié en 1952 et, parallèlement, l’OMS a reconnu la nécessité d’introduire les troubles mentaux dans sa classification internationale des maladies (CIM). 1968 verra la publication du DSM-II et de la CIM-8. Ces deux premiers DSM reflétaient la pensée psychodynamique1 de Sigmund Freud. Leur fiabilité (reliability) insuffisante comme leur manque d’impact sur la pratique clinique et la recherche ont amené une nette rupture conceptuelle pour l’élaboration du DSM-III en 1980. Concrètement, un groupe de psychiatres influent a été choqué de constater que des patients aux symptômes identiques se voyaient attribuer des diagnostics et des traitements différents. Exit Freud, le 1 La maladie mentale est comprise comme la conséquence d’un conflit intrapsychique. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2014.02.005 0222-9617/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. modèle du psychiatre Emil Kraeplin2 s’est imposé et, avec lui, l’empirique. Le DSM-III ouvre donc la voie de l’approche catégorielle en psychiatrie. Son successeur, le DSM-IV publié en 1994, n’a fait qu’ajouter ou soustraire certaines catégories, mais recense 297 pathologies. L’innovation du DSM-III a contribué à augmenter le niveau de fiabilité du diagnostic, du moins pour la recherche qu’il a également stimulée. Pour la première fois en psychiatrie, la clinique et la recherche ont trouvé un langage non pas commun, mais partageable. « L’église catholique change plus souvent de Pape que l’APA de DSM. » [1] En effet, après 12 ans de gestation, 2013 verra l’arrivée du DSM-5 qui, ma foi, a été coiffé sur le poteau par le Pape François. Néanmoins, la plus grosse polémique n’a pas été cette fois-ci du côté du Vatican. 2. Pourquoi un débat si virulent ? Sommes-nous encore pris dans l’éternelle querelle entre psychiatres et psychanalystes ? Entre psychodynamiciens et neuroscientifiques ? Eh bien non. Force est de constater que les psychanalystes comme les neurobiologistes expriment leur déception et leur irritation, certes d’origines différentes, face au DSM-5. Il semble même que le seul élément de cet ouvrage qui ne fasse pas polémique leur constitue un terrain commun : ils s’accordent pour estimer que de tronquer la dénomination initialement prévue « DSM-V » pour celle au chiffre arabe (DSM-5)3 , demeure une excellente idée. L’un des plus virulent critique demeure un professeur émérite de psychiatrie de la Duke University School of Medicine (Durham, 2 Psychiatre allemand (1856–1926) considéré comme le père de la psychiatrie scientifique moderne. Il s’est efforcé de créer une classification des maladies mentales fondée sur des critères cliniques objectifs. 3 En vue de réajustements ultérieurs et de la publication des DSM-5.1, 5.2. . . 336 Éditorial/Point de vue / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 335–341 États-Unis) et. . . ancien président du groupe de travail qui a élaboré le DSM-IV : le professeur Allen Frances [2–4]. L’origine de ce débat passionné serait-elle donc ailleurs ? Au-delà de la classification diagnostique, le DSM fait force de Loi. En effet, aux États-Unis et en Australie, cette classification sert de référence pour les remboursements par les compagnies d’assurances (soins, traitements pharmacologiques, traitements d’aide à la personne) ainsi que dans certains contextes juridiques et légaux (reconnaissance du droit d’adopter un enfant, obtention d’un permis de conduire, de piloter. . .). En France comme en Suisse ce n’est pas le cas4 , mais par contre, le DSM est enseigné dans les facultés de médecine et de psychologie. En outre, ce manuel reste la référence internationale pour la recherche. Ainsi, son impact en termes de santé publique, mais également au niveau économique et financier, demeure énorme. En effet, la moindre extension ou baisse d’un seuil diagnostique peut élargir de façon considérable les ventes d’un psychotrope. Ainsi, le marché des traitements pharmacologique des troubles de l’attention est passé, aux États-Unis, de 15 millions de dollars avant la publication du DSM-IV à 304 millions en 1994, 658 millions en 1999 et à plus de 2 milliards dès 2003 [5]. Frances évalue les dépenses actuelles à 7 milliards [4]. À ce point, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une description des procédures de modifications du DSM. Car, en effet, sans ces repères, nous pourrions imaginer que quelques psychiatres américains influents ont bricolé un outil à la solde des pharmas. La réalité n’est pas si manichéenne. 3. Raisons et procédures de modifications du DSM La principale critique adressée au DSM-IV demeure son manque de fiabilité (reliability). En effet, la limite entre les différents troubles demeure floue et les comorbidités apparaissent pléthoriques. En outre, les catégories « non précisé ailleurs » (not otherwise specified [NOS])5 constituent des groupes surreprésentés dans l’attribution des diagnostics. La prise en compte insuffisante, voire inexistante, de l’évolution des troubles à travers le développement et les différentes périodes de vie, ainsi que l’impact de la culture et du genre sur l’expression des troubles constituent un autre écueil majeur du DSM-IV [6]. Dès 1999, le développement conceptuel et la planification du DSM-5 ont démarré par une étroite collaboration entre l’American Psychiatric Institute for Research and Education (APIRE), affiliée à l’American Psychiatric Association (APA) et le National Institute for Mental Health (NIMH). Historiquement, 4 À noter cependant qu’en Suisse, les prestations de l’assurance invalidité (AI), assurance sociale étatique, sont attribuées en psychiatrie et pédopsychiatrie, selon des pathologies dont les critères sont issus de la CIM-10 et/ou du DSM-IV. En France, la sécurité sociale prend comme référentiel diagnostique la CIM-10. 5 Catégories regroupant les patients qui ne remplissent pas tous les critères définis d’un trouble spécifique, mais qui s’inscrivent quand même dans cette catégorie. l’APA a acquis les droits de concession des DSM, par pur hasard, et pour 4 raisons [3] : • le DSM devait être coordonné avec la CIM ; • l’APA avait été co-sponsor des classifications antérieures ; • la référence utilisée, le système diagnostique de l’armée, avait été élaborée par des psychiatres ; • aucune autre organisation officielle ne voulait soutenir un outil considéré comme peu utile et peu rentable. Ainsi, le monopole du droit d’exploitation du DSM a été conservé par l’APA pour sa compétence et son intégrité, mais aussi parce que les autres organisations potentiellement éligibles hésitaient à endosser une telle responsabilité. Financée par la NIMH, la seconde phase de développement du DSM-5 s’est étendue de 2003 à 2008. Treize conférences internationales de planification ont généré de nombreux articles et monographies. La Task Force DSM-5 (constituée en 2007) s’est appuyée sur ces derniers pour constituer 13 groupes de travail (2007–2008) et 6 groupes d’étude (dès 2007). Chaque groupe de travail recevait le mandat de conduire des revues de littérature sur les champs des troubles qui leur avait été attribués, troubles définis lors de la collaboration entre l’APIRE et l’APA. Les 6 groupes d’étude avaient pour mandat la revue de questions plus larges comme, pour les troubles du spectre autistique par exemple, les variables comme la culture et le genre, les liens avec la médecine générale, les outils de mesure, d’évaluation et de diagnostic [7]. Des essais cliniques ont été menés ensuite pour tester l’utilité clinique, la faisabilité et la fiabilité de certains critères diagnostiques proposés par le DSM-5. Chaque groupe de travail a confronté à la littérature les résultats de ces essais cliniques pour le trouble qui leur avait été attribué. Le choix de la méthodologie de cette revue a été laissé à la discrétion de chaque groupe qui ensuite émettait des recommandations de modifications des troubles du DSM-IV. Celles-ci ont été analysées par un comité scientifique, un comité de santé clinique et de santé publique et, en définitive, par la Task Force DSM-V qui transmettait ensuite ses propres recommandations au conseil d’administration de l’APA pour une revue finale. En 2013, Allen Frances s’insurge contre des procédures bâclées, estimant que les essais cliniques pour valider la suppression de certains critères diagnostiques n’ont pas été menés. Cernée par le retard pris dans le processus de développement, l’APA qui avait dépensé 25 millions de dollars pour ce faire, devait combler son déficit en publiant le DSM-5, plus que probable best-seller au demeurant [4]. 4. Pédopsychiatrie : concrètement, quelles modifications ? Et quelles conséquences ? La structure même du DSM se voit modifiée afin de pallier aux trop nombreux troubles comorbides et à la surutilisation des catégories « non précisé ailleurs ». Ainsi, les pathologies sont moins nombreuses et regroupées dans des catégories plus larges, sous-tendues par des preuves scientifiques [6]. Les chapitres sont chronologiquement organisés en suivant le développement au cours de la vie, de l’enfance à l’âge avancé. Éditorial/Point de vue / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 335–341 Tableau 1 Les catégories diagnostiques générales des troubles neurodéveloppementaux du DSM-5. Déficience intellectuelle (trouble du développement intellectuel) Troubles de la communication Troubles du spectre autistique Troubles de l’attention avec/sans hyperactivité Troubles spécifiques des apprentissages Troubles moteurs Autres troubles neurodéveloppementaux DSM : diagnostic and statistical manual of mental disorders. Adapté de l’American Psychiatric Association (APA), 2013 [8]. Ainsi, le premier chapitre regroupe les troubles neurodéveloppementaux (neurodevelopmental disorders) qui sont typiquement l’apanage de l’enfance et de l’adolescence. Au sein des différents chapitres, les troubles eux-mêmes sont également organisés chronologiquement. Ainsi, les troubles neurodéveloppementaux décrivent successivement les troubles du développement intellectuel (intellectual development disorders), les troubles de la communication (communication disorders), les troubles du spectre autistique ([TSA] autism spectrum disorders) – qui classiquement surviennent en âge préscolaire ou dans la petite enfance –, puis les troubles spécifiques des apprentissages scolaires ([TAS] specific learning disorders) – diagnostiqués généralement en âge scolaire (Tableau 1). Les troubles de l’attention avec/sans hyperactivité ([TDA/H] attention deficit/hyperactivity disorder), comme les TSA, rejoignent les troubles neurodéveloppementaux et ainsi, pour la première fois, le TDA/H n’est plus associé à la même catégorie que les troubles des conduites ou les troubles oppositionnels avec provocation (Tableau 1). À l’instar de la diminution du risque de stigmatisation du TDA/H, et indépendamment des modifications des critères diagnostiques qui seront détaillés ci-dessous, ces modifications structurelles pourraient permettre un diagnostic et un accès aux soins plus précoces pour les enfants présentant un TDA/H. La juxtaposition de ce trouble avec les TAS pourrait catalyser la recherche sur l’impact négatif des troubles de l’attention sur le cursus académique. Comme le mentionne en substance TANNOCK [6] : « Le DSM-5 va dans la direction d’une appréhension du TDA/H au-delà des troubles du comportement et des TAS, au-delà des manuels scolaires ». Par contre, ce qui amène un plus durant l’enfance – le concept de trouble neurodéveloppemental – risque l’effet inverse pour la psychiatrie adulte, en multipliant les faux négatifs pour le TDA/H par exemple [6]. 4.1. Les troubles du spectre autistique (TSA) Le trouble autistique (autistic disorder), le syndrome d’Asperger et le trouble envahissant du développement ([TED] 337 Tableau 2 Détail des troubles neurodéveloppementaux du DSM-5. Code DSM-5 Code CIM-10 Intitulé Déficience intellectuelle (trouble du développement intellectuel) 317 F70 Léger 318.0 F71 Modéré F72 318.1 Sévère F73 Profond 318.2 F88 Retard global de développement 315.8 319 F79 Déficience intellectuelle non précisée ailleurs Troubles de la communication F80.9 315.39 315.39 F80.0 F80.81 315.35 315.39 F80.89 307.9 F80.9 Troubles du spectre autistique F84.0 299.00 Trouble du langage Trouble de la parole Trouble de la fluence (bégaiement) Trouble de la pragmatique du langage Trouble de la communication non précisé ailleurs Trouble du spectre autistique Trouble de l’attention avec/sans hyperactivité 314.01 F90.2 Présentation mixte F90.0 Avec inattention prédominante 314.00 314.01 F90.1 Avec impulsivité/hyperactivité prédominante F90.8 Autre trouble de l’attention 314.01 avec/sans hyperactivité 314.01 F90.9 Trouble de l’attention avec/sans hyperactivité non précisé ailleurs Troubles spécifiques des apprentissages F81.0 315.00 F81.81 315.2 315.1 F81.2 Troubles moteurs 315.4 F82 307.3 307.23 307.22 F98.4 F95.2 F95.1 307.21 307.20 307.20 F95.0 F95.8 F95.9 Avec difficultés en lecture Avec difficultés en écriture Avec difficultés en mathématiques Trouble du développement de la coordination Mouvements stéréotypés Tics – syndrome de La Tourette Tics – tics moteurs ou vocaux persistants (chroniques) Tics – tics transitoires Tics – autres tics spécifiés Tics – tics non précisés ailleurs Autres troubles neurodéveloppementaux 315.8 F88 Autre troubles neurodéveloppementaux spécifiés F89 Trouble neurodéveloppementaux 315.9 non précisés ailleurs DSM : diagnostic and statistical manual of mental disorders. Adapté de l’American Psychiatric Association (APA), 2013 [8]. pervasive developmental disorder) disparaissent en tant que tels en regagnant les TSA [9] (Tableau 2). Les auteurs du DSM-5 estiment en effet que les symptômes du TSA constituent une catégorie de pathologies au continuum – du plus au moins sévère – dans deux domaines : les interactions sociales et interpersonnelles (social communication and social interaction) 338 Éditorial/Point de vue / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 335–341 et la présence de comportements/intérêts retreints et répétitifs (repetitive patterns of behavior, interest, or activities). Dans un essai clinique, il semble que ce modèle bidimensionnel puisse se révéler supérieur au précédent (DSM-IV-TR) qui conceptualisait le diagnostic du trouble autistique à partir de la classique triade (atteinte des interactions sociales, des capacités de communication et de la flexibilité de la pensée, et du comportement). En effet, pour les enfants se situant au meilleur fonctionnement du spectre, le TSA se révèle être une dyade – associant des dimensions de comportement répétitif et de trouble des interactions sociales – et non une triade. En outre, comme proposé par le DSM-5, des troubles sensoriels constituent un aspect des comportements répétitifs [10]. Le pouvoir discriminant des deux facteurs du DSM-5 sur les symptômes autistiques chez le petit enfant, comme mesurés par l’ADOS-T6 , seraient excellent et supérieur au modèle à trois dimensions précédemment utilisé [11]. Par contre, le DSM-5 n’apparaît ni plus performant – ni moins d’ailleurs – que son prédécesseur pour discriminer les symptômes externalisés, internalisés, comportementaux et d’adaptation chez les enfants autistes [12]. D’un point de vue scientifique, les indicateurs semblent donc au beau fixe pour les TSA du DSM-5. Cependant, sur le terrain, certaines modifications proposées peuvent avoir des conséquences désastreuses. À l’inverse des TDA/H dont le risque de stigmatisation pourrait diminuer grâce à la distance acquise par rapport aux troubles des conduites et aux troubles oppositionnels avec provocation, les syndromes d’Asperger risquent de voir leur perception se péjorer en étant associés au spectre autistique (même s’ils se situent à l’extrême le moins grave de ce spectre) [2]. L’on peut également ajouter que les TED qui regroupent, par défaut, les enfants présentant au niveau psychopathologique des structures psychotiques, en étant inclus dans le TSA, ne vont pas rendre ce spectre beaucoup plus populaire. En outre, l’association autisme-psychose dans un continuum demeure un courant de pensée répandu et cohérent, mais très controversé. Sans parler du risque, compte tenu de la variété de cas entrant dans les TSA, d’une véritable épidémie d’autisme. L’ironie reste cependant à un autre niveau. En effet, plus localement et toujours dans l’univers des classifications diagnostiques, la CFTMEA7 , sous la direction de Roger Misès, a subi en 2012 un rafraîchissement [13]. Le changement d’ordre terminologique de « psychoses précoces » en « troubles envahissants du développement (TED) » y figure. Les auteurs soulignent que la charge stigmatisante du terme « psychose » les a amenés 6 Autism diagnostic observation schedule – toddler module. L’ADOS-T constitue un instrument de mesure pour une observation semi-structurée conçue pour évaluer les habileté de communication, de socialisation et de jeu d’enfants en âge préscolaire susceptibles de présenter un TSA. 7 Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. Cette classification, couramment utilisée dans les pays francophones, tient compte des aspects propres à l’enfance et à l’adolescence, aspects négligés ou peu pris en compte par les classifications internationales comme la CIM-10 et le DSM-IV. à ce choix qui place enfin le TED comme une dénomination consensuelle. Le consensus a vécu : lorsque le TED, imposé aux forceps par le DSM-IV, est intégré par les francophones, le DSM-5 le fait disparaître dans la nébuleuse des TSA. 4.2. Les troubles de l’attention avec/sans hyperactivité (TDA/H) Comme déjà mentionné, ce trouble prend donc ses distances avec des catégories plus stigmatisantes pour entrer dans les troubles neurodéveloppementaux (Tableau 2). Ce choix demeure cohérent dans le système général du DSM-5, à savoir une « neurobiologisation » des troubles. Sur les 6 propositions de modifications [8], deux sont à considérer comme majeure : premièrement, l’élimination des 3 sous-types de TDA/H (type mixte, type trouble de l’attention prédominant, type hyperactivité-impulsivité prédominant) et leur remplacement par des critères spécifiques précisant les symptômes qualitativement et quantitativement, au moment de l’évaluation (specifiers of current presentation)8 . Ces critères avaient pour objectif d’intégrer les variations des manifestations du TDA/H au cours du développement et donc leur expression clinique spécifique aux différents âges. En définitive, ces critères spécifiques définissent des souscatégories, ce qui va à l’encontre d’un des objectifs du DSM5 : la diminution du nombre de catégories et l’accroissement de leurs représentants [6]. La réduction du nombre de critères nécessaires au diagnostic9 constitue la seconde modification considérée comme majeure. Troisième modification, le seuil d’apparition des symptômes passant de 7 à 12 ans. Même si elle est considérée comme d’importance modérée, elle a déclenché les foudres des détracteurs du DSM-5. En effet, sa participation à une probable augmentation de la prévalence du TDA/H semble acquise et sera discutée au chapitre suivant (« Section 4.3. Le TDA/H chez les enfants présentant un TSA »). Sont considérées comme mineures, les trois dernières modifications (nécessité d’obtenir plusieurs sources – parents, enseignants. . . – pour considérer un symptôme comme présent, la suppression des critères d’exclusion autisme et TED10 , le développement d’une description d’exemples pratiques pour les critères diagnostiques). Notons qu’une modification importante n’a pas passé la rampe des essais cliniques : l’adjonction de 4 critères 8 Critères spécifiques : 1. La présentation des symptômes : a. combinée, b. avec une inattention au premier plan, c. avec une impulsivité/hyperactivité au premier plan. 2. La notion de rémission partielle si tous les symptômes ont été présents, mais ne le sont plus – et qui en fait remplace la catégorie « NOS » (non précisé ailleurs). 3. La sévérité des symptômes (faible, moyenne, sévère) définie par l’ampleur de leur expression et/ou leur impact sur le fonctionnement global de l’enfant. 9 Dès l’âge de 17 ans, 5 – au lieu de 6 en-dessous de cet âge – critères d’inattention et d’impulsivité-hyperactivité sont nécessaires au diagnostic. 10 Ce point sera développé au chapitre suivant. Éditorial/Point de vue / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 335–341 diagnostiques supplémentaires pour l’impulsivité11 . En effet, ceux-ci se sont révélés peu spécifiques au TDA/H [14]. Ainsi, les critères du DSM-IV seront conservés tels quels et c’est l’adjonction d’exemples descriptifs, en lien avec la spécificité du TDA/H chez l’adolescent et l’adulte qui a été préférée et qui viendra compléter les critères spécifiques mentionnés ci-dessus. Les modifications proposées pour le TDA/H amènent au moins une zone de consensus (ou du moins un sujet où la polémique ne s’enflamme pas) : la stigmatisation de ces patients devrait diminuer et offrir un meilleurs accès à ces derniers aux soutiens éducatifs, pédagogiques et thérapeutiques [15]. Par contre, même si certains auteurs estiment qu’il demeure difficile de statuer, leur effet sur la prévalence du TDA/H semble plutôt aller vers une large hausse. Déjà l’analyse des propositions initiales de modifications concluaient à une augmentation de la prévalence avec une multiplication dramatique du nombre de faux-positifs [2,3,14,16]. La mise à l’écart de l’addition de nouveaux critères d’impulsivité dans la version finale du DSM-5 ne semble pas corriger cette tendance à une certaine inflation diagnostique [17]. Intuitivement, cette inflation devrait être également renforcée par la mise à l’écart de deux critères d’exclusion d’un TDA/H : le TED et le TSA. 4.3. Le TDA/H chez les enfants présentant un TSA En effet, à l’instar d’une augmentation de la prévalence du TDA/H, la question de la réalité de la frontière entre ces deux entités se posait. La pratique clinique semble être confirmée par une étude épidémiologique qui rapporte une fréquence importante de TDA/H chez des enfants autistes ou se situant dans le TSA [18]. Le DSM-5 permet désormais de poser le diagnostic d’une telle comorbidité, mais les preuves scientifiques de son existence demeurent encore à étayer. Certaines données apparaissent cependant encourageantes, comme par exemple le fait que semble se dessiner un faisceau de facteurs de risques psychosociaux spécifiques au TDA/H par rapport aux TSA [19]. En outre, les enfants présentant un TSA montrent des atteintes de leurs capacités d’interactions sociales bien plus sévères que les TDA/H. Leur structure cérébrale et son fonctionnement seraient également bien distincts que ceux des enfants TDA/H [19]. 339 En conséquence, des modifications majeures sont apportées par le DSM-5 en regard de son prédécesseur. En effet, les 3 catégories diagnostiques antérieures (trouble de la lecture, trouble du calcul, trouble de l’expression écrite. . . et troubles des apprentissages non spécifié)12 se voient réduites à une seule : les troubles spécifiques des apprentissages (specific learning disorder) (Tableau 2) [13]. À l’image du TDA/H, des critères spécifiques précisant les symptômes qualitativement et quantitativement, au moment de l’évaluation (specifiers of current presentation)13 , y sont associés. Ainsi, les critères diagnostiques sont issus de l’histoire clinique (anamnèse développementale, médicale, familiale, éducative), de l’observation directe des difficultés d’apprentissage aussi bien que des résultats scolaires. Le diagnostic va être orienté vers les troubles spécifiques des apprentissages, en lecture, en écriture et/ou en mathématiques. La sévérité de l’atteinte est à nouveau cotée en léger, moyen et sévère. Une potentielle conséquence négative de cette réduction de 3 à 1 catégorie demeure une perte de visibilité des mieux validées et plus fréquentes manifestations des TSA : la difficulté à décoder les mots, comme par exemple la dyslexie ou trouble de la lecture [6]. L’introduction de critères spécifiques de sévérité propose pour sa part une nouvelle appréhension des TAS en considérant l’étendue et la durée des aides nécessaires au dépassement de la difficulté d’apprentissage. En d’autres termes, cette approche quantifie le trouble par l’étendue des aides nécessaires à son traitement [15]. Notons également l’introduction d’une terminologie pédagogique dans un manuel de santé mentale qui met en relief la nécessité de la collaboration pluridisciplinaire entre pédagogie et professions de la santé mentale. Pour la prévalence des TAS, il semble que, comme pour le TDA/H, le DSM-5 risque d’en provoquer l’augmentation [15]. La comorbidité TAS-TDA/H semble relativement fréquente avec, approximativement, 31 à 45 % des enfants présentant un TDA/H qui montrent également un TAS, et vice-versa [20]. Les modifications incluses dans le DSM-5 vont influencer les taux de ces comorbidités, mais il n’est pas clair dans quelle direction : augmentation ou diminution ? En effet, certaines modifications auront tendance à le diminuer (par exemple la nécessité de plusieurs mesures dans le temps du TAS), alors que d’autres (par exemple l’augmentation de l’âge maximal pour le début des symptômes du TDA/H) vont l’augmenter. Ainsi, pour les TAS, l’impact général des modifications versées au DSM-5 reste relativement nébuleux, ceci étant dû, non seulement au manque de recul, mais également au manque de consensus concernant les terminologies de ces troubles, entre les différents pays et régions, ainsi qu’entre les différents professionnels (médecins, enseignants, associations) [6,15,20]. 4.4. Les troubles des apprentissages scolaires (TAS) Il est généralement admis que des critères précis à propos des difficultés scolaires sont indispensables pour qualifier les TAS, tout en étant insuffisants comme seuls critères. En effet, nombreuses demeurent les origines possibles des TAS. 11 Qui n’en comporte que 3, alors que l’hyperactivité en compte 7. 12 Reading disorder, mathematics disorder, written expression disorder, learning disorder not otherwise specified (NOS). 13 Trouble des apprentissages scolaires. . . – avec des difficultés en lecture (with impairment in reading) ; – avec des difficultés en écriture (with impairment in written expression) ; – avec des difficultés en mathématiques (with impairment in mathematics). 340 Éditorial/Point de vue / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 335–341 5. En définitive. . . (et jusqu’à preuve du contraire) Comme nous l’avons décrit, le DSM-5 va avoir une incidence notable sur la santé publique et sur les coûts de celle-ci, en augmentant la prévalence de différents troubles. Dès lors, que faut-il en penser ? Outils diagnostiques améliorés qui diminuent le taux de faux négatifs ou instruments insuffisamment spécifiques qui fabriquent artificiellement des malades en multipliant les faux-positifs ? Il est vrai que le processus de modification tel que conceptualisé et décrit au début de cet article demeure impressionnant. L’intention et les objectifs furent louables. Cependant, malgré toute une littérature et des argumentaires somme toute convaincants, quelques faits demeurent troublants et peuvent largement contribuer à considérer le DSM-5 comme un échec. 5.1. Des rapports ambigus avec l’industrie pharmaceutique Sur ce point, le constat actuel est édifiant : les conflits d’intérêts demeurent réels car le ¾ des experts des groupes de travail du DSM sont directement liés financièrement à l’industrie pharmaceutique [21]. Il semble que les mesures de transparence mises en œuvre par l’APA – et qui peuvent être considérées comme un réel désir de maîtriser ces conflits d’intérêts – demeurent insuffisantes, en partie car les interrelations entre ces deux partenaires sont bien trop intimes [22]. Cependant, FRANCES, le virulent mais très bien informé détracteur du DSM-5, souligne que ses auteurs font preuve d’une intégrité qui ne peut être remise en cause [2,4] : « Les concepteurs du DSM-5 sont intègres mais naïfs. Les conflits d’intérêts sont d’ordre intellectuel. Chacun privilégie ses compétences, ses recherches, avec le souhait que le système ne laisse aucun malade de côté. Cela se traduit souvent par une pression pour élargir le champ diagnostique dans son propre secteur. » Frances ajoute que ces experts estiment que leur responsabilité s’arrête à la science et que les conséquences plus générales ne sont pas de leur ressort. Quels que soient les tenants et les aboutissants, toute augmentation de la prévalence d’une pathologie va entraîner un accroissement du marché de son traitement pharmacologique et ainsi, une augmentation des bénéfices de l’industrie pharmaceutique. 5.2. Le constat d’échec Premièrement, la défaite a été concédée durant l’été 2011, par la plume de Kupfer et Regier, respectivement vice-président de la Task Force DSM-5 et directeur de l’institut de recherche de l’APA [23]. Leur anticipation d’une compréhension neurobiologique de la maladie mentale, au regard des progrès réalisés ces 25 dernières années par la recherche en psychiatrie, dans le champ de la génétique, de l’imagerie cérébrale, des sciences cognitives et de la physiopathologie, fut, de leur propre aveu, trop optimiste. Optimiste ou utopique ? 5.3. Le coup de grâce : le désaveu Le 29 avril 2013, Thomas Insel, le directeur du NIMH14 , annonce sur son blog que le NIMH se désolidarise du DSM5 et va réorienter ses recherches en dehors des catégories du DSM [24]. Il lui reproche sa faiblesse sur le plan scientifique et affirme sans appel : « Les patients souffrant de troubles mentaux méritent mieux [que le DSM-5]. » Passage à l’acte impulsif et sans anticipation possible ? Pas vraiment, car déjà en 2010, le NIMH lançait un projet intitulé le Research Domain Criteria (RDoC) avec, pour ambition, de comprendre les variables dimensionnelles et les circuits cérébraux impliqués dans les maladies mentales. Kupfer, le président de la Task Force DSM-5 avait senti la tempête se lever et déclarait qu’il percevait la difficulté extrême que constituerait un changement de doctrine pour le DSM-5 dont les travaux de réélaboration étaient passablement avancés [1]. 6. Conclusion Tempête dans un verre d’eau ou tsunami ? Le verre a débordé et fasse que l’avenir de la psychiatrie évoque d’autres représentations que Sumatra en fin de matinée du 26 décembre 2004. Le DSM-5 avait pour ambition de changer de paradigme et de s’appuyer sur des preuves scientifiques solides, issues des dernières avancées des neurosciences. Utopique, cet objectif n’a pas été atteint. De facto, l’unanimité des extrêmes est faite contre lui : les psychanalystes lui reprochent de caricaturer la maladie mentale et de la réduire à quelques ratés de neurotransmetteurs ; les neuroscientifiques l’estiment comme basé sur aucune preuve scientifique solide. Tout cet édifice a été construit sur un axiome erroné à nos yeux : la maladie mentale ne peut être appréhendée comme un trouble à l’origine unimodale. Elle demeure en effet le fruit de facteurs environnementaux, psychologiques et biologiques, et donc, cet édifice ne peut que vaciller. Le DSM-5 aurait dû, comme ses prédécesseurs, constituer un ouvrage de référence, un textbook. « Les patients n’ont pas lu les textbooks », plaisantent les psychiatres. La réalité demeure plus troublante et moins drôle : le textbook est erroné [25]. 14 Pour rappel, le National Institute for Mental Health finançait et coordonnait les essais cliniques pour le DSM. Ce prestigieux institut fait autorité pour la psychiatrie américaine et constitue un des plus gros bailleur de fonds, à l’échelle planétaire, pour la recherche en santé mentale. Éditorial/Point de vue / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 335–341 Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. [15] Références [16] [1] Adam D. On the spectrum. Nature 2013;496:416–8. [2] Frances A. Opening Pandora’s box: the 19 worst suggestions for DSM5. 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Revol b a Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA), hôpital Nestlé, centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et université de Lausanne (UNIL), avenue Pierre-Decker 5, 1011 Lausanne, Suisse b Service de neuropsychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital neurologique Pierre-Wertheimer, hospices civils de Lyon, 69, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (P. Fumeaux), [email protected] (O. Revol)