Le nouvel Ulysse de Bagdad
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Le nouvel Ulysse de Bagdad
Le nouvel Ulysse de Bagdad Les frontières sont-elles le bastion de nos identités ou le dernier rempart de nos illusions ? Saad Saad, jeune homme, sans repère, ni terre d'attache, fuyant les dernières mémoires de guerre et de sang qui le rattache à son passé, cherchant un avenir meilleur, en naviguant dans ce monde hostile, à la rencontre de personnages peu singuliers, l'aideront peut être, à faire de son plus grand rêve, une réalité … Auteurs Castillo Axel 2°1 Coutarel Pierre 2°1 Ryckebusch Quentin 2°1 Edition : Lirak (2011) 1 Chapitre 1: L'Irak Abandonner ses repères, ses habitudes, son pays, pour s'enfuir... «Je m'appelle Saad Saad, ce qui signifie en arabe Espoir Espoir et en anglais Triste Triste; au fil des semaines, parfois d'une heure à la suivante, voire dans l'explosion d'une seconde, ma vérité glisse de l'arabe à l'anglais; selon que je me sens optimiste ou misérable, je deviens Saad l'Espoir ou Saad le Triste.» En ce temps de guerre, je suis Saad le Triste. Sans toit, sans Dinar et sans famille. Tous les membres de ma famille,femmes ou hommes, éloignés ou proches, âgés ou jeunes font partie des victimes de cette guerre appelée seconde guerre d'Irak. Nous sommes le dimanche 6 avril 2003, il est onze heures et quart. Je suis dans cette église qui n'en n'est plus vraiment une ! A présent utilisée comme refuge pour la population de Bagdad, j'essaye de me faire une place parmi hommes et femmes, animaux, et autres corps sans vie. J'ai honte de l'espèce humaine et de sa stupidité, de cet argent... Ce pays qui s'est battu pour obtenir son indépendance, où des gens sont morts n'est plus qu'un vaste champs de ruines, où la peur a remplacé la joie, où les attentats sont quotidiens et meurtriers ! Je me sens perdu... Les rues semblables à des tranchées, où les derniers immeubles menacent de s'écrouler, où les corps attendent d'être enterrés... Qu'est ce qui s'est passé ? Pourquoi nous ? Ce pays, mon pays, n'est plus rien... Je ne peux plus rester ici, il est impossible, pour quiconque, de vivre dans ces décombres, dans ces conditions. Je dois partir... La nuit vient de tomber, même si l'Irak est depuis trop longtemps dans le noir. Il est dix neuf heures. Mes papiers, mon sac contenant une carte et des vivres ainsi que mon manteau sur le dos, je pars. J'ai marché. Combien de temps ? Je n'en ai aucune idée. Le couvre-feu débutant à vingt heures, je devais presser le pas. Évitant de multiples patrouilles, des projecteurs scrutant chaque recoin tels des rapaces prêts à fondre sur leur proie ,je parvins tant bien que mal à la sortie ouest de Bagdad. J'avais pour objectif de rejoindre l'Égypte puis, si possible, rallier l'Europe. D'après des rumeurs, un camion partirait de Ramadi pour ensuite se rendre au Caire. Il partirait demain soir à 22h00, à l'abri des regards. Je devais le prendre ! Je me mis en route. Je me surprenais moi même de la rapidité avec laquelle j'ai rejoint Fallujah en moins de huit heures de marche. Maintenant, la fatigue me gagne, mes paupières se ferment, je dors à moitié debout mais la pensée de ma prochaine liberté me maintient éveillé. Les heures ont passé, mon rythme s'est ralenti, mes semelles s'alourdissent. Le soleil d'Orient s'est levé. Je ne sens plus mes jambes, mon cerveau est affaibli. Je titube. Mes vivres s'épuisent. Ma vue est trouble. Je tombe. Tel un hibou, je me réveille dans l'obscurité. La nuit est fraîche... La nuit est fraîche ! Le camion ! Jamais lors de ma courte existence, je n'ai couru aussi vite... Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est. Peut être suis-je en avance ou peut être le camion est-il déjà parti ... Peu m'importe ! Je cours, cours, mon cœur va exploser, le souffle me manque. Enfin, après un long effort, je vis de la lumière au loin. Il était là, vieux, rouillé, laid mais pour nous, il était magnifique, synonyme d'une liberté tant attendue. Une dizaine de personnes occupaient déjà la remorque du camion. Tous les âges, hommes et femmes, étaient confondus. Je me faufilai et m'assis près d'une vieille dame endormie. Après tant d'efforts, je m'autorisai une folie : goûter mes «Kleicha».Il s'agissait de la pâtisserie nationale irakienne. J'avais oublié ce que signifiait le mot «bonheur»... Mes lèvres se délectèrent pendant quelques minutes de ce gâteau sucré et rempli de dattes. Mon palais en redemandait mais la raison me l'interdisait. Nous sommes maintenant une trentaine dans le camion, tous serrés les uns contre les autres. Mes paupières se fermant toute seules, je cédai et m'endormis. La lueur du jour me réveilla. A ma surprise, l'ambiance dans le camion était festive malgré l'oppression qui pesait. On m'apprit que nous avions franchi sans encombres la frontière jordanienne et que nous étions à sept heures d' Israël. Dans cette joyeuse atmosphère, je me liai d'amitié avec Mohamed, ancien habitant de Ramadi. Les secousses du camion ne nous empêchèrent pas de discuter et même de rire, comme si la guerre et le sang n'appartenaient plus à notre langage. Et pourtant... La tristesse et les pleurs submergèrent le camion après le décès d'une femme, sans doute morte d'épuisement. La traversée de l'Israël se fît en deux heures, ce qui n'empêcha pas l'épidémie de fièvre de faire trois nouvelles victimes. Mohamed 2 était lui aussi dans un piteux état. La fièvre le marcher, Mohamed essaya de se lever et je le vis gagnait comme si il ne s'était pas habitué à sa vaciller dangereusement alors je me précipitai pour nouvelle liberté. Alors que l'horizon égyptien se le rattraper avant qu'il ne tombe. dessinait, nous n'étions plus qu'une vingtaine... -Reste dans le camion, je vais m'en occuper. La perspective de pousser seul un camion transportant vingt personnes me découragea. Chapitre 2 : L'Égypte Heureusement, en reposant mon camarade, je vis quelque personne se lever pour m'aider. On pousse maintenant le camion dans un silence troublé par quelques vautours guettant notre mort. On poussa longtemps, longtemps, perdant nos forces au fur et à mesure. Enfin! On fut heureux de voir la ville se dégager à l'horizon, la perspective d'une halte dans une ville où l'on pourrait se restaurer me redonna des forces. Arrivés en ville, nous descendîmes l'un après l'autre. Mohamed s'approcha de moi en me tendant l'argent récolté auprès des passagers. Ce butin s'ajoutait a celui déjà récupéré sur les morts. -Tiens, prends toute la nourriture et toute l'eau possible, je ne pense pas que l'on fera de nouveau une halte avant le Caire. J'acquiesçai en prenant l'argent puis me mis à la recherche du conducteur. Après nous avoir dit que l'on repartirait dans une heure, il s'était éclipsé. La faim me tenaillant le ventre, je cessai vite mes investigations pour me Ulysse, vers les sirènes du port d'Alexandrie... diriger vers le magasin le plus proche. Le magasin Ça y est les frontières sont passées, adieu l'Irak, était vide, seul le regard dédaigneux du propriétaire se braquait sur moi. Mais, je n'y pensai pas. Seule la bonjour l'Égypte. Le camion est bientôt arrivé au Caire après un cour nourriture dans les bacs de congélation captait mon passage en Jordanie et en Israël, Mohamed est attention. Je prend tout ce que je peux. Toutes ses encore fiévreux et je ne sais si c'est à cause des odeurs me font tourné la tête, je sors alors du conditions du voyage ou des blessure qu'il a reçu en magasin après avoir payé puis je distribue les vivres à tout le monde. Irak, je me sens moi même assez nauséeux. Même la pire nourriture dans cette situation aurait -T'as encore de l'eau ? Lui dis-je. Son grondement rauque me fit comprendre qu'il n'en un goût de festin. C'est avec ivresse que je me n'avait plus. Le paysage défilant sous mes délectai de ce repas qui me fit oublier les misères yeux est semblable a mon esprit, vide, stérile, de ce monde durant quelque instant. Mon père avait raison, c'est réellement lorsque l'on a perdu quelque désert. Sur la trentaine de personnes parties avec moi en chose auquel on tenait que l'on se rend compte de Irak il n'en reste plus qu'une vingtaine, les pires sa valeur. Ce fut le plus merveilleux repas de ma moment du voyage ont été lorsque nous nous vie! sommes débarrassés des corps ainsi que l'odeur de la Nous revoilà dans le camion en partance pour le mort et celle de la décomposition qui sont les pires Caire. qui puissent exister. Dans le camion, les larmes se Je crois que ce repas avait remonter le morale à mêlent au sang transformant les visages en masque toutes les personnes autour de moi car je de douleur où on peut y lire toute la souffrance de n'entendais plus les pleurs habituels. C'est donc en la personne, homme, femme et enfant qui se silence que le voyage continua jusqu'au Caire. partagent le peu de place où les flaques de sang ne Je perçus d'abord les grandes tours jonchant la ville, puis les monuments apparaissant les uns après les sont pas présentes. La route se déroula sans encombre sur plusieurs autres. Que la beauté de cette ville-capitale de ce kilomètres me permettant de réfléchir à ma pays chargé de culture et d'histoire-était fascinante! situation, après l'horreur des dernier jours je me Le Caire, « Al-Qāhira »(1) pour la communauté dirigeai vers l'Europe, terre d'accueil. Les arabe, la signification de ce mot reflète mon état soubresauts du camion me tirèrent de mes pensées: d'esprit, ma première « victoire » est désormais à porté de mains; les sourires béats autour de moi -Panne d'essence! Cria avec rage le conducteur. amplifièrent mon sentiment de bonheur. Comme si on n'avait pas assez de problème. -On est pas loin de Suez, ils va falloir pousser jusque L'entrée dans la ville se fit sans encombre, nous traversons la ville jusqu'au point de rendez-vous là. La plupart des passagers avait à peine la force de fixé par le conducteur situé au centre, les rues 3 s'enchainent, de plus en plus étroites, de plus en plus sinueuses, pour finalement arriver sur une petite place déserte. A peine arrivé, la plupart des personnes descendirent, ne voulant ou ne pouvant aller plus loin, ils ne restaient donc plus que trois personnes en plus de moi et Mohamed. -C'est le dernier arrêt avant Alexandrie, je fait le plein et on se cassent! Apparemment le langage du chauffeur ne s'était pas améliorait durant le trajet. On repartit quelques heures après s'être arrêter. Le trajet semblait interminable. Voilà plus d'une semaine que nous étions partis. Mohamed ne parlait plus, il dormait. Enfin, alors que la nuit tombait, on vit au loin la colonne de pompée. La ville était endormie lorsque que nous arrivâmes. Alors que je me retournai vers Mohamed pour l'aider à descendre, il me dit -Merci mon ami, mais je crois que pour moi, le chemin s'arrête ici. L'angoisse ébranla mon cœur. -Que veux tu dire? -Soyons réaliste mes blessures n'allaient pas guérir dans un camion infecté de vers et de cafards. Il me fallut quelques instants pour digérer l'information, pour me rendre compte que mon seul ami dans ce monde allait me quitter, allait m'être arraché par la mort, ce monstre insatiable. -Que vas tu faire? Lui dis je sur un ton que j'aurais voulu plus doux. Il me sourit. -Je vais t'aider à partir, ensuite j'irai rejoindre ma famille. Je ne pus qu'accepter, alors nous nous sommes mis à échafauder des plans de toutes sortes mais sans argent, sans objet de valeurs pour payer le passage, ils nous sembla difficile de traverser la mer au grand jour. Nous sommes donc allés directement sur le port pour en trouver un, le grand phare d'Alexandrie nous guidant, nous, deux bateaux à la dérivent sur les eaux hasardeuses de la vie, cet immense cyclope qui de son seul œil éclaire le ciel, à cette instant je me considérai comme Ulysse, dans l'odyssée de ma vie. Nous arrivâmes au bord de la mer, jamais vu une aussi grande étendue d'eau de ma vie, la méditerranée étincelait sous les lumières de la lune enflammée. Ne pouvant reste éveillé plus longtemps, on s'endormit sur la plage, bercés par les vagues. Les bruits du port me réveillèrent, je me redressais pour observais le lever de soleil qui illuminait la mer. -C'est magnifique, réveille toi et regarde ce spectacle. Il me répondit pas, alors je repris plus fort. Toujours pas de réponse, alors son teint blafard m'alerta, je le secouai désespérément pour le réveiller mais ma raison me fit peu à peu comprendre qu'il ne se réveillerait pas, il ne se réveillerait plus. Ce n'est pas la tristesse qui m'envahit, ni même la colère, mais une impression de vide immense, je n'avais pas eu le temps de le connaître mais un lien s'était tissé entre nous, c'est tout simplement ma dernière attache a l'Irak qui venait de s'envoler. Il me fallait partir, et vite, le port était encore désert, ce qui me donnait une idée. Je trainai ce corps jusqu'au milieu de la rue et me cachais près d'un bateau de pêche, ma cible. Cela me semblait un peu glauque, mais c'était la dernière volonté de Mohamed que j'accomplissais en faisant cela. Je profite alors de l'agitation provoqué par le corps pour me cacher à l'intérieur d'un bateau de pêche, la destination ne m' importait peu tant que je quittais ce continent. Je mangeais mes derniers «kleicha» lorsque j'entendis deux personnes monter, le bateaux s'ébranla, je tendis l'oreille pour percevoir la conversation des deux hommes, je fini par récolter l'information que je voulu, c'est donc en Italie que mon périple continuait. Je partais avec pour seule compagnie, les souvenirs de mon ancienne vie m'assaillant et la vue de ce continent qui désormais n'était plus le mien. Chapitre 3 : L'Italie Risquer sa vie pour refaire sa vie … Je suis coincé par des planches dans un petit bateau de pêche, qui sent plus le poisson mort que le frais. Je ne peux voir l'extérieur que par un infime espace, ces quelques planches me séparent de la liberté, mais je me sens complètement prisonnier. Je regarde l'horizon, le soleil commence à se lever, les côtes Italiennes apparaissent peu à peu, il est approximativement huit heures car les matelots s'agitent. Le port de Catane est ma porte d'entrée vers l'Europe, mais je le vois plus comme un portail de prison tellement la présence des carabiniers est forte. Je regarde les côtes, tant de personnes les 4 ont vues sans les atteindre. Ces côtes sont magnifiques, la végétation est si verte et les criques si tranquilles que je pourrais allègrement y passer mes jours. Ce paysage est irréel, somptueux, très loin des paysages lunaires que j'ai traversés pendant des jours . L'Italie ! L'Europe ! La Liberté !! Maintenant, mes seules difficultés seront de rentrer dans les terres, et dans ce port si hostile aux gens de mon espèce. Ça y est, je suis au port. Par chance, je ne sais pas pourquoi, le bateau se dirige vers une partie calme et peu fréquenté du port. L'endroit idéal pour m'échapper de cette prison flottante. Tout était silencieux, tranquille, loin de l'endroit très bruyant et commercial du port, où le nombre de carabiniers, les patrouilles et les descentes dans les cales des bateaux venus d'ailleurs sont nombreux. Je me suis dit que le « le port» rimait étrangement avec « la mort» dans cet endroit. Je suis arrivé à enlever deux planches qui bloquaient mes mouvements. Et maintenant, à la moindre occasion, je pourrais atteindre la terre ferme. J'attendis … La notion de temps m'échappait, tellement l'envie de fouler la terre européenne m'inondait. D'un seul coup, j'entendis un bruit retentissant, tous les pécheurs se dirigèrent à l'arrière du bateau pour décharger les caisses de poissons , il n'y a plus aucun bruit, je me lance. Je n'ai juste que quelques mètres à faire pour ma liberté, je saute du bateau … Voilà, mes pieds touchent enfin cette Europe, le continent de tous les rêves , malgré la joie qui s'emparait de moi , je devais rester très attentif à mes mouvements, car à la moindre incartade, je pouvais me faire contrôler puis arrêter. Je pris mon sac, où il ne restait rien comme vivres, seulement des papiers. Mais quels papiers ? Moi qui veux tirer un trait sur le passé, et construire une nouvelle vie … La faim se faisait sentir. Je réussis à atteindre une petite plage, dans un coin reculé, je m'assis et pensai à toutes les épreuves que j'avais vécues et endurées pour en arriver là. En dépit de la nostalgie de mon pays, de ma famille et de mes amis, je dois aller de l'avant, m'en sortir et m'installer durablement. Pour ça, je ne dois pas rester proche du port, où les patrouilles vont se faire fréquentes. Je prends mon sac, et me dirige vers la ville. même si mon éducation m'a appris que voler est interdit. Mais, comme ma vie est en jeu, le choix est vite fait. Je m'avance dans la foule dense, je ne vois seulement que le haut des bâches des marchands d'oranges. Après une heure de marche, j'arrive dans la vieille cité de Catane. Je n'ai encore rien mangé, et aux détours d'une rue, je me retrouve à deux pas de la place où plusieurs stands de marchands d'agrumes font commerce. L'agitation de la foule, me rend méfiant, car les carabiniers peuvent être là, juste à coté de moi, partout … Mon ventre me tiraille je réalise vite que je n'ai plus de Kleicha dans mon sac. Je n'ai ni argent, ni possibilité d'en gagner. La seule solution : voler ... Et il partit, dans l'obscurité, vers une autre salle... Ça y est, je suis à côté de la pyramide d'agrumes. En Irak je n'avais jamais vu autant de fruits entassés j'y avais droit seulement quelques fois par an. Ma main saisit une orange, et je file. Au moment de sortir de l'agitation de la foule pour aller dans une ruelle déguster mon fruit, je sens que je suis suivi, et soudain j'entends un cri « Au voleur !!!» Je détale, empruntant des ruelles, plus étroites les unes des autres pour échapper à mes poursuivants. Au détour de l'une d'entre elles, j'entre dans un magnifique édifice, somptueux, où l'or, les peintures, et les gravures m'impressionnent. Je me cache dans un recoin pour éviter d'être arrêté. Un homme s'approche de moi, mais étrangement je n'ai pas peur, je vais vers lui tout naturellement et il me guide vers une autre pièce où je me sens de suite en sécurité. Alerté par les pas lourds de plusieurs hommes dans l'église, l'homme alla voir ce qui se passait. J'attends que cet homme revienne pendant de longues minutes d'angoisse... le temps de réfléchir à mes actes... et de me dire que pour une petite incartade, le rêve européen peut prendre fin ! La petite porte en bois grinça et cet homme si étrange mais si rassurant apparut une nouvelle fois devant moi. Il avait dans ses mains, un bol de lait chaud, ainsi que des petits gâteaux secs. Pendant que je déguste ces maigres victuailles, l'homme qui parlait arabe m'expliqua tout. Ce dernier reflétait le calme, la méditation et la paix. Il était prêtre. La religion Chrétienne m'était complètement inconnue avant son cours improvisé. Il me montra un matelas, à côté une petite table de chevet sur laquelle reposait un journal écrit en anglais, avec à la une, un gros titre parlant des immigrés. Le prêtre me dit : – «Moi je ne peux pas te garder ici très longtemps, repose toi bien. Nous partirons dès l'aube, essaye de lire le journal cela peut t'aider pour trouver un futur port d'attache mon fils.» – « Merci beaucoup Monsieur, je serai prêt demain très tôt» Je venais de me réveiller, j'avais fini de ranger toutes mes affaires pour partir. Je dégustais mon orange avec délectations, tout en lisant le journal à la page concernant les immigrés au Royaume Uni quand le prêtre vint vers moi. D'un ton calme, comme à son habitude, il me dit que c'était l'heure d'y aller. Et je partis avec lui à l'arrière d'une vieille voiture … 5 Après une heure de route, on entra dans une cour fermée, deux vieilles dames nous accueillirent. Il me semblait que désormais, la crainte et la peur ne m'assiégeaient plus. Pourtant ce n'était encore que le début d'un long périple de misère. Je suivis les deux dames à travers de longs couloirs blancs, jusqu'à une grande salle digne des plus beaux festins et des plus grandes fêtes. L'amoncellement de vivres, et la palette des couleurs sur la table étaient un spectacle réjouissant. Je me dirigeai vers la fenêtre et remarquai l'agitation dans la cour. Quand soudain quatre voitures apparaissent les une après les autres ... Le temps de me retourner, une vingtaine de personnes avaient prit pris place pour le festin. A ma grande surprise, une des dames est venue me chercher et me désigne une chaise. L'ambiance tout en étant détendue , était solennelle et semblait presque officielle. Au même moment, les deux femmes apparurent devant moi, l'une d'entre elle me glissa un petit mot … « - Ne t'inquiète pas tout va bien se passer, suis nous, c'est bientôt l'heure d'aller vers d'autres horizons» Sur la pendule de la pièce principale, les aiguilles indiquaient neuf heures quarante, et on m'invita à rejoindre le jardin d'un pas pressé. Je m'engouffre dans la voiture , c'est parti. Roulant vers Catane , sur des routes sinueuses pour atteindre le port. J'essayai d'obtenir plus d'informations sur le voyage, notamment, une fois arrivé à Bonifacio. Mais les femmes restaient d'un silence de marbre, et l'entrée du port se faisait imminente. Le conducteur suivait les panneaux qui indiquaient l'endroit où prendre le bateau. Les dames semblaient très tranquilles et plaisantaient , alors que de mon coté, la peur et l'angoisse que le rêve européen se termine me reprenait. Un des hommes autour de la table se leva, il se mit Je m'enfonçais dans mon siège, pour être moins à parler. visible quand la voiture s'arrêta d'un coup de frein - «Mes chers amis, nous sommes ce soir tous réunis net. pour mettre en place les derniers préparatifs du C'était un contrôle ... voyage en Corse» Des gouttes de sueurs froides tombent sur mon Pendant que les convives finissent de se mettre visage quand la dame assise côté passager donna les d'accord sur les derniers détails, je dévore tout ce papiers d'embarcations. qui est à ma portée. Repu, je m'avachis un peu sous A ma grande surprise l'homme ne dit rien et nous la table et m'assoupis quelques minutes, au moment laissa repartir. Les dames tout en me regardant, de me reprendre mes esprits, je venais de sourirent … remarquer qu'il ne restait plus qu'un vieil homme assis à la table habillé d'une cape. Je le fixe, il se Et nous montons dans le bateau. lève, et vient vers moi – silencieux - sa démarche ne Pendant la traversée je suis resté dans la cabine par m'était pas inconnu. Je ne pouvais pas voir son crainte des contrôles. visage à cause de sa capuche. Au moment de passer à coté de moi, il s'arrêta, enleva sa capuche, me A l'aube, l'agitation extérieure m'extirpa de mon donna une enveloppe, tout en me disant sommeil de plomb. Encore fatigué, mais avec une fougue innocente, à l'idée de mon arrivée – « Tu auras de la lecture ce soir , Dieu te imminente en France, j'allai sur le pont du bateau. Tout en étant méfiant par nature depuis mon départ bénisse mon enfant» d'Irak, je pris le temps de contempler les magnifiques falaises calcaires de Bonifacio. C'était le prêtre de Catane, et comme l'autre nuit , il disparut dans la pénombre. A ce moment, j'ai Ce paysage aussi irréel que cela pouvait paraitre était bien là, pourtant, devant mes yeux. Mon arrivé bien compris que je ne le reverrais plus jamais. Je mis l'enveloppe dans ma poche, et je rejoignis sur le sol Français est une étape importante dans mon périple semé d'embuches, en quête de ma chambre ... Luttant contre la fatigue, je continuais ma lecture. liberté ... Les documents dans l'enveloppe étaient traduits en arabe, et j'appris alors que j'allais partir demain à Chapitre 4 : La France 10h pour la Corse et plus précisément pour Bonifacio. N'arrivant pas à dormir, je sortis de ma chambre pour gagner le jardin de cette somptueuse villa qui surplombait la ville. D'ici, on pouvait voir les lumières de Catane, l'agitation du port, et le calme des alentours. Je regardai fixement le port, et me retournai. 6 Se cacher pour obtenir sa liberté. Paradoxe ? Bonifacio ! Cette ville me donnait un avant goût de la beauté du continent français. Accompagné des amies du prêtre de Catane, nous contemplions ces somptueuses falaises, le monolithe de calcaire curieusement appelé «Le Grain de Sable», la grotte du Sdragonato et même l'escalier du Roi d'Aragon. A la vue de ce spectacle grandiose, j'avais l'impression de revivre mes années noires... La grotte représentant Bagdad et mon isolement, les falaises comme des remparts à mes rêves et maintenant cet escalier semblable à la première marche d'une nouvelle liberté. Il ne me restait plus qu'à retrouver ce grain de sable sur les côtes anglaises. Après un dernier repas en compagnie de ces dames et une dernière nuit dans un lit, je faisais mes adieux. Je devais prendre le bateau à Ajaccio avec l'argent que mes libératrices m'avaient donné. Durant deux jours je marchais, marchais, courais presque. Je résistais à la fatigue, je songeais, je rêvais. Arrivé aux abords du port d'Ajaccio, je m'écroulais contre un mur, non fatigué mais avec l'inévitable envie de rêver. Avec mes nouveaux habits, je sentais que l'on se méfiait moins de moi. J'évitais toute prise de parole pour ne pas trahir mon très mauvais anglais. Après quelques jours de recherche, je parvins à marchander mon voyage avec le capitaine d'un bateau peu recommandable. Nous partirions dans trois jours, à l'aube. Je ne savais pas pourquoi mais ce capitaine ne m'inspirait pas confiance, je ressentais de la méfiance. Le matin du départ, la marchandise embarquée, nous partîmes sous un temps pluvieux. Ma «cabine» était infestée de rats et les moisissures rongeaient les murs. Pourquoi moi ? Je n'étais qu'un immigré parmi tant d'autres. Pourquoi avais-je survécu lors du voyage en camion alors que Mohamed y avait laissé sa vie ! Pourquoi ce prêtre et ses amies m'avaient aidé ? Quand des immigrés s'entassent dans des bateaux, moi je pars en croisière avec deux femmes ! Pourquoi moi ? Alors qu'on apercevait l'horizon du vieux port, je m'empressai d'aller chercher mes quelques affaires dans la cabine. L'excitation s'imprégnait en moi, elle m'étouffait presque. Je poussai la porte de ma cabine. Plus rien... Plus d'argent, plus de vivres. Rien ! Le capitaine et ses hommes m'avaient dépouillé... Après l'excitation, c'était au tour de la haine de m'envahir. Une fois le bateau amarré dans le vieux port, je quittai ce rafiot sous les rires de l'équipage. Que faire ? Rien, subir... Marseille n'avait rien de comparable à Bonifacio. Cette ville était la même que la cabine de mon bateau mais à plus grande échelle. Les rats avaient élu domicile dans les égouts et les immeubles, «tagués», semblaient moisis. Pour parvenir en Angleterre, il me fallait trouver un moyen de locomotion. Sans aucune destination précise, j'entrepris une reconnaissance de Marseille. Après une après-midi de marche, je décidai de passer la nuit dans le port. La nuit était fraîche et magnifique malgré le passage incessant de nombreux camions de marchandises. Les ouvriers déchargeaient, rechargeaient et cela pendant plusieurs heures. Un camion immatriculé en Angleterre venait de se garer sur le quai. Son chauffeur, un homme petit et apparemment exténué ouvrit la soute et entreprit son déchargement. C'était peut-être ma seule et dernière chance. Dès que le chauffeur et les ouvriers effectuèrent le dernier voyage, je courus vers la remorque, montai à l'intérieur et me cachai derrière les bâches servant à recouvrir le fret. J'attendis, je n'osai pas respirer ni bouger. Je m'endormis. Lorsque que je me réveillai, le camion avait repris sa route. L'idée de rester plusieurs jours sans vivres si le chauffeur avait d'autres livraisons ne m'inquiétait pas, mon eau, elle, si. Ma gourde était pratiquement épuisée, et il faisait chaud, très chaud. La chaleur, je m'y étais habitué en Orient, mais celle du vieux continent n'était pas la même. A cette chaleur s'ajoutait l'odeur épouvantable de mes besoins, bien qu'effectuais à l'autre bout du camion. Après des heures de conduite, le routier s'arrêta, vraisemblablement pour la nuit. J'avais soif. Ma soif d'aventure était rassasiée au détriment de mon gosier. Je m'endormis, exténué. Lorsque je me réveillai, je crûs rêver ! Un pain au chocolat et une bouteille de lait étaient posés devant moi. Mon premier réflexe fût de me retourner. Personne. Je parcourus rapidement la remorque des yeux, rien! J'avais beau être croyant, je ne pensais pas à une offrande. Il ne pouvait s'agir que de lui. Il savait que j'étais là et au lieu de me jeter dehors, il m'aidait. Idiot que j'étais, moi qui pensais être rentré dans le camion inaperçu ! Que faire ? Le rencontrer ou l'éviter ? Je n'eus pas le temps de choisir, le grincement des portes résonna. Un petit homme entra: le chauffeur. Les yeux bleus, cheveux courts, les lunettes sur le nez, il me dévisagea durant quelques secondes puis prit la parole : -Tu es courageux me dit-il, je veux bien te garder 7 jusque dans le Nord de la France mais pour aller au delà, tu devras continuer seul. Je t'apporterai à manger chaque matin et si tu as des besoins urgents, frappe contre la paroi. On se dirige vers Strasbourg où je dois acheter de la marchandise. Lors du chargement, cache toi bien. D'autres questions ? Cette homme était d'un calme et d'un sérieux incroyable. Son regard m'intimidait presque et me rendait honteux de l'avoir gêné dans son travail. -Merci monsieur, je vous promet d'être le plus discret possible. J'aurai juste une question à vous poser. -Je t'écoute me répondit-il. -Pourquoi prenez-vous le risque de m'aider ? Alors qu'il s'apprêtait à refermer les portes de la remorque, il se figea et tout en me fixant me lança : -Autrefois, j'étais comme toi, un clandestin... Sur ces dernières paroles, je mangeai le pain au chocolat et bus quelques gorgées de la bouteille de lait. Après une courte nuit à Strasbourg et un copieux petit déjeuner, on repris la route en direction de Calais. Prendre le Ferry était bien trop dangereux et traverser la manche à la nage suicidaire. Rester l'option de l'Eurostar. Des mois de voyage, des moments horribles et d'autres magnifiques pour tenter le tout pour le tout : prendre le tunnel sous la manche, le train le plus surveillé et protégé d'Europe! Arrivé à Calais, je fis mes adieux au chauffeur et, sans bagage, ni passeport, ni carte d'identité, je me présentais devant la gare de ma liberté. Après une dizaine de minutes de marche, j'étais maintenant à une centaine de mètres de l'entrée. Alors que je m'avançais pour chercher une brèche dans la sécurité, je vis un homme, habillé en bleu, fumant une cigarette dans une petite ruelle. Un contrôleur ! Cela peut paraître étonnant, mais à ce moment précis, je n'ai pas réfléchi. Approchant discrètement par derrière, je le frappai trois fois dans les côtes. Il n'était pas mort, juste blessé. Transportant le corps dans l'ombre, j'échangeai rapidement nos vêtements et m'éclipsai. J'avais maintenant des papiers et un uniforme. En étant sérieux et sans me faire remarquer, je pouvais espérer... L'endroit était gigantesque ! Des milliers de gens attendaient leur train dans un vacarme assourdissant. Tant mieux ! Je marchai normalement même si mon excitation me demandait de courir. Une fois passée la queue, il me fallait désormais attendre le train. Voyant mes «collègues» regarder les papiers des voyageurs, j'entrepris moi même une périlleuse vérification. Par chance, les rares personnes que je contrôlai, n'était pas française mais anglaise. Mon accent pitoyable me valut quelques rires ce qui eut le don de me détendre. Alors que le train entrait en gare, une voix se fit entendre : -Arrêtez le, arrêtez le ! Mon sang ne fit qu'un tour et les battements de mon cœur s'accélérèrent. Lorsque que je me retournai, une dizaine d'agents de sécurité couraient dans ma direction. Je me dépêchai de rentrer dans le train et m'enfermai dans les premières toilettes que je trouvai. Rien. Personne ne m'avait suivi. La peur au ventre, je sorti des W-C. Aucun agent. Peu avant le départ de l'Eurostar, je lançai un dernier regard par la porte et je vis un autre clandestin par terre, pleurant, criant, se débattant. C'était lui qu'il poursuivait... A la fois triste pour cet homme mais heureux de ma réussite, je me rendis compte de la chance que j'avais. Sans ce camion, sans Mohamed, sans ce prêtre et ses amies, sans ce chauffeur et sans ce contrôleur à qui je devais ma liberté, jamais je n'aurais pu espérer arriver en Angleterre. Et le train démarra... Chapitre 5 : Le Royaume-Uni L'Angleterre, terre d'accueil de ma nouvelle vie... Passer la Manche fut très rapide, l'Eurostar est la machine la plus rapide que j'aie jamais utilisée, telle une bête mécanique, elle file à 160 Km/H dans le noir. Je regarde autour de moi, c'est désormais avec ces personnes que j'allais vivre, je me remémore alors tout mon parcours, tout ces pays traversés, toutes ces personnes rencontrées, pour finalement arriver ici, dans ce train, en direction de cette terre d'accueil dont mon père m'a si souvent conté la beauté. A l'instant où je me rendis compte que mon voyage se terminait, que mon rêve d'enfant s'accomplissait, j'aperçus la lumière au bout du tunnel, pour bien des personnes elle signifiait la fin d'une vie, pour moi, cela représentait le commencement de la mienne. 8