Le nouvel Ulysse de Bagdad

Transcription

Le nouvel Ulysse de Bagdad
Le nouvel Ulysse de Bagdad
Les frontières sont-elles le bastion de nos identités ou le dernier rempart de nos illusions ?
Saad Saad, jeune homme,
sans repère, ni terre d'attache,
fuyant les dernières mémoires de guerre et de sang qui le rattache à son passé, cherchant un avenir
meilleur,
en naviguant dans ce monde hostile,
à la rencontre de personnages peu singuliers,
l'aideront peut être,
à faire de son plus grand rêve, une réalité …
Auteurs
Castillo Axel 2°1
Coutarel Pierre 2°1
Ryckebusch Quentin 2°1
Edition : Lirak (2011)
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Chapitre 1: L'Irak
Abandonner ses repères, ses habitudes, son pays,
pour s'enfuir...
«Je m'appelle Saad Saad, ce qui signifie en arabe
Espoir Espoir et en anglais Triste Triste; au fil des
semaines, parfois d'une heure à la suivante, voire
dans l'explosion d'une seconde, ma vérité glisse de
l'arabe à l'anglais; selon que je me sens optimiste ou
misérable, je deviens Saad l'Espoir ou Saad le
Triste.»
En ce temps de guerre, je suis Saad le Triste. Sans
toit, sans Dinar et sans famille. Tous les membres de
ma famille,femmes ou hommes, éloignés ou
proches, âgés ou jeunes font partie des victimes de
cette guerre appelée seconde guerre d'Irak. Nous
sommes le dimanche 6 avril 2003, il est onze heures
et quart. Je suis dans cette église qui n'en n'est plus
vraiment une ! A présent utilisée comme refuge pour
la population de Bagdad, j'essaye de me faire une
place parmi hommes et femmes, animaux, et autres
corps sans vie. J'ai honte de l'espèce humaine et de
sa stupidité, de cet argent... Ce pays qui s'est battu
pour obtenir son indépendance, où des gens sont
morts n'est plus qu'un vaste champs de ruines, où la
peur a remplacé la joie, où les attentats sont
quotidiens et meurtriers ! Je me sens perdu...
Les rues semblables à des tranchées, où les derniers
immeubles menacent de s'écrouler, où les corps
attendent d'être enterrés...
Qu'est ce qui s'est passé ? Pourquoi nous ? Ce pays,
mon pays, n'est plus rien... Je ne peux plus rester
ici, il est impossible, pour quiconque, de vivre dans
ces décombres, dans ces conditions. Je dois partir...
La nuit vient de tomber, même si l'Irak est depuis
trop longtemps dans le noir. Il est dix neuf heures.
Mes papiers, mon sac contenant une carte et des
vivres ainsi que mon manteau sur le dos, je pars.
J'ai marché. Combien de temps ? Je n'en ai aucune
idée. Le couvre-feu
débutant à vingt heures, je
devais presser le pas. Évitant de multiples
patrouilles, des projecteurs scrutant chaque recoin
tels des rapaces prêts à fondre sur leur proie ,je
parvins tant bien que mal à la sortie ouest de
Bagdad. J'avais pour objectif de rejoindre l'Égypte
puis, si possible, rallier l'Europe. D'après des
rumeurs, un camion partirait de Ramadi pour
ensuite se rendre au Caire. Il partirait demain soir à
22h00, à l'abri des regards. Je devais le prendre ! Je
me mis en route. Je me surprenais moi même de la
rapidité avec laquelle j'ai rejoint Fallujah en moins
de huit heures de marche. Maintenant, la fatigue
me gagne, mes paupières se ferment, je dors à
moitié debout mais la pensée de ma prochaine
liberté me maintient éveillé. Les heures ont passé,
mon
rythme
s'est
ralenti,
mes
semelles
s'alourdissent. Le soleil d'Orient s'est levé. Je ne
sens plus mes jambes, mon cerveau est affaibli.
Je titube.
Mes vivres s'épuisent.
Ma vue est trouble.
Je tombe.
Tel un hibou, je me réveille dans l'obscurité. La nuit
est fraîche... La nuit est fraîche ! Le camion !
Jamais lors de ma courte existence, je n'ai couru
aussi vite... Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est.
Peut être suis-je en avance ou peut être le camion
est-il déjà parti ... Peu m'importe ! Je cours, cours,
mon cœur va exploser, le souffle me manque. Enfin,
après un long effort, je vis de la lumière au loin. Il
était là, vieux, rouillé, laid mais pour nous, il était
magnifique, synonyme d'une liberté tant attendue.
Une dizaine de personnes occupaient déjà la
remorque du camion. Tous les âges, hommes et
femmes, étaient confondus. Je me faufilai et m'assis
près d'une vieille dame endormie. Après tant
d'efforts, je m'autorisai une folie : goûter mes
«Kleicha».Il s'agissait de la pâtisserie nationale
irakienne. J'avais oublié ce que signifiait le mot
«bonheur»... Mes lèvres se délectèrent pendant
quelques minutes de ce gâteau sucré et rempli de
dattes. Mon palais en redemandait mais la raison me
l'interdisait. Nous sommes maintenant une trentaine
dans le camion, tous serrés les uns contre les autres.
Mes paupières se fermant toute seules, je cédai et
m'endormis. La lueur du jour me réveilla. A ma
surprise, l'ambiance dans le camion était festive
malgré l'oppression qui pesait. On m'apprit que nous
avions franchi sans encombres la frontière
jordanienne et que nous étions à sept heures d'
Israël. Dans cette joyeuse atmosphère, je me liai
d'amitié avec Mohamed, ancien habitant de Ramadi.
Les secousses du camion ne nous empêchèrent pas
de discuter et même de rire, comme si la guerre et
le sang n'appartenaient plus à notre langage. Et
pourtant...
La tristesse et les pleurs submergèrent le camion
après le décès d'une femme, sans doute morte
d'épuisement. La traversée de l'Israël se fît en
deux heures, ce qui n'empêcha pas l'épidémie de
fièvre de faire trois nouvelles victimes. Mohamed
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était lui aussi dans un piteux état. La fièvre le marcher, Mohamed essaya de se lever et je le vis
gagnait comme si il ne s'était pas habitué à sa vaciller dangereusement alors je me précipitai pour
nouvelle liberté. Alors que l'horizon égyptien se le rattraper avant qu'il ne tombe.
dessinait, nous n'étions plus qu'une vingtaine...
-Reste dans le camion, je vais m'en occuper.
La perspective de pousser seul un camion
transportant vingt personnes me découragea.
Chapitre 2 : L'Égypte
Heureusement, en reposant mon camarade, je vis
quelque personne se lever pour m'aider. On pousse
maintenant le camion dans un silence troublé par
quelques vautours guettant notre mort.
On poussa longtemps, longtemps, perdant nos forces
au fur et à mesure. Enfin! On fut heureux de voir la
ville se dégager à l'horizon, la perspective d'une
halte dans une ville où l'on pourrait se restaurer me
redonna des forces.
Arrivés en ville, nous descendîmes l'un après l'autre.
Mohamed s'approcha de moi en me tendant l'argent
récolté auprès des passagers. Ce butin s'ajoutait a
celui déjà récupéré sur les morts.
-Tiens, prends toute la nourriture et toute l'eau
possible, je ne pense pas que l'on fera de nouveau
une halte avant le Caire. J'acquiesçai en prenant
l'argent puis me mis à la recherche du conducteur.
Après nous avoir dit que l'on repartirait dans une
heure, il s'était éclipsé. La faim me tenaillant le
ventre, je cessai vite mes investigations pour me
Ulysse, vers les sirènes du port d'Alexandrie...
diriger vers le magasin le plus proche. Le magasin
Ça y est les frontières sont passées, adieu l'Irak, était vide, seul le regard dédaigneux du propriétaire
se braquait sur moi. Mais, je n'y pensai pas. Seule la
bonjour l'Égypte.
Le camion est bientôt arrivé au Caire après un cour nourriture dans les bacs de congélation captait mon
passage en Jordanie et en Israël, Mohamed est attention. Je prend tout ce que je peux. Toutes ses
encore fiévreux et je ne sais si c'est à cause des odeurs me font tourné la tête, je sors alors du
conditions du voyage ou des blessure qu'il a reçu en magasin après avoir payé puis je distribue les vivres
à tout le monde.
Irak, je me sens moi même assez nauséeux.
Même la pire nourriture dans cette situation aurait
-T'as encore de l'eau ? Lui dis-je.
Son grondement rauque me fit comprendre qu'il n'en un goût de festin. C'est avec ivresse que je me
n'avait plus.
Le paysage défilant sous mes délectai de ce repas qui me fit oublier les misères
yeux est semblable a mon esprit, vide, stérile, de ce monde durant quelque instant. Mon père avait
raison, c'est réellement lorsque l'on a perdu quelque
désert.
Sur la trentaine de personnes parties avec moi en chose auquel on tenait que l'on se rend compte de
Irak il n'en reste plus qu'une vingtaine, les pires sa valeur. Ce fut le plus merveilleux repas de ma
moment du voyage ont été lorsque nous nous vie!
sommes débarrassés des corps ainsi que l'odeur de la Nous revoilà dans le camion en partance pour le
mort et celle de la décomposition qui sont les pires Caire.
qui puissent exister. Dans le camion, les larmes se Je crois que ce repas avait remonter le morale à
mêlent au sang transformant les visages en masque toutes les personnes autour de moi car je
de douleur où on peut y lire toute la souffrance de n'entendais plus les pleurs habituels. C'est donc en
la personne, homme, femme et enfant qui se silence que le voyage continua jusqu'au Caire.
partagent le peu de place où les flaques de sang ne Je perçus d'abord les grandes tours jonchant la ville,
puis les monuments apparaissant les uns après les
sont pas présentes.
La route se déroula sans encombre sur plusieurs autres. Que la beauté de cette ville-capitale de ce
kilomètres me permettant de réfléchir à ma pays chargé de culture et d'histoire-était fascinante!
situation, après l'horreur des dernier jours je me Le Caire, « Al-Qāhira »(1) pour la communauté
dirigeai vers l'Europe, terre d'accueil. Les arabe, la signification de ce mot reflète mon état
soubresauts du camion me tirèrent de mes pensées: d'esprit, ma première « victoire » est désormais à
porté de mains; les sourires béats autour de moi
-Panne d'essence! Cria avec rage le conducteur.
amplifièrent mon sentiment de bonheur.
Comme si on n'avait pas assez de problème.
-On est pas loin de Suez, ils va falloir pousser jusque L'entrée dans la ville se fit sans encombre, nous
traversons la ville jusqu'au point de rendez-vous
là.
La plupart des passagers avait à peine la force de fixé par le conducteur situé au centre, les rues
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s'enchainent, de plus en plus étroites, de plus en
plus sinueuses, pour finalement arriver sur une
petite place déserte. A peine arrivé, la plupart des
personnes descendirent, ne voulant ou ne pouvant
aller plus loin, ils ne restaient donc plus que trois
personnes en plus de moi et Mohamed.
-C'est le dernier arrêt avant Alexandrie, je fait le
plein et on se cassent!
Apparemment le langage du chauffeur ne s'était pas
améliorait durant le trajet. On repartit quelques
heures après s'être arrêter. Le trajet semblait
interminable. Voilà plus d'une semaine que nous
étions partis. Mohamed ne parlait plus, il dormait.
Enfin, alors que la nuit tombait, on vit au loin la
colonne de pompée. La ville était endormie lorsque
que nous arrivâmes. Alors que je me retournai vers
Mohamed pour l'aider à descendre, il me dit
-Merci mon ami, mais je crois que pour moi, le
chemin s'arrête ici.
L'angoisse ébranla mon cœur.
-Que veux tu dire?
-Soyons réaliste mes blessures n'allaient pas guérir
dans un camion infecté de vers et de cafards.
Il me fallut quelques instants pour digérer
l'information, pour me rendre compte que mon seul
ami dans ce monde allait me quitter, allait m'être
arraché par la mort, ce monstre insatiable.
-Que vas tu faire? Lui dis je sur un ton que j'aurais
voulu plus doux.
Il me sourit.
-Je vais t'aider à partir, ensuite j'irai rejoindre ma
famille.
Je ne pus qu'accepter, alors nous nous sommes mis à
échafauder des plans de toutes sortes mais sans
argent, sans objet de valeurs pour payer le passage,
ils nous sembla difficile de traverser la mer au grand
jour.
Nous sommes donc allés directement sur le port
pour en trouver un, le grand phare d'Alexandrie nous
guidant, nous, deux bateaux à la dérivent sur les
eaux hasardeuses de la vie, cet immense cyclope qui
de son seul œil éclaire le ciel, à cette instant je me
considérai comme Ulysse, dans l'odyssée de ma vie.
Nous arrivâmes au bord de la mer, jamais vu une
aussi grande étendue d'eau de ma vie, la
méditerranée étincelait sous les lumières de la lune
enflammée.
Ne pouvant reste éveillé plus longtemps, on
s'endormit sur la plage, bercés par les vagues.
Les bruits du port me réveillèrent, je me redressais
pour observais le lever de soleil qui illuminait la
mer.
-C'est magnifique, réveille toi et regarde ce
spectacle. Il me répondit pas, alors je repris plus
fort. Toujours pas de réponse, alors son teint blafard
m'alerta, je le secouai désespérément pour le
réveiller mais ma raison me fit peu à peu
comprendre qu'il ne se réveillerait pas, il ne se
réveillerait plus. Ce n'est pas la tristesse qui
m'envahit, ni même la colère, mais une impression
de vide immense, je n'avais pas eu le temps de le
connaître mais un lien s'était tissé entre nous, c'est
tout simplement ma dernière attache a l'Irak qui
venait de s'envoler.
Il me fallait partir, et vite, le port était encore
désert, ce qui me donnait une idée. Je trainai ce
corps jusqu'au milieu de la rue et me cachais près
d'un bateau de pêche, ma cible. Cela me semblait
un peu glauque, mais c'était la dernière volonté de
Mohamed que j'accomplissais en faisant cela.
Je profite alors de l'agitation provoqué par le corps
pour me cacher à l'intérieur d'un bateau de pêche,
la destination ne m' importait peu tant que je
quittais ce continent. Je mangeais mes derniers
«kleicha» lorsque j'entendis deux personnes monter,
le bateaux s'ébranla, je tendis l'oreille pour
percevoir la conversation des deux hommes, je fini
par récolter l'information que je voulu, c'est donc en
Italie que mon périple continuait.
Je partais avec pour seule compagnie, les souvenirs
de mon ancienne vie m'assaillant et la vue de ce
continent qui désormais n'était plus le mien.
Chapitre 3 : L'Italie
Risquer sa vie pour refaire sa vie …
Je suis coincé par des planches dans un petit bateau
de pêche, qui sent plus le poisson mort que le frais.
Je ne peux voir l'extérieur que par un infime espace,
ces quelques planches me séparent de la liberté,
mais je me sens complètement prisonnier. Je
regarde l'horizon, le soleil commence à se lever, les
côtes Italiennes apparaissent peu à peu, il est
approximativement huit heures car les matelots
s'agitent.
Le port de Catane est ma porte d'entrée vers
l'Europe, mais je le vois plus comme un portail de
prison tellement la présence des carabiniers est
forte. Je regarde les côtes, tant de personnes les
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ont vues sans les atteindre.
Ces côtes sont magnifiques, la végétation est si
verte et les criques si tranquilles que je pourrais
allègrement y passer mes jours. Ce paysage est
irréel, somptueux, très loin des paysages lunaires
que j'ai traversés pendant des jours .
L'Italie ! L'Europe ! La Liberté !!
Maintenant, mes seules difficultés seront de rentrer
dans les terres, et dans ce port si hostile aux gens
de mon espèce.
Ça y est, je suis au port. Par chance, je ne sais pas
pourquoi, le bateau se dirige vers une partie calme
et peu fréquenté du port. L'endroit idéal pour
m'échapper de cette prison flottante.
Tout était silencieux, tranquille, loin de l'endroit
très bruyant et commercial du port, où le nombre
de carabiniers, les patrouilles et les descentes dans
les cales des bateaux venus d'ailleurs sont
nombreux. Je me suis dit que le « le port» rimait
étrangement avec « la mort» dans cet endroit. Je
suis arrivé à enlever deux planches qui bloquaient
mes mouvements. Et maintenant, à la moindre
occasion, je pourrais atteindre la terre ferme.
J'attendis … La notion de temps m'échappait,
tellement l'envie de fouler la terre européenne
m'inondait.
D'un seul coup, j'entendis un bruit retentissant, tous
les pécheurs se dirigèrent à l'arrière du bateau pour
décharger les caisses de poissons , il n'y a plus aucun
bruit, je me lance. Je n'ai juste que quelques
mètres à faire pour ma liberté, je saute du bateau …
Voilà, mes pieds touchent enfin cette Europe, le
continent de tous les rêves , malgré la joie qui
s'emparait de moi , je devais rester très attentif à
mes mouvements, car à la moindre incartade, je
pouvais me faire contrôler puis arrêter.
Je pris mon sac, où il ne restait rien comme vivres,
seulement des papiers. Mais quels papiers ? Moi qui
veux tirer un trait sur le passé, et construire une
nouvelle vie … La faim se faisait sentir. Je réussis à
atteindre une petite plage, dans un coin reculé, je
m'assis et pensai à toutes les épreuves que j'avais
vécues et endurées pour en arriver là.
En dépit de la nostalgie de mon pays, de ma famille
et de mes amis, je dois aller de l'avant, m'en sortir
et m'installer durablement. Pour ça, je ne dois pas
rester proche du port, où les patrouilles vont se
faire fréquentes. Je prends mon sac, et me dirige
vers la ville.
même si mon éducation m'a appris que voler est
interdit. Mais, comme ma vie est en jeu, le choix est
vite fait. Je m'avance dans la foule dense, je ne vois
seulement que le haut des bâches des marchands
d'oranges.
Après une heure de marche, j'arrive dans la vieille
cité de Catane. Je n'ai encore rien mangé, et aux
détours d'une rue, je me retrouve à deux pas de la
place où plusieurs stands de marchands d'agrumes
font commerce. L'agitation de la foule, me rend
méfiant, car les carabiniers peuvent être là, juste à
coté de moi, partout …
Mon ventre me tiraille je réalise vite que je n'ai plus
de Kleicha dans mon sac. Je n'ai ni argent, ni
possibilité d'en gagner. La seule solution : voler ...
Et il partit, dans l'obscurité, vers une autre salle...
Ça y est, je suis à côté de la pyramide d'agrumes. En
Irak je n'avais jamais vu autant de fruits entassés j'y avais droit seulement quelques fois par an. Ma
main saisit une orange, et je file. Au moment de
sortir de l'agitation de la foule pour aller dans une
ruelle déguster mon fruit, je sens que je suis suivi,
et soudain j'entends un cri « Au voleur !!!» Je
détale, empruntant des ruelles, plus étroites les
unes des autres pour échapper à mes poursuivants.
Au détour de l'une d'entre elles, j'entre dans un
magnifique édifice, somptueux, où l'or, les
peintures, et les gravures m'impressionnent. Je me
cache dans un recoin pour éviter d'être arrêté.
Un homme s'approche de moi, mais étrangement je
n'ai pas peur, je vais vers lui tout naturellement et il
me guide vers une autre pièce où je me sens de
suite en sécurité. Alerté par les pas lourds de
plusieurs hommes dans l'église, l'homme alla voir ce
qui se passait. J'attends que cet homme revienne
pendant de longues minutes d'angoisse... le temps
de réfléchir à mes actes... et de me dire que pour
une petite incartade, le rêve européen peut prendre
fin ! La petite porte en bois grinça et cet homme si
étrange mais si rassurant apparut une nouvelle fois
devant moi. Il avait dans ses mains, un bol de lait
chaud, ainsi que des petits gâteaux secs.
Pendant que je déguste ces maigres victuailles,
l'homme qui parlait arabe m'expliqua tout. Ce
dernier reflétait le calme, la méditation et la paix.
Il était prêtre. La religion Chrétienne m'était
complètement inconnue avant son cours improvisé.
Il me montra un matelas, à côté une petite table de
chevet sur laquelle reposait un journal écrit en
anglais, avec à la une, un gros titre parlant des
immigrés.
Le prêtre me dit :
– «Moi je ne peux pas te garder ici très
longtemps, repose toi bien. Nous partirons
dès l'aube, essaye de lire le journal cela
peut t'aider pour trouver un futur port
d'attache mon fils.»
– « Merci beaucoup Monsieur, je serai prêt
demain très tôt»
Je venais de me réveiller, j'avais fini de ranger
toutes mes affaires pour partir. Je dégustais mon
orange avec délectations, tout en lisant le journal à
la page concernant les immigrés au Royaume Uni
quand le prêtre vint vers moi. D'un ton calme,
comme à son habitude, il me dit que c'était l'heure
d'y aller. Et je partis avec lui à l'arrière d'une vieille
voiture …
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Après une heure de route, on entra dans une cour
fermée, deux vieilles dames nous accueillirent.
Il me semblait que désormais, la crainte et la peur
ne m'assiégeaient plus. Pourtant ce n'était encore
que le début d'un long périple de misère.
Je suivis les deux dames à travers de longs couloirs
blancs, jusqu'à une grande salle digne des plus
beaux festins et des plus grandes fêtes.
L'amoncellement de vivres, et la palette des
couleurs sur la table étaient un spectacle
réjouissant. Je me dirigeai vers la fenêtre et
remarquai l'agitation dans la cour. Quand soudain
quatre voitures apparaissent les une après les autres
...
Le temps de me retourner, une vingtaine de
personnes avaient prit pris place pour le festin. A ma
grande surprise, une des dames est venue me
chercher et me désigne une chaise. L'ambiance tout
en étant détendue , était solennelle et semblait
presque officielle.
Au même moment, les deux femmes apparurent
devant moi, l'une d'entre elle me glissa un petit mot
…
« - Ne t'inquiète pas tout va bien se passer, suis
nous, c'est bientôt l'heure d'aller vers d'autres
horizons»
Sur la pendule de la pièce principale, les aiguilles
indiquaient neuf heures quarante, et on m'invita à
rejoindre le jardin d'un pas pressé. Je m'engouffre
dans la voiture , c'est parti. Roulant vers Catane ,
sur des routes sinueuses pour atteindre le port.
J'essayai d'obtenir plus d'informations sur le voyage,
notamment, une fois arrivé à Bonifacio. Mais les
femmes restaient d'un silence de marbre, et l'entrée
du port se faisait imminente.
Le conducteur suivait les panneaux qui indiquaient
l'endroit où prendre le bateau. Les dames
semblaient très tranquilles et plaisantaient , alors
que de mon coté, la peur et l'angoisse que le rêve
européen se termine me reprenait.
Un des hommes autour de la table se leva, il se mit Je m'enfonçais dans mon siège, pour être moins
à parler.
visible quand la voiture s'arrêta d'un coup de frein
- «Mes chers amis, nous sommes ce soir tous réunis net.
pour mettre en place les derniers préparatifs du C'était un contrôle ...
voyage en Corse»
Des gouttes de sueurs froides tombent sur mon
Pendant que les convives finissent de se mettre visage quand la dame assise côté passager donna les
d'accord sur les derniers détails, je dévore tout ce papiers d'embarcations.
qui est à ma portée. Repu, je m'avachis un peu sous A ma grande surprise l'homme ne dit rien et nous
la table et m'assoupis quelques minutes, au moment laissa repartir. Les dames tout en me regardant,
de me reprendre mes esprits, je venais de sourirent …
remarquer qu'il ne restait plus qu'un vieil homme
assis à la table habillé d'une cape. Je le fixe, il se Et nous montons dans le bateau.
lève, et vient vers moi – silencieux - sa démarche ne Pendant la traversée je suis resté dans la cabine par
m'était pas inconnu. Je ne pouvais pas voir son crainte des contrôles.
visage à cause de sa capuche. Au moment de passer
à coté de moi, il s'arrêta, enleva sa capuche, me A l'aube, l'agitation extérieure m'extirpa de mon
donna une enveloppe, tout en me disant
sommeil de plomb. Encore fatigué, mais avec une
fougue innocente, à l'idée de mon arrivée
– « Tu auras de la lecture ce soir , Dieu te imminente en France, j'allai sur le pont du bateau.
Tout en étant méfiant par nature depuis mon départ
bénisse mon enfant»
d'Irak, je pris le temps de contempler les
magnifiques falaises calcaires de Bonifacio.
C'était le prêtre de Catane, et comme l'autre nuit
, il disparut dans la pénombre. A ce moment, j'ai Ce paysage aussi irréel que cela pouvait paraitre
était bien là, pourtant, devant mes yeux. Mon arrivé
bien compris que je ne le reverrais plus jamais.
Je mis l'enveloppe dans ma poche, et je rejoignis sur le sol Français est une étape importante dans
mon périple semé d'embuches, en quête de
ma chambre ...
Luttant contre la fatigue, je continuais ma lecture. liberté ...
Les documents dans l'enveloppe étaient traduits en
arabe, et j'appris alors que j'allais partir demain à
Chapitre 4 : La France
10h pour la Corse et plus précisément pour
Bonifacio.
N'arrivant pas à dormir, je sortis de ma chambre
pour gagner le jardin de cette somptueuse villa qui
surplombait la ville. D'ici, on pouvait voir les
lumières de Catane, l'agitation du port, et le calme
des alentours. Je regardai fixement le port, et me
retournai.
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Se cacher pour obtenir sa liberté. Paradoxe ?
Bonifacio ! Cette ville me donnait un avant goût de
la beauté du continent français. Accompagné des
amies du prêtre de Catane, nous contemplions ces
somptueuses falaises, le monolithe de calcaire
curieusement appelé «Le Grain de Sable», la grotte
du Sdragonato et même l'escalier du Roi d'Aragon.
A la vue de ce spectacle grandiose, j'avais
l'impression de revivre mes années noires... La
grotte représentant Bagdad et mon isolement, les
falaises comme des remparts à mes rêves et
maintenant cet escalier semblable à la première
marche d'une nouvelle liberté. Il ne me restait plus
qu'à retrouver ce grain de sable sur les côtes
anglaises. Après un dernier repas en compagnie de
ces dames et une dernière nuit dans un lit, je faisais
mes adieux. Je devais prendre le bateau à Ajaccio
avec l'argent que mes libératrices m'avaient donné.
Durant deux jours je marchais, marchais, courais
presque. Je résistais à la fatigue, je songeais, je
rêvais. Arrivé aux abords du port d'Ajaccio, je
m'écroulais contre un mur, non fatigué mais avec
l'inévitable envie de rêver. Avec mes nouveaux
habits, je sentais que l'on se méfiait moins de moi.
J'évitais toute prise de parole pour ne pas trahir
mon très mauvais anglais. Après quelques jours de
recherche, je parvins à marchander mon voyage
avec le capitaine d'un bateau peu recommandable.
Nous partirions dans trois jours, à l'aube. Je ne
savais pas pourquoi mais ce capitaine ne m'inspirait
pas confiance, je ressentais de la méfiance.
Le matin du départ, la marchandise embarquée,
nous partîmes sous un temps pluvieux. Ma «cabine»
était infestée de rats et les moisissures rongeaient
les murs. Pourquoi moi ? Je n'étais qu'un immigré
parmi tant d'autres. Pourquoi avais-je survécu lors
du voyage en camion alors que Mohamed y avait
laissé sa vie ! Pourquoi ce prêtre et ses amies
m'avaient aidé ? Quand des immigrés s'entassent
dans des bateaux, moi je pars en croisière avec
deux femmes ! Pourquoi moi ?
Alors qu'on apercevait l'horizon du vieux port, je
m'empressai d'aller chercher mes quelques affaires
dans la cabine. L'excitation s'imprégnait en moi, elle
m'étouffait presque. Je poussai la porte de ma
cabine. Plus rien...
Plus d'argent, plus de vivres. Rien ! Le capitaine et
ses hommes m'avaient dépouillé...
Après l'excitation, c'était au tour de la haine de
m'envahir. Une fois le bateau amarré dans le vieux
port, je quittai ce rafiot sous les rires de l'équipage.
Que faire ? Rien, subir...
Marseille n'avait rien de comparable à Bonifacio.
Cette ville était la même que la cabine de mon
bateau mais à plus grande échelle. Les rats avaient
élu domicile dans les égouts et les immeubles,
«tagués», semblaient moisis. Pour parvenir en
Angleterre, il me fallait trouver un moyen de
locomotion. Sans aucune destination précise,
j'entrepris une reconnaissance de Marseille. Après
une après-midi de marche, je décidai de passer la
nuit dans le port. La nuit était fraîche et magnifique
malgré le passage incessant de nombreux camions
de marchandises. Les ouvriers déchargeaient,
rechargeaient et cela pendant plusieurs heures. Un
camion immatriculé en Angleterre venait de se
garer sur le quai. Son chauffeur, un homme petit et
apparemment exténué ouvrit la soute et entreprit
son déchargement. C'était peut-être ma seule et
dernière chance. Dès que le chauffeur et les
ouvriers effectuèrent le dernier voyage, je courus
vers la remorque, montai à l'intérieur et me cachai
derrière les bâches servant à recouvrir le fret.
J'attendis, je n'osai pas respirer ni bouger. Je
m'endormis.
Lorsque que je me réveillai, le camion avait repris
sa route. L'idée de rester plusieurs jours sans vivres
si le chauffeur avait d'autres livraisons ne
m'inquiétait pas, mon eau, elle, si. Ma gourde était
pratiquement épuisée, et il faisait chaud, très
chaud. La chaleur, je m'y étais habitué en Orient,
mais celle du vieux continent n'était pas la même. A
cette chaleur s'ajoutait l'odeur épouvantable de mes
besoins, bien qu'effectuais à l'autre bout du camion.
Après des heures de conduite, le routier s'arrêta,
vraisemblablement pour la nuit. J'avais soif. Ma soif
d'aventure était rassasiée au détriment de mon
gosier. Je m'endormis, exténué. Lorsque je me
réveillai, je crûs rêver ! Un pain au chocolat et une
bouteille de lait étaient posés devant moi. Mon
premier réflexe fût de me retourner. Personne. Je
parcourus rapidement la remorque des yeux, rien!
J'avais beau être croyant, je ne pensais pas à une
offrande. Il ne pouvait s'agir que de lui. Il savait que
j'étais là et au lieu de me jeter dehors, il m'aidait.
Idiot que j'étais, moi qui pensais être rentré dans le
camion inaperçu ! Que faire ? Le rencontrer ou
l'éviter ? Je n'eus pas le temps de choisir, le
grincement des portes résonna. Un petit homme
entra: le chauffeur. Les yeux bleus, cheveux courts,
les lunettes sur le nez, il me dévisagea durant
quelques secondes puis prit la parole :
-Tu es courageux me dit-il, je veux bien te garder
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jusque dans le Nord de la France mais pour aller au
delà, tu devras continuer seul. Je t'apporterai à
manger chaque matin et si tu as des besoins
urgents, frappe contre la paroi. On se dirige vers
Strasbourg où je dois acheter de la marchandise.
Lors du chargement, cache toi bien. D'autres
questions ?
Cette homme était d'un calme et d'un sérieux
incroyable. Son regard m'intimidait presque et me
rendait honteux de l'avoir gêné dans son travail.
-Merci monsieur, je vous promet d'être le plus
discret possible. J'aurai juste une question à vous
poser.
-Je t'écoute me répondit-il.
-Pourquoi prenez-vous le risque de m'aider ?
Alors qu'il s'apprêtait à refermer les portes de la
remorque, il se figea et tout en me fixant me
lança :
-Autrefois, j'étais comme toi, un clandestin...
Sur ces dernières paroles, je mangeai le pain au
chocolat et bus quelques gorgées de la bouteille de
lait.
Après une courte nuit à Strasbourg et un copieux
petit déjeuner, on repris la route en direction de
Calais. Prendre le Ferry était bien trop dangereux et
traverser la manche à la nage suicidaire. Rester
l'option de l'Eurostar. Des mois de voyage, des
moments horribles et d'autres magnifiques pour
tenter le tout pour le tout : prendre le tunnel sous
la manche, le train le plus surveillé et protégé
d'Europe! Arrivé à Calais, je fis mes adieux au
chauffeur et, sans bagage, ni passeport, ni carte
d'identité, je me présentais devant la gare de ma
liberté. Après une dizaine de minutes de marche,
j'étais maintenant à une centaine de mètres de
l'entrée. Alors que je m'avançais pour chercher une
brèche dans la sécurité, je vis un homme, habillé en
bleu, fumant une cigarette dans une petite ruelle.
Un contrôleur ! Cela peut paraître étonnant, mais à
ce moment précis, je n'ai pas réfléchi. Approchant
discrètement par derrière, je le frappai trois fois
dans les côtes. Il n'était pas mort, juste blessé.
Transportant le corps dans l'ombre, j'échangeai
rapidement nos vêtements et m'éclipsai. J'avais
maintenant des papiers et un uniforme. En étant
sérieux et sans me faire remarquer, je pouvais
espérer... L'endroit était gigantesque ! Des milliers
de gens attendaient leur train dans un vacarme
assourdissant. Tant mieux ! Je marchai normalement
même si mon excitation me demandait de courir.
Une fois passée la queue, il me fallait désormais
attendre le train. Voyant mes «collègues» regarder
les papiers des voyageurs, j'entrepris moi même une
périlleuse vérification. Par chance, les rares
personnes que je contrôlai, n'était pas française
mais anglaise. Mon accent pitoyable me valut
quelques rires ce qui eut le don de me détendre.
Alors que le train entrait en gare, une voix se fit
entendre :
-Arrêtez le, arrêtez le !
Mon sang ne fit qu'un tour et les battements de mon
cœur s'accélérèrent. Lorsque que je me retournai,
une dizaine d'agents de sécurité couraient dans ma
direction. Je me dépêchai de rentrer dans le train
et m'enfermai dans les premières toilettes que je
trouvai. Rien. Personne ne m'avait suivi. La peur au
ventre, je sorti des W-C. Aucun agent. Peu avant le
départ de l'Eurostar, je lançai un dernier regard par
la porte et je vis un autre clandestin par terre,
pleurant, criant, se débattant. C'était lui qu'il
poursuivait... A la fois triste pour cet homme mais
heureux de ma réussite, je me rendis compte de la
chance que j'avais. Sans ce camion, sans Mohamed,
sans ce prêtre et ses amies, sans ce chauffeur et
sans ce contrôleur à qui je devais ma liberté, jamais
je n'aurais pu espérer arriver en Angleterre. Et le
train démarra...
Chapitre 5 : Le Royaume-Uni
L'Angleterre, terre d'accueil de ma nouvelle vie...
Passer la Manche fut très rapide, l'Eurostar est la
machine la plus rapide que j'aie jamais utilisée,
telle une bête mécanique, elle file à 160 Km/H dans
le noir. Je regarde autour de moi, c'est désormais
avec ces personnes que j'allais vivre, je me
remémore alors tout mon parcours, tout ces pays
traversés, toutes ces personnes rencontrées, pour
finalement arriver ici, dans ce train, en direction de
cette terre d'accueil dont mon père m'a si souvent
conté la beauté. A l'instant où je me rendis compte
que mon voyage se terminait, que mon rêve d'enfant
s'accomplissait, j'aperçus la lumière au bout du
tunnel, pour bien des personnes elle signifiait la fin
d'une vie, pour moi, cela représentait le
commencement de la mienne.
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