La phobie du sang-injection-accident : spécificités

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La phobie du sang-injection-accident : spécificités
L’Encéphale (2013) 39, 326—331
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MÉMOIRE ORIGINAL
La phobie du sang-injection-accident : spécificités
psychophysiologiques et thérapeutiques
Blood-injection-injury phobia: Physochophysiological and therapeutical
specificities
D. Ducasse a,b,c, D. Capdevielle a,b,c, J. Attal a,b,c, A. Larue a,b,c,
A. Macgregor a,b,c, M. Brittner a,b,c, G. Fond a,b,c,∗
a
Inserm U1061 neuropsychiatrie, recherche épidémiologique et clinique, université Montpellier 1, 34000 Montpellier, France
Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), U1061, 34093 Montpellier, France
c
Service universitaire de psychiatrie adulte, hôpital La Colombière, CHU de Montpellier, 39, avenue Charles-Flahault,
34295 Montpellier cedex 05, France
b
Reçu le 4 avril 2012 ; accepté le 27 juin 2012
Disponible sur Internet le 25 septembre 2012
MOTS CLÉS
Phobie du sanginjection-accident ;
Syncope vasovagale ;
Traitement ;
Peur ;
Dégoût ;
Thérapie cognitive et
comportementale ;
Tension ;
Relaxation
∗
Résumé Soixante-quinze pour cent des patients présentant une phobie du sang-injectionaccident (PSIA) présentent des pertes de connaissance lors de l’exposition aux stimuli
phobogènes. Cette spécificité aurait des implications médicales importantes (pathologies somatiques non diagnostiquées et non traitées) responsables d’un coût individuel et social. Ses
mécanismes psychophysiologiques sont peu connus et les données de la littérature concernant les thérapeutiques n’ont pas fait l’objet d’une revue à notre connaissance. Synthèse
des mécanismes psychophysiologiques à l’œuvre dans la PSIA : la spécificité psychophysiologique de la PSIA est la survenue d’une syncope vasovagale biphasique. La vision du stimulus
phobogène est suivie de l’apparition d’une émotion de peur et de l’activation du système sympathique. L’émotion de dégoût serait secondairement associée à la stimulation du système
parasympathique qui serait responsable de la perte de connaissance. Une dysfonction circulatoire prédisposante au malaise vasovagal serait présente chez ces patients, même en l’absence
de stimulus phobogène. Plusieurs études suggèrent que les individus présentant une PSIA ont
un plus haut niveau de sensibilité au dégoût. Efficacité des différentes thérapeutiques évaluées dans la PSIA : les techniques de psychothérapie comportementale telles que l’exposition
seule, la relaxation durant l’exposition, la tension durant l’exposition, et la tension seule, ont
démontré leur efficacité, sans différence significative entre les techniques. L’exposition répétée préalable au dégoût ne permettrait pas d’optimiser l’efficacité de l’exposition. Nous avons
montré les spécificités psychophysiologiques de la PSIA. Leur compréhension est nécessaire pour
développer des techniques spécifiques visant à améliorer le pronostic de ce trouble.
© L’Encéphale, Paris, 2012.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (G. Fond).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2012.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2012.06.031
La PSIA : spécificités psychophysiologiques et thérapeutiques
KEYWORDS
Blood-injection-injury
phobia;
Vasovagal syncope;
Treatment;
Fear;
Disgust;
Cognitive behavioral
therapy;
Tension;
Relaxation
327
Summary
Introduction. — Seventy-five percent of patients with blood-injection-injury phobia (BII-phobia)
report a history of fainting in response to phobic stimuli. This specificity may lead to medical
conditions remaining undiagnosed and untreated, incurring considerable cost for the individual
and society. The psychophysiology of BII-phobia remains poorly understood and the literature
on effective treatments has been fairly sparse.
Aims of the systematic review: to synthesize the psychophysiology of BII-phobia and to propose a systematic review of the literature on effectiveness of different treatments evaluated
in this indication.
Results. — Firstly, the most distinct feature of the psychophysiology of BII-phobia is its culmination in a vasovagal syncope, which has been described as biphasic. The initial phase involves
a sympathetic activation as is typically expected from fear responses of the fight-flight type.
The second phase is characterized by a parasympathetic activation leading to fainting, which is
associated with disgust. Subjects with syncope related to BII-phobia have an underlying autonomic dysregulation predisposing them to neurally mediated syncope, even in the absence of
any blood or injury stimulus. Many studies report that BII-phobic individuals have a higher level
of disgust sensitivity than individuals without any phobia. Secondly, behavioral psychotherapy
techniques such as exposure only, applied relaxation, applied tension, and tension only, have
demonstrated efficacy with no significant difference between all these techniques. The disgust
induction has not improved effectiveness of exposure.
Conclusion. — We have explained the psychophysiology of BII-phobia, the understanding of which
is required to study and validate specific techniques, in order to improve the prognosis of this
disorder, which is a public health issue.
© L’Encéphale, Paris, 2012.
La phobie spécifique du sang-injection-accident (PSIA)
est définie selon le DSM IV-TR [1] comme une « peur persistante et intense, à caractère irraisonné ou excessive (que
le sujet reconnaît comme tel), déclenchée par la présence
ou l’anticipation de la confrontation à du sang, un accident,
une injection, ou toute procédure médicale » et responsable
d’un évitement des situations phobogènes. Le traitement
de première intention selon la Haute Autorité de santé est
actuellement un traitement psychothérapique par thérapie
cognitive et comportementale (TCC) comprenant une thérapie d’exposition, avec un nombre total de 12 à 25 séances
de 45 minutes [2]. Aucun traitement médicamenteux n’a
apporté la preuve de son efficacité [2].
L’objectif de la présente revue est d’effectuer une synthèse sur la clinique, les mécanismes psychophysiologiques
et l’efficacité des traitements de la PSIA.
Clinique de la phobie du
sang-injection-accident
Ce sous-type de phobie spécifique aurait une forte agrégation familiale [3] et est caractérisée par une réponse
vasovagale intense [1]. La prévalence sur la vie entière de
la PSIA aux États-Unis varie de 3,5 % [4] et jusqu’à 4,9 % pour
les femmes [5]. En France, la prévalence sur la vie entière
des phobies spécifiques varie de 6,8 % pour les hommes à
16 % pour les femmes [6], mais aucune étude épidémiologique n’a évalué la prévalence de la PSIA. La PSIA se
différencie des autres phobies spécifiques par la présence
de perte de connaissance en réponse au stimulus phobogène dans 75 % des cas [7]. Cette conséquence aggrave
l’évitement des situations phobogènes, ce qui peut amener
à une négligence des patients quant à leur prise en charge
en soins médicaux somatiques [7]. D’où l’enjeu majeur du
traitement de la PSIA, dont les particularités psychophysiologiques conduisent à des spécificités dans l’approche
thérapeutique en TCC.
Mécanismes psychophysiologiques à l’œuvre
dans la phobie du sang
Le malaise vagal est une perte de connaissance complète
et brève, d’apparition progressive, avec prodromes de
quelques minutes (sueurs, nausées, bourdonnements
d’oreille) [7].
La particularité psychophysiologique de la PSIA comparativement aux autres phobies spécifiques est la survenue
d’une syncope vasovagale biphasique [7,8].
La première phase est caractérisée par une augmentation de la tension artérielle et une tachycardie, suite à une
activation du système sympathique, classiquement décrite
dans les autres types de phobies spécifiques [3]. Il existe
néanmoins une seconde phase caractéristique de la PSIA,
composée d’une bradycardie et une hypotension artérielle
conduisant à une diminution du débit sanguin cérébral et
une perte de connaissance [9—11]. Cette seconde phase est
un phénomène unique dans le cadre des troubles anxieux
[9]. Cette diminution rapide de la fréquence cardiaque est
présente uniquement en réponse à une émotion de dégoût
et n’est pas décrite en réaction à une émotion de peur isolée [10]. Or, l’émotion de dégoût serait reliée à l’activité
du système nerveux parasympathique [12,13]. Les individus
présentant une PSIA auraient en effet un plus haut niveau de
328
sensibilité au dégoût, sensibilité qui jouerait un rôle important dans son déclenchement et son maintien [14,15].
La perte de connaissance survient par le même processus physiologique et psychologique que le dégoût et n’est
pas liée à la peur [11]. En présence du stimulus phobogène,
le haut niveau de sensibilité au dégoût indique une forte
tendance à la perte de connaissance, et est responsable du
développement de la PSIA [11].
De ce fait, lors de la vision du stimulus phobogène, le
sujet présentant une PSIA active son système sympathique
suite à une émotion de peur, puis l’émotion de dégoût
stimule secondairement le système parasympathique [11].
Il existe ainsi une hyperactivité du tonus vagal, résultat
opposé à ce que l’on observe généralement dans les troubles
anxio-phobiques, à savoir une diminution du tonus vagal
[16,17].
Une revue de la littérature récente suggère que le dégoût
est un élément central dans la PSIA, et qu’une sensibilité
élevée au dégoût pourrait être considérée comme un facteur
de risque (pour revue, [12]).
Les études d’imagerie cérébrale fonctionnelle ont mis en
évidence que le cortex préfrontal médial (incluant le cortex préfrontal dorsolatéral et dorsomédial) serait impliqué
dans les stratégies cognitives de régulation émotionnelle
[13]. Sa partie ventrale serait impliquée dans l’identification
de la signification émotionnelle du stimulus, la production
d’état émotionnel et la régulation émotionnelle automatique [14], alors que sa partie dorsale serait impliquée dans
l’effort conscient de régulation émotionnelle [18,19]. Une
étude contrôlée de 2007 [15] a mis en évidence une diminution de l’activité du cortex préfrontal médial chez les
patients présentant une PSIA, qui pourrait être responsable
d’une diminution de la régulation inhibitrice sur certaines
régions limbiques, comme l’amygdale [20]. Par conséquent,
les sujets présentant une PSIA ne différeraient pas des
témoins lors de l’exposition sur le plan de l’activation des
régions cérébrales impliquées dans les processus émotionnels (comme l’amygdale), alors qu’ils présenteraient une
activation plus faible du cortex préfrontal médial, ce qui se
traduirait cliniquement par une réponse émotionnelle plus
forte [15]. Par ailleurs, la réduction de l’activité de la partie ventro-médiale du cortex préfrontal chez les patients
présentant une PSIA n’est pas limitée aux situations phobogènes, mais est aussi présente dans des situations entraînant
une émotion de dégoût [15]. Enfin, les patients PSIA présenteraient une activation occipitale plus forte dans le gyrus
cuneus droit et le gyrus lingual en présence du stimulus
phobogène [21].
Une dysfonction circulatoire prédisposerait les patients
avec PSIA au malaise vagal, même en dehors de toute stimulation phobogène [3]. Par ailleurs, la forte composante
familiale et le faible taux de comorbidités psychiatriques
[3] va dans le sens d’une dysfonction du système nerveux
autonome à l’origine des pertes de connaissance [3].
Efficacité des techniques de thérapie
cognitive et comportementale dans la phobie
du sang-injection-accident
Nous présentons ici les techniques ayant démontré leur
efficacité dans le traitement de la PSIA (portant sur
D. Ducasse et al.
des échantillons de 16 à 39 adultes sur une durée de six
à 12 mois) [22—27] (Tableau 1). La peur, l’anxiété et
l’évitement ont été évalués par auto-questionnaires : Fear
Survey Schedule-III (FSS-III) [18] (version française : Échelle
des Peurs FSS III [19]), Injection Phobia Scale (IPS) [28] et
le Fear-Questionnaire (FQ) [29] (version française : Questionnaire des Peurs [30]), Mutilation Questionnaire (MQ)
[22] (nous avons indiqué les questionnaires qui ont fait
l’objet d’une étude de validation en français). Le test
d’exposition était le visionnage d’une vidéo de chirurgie thoracique durant 30 minutes accompagnée d’une évaluation
de la sensation de malaise (cotée de 0 à 4). Les mesures physiologiques telles que la tension artérielle et la fréquence
cardiaque ont été relevées. Le critère de jugement principal de l’efficacité de la thérapie était défini par le visionnage
des 30 minutes de la vidéo, avec amélioration de l’anxiété
et absence de malaise.
Les techniques classiques de thérapie
cognitive et comportementale centrées
appliquées à la phobie du
sang-injection-accident
Les études évaluant les techniques d’exposition seule,
de relaxation durant l’exposition, de tension durant
l’exposition, et de tension seule ont démontré une efficacité importante (amélioration globale d’environ de 70 à
80 % des patients) [7] sans différence significative entre les
techniques.
L’exposition seule
L’exposition à l’objet ou à la situation anxiogène est une
technique validée dans le traitement des troubles anxieux
[23]. Cette technique a été logiquement utilisée dans le traitement de la phobie du sang, sans utiliser de technique de
diminution de la peur.
Relaxation durant l’exposition
Elle suit le principe de la technique de relaxation progressive
[24], qui utilise des séquences répétées de tension brève sur
différents groupes musculaires, suivi d’un relâchement de la
tension. Cette technique a été démontrée efficace dans le
traitement des phobies spécifiques, où elle est utilisée pour
faire face aux situations anxiogènes [25].
Tension durant l’exposition
Cette technique, décrite par Kozak et Montgomery en 1981
[26], consiste à apprendre au patient à reconnaître les premiers signes évoquant une chute de la pression artérielle
lors de la confrontation avec le stimulus phobogène, et
enseigner une méthode visant à contrebalancer la chute
tensionnelle. Ainsi, lors de l’exposition, le patient sera
capable d’inverser la diminution de la pression artérielle,
d’augmenter le retour veineux, et donc le débit sanguin
cérébral pour éviter la perte de connaissance. Le patient
applique pour cela une tension musculaire au niveau des
La PSIA : spécificités psychophysiologiques et thérapeutiques
329
Tableau 1 Études contrôlées randomisées évaluant les techniques d’exposition seule (E), de relaxation durant l’exposition (AR),
de tension durant l’exposition (AT), et de tension seule (T), chez des patients souffrant de phobie du sang-injection-accident.
L’amélioration clinique a été évaluée en post-traitement et à six mois. L’amélioration évaluée par auto-questionnaires, test
comportemental et mesures physiologiques a été réalisée en post-traitement et à un an. Seules les différences significatives
entre les groupes et les pourcentages d’amélioration clinique sont précisés.
Auteur-date
Taille de l’échantillon
Intervention
Résultats
Hellstrom et al., 1996 [31]
30 patients
AT1 : 1 session (10 patients)
AT5 : 5 sessions (10 patients)
T : 1 session (10 patients)
Amélioration dans les 3 groupes
sur tous les critères sauf les
mesures physiologiques
(amélioration clinique
respectivement 50 % et 60 % pour
AT5, 0 et 70 % pour AT1, 30 et 60 %
pour T)
Ost et al., 1984 [25]
16 patients
E : 9 sessions (9 patients)
AR + AT (7 patients)
Amélioration dans les 2 groupes
sur tous les critères
Auto-questionnaires : E plus
efficace que AR + AT pour MQ et
FSS seulement
Ost et al., 1989 [42]
30 patients
AT : 5 sessions (10 patients)
AR : 9 sessions (10 patients)
AR + AT : 10 sessions
(10 patients)
Ost et al., 1991 [43]
30 patients
AT : 5 sessions (10 patients)
E : 5 sessions (10 patients)
T : 5 sessions (10 patients)
Amélioration sur tous les critères
dans les 3 groupes (amélioration
clinique respectivement 90 % et
90 % pour AT, 60 et 70 % pour AR,
70 et 70 % pour AT + AR)
Amélioration dans les 3 groupes test comportemental : AT et T plus
efficaces que E (amélioration
clinique respectivement 90 % et
100 % pour AT, 40 et 50 % pour E,
80 et 90 % pour T)
Ost, 1992 [28]
39 patients
E1 : 1 session (20 patients)
E5 : 5 sessions (19 patients)
bras, jambes et muscles thoraciques, et la maintient jusqu’à
ce qu’une sensation de chaleur arrive au visage (environ 15 à
20 secondes). Après une pause de 20 à 30 secondes durant
laquelle le patient arrête la tension (mais sans pour autant
se relaxer), il la reproduit une nouvelle fois. Cette procédure est répétée cinq fois. Pas ailleurs, le patient doit
effectuer comme tâche à domicile cinq cycles de tensionrelâchement, cinq fois par jour [27].
Tension seule
Cette technique consiste à s’entraîner à appliquer une tension au niveau des bras, jambes et muscles thoraciques,
en l’absence de situation phobogène, dans le but d’être
capable d’augmenter sa pression artérielle en cas de nécessité. Aucune confrontation à la situation phobogène n’est
effectuée. En revanche, la technique est mise en application
lors de manœuvres orthostatiques qui créent une diminution
temporaire de la pression artérielle. Le but est de parvenir
à augmenter sa tension artérielle de 15 mmHg [31].
Amélioration dans les 2 groupes
sur tous les critères sauf les
mesures physiologiques
(amélioration clinique
respectivement 80 % et 90 % pour
E1, 79 et 84 % pour E5)
Une nouvelle technique centrée sur l’émotion
de dégoût
Des études récentes comparant la diminution de la peur et
du dégoût lors des expositions répétées aux stimuli phobogènes dans la PSIA ont montré que la pente décroissante de
l’émotion de peur était beaucoup plus importante que celle
du dégoût [32]. Cela suggère que l’émotion de dégoût dans
la PSIA serait beaucoup plus résistante à l’extinction que
la peur, et cibler l’émotion de dégoût pourrait amener de
meilleurs résultats [33].
Olatunji et al., en 2012 [33] ont mené un essai contrôlé
randomisé incluant 39 patients souffrant de PSIA. Un groupe
était exposé de façon répétée à l’émotion de dégoût à travers des vidéos de vomissement, alors que l’autre groupe
était exposé à de façon répétée à une émotion neutre à travers des vidéos de cascades d’eau. Puis, les deux groupes
étaient exposés à des stimuli phobogènes de sang/injection.
Les outils de mesure utilisés étaient l’IPS, l’ADIS IV (Anxiety
Disorders Interview Schedule for DSM IV) [34], le DS-R
330
(Disgust Sensitivity Scale-Revised) ([35] ; modifié par [32])
(pas de version française validée), le STAIT-T (State-Trait
Anxiety Inventory-Trait Version) [36] (version française :
Inventaire d’Anxiété Trait-État de Spielberger-STAI [37]), le
MDES (Modified version of Differential Emotions Scale) [38]
(version française : Échelle des Émotions Différentielles IV
[39]). L’intensité des émotions de peur et de dégoût a diminué significativement dans les deux groupes. Cependant,
l’hypothèse des auteurs n’a pas été confirmée, le groupe
bénéficiant de l’exposition répétée au dégoût ne montrant
pas d’amélioration supérieure significative par rapport au
groupe témoin.
Discussion
Nous avons vu les mécanismes psychophysiologiques qui
différencient la PSIA des autres phobies spécifiques. Les
techniques basées sur l’augmentation artificielle de la tension artérielle lors de l’exposition au stimulus phobogène
ont montré des résultats équivalents, avec une bonne efficacité (70 à 80 %). Cependant, l’exposition et la tension
durant l’exposition pourraient agir par des mécanismes physiologiques différents, la relaxation réduisant l’activation
sympathique de la première phase, et la tension diminuant
le tonus parasympathique de la seconde phase, augmentant
ainsi la pression artérielle et la fréquence cardiaque, et prévenant donc la perte de connaissance [7]. Les résultats sont
pourtant comparables à l’exposition seule, ce qui suggère
l’inefficacité de ces techniques spécifiques dans la PSIA.
Nous rappelons cependant que ces résultats concernent de
petits effectifs (moins de 40 patients).
Powers et Telch soulèvent le fait que la tension durant
l’exposition et la relaxation durant l’exposition peuvent
être vues comme des conduites d’évitement empêchant une
exposition totale à la situation phobogène, ce qui pourrait
diminuer l’apprentissage de l’expérience et de l’habituation
inhérent aux techniques d’exposition in vivo [40]. Cependant, utiliser des stratégies pour faire face à la perte de
connaissance peut aider à faciliter l’exposition initiale à la
situation phobogène, chez ces patients souvent réticents à
s’exposer du fait des conséquences vasovagales [41].
Olatunji et al. [33] ont proposé le travail sur l’émotion
de dégoût dont nous avons vu l’importance spécifique dans
la PSIA. Ces auteurs n’ont néanmoins pas pu démontrer un
intérêt d’une exposition préalable à l’émotion de dégoût.
Cependant, les patients ayant été soumis à une exposition
répétée au dégoût ont présenté des émotions de peur plus
intenses lors des expositions aux stimuli phobogènes. Les
deux groupes ayant des taux de réponse à la thérapie comparables, les auteurs concluent que des niveaux émotionnels
de peur élevés lors de l’exposition ne sont pas nécessaires
(ni suffisants) pour optimiser l’efficacité de l’exposition
[33]. De ce fait, malgré une résistance plus importante de
l’émotion de dégoût, il ne paraît pas utile d’effectuer une
exposition préalable à des stimuli déclenchant cette émotion.
Limites
Ces études ont de faible taille d’échantillons, ce qui limite
l’analyse des facteurs démographiques (comme l’âge, le
D. Ducasse et al.
sexe, l’origine ethnique, l’éducation, ou le statut socioéconomique). Par ailleurs, trois études [23—25] ont inclus des
patients traités par anxiolytiques.
Conclusion
La PSIA est une phobie spécifique peu étudiée, malgré
ses implications médicales importantes (pathologies somatiques non diagnostiquées et non traitées), responsables
d’un coût individuel et pour la société. Les techniques
de psychothérapie comportementale telles que l’exposition
seule, la relaxation durant l’exposition, la tension durant
l’exposition, et la tension seule, ont démontré une bonne
efficacité, sans différence significative entre les techniques. Nous recommandons la technique de tension durant
l’exposition, qui est la plus étudiée. L’exposition répétée
préalable au dégoût ne permettrait pas d’optimiser cette
efficacité.
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