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2 En voiture Simone, EN QU ÊTE DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 72E ANNÉE - NO 22157 2,40 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO 2,40 € WEEK•END Blablacar, rouler tranquille avec des inconnus ans, Depuis dix nes des centai de milliers de gens nt covoiture car. avec Blabla Un précipité de la Franceacle dans l’habit Leila, Viviane, Laurent,, Ali, Noé Sofia, èle, Gis Enrique … 4 INT ERV IEW ri Jérémy Ferrare ode lib Nuit debout, la gauche des indignés contre le PS ▶ La mobilisation du mou- ▶ Né de la contestation contre le projet de loi El Khomri, il va désormais bien au-delà et refuse tout cadre institutionnel vement Nuit debout s’étend à tout le pays. Une nouvelle manifestation contre la « loi travail » est prévue samedi ▶ Nuit debout n’entend pas ▶ Le mouvement est radica- ▶Le rassemblement désigner des leaders, chacun parle en son nom et se méfie par-dessus tout des récupérations politiques lement hostile au Parti socialiste, qui voit s’installer cette gauche spontanée avec une réelle inquiétude ressemble à celui des « indignés » espagnols, qui a prouvé qu’il était pérenne Panama papers PATRIMOINE LE PARADIS FISCAL, ANTICHAMBRE DES DIVORCES « SORTIR DU CLIMAT D’OPACITÉ ET D’IMPUNITÉ GÉNÉRALISÉE » Par THOMAS CINÉMA LES COMPTES CLANDESTINS DES FRÈRES ALMODOVAR PIKETTY ▶ La cérémonie des « papers » FRAUDE LA COMMISSION EUROPÉENNE DURCIT LE TON ne fait que commencer, par William Bourdon ▶ Les nouvelles révélations changeront-elles quelque chose ?, par Jonas Lüscher L IRE PAG ES 6-7 DÉBATS – LIR E PAGE S 2 4 - 2 5 Le 3 février 2016 PHOTO : ALBERT FACELLY/DIVERGENCE IMAGES P OLI T I QU E – LIR E PAGE 8 François Fillon « Il sera difficile pour Sarkozy de se présenter » LIR E PAGE 9 Yémen Cessez-le-feu dans un pays en ruine LIR E PAGE 2 Géopolitique Erdogan joue sur l’Europe pour s’imposer LIR E PAGE S 2 0 - 2 1 Mediaset Bolloré et Berlusconi, pour un « Netflix européen » LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 8 Attentats Arrestation décisive d’un suspect en Belgique Télévision Carton plein pour les séries C inq mois après les attentats de Paris, et plus de deux semaines après ceux de Bruxelles, la police belge continue de démêler l’écheveau de la filière terroriste qui a semé la mort dans les deux capitales. Cinq suspects ont été interpellés, vendredi 8 avril à Bruxelles, à l’issue d’un coup de filet qui représente une avancée majeure pour l’enquête. Parmi eux figure Mohamed Abrini, l’homme le plus recherché d’Europe depuis l’ar- restation, le 18 mars, de son complice présumé Salah Abdeslam : deux personnages-clés désormais à la disposition de la justice des deux pays. Considéré comme le onzième homme des commandos du 13 novembre 2015, Mohamed Abrini, un Belgo-Marocain de 31 ans, est aussi soupçonné d’avoir joué un rôle actif dans les attentats de Bruxelles. Les enquêteurs belges suspectent ce membre de la bande de Molenbeek d’être l’« homme au chapeau », le troisième terroriste filmé par la vidéosurveillance de l’aéroport de Zaventem le matin du 22 mars. Accompagnant les deux kamikazes, cet homme non encore formellement identifié avait déposé un sac bourré d’explosifs avant de disparaître. L’ADN d’Abrini a en tout cas été retrouvé dans deux planques du quartier de Schaerbeek utilisées par les terroristes. soren seelow → LIR E L A S U IT E PAGE 1 0 Arts premiers Les Marquises en majesté Le Musée des Arts premiers consacre, pour la première fois, une grande exposition à l’histoire et à la culture millénaires de l’archipel des îles Marquises. Totems de basalte et tatouages ethniques, tambours et danses, récits et légendes longtemps combattus par les missionnaires français : une fascinante cosmogonie magnifiée quai Branly, à Paris, à partir du 12 avril. LIR E PAGES 1 4 - 1 5 Les séries représentent « ce qui s’est passé de plus passionnant dans l’élaboration des histoires », assure John Truby, « script doctor » et consultant des grands studios. « Séries Mania » propose, au Forum des images, à Paris, une série de projections gratuites du 15 au 24 avril. UN JUGE CHERCHE LES COUPABLES. SA FILLE LA VERITÉ. “UN FILM PASSIONNANT !” LE MONDE “INTENSE, AMBITIEUX ET FÉMINISTE.” POSITIF “NOTRE COUP DE COEUR !” LE FIGARO LIR E PAGE S 1 6 - 1 7 1 ÉD ITO R IAL Noix de coco sculptée. C. GERMAIN /MUSÉE LE PAPE, OU LE DOGME SANS DOGMATISME → LI R E P A G E 26 AU CINÉMA LE 13 AVRIL DU QUAI BRANLY Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2| INTERNATIONAL 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Un immeuble détruit par les bombardements à Taëz, le 14 mars. ANEES MAHYOUB Le grand bond en arrière du Yémen Plus d’un an après l’intervention de la coalition arabe, la crise humanitaire fait rage dans le pays Des millions de personnes sont menacées de famine, selon le Programme alimentaire mondial pétrole et les médicaments », rappelle une diplomate européenne. Aujourd’hui, le blocus naval partiel, imposé au pays par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, la destruction des installations portuaires par les bombardements et les combats, notamment à Hodeïda, et les difficultés de la Banque centrale yéménite, qui découragent les établissements financiers internationaux de travailler avec les marchands livrant encore des denrées alimentaires dans ces ports, ont créé des pénuries graves et durables. Des millions de personnes sont menacées de famine, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). En février, les importations de carburant couvraient à peine 15 % des besoins du pays, selon Mme Ferhan, ce qui signifie des manques dans les hôpitaux, pour le pompage de l’eau et le transport de la nourriture. Depuis le début de l’intervention de la coalition saoudienne, le conflit au Yémen a fait plus de 6 300 morts, dont une moitié de civils, selon les Nations unies. Dans les zones de combat, les armes explosives (roquettes, bombes, mortiers) ont fait 36 000 blessés depuis un an, d’après Handicap international. L’organisation s’attache à cartographier les champs de mines du nord du pays, afin de pouvoir en activer le lent déminage, au terme du conflit. Les structures de santé manquent cruellement pour soigner ces blessés : la moitié ont été détruites en un an, estime JeanFrançois Corty, directeur des opérations internationales de Médecins du monde (MDM). 173 000 Yéménites exilés En janvier, l’armée saoudienne, qui a multiplié les erreurs de tir au fil du conflit, a reconnu sa responsabilité dans le bombardement d’une structure de Médecins sans frontières (MSF) à Haydan, mené le 26 octobre. Elle a annoncé la création d’une commission d’enquête indépendante sur des incidents similaires. MSF a subi deux autres bombardements dans les trois mois suivants, dans les villes de Taëz et de Razeh. L’organisation Human Rights Watch a par ailleurs affirmé, jeudi, au terme d’une enquête de terrain, que le dernier carnage en date, qui avait provoqué la mort d’au moins 97 civils, dont 25 enfants, sur un marché du district de Mastaba, avait été causé par un avion saou- dien équipé de bombes GBU fournies par les Etats-Unis, alors que plusieurs ONG multiplient les appels à faire cesser les livraisons d’armes à Riyad. L’armée saoudienne, qui envisageait en mars 2015 une campagne rapide, évoque aujourd’hui la fin prochaine de la phase la plus active des combats et, dans le même temps, son intention de poursuivre les opérations jusqu’à la prise de Sanaa, si les négociations politiques échouaient. Malgré le soutien aérien de la coalition, les forces pro-Hadi au sol en sont encore bien loin, et le président en exil se dit, quant à lui, de sources diplomatiques, décidé à encercler la capitale sans y entrer. Surtout, l’armée saoudienne évoque un objectif de « consolidation de l’Etat » yéménite, dont elle estime d’ores et déjà qu’il durera des années. Ce sera un défi économique pour le royaume saoudien, qui a enregistré en 2015 un déficit bud- ARABIE SAOUDITE Zone contrôlée par les houthistes OMAN C ombien d’années faudra-t-il à un Yémen en ruines pour se relever de la guerre qu’y mène, depuis mars 2015, l’Arabie saoudite, à la tête d’une coalition de pays arabes, contre les rebelles houthistes ? Un cessez-le-feu entre les rebelles alliés à l’ancien président Ali Abdallah Saleh, qui s’étaient emparés de l’essentiel du pays entre septembre et mars 2015, et le gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi, en exil à Riyad, doit entrer en vigueur dimanche 10 avril à minuit. S’il est respecté, des négociations s’ouvriront le 18 avril au Koweït avec les rebelles, que l’Arabie saoudite considère comme une tête de pont de l’Iran à sa frontière. Mais quelle que soit l’issue de ces négociations, les répercussions de la crise pèseront durant des années, voire des décennies, sur le pays. « Ce conflit a détruit des années d’investissement humanitaire », estime Hanalia Ferhan, chef de mission de l’ONG Acted dans la capitale, Sanaa, tenue par les houthistes. « En 2012, près d’un enfant sur trois était en situation de malnutrition dans les gouvernorats de Sanaa et d’Hodeïda », un port ouvrant sur la mer Rouge, également aux mains des rebelles. « Juste avant le conflit, début 2015, ce chiffre était tombé à 16 % à la suite du travail qui a été mené. Aujourd’hui, nous sommes revenus à la situation d’avant-guerre. » Or l’antique Arabie heureuse était, dès avant la guerre, le pays le plus pauvre du Proche-Orient. Début 2015, treize millions de personnes y avaient besoin d’une assistance humanitaire, selon les Nations unies. Après un an de conflit seulement, elles sont 21 millions, soit près de 80 % de la population. « Début 2015, le Yémen était, comme une île, dépendant à 90 % de ses importations commerciales pour ses fonctions vitales, notamment les denrées alimentaires, le Haydan YÉMEN Sanaa Hodeïda Taëz Aden DJIBOUTI Moukalla Golfe d’Aden SOMALIE 100 km gétaire record de 87 milliards de dollars (76 milliards d’euros), dû à la baisse des prix du pétrole. Début mars, pour la première fois depuis plus d’une décennie, Riyad cherchait à emprunter entre 6 et 8 milliards de dollars (de 5 à 7 milliards d’euros) pour combler ce déficit. L’écroulement de l’Etat yéménite, à sa frontière sud, présente également pour Riyad un enjeu démographique. Avec une population estimée à 28 millions de personnes, dont près d’un tiers d’étrangers, l’Arabie saoudite hébergeait déjà, en 2015, 583 000 migrants yéménites, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Un chiffre qui a augmenté d’au moins 40 000 personnes depuis le début du conflit. La guerre a fait en un an près de 2,5 millions de déplacés à l’intérieur du Yémen. Elle a poussé 173 000 personnes à l’exil, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), pour l’essentiel dans la péninsule Arabique et la Corne de l’Afrique : à Oman, en Arabie saoudite, à Djibouti, en Somalie. L’arrivée à terme de ces migrants en Europe, à travers le désert soudanais, la Libye puis la Méditerranée, n’est qu’une question de temps. Les premiers migrants yéménites ont été repérés à Lampedusa. p louis imbert La trêve laisse espérer de nouvelles négociations de paix les combats au yémen ne cesseront pas avec le cessez-le-feu qui doit entrer en vigueur dimanche 10 avril. Mais cette trêve, si elle est en partie respectée, ouvre la voie à des négociations de paix entre les rebelles houthistes et le gouvernement d’Abd Rabo Mansour Hadi, les premières ayant une véritable chance de succès depuis l’entrée en guerre de l’Arabie saoudite, en mars 2015, en soutien au président Hadi et contre la rébellion, soupçonnée d’être assistée par l’Iran. De précédents pourparlers, menés en Suisse sous l’égide des Nations unies, avaient échoué en décembre. Ceux qui s’annoncent demeurent dans le cadre de la résolution 2215 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en avril 2015, laquelle prévoit le retrait des rebelles des villes dont ils se sont emparés et la restitution de l’armement lourd saisi. Ils ont été préparés par plusieurs semaines de contacts, à Riyad, entre des représentants des houthistes et de l’Arabie saoudite. Depuis un mois, ces discussions ont permis une accalmie des bombardements et des incursions menées à la frontière saoudienne par les rebelles, alliés aux forces de l’ancien président Ali Abdallah Saleh, ainsi que des échanges de prisonniers. Dans le même temps, les bombardements aériens saoudiens se sont réduits sur la capitale, Sanaa, tenue par les houthistes, et sur leur fief de Saada, au nord. Attitude ambiguë vis-à-vis des djihadistes Il reste cependant de nombreux obstacles. Le 3 avril, le président Hadi, en exil à Riyad, a surpris en limogeant son vice-président et premier ministre, Khaled Bahah, pour nommer à sa place le général Ali Mohsen Al-Ahmar. Cette promotion annonce une volonté de poursuivre l’épreuve de force plus que de négocier. « Les discussions entre l’Arabie saoudite et les houthistes sont une menace pour M. Hadi comme pour M. Saleh, qui tentent d’utiliser la guerre pour restaurer leur légitimité », estime Adam Baron, chercheur in- vité au Conseil européen des relations internationales. Ali Mohsen participe à la planification des opérations contre les rebelles depuis Riyad. Il fut longtemps vu comme un successeur de l’ex-président Saleh. Celui-ci avait été poussé à se retirer de la présidence en 2012, à la suite des mouvements de révolte populaire du « printemps yéménite », laissant place à un gouvernement de transition dirigé par M. Hadi. Le général Mohsen est haï des houthistes, contre lesquels il a mené les guerres du président Saleh durant les années 2000. Il est impopulaire auprès d’une large part de la population, des libéraux aux mouvements autonomistes du sud du pays. Il est en revanche réputé proche de groupes salafistes et des milices du mouvement AlIslah, affilié aux Frères musulmans. Il a maintenu une attitude ambiguë vis-à-vis des djihadistes liés à Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), qui profitent du chaos pour s’ancrer dans l’est du pays. p l. i. international | 3 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Au Tchad, Idriss Déby en route pour un cinquième mandat L’Italie rappelle son ambassadeur au Caire Un vent de protestation souffle à N’Djamena contre le président sortant La version égyptienne du meurtre de l’étudiant Giulio Regeni ne convainc pas Rome rome - correspondant A l’exception de sa santé, éternel objet d’interrogations, Idriss Déby n’a jamais paru aussi fort. Les rébellions qui menaçaient d’emporter son pouvoir se sont mises en sommeil, ses expéditions militaires au Mali puis chez ses voisins nigérians, camerounais et nigériens ont fait de lui le fer de lance de la lutte contre le djihadisme en Afrique. Les pays occidentaux, la France en tête, le considèrent comme l’incontournable pôle de stabilité dans une région traversée par de multiples conflits, et ses homologues africains l’ont désigné en janvier président en exercice de l’Union africaine. Sa réélection pour un cinquième mandat à la tête du Tchad, lors du scrutin prévu dimanche 10 avril, ne fait guère de doute. Pourtant, un vent de protestation inédit souffle sur N’Djamena et la province. Pour Idriss Déby, aux commandes depuis vingt-six ans, le danger ne vient pas de l’opposition qui avance en ordre dispersé, avec 13 candidats. Saleh Kebzabo, l’une de ses principales figures, tente d’espérer que sa troisième candidature à la présidence sera la bonne. « Si la mobilisation dans les meetings se traduit en voix, je serai élu au premier tour. Au minimum, un second tour est inévitable. Partout où je me suis rendu, tout le monde réclame le changement, affirme cet ancien journaliste. Déby n’a que deux solutions pour se maintenir : la fraude et le passage en force. » Cependant, les prospectus imprimés d’un « Déby dégage ! », les slogans « Trop c’est trop » ou « Ça suffit » ne semblent pas ébranler la confiance de Mahamat Hissène, l’un des responsables de la campagne du chef de l’Etat : « Nous sommes partis pour une victoire au premier tour, dit-il. Depuis l’indépendance, aucun prési- Le mouvement de grogne a éclaté après le viol collectif d’une jeune fille par les fils d’un ministre et de généraux dent n’a fait autant de réalisations. Grâce au pétrole [exploité depuis 2003], nous avons construit des routes, des hôpitaux, des écoles, six universités, quintuplé le nombre de fonctionnaires et leur salaire a été doublé. » Reste que certaines de ces écoles ne sont que des bâtisses de paille où les élèves s’assoient sur des briques, et que la chute des cours de l’or noir plombe le budget de l’Etat. Aura internationale Stratège militaire, Idriss Déby a également montré des talents de diplomate pour maintenir son aura internationale, notamment à Paris. L’élection de François Hollande en 2012 avait suscité une vive inquiétude au sein du pouvoir tchadien. La crainte que les socialistes lui fassent payer la disparition, en 2008, de leur « camarade » Ibni Oumar Mahamat Saleh, le porte-parole de l’opposition au pouvoir en place, a été brève. En lançant ses soldats, aux côtés de l’armée française, à l’assaut des djihadistes qui occupaient le nord du Mali en janvier 2013, M. Déby a récupéré sa place de meilleur allié au Sahel. « Le patron de la région, c’est lui, et sa loyauté n’a jamais fait défaut », déclare une source au ministère de la défense. Le président tchadien trouve historiquement ses meilleurs avocats parmi les militaires français – il accueille depuis août 2014 le quartier général de l’opération « Barkhane », chargée de lutter contre les djihadistes dans la bande sahélo-saharienne – mais il dispose aussi de relais au Quai d’Orsay. L’an passé, Laurent Fabius fut son premier défenseur devant les bailleurs de fonds quand le Tchad était à la recherche de facilités de paiement à la suite de la baisse du prix du brut. Fort en dehors de ses frontières, M. Déby a cependant été surpris par un mouvement de grogne qu’il n’a pas vu venir. Celui-ci a éclaté le 13 février avec la diffusion, sur les réseaux sociaux, du viol collectif d’une jeune fille, Zouhoura, par les fils d’un ministre et de généraux. Aussitôt, dans N’Djamena et plusieurs villes de province, les esprits se sont enflammés et la rue s’est soulevée. L’affaire a été un révélateur des malaises de la société tchadienne : le ras-le-bol face à l’impunité des proches du pouvoir, la rancœur face à la mainmise des Zaghawa – la communauté du chef de l’Etat – sur les meilleurs postes et les meilleures affaires, la cherté de la vie, la corruption, la frustration de la jeunesse dans un pays où les deux tiers de la population a moins de 25 ans. Idriss Déby a réagi promptement. Les violeurs ont officiellement été envoyés à la prison de Karotoro, un bagne dans le désert, mais la répression des manifestations a été brutale. Les ONG évoquent au moins deux morts. Depuis, des organisations de la société civile et des syndicats tentent d’entretenir la mobilisation. Cinq de leurs dirigeants ont été placés derrière les barreaux. Le parquet de N’Djamena a requis, le 7 avril, six mois de prison ferme à l’encontre de quatre d’entre eux. Leurs soutiens ont été violemment dispersés. Idriss Déby tient toujours fermement le pouvoir, mais des lézardes sont apparues dans la citadelle. p cyril bensimon LES DATES Q 1990 Idriss Déby renverse le président Hissène Habré avec l’appui de la France, du Soudan et de la Libye. 1996 Election d’Idriss Déby à la présidence lors du premier scrutin pluraliste. 2003 Le Tchad devient exportateur de pétrole. 2005 Révision de la Constitution qui supprime la limitation du nombre de mandats présidentiels. 2008 Des colonnes rebelles parties du Soudan entrent dans N’Djamena. Le pouvoir les repousse avec le soutien de la France. 2013 Le Tchad envoie son armée combattre les groupes djihadistes au Mali. Deux ans plus tard, elle intervient au Cameroun, au Nigeria et au Niger pour lutter contre Boko Haram. uarante-huit heures pour rien. La visite de deux jours à Rome des magistrats égyptiens chargés de l’enquête sur la disparition et le meurtre de Giulio Regeni, un étudiant italien de 28 ans disparu près de son domicile du Caire le 25 janvier dernier et dont le corps torturé a été retrouvé le 3 février, a tourné au fiasco. Le dossier de 3 000 pages présenté par les enquêteurs cairotes n’a pas convaincu leurs homologues de Rome. « Après la rencontre des magistrats à Rome, l’Italie a décidé officiellement de rappeler son ambassadeur pour consultations », a annoncé le président du Conseil, Matteo Renzi, vendredi 8 avril, sur Twitter. « Nous voulons une seule chose : la vérité sur Giulio Regeni », a relayé, toujours sur Twitter, le ministre des affaires étrangères, Paolo Gentiloni. Une manière de souligner que celle-ci n’était toujours pas atteinte. « Aucun élément » Dans un communiqué du parquet de Rome, le procureur chargé de l’enquête en Italie a expliqué que la délégation égyptienne avait remis les relevés téléphoniques de deux amis italiens de l’étudiant qui se trouvaient au Caire au moment de sa disparition, ainsi que des photos prises le jour de la découverte du corps. Mais il ne précise pas si les magistrats italiens ont pu avoir accès aux images de vidéosurveillance aux alentours du domicile du jeune homme. Après avoir présenté l’assassinat de Giulio Regeni comme un « accident de la route », puis comme « un crime sexuel » et enfin comme « un règlement de comptes personnel », Le Caire pensait avoir fourni la version la plus crédible en affirmant avoir découvert un réseau de kidnappeurs qui détenait encore les papiers d’identité et l’argent de l’étudiant italien. Une ex- plication d’autant plus commode que tous les membres de cette bande ont été tués par la police lors d’une descente dans leur repaire. En réponse, le procureur italien a redit sa conviction qu’il n’y avait « aucun élément liant directement le gang aux tortures et à la mort de Giulio Regeni ». Pour les magistrats, la presse, les amis du jeune homme et le gouvernement italien, tout porte à croire, en effet, que la mort de l’étudiant de l’université de Cambridge – qui poursuivait un travail sur les syndicats égyptiens – est à mettre sur le compte des services secrets, qui ont vu en lui un ennemi du régime. Le ministère égyptien des affaires étrangères a feint de ne pas comprendre la décision de Rome. Son porte-parole, Ahmed Abou Zeid, a indiqué vendredi soir que Rome n’avait pas officiellement notifié sa décision au Caire et a dit attendre le retour de sa délégation pour « évaluer complètement la situation ». L’Italie peut-elle aller plus loin dans son exigence de vérité sur la disparition de Giulio Regeni ? Deuxième partenaire commercial de l’Egypte – avec 4,3 milliards d’euros d’échanges –, l’Italie entretenait d’excellentes relations avec le régime du président Abdel Fattah Al-Sissi, en qui elle voyait un partenaire pour la stabilisation de la Libye. De plus, l’ENI, la compagnie pétrolière nationale – qui passe pour être le véritable ministère des affaires étrangères italien – a découvert en août 2015 en Egypte un gigantesque gisement de gaz. Ces intérêts diplomatiques et énergétiques pèsent lourd dans ce dossier et risquent de freiner d’autres initiatives, même si Matteo Renzi a promis que « l’Italie ne s’arrêtera que face à la vérité » et que la mère de la victime a promis de révéler la photo de son fils supplicié si l’enquête demeurait enlisée. p philippe ridet avec hélène sallon Au Danemark, la traque aux soutiens des réfugiés stockholm - correspondance «VERTIGINEUX» F olivier truc TÉLÉRAMA ACTUELLEMENT EN e-CINÉMA EXCLUSIVEMENT SUR VOS SERVICES DE VIDÉO À LA DEMANDE CRÉATION aut-il y voir la nouvelle échelle des valeurs au Danemark ? Mercredi 6 avril, un Danois a payé une amende de 5 000 couronnes (670 euros) afin d’éviter un procès. Le 7 septembre, en pleine crise des réfugiés, il avait craché depuis un pont sur un groupe de migrants qui marchait sur une route danoise. L’homme, surpris en pleine action par un photographe, les avait aussi insultés et leur avait fait un doigt d’honneur. Le 11 mars, une Danoise, Lisbeth Zornig Andersen, et son mari ont été jugés coupables de trafic d’êtres humains par le tribunal de Nykobing Falster et condamnés chacun à verser 22 500 couronnes (3 000 euros) pour avoir aidé, également le 7 septembre, une famille de Syriens à entrer au Danemark en voiture. Dans ce pays où l’extrême droite monnaye depuis quinze ans son soutien à la minorité gouvernementale de droite au prix de l’une des législations les plus strictes d’Europe, où la police peut saisir les bijoux des demandeurs d’asile, de nombreux Danois en ont eu assez. Benjamin Koppel, un musicien de jazz, a lancé une collecte, « J’AI HONTE DES s’insurgeant contre le fait que « la décence commune a été criminalisée ». SIGNAUX QU’ENVOIE Un groupe Facebook qui rassemble 40 000 personnes a été ouvert pour MON PAYS » dire aux réfugiés qu’il existait des LISBETH ZORNIG ANDERSEN Danois amicaux. condamnée pour trafic « J’ai été contactée par l’un des survid’êtres humains vants des Juifs danois sauvés pendant la seconde guerre mondiale. Il est choqué de ce qui se passe », raconte au Monde Lisbeth Zornig Andersen. Elle et son mari ont fait appel de leur condamnation. Six autres Danois ont été condamnés, 300 autres attendent leur jugement. « Le Danemark est divisé en deux, constate-t-elle. Avant, le Danemark était comme la Suède, au top des pays humanitaires. Et puis l’extrême droite est arrivée, les partis ont peur de perdre des voix à leur profit. J’ai honte des signaux qu’envoie mon pays, où il est moins condamnable d’humilier des gens en crachant dessus que de les aider. » La famille syrienne est maintenant réfugiée en Suède. p 4 | international & europe 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Après le non au référendum, Amsterdam cherche la parade Les europhobes rêvent d’un vote sur la sortie des Pays-Bas de l’UE la haye - envoyé spécial L es affiches de la campagne ont disparu des rues de La Haye, comme s’il fallait tourner la page au plus vite. Après la victoire du non au référendum sur l’accord d’association entre l’Union européenne (UE) et l’Ukraine, mercredi 6 avril, les électeurs néerlandais se réjouissent ou redoutent, c’est selon, d’avoir envoyé un signal dévastateur à moins de trois mois du référendum sur le « Brexit » (sortie du Royaume-Uni de l’UE). Le non l’a emporté avec plus de 60 % des suffrages et une participation légèrement supérieure au seuil requis afin de valider la consultation (30 %). Mais les partisans des deux camps n’en tirent pas les mêmes conclusions. « Beaucoup de Néerlandais admirent la discussion en cours au Royaume-Uni, alors que ceux qui défendent la souveraineté nationale sont pris pour des fous sur le continent », observe l’essayiste néerlandais Thierry Baudet, dont le Forum pour la démocratie s’est associé pour l’occasion à Geert Wilders, le patron du Parti pour la liberté (extrême droite), qui caracole en tête des sondages, aux socialistes eurosceptiques et aux activistes du site Geen Stijl (« aucun style »). Le succès de ce front hétéroclite a été salué par les europhobes de tout le continent, à commencer par le Britannique Nigel Farage, chef du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni. Deux jours avant le vote de mercredi, cette figure de proue du « Brexit » est venue faire campagne dans les environs d’Amsterdam. Pour lui, le vote des Néerlandais ne serait que le « hors-d’œuvre » d’un banquet dont la sortie du Royaume-Uni de l’UE doit constituer le « plat de résistance ». Pour Thierry Baudet, tout se tient en effet : « La succession des crises, de la Grèce à l’euro, puis aux réfugiés, démontre que l’Union est un projet mégalomane qui ne tient pas compte des soucis des gens, et dont il faut se libérer. » Doutes de la population Au surlendemain de cet échec, Mark Rutte, le premier ministre à la tête d’une coalition libérale-travailliste, sait bien que le contexte européen n’a fait qu’alimenter les doutes d’une population qui avait déjà renversé la table, en 2005, en votant, tout comme une majorité d’électeurs français, contre la Constitution européenne. Mais il tente, lui, de sauver les apparences, ce vendredi, face à un petit groupe de journalistes. Pour ne pas fragiliser davantage son allié britannique, David Cameron, M. Rutte martèle, sans trop s’étendre, que le vote dans son pays et le référendum sur le « Brexit » « ne portent pas du tout sur le même sujet ». Il répète aussi, vu le calendrier britannique et la complexité des en- Un bureau de vote à La Haye, mercredi 6 avril, lors du référendum sur l’accord d’association UE-Ukraine. PETER DEJONG/AP jeux ukrainiens, qu’il est « bien trop tôt » pour indiquer comment sortir de cette impasse. Mais pas question de ratifier en l’état le traité d’association avec l’Ukraine. Le gouvernement se donne quelques semaines, voire quelques mois, pour trouver une parade et cherche, tardivement, à contrer certains des arguments entendus pendant la campagne : l’association avec l’Ukraine ne signifie pas son adhésion à l’UE ni une guerre prochaine avec la Russie, en dépit de la coopération militaire dénoncée par les détracteurs du traité. « A un an des élections, sous pression de l’extrême droite, les composantes de la coalition ont tiré les mauvaises leçons du référendum négatif de 2005 en choisissant de ne pas faire campagne, critique Michiel Van Hulten, un ancien eurodéputé travailliste engagé pour le oui. A leur dé- « L’euroscepticisme et le discours antiestablishment sont de plus en plus dominants » CAROLINE DE GRUYTER journaliste charge, il faut dire que l’Ukraine, corrompue et déstabilisée par la Russie, constitue un sujet de choix pour les détracteurs de l’Europe. » A ses yeux, les tenants du non ont pu marteler leurs idées trop longtemps dès 2015, sans la moindre opposition, alors qu’une campagne plus active aurait pu, peutêtre, inverser les choses. « Si la participation avait été plus forte, le résultat aurait sans doute été le même, car l’euroscepticisme et le discours antiestablishment sont de plus en plus dominants », estime au contraire Caroline de Gruyter, journaliste au quotidien NRC Handelsblad. Pour elle, « les Néerlandais sont de plus en plus coincés en Europe : leur raison les encourage à dépendre des Allemands, ce qu’ils détestent au fond, et ils sont un peu orphelins des Britanniques, dont ils se sentent instinctivement proches ». Menace d’un « Nexit » « C’est un cercle vicieux : l’internationale des nationalistes est à l’œuvre, et le succès des uns nourrit les espoirs des autres », ajoute le politologue Luuk Van Middelaar. Ainsi les artisans de la campagne du non ont-ils à peine savouré le « hors-d’œuvre » qu’ils brandissent à leur tour la menace d’un référendum sur la sortie des Pays-Bas de l’UE, le « Nexit ». Pour les mouve- ments populistes, cette prochaine étape serait même une évidence si les Britanniques devaient choisir le divorce en juin. Mais ils ont en tête que la toute récente loi sur l’organisation des référendums, dont c’était la première application, ne permet ce genre de vote que sur des textes soumis au Parlement néerlandais. « De toute façon, veut croire Michiel Van Hulten, l’opinion n’est pas du tout prête pour cette option : deux tiers des Néerlandais restent favorables au maintien dans l’UE. » D’ici là, les partisans du non ont déjà d’autres cibles en tête. « Le traité de libre-échange en cours de discussion avec les Etats-Unis ou la relocalisation des demandeurs d’asile seront soumis au Parlement et constituent autant de sujets propices à consultation », prévient Thierry Baudet. p philippe ricard L’Espagne se prépare à de nouvelles élections législatives en juin Les négociations entre les socialistes, le parti de la gauche anti-austérité Podemos et le parti centriste Ciudadanos ont fait long feu madrid - correspondance P lus de trois mois après les élections législatives du 20 décembre 2015 qui ont accouché d’un Parlement très fragmenté, il ne reste au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) que très peu d’espoir de former un gouvernement en Espagne. Pour ne pas dire aucun, reconnaît l’un de ses responsables au Monde. Les négociations à trois, entre le PSOE, le parti de la gauche antiaustérité Podemos et le parti centriste Ciudadanos, entamées jeudi 7 avril, ont fait long feu. Le lendemain de la première réunion entre les équipes de négociation des trois partis, le chef de file de Podemos, Pablo Iglesias, a créé la surprise en annonçant que les militants de son parti seront appelés à voter entre le 14 et le 16 avril sur la posture à suivre. Ce qui rend inutile la poursuite des discussions, alors même que M. Iglesias avait soumis la veille un document en vingt points sur lequel travailler. Les 400 000 inscrits au parti seront invités à répondre à deux questions. La première, « Voulezvous un gouvernement basé sur le pacte Rivera-Sanchez ? », fait référence à l’accord d’investiture, comportant 200 mesures socia- les, économiques et politiques, déjà signé entre le secrétaire général socialiste, Pedro Sanchez, et le président de Ciudadanos, Albert Rivera. Cet accord dispose du soutien de 131 députés sur 350, ce qui est loin de la majorité nécessaire à l’investiture (176 députés). Surpris et indigné La seconde question est plus vague : « Etes-vous d’accord avec la proposition de gouvernement de changement que défend Podemos, En Comú podem et En Marea [le nom de ses alliances régionales en Catalogne et en Galice] ? » La « proposition » en question est celle d’un gouvernement de coalition du PSOE et de Podemos, qui obtiendrait le soutien de 169 députés. Cependant, pour aboutir, cette formule devrait aussi obtenir le soutien de Ciudadanos, qui n’est pas disposé à se plier aux exigences de Podemos, ou encore des indépendantistes catalans. Or, ces derniers posent comme condition sine qua non la tenue d’un référendum d’autodétermination, auquel s’oppose le PSOE. Pablo Iglesias a immédiatement annoncé son intention de voter non à la première question, ce qui ne laisse guère de doute sur le résultat final. « Nous avons reçu une réponse légitime, mais immobiliste. Ni le PSOE ni Ciudadanos ne sont disposés à changer leur position, s’est-il justifié vendredi. Ciudadanos a dit qu’il n’admettrait que des petites retouches à son document. (…) Ils se sont opposés à toute formule de gouvernement qui inclut Podemos. Et le PSOE n’a pas envisagé la possibilité de suivre une voie distincte de celle de son accord avec Ciudadanos. » Podemos n’a « jamais voulu d’accord. Ils n’ont jamais eu d’attitude sincère », a réagi le porte-parole socialiste, Antonio Hernando, qui s’est dit surpris et indigné. Pour le porte-parole de Ciudadanos, José Manuel Villegas, « si Podemos ou le PP ne rectifient pas leurs positions, nous irons vers des élections ». Le PSOE a jusqu’au 2 mai pour trouver une majorité parlementaire qui lui assure l’investiture, le chef du gouvernement en fonction, Mariano Rajoy (Parti populaire, PP, droite), ayant abandonné l’espoir de former un gouvernement, faute de soutiens, bien que le PP soit arrivé en tête avec 27,8 % des suffrages et 123 députés. Passé ce délai, de nouvelles élections seraient automatiquement convoquées le 26 juin. Un scénario qui semble à présent inéluctable. p sandrine morel planète | 5 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Un gigantesque projet industriel menace le sud de la Birmanie D’une superficie de 200 km2, dans une région encore préservée, la zone économique spéciale profitera essentiellement à la Thaïlande REPORTAGE dawei (birmanie) - envoyé spécial « Qui aurait envie de vivre près d’une zone industrielle polluée ? » U KHAY MAR WUN YHA moine bouddhiste INDE CHINE BANG. BIRMANIE I r ra wa d d y Naypyidaw LAOS S a l o u en I ci, on a toujours vécu une vie tranquille, ne comptant que sur nous-mêmes, nos plantations, nos vergers. Et maintenant, voilà que l’on devra peut-être tous partir à cause de la construction d’un barrage sur la rivière. Si ce projet se réalise, notre village sera inondé. Tout le monde devra recommencer sa vie de zéro, ailleurs. » Assis à même le parquet du monastère de Kalonehtar, un village d’un millier d’habitants niché au cœur de la jungle épaisse de la Birmanie méridionale, Saw Nyan, 61 ans, planteur de noix de bétel, résume calmement l’inquiétude des habitants de la région. Il y a de quoi s’alarmer : des milliers d’entre eux risquent d’être déplacés à cause d’un gigantesque projet industriel imaginé par les gouvernements birman et thaïlandais. Les conditions de leur relogement et le montant des compensations promises restent entourés d’un flou savamment entretenu par les responsables du projet. Cette zone économique spéciale (SEZ) devrait être construite à une vingtaine de kilomètres au nord de Dawei, petite ville au charme un peu désuet et capitale du Tanintharyi, région sud de la Birmanie encore peu touchée par le développement. La SEZ couvrira une surface de 204 kilomètres carrés, comprendra un port en eau profonde sur la mer d’Andaman, une usine pétrochimique, une centrale thermique au charbon, une raffinerie de pétrole, une aciérie, un chemin de fer. Ce sera la plus grande zone industrielle d’Asie du Sud-Est. Coût estimé : entre huit et plusieurs dizaines de milliards de dollars. Le barrage dont parle le planteur de bétel est un ouvrage qui permettra d’alimenter en eau douce la zone, grâce à la formation d’un vaste réservoir. Mais la menace est d’une ampleur beaucoup plus vaste . Selon le rapport de l’Association pour le développement de Dawei (DDA), une ONG d’écologistes locaux, « de 20 à 36 villages pourraient directement subir l’impact de la SEZ. De 4 384 à 7 807 foyers sont concernés, soit une population de 22 000 à 43 000 personnes ». Dans le village de Kha Maung Chung, situé à une quinzaine de kilomètres de la mer et lui aussi fort d’un millier d’âmes, ces dernières sont défendues par un moine bouddhiste de choc. U Khay Mar Wun Yha, robuste et jovial personnage au téléphone portable glissé sous sa robe lie-devin, a pris les choses en main. Comme toujours en Birmanie, les moines jouent un rôle aussi spirituel que social et le sayadaw explique à ses ouailles les raisons de son opposition au projet. « Rien de bon ne va sortir de tout cela pour nous », assène-t-il devant un petit groupe de villageois. « Qui aurait envie de vivre près d’une zone industrielle polluée ? » Pourtant, certains hésitent, comme Moe Hein, le président de l’Association de la jeunesse locale. L’homme n’est pas, a priori, hos- Golfe du Bengale THAÏLANDE Rangoun Dawei Mer d’Andaman Bangkok 150 km tile au projet. « Je ne veux pas partir d’ici ; ici, c’est chez moi. En même temps, la SEZ pourrait permettre à notre région de se développer. La construction de la route vers la Thaïlande [déjà percée, quoique encore non asphaltée, à travers la jungle et la chaîne de montagnes séparant les deux pays] pourrait changer notre vie », hasarde-t-il. Les travaux ont commencé Le projet profitera surtout aux Thaïlandais : Dawei est à 630 km de Rangoun mais à 280 km de Bangkok… La zone économique spéciale permettrait au royaume thaï d’avoir un accès direct à l’océan Indien par la mer d’Andaman au lieu de devoir contourner la péninsule malaisienne en faisant le détour par le détroit de Malacca. La SEZ a néanmoins déjà connu un certain nombre de vicissitudes. Le projet patine : le gouvernement birman a annulé en 2012 la concession initialement accordée au grand groupe Italthaï, deux ans après que ce dernier eut signé un premier accord avec la Myanmar Port Authority. En 2013, le plan initial a été revu à la baisse. Les gouvernements birman et thaïlandais se sont alors emparés directement du projet en signant un accord bilatéral pour la constitution d’une zone spéciale de développement économique à Dawei. En 2015, le Japon est devenu partie prenante, quoique son engagement reste pour l’heure un peu flou. Si la construction de la SEZ reste encore à l’état d’ébauche, les travaux ont commencé. Mais seulement sur une zone de 25 km2, qui constitue la « phase 1 », et où il est prévu de loger 370 000 employés et cadres. Depuis une colline, on peut découvrir en action les camions et les bulldozers qui ont défriché un coin de jungle où, seule, la silhouette d’une petite maison de bambou rappelle qu’il y eut là un village. A Kalonehtar, c’est aussi un moine qui défend les droits de ses fidèles. U Pyin Nyar Won Tha est l’une des figures du mouvement de défense des paysans, soutenu par de jeunes militants laïques. A eux tous, ils ont organisé le réseau de résistance passive. « Les gens de la SEZ viennent nous voir pour nous convaincre, mais ils sont sournois. Ils parlent de compensations financières, mais les paysans n’ont en fait aucune idée de la valeur marchande de leurs plantations de bétel, de cajou, de cardamome. Rien n’est clair », explique le bonze. L’un des responsables de la SEZ, U Han Sein, a reconnu en octobre 2015 que la difficulté était de « gagner la confiance » des villageois. Pourtant, a-t-il promis, « il y aura de l’emploi pour tous ! ». Réponse du moine : « Je n’y crois pas. Les gens d’ici n’ont pas beaucoup d’éducation. Ils n’ont pas la formation nécessaire aux emplois que la SEZ pourrait offrir. » Le nouveau gouvernement démocratique, dont Aung San Suu Kyi vient de devenir la « super-ministre », en occupant notamment les postes de chef de la diplomatie et de conseiller d’Etat, est entré en fonctions le 1er avril. Selon Saw Abreu, le directeur du Réseau de défense des populations du Tenasserim, nom du fleuve qui traverse la province dont Dawei est la capitale, « l’important est désormais de savoir si le gouvernement va être ou non à l’écoute des populations par rapport aux projets de développement ». Un peu à l’écart de l’étincelante plage de sable blanc qui court, interminable, le long de la mer d’Andaman, on devine une demidouzaine de misérables masures en bambou. Quelque deux cents pêcheurs y survivent. Leur hameau, Char Khaing, qui trônait encore récemment en bordure de plage, a été détruit en 2012 par les autorités. Celles-ci ont estimé que les habitants n’avaient pas le droit de propriété légitime sur ce lieu où devrait être construit le port en eau profonde. Ma Oh Than, une veuve de 60 ans, constate, dépitée, un cigare birman entre deux doigts, que le projet de la SEZ, c’est « pour les riches, pas pour des pauvres comme nous ». La dame avait un temps été relogée dans l’un des nouveaux villages de déplacés. Elle n’y est pas restée. « Je n’avais rien y faire. Il n’y avait presque personne, pas d’eau courante, pas de travail, rien. J’ai préféré revenir ici, près de la plage. » Ma Oh Than n’a qu’une seule chose en commun avec la future zone industrielle : un avenir incertain. p bruno philip LES CHIFFRES 1 492 C’est, en euros, le PIB par habitant de la Birmanie, l’un des pays les plus pauvres du monde. Avec une proportion de 25,6 % de sa population au-dessous du seuil de pauvreté, elle est un peu plus riche que le Bangladesh et l’Afghanistan, mais plus pauvre que le Népal ou le Laos. 70 % C’est le pourcentage de la population rurale. La majorité des 51 millions d’habitants vit à la campagne et l’écrasante majorité d’entre eux utilise le bois de chauffage pour faire cuire ses aliments. 85 % des pauvres vivent en milieu rural. Le riz est le principal produit agricole et occupe 60 % des surfaces cultivées. 52 % C’est le taux de Birmans qui a accès à l’électricité. Un taux très faible, si on le compare avec le reste du monde, alors que la consommation d’électricité par habitant n’est que de 110 kW. Les perspectives de construction de barrages sur les fleuves Irrawaddy et Salween restent des projets très controversés. Pétrole : les forages en Méditerranée contestés Ségolène Royal va appliquer un moratoire « immédiat » sur les permis de recherche d’hydrocarbures dans les eaux françaises L e pétrole est vraiment devenu indésirable en Méditerranée. Ségolène Royal l’avait déjà laissé entendre. Vendredi 8 avril, elle a saisi l’occasion de la deuxième conférence nationale de l’océan pour l’affirmer à nouveau avec force. La ministre de l’environnement a annoncé un « moratoire immédiat sur la recherche d’hydrocarbures en Méditerranée », compte tenu des « conséquences dramatiques » que pourrait avoir un accident dans cette mer quasi fermée. « Je n’accorderai plus aucun permis d’exploration, ni dans les eaux territoriales, ni sur le plateau continental », a-t-elle insisté. Les eaux du sud de la France font actuellement l’objet de deux demandes de prospection de compagnies britanniques. La société Melrose, qui voulait explorer les fonds marins à une trentaine de kilomètres des côtes des Bouchesdu-Rhône et du Var, avait demandé le renouvellement du permis Rhône-Méditerranée, ce que le gouvernement lui a refusé par deux fois. Mais l’affaire, qui est passée devant le Conseil d’Etat en décembre 2014, n’est toujours pas close sur le plan juridique. Une autre requête, Rhône-Est maritime, déposée par Panoceanic Energy Limited, était également en cours d’instruction par le gouvernement. L’annonce de la ministre devrait a priori la stopper. Mme Royal n’a pas évoqué les militants écologistes qui ont tout mis en œuvre pour perturber la rencontre des grandes compagnies pétrolières et gazières à Pau (Pyrénées-Atlantiques), à l’occasion du sommet Marine, Construction and Engineering sur le pétrole offshore et le forage en eau profonde, du 5 au 7 avril. Son annonce sonne néanmoins comme une réponse à leurs préoccupations. La ministre veut entraîner les autres pays riverains, au nom de la protection de la Méditerranée, inscrite dans la convention de Barcelone. Il va lui falloir une grande force de persuasion. L’Italie, en particulier, a accordé des dizaines de permis d’exploitation du côté de l’Adriatique. Selon le rapport « MedTrens » publié en janvier par le WWF, le Fonds mondial pour la nature, les zones attribuées pour l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures, ou faisant l’objet d’appels d’offres, représenteraient 21 % de la surface de la Méditerranée. Et la production semble appelée à fortement progresser. Exercice d’équilibriste Ailleurs dans son immense domaine maritime – 11 millions de kilomètres carrés –, la France a d’autres permis actifs ou en attente d’un renouvellement. C’est le cas dans le golfe de Gascogne, au large de la Bretagne, des côtes de Guyane, dans le canal du Mozambique. Dans cette partie de l’océan Indien, Mme Royal n’était pas pressée de répondre aux deux compagnies South Atlantic Petroleum et Marex Petroleum, désireuses de forer dans les eaux de Juan de Nova, un îlot corallien français des îles Eparses, mais le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion l’y a contrainte en septembre 2015. Elle a dû se résoudre à leur accorder une concession. Ce difficile équilibre entre préservation de l’écosystème marin et développement économique est l’une des préoccupations de Ségolène Royal. Lors de la conférence, vendredi, la ministre a mis l’accent sur l’« économie bleue », un terme très général qui désigne l’exercice d’équilibriste permettant de concilier des activités a priori concurrentielles, telles que le transport maritime, la pêche et l’aquaculture, et les énergies renouvelables liées à la mer. C’est l’objet d’un projet de loi assez technique, sur le point d’être adopté par le Parlement. p martine valo 6| 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 BILLET « Le Monde » proteste contre le refus de visa par l’Algérie à un de ses journalistes Les autorités algériennes ont refusé de donner un visa au journaliste du Monde qui devait couvrir la visite officielle de Manuel Valls en Algérie à partir du samedi 8 avril, nous empêchant d’effectuer notre travail. Cette décision est liée à notre traitement des « Panama papers », en particulier les informations que nous avons publiées sur l’Algérie. Le Monde regrette cette décision et proteste contre cette entrave à la liberté de la presse. Par solidarité, France Culture, France Inter, Libération et Le Figaro ont décidé de boycotter le voyage. jérôme fenoglio Directeur du « Monde » Sur l’île de San Blas, en mars 2015. PAOLO WOODS-GABRIELE GALIMBERTI/INSTITUTE L’offshore, antichambre des divorces Par peur de se faire dépouiller par leurs « ex », les grandes fortunes montent de complexes circuits financiers C e sont presque toujours des hommes, et parmi le 1 % des plus riches du monde, qui font appel à Mossack Fonseca pour protéger leur fortune des appétits de leur moitié. Et le cabinet panaméen accepte sans sourciller. Les « Panama papers » permettent de découvrir les dessous, souvent peu reluisants, de ces opérations. En Thaïlande, le cabinet conseil a ainsi apporté son aide à un homme qui voulait un « remède miracle » au cas où son épouse tenterait de le déposséder. En Equateur, il a proposé des sociétésécrans à un « client qui voulait acquérir une entreprise avant son divorce ». Au Luxembourg, non sans quelques plaisanteries, il a aidé un Néerlandais qui voulait « protéger » son patrimoine « contre les conséquences déplaisantes d’un divorce à l’horizon ». Pourtant, les fournisseurs de services offshore, qui mettent sciemment les biens d’une personne hors de portée de son conjoint, sont passibles de poursuites judiciaires. « Quand quelqu’un entame ce genre de procédure, plus le divorce est proche, plus il y a de chances qu’il veuille dissimuler ses biens pour une fraude en droit matrimonial », indique Sanford K. Ain, un avocat de Washington. Lui-même a travaillé sur une affaire de divorce tellement complexe qu’il avait sur son bureau un schéma des comptes, sociétés et trusts du mari. « On aurait dit que quelqu’un avait jeté un tas de spaghettis sur la page », plaisante l’avocat – démêler l’affaire avait d’ailleurs coûté entre 2 et 3 millions de dollars. La chanteuse Michelle Young, dont le divorce a été fort médiatisé, a fondé en 2014 une organisation pour aider les femmes escroquées par leur ex-mari à naviguer dans les eaux coûteuses du système judiciaire britannique. « C’est un « C’est un combat sans merci. Si vous n’avez pas les moyens de vous défendre, vous êtes mort » MICHELLE YOUNG ex-femme d’un promoteur combat sans merci, dit-elle. Si vous n’avez pas les moyens de vous défendre, vous êtes mort. » Elle a mis sept ans et des millions de dollars pour retrouver des biens de son ex-mari, le promoteur Scot Young. Qui avait fait notamment appel à Mossack Fonseca pour mettre sur pied un complexe empire financier, dispersé en Russie, aux îles Vierges et à Monaco. « Il y a tant de biens – c’est comme un mini-Enron », a expliqué la chanteuse. Elle a obtenu en 2013 un jugement qui lui accordait 32 millions de dollars. Scot Young a fait appel, celui-ci a été rejeté. L’homme a été retrouvé empalé sur les pics d’une grille après être tombé du quatrième étage de son appartement londonien, mais c’est, semble-t-il, sans rapport avec son divorce. En 1987, Dmitri Rybolovlev, milliardaire et propriétaire du club de football de l’AS Monaco, épouse Elena, une étudiante dont il est tombé amoureux pendant ses études dans l’Oural. Dmitri est le « roi des engrais » russe, le couple a deux enfants, s’installe en Suisse et est, selon ses avocats, « fabuleusement riche ». En décembre 2008, Elena Rybolovleva demande le divorce, en raison d’« une période prolongée de relations maritales tendues ». Selon la loi suisse, chaque conjoint a droit à une part égale de la fortune commune. Mais savoir quels biens doivent être partagés n’est pas plus simple que le complexe réseau offshore. Mossack Fonseca a ainsi créé Xitrans Finance Ltd aux îles Vierges britanniques en 2002. Une boîte postale sur l’île de Tortola, mais qui possède des toiles de Picasso, Modigliani, Van Gogh, Monet, Degas et Rothko ou des meubles Louis XVI. Quand le mariage explose, Dmitri Rybolovlev se sert de Xitrans pour sortir ses biens de Suisse et les placer à Singapour et à Londres, hors de la portée d’Elena – Mossack Fonseca se tient au courant et se fait envoyer en janvier 2009 les notes d’audience du tribunal. Si Xitrans est contrôlé par le trust familial des Rybolovlev, seul Dmitri en détient les parts. Après plusieurs années de bataille, un tribunal suisse accorde 4,5 milliards de dollars à Elena en 2014. La cour d’appel ramène ce chiffre à 600 millions de dollars, en calculant le montant de la prestation, à partir des capitaux détenus par les trusts chypriotes de Rybolovlev. Dmitri et Elena se sont refusés à tout commentaire. Blanchiment d’argent Il n’y a pas que les maris qui peuvent compter sur les paradis fiscaux. L’amiral Antonio Ibarcena Amico, un ami d’Alberto Fujimori au Pérou, a ainsi eu quelques ennuis après la chute du président : il a été reconnu coupable de corruption et de détournement de fonds dans un contrat d’armement. La presse signale alors qu’un membre de la famille de son épouse a utilisé une société offshore pour blanchir de l’argent, par le biais d’investissements immobiliers, et le transférer sur le compte de madame. Le nom de la société ressemble fort à celui de l’une des deux sociétés enregistrées par Mossack Fonseca, Alverson Financial S.A., et les avocats du cabinet panaméens supputent avec un peu d’inquiétude que les journalistes ont mal orthographié le nom de l’entreprise, et que c’est bien la leur. Mossack Fonseca rencontre ainsi en 2004 Marcela Dworzak, l’épouse de l’amiral, pour éclaircir le problème. Elle assure qu’Alverson Financial S.A. lui appartient bien, et que tout a été fait « d’une manière transparente, légale et propre ». Ses entreprises ne servent qu’à dissimuler des biens à son époux. Or, « elle vit séparée depuis plusieurs années de son mari, un responsable du gouvernement Fujimori, et ses sociétés sont là pour protéger le patrimoine qu’elle a hérité de sa famille dans l’éventualité d’un divorce », résument les juristes de Mossack Fonseca dans une note interne. Les avocats de Marcela Dworzak confirment qu’elle « ne veut pas qu’il sache ce qu’elle possède », et Mme Dworzak reste cliente du cabinet. Quelques années plus tard, les autorités péruviennes ouvrent une enquête sur Marcela Dworzak pour blanchiment d’argent. Elle vit à présent au Chili et n’est jamais retournée au Pérou, où on lui reproche d’avoir utilisé un compte panaméen pour cacher l’argent du contrat d’armement véreux pour lequel son mari s’est fait inculper. La famille IbarcenaDworzak affirme que les allégations péruviennes ne sont motivées que par des raisons politiques, Marcela Dworzak se refuse à tout commentaire. Autre cas intéressant, le divorce de Nichola Joy et du magnat de l’aviation, Clive Joy-Morancho. Le couple se sépare en décembre 2011 après plus de cinq ans de mariage et trois enfants. Depuis, Nichola Joy est partie à la chasse aux 40 millions de dollars qui, selon elle, lui reviennent. Soit au moins deux appartements à Londres, un L’affaire était si complexe que l’avocat avait sur son bureau un schéma des comptes, sociétés et trusts du mari avion-charter, un château avec six chambres en France, une villa aux Caraïbes et un terrain dans une station de ski suisse. Clive répète que ces biens sont coincés à l’étranger et qu’il n’en a pas l’usage, et jure qu’il sera ruiné si sa femme le dépouille de ces menues propriétés. « Une mascarade » Fin 2014, un juge anglais examine leur patrimoine, dont 35 voitures de collection – des Bentley, Ferrari, McLaren et une Alfa-Romeo « particulièrement belle », soupire Clive – d’une valeur totale de plusieurs millions de dollars. Nichola Joy réclame les voitures ou une contrepartie. Le juge, Sir Peter Singer, rejette sa demande : même si Clive Joy-Morancho estime que cette collection lui appartient, aux yeux de la loi, elle est la propriété d’un trust par le biais d’une société offshore. Nichola Joy a obtenu quelque 180 000 dollars par an jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la répartition de ce qui reste de la fortune des Joy-Morancho. Mais Sir Singer est fort mécontent. « C’est une mascarade élaborée, menée sans scrupule et sans considération des conséquences », écrit le magistrat. Pour lui, les activités du mari constituent « un édifice pourri fondé sur la dissimulation et la tromperie, une imposture, une mascarade, quelque chose de factice, de fallacieux, monté de toutes pièces ». Le commentaire est un peu désagréable pour Mossack Fonseca, qui a monté une partie de l’édifice offshore depuis 1997. D’ailleurs, les avocats de Clive Joy envoient en mai 2013 au cabinet panaméen le commandement d’un tribunal, afin de geler les actifs de Clive JoyMorancho jusqu’à ce que le patrimoine du couple soit réparti. Or, Mossack Fonseca est représentant aux îles Vierges britanniques de Glengarriff Property Holdings Limited, la société propriétaire des deux logements londoniens convoités par chacun des époux, et la responsable juridique du cabinet avertit ses collègues : « Les conséquences d’une violation d’un gel des actifs sont graves et nous devons agir avec responsabilité. » Le juge Singer a finalement tranché : il a établi que Clive JoyMorancho avait transféré la propriété légale des appartements à un trust offshore avant d’épouser Joy. Les appartements ne font donc pas partie du patrimoine matrimonial. « J’étais naïve, je ne savais pas ce qu’était un trust quand je l’ai épousé, explique Nichola Joy. Le problème, c’est qu’il faut tellement d’argent pour combattre cette injustice et que je ne peux pas le faire, et mon ex le sait. La loi doit changer. Ces trusts offshore tournent la justice en dérision. » Nichola Joy réclame toujours ses 40 millions de dollars. Elle s’est lancée à l’assaut des sociétés offshore qui jalonnent son chemin. Derrière les paradis fiscaux, résume le juge Singer, il y a un ancien mari qui nourrit le « désir de la vaincre financièrement ». Parce qu’il a deux choses en horreur : « Etre contraint de donner de l’argent au fisc ou à son ex-femme ». p will fitzgibbon (icij), daptation « le monde » (Traduit par Valentine Morizot) |7 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Bruxelles veut plus de transparence Ce qu’il faut savoir La Commission européenne entend durcir la lutte contre la fraude fiscale des entreprises bruxelles - bureau européen L es révélations « Panama papers » et le scandale planétaire qu’elles ont déclenché bousculent l’agenda européen en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Selon nos informations, la Commission européenne, qui avait prévu de longue date de présenter la semaine prochaine une proposition de directive afin d’obliger les multinationales à rendre publics leurs profits pays par pays, travaille à une modification de son texte pour aller plus loin dans la transparence. Bruxelles voudrait obliger toutes les entreprises, quelle que soit leur nationalité, à condition qu’elles aient une activité en Europe (une filiale) et qu’elles génèrent un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros, à publier leurs profits, leurs impôts et le nombre de leurs salariés, pays par pays. Dans les 28 pays de l’Union européenne, mais aussi, si elles y sont présentes d’une manière ou d’une autre, dans les paradis fiscaux inscrits dans une future « liste noire » européenne des pays non coopératifs, que Bruxelles a également En tout, près de 6 000 sociétés dans le monde pourraient être concernées par ce nouveau dispositif l’intention d’établir dans les mois qui viennent. En tout, près de 6 000 sociétés dans le monde pourraient être concernées par ce dispositif. Les informations devraient être rendues accessibles facilement, sur le Web et dans les rapports annuels. Le texte initial, une refonte de la directive comptable 2013, n’intégrait pas cette obligation de transparence pour les paradis fiscaux. « Mais, après les “Panama papers”, on se doit de le faire », souligne une source proche des discussions. Dans une lettre qu’a pu consulter Le Monde, adressée le 8 avril par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, à Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe, M. Juncker confirme que l’institution travaille sur cette option : « Le 12 avril, la Commission présentera une proposition pour le reporting pays par pays. Elle répondra à la forte attente publique d’une plus grande transparence sur les comptes des sociétés et le niveau d’impôts qu’elles payent, mais tiendra aussi compte de la nécessité de préserver la compétitivité des activités européennes. Dans notre proposition, nous accorderons une importance particulière aux informations fiscales relatives aux pays qui ne respectent pas les bons standards de gouvernance en la matière. » Jean-Claude Juncker et les cabinets des commissaires Jonathan Hill (finance), Pierre Moscovici (économie) et Valdis Dombrovskis (union monétaire) travaillent d’arrache-pied pour être prêts d’ici au mardi 12 avril. La nouvelle mouture du texte devra, ce jour-là, être validée par le collège des commissaires, qui se réunira à Strasbourg, en marge de la cession plénière du Parlement européen. La Commission pourrait aussi, dans cette proposition qu’elle remanie, renforcer ses exigences concernant le registre des bénéficiaires des trusts en Europe. Jusqu’à présent, elle demandait que ce registre soit tenu à la disposition des justices des pays membres. Elle pourrait recommander que les administrations fiscales puissent aussi y avoir accès, pour pouvoir mieux mener leurs enquêtes sur les éventuelles fraudes. Quant à la liste européenne des paradis fiscaux, elle n’existe pas encore, mais Bruxelles compte bien, dans les six mois, convaincre les 28 pays membres de s’entendre sur des critères de « choix » communs pour les pays non coopératifs, et sur des sanctions qui pourraient leur être imposées. Le « reporting pays par pays » existe déjà dans les textes européens, pour les banques et les sociétés minières et forestières. Bruxelles espère qu’en le généralisant à tous les secteurs de l’industrie et des services, elle alimentera le débat démocratique et médiatique, et contraindra les multinationales à payer des impôts partout où elles génèrent des profits. Si ce texte modifié pour y intégrer les paradis fiscaux reçoit un feu vert au collège, il représentera un précédent considérable. La législation irait alors bien plus loin que ce qui existe actuellement dans le monde en matière de transparence : l’Organisation de coopération et de développement économiques, dans son plan d’action pour lutter contre l’érosion des bases fiscales des entreprises (BEPS), prévoit seulement l’obligation de transmission des informations des sociétés aux administrations fiscales nationales, qui sont ensuite censées se les échanger. Les ambitions de la Commission devraient être bien reçues par les ONG et les eurodéputés Verts, qui exigeaient qu’elle s’attaque plus frontalement aux paradis fiscaux. Elles risquent en revanche de très fortement contrarier les lobbies des grandes entreprises. Comment les Etats membres réagiront-ils ? Bruxelles compte sur l’effet « Panama papers » pour emporter la décision. Il suffit d’une majorité qualifiée des Etats pour que les modifications de la directive comptable puissent être adoptées. p cécile ducourtieux Coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), la rédaction du Monde et 108 autres dans 76 pays ont eu accès à une masse d’informations inédites qui mettent en lumière le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux. Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias. Les « Panama papers » révèlent que, outre des milliers d’anonymes, de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs. Pedro Almodovar abandonne la promotion de son film « Julieta » Le cinéaste espagnol et son frère détenaient un compte offshore géré par la firme panaméenne Mossack Fonseca Madrid, correspondance I l a tout annulé : sa présence à l’avant-première de son dernier film, prévue mardi 5 avril à Barcelone, sa conférence de presse à Madrid, le jour suivant, et les interviews qui devaient suivre. Le réalisateur Pedro Almodovar a préféré sacrifier sa participation à la promotion de Julieta, sorti sur les écrans espagnols vendredi 8 avril, plutôt que d’affronter les questions des journalistes. « En raison de la priorité informative de thèmes étrangers à Julieta », s’est justifiée, laconique, sa boîte de production, El Deseo. La « priorité informative » n’est autre que la présence des noms de Pedro Almodovar et de son frère Agustin, producteur de ses films et cofondateur d’El Deseo, dans les « Panama papers », qui révèlent depuis quelques jours, dans la presse internationale, les noms de possesseurs de comptes offshore gérés par la firme panaméenne Mossack Fonseca. Entre 1991 et 1994, époque qui coïncide avec la sortie de Talons aiguilles ou Kika, les deux hom- mes ont détenu une société offshore domiciliée dans les îles Vierges britanniques et gérée par Mossack Fonseca, Glen Valley Corporation. Une révélation qui fait tache dans le curriculum vitae du réalisateur espagnol, homme de gauche connu pour ses prises de position et ses affinités avec les écolo-communistes. Selon le site d’information Elconfidencial.com et la chaîne de télévision La Sexta, la société suisse Unifinter a enregistré Pedro et Agustin Almodovar comme fondés de pouvoir de Glen Valley Corporation, dont le capital social initial est de 50 000 dollars, en juin 1991. Les documents signés leur donnent alors compétence pour « administrer la société sans limite, (…) apporter des contrats, (…) recevoir ou prêter de l’argent, acheter des produits, de la marchandise, des actions, (…) ouvrir des comptes bancaires au nom de la société dans n’importe quelle banque » ou encore « avoir accès à chacun des coffres-forts ». Néanmoins, les documents épluchés par les journalistes ne Vargas Llosa « ne savait même pas » Le Prix Nobel de littérature 2010, Mario Vargas Llosa, dont le nom apparaît dans les « Panama papers », a assuré, jeudi 7 avril, qu’il n’avait jamais eu connaissance d’un compte offshore à son nom et à celui de son épouse, dont il est aujourd’hui séparé. « Je ne savais même pas, je l’ignorais complètement », a déclaré le Prix Nobel, âgé de 80 ans. Selon le site espagnol El Confidencial, les noms de l’écrivain et de Patricia Llosa apparaissent dans la société Talome Services Corp, aux îles Vierges, entre le 1er septembre et la mi-octobre 2010. « Si M. et Mme Vargas Llosa ont pu monter cette société en vue d’un investissement, cela ne peut être attribué qu’à un conseiller financier ou à un intermédiaire », souligne l’agence littéraire Carmen Balcells, qui représente l’écrivain. leur ont pas permis d’en savoir plus sur l’utilisation faite de la société ou sur le montant des fonds qui ont pu y transiter jusqu’à sa fermeture, le 11 novembre 1994. « Nous n’avons pas de commentaires à faire à ce sujet », a été la première réaction des frères Almodovar dans un communiqué laconique envoyé lundi 4 avril et qui se terminait par un avertissement : « Nous serons attentifs au contenu de l’information publiée, en particulier aux jugements de valeur qui pourraient être faits et porter atteinte à nos droits. » De quoi incendier davantage l’opinion et obliger Agustin Almodovar à envoyer un deuxième communiqué. En règle « avec les obligations » Le frère du célèbre réalisateur oscarisé y assume toute la responsabilité de la société offshore. « Dès les premiers moments de la constitution d’El Deseo, Pedro et moi nous sommes répartis les tâches (…) : j’ai pris en charge la gestion de l’entreprise et lui s’est consacré aux aspects créatifs », explique Agustin Almodovar, qui justifie la constitution de la société en 1991 par « la recommandation de [ses] conseillers, face à une possible expansion internationale de l’entreprise ». En 1990, Pedro Almodovar avait effectivement connu un grand succès avec le film Attache-moi. « Cependant, on a laissé mourir la société sans activité car elle ne collait pas avec notre manière de travailler », poursuit-il, avant d’assurer être en règle « avec toutes les obligations fiscales ». Reste que Julieta a sans doute été la première victime espagnole des « Panama papers ». p sandrine morel Consultation & Vols gratuits* .%'('*-!") $" +&# / ,&# sur votre traitement à Budapest Clinique de référenCe depuis 1996 ”La meilleure clinique dentaire européenne en 2015” * sous certaines conditions. Soins remboursés par la Sécurité Sociale française. Kreativ dental france Web: www.kreativdentalclinic.eu E-mail: [email protected] T: 09 70 44 88 61 (gratuit) T (mobile): 06 07 76 87 91 8| FRANCE La gauche hésitante face à Nuit debout 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Le mouvement, qui cherche désormais à essaimer hors de Paris, se méfie de toute récupération politique C ertains y voient une petite lueur dans le ciel de la gauche, d’autres pressentent les nuages qui s’amoncellent. Le mouvement Nuit debout, parti de la place de la République, à Paris, devait s’étendre à l’ensemble de la France samedi 9 avril. Dans la foulée des manifestations contre la loi travail prévues dans l’après-midi, près d’une cinquantaine de rassemblements nocturnes étaient attendus à travers le pays. Après plusieurs métropoles régionales, c’est au tour de villes moins grandes (Niort, Angoulême, Valence, Toulon, Dijon, Besançon…) d’être gagnées par ce mouvement d’inspiration anticapitaliste, qui rejette la politique du gouvernement. Le concept fait même tache d’huile en Europe : des rassemblements sont prévus en Belgique, en Espagne, en Allemagne… Né de la contestation contre le projet de loi El Khomri, il dépasse désormais ce cadre. Les participants sont invités à prendre la parole au cours d’assemblées générales sans fin, avec délibérations collectives et votes innombrables à la clé. Les socialistes surveillent avec attention ces rassemblements, qui leur sont profondément hostiles. « Difficile de savoir sur quoi tout ça va déboucher, il faudra voir comment cette gauche activiste rentre dans l’atmosphère de la présidentielle et des législatives », explique Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS. Dans la majorité, on se garde pourtant de critiquer, conscient que parmi les veilleurs nocturnes se trouvent de nombreux électeurs déçus de François Hollande. « Tout le monde est là » A la gauche du PS, on regarde s’installer le mouvement avec intérêt, voire envie. « Je trouve ça politique et poétique, il est bienvenu de se réapproprier l’espace public, totalement tenu par l’idéologie de l’ordre, du fait de l’état d’urgence », explique Pouria Amirshahi, député des Français de l’étranger, qui a récemment quitté le PS. Nombreux sont ceux qui sont allés faire un tour sur place, comme le fondateur du Parti de gauche (PG), Jean-Luc Mélenchon, le porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste, Olivier Besancenot, ou le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent. Le plus souvent sans prévenir de leur venue pour ne pas être accusés de récupération politique. Pour David Cormand, qui vient de reprendre les rênes d’Europe Sur la place du Capitole à Toulouse, dans la soirée du 8 avril. ULRICH LEBEUF/MYOP POUR « LE MONDE » Ecologie-Les Verts après le départ d’Emmanuelle Cosse, « c’est le premier truc intéressant qui se passe depuis longtemps. Il fait prendre conscience que les corps intermédiaires – syndicats et partis politiques – sont has been ». Le nouveau patron d’EELV n’est pas tombé des nues, le 31 mars, lors de la première Nuit debout. L’un des porte-parole du parti, Julien Bayou, était dans le coup depuis des semaines. Cette figure de Jeudi noir était en effet le 23 février à la Bourse du travail de Paris quand François Ruffin, le réalisateur du documentaire Merci La majorité se garde de critiquer, consciente que se trouvent là de nombreux déçus de Hollande patron !, a lancé l’initiative. M. Bayou y voit « un goût prononcé pour les assemblées radicales et les prises de parole, quitte à frôler la caricature avec un vote sur les votes ». L’absence de revendications établies, qui débordent le cadre du projet de loi travail, ne le dérange pas. « Non seulement on ne sait pas ce qu’on veut mais en plus on en est fiers ! », s’amuset-il. Son rôle dans tout ça ? « Il y en a certains qui sont en soutien et d’autres qui rêvent d’être récupérés », répond le jeune homme. Un petit tacle à Jean-Luc Mélenchon qui, dimanche 3 avril, a expliqué qu’il serait « très fier » que le mouvement le « récupère ». Depuis l’éclosion de Podemos, en 2014 en Espagne, parti né du mouvement des « indignés » madrilènes qui campaient sur la Puerta del Sol, l’ancien candidat à la présidentielle scrute avec attention ce qui se passe de l’autre côté de la frontière. Les cadres du Parti de gauche n’ont pourtant pas saisi dès le départ ce qui se jouait place de la République, selon Leïla Chaïbi, une ancienne dirigeante de la formation, toujours membre du PG. Egalement militante de Jeudi noir, elle a été contactée dès le départ par François Ruffin pour faire profiter de son expérience. « Je n’y allais surtout pas avec ma casquette politique », précise-telle d’emblée. Rapidement, elle a tenté d’alerter ses camarades du PG, qui ont mis un certain temps à réagir. « Moi, je prenais mon pied depuis plusieurs semaines. J’avais dit aux cadres du PG qu’il se passait un truc. Certains sont venus en regardant ça comme un truc de “toto” [autonomes] car ça ne venait pas d’eux et sortait des schémas habituels. Ils restaient bloqués sur “JLM2017” [le site de la candidature de M. Mélenchon]. Maintenant que ça marche, tout le monde est là. » Dans ce mouvement sans leader et où chacun parle en son nom, Leïla Chaïbi note « la méfiance d’une récupération politique ». Marie-Pierre Vieu, membre de la direction du PCF, en est consciente. « C’est naturel et on ne doit « Nuit debout fait prendre conscience que les syndicats et les partis politiques sont has been » DAVID CORMAND secrétaire national d’EELV pas le vivre comme un obstacle », souligne-t-elle. La dirigeante communiste juge que ce mouvement « revitalise le débat démocratique », ajoutant que « la question, maintenant, est de savoir comment la Nuit debout peut contribuer à ce qu’on travaille la perspective politique ». Une interrogation qui n’est pas près de trouver une réponse, tant les participants à Nuit debout sont, pour l’heure et dans leur majorité, hostiles à trouver un débouché politique à ce mouvement. Avant d’entrer dans des considérations électorales, certains militants aimeraient que le mouvement, jusque-là très urbain, s’étende aux zones rurales et aux périphéries des villes. Le mot d’ordre #Banlieuesdebout est apparu depuis quelques jours sur Twitter, en provenance de Montreuil, où un appel a été lancé. Mais ils n’étaient pas très nombreux à avoir répondu présent vendredi soir place Jean-Jaurès. « Le mouvement est encore très parisien, explique Almamy Kanoute, porte-parole du collectif Emergence. Pour que cela prenne en banlieue, il faut que cela parte non pas des militants politiques, mais des citoyens lambda, et il faut décentrer de Paris vers la périphérie. » Pour l’instant, les initiatives restent marginales. Pour la Nuit debout, le défi, avant d’être politique, est surtout de sortir de l’entre-soi sociologique. p raphaëlle besse desmoulières, nicolas chapuis et sylvia zappi « Un des enjeux du mouvement, c’est de sortir de l’entre-soi » P ENTRETIEN rofesseur de science politique à l’université Paris-VIII et auteur de Petite histoire de l’expérimentation démocratique (La Découverte, 2011), Yves Sintomer décrypte ce que traduit, selon lui, le mouvement Nuit debout. Comment analysez-vous ce mouvement ? C’est impressionnant de voir prendre un mouvement comme celui-là, alors qu’on était dans un climat très noir. Cela fait l’actualité, alors que c’est quelque chose de relativement spontané. Les individus qui l’ont lancé étaient très peu nombreux et incapables à eux seuls de mobiliser autant de monde, s’ils n’avaient pas incarné quelque chose. Pour beaucoup de personnes, c’est un bol d’air dans une situation préoccupante. Qu’exprime-t-il ? D’abord une rage, une indignation, un ras-le-bol, l’impression d’avoir affaire à un système qui est bloqué, à une situation sociale et économique qui se dégrade, à des politiques qui n’entendent pas, à un monde injuste. Il y a en même temps une joie, une volonté de vivre, de faire des choses et de s’engager, qui va à l’encontre de tout un discours qui parle de l’individualisme montant et du désintérêt des jeunes pour la politique. Ce mouvement s’appuie sur la mobilisation contre le projet de loi El Khomri mais dépasse ce cadre sans formuler de revendications précises. Pourquoi ? C’est l’idée que porter des revendications précises, c’est s’engager dans un jeu de négociations et d’institutionnalisation où un mouvement spontané comme celui-là ne peut que perdre. Pour avoir des revendications, les porter et les négocier sur la longue durée, il faut avoir une organisation. Nuit debout exprime plutôt des valeurs, une vision, une utopie. Ce sont des gens qui viennent d’horizons très divers et qui accordent une importance assez grande au fait de prendre des décisions de façon consensuelle. Dès lors que les choses se préciseraient en termes de revendications, il y aurait des fractures. La comparaison avec les « indignés » espagnols vous paraît-elle pertinente ? Elle l’est dans la mesure où l’on voit une forme d’action similaire : l’occupation d’une place, des assemblées générales où l’on ne peut pas parler très longtemps, où il n’y a pas de leader, une mobilisation à travers les réseaux sociaux, une diffusion en tache d’huile… On retrouve aussi un discours sur le refus de la classe politique, la « caste », la méfiance par rapport au système politique et une critique sociale radicale. Tout ça est très proche. En même temps, en Espagne, le « 15-M » a duré longtemps et a été extrêmement massif. Des dizaines de milliers de personnes y ont participé sur différentes places. A certains moments, une large majorité de la population se reconnaissait dans ce mouvement. On n’en est pas encore là en France. Quel message Nuit debout envoie-t-il aux politiques ? Il interroge très fortement le monde politique ! Peut-on rester indéfiniment avec des partis politiques structurés de cette maniè- re-là, ayant de moins en moins de racines dans la population, happés par les institutions et le pouvoir au point de constituer un monde en vase clos, surtout au niveau national ? Comment ce mouvement peut-il s’inscrire dans la durée ? Cela a été dit par François Ruffin, l’auteur du film Merci patron ! : un des grands enjeux du mouvement, c’est de parvenir à sortir de l’entre-soi et de réussir à toucher les « 99 % », comme le disait le mouvement Occupy Wall Street, et à s’étendre bien au-delà des noyaux initiaux. Ce n’est peut-être pas impossible. Le fait que le mouvement commence à gagner des villes de province en est un signe, même si, pour l’heure, il n’y a pas beaucoup de jeunes de banlieue présents. Peut-il et doit-il trouver un débouché politique ? Nuit debout est politique, et la politique ne se réduit pas à l’élection. C’est comme un écosystème où les éléments s’influent les uns les autres. Personne n’aurait pu prévoir Podemos au moment des « indignés » espagnols, et ce parti s’inscrit à la fois en continuité et en rupture avec les « indignados ». Les répercussions politiques institutionnelles dépassent d’ailleurs Podemos. On a assisté à des alliances plus larges, mouvementistes, qui ont été amenées à gérer les plus grandes villes, comme Madrid ou Barcelone. Et les effets d’un tel mouvement se mesurent aussi dans la modification du centre de gravité des débats politique, dans l’ouverture de possibles, y compris en termes électoraux, même si ce n’est pas leur objectif. p propos recueillis par r. b. d. france | 9 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 « Il sera très difficile pour Sarkozy de se présenter » Distancé dans les sondages, François Fillon attaque les autres candidats à la primaire de la droite L’ ENTRETIEN ancien premier ministre, qui pâtit de sondages défavorables dans la course à la primaire de la droite pour 2017, se montre à l’offensive pour rattraper son retard sur ses trois rivaux, Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire. Vous êtes relégué à la quatrième place dans les intentions de vote pour la primaire. Croyez-vous encore dans vos chances de l’emporter ? Je crois à la droiture de mon projet et de ma démarche. La primaire n’a pas commencé, donc les sondages n’ont aucun sens. Cette élection démarrera quand les électeurs connaîtront les programmes et surtout les candidats sur la ligne de départ. A ce moment-là, les compteurs seront remis à zéro. On verra d’ailleurs si Nicolas Sarkozy sera candidat. Vous pensez qu’il ne pourra pas se présenter ? J’ai toujours pensé que cela serait très difficile : il a été président de la République et a perdu en 2012. Nicolas Sarkozy a toujours dit lui-même que les Français étaient régicides et, quand on a coupé la tête du roi, c’est dur de la remettre sur ses épaules… Pourquoi les électeurs voteraient-ils pour vous à la primaire ? Car je dis la vérité. Je suis le seul à parler d’un risque de faillite. Je ne dis pas comme plusieurs de mes concurrents qu’il faut baisser massivement les impôts, quitte à faire déraper les déficits. Je porte le projet le plus précis et le plus cohérent, avec l’idée que le chômage est la cause majeure de notre décohésion nationale. Les sujets identitaires sont les résultats d’une panne globale. Notre patrie est déprimée parce qu’elle est bloquée dans sa croissance, ses emplois, ses espoirs de réussite. Ma méthode, qui consiste à préparer les textes avant l’alternance, permettra d’introduire des changements économiques et sociaux radicaux dans un délai très court. Ils seront mis en œuvre par une équipe commando de dix à quinze poids lourds, très compétents dans leur domaine. Qu’ils soient des politiques ou non. « Bruno Le Maire est un vieux routier de la politique. Le renouveau, c’est un slogan, pas un projet » « Plus le temps va passer, plus Alain Juppé va devoir dire ce qu’il pense de manière plus précise » Bruno Le Maire vous devance désormais les sondages. Que pensez-vous de son projet, de son positionnement ? C’est un candidat très sérieux, qui sort de l’Ecole nationale d’administration (ENA), qui a été directeur de cabinet de Dominique de Villepin et quatre ans ministre dans mes gouvernements. C’est donc un vieux routier de la politique. Le renouveau, c’est un slogan, pas un projet. C’est trop court pour relever le défi de la primaire, qui est de sélectionner celui qui aura la charge de présider la sixième puissance mondiale, dans un contexte de chômage de masse, de finances dégradées et de guerre au terrorisme. J’attends le moment où l’on va confronter nos projets car on verra que le mien est le plus innovant. Est-ce votre amitié avec M. Poutine qui vous rend si bienveillant avec lui ? Je ne juge pas la Russie en fonction de M. Poutine mais de la Russie éternelle, puissance continentale européenne avec laquelle nous devons travailler. Je n’ai jamais eu de relation personnelle avec M. Poutine, mais des relations institutionnelles car nous avons été premiers ministres pendant quatre ans ensemble. Nous nous sommes vus plus d’une dizaine de fois, à chaque reprise longuement car c’est un homme difficile dans les négociations. Mais quand vous trouvez un accord avec lui, il le respecte. La Russie a un objectif en Syrie : empêcher que le régime d’Al-Assad tombe pour éviter la prise de pouvoir de l’organisation Etat islamique (EI). Poutine est pragmatique. Moi, je pense que le régime d’Al-Assad est condamné à moyen terme mais je fais de la realpolitik sur les questions internationales. Dans l’immédiat, il faut battre l’Etat islamique (EI) puis conclure un accord politique pour pacifier le pays et dégager une transition politique à Damas. Que pensez-vous de la campagne d’Alain Juppé ? Plus le temps va passer, plus Alain Juppé va devoir dire ce qu’il pense de manière plus précise. Par exemple, sur la déchéance de nationalité, je n’ai pas compris quelle était sa position, alors que moi, j’étais contre dès le début. Son programme n’est pas aussi carré que le mien. Exemple : sur l’organisation du temps de travail dans l’entreprise, il a un logiciel classique, où l’Etat est supposé tout piloter. Moi, j’ai un logiciel du XXIe siècle, qui tient compte des évolutions de la société et des métiers. François Fillon, à Paris, le 7 avril. ED ALCOCK/MYOP POUR « LE MONDE » Comment expliquez-vous qu’il soit le favori de la primaire ? Le système fabrique des favoris. A un moment, compte tenu du contexte politique, Alain Juppé est apparu comme le seul capable de battre Nicolas Sarkozy. Les difficultés que j’ai moi-même rencontrées lors de l’élection à la présidence de l’UMP face à JeanFrançois Copé, en 2012, ont été une blessure. J’ai pris des coups dans mon combat pour l’honnêteté, mais je ne regrette rien car je crois à la noblesse en politique. Pourquoi soutenez-vous l’intervention russe en Syrie ? La diplomatie française a été naïve et peu visionnaire. Il aurait fallu bâtir une coalition avec les Russes dès le départ de ce conflit pour lutter contre la montée du fondamentalisme islamiste. Au début, nous avons imaginé que Bachar Al-Assad allait tomber en quelques semaines. Nous avons refusé collectivement de penser que la guerre ci- vile pourrait durer. En tendant la main à la Russie, nous aurions pu trouver un accord avec elle, et sa politique extérieure aurait été moins brutale aujourd’hui. Si M. Hollande m’avait écouté il y a trois ans quand je prônais déjà cette solution, nous n’en serions pas là. Pourquoi le Panama a-t-il été sorti en 2012 de la liste noire des paradis fiscaux, quand vous étiez premier ministre ? Cette décision avait été prise avec onze autres pays de l’OCDE sur la foi des engagements pris par le Panama. Nous avons été trompés car ce pays n’a manifestement pas respecté sa parole. Je constate qu’il a fallu que Le Monde publie ses informations sur les « Panama papers » pour que le gouvernement actuel prenne la décision de remettre ce pays sur la liste des paradis fiscaux. S’il y a responsabilité, elle est donc au moins partagée. p propos recueillis par matthieu goar, alexandre lemarié et philippe ricard Guerre ouverte entre Ségolène Royal et Alain Rousset Mise en cause pour sa gestion en Poitou-Charentes, la ministre veut porter plainte pour diffamation contre le président de la nouvelle région D es photos, des livres, des objets… Toute personne qui a un jour pénétré dans le bureau de Ségolène Royal le sait : la ministre de l’environnement chérit plus que tout l’ancienne région Poitou-Charentes, dont elle fut présidente de 2004 à 2014. Pas une discussion au cours de laquelle elle ne fasse référence à cette expérience qui lui a longtemps servi de vitrine pour promouvoir les « solutions » qu’elle souhaitait appliquer à l’ensemble de la France. Son « laboratoire » picto-charentais se retourne aujourd’hui contre elle. Sa gestion de la région est épinglée par un audit, commandé par son successeur socialiste, Alain Rousset, président de la nouvelle région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes (ALPC). L’étude, réalisée par Ernst & Young et rendue publique jeudi 7 avril, fait état d’un « déficit » global des recettes par rapport aux dépenses. Résultat : l’ancienne région Poitou-Charentes fait face à des retards de paiement estimés à 132 millions d’euros et à une « sous-budgétisation » de certains postes de dépense. La région a également souscrit des emprunts toxiques, dont une partie (46,8 millions d’euros) à « très haut risque », alors que son niveau d’épargne est « quasi-nul ». Mme Royal a immédiatement riposté contre ce qu’elle estime être « une opération de dénigrement, de démolition, de harcèlement » de la part de M. Rousset. Très remontée, la ministre, qui a reçu Le Monde, vendredi, a confirmé son intention de porter plainte pour diffamation. « Je ne me laisserai pas faire. C’est quand même mon identité, la région Poitou-Charentes ! Je refuse d’être ainsi salie », s’insurge-t-elle. S’agissant de la méthode, elle juge « hallucinant qu’un président de région socialiste se comporte ainsi à l’égard d’une ministre, et qu’il se permette de commander un audit sans même [l’]appeler. Il y a une volonté de nuire. Ils ne [la] « En accumulant les politiques publiques, la région PoitouCharentes a fait sauter la banque » ALAIN ROUSSET président de la région ALPC laisseront jamais tranquilles, ces bonshommes… » Sur France 3, Mme Royal a qualifié d’« inexacte » l’accusation de factures impayées. « La fusion des régions a entraîné momentanément l’arrêt d’un certain nombre de paiements, parce qu’il a fallu fusionner les systèmes informatiques, a-t-elle expliqué. Ces quelques semaines de retard sont toutes résorbées. » Contacté par Le Monde, M. Rousset rétorque que « certains paiements ont été arrêtés en juillet, c’est-à-dire avant même la fusion informatique ». Le patron de la nouvelle grande région se défend d’avoir voulu « lancer une fatwa contre PoitouCharentes ». Mais « je peux vous dire que cette région a eu les yeux plus gros que le ventre et qu’à force d’accumuler les politiques publiques elle a fait sauter la banque », dit-il. Ce sera sur le budget de l’Aquitaine, « dont les finances ont été jugées très saines par l’audit, qu’[il va] devoir payer les factures », s’emporte-t-il. Les témoins de longue date de leurs relations ne s’étonnent guère de la violente querelle qui éclate aujourd’hui au grand jour entre M. Rousset et Mme Royal. Leur détestation réciproque dure depuis des années. « Elle ne peut pas le supporter, et lui non plus, observe un ancien conseiller régional de gauche. Rousset a mal pris qu’elle refuse de cofinancer certains projets ferroviaires auxquels il tenait pour l’Aquitaine », rapporte ce même élu. Ségolène Royal s’est toujours targuée de ne pas augmenter les impôts, tout en critiquant les exécutifs de gauche qui faisaient le contraire. « J’ai incarné cette rigueur, j’ai travaillé pendant dix ans à budget constant, sans augmenter les impôts », rappelle-t-elle aujourd’hui. Avec l’audit, « Rousset peut lui donner une leçon de bonne gestion », fait remarquer un ancien élu régional. A couteaux tirés En réalité, Mme Royal n’a jamais accepté l’autorité dont M. Rousset entendait faire preuve à la tête de l’Association des régions de France (ARF), qu’il a présidée de 2004 à 2016. « Quand elle venait à l’ARF, c’était à couteaux tirés entre eux. Il n’appréciait guère son comportement de reine », se souvient un des responsables de l’association. « M. Rousset n’a jamais digéré que, pendant dix ans, Poitou-Charentes incarne le fait régional. Lui n’incarnait pas l’Aquitaine », rétorque Mme Royal. « Il y a une forme de vengeance sur le thème : si la région PoitouCharentes a été tant mise en valeur, c’est qu’il y avait quelque chose de caché. Comme s’il lui fallait noircir le tableau pour se permettre d’augmenter les impôts », poursuit-elle. M. Rousset, lui, balaie ces accusations. « Elle est dans le déni de la réalité. Moi, je ne sais pas régler des comptes. Je ne sais pas être méchant, mais j’ai toujours su, en revanche, prendre les bonnes directions à la tête de ma région », rétorque-t-il. Le patron d’ALPC assure n’avoir « subi aucune pression » de la part de François Hollande pour trouver un cessez-le-feu avec Mme Royal. Les deux hommes sont amis depuis leurs études communes à Sciences Po, et M. Rousset, pendant la campagne présidentielle de 2012, fut chargé des dossiers industriels dans l’équipe de campagne du candidat socialiste. « Ceux qui me connaissent bien, comme lui, savent que je suis un garçon indépendant », assure-t-il. p béatrice jérôme et david revault d'allonnes 10 | france 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Mohamed Abrini, suspect-clé des attentats, arrêté Le Belgo-Marocain, soupçonné d’avoir pris part aux attaques de Paris et de Bruxelles, a été interpellé vendredi suite de la première page La première de ces deux planques, rue Henri Bergé, a servi à confectionner les ceintures explosives du 13 novembre. La seconde, rue Max Roos, était occupée par les assaillants des attentats de Bruxelles avant qu’ils ne rejoignent l’aéroport de Zaventem pour se faire exploser, le 22 mars au matin. A l’occasion d’un point presse, vendredi soir, le parquet fédéral belge est resté prudent quant au rôle d’Abrini à Zaventem : « L’enquête se poursuit pour déterminer si Mohamed Abrini est ou non la troisième personne présente lors des attentats perpétrés à l’aéroport. » C’est après avoir diffusé la veille un appel à témoins pour retrouver « l’homme au chapeau », que les policiers belges ont interpellé Mohamed Abrini et deux autres personnes, dont l’identité n’a pas été dévoilée, vendredi en fin d’après-midi dans une rue d’Anderlecht. « Cercles djihadistes » Dans la matinée, deux autres suspects avaient été arrêtés dans un autre quartier de Bruxelles : Osama K. et Hervé B. M., selon les états civils parcellaires divulgués par le parquet belge. Osama K. a été filmé dans le complexe commercial bruxellois City 2 achetant les sacs qui seront utilisés par les kamikazes de l’aéroport. L’enquête se poursuit en revanche pour déterminer s’il s’agit bien de « la deuxième personne » filmée le 22 mars en train de discuter avec Khalid El Bakraoui, peu avant que ce dernier se fasse exploser à la station de métro de Maelbeek, a précisé le parquet belge. Jusqu’ici recherché sous l’identité d’emprunt – Naim Al-Hamed – figurant sur son faux passeport syrien, Osama K. est arrivé en Europe avec le flux de migrants par l’île grecque de Leros, le 20 septembre 2015. Il était accompagné durant son périple par Ahmed A., alias Mounir Ahmed Alaaj, interpellé le 18 mars à Molenbeek avec Salah Abdeslam. Son ADN a par Image de vidéosurveillance d’une station-service de Ressons-sur-Matz (Oise), montrant Mohamed Abrini en compagnie de Salah Abdeslam, le 11 novembre 2015, deux jours avant les attentats de Paris. AFP ailleurs été découvert dans l’appartement de Schaerbeek où séjournaient les assaillants du 22 mars. Salah Abdeslam était allé chercher les deux hommes en voiture à Ulm, en Allemagne, dans la nuit du 2 au 3 octobre, pour les ramener en Belgique. En attendant de déterminer le rôle exact joué par ces suspects dans les attentats de Bruxelles, l’arrestation de Mohamed Abrini constitue une avancée spectaculaire pour l’enquête sur ceux du 13 novembre. Ami d’enfance de Salah Abdeslam, ce délinquant multirécidiviste est soupçonné d’avoir rejoint la Syrie à l’été 2015. Parmi différents voyages, les enquêteurs ont retrouvé la trace d’un vol aller-retour Bruxelles-Istanbul entre le 23 et le 30 juin 2015, Le parcours de l’« homme au chapeau » De nouvelles images de l’« homme au chapeau » quittant l’aéroport de Bruxelles le 22 mars, juste après l’attentat, ont été diffusées jeudi 7 avril par la justice belge, qui avait fait appel au public pour le retrouver. Un montage d’images prises par des caméras de surveillance détaille le parcours du suspect de sa sortie de l’aérogare jusqu’à ce que sa trace se perde dans Bruxelles environ deux heures plus tard. Après les deux explosions à l’aéroport, à 7 h 58, l’homme, pantalon foncé, chaussures brunes et veste claire, sort de l’aérogare. Il traverse à pied la commune de Zaventem où il se débarrasse de sa veste. On le voit parfois courir, parfois marcher. La dernière caméra le filme à 9 h 50. « La veste pourrait donner de précieux renseignements si elle était retrouvée », souligne l’avis de recherche. Et confirmer s’il s’agit bien de Mohamed Abrini. Ce dimanche à 12h10 PASCAL SAINT-AMANS Directeur du Centre de politique et d’administration fiscale à l’OCDE répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE), Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Ayad (Le Monde). Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr 0123 Ami d’enfance de Salah Abdeslam, ce délinquant multirécidiviste est soupçonné d’avoir rejoint la Syrie à l’été 2015 ainsi qu’un aller simple IstanbulLondres, le 9 juillet. Ils en déduisent que Mohamed Abrini « est probablement parti en Syrie en juin 2015 et n’a probablement pas passé beaucoup de temps sur place ». Son frère, Souleymane, qui avait intégré la katiba Al-Battar, celle d’Abdelhamid Abaaoud, coordinateur présumé des attentats de Paris, y a perdu la vie en 2014 à l’âge de 21 ans. Connu des policiers belges pour « ses contacts dans les cercles islamistes radicaux et djihadistes à Molenbeek-Saint-Jean en Belgique », Mohamed Abrini réapparaît dans le viseur des services de renseignement au lendemain des attentats du 13 novembre. Il est soupçonné d’avoir effectué deux trajets entre Bruxelles et Paris avec les frères Abdeslam dans les jours précédant les attaques, afin de louer des chambres à Bobigny et Alfortville, qui serviront de planques aux commandos. Les enquêteurs pensent surtout l’avoir reconnu lors du dernier convoi, celui qui conduira les ka- mikazes jusqu’à Paris. Le 12 novembre, à 3 h 10 du matin, deux voitures, une Clio et une Seat, stationnent dans une ruelle sombre de Dansaert, un quartier branché de Bruxelles surnommé le « petit New York ». A la lueur des réverbères, une caméra de vidéosurveillance immortalise la scène. Terré en Belgique Les policiers belges la retranscrivent sur procès-verbal : un homme, identifié comme étant Salah Abdeslam, descend de la Clio pour remettre un « paquet » à l’occupant de la Seat. Au vu de leurs vêtements, captés par des caméras d’une station-service quelques heures plus tôt, les enquêteurs pensent avoir identifié les deux autres passagers : Brahim Abdeslam, kamikaze du 13 novembre, et Mohamed Abrini. Le « paquet » transmis, les deux véhicules quittent Bruxelles. A 4 h 30, la Seat et la Clio foncent sur l’autoroute A54 en direction de Charleroi. Le trio fait halte dans un quartier réputé pour ses arrivages d’armes et ses livraisons de drogue. Ils passent une partie de la journée dans un appartement loué sous un faux nom par Khalid El Bakraoui, futur kamikaze de la station de métro de Maelbeek. Vers 16 heures, rejoint par une troisième voiture, le convoi fait route vers Paris. A 17 h 03, la Clio fait le plein à SaintGhislain, en Belgique. Ses occupants sont de nouveaux filmés : « Probablement les frères Abdeslam et Mohamed Abrini », notent les enquêteurs. Mohamed Abrini a-t-il passé la nuit avec les kamikazes à Bobigny et Alfortville, la veille des attentats ? Les enquêteurs ne retrouvent en tout cas la trace de son retour à Bruxelles que le 13 novembre au petit matin. Il passe un moment en famille, puis signe en fin de journée le bail de l’appartement dans lequel il est censé emménager avec sa future épouse. Il est aperçu plus tard dans la soirée dans un café de Molenbeek en compagnie d’Ahmed Dahmani. Suspecté d’avoir joué un rôle dans les attentats de Paris, ce proche de Salah Abdeslam s’envolera le lendemain pour la Turquie, où il sera arrêté le 16 novembre. Mohamed Abrini n’a pas tenté de suivre Ahmed Dahmani en Turquie. Il disposait selon toute vraisemblance des complicités suffisantes pour être exfiltré, alors que les services d’enquête ne l’avaient pas encore identifié. Comme d’autres acteurs des attentats de Paris – tels les frères El Bakraoui ou l’articifier-kamikaze Najim Laachraoui –, il a préféré se terrer en Belgique pendant cinq mois. Un temps durant lequel la cellule de Paris s’est « endormie » à Bruxelles, avant d’y perpétrer le deuxième acte de son projet terroriste. p soren seelow Un caïd de Molenbeek passé au terrorisme Mohamed Abrini fait partie de la bande qui gravitait autour de Salah et Brahim Abdeslam C PROFIL heveux courts, silhouette athlétique, Mohamed Abrini, 31 ans, interpellé vendredi 8 avril à Anderlecht, près de Bruxelles, est un de ces manœuvriers présumés des attentats de Paris et de Bruxelles qui ont sauté le pas du terrorisme directement depuis la case banditisme. Caïd redouté, barbu taciturne : comme une bonne part de la bande de Salah Abdeslam – seul survivant des commandos du 13 novembre – ce Belgo-Marocain faisait partie, jusque-là, de la petite pègre du quartier de Molenbeek, bien connue des services de police. Son casier judiciaire parle pour lui. A son actif, quelque 45 condamnations, dont une vingtaine pour vols, quatre pour détention ou consommation de drogues, plusieurs pour recel, agissements suspects, et trois pour « évasions de détenus ». Un curriculum vitae de voyou tout terrain, à l’image de celui des frères Abdeslam et de presque tous les hommes mis en examen ces derniers mois, en Belgique, dans le cadre de l’enquête sur les tueries parisiennes. C’est notamment au bar Les Béguines, plaque tournante de divers trafics, tenu par Brahim Abdeslam, le frère aîné de Salah, qu’une partie de ces ex-camarades de quartier se retrouvaient avant les attentats du 13 novembre. C’est aussi là que Mohamed Abrini passait de temps à autre. Il y avait écopé du surnom de « Brioche », allusion à son emploi dans un snack-boulangerie de Molenbeek. Un job alimentaire : en coulisses, Mohamed Abrini avait une réputation de « voleur » aguerri. Avant que Les Béguines ne soient fermées pour trafic de stupéfiants, le 4 novembre 2015, on pouvait autant y faire affaire que s’informer de la température du quartier. Mohamed Abrini n’y venait pas « souvent », selon la déposition de l’un des prévenus belges, Ali O. Mais assez pour que sa présence soit remarquée. « C’est quelqu’un qui aime beaucoup l’argent et qui a manipulé beaucoup d’argent », a lâché le jeune homme aux enquêteurs. Origine de cette aura de bandit respecté : « un coup à 200 000 euros »… Goût pour les voyages Selon ce prévenu, Mohamed Abrini ne parlait pas ouvertement de religion. D’après l’une de ses deux sœurs, interrogée par la chaîne RTL, fin novembre 2015, il n’avait rien à voir avec son petit frère Souleymane. « C’était le jour et la nuit », a-t-elle soutenu. Parti en Syrie, en janvier 2014, ce dernier serait mort depuis au com- bat. Souleymane, né le 9 novembre 1993, avait rejoint la katiba dite « Al-Battar », en lien avec l’organisation Etat islamique. Une katiba dont Abdelhamid Abaaoud, le cerveau présumé des attentats de Paris, était l’un des piliers. En 2015, Mohamed Abrini, qui a deux autres frères, avait en réalité été inscrit sur la liste de l’organisme belge recensant les individus soupçonnés de radicalisation ou d’un séjour en Syrie. Selon une note de la Direction générale de la sécurité intérieure, le jeune homme était largement connu pour ses contacts dans les cercles islamistes radicaux et djihadistes à Molenbeek. Il était « probablement parti en Syrie », mais « n’avait probablement pas passé beaucoup de temps sur place », précise le document. Mohamed Abrini avait en tout cas un goût certain pour les voyages. L’un de ces séjours à l’étranger les plus troublants est un passage par Birmingham, au Royaume-Uni, à l’été 2015. C’est un autre prévenu, Abdellah C. (remis en liberté le 7 avril), avec qui il était très ami, qui en a confirmé l’existence et livré les détails, lors de sa garde à vue. Les deux jeunes hommes avaient l’habitude de se fréquenter au snack-boulangerie, de fumer des cigarettes, parfois d’aller au bowling. On est alors mi-juillet 2015, et Abdellah C. va chercher Mohamed Abrini à Paris. Trois semaines plus tôt, il l’avait déposé à l’aéroport de Bruxelles pour un vol vers Istanbul. Mais, dans la voiture, Mohamed Abrini lui montre fièrement des photos d’un séjour en Angleterre… L’enquête a établi, depuis, que Mohamed Abrini n’a jamais utilisé son billet retour depuis Istanbul et a enchaîné quelques jours plus tard avec un vol pour Birmingham, avant de rentrer par l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, à Paris. Pourquoi ? Mystère. Abdellah C. assure qu’il n’a pas posé de questions… Amitiés de quartier sur base d’échanges de bons procédés et de loi du silence, telle était la règle dans le cercle des Abdeslam. Ainsi lors de sa garde à vue, le 19 mars, dont Le Monde a consulté le procès-verbal, Salah s’était vu présenter une photo de Mohamed Abrini. Il avait confirmé son nom sans hésiter. Mais il l’avait totalement dédouané : « C’est mon voisin. Il n’a rien à voir avec les attentats de Paris. Il n’a rien fait. » Les policiers lui avaient demandé, malgré tout, s’il n’avait pas une idée du lieu où son ami pourrait se trouver « Je l’ignore. Je ne l’ai jamais vu dans mes différentes planques », avait-il assuré sans sourciller. p élise vincent france | 11 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Attentats : quel budget pour l’indemnisation des victimes ? La chancellerie et Bercy doivent arbitrer entre pérennité de la prise en charge et souci d’économie A près la compassion, voici venu le temps de l’addition. Le gouvernement doit bientôt se prononcer sur la façon de pérenniser le financement de la solidarité nationale envers les victimes du terrorisme. Le 15 avril, doit être remis un rapport diligenté par Michel Sapin, le ministre des finances, et Jean-Jacques Urvoas, le garde des sceaux. Dans la lettre de mission reçue par Patrick Poirret, inspecteur général des services judiciaires à la chancellerie, et Marie-Christine Lepetit, chef de l’inspection générale des finances à Bercy, les deux ministres pointent l’urgence de la situation en soulignant que « les indemnisations consécutives aux attentats du 13 novembre (…) pourraient fragiliser la situation financière » du Fonds de garantie des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), l’organisme chargé de prendre en charge les victimes. Les propositions devront concilier des objectifs en apparence contradictoires : assurer une « juste indemnisation des victimes » et aussi préciser des « mesures de rationalisation (…) pour l’ensemble des champs d’intervention » du FGTI. En clair, faire des économies. Les arbitrages à venir s’annoncent tendus et opposent deux poids lourds du gouvernement. « Bercy est le ministère des assurances, la justice est celui des victimes », décrypte Stéphane Gicquel, le secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac), membre du conseil d’administration du FGTI. Dans l’immédiat, les pouvoirs publics assurent qu’il n’y a pas de crainte à avoir sur l’indemnisation à court terme des victimes puisque le fonds de garantie dispose d’une cagnotte de 1,4 milliard d’euros. A la fin mars, le FGTI avait déjà débloqué 23,6 millions d’euros de provisions à 1 877 victimes directes et indirectes. De quoi leur permettre d’effectuer les premières démarches médicales ou administratives. Chaque jour, de nouveaux dossiers sont ouverts pour des personnes estimant avoir été en « situation de danger » le 13 novem- « Bercy est le ministère des assurances, la justice celui des victimes » STÉPHANE GICQUEL secrétaire général de la Fenvac GUYAN E bre ; les autorités s’attendent à en recevoir environ 4 000. « Le processus d’indemnisation risque d’être long car, pour chacune des victimes, il faut attendre la consolidation de leur état de santé physique et psychique pour évaluer la somme que nous leur proposerons », indique François Werner, le directeur du FGTI. Juliette Méadel, la nouvelle secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes, s’est engagée à ce que tous les dossiers soient traités d’ici à la fin de l’année. Un objectif « tenable », selon M. Werner. Charges multipliées par cent Mais la récente hausse des contributions est insuffisante pour « reconstituer nos réserves », poursuit M. Werner. Avant même les attentats de novembre, il avait déjà été jugé nécessaire d’augmenter les moyens du FGTI, financé par une taxe sur tous les contrats d’assurance. Depuis le 1er janvier 2016, celle-ci est passée de 3,30 euros à 4,30 euros. Cette majoration doit rapporter 80 millions d’euros de recettes supplémentaires par an. Or, le coût additionnel généré par les attentats de 2015 est estimé à environ 350 millions d’euros. « Les charges liées au terrorisme ont été multipliées par cent en 2015 », constate M. Werner. Il faut aussi anticiper de nouveaux besoins en cas de répétition de crimes de masse qui fragiliseraient les ressources de cet organisme, dont l’essentiel de l’activité (20 000 dossiers par an) est consacré à l’indemnisation des victimes d’infractions de droit commun. Pour faire face à une telle éventualité, « il y a une révolution à faire », estime Marc-André Ceccaldi, avocat spécialisé dans la défense des victimes et membre du conseil d’administration du FGTI. « Les victimes du terrorisme sont désormais plus nombreuses et leur prise en charge est plus longue, en raison de la gravité de leurs blessures », dit-il. Or, pour continuer à assurer une « réparation intégrale », il faut des ressources supplémentaires. Avec une hausse modeste de cotisation, portée à 6 euros sur chaque contrat d’assu- « Les victimes du terrorisme sont plus nombreuses et la prise en charge de leurs blessures est plus longue » MARC-ANDRÉ CECCALDI avocat rance, « le financement du FGTI serait à l’abri », juge M. Ceccaldi. Pour l’heure, ce scénario ne semble pas être privilégié. Les assureurs, chargés de récolter ces fonds, sont réticents à relever les contributions de leurs adhérents. De son côté, l’Etat redoute d’être associé à une nouvelle augmentation de la pression fiscale. Pour équilibrer les comptes, François Werner évoque une piste de compromis. En cas d’une nouvelle attaque terroriste « d’une ampleur exceptionnelle », le FGTI pourrait, dit-il, « déclencher une augmentation temporaire des cotisations » qui serait accompagnée d’une « contribution de l’Etat ». Reste à savoir comment vont être évaluées les sommes allouées aux victimes. « Tout dépend de l’évolution de leurs blessures physiques et psychologiques », juge Philippe Dupuy, un responsable du FGTI. Après un long processus d’expertise, une offre sera faite à la victime qui pourra la contester si elle l’estime trop basse. C’est là que les avocats trouveront leur utilité. « Les victimes qui n’ont pas pris d’avocat risquent d’être lésées », admet-on au FGTI. Les associations de victimes proposent à leurs adhérents de se regrouper pour confier, en commun, leurs dossiers à un avocat. « Le problème est que la FGTI fonctionne comme une assurance et que la définition de la victime n’est pas la même que dans le milieu médical », pointe M. Gicquel, de la Fenvac. Les indemnités peuvent varier d’un cas à l’autre. Exemple : après l’attaque meurtrière du musée du Bardo, le 18 mars 2015 à Tunis, la veuve d’une victime française n’a pas obtenu la même somme qu’une veuve des attentats du 7 janvier 2015 à Paris. p daniel psenny et yves-michel riols Des soins gratuits pour les victimes Les victimes des attentats du 13 novembre 2015 bénéficient pendant un an d’une prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale. Tous leurs frais engagés pour des soins en rapport avec les attaques terroristes sont directement payés aux praticiens par la Caisse d’assurance-maladie, à l’exception de dépassements de tarifs pratiqués par certains professionnels. Le suivi psychiatrique est également pris en charge pour les blessé(e)s et les proches des victimes décédées. Ce droit aux soins gratuits, mis en place dès la fin de la première guerre mondiale, a été remis à l’ordre du jour après la vague d’attentats des années 1980 qui a secoué Paris. Malgré l’insertion de cette disposition dans la puce de la carte Vitale, de nombreux médecins et pharmaciens refusent encore de ne pas faire payer les patients, souvent au motif que la Sécurité sociale met plusieurs mois à les rembourser. Un prêtre en garde à vue pour agression sexuelle sur un mineur Un prêtre soupçonné de pédophilie et signalé par son évêque a été placé en garde à vue à Kourou (Guyane), vendredi 8 avril. A la demande de l’évêque de Cayenne, Mgr Emmanuel Lafont, qui avait contacté le procureur, ce prêtre, né en 1949, est « allé dénoncer ses propres agissements » à la gendarmerie. Une enquête avait été ouverte à la suite de son signalement et plusieurs plaintes ont été déposées. Il est notamment soupçonné d’attouchements sur un mineur de 14 ans. – (AFP.) J UST I C E Xynthia : pas de pourvoi en cassation du parquet général Le parquet général de la cour d’appel de Poitiers ne formera pas de pourvoi en cassation contre la condamnation avec sursis de l’ancien maire de La Faute-sur-Mer (Vendée), René Marratier, pour la mort de 29 personnes lors du passage de la tempête Xynthia, en 2010, et la relaxe de deux autres prévenus, a-t-il indiqué vendredi 8 avril. – (AFP.) POLI C E Forte baisse des amendes pour port du voile intégral Le nombre d’amendes dressées pour port du voile intégral a chuté de 44 % en 2015, selon les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur vendredi 8 avril. Depuis l’entrée en vigueur de la loi il y a cinq ans, un peu plus de 1 500 verbalisations ont été établies. – (AFP.) Une histoire vraie enin révélée Pour les prud’hommes, traiter de « pédé » un coiffeur n’est pas homophobe L a loi des séries serait-elle à l’œuvre ? Le 30 mars, une ministre de la République, en l’occurrence la ministre des familles Laurence Rossignol, provoquait l’indignation en évoquant les « nègres favorables à l’esclavage » – avant de reconnaître une « faute de langage ». Et voilà que le conseil des prud’hommes de Paris estime, dans un jugement rendu au nom du peuple français et dévoilé le 7 avril par le journaliste Mathieu Brancourt, que « le terme de “PD” ne peut être retenu comme propos homophobe ». Pour mémoire, il s’agit de l’abréviation du mot pédéraste. « Il désigne l’attirance d’un homme adulte pour un garçon plus jeune, généralement un adolescent, rappelle SOS Homophobie sur son site Internet. A ce titre, il s’agit d’une insulte homophobe basée sur l’amalgame entre l’homosexualité masculine et la pédophilie. » C’est également l’une des plus banales. Elle s’emploie dès l’école. L’affaire que les prud’hommes avaient à juger est un litige entre les responsables d’un salon de coiffure et l’un des employés. Ce dernier était en période d’essai quand il a reçu par erreur un SMS le concernant, rédigé par l’une de ses supérieures hiérarchiques : « Je ne garde pas X., je le préviens demain, (…) je ne le sens pas ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de putes. » L’employé, qui souhaite garder l’anonymat, saisit les prud’hommes le 20 novembre 2014 afin de faire reconnaître le caractère discriminatoire de la rupture de son contrat. L’employeur affirme de son côté que le salarié manquait d’expérience et ne s’intégrait pas dans l’équipe du salon. Il soutient que le terme « PD », bien qu’inapproprié, « est entré dans le langage courant et qu’il n’a aucun sens péjoratif ou homophobe dans l’esprit de la manager », selon le jugement rendu par le conseil des prud’hommes le 16 décembre 2015. La société signale enfin que « cette affaire concerne le secteur de la coiffure, où la communauté homosexuelle est très représentée ». Le conseil suit candidement cette argumentation, affirmant que le terme « PD » ne peut être jugé homophobe « car il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles (…) sans que cela pose de problèmes ». Il écarte donc la discrimination, mais retient l’injure, et accorde 5 000 euros au titre du préjudice moral. C’est ce que met en avant Jacques-Frédéric Sauvage, « LE PRÉJUGÉ président du conseil des prud’hommes de Paris, DEVIENT UN qui refuse par ailleurs de FONDEMENT « commenter une décision de justice ». JURIDIQUE, Le jugement a été qualifié de « scandaleux » par la ON EST EN DEHORS ministre du travail MyDU DROIT » riam El Khomri. « Le raisonnement du conseil de SLIMANE LAOUFI prud’hommes banalise cabinet du Défenseur des propos qui reflètent des droits l’homophobie ordinaire, et qui constituent une infraction pénale », insiste SOS Homophobie. L’Union nationale des entreprises de coiffure n’est pas en reste. « Nous ne voyons pas à quel titre nous constituerions une exception et redisons notre opposition très ferme à toute attitude ou propos homophobe », affirme Bernard Stalter, son président. Le Défenseur des droits est présent aux côtés de l’employé. Slimane Laoufi, chef du pôle emploi privé de l’institution, ne s’explique pas les « énormités » contenues dans la décision, rendue par des juges non professionnels. « Le conseil de Paris a une grosse activité, ils ne sont pas loin de la professionnalisation, relève-t-il. Le préjugé devient un fondement juridique, on est en dehors du droit. » L’employé est « extrêmement sensible à l’ensemble des messages de soutien reçus », selon son avocat. Il a fait appel. p gaëlle dupont © Zero One ilm GmbH 13 avril www.arpselection.com www.lecinemaquejaime.com 12 | CULTURE Renaud revient avec la rage d’exister 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Après dix ans de silence, le chanteur publie un nouvel album, marqué par les attentats et la dérive de sa vie A MUSIQUE u cas où cela vous aurait échappé, Renaud est de retour, avec un album de 13 chansons qu’on a failli attendre pendant l’éternité. Que l’on peut tenir pour un petit miracle. Et vu l’accueil, se faire au passage une idée de ce qu’a dû être, au bout de trois jours, la résurrection. Un album bien fichu de bout en bout. Preuve ? On attend la fin de chaque chanson, même celles où il ne se passe rien (petite merveille de Mulholland Drive), et la fin de l’album comme une histoire racontée aux enfants. Dix ans de naufrage anisé, dix ans sans écrire une ligne, dix ans sans le moindre livre, sans film ni théâtre, légume, poivrot du Vaucluse, Renaud est de retour ! Il n’est pas forcément loin, le temps d’Hexagone (1975), interdit sur les ondes – la République rimant avec « pays de flic ». Il n’est pas forcément loin, mais la première chanson célèbre cette grande nouvelle : J’ai embrassé un flic ! Où ? Pas sur la bouche, mais place de la République, le 11 janvier 2015 : jour de la grande manif après la tuerie des copains de Charlie, et l’horreur sanglante de l’Hyper Cacher. On imagine un type revenant de dix ans sur son île déserte. Dans le taxi, il tombe sur cette chanson, J’ai embrassé un flic… Deux notes de basse et envoyez la musique (Michaël Ohayon) ! Un air, ni de stupeur ni de confession, un air de deux airs de s’envoyer en l’air, avec trompette façon mariachi, et dans le lointain, des pin-pon, un sifflet à roulette. De quoi troubler. Le type du taxi reconnaît la voix, un peu éraillée, parfois déraillée, toujours déshabillée, chantant faux, comme on dit, ici ou là, mais chantant toujours vrai… C’est Renaud ! En comptant ses sous, le type du taxi se dit, moi, je ferais bien d’arrêter le pastis. Etendard narquois Non, c’est bien Renaud et c’est lui qui revient de dix ans en apnée dans le pastis. Dès qu’il a mis la tête hors des cinq volumes d’eau, sa voix est revenue. Sans illusion (« Je n’ai jamais été un grand virtuose de la voix »), mais bien assez pour être la voix de Renaud. Tendue, charnelle, portée par la rage d’exister et les mots. Les mots, bras dessus bras dessous, comme en manif, avec Hugo, Léautaud, Nougaro. Il les célèbre, les remercie. Les mots, « ce qui rend la vie moins dégueulasse/Qui vous assigne une place/Plus près des anges que des angoisses ». Elégance des sables et du vent. Sur un plateau de télé en 1978, Brassens (« Toute mon œuvre ne vaut pas la moindre des chansons de Brassens ») s’approche timide- N’entre pas qui veut dans la maison du passé Benoît Giros met en scène « Old Times », d’Harold Pinter, sans trouver le ton juste I THÉÂTRE l y a une maison au bord de la mer. Il y a un homme et une femme. Il y a une attente : quelqu’un va venir. Il y a des mots pour le dire, des mots qui n’ont l’air de rien, mais derrière eux, il y a Harold Pinter. Alors, il y a une pièce de théâtre, Old Times, dans laquelle on entre comme Manoel de Oliveira dans la maison qu’il a dû abandonner et qu’il a filmée, dans Visite ou Mémoires et confessions, son film-testament : en sachant que « le futur sera passé ». Il en va souvent ainsi, avec l’œuvre dramatique d’Harold Pinter (1930-2008), Prix Nobel de littérature en 2005. On navigue dans un entre-deux où rôde une menace, d’une manière insidieuse, souterraine. Un trio lié par un secret Dans Old Times, Kate (Marianne Denicourt) et Deeley (Emmanuel Salinger) parlent d’Anna (Adèle Haenel), l’amie de Kate qu’ils attendent. Vingt ans plus tôt, quand elles étaient jeunes et pleines d’envies, les deux femmes ont vécu ensemble, dans un Londres insouciant. Puis leurs chemins se sont séparés, Kate et son mari se sont installés dans leur maison au bord de la mer, Anna a quitté l’Angleterre et vit à Taormina, en Sicile. La voilà qui arrive, et la tension monte, sous l’apparence policée de la conversation. « J’aimerais que vous compreniez que je ne suis pas venue ici pour créer le chaos, mais pour célébrer une très vieille amitié », dit Anna. Rien n’est moins sûr. Le trio est lié par un secret, dont chacun a sa part de vérité. Harold Pinter ne le dévoile pas. Il le laisse planer, comme un oiseau noir qui guetterait le moment d’entrer dans le salon où se joue Old Times. Au Théâ- tre de l’Atelier, ce salon moderne donne directement sur la mer, que l’on voit à travers une immense baie vitrée comme les aiment ceux qui croient que voir, c’est avoir une vue sur un paysage. Dans la mise en scène de Benoît Giros (prononcer « girosse »), Anna est présente dans la maison dès le début de la pièce, alors que son personnage n’a pas encore fait son entrée. Elle rôde autour de Kate et Deeley, telle une ombre d’un passé qui pèse lourd dans la relation du couple, mouvante et tendue, à l’image des lumières que donne Bertrand Courderc au ciel et à la mer. Cet éclairagiste sait habiller les sentiments. Benoît Giros, lui, sait leur donner un mouvement, en modulant l’espace qui sépare et unit les personnages. Du point de vue de l’œil, le spectateur est satisfait : Old Times a son cadre, ses images. Il n’en va pas de même du point de vue de l’oreille. On sait à quel point il est difficile de faire entendre Harold Pinter, dont les mots peuvent tomber à plat, ou à côté, s’ils ne sont pas dits sur le ton juste. C’est ce ton juste qui fait défaut à Old Times. Emmanuel Salinger, trop brouillon, Marianne Denicourt, trop attendue, et Adèle Haenel, trop en force, sont comme les instruments d’une partition dont ils n’auraient pas trouvé la clé. C’est dommage. p brigitte salino Old Times, d’Harold Pinter. Traduction : Séverine Magois. Mise en scène : Benoît Giros. Avec Marianne Denicourt, Adèle Haenel et Emmanuel Salinger. Théâtre de l’Atelier, 1, place Charles-Dullin, Paris 18e. De 10 à 37 euros. Du mardi au samedi, à 21 heures ; dimanche, à 15 heures. Durée : 1 h 15. « La vie est moche et c’est trop court », petite valse et accordéon, n’ira pas doper l’optimisme ment de lui, guitare en main : « Je ne connais sans doute pas toutes vos chansons, mais elles sont vraiment bien construites. » (France Inter, 8 avril). Suit Toujours debout, dont on vous a, jadis ou naguère, parlé. Un peu décevante en première écoute, elle claque maintenant comme un étendard narquois. Enfin, plus ou moins. Enchaîne- ment sur Héloïse. Promenade dans Venise avec sa fille Lola et sa petite fille Héloïse. Charmant. Vous verrez, on va s’y habituer. Une Nuit en taule pour la route. Garde à vue ? Délire d’anar ex-alcoolo ? « Petit fait vrai » à la Stendhal, si ça se trouve… Petit Bonhomme s’adresse à ce fils, Malone, dont il a raté l’enfance. Qu’il espère retrouver dans l’adolescence. Il désespère de la politique parce que la politique le désespère. Il ne désespère pas des « gens », de leur amour, de leur confiance, ni des femmes et des enfants d’abord. C’était ça, être de gauche, rebelle, insoumis, contre flics et curés, pour les femmes et les enfants. Plus rien. L’album bascule. Pas dans la tendresse, c’est son signe constant, mais dans la tristesse. Très émouvante prière des morts pour Hyper Cacher. Puis, une de ses plus belles chansons insignifiantes : Mulholland Drive, mélodie douceamère, rêverie sur cette fille qu’on aperçoit seule, sur l’autoroute, avec son sac et cet air de liberté. Si l’on ne se raconte jamais la vie des inconnues qu’on aperçoit de loin, on ne comprendra rien à cette bluette qui fait vivre une scène, une image, une photo ? La vie est moche et c’est trop court, petite valse et accordéon, n’ira pas doper l’optimisme. C’est le Renaud d’autant plus triste qu’il dit la vérité en s’appuyant sur la sienne et les amis disparus. Le Renaud qui n’aime pas son Anniv – il faudra inventer des stages pour ceux qui détestent leur anniversaire – « Tu te retournes et t’es trop vieux », sur fond de cloche à vache (l’instrument) pour marquer les années. Dylan (« Ton père aimait un certain Robert Zimmerman ») ne parlera que trop aux copains, aux familles désespérés par ces crashs sur platane de retour de boîte – voir la PQR du lundi. Et Petite Fille slave aux filles venues de l’Est à la recherche du bonheur. Elles auront trouvé un mac, des réseaux et les trottoirs des grandes villes. Avant de rentrer au pays. C’est aussi cela, Renaud, le chroniqueur, l’humble journaleux inspiré ; l’artiste du temps qui passe et des petites causes. Final aux allures de slam qui tourne en chanson : Ta batterie. Pour Malone encore, glissant au passage, on prend les paris, qu’il espère le voir un jour aux tambours, derrière lui, son père. Histoire de musicos. Il reste assez de gauche en Renaud pour savoir que la liberté aura, ces dix dernières années, perdu pas mal de terrain. L’égalité, on n’en parle même pas. Mais la fraternité, il s’en charge. Il la prend en charge. Et c’est un sacré chantier, croyez-moi. p francis marmande culture | 13 0123 Konono n°1 et Batida, du Congo à l’Angola Le musicien et producteur installé à Lisbonne a enregistré avec le groupe phare de Kinshasa immédiate avec le son distordu du likembé, qui sonnait comme un kissange [le piano à pouces angolais]. J’y ai trouvé de nombreuses similitudes avec certaines séquences que je jouais à cette époque. En fait, j’avais l’habitude de les mixer avec des beats électroniques et ça collait parfaitement à mes oreilles. » Son imaginaire d’enfant Pour autant qu’il s’en souvienne, la musique congolaise a toujours fait partie de son imaginaire d’enfant, « comme c’est le cas pour toute personne qui a des liens avec l’Angola. Nos anciens évoquaient souvent la Radio révolutionnaire angolaise, diffusée depuis le Congo, avant l’indépendance. Et pour ce qui est de la musique, on peut entendre le son congolais – particulièrement les guitares – dans la musique angolaise. Je suppose qu’il y avait un beau dialogue entre les artistes à l’époque ». Les deux pays ont des musiciens en commun. Sam Mangwana, une des célébrités de la rumba congolaise dont l’album Galo Negro va être réédité (chez Grounded Music/Socadisc), est d’origine angolaise, par exemple. Les membres de Konono n° 1 ont eux-mêmes de la famille en Angola. p patrick labesse Konono n° 1 en concert le 9 avril à La Parole errante, Montreuil (SeineSaint-Denis) ; le 16 au Vauban, à Brest (Finistère) ; le 22 au Stereolux, Nantes (Loire-Atlantique) ; le 29 à La Sirène, La Rochelle (CharenteMaritime), avec Batida ; le 30 au Grand Mix, Tourcoing (Nord), avec Batida ; le 4 mai au 6PAR4, à Laval (Mayenne) ; le 5 au Krakatoa, Bordeaux (Gironde) ; le 6 aux Nuits Sonores, Lyon (Rhône) ; le 7 au Consortium, Dijon (Côte-d’Or) ; le 12 à l’Antipode, Rennes (Ille-et-Vilaine). Batida en concert le 15 avril à l’Embarcadère, Aubervilliers (SeineSaint-Denis). CD Konono n° 1 Meets Batida (Crammed Discs – Wagram) J U LI EN BEN EYTON Galerie Lily Robert Avec la méticulosité d’un maître allemand ou flamand du XVe siècle ou du début du XVIe, Julien Beneyton, né en 1977, peint des bikers, des satanistes, des tatoués, des adolescents de banlieue et beaucoup d’autres figures que l’on serait en peine de définir sans hésitation. Femmes et hommes semblent vivre dans un monde d’inquiétudes et de dangers, de crimes sans doute, si l’on se fie au revolver que tient l’un d’eux et à un paysage de zone commerciale sinistre dessiné avec une précision de topographe. Peut-être ont-ils pour héros le boxeur Jean-Marc Mormeck, auquel trois grandes toiles en grisaille « Sur le ring », de Beneyton, sont dédiées dans la preextrait de la série « L’Œil mière salle. Quant à leur du tigre ». JULIEN BENEYTON/LILY ROBERT rapport avec le monumental portrait de taureau de concours, entouré de ses éleveurs placé dans la vitrine, on ne saurait se risquer à l’expliquer. La peinture de Beneyton est donc à la fois d’une lisibilité exemplaire, car tout y est parfaitement imité, et d’une inintelligibilité déconcertante. On sait ce qu’on voit, mais on ne sait pas ce qui se passe et pourquoi. Une chose est avérée cependant : c’est un portraitiste très efficace. p philippe dagen Galerie Lily Robert, 3, rue des Haudriettes, Paris-3e. Tél. : 01-43-70- 03-01. Du mardi au samedi, de 11 heures à 19 heures. Jusqu’au 23 avril. A L B U M S affaire s’est nouée dans un garage, à Lisbonne, entre la fin de l’hiver et le début du printemps 2015. Il faisait frisquet. « On se réchauffait avec du chocolat chaud et le chauffage était mis au maximum », se souvient le propriétaire du lieu. Il s’appelle Pedro Coquenão. Tout le monde le connaît sous le nom de Batida. DJ, producteur, vidéaste et musicien d’origine angolaise, c’est un des noms en vue de la scène afro-lisboète. Un lanceur d’alerte aussi, engagé aux côtés des 17 opposants au régime en Angola, condamnés à la prison pour « rébellion », aux côtés du rappeur Ikonoklasta (« un de mes meilleurs amis, un frère spirituel »). Dans son garage, Batida a installé un studio d’enregistrement. Le nouvel album du groupe congolais Konono n° 1 s’est concocté là, avec lui. Avec ses machines, ses instruments, ses amis de la scène africaine de Lisbonne invités dans l’aventure, coproducteur de l’album (en compagnie de Vincent Kenis, du label belge Crammed Discs), il a agi comme un aiguillon ardent sur la musique tournoyante des Congolais, basée sur un tonique alliage entre percussions, voix et likembé (piano à pouces) électrifié. Fondé dans les années 1960 sous le nom de l Orchestre folklorique tout-puissant Konono n° 1, par Mingiedi Mawangu, décédé en 2015 à 85 ans, le groupe est l’un des plus célèbres de Kinshasa sur la scène internationale. Le monde de la pop et du rock s’est entiché de sa musique. L’Islandaise Björk l’avait invité sur son album Volta, sorti en 2007. « J’étais fan de ce groupe, nous raconte Batida. J’ai commencé à jouer leur musique dans mon émission radio en 2007. Lorsque Marc Hollander, le boss de Crammed Discs, m’a invité à collaborer avec eux, j’étais ravi. J’ai senti une connexion S É L E C T I O N L’ MUSIQUE G A L E R I E DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 ART HU R HON EGGER & J ACQU ES I BERT L’Aiglon Anne-Catherine Gillet, Marc Barrard, Etienne Dupuis, Philippe Sly, Pascal Charbonneau, Hélène Guilmette, Marie-Nicole Lemieux, Chœur et Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano (direction). L’on doit au chef d’orchestre japonais Kent Nagano, actuel directeur musical de l’Orchestre symphonique de Montréal, ce premier enregistrement de L’Aiglon, né à Monte-Carlo, en 1937, de la plume conjointe des compositeurs français Jacques Ibert (actes I et V) et suisse Arthur Honegger (actes II à IV), d’après un livret tiré de la pièce d’Edmond Rostand. L’Aiglon (alias le roi de Rome ou le duc de Reichstadt) est le fils de Napoléon, mort à l’âge de 21 ans, à Schönbrunn, où sa mère, Marie-Louise d’Autriche, l’a emmené, alors qu’il avait 3 ans, après l’abdication de Napoléon, en avril 1814. La qualité des interprètes rend à cette fresque pseudo-historique tout son poids, à commencer par le frémissant, fragile et radieux Aiglon d’Anne-Catherine Gillet et le vieux grenadier Flambard, campé par le truculent Marc Barrard, ainsi que par l’impératrice de luxe qu’est Marie-Nicole Lemieux. La direction attentionnée de Kent Nagano dépeint avec brio les atmosphères successives, de la valse viennoise dansée à la cour d’Autriche aux rengaines populaires françaises, de l’évocation martiale des batailles paternelles aux rêves délirants de victoires filiales, jusqu’à la fin émouvante d’un jeune homme terrassé par deux mondes incompatibles. p marie-aude roux 2 CD Decca Classics. C HR I STOPHE Les Vestiges du chaos Chanteur de variétés bien tournées dans les années 1960 et 1970 (Aline, Les Marionnettes, Les Mots bleus, Señorita…), Christophe, qui a, un temps, évolué vers le rock avec guitares (l’album Le Beau Bizarre, en 1978), avait connu, dans les années 1980-1990, une période d’oubli. L’album Bevilacqua, en 1996, réalisé en grande partie avec des claviers électroniques, avait donné au chanteur le statut d’expérimentateur. Depuis, Christophe a redonné de ses nouvelles phonographiques à quelques reprises, globalement dans ce genre pop-électro. Les amateurs de sa voix un rien tremblante, au souffle court, timbre dans les aigus dont il a fait un style, avec un enrobage de sonorités synthétiques, devraient apprécier Les Vestiges du chaos, dans une approche similaire. Christophe y propose un hommage à Lou Reed (Lou), un duo avec Alan Vega (Tangerine), en fidélité à deux musiciens qu’il apprécie. On retiendra surtout de cet ensemble, qui ne laisse guère d’impression, la jolie poussée mélodique de Dangereuse, avec un ensemble de cordes. p sylvain siclier 1 CD Capitol Music/Universal Music. N I COL AS MI C HAUX A la vie, à la mort Boîte à rythme feutrée, basse rondelette, claviers fragiles et nonchalance vocale tirent Nicolas Michaux du côté du charmant cocon d’une chanson domestique, chère à Mathieu Boogaerts ou Albin de la Simone. Mais ce Liégeois nomade, qui a posé ses valises au Danemark et au Congo, sait aussi jouer de l’allant d’une guitare, à la fois fluide et aiguisée (on pense à Mac DeMarco), de percussions voyageuses, d’humeurs rock nostalgiques (George Harrison, Richard Hawley) et d’un savoir-faire mélodique (la séduction radiophonique de Nouveau départ et Croire en ma chance). Son aisance à passer du français à l’anglais dans une même chanson rappelle aussi le bilinguisme gracile de Frànçois & the Atlas Mountains. p stéphane davet 1 CD Tôt ou tard. K Retrouvez, sur Lemonde.fr, les critiques de « Tranches de tronches », de Stéphane Huchard « Stuch » et de « Rendez-vous », de DJ Djel 14 | culture 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 EXPOSITION ÎLES MARQUISES Au pays du tiki qui rit Le Musée du quai Branly consacre une grande exposition, du 12 avril au 24 juillet, aux îles Marquises, à ses totems et à son peuple, qui attirèrent Melville, Gauguin ou Brel REPORTAGE hiva oa et nuku hiva (îles marquises) envoyé spécial O n débarque aux Marquises avec un rêve. On les quitte pareillement. Stevenson avait sûrement lu Taïpi de Melville, qui y déserta d’un baleinier le 9 juillet 1842, Segalen avait dû lire Loti. Qu’avaient-ils lu, Gauguin et Brel, qui vinrent tous deux y finir leurs jours ? Moi, c’est avec Vargas Llosa que je débarque : Le Paradis (un peu plus loin) raconte les dernières années de ce vieux chacal de peintre réalisant ici à Atuona, sur l’île d’Hiva Oa, le rêve qu’autrefois, à Arles, avec ce fou de Vincent, ils caressaient : la Maison du jouir. Peindre et faire l’amour. Debout, face aux flancs escarpés d’un cratère auréolé de nuages menaçants, suivant la ligne d’un arc-en-ciel tombant à pic dans la houle d’une mer infestée de requins, on ne peut s’empêcher de penser que tout rêve restera en deçà. Personne ne s’est trompé, c’est bien là une terre d’anarchistes, le paradis des déserteurs, l’origine du monde. A cet archipel perdu au milieu du Pacifique, à son histoire et à son peuple, le Musée du quai Branly consacre, du 12 avril au 24 juillet, sa grande exposition de printemps : « Matahoata. Arts et société aux îles Marquises ». C’est à bord du dragueur de mines La Lorientaise, un vieux machin d’avant-guerre à coque de bois, que l’aspirant Stéphane Martin, à l’époque jeune énarque appelé sous les drapeaux, aujourd’hui directeur du Musée du quai Branly, débarqua en 1979. Sous le charme, comme les autres. La Polynésie restera son premier port d’attache, et ses compagnons d’équipage, des amitiés d’une vie. Encore aujourd’hui, lorsqu’il se rend aux Marquises, l’énarque y retrouve François Gilmore le bosco ou Théodore le matelot. Le fond d’écran de son ordinateur portable est une prise de vue de la baie d’Hatiheu à Nuku Hiva. S’il tombe le costume, on peut découvrir, partant de son pied et remontant sur sa jambe droite, un immense tatouage marquisien à faire rougir un guerrier maori. Ainsi tombe-t-on amoureux de ces terres du bout du monde. Ainsi décidet-on de lancer ce qui sera la plus grande exposition de par le monde à leur avoir jamais été consacrée. Les Marquisiens n’ont pas à proprement parler de Dieu. L’univers est un œuf et nous baignons dans son liquide amniotique. Les étoiles y figurent les ancêtres, défunts puissants, auxquels on consacre, en signe d’allégeance et de respect, ces tikis, statues en basalte ou en tuf, érigées ici et là dans des lieux sacrés envahis par la végétation. Quand un être meurt, son âme passe le cap ouest des îles. L’Ouest, là d’où leur peuple est venu, à bord de pirogues mises à la mer quelque part aux Samoa ou aux Tonga à peu près à l’époque où, de ce côté-ci du monde, un certain Jésus se faisait crucifier. Une nuit, dit la tradition, Atea, figure tutélaire, décida de créer une maison pour lui et A gauche, « Krusenstern » 813 ; à droite, noix de coco sculptée. MUSÉE DU QUAI BRANLY, PARIS LES MARQUISIENS NE SONT PAS DES AFFABULATEURS MAIS DES ENCHANTEURS son épouse, Atanua, appelant les forces divines à la rescousse. D’abord, il construisit « deux piliers », Ua Pou, puis « la poutre faîtière », Hiva Oa, puis il y fixa « la charpente », Nuku Hiva, sur laquelle il posa les palmes de cocotiers, « la couverture » du toit, Fatu Hiva. Les noms de ces îles volcaniques égrenant la genèse de cette cosmogonie éparse. Demandant aux divinités s’il n’avait rien oublié, Atea se vit reprocher de ne pas s’être prosterné. Furieux, il envoya son requin qui renversa tout, et la maison se retrouva éparpillée dans l’océan. « C’est pourquoi l’histoire n’est pas bouclée, dit le sage Edgar Tetahio- tupa, docteur en anthropologie. On n’a pas fini de réunir la maison. On vit encore aujourd’hui dans la légende marquisienne… Et cette reconstruction passe entre autres par l’exposition au Quai Branly. » Ils sont venus nous accueillir à l’aéroport d’Hiva Oa, avec leurs chants en bourrasque, leurs tambours impressionnants, leurs conques et leurs parures d’os macabres. Beaux comme des mégalithes, souples comme des panthères. La troupe est construite autour de la famille Kaimuko. Il y a le père, Patrice, la fille, Poe, et puis son frère Humu. C’est ce dernier qui, en décembre, présidait le Festival des arts des îles Marquises, que son île accueillait. Créé en 1987, le Matavaa et l’association à son origine, le Motu Haka, sont devenus centraux dans la reconstruction identitaire de l’archipel. Chaque île, chaque village, a sa troupe, ses danseurs, ses associations. Partout le même accueil, colliers de fleurs et corps exsudant. UN VIEUX GRIMOIRE Humu a le sang chaud et le port fier. « Aujourd’hui, il nous faut décortiquer tous les ajouts culturels qui se sont greffés à nos traditions », martèle le jeune trentenaire. Il est symbolique de cette nouvelle génération qui aimerait tant se « désacculturer ». Le terme n’existe pas, parce que le concept lui-même n’existe pas. On s’acculture, on se métisse, on ne se démétisse pas. C’est la marche du monde. « Les mélanges ont étouffé notre culture », s’agace Humu. Le téléphone de sa sœur, la lumineuse Poe, apporte une ironie salvatrice : elle a mis les Rolling Stones en sonnerie… A la tête de cette lignée de musiciens, il y a Tahiatini, 90 ans. Les chorégraphies de la troupe sont encore écrites par cette vieille dame, doyenne de l’île. Elle les tire, murmurent ses enfants, d’un livre de danse venu de son père, qu’elle garde secret et qu’aucun n’a jamais vu. Un vieux grimoire dans un pays d’oralité. On dirait un conte. Et c’en est peut-être un. Tout ici est prétexte à histoire. Comme dans les montagnes encaissées des Pyrénées ou les landes désertes des Highlands, la légende, culture | 15 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Motu-One Hatutaa Lors du Festival des arts des îles Marquises, en décembre 2015, sur le Tohua (place communautaire et religieuse) de Taaoa sur l’île Hiva Oa. Eiao Motu-Iti Nuku-Hiva Ua-Huka Taiohae Ua-Pou PASCAL BASTIEN/DIVERGENCES OCÉAN PACIFIQUE Fatu-Huku Atuona Puamau Hiva-Oa Motane ÎLES MARQUISES Tahuata (POLYNÉSIE FRANÇAISE) 50 km Fatu Hiva jungle ; comme des rats ou même de l’arbre à pain, venus avec les Maoris. La veille, sur l’île de Nuku Hiva, Débora Kimitete nous a fait nous arrêter devant un grand arbre où nichait un upe, une sorte de lourd pigeon à bec blanc. « Une espèce endémique », s’extasiait-elle avec fierté. « Comme moi, monsieur, je suis endémique. » Elle riait, mais au fond, pas tant que ça. Avec son mari, Lucien Kimitete, leader politique mort en 2002 dans un obscur accident d’avion lors d’une campagne électorale, Débora a joué un grand rôle dans le renouveau marquisien où l’art et la culture ont un rôle prédominant face à l’hégémonie politique de Tahiti. Dans la foulée du Festival des arts des îles Marquises, le Motu Haka a ainsi créé une « académie marquisienne », assemblée d’instituteurs actifs ou anciens, fers de lance de l’intelligentsia locale, qui cherche à sanctuariser cette langue subtilement différente du tahitien et à la faire évoluer pour en pérenniser l’usage. Télévision se dira pata ata, « l’image projetée » ; l’ordinateur, oo’uia, « le cerveau électronique »… Femme en costume traditionnel. Ci-dessous, le tiki souriant, Punaei, sur l’île d’Hiva Oa. PASCAL BASTIEN/DIVERGENCES « UNE CULTURE EN MOUVEMENT » l’extraordinaire, est règle de survie. On se nourrit du récit, car les récits aident à vivre. Et peu importe si ceux-ci se contredisent, tant qu’ils vous magnifient… Changez de guide, et celui-ci vous parlera d’un tiki de six mètres de haut que les chasseurs lui ont dit avoir vu. Celui-là, d’une tribu d’autrefois qui mangeait les enfants de la tribu d’en bas. Ce ne sont pas des affabulateurs, mais des enchanteurs en quête d’identité. Car comment faire renaître une culture que des générations de missionnaires ont jeté au bûcher ? Cent cinquante ans de condamnation au silence – interdiction des ta- touages, des chants, des danses, de la langue – ont créé une discontinuité historique. Comment, même en détenant le record de l’archipel le plus éloigné de tout continent, retourner à l’état originel quand, dans ce monde, tout est relié ? Dans la forêt autour du surprenant Tiki Ata, le « tiki qui rit », les immenses arbres centenaires n’ont rien d’indigène, ils ont été apportés là par les migrations successives, les bateaux en escale, les marins en déroute. Il en est ainsi des petits chevaux chiliens, qui courent partout en liberté, comme des cochons sauvages ou des coqs qui peuplent la -1H) )>FND%)H+) %HN*%B)0 BDGA,".HB) )B F.CC%GHH.HB)-2.A@.')C C/%!FGC) F)AB<IBD) *N$O +G!!) "/AH *)C !)%"")ADC (%"!C *) "/.HHN)-1H) .B!GCF&RD) 8.H)#)<)CEA) EA% HGAC +GH*A%B @)DC "/%H+GHHA- « Contrairement aux Tahitiens, les Marquisiens n’ont jamais perdu leur langue, témoigne Stéphane Martin. Mais, quand j’ai débarqué pour la première fois aux Marquises, en 1979, il n’y avait pas les cheveux longs, les bijoux en os, les tatouages et les tambours. On y dansait le 14-Juillet avec des paréos et une ou deux guitares. Les Marquisiens ont recréé cette image kaina – sauvage –, qui fait contrepoint à la culture tahitienne très policée. » Et de poursuivre : « Il y a en fait très peu d’objets marquisiens anciens, et la plupart ont été collectés très tôt. Du coup, on a une image figée, archétypale, de la culture marquisienne qui a l’air de s’arrêter à Dupetit-Thouars et à l’arrivée des Français. Je voulais avec cette exposition montrer que c’était plus compliqué, une histoire politique, évolutive, celle d’une culture en mouvement… » Au fil des dix-huit salles consacrées aux Marquises, l’exposition du Quai Branly est ainsi un voyage entre passé et futur. Cela commence par les premiers guerriers débarqués sur leurs pirogues vers l’an 150 avant Jésus-Christ. Leurs paepae, les structures d’habitation, leurs tohua, ces forums où ils se rassemblaient, et leurs meae, sites cultuels hantés par les cérémonies païennes et les sacrifices humains, que l’on visite sur place comme ailleurs l’Acropole – sans la foule, ces îles du bout du monde n’accueillent que 50 000 visiteurs par an. L’exposition se poursuit avec l’arrivée des Occidentaux. L’Espagnol Mendaña, qui en 1595 cherchait les richesses du roi Salomon et, passant par là, nomma ces îles en l’honneur de la femme du marquis vice-consul du Pérou. James Cook, qui y resta quatre EXTRAITS “ Ceux qui visitent les mers du Sud pour la première fois sont généralement déçus par l’aspect que présentent les îles vues de la mer. D’après les notions plus ou moins vagues que nous nous faisons de leur beauté, on se les représente assez bien comme des plaines chatoyantes aux molles ondulations, ombragées de bosquets délicieux et arrosées par des ruisseaux murmurants, et l’on s’imagine que l’ensemble du pays s’élève à peine au-dessus de l’océan. La réalité est tout autre : un rivage âpre et rocheux, dont le ressac bat les hautes falaises ; ça et là de profondes baies, où s’aperçoivent des vallées aux bois épais, que séparent des éperons de montagnes revêtus de buissons clairsemés, et qui rejoignent vers l’intérieur un dédale de hauts mornes crevassés…” Herman Melville, auteur américain, extrait de son romain « Taïpi » (1846). “ Ils parlent de la mort comme tu parles d’un fruit ils regardent la mer comme tu regardes un puits les femmes sont lascives au soleil redouté et s’il n’y a pas d’hiver cela n’est pas l’été la pluie est traversière elle bat de grain en grain quelques vieux chevaux blancs qui fredonnent Gauguin et par manque de brise le temps s’immobilise aux Marquises.” Jacques Brel, extrait de la chanson « Les Marquises », tirée de son dernier album (1977). jours en 1775, lors de son deuxième grand voyage dans le Pacifique. « L’époque du contact », comme on dit ici. Un tournant civilisationnel. Les perles remplacent les coquillages, le métal fait son apparition, les maladies ravagent la population, et on se met à sculpter non plus pour le sacré, mais pour le commerce. En 1842, les Français finissent par annexer ces îles inannexables, et les missionnaires feront le reste, qui broient la culture là où les armes peinent en vain à éteindre les révoltes. Enfin, l’exposition raconte cette jeune génération qui trouve, dans les années 1970, l’écoute d’un évêque breton dont le nom, Mgr Le Cleac’h, est murmuré dans ces îles comme celui d’un saint. Un petit homme doux qui va traduire la Bible en marquisien et chercher la synthèse entre le dogme catholique et l’identité culturelle de ces populations défaites. On ne comptait plus que 2 000 habitants dans les années 1920, contre 50 000 en 1790. Aujourd’hui, ils sont 9 000 dans ce chapelet d’îles, et 55 % de la population a moins de 15 ans. Ahitiri, lui, en a 23. Il a des dents de verrats dans les oreilles et une barbichette ; 97 kg, 1,76 m. Avant le Matavaa de décembre, il en pesait 25 de plus. Une corpulence marquisienne. Ces jeunes sont aussi lestes dans leurs mouvements qu’impressionnants lorsqu’ils interprètent la danse du cochon, le corps couvert de tatouages ethniques que la génération de leurs pères s’est réappropriés. Ahitiri est de Ua Pou, mais aujourd’hui il étudie la sculpture au Centre des métiers d’art de Papeete. Son rêve est le même que celui de tous les jeunes Polynésiens : la métropole – et, pour lui, plus précisément, l’école Boulle à Paris. Si cela ne marche pas ? Il rit : « Je rentre chez moi, vivre de ma sculpture sous mon arbre à pain, en faisant mon kaaku », un aligot fait en pilant le fruit de l’arbre à pain dans du jus de coco, la base de toutes choses avec le poisson cru et la banane sous toutes ses formes. Nella Touaitahuata aussi voulait partir. A 14 ans, elle s’était fait tatouer une tortue, en cachette de sa mère. Et puis son père a disparu en mer en allant à la pêche, alors elle est restée à Tahuata, petite île de 600 habitants, pour ne pas laisser sa mère toute seule. Depuis, institutrice et mère à son tour, elle a découvert que la tortue est une figure sacrée, le messager des dieux, et regarde ces retrouvailles avec le passé enfoui dans les entrailles de son peuple comme l’espoir d’une autre vie. Sa fille de 8 ans raconte un rêve : elle voudrait être archéologue. p laurent carpentier Matahoata, Arts et société aux îles Marquises, au Musée du quai Branly, à Paris, du 12 avril au 24 juillet. De 7 à 9 euros. 0&.-&A!0 *1 )B;G=* *)41$>>$=$;4 .8 C?:9 "! /79 A!!80 0D:!#/?78 7CC?#?!::! /?CC +35( :78"78 CC +35( :!0 &2#0 +35( @?/#@#7#< "'72 62?, ". 6.%:?# 9!?::!.2 0#D8&2?7 "?8&2" +35( ?A 4A,"%+%C O 4.D%C5 Q 7;GH0 3)HH)C0 6GHBF)""%)D0 2.%HB<:B%)HH)0 9D)HG,")0 )B =).A@.%C 16 | J télévisions ENTRETIEN ohn Truby est un « script doctor » de référence. Son rôle : redresser le scénario d’un film qui faiblit ou sortir de l’ornière l’intrigue d’une série mal ficelée. Consultant auprès de multiples sociétés de production et de studios américains (dont HBO, Disney, Sony Pictures, la Fox ou la BBC), il a travaillé sur 1 800 productions. Il enseigne également dans le monde entier l’art de la narration ou « l’anatomie du scénario » pour reprendre le titre de son manuel, édité en France chez Nouveau Monde (2010). Alors que la septième édition du festival Séries Mania s’ouvrira vendredi 15 avril à Paris, John Truby revient sur la manière dont les séries ont évolué ces dernières années, en particulier en termes de construction et le rôle essentiel tenu par les équipes de scénaristes. Considérez-vous que la construction de base d’un récit soit identique pour un roman, un film ou une série ? Les techniques principales sont les mêmes, seule diffère la structure. Au cours de ces quinze dernières années, ce qui s’est passé de plus passionnant dans l’élaboration et le développement d’histoires s’est produit dans les séries. Jusqu’alors, la façon de construire revenait à faire un récit avec un début et une fin, en un épisode, comme dans un film ou un roman. En 1999, avec les « Soprano », naît aux Etats-Unis le récit sériel qui s’apparente au feuilleton du XIXe siècle, même si la série télévisée s’en distingue par d’autres aspects. L’unité du récit n’est plus l’épisode, mais la saison entière, voire les saisons qui se suivent. Cette sérialité est une vraie révolution. Même les formes les plus simples et les plus populaires en télévision, le policier et l’histoire criminelle, s’étalent souvent, « La télévision est à son apogée en termes de créativité » Consultant auprès des plus grands studios américains, dont HBO, John Truby, auteur du livre « Anatomie du scénario », revient sur l’évolution des séries ces dernières années, notamment en matière de construction, et sur le rôle essentiel des auteurs 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 aujourd’hui, sur toute une saison et s’avèrent donc beaucoup plus intéressantes qu’auparavant. Pensez à « The Killing » ou à « Fargo », par exemple. On ne pouvait pas parvenir à une telle qualité quand tout devait être bouclé en 45 minutes ! Désormais, avec un canevas dix à quinze fois plus long que pour un film, les personnages principaux et les intrigues secondaires se développent et se multiplient, d’où une grande complexité de l’histoire. De ce fait, la série télévisée devient assez fascinante, et même bien plus que le cinéma. C’est ce qui explique que l’on parle d’« âge d’or » de la télévision : depuis les années 2000 environ, la télévision est à son apogée en termes de créativité, et ce, partout dans le monde. C’est tout de même plus vrai aux Etats-Unis qu’en France… A des degrés divers, c’est vrai partout. A l’époque où les séries reprenaient la même structure épisode après épisode, il était aisé de mépriser la pauvreté de réalisation et de scénario du petit écran par rapport aux films spectaculaires que pouvait proposer le cinéma. Il en va différemment aujourd’hui, où une bonne série peut être aussi bien filmée qu’au cinéma, et avec tellement plus de dramaturgie que n’importe quel film ! J’espère qu’un jour, même en France, on reconnaîtra que l’auteur d’une série n’est pas le réalisateur, mais le scénariste. Parce que tout repose sur l’écriture. S’ajoute un autre fait : aux Etats-Unis, le financement des films et le type d’histoires qui se vendent aujourd’hui à Hollywood sont très différents de ceux de la télévision. Cela a commencé avec le premier Star Wars (1977). S’apercevant que leur audience ne se limitait pas qu’aux Etats-Unis, les studios de cinéma ont commencé à privilégier un type de récit pouvant attirer une audience mondiale, indépendamment des cultures et des frontières. Pour cibler le même type d’ados et de jeunes adultes, partout dans le monde à la fois, ils ont donc recours à deux types d’histoires : celles qui adaptent des mythes et celles qui ne sont que pure action… Cela explique qu’aux Etats-Unis les vrais grands récits dramatiques, aujourd’hui, se présentent sous forme de série. C’est là que vont les très bons auteurs. D’autant que, depuis l’apparition du câble payant, les personnages de séries n’ont plus à être toujours simples et positifs, comme au temps où n’existaient que trois grands réseaux audiovisuels, qui eux-mêmes visaient l’audience la plus large possible. Il fallait que l’on s’attache au personnage principal pour que le spectateur revienne chaque semaine vers lui, estimait-on alors, ce qui impliquait qu’il soit positif. Donc la limitation imposée au cinéma pour qu’il s’adresse à une audience mondiale, liée à la liberté apportée par l’apparition des chaînes payantes du câble, a mené à la situation actuelle : même au-delà des Etats-Unis, les séries font preuve d’une très grande créativité, et souvent beaucoup plus que le cinéma. Encore faut-il que les commanditaires laissent toute leur place aux auteurs, ce qui ne semble pas gagné en France… Peut-être, mais la télévision française s’améliore rapidement. Les studios français ne sont pas aussi optimistes que moi, et pourtant, connaissez-vous un autre pays que la France qui, aux derniers International Emmy Awards, ait remporté trois prix, dont celui de la meilleure série dramatique (« Engrenages » saison 5) ? Non ! C’est un signe très positif. Il n’y a aucune raison pour que les Français fassent moins bien que les Américains ! Longtemps, en France, il n’y a eu qu’« Engrenages ». Mais on voit de plus en plus de bonnes séries comme « Chefs », « Les Revenants », « Dix pour cent », « Fais pas ci, fais pas ça ». Remarquez, d’ailleurs, que cette dernière a énormément gagné en qualité, au fil des saisons. Le travail des scénaristes français se voit à l’écran, si bien qu’ils pourront se mesurer avec n’importe quelle série dans le monde d’ici cinq ans ou un peu plus. Surtout s’il y a une aide à l’écriture, ce qui est le plus important à mon sens, et si l’on en vient au système d’équipes chapeautées par un auteur-producteur (showrunner). Quand la télévision aura compris qu’il n’y a pas d’autre choix, les freins français finiront par s’émousser et les scénaristes parviendront à faire tomber les barrières. Vous ne croyez pas à l’auteur isolé ou au duo de scénaristes à la télévision ? Non. La clé, pour la télévision française, dans le futur, c’est la création d’équipes d’écriture comme on le fait aux Etats-Unis. Le succès des séries américaines vient de là ! Il est absolument indispensable qu’un créateur ait la main sur l’ensemble de sa série, ce qui suppose une équipe de scénaristes. La télévision française n’a pas encore créé les circuits financiers pour cela, mais ça viendra, on ne peut pas faire autrement. L’important, dans une série, c’est la manière de séquencer et de rythmer les épisodes. S’ils sont écrits par des scénaristes freelance, on ne peut rien coordonner pour intensifier, petit à petit, le pouvoir dramatique jusqu’à la fin de la saison. Quant à tout donner à écrire à un seul auteur, en ayant le summum de la qualité et en fournissant une saison par an, c’est quasiment impossible. C’est le problème qu’a encore la télévision française : « Les Revenants » a été sacrée meilleure série dramatique aux International Emmy Awards, mais il a fallu attendre trois ans pour une deuxième saison. On ne peut entrer dans le circuit mondial comme ça ! p propos recueillis par martine delahaye télévisions | 17 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 VOS SOIRÉES TÉLÉ D IM AN CH E 10 AVR IL TF1 20.55 Man of Steel Film fantastique de Zack Snyder (EU, 2013, 148 min). 23.35 Esprits criminels Série créée par Jeff Davis (EU, saison 4, ép. 19 et 24/26). « The Five », série britannique créée par Harlan Coben en 2016. Avec Lee Ingleby (Slade), Tom Cullen (Mark), Sarah Suleman (Pru) et O.T. Fagbenle (Danny). France 2 20.55 Neuilly sa mère ! Comédie de Gabriel Julien-Laferrière (Fr., 2009, 90 min). 22.25 Faites entrer l’accusé « Nuit tragique au moulin ». Présenté par Frédérique Lantieri. France 3 20.55 Les Enquêtes de Morse Série créée par Russel Lewis (GB, 2016, 90 min). 0.25 Les Poupées du diable Film fantastique de Tod Browning (USA, 1936, 75 min). RED PRODUCTION COMPANY Canal+ 21.00 Football 33e journée de Ligue 1 : Marseille-Bordeaux. France 5 20.40 Les Moules, reines des coquillages Documentaire d’Hervé Corbière (Fr., 2016, 90 min). 22.25 « Opération Torch », 1942, les Alliés débarquent Documentaire de Christophe Muel (Fr., 2012, 52 min). Arte 20.45 La Reine Margot Drame de Patrice Chéreau (Fr.-Ital.All., 1993, 159 min). 23.20 Isabelle Adjani « Deux ou trois choses qu’on ne sait pas d’elle ». Documentaire de Frank Dalmat et Julien Collet (Fr., 2012, 68 min). Tapis rouge pour les séries La septième édition du festival Séries Mania se tiendra du 15 au 24 avril à Paris O bjet de la culture populaire, la série a acquis un statut artistique à mesure qu’elle devenait une industrie mondiale (et non plus essentiellement américaine), et qu’elle voyait naître des géants de l’exportation tels que la Turquie, l’Amérique latine ou la Corée. Elle s’invite même désormais dans les plus grands festivals de cinéma, partout dans le monde. Le franchissement du Rubicon s’est produit en 2015, lorsque, pour la première fois, les festivals de cinéma de Berlin et de Toronto créent une section pour cette forme de fiction au long cours. Invitées de nouveau à la Berlinale en 2016, les séries ont donc, dorénavant, leur siège bien installé au sein du programme cinématographique de ce festival de référence, vieux de soixante-cinq ans. Même chose au Canada : fort de quarante ans d’existence et de sa proximité avec les Etats-Unis (qui lui permet d’attirer des stars en campagne pré-Oscars ou des studios nord-américains), le Toronto International Film Festival poursuivra lui aussi, en septembre, son programme « Primetime » consacré aux séries. Constatant qu’« il y a de plus en plus de compétition entre les festivals », Piers Handling, son président, a d’ailleurs annoncé au journal canadien La Presse vouloir « braquer les projecteurs » sur les intercon- nexions entre télévision et cinéma. En accordant de plus en plus de place aux « drama series ». Et il n’est pas le seul. En Europe, le Rome Film Fest entend ainsi attirer les professionnels de séries auprès des spécialistes du cinéma habitués de son Marché international de l’audiovisuel. Cela vaut aussi pour Rotterdam, Göteborg, Munich, Londres, Genève ou Bruxelles. Sans oublier, en France, les festivals qui ont intégré des séries dans leur programmation, ainsi que ceux de Paris (Séries Mania) et Fontainebleau (Séries Séries), qui défendent exclusivement cette forme fictionnelle depuis 2010 et 2012. « Une course contre la montre » Conscient de l’enjeu que représenterait pour la France un festival international des séries ayant les moyens de devenir LA référence avant qu’un autre pays ne s’y engage, le ministère de la culture pourrait procéder à des annonces en ce sens tout prochainement. Un rapport à ce sujet a été commandé à Laurence Herszberg, directrice générale du Forum des images à Paris (l’institution cinématographique de la Ville de Paris), qui y créa le festival Séries Mania en 2010, dont la septième saison se tiendra du 15 au 24 avril. Un festival qui invite chaque année professionnels et public à découvrir une cinquantaine de nouvel- Conférences et rencontres exceptionnelles Une cinquantaine de séries du monde entier, en avant-première, des rencontres avec leurs créateurs, scénaristes ou acteurs, une sélection de webséries et des conférences thématiques. Une compétition incluant des œuvres en provenance de huit pays (Argentine, Australie, Belgique, France, Israël, Norvège, Suède et Royaume-Uni). Une dizaine de rencontres avec, notamment, l’auteur-producteur américain David Chase, créateur des « Soprano » (samedi 16 avril, à 18 heures) ; le romancier américain Harlan Coben, créateur de la série « The Five » (samedi 16, après la projection, à 20 h 30, de sa série) ; le « showrunner » et réalisateur des quatre premiers épisodes de « Marseille », nouvelle série de Netflix prévue le 5 mai (mercredi 20 avril, après la projection des vingt premières minutes de la série, à 18 h 30). Nombre des séries présentées au Forum des images, à Paris, seront de nouveau projetées dans deux salles de l’UGC Ciné Cité des Halles, du samedi 16 avril au dimanche 24 avril, entre 11 et 21 heures. Séries Mania, du 15 au 24 avril, au Forum des images, à Paris. Entrée gratuite sur présentation d’un billet à réserver sur Series-mania.fr ou à retirer sur place. « Il faut une force de frappe non négligeable pour atteindre une dimension véritablement internationale » LAURENCE HERSZBERG directrice du Forum des images les créations internationales, à assister à des tables rondes et à rencontrer des auteurs-producteurs tels que Vince Gilligan (« Breaking Bad »), Nic Pizzolatto (« True Detective »), Matthew Weiner (« Mad Men »), ou David Chase cette année (« Les Soprano »). S’y ajoute cette année une compétition internationale, entre les huit (co) productions sélectionnées venant de Belgique, de France-Espagne, d’Argentine, d’Israël, de Suède-France, de Norvège, du Royaume-Uni et d’Australie. « Nous explorons chaque année de nouveaux territoires, note Mme Herszberg. Obtenir les séries américaines en avant-première reste compliqué, mais désormais, les studios et les managers savent qui nous sommes. Tout cela se construit petit à petit. Quelqu’un défriche pour nous l’Angleterre, quelqu’un d’autre l’Argentine et l’Australie, deux formidables terres de fiction. Actuellement, nous cherchons à pénétrer des territoires intéressants mais très compliqués comme le Japon et la Corée. Mais la télévision n’y fonctionne pas comme en Europe. » Sans dévoiler les préconisations du rapport qu’elle remettra à Audrey Azoulay, ministre de la culture, vendredi 15 avril, Mme Herszberg met en avant l’urgence, reconnue par toute la profession, de procéder à des arbitrages. « Cela fait plusieurs années que j’alerte les autorités, explique-t-elle. Nous sommes pris dans une course con- tre la montre. Il existe en France un grand foisonnement de festivals programmant des séries. Or il faut avoir une force de frappe non négligeable pour atteindre une dimension véritablement internationale. Pour le moment, à Berlin ou Toronto, les séries n’ont pas encore une place très importante, mais il faut aller très vite ! Nombre de festivals de cinéma étrangers ont une renommée déjà faite et des budgets autrement conséquents. Si l’on souhaite que la filière française soit forte, il faut un grand événement ici, en France. » Comme le cinéma, la série pourrait alors devenir un objet d’export. Encore faudrait-il combler un manque de productions patent en France, si l’on se compare à nos voisins, l’Angleterre produisant deux fois plus de séries, et l’Allemagne trois fois plus… La programmation de Séries Mania en apporte d’ailleurs une preuve, en ayant intégré deux productions belges et une canadienne dans la section qui, traditionnellement, mettait en compétition six séries françaises entre elles. « On ne produit pas assez en France et l’étape la plus fragile, la plus sous-financée, concerne l’écriture, commente Mme Herszberg. Les scénaristes manquent d’espaces de création, il leur faut des résidences d’écriture ainsi que des lieux où échanger. Mais c’est à l’échelon français et européen en même temps qu’il faut multiplier les initiatives pour faire émerger des talents, des écritures, des formations. Il faut élargir le réseau des producteurs et des diffuseurs à l’échelle européenne, si l’on veut créer, nous aussi, un grand marché de la série. » Et la créatrice de Séries Mania de se reprendre : « En fait, on ne peut plus, on ne devrait plus parler de “séries télévisées”. Netflix ou Amazon lancent des séries sans que ce soit de la télévision. Les AngloSaxons parlent d’ailleurs aujourd’hui de “drama series”. Il va falloir que l’on trouve un autre terme, nous aussi… » p m. d. M6 20.55 Enquête exclusive Spécial 10 ans. Magazine présenté par Bernard de La Villardière. LUN D I 1 1 AVR IL TF1 20.55 Clem Téléfilm français d’Arnauld Mercadier et Grégory Ecale (Fr., 2015, 115 min). 22.50 New York, unité spéciale Série créée par Dick Wolf (EU, S14, ép. 22 et 19/24 ; S5, ép. 25 et 23/25). France 2 20.55 Rizzoli & Isles : autopsie d’un meurtre Série créée par Janet Tamaro (EU, S5, ép. 9 et 10/18 ; S3, ép. 5/15). 23.00 Alcaline le mag Mickey 3D. France 3 20.55 Le Jour le plus long Film de guerre de Ken Annakin, Andrew Marton, Bernhard Wicki, Gerd Oswald et Darryl F. Zanuck (EU, 1962, 170 min). Canal+ 21.00 Section zéro Série créée par Olivier Marchal (Fr., S1, ép. 3 et 4/8). 22.30 Spécial investigation « (T)erreur ». Présenté par Stéphane Haumant. France 5 20.45 Jeanne Poisson, marquise de Pompadour Téléfilm de Robin Davis (Fr., 2006, 100 min, 2/2). 22.25 C dans l’air Magazine présenté par Yves Calvi. Arte 20.55 La mort vous va si bien Comédie de Robert Zemeckis (EU, 1992, 105 min). 22.35 La Comtesse Drame de Julie Delpy (EU-Fr.-All., 2009, 94 min). M6 20.55 Top Chef Présenté par Stéphane Rotenberg. 23.00 Top Chef, les secrets des grands chefs Présenté par Stéphane Rotenberg. 18 | télévisions 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Caitlyn Jenner, an 2 S É R IES La deuxième saison de « Appelez-moi Caitlyn », sur E !, témoigne d’un approfondissement des sujets sociétaux et politiques liés au transgénérisme E! À LA DEMANDE SÉRIE DE TÉLÉ-RÉALITÉ T out le monde s’attendait au pire avec le lancement, fin juillet 2015, de « Appelez-moi Caitlyn », qui filmait la nouvelle vie de Bruce Jenner, l’ancien champion olympique médaillé d’or de décathlon, devenu Caitlyn Jenner après une opération de réassignation de genre. Cette crainte venait surtout du fait que Bruce Jenner était l’un des protagonistes d’une série de téléréalité mondialement célèbre et abyssalement stupide, « La Famille Kardashian », où on le voyait, au jour le jour, filmé aux côtés de sa femme et de ses enfants. Mais, contre toute attente, Jenner en a fait l’objet d’une intéressante enquête dans le monde du transgénérisme. Un monde que lui faisaient découvrir des activistes et universitaires transgenres, très éloignés de son milieu huppé et privilégié. Ce qui n’empêcha pas une forte contestation de certains membres de la communauté LGBT, ainsi qu’on le voit lors d’un violent affrontement verbal au cours de l’épisode 4 de la saison 2. La saison 1 flirtait avec les codes de la télé-réalité et faisait son possible pour y intégrer des célébrités, tel le chanteur Boy George. La deuxième, qui en est à mi-course avec cinq épisodes déjà diffusés par E !, semble vouloir insister encore plus sur les problèmes sociétaux et politiques liés au transgénérisme. Au cours d’un long voyage en car dans les Etats de l’Union, on retrouve l’universitaire Jennifer Finney Boylan, professeur à Barnard College (New York), et Kate Bornstein, qui se définit comme « auteure, performeuse et avocate de la cause des adolescents, des monstres & autres hors-la-loi ». « Une femme normale » Elles sont toutes deux femmes transgenres, ont des enfants et sont en couple avec des femmes. Mais presque tout les sépare : leur affrontement intellectuel constitue un axe principal de la série. Kate Bornstein illustre l’avantgarde d’une pensée qui veut souligner la singularité intergenre, ni homme ni femme. Elle revendique d’être un « monstre » [« freak »], voire un « travelo » [« trannie »], des termes considé- Caitlyn Jenner sur le plateau de l’émission « Appelez-moi Caitlyn », en janvier. FREDERICK M. BROWN/AFP rés comme offensants par Jennifer Boylan, qui revendique au contraire que les femmes transgenres soient considérées comme des femmes, sans autre qualificatif. Jenner, qui n’a jamais eu de relation avec un homme de sa vie, dit à Boylan ressentir le besoin d’en fréquenter un pour « être comme une femme normale ». Boylan lui rétorque qu’elle n’a « pas besoin d’un homme pour être femme » et qu’« une femme transgenre est une femme normale ». On notera aussi une discussion intéressante sur les liens conflictuels entre le milieu transgenre féminin et celui des drag-queens d’où est issue l’une des voyageuses, Chandi Moore. Caitly Jenner est la seule du groupe à être favorable au Parti républicain et à témoigner des points de vue politiques extrêmement réactionnaires. La discussion, très animée, en arrive presque à la scission du groupe. Une rencontre – apparemment fortuite, mais, on l’imagine, orchestrée – de Jenner et du couple Clinton dans le hall d’un hôtel, à Des Moines (Iowa), fait convenir à Caitlyn Jenner qu’Hillary aura été très bonne sur les questions transgenres… Mais pour qu’elle vote pour la candidate démocrate, il lui faudra opérer une autre transition… p renaud machart Appelez-moi Caitlyn (EU, saison 1 et 2, 2015/2016). Jean-François Zygel met en musique l’apéro France 2 acquiert « La Trève » et « Thirteen » Confortée par les jolis succès d’audience enregistrés récemment avec les séries britannique « No Offence » et islandaise « Trapped », la chaîne publique continue d’étoffer son catalogue par l’achat de fictions étrangères européennes. Ainsi vientelle d’acquérir « La Trève » et « Thirteen ». La première est une série belge, qui met en scène un exflic, qui, après la mort de sa femme, choisit, malgré tout, de reprendre du service dans la ville de son enfance. La seconde est une série britannique centrée sur le personnage d’Ivy, une jeune femme, qui, après avoir été séquestrée treize ans, retrouve les siens et aide la police à mettre la main sur son ravisseur. Arte prend goût à l’anticipation Après avoir diffusé, en février, « Trepalium », la chaîne francoallemande va proposer une nouvelle série d’anticipation en six épisodes, intitulée « Transferts ». En cours de tournage, ce thriller aborde la question des dérives de la science et la quête d’immortalité. Au casting de cette série réalisée par Olivier Guignard, on retrouve notamment Arieh Worthalter, Brune Renault et Thierry Frémont. Canal+ adapte « Vernon Subutex » L’émission hebdomadaire du pianiste et compositeur sur France Inter est désormais programmée à 19 heures FRANCE INTER TOUS LES SAMEDIS – 19 HEURES MAGAZINE J ean-François Zygel a l’air bien seul dans le vaste studio 106 de la Maison de la radio. Tantôt devant un piano, tantôt à une table, il enregistre sous une lumière blafarde « La Preuve par Z », l’émission musicale « faite à la main et pour les oreilles » diffusée sur France Inter. Quelques mètres plus haut, il peut voir à travers une vitre sa réalisatrice. Le musicien communique avec elle quand il n’est pas satisfait d’une prise. Et ça arrive souvent. « J’utilise la radio comme un instrument. J’applique les mêmes méthodes que lorsque j’étudie une partition. Je suis un pianiste qui travaille un morceau pour qu’il soit le plus parfait possible », explique-t-il. La « courbe d’une phrase », l’énergie de la voix, les enchaînements entre les parties jouées et parlées, tout est répété plusieurs fois. Même si l’émission a débuté à la rentrée, ce jour-là est une première. Il passe, dit-il, amusé, de « l’heure du thé à celle de l’apéro ». Daphné Roulier ayant mis fin à « La vie est un je », Jean-François Zygel reprend son horaire, entre 19 heures et 20 heures, le samedi. Une tranche plus exposée qui lui fait perdre une dizaine de minutes. « Cela demande plus de travail de montage, nous avons moins de marge de manœuvre, on doit aller à l’essentiel », raconte l’animateur et créateur de « La Boîte à musique », diffusée chaque été sur France 2. Des thèmes très éclectiques Ce compositeur et pianiste improvisateur a fait de la télévision et de la radio non un métier, mais un moyen de diffuser son art. « Je pense que ce sont des endroits naturels où les artistes doivent s’exprimer, un prolongement d’une vie artistique », insiste-t-il. Sur Inter, Jean-François Zygel revisite et décrypte la musique autour d’un « fil rouge ». Avec des extraits classiques, mais pas seulement – Queen, Léo Ferré ou Charles Aznavour s’invitent aussi sur les platines. Il intervient également avec son piano et interpelle régulièrement avec son ton enjoué l’auditeur dans ses explications « parlées ». « J’essaye de trouver le bon équilibre entre les trois, mais j’aime beaucoup les mots », confesse-t-il. Très éclectiques, les thèmes ne répondent à aucune logique, si ce n’est celle de Jean-François Zygel : « God Save the Queen » quand Elisabeth II a battu le record de longévité sur le trône de son aïeule Victoria ; « La neige » pour la fin du printemps ; « Sortilèges russes » samedi 9 avril ; ou encore, bientôt, « Magie noire et magie blanche ». « J’ai dans la tête des thèmes pour au moins un an », s’enthousiasmet-il. De quoi rassasier les auditeurs avant l’heure du dîner. p joël morio « La Preuve par Z ». Jean-François Boyer, président de la société de production Tetra Media, a annoncé que le best-seller de Virginie Despentes, Vernon Subutex (Grasset, 2015), allait être adapté pour Canal+, sous la forme originale d’une série comportant des épisodes de trente minutes. L’adaptation, à laquelle participe Virginie Despentes, a été confiée à Cathy Verney, auteur de la série « Hard » sur Canal+. 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT I. A beaucoup saisi et tapé, mais c’est GRILLE N° 16 - 086 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 ini. II. Faire un bruit du tonnerre. du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. 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Risquent La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 d’émouvoir. 3. Se manifeste. Qui fait X quoi au journal. 4. Négation. Débarrassée de ses vieux bois. 5. Font souffrir dans le vestibule. 6. Bien raide et toufue. Homme de cour et de cœur. SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 085 HORIZONTALEMENT I. Haltérophile. II. Omerta. Renom. III. Ravir. Lipome. IV. Oripeaux. Uet (tué). V. Dés. Me. Si. VI. Ay. Truste. PS. VII. Tétras. Ancra. VIII. Européen. Ain. IX. Usine. Violet. X. Réservataire. VERTICALEMENT 1. Horodateur. 2. Amareyeuse. 3. Lévis. Tris. 4. Trip. Trône. 5. Etre. Râper. 6. Râ. Amuse. 7. Lues. Eva. 8. Prix. Tanit. 9. Hep. Sen. Oa. 10. Inouï. Cali. 11. Lomé. Prier. 12. Emétisante. 7. Vaut de l’or. Lustrai les étofes. 8. Porteur de grappes. Montée comme une belle pierre. 9. Relève. En ville. 10. Montre le bout de la queue. Station du Morbihan. 11. Du bleu à la campagne. Chez les Clinton. De juin à septembre. 12. Risquent de choquer les oreilles chastes. & CIVILISA TIONS IX N° 16 AVRIL 2016 NS & CIVILISATIO BATA´ILLE DE LEPANTE LA GRANDE DÉFAITE DES TURCS L’EMPEREUR AKBAR Chaque mois, un voyage à travers le temps et les grandes civilisations à l’origine de notre monde L’INDE RÊVÉE OL DU GRAND MOGH SAINT MARTIN TOUT CE QUE LA GAULE LUI DOIT AÇONS FRANCS-M NT DE L’OMBRE ILS SORTE ES AU SIÈCLE DES LUMIÈR FASCINANTS HIÉROGLYPHES ENTRE SCIENCE ET OCCULTISME CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») carnet | 19 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Paris. K En kiosque Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. octkcigu Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu cppkxgtucktgu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. rqtvgu/qwxgtvgu. ukipcvwtgu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu & CIVILISATIONS BATAILLE ´ DE LEPANTE LA GRANDE DÉFAITE DES TURCS L’EMPEREUR AKBAR L’INDE RÊVÉE DU GRAND MOGHOL SAINT MARTIN TOUT CE QUE LA GAULE LUI DOIT FRANCS-MAÇONS ILS SORTENT DE L’OMBRE AU SIÈCLE DES LUMIÈRES FASCINANTS HIÉROGLYPHES ENTRE SCIENCE ET OCCULTISME Hors-série L’HISTOIRE DE L’OCCIDENT Déclin ou métamorphose ? Collections APPRENDRE à PHILOSOPHER AU CARNET DU «MONDE» Décès Séverine Lèbre-Badré, sa femme, Lalie, Barnabé et Edmond, ses enfants, Colette et Jean Badré, ses parents, Sophie Badré, sa sœur, Jérôme Badré, son frère, Sa famille, ont la douleur de faire part du décès, le 5 avril 2016, de Frédéric BADRÉ, La cérémonie religieuse sera célébrée le lundi 11 avril, à 15 heures, en l’église Saint-Rémy de Vanves, suivie de l’inhumation au cimetière de Vanves. Ni leurs ni couronnes. Vous pouvez adresser vos dons à la recherche médicale. Anne Bentéjac, son épouse, Alain et Marie-Paule Bentéjac, Jean-Luc et Cathy Bentéjac, ses ils et belles-illes, François, Emmanuel et Anne-Lise, Xavier et Célia, Corentin, Mathilde, ses petits-enfants et leurs compagnes, Margaux, son arrière-petite-ille, Charles BENTEJAC, survenu le 3 avril 2016, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. EGYPTOMANIA Une collection pour découvrir la vie et les mystères de l’Egypte des pharaons Les obsèques ont été célébrées le mercredi 6 avril, en l’église Saint-Roch de Savignac. Cet avis tient lieu de faire-part. Mme Gabriel Colin, née Sabine Madelin, son épouse, ont la douleur de faire part du décès de l’ingénieur général de l’armement (2S) Gabriel COLIN, oficier de la Légion d’honneur, oficier de l’ordre national du Mérite, médaille de l’aéronautique, Dès jeudi 7 avril, le vol. n°13 Toutânkhamon/La fête d’Opet/ La céramique/Alexandrie survenu le 8 avril 2016, à Paris, dans sa quatre-vingt-septième année. La cérémonie religieuse sera célébrée le mercredi 13 avril, à 10 h 30, en l’église Saint-Jean-Baptiste-de-Grenelle, 23, place Etienne-Pernet, à Paris 15e. L’inhumation aura lieu le même jour, à 15 h 30, au cimetière de Neuvilleau-Bois (Loiret). 2 LIVRES : LE JOUR J (3) : SWORD BEACH et LA PASSE DE KASSERINE Nos services Lecteurs K Abonnements www.lemonde.fr/abojournal K Boutique du Monde www.lemonde.fr/boutique K Le Carnet du Monde Tél. : 01-57-28-28-28 survenu le 23 mars 2016, à l’âge de quatre-vingt-six ans. ont la douleur d’annoncer le décès de Christian JOIN-LAMBERT, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, oficier de la Légion d’honneur, Mme Hélène Mirlesse, sa mère, Mme Natalia Tsarkova-Mirlesse, son épouse, Samantha et Anastasia Mirlesse, ses illes Et l’ensemble de sa famille, ont l’immense chagrin de faire part du décès de Etienne MIRLESSE, survenu le 28 mars 2016, à Sion (Suisse), à l’âge de soixante-et-un ans. Une messe en sa mémoire aura lieu le vendredi 29 avril, à 14 h 30, en l’église de Saint-Etienne, d’Issy-les-Moulineaux (France). Cet avis tient lieu de faire-part. décédé le mardi 5 avril 2016, à l’âge de quatre-vingts ans. Une messe sera célébrée le mardi 12 avril, à 14 h 30, en l’église SaintMédard, 39-41, rue Daubenton, Paris 5e. L’inhumation aura lieu dans l’intimité familiale. Ni fleurs ni couronnes. Dons à l’association France Parkinson, 18, rue des Terres au curé, Paris 13e. Le président de l’École Pratique des Hautes Études, Le doyen de la section des sciences religieuses, Les directeurs d’études Et les maîtres de conférences, Les étudiants et auditeurs, Le personnel administratif, ont la tristesse de faire part du décès, survenu le 4 avril 2016, de Guy MONNOT, Paris. ancien titulaire de la direction d’études « Exégèse coranique ». Micheline, sa sœur et Cecil Serfaty, Claude, sa sœur et Daniel Besse, Nicole Sallé, leurs enfants et petits-enfants, Parents et alliés, Ils s’associent à la douleur de la famille. Brest. Paris. Jean-François et Michèle Rignault ont la tristesse de faire part du décès de Mme Suzanne LAGACHE, ont l’extrême douleur de faire part du décès de survenu le 2 avril 2016. Ses obsèques religieuses seront célébrées dans l’intimité familiale. Elle demeure en paix auprès de sa mère et de son époux, au cimetière Saint-Pierre de Marseille, sa ville natale. Michel Lion, son époux, Catherine et Jérôme Handkan, Jean-François et Jeanne Lion, ses enfants, Marc, Pauline, Victoire et Marguerite, ses petits-enfants, Gérard et Danièle Altmann, Mme Annie LION, née ALTMANN, survenu le 24 mars 2016. 1, rue Huysmans, 75006 Paris. née CUNISSE, survenu à la Seyne-sur-Mer, le 6 avril 2016, à l’aube de ses quatre-vingt-quinze ans. Les obsèques civiles seront célébrées le mercredi 13 avril, à 10 heures, au crématorium de La Seyne-sur-Mer où l’on se réunira, suivies de la crémation. Ce présent avis tient lieu de faire-part. Jean Claude ROUCHY, survenu le mercredi 6 avril 2016. Jean claude Rouchy était une figure majeure de la psychanalyse des groupes et de la clinique des institutions qu’il a contribué à transmettre et à promouvoir. comédien, auteur dramatique, survenu à Paris, le 5 avril 2016. Un hommage lui sera rendu au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20e, le mardi 12 avril, à partir de 13 heures. La Fédération française de l’ordre maçonnique mixte international Un hommage lui sera rendu le lundi 11 avril, de 17 heures à 20 heures, dans les locaux du centre Ravel ISP, 6 avenue Maurice-Ravel, Paris 12e. « Le Droit Humain » et le Grand Maître National, Madeleine Postal, Sophie et Guy, Amaury, Hubert Dion, Héloïse et Maxime, Garance, Théophile des Monstiers, Corinne, Thomas, Romain Müllejans, Sylvie, Jean-Paul, Franklin, Alexis, Chloé Gilot, organisent une conférence publique : « Franc-maçonnerie et spiritualités » Conférenciers : André Comte-Sponville, philosophe, ont la douleur de faire part du décès de leur mère, grand-mère et arrière-grandmère, Bruno Pinchard, professeur de philosophie à l’université Jean-Moulin Lyon 3, M Adèle SCIALOM, me née NACCACHE, le samedi 16 avril 2016, à 14 heures, 9, rue Pinel, Paris 13e. survenu le 1er avril 2016, à Paris, à l’âge de quatre-vingt-seize ans Inscription par courriel : [email protected] Tél. : 01 44 08 62 62. L’inhumation a eu lieu dans la plus stricte intimité au cimetière du Montparnasse, Paris 14e. Informations : www.droithumain-france.org Paris. M. Christian Vernet, son ils, M lle Aurélia Vernet et M. Jonathan Vernet, ses petits-enfants, Communications diverses ont la tristesse de faire part du décès de M. Robert VERNET, survenu le 8 avril 2016, à Paris, à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Autour de l’exposition Habiter le campement L’inhumation aura lieu le mardi 12 avril, à 16 h 30, au cimetière de SaintLéger-Vauban (Yonne). Juliette de Sousa, sa compagne, Daniel, Nelly, ses enfants, Marie-Françoise, sa belle-ille, Dorothée, Virginie, Agnès, ses petites-illes, La famille Et ses amis, ont le chagrin d’annoncer le décès de Joseph WAJSBAUM, survenu à Cacem (Portugal), le 28 mars 2016, dans sa quatre-vingt-dixième année. Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité familiale, le 29 mars, au cimetière de Cacem (Portugal). Anniversaire de décès PF Leveque, La Seyne-sur-mer, 04 94 108 800. Images/Cité Projection-débat en présence de Michel Agier, anthropologue, directeur d’études à l’EHESS et chercheur à l’IRD, Anita Pouchard Serra, photographe du collectif d’architectes « Sans plus attendre », Sara Prestianni, photographe, et de Cyrille Hanappe, architecte et ingénieur, enseignant à l’ENSA, jeudi 14 avril 2016, à 19 heures. Plateforme de la création architecturale Considérant Calais... Documenter ce qui s’afirme à Calais, à l’interface entre le bidonville et la ville, par le Pôle d’exploration des ressources urbaines (PEROU), mardi 19 avril, à 18 h 30. État d’urgence, habitat d’urgence rencontre avec des membres de l’ONG Shelter Box, organisation internationale de secours aux sinistrés de catastrophes, dimanche 12 juin, à 16 heures. Le 10 avril 1989, Marie, Sandrine et Jérôme, ses enfants, Léa, Marion, Diego, Lucile, Carla, Julie et Florian, ses petits-enfants Et toute la famille, Ses obsèques seront célébrées le lundi 11 avril, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e, à 13 heures. Les membres de Transition et de l’ARIP déplorent la disparition de Jean Claude Rouchy, fondateur et ancien président des deux associations. Entrée libre inscription citechaillot.fr Claire LISLE s’endormait dans l’espérance de la Résurrection. Ayez une pensée ou une prière pour elle et pour ceux qu’elle aimait. Anniversaire Le 9 août 1998 disparaissait survenu le 6 avril 2016. Roland MÉNARD, Annick CHAUVIN. Mame, tu aurais eu cent ans aujourd’hui et tu es toujours dans nos cœurs. Souvenir Ce 11 avril 2016 est la date anniversaire du départ de Aron LANGBORT, Une réunion d’hommage aura lieu lundi 11 avril, de 17 heures à 20 heures, au CISP, 6, avenue Maurice-Ravel, Paris 12e. Messages et contacts : [email protected] ingénieur chimiste ENSCT (école nationale supérieure de chimie de Toulouse). Rappelez-vous ! " # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 3"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % * +- % ++&# #$ $ $ %# $ $ ##+ /% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # % &.1 #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%3 * 3 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- 8B8 , !?I.! 644!3!4E@ 88MM , BGMBB ??@ !!K 5 ont la tristesse de faire part du décès de Jean Claude ROUCHY, ont la tristesse d’annoncer le décès de Conférence ont la tristesse de faire part du décès de Erica Ménard, son épouse, Diane et Jean-François Ménard, sa belle-ille et son ils, Cet avis tient lieu de faire-part. Mme Simone RIGNAULT, 78, avenue Secrétan, 75019 Paris. 15, rue Alasseur, 75015 Paris. Dès mercredi 6 avril, le n°18 survenu le 1er avril 2016, à Paris, à l’âge de cinquante-quatre ans. ont la tristesse de faire part du décès de Pierre, Catherine, Jean, Marie France, Benoît, ses enfants, leurs conjoints, leurs enfants et leurs petits-enfants, Marianne MILLIÈS-LACROIX, Une cérémonie aura lieu en la paroisse Sainte-Cécile, 44, rue de l’Est, à BoulogneBillancourt, le mardi 19 avril, à 10 heures. Marie-Thérèse Join-Lambert, sa femme, Nathalie et Frantz Lecarpentier, Odile Join-Lambert et Frédéric Pommier, ses illes et ses gendres, Mathieu et Michaël Pommier, ses petits-enfants, Eric et Bernadette Join-Lambert, son frère et sa belle-sœur, Tous ses amis, ont la tristesse de faire part du décès de Dès mercredi 6 avril, le volume n°5 VOLTAIRE historienne d’art et enseignante, ectpgvBorwdnkekvg0ht 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 Cet avis tient lieu de faire-part. Hors-série Marie-Hélène BREUIL, La beauté de ta vie restera toujours avec nous. écrivain et peintre. HORS-SÉRIE ont la douleur immense de faire part du décès de Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < Hors-série & CIVILISATIONS a la tristesse de faire part du décès de 0! 3>644! 2 H 9!44E B 36.@ 96H? H 2.!H ! )G8GM :9?.K ! I!4E! !4 1.6@=H!; @6.E ! ! ! 2>#@ 2> A 06H?@CA< % # # +#=H! 4.?! 2>6??! ! 2 6."E" ".E?.! H ?E! 4.?! ?E! 2!H! .@ @E!?? K9.?! &.4 6H@ ?"@!?I! ! 2 96@@..2.E" 96H? 46@ 96?E!H?@ ! @!?I.? I6E?! ?!@@! en vente actuellement La SFPPG Et la FAPAG, L’ensemble de la famille Milliès-Lacroix David Kidman, son époux, Alice Kidman, sa belle-ille, E! !E @.*4EH?! 62.*E6.?!@ 6E!L 2!@ F !?4.!?@ +.'?!@ &.*H?4E H I!?@6 ! I6E?! ?E! 63 ?"463 ?!@@! 6! 96@E2 ,3.2 62.E" >!9E! ! ?!!I6.? !@ 6'?!@ H 6H ! @!@ 9?E!4.?!@ "2< .@64 .4.I.H!22! 33!H2! .*.6! 4E!?9+64! 6H. 464 6/E! HK 2!EE?!@ 63.4E.I! 622!E.I! "97E +!L 2! *?.!4CH!.2 E< @2.!? "97E @9".&.=H! 2! J!!1,!4 , $M - , A(M8F , )FF $58 $(M ?.@ , 9.E2 ! 5) B8M F)$AM< '?! ?"@!?I"! 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(…) Davutoglu leur a suggéré de s’arranger entre eux, puisqu’ils connaissaient les conditions fixées par la Turquie. Il a regagné son hôtel en leur recommandant de l’appeler une fois l’accord trouvé. Quarante-cinq minutes plus tard, tout était prêt. Ils l’ont appelé et il est venu signer. » Un récit illustrant parfaitement l’assurance retrouvée d’une Turquie forte face à une Europe faible et divisée. Après ces négociations qualifiées par M. Davutoglu de « marchandage de Kayseri », en référence à cette ville anatolienne réputée pour le dynamisme de ses commerçants, la Turquie a en effet obtenu ce qu’elle voulait : 6 milliards d’euros pour soutenir l’accueil des migrants sur son territoire, une exemption de visa vers l’Europe pour ses ressortissants et la relance du processus de son adhésion à l’UE. De ces acquis, le dernier est sans conteste le plus jubilatoire. Après plus de cinquante ans de déconvenues, la Turquie a vu le vent tourner en raison de l’incapacité des pays européens à s’entendre sur une réponse interne à apporter à la crise migratoire. Avant l’arrivée massive de réfugiés en Europe, durant l’année 2015, personne à Bruxelles ne songeait à accélérer le processus d’adhésion de la Turquie, moribond depuis 2008. Lancées en 2005, les négociations avaient buté sur les réticences de la France et de l’Allemagne, hostiles à l’idée de voir un pays musulman de 78 millions d’habitants venir bousculer les équilibres en Europe. Le veto de Chypre, pays que la Turquie n’a toujours pas reconnu, avait été le coup de grâce. Depuis son fastueux palais d’Ankara, le président Recep Tayyip Erdogan a pu savourer à distance la volte-face des Vingt-Huit. N’a-t-il pas toujours dit et répété que c’est l’Union européenne qui a besoin de la Turquie, et non l’inverse ? Les faits lui donnent raison. Sentinelle de l’Occident au moment de la guerre froide, la « petite Asie » redevient son rempart, contre les migrants cette fois. Les « valeurs européennes », Etat de droit, respect des libertés fondamentales et des minorités, peuvent attendre… Car Ankara est désormais en mesure de dicter ses conditions. Avant de quitter la capitale européenne et l’accord en poche (il est entré en application le 4 avril), M. Davutoglu a exalté la relation turco-européenne : « Une même destinée, des objectifs semblables, un avenir commun ! » Mais y croit-il seulement ? Pas vraiment, assure Bayram Balci, chercheur à Sciences Po : « Les Turcs savent que leur rêve d’Europe n’est pas près de se réaliser. Ils ne croient pas en la sincérité des Européens. Mais la reprise du processus a une certaine utilité pour les deux parties. Ankara y voit un remède à l’isolement du pays, enlisé dans plusieurs crises régionales, en Syrie, en Irak, et aux prises avec la question kurde. » Les Européens n’y croient pas davantage. « Cet accord est un jeu de dupes. Personne ne peut réellement donner une perspective d’adhésion à la Turquie dans la période que nous traversons », s’insurge l’ex-député européen écologiste Daniel Cohn-Bendit. Alors pourquoi ce zèle à négocier ? L’accord a pu se faire, parce que, poursuit-il, « les Européens ont laissé [Angela] Merkel seule. Elle était obligée de trouver une issue pour ralentir cet afflux migratoire et ses partenaires lui ont dit “débrouille-toi !”. Les Hollandais, les Français critiquent l’accord, mais cela ne change rien à leur position sur l’accueil des réfugiés ». Quant au président turc Recep Tayyip Erdogan, « il sait que ni les Français ni les Allemands ne veulent vraiment l’adhésion de son pays, analyse l’ancien député européen. Il a juste besoin de ces négociations pour s’affirmer comme une personnalité centrale, incontournable dans la région. Il renforce sa position, ce qui affaiblit les oppositions [dans son pays] ». « PUTAIN DU PKK » Au pouvoir depuis 2003, d’abord en tant que premier ministre puis, depuis 2014, comme président, M. Erdogan est accusé de dérive autoritaire par ses détracteurs. Trente-deux journalistes sont actuellement en prison, des centaines d’universitaires sont harcelés pour avoir signé une pétition, 1 845 plaintes sont en cours d’instruction pour « insulte au chef de l’Etat ». Au sud-est du pays, la guerre a repris de plus belle entre les forces turques et les rebelles armés du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, autonomiste et interdit en Turquie). C’est pourtant le moment qu’a choisi l’UE pour lui tendre la main. Mettre la Turquie sur les rails de la démocratie ne semble guère être une priorité de son président. Le 25 mars, deux journalistes de Cumhuriyet, Can Dündar et Erdem Gül, étaient jugés pour leurs écrits au tribunal de Caglayan, à Istanbul. Accusés d’espionnage, de tentative de coup d’Etat et de soutien au terrorisme, ils encourent la perpétuité. La présence à l’audience de diplomates occidentaux, pendant les quelques heures où celle-ci était publique, a déclenché l’ire de M. Erdogan : « Qui êtes-vous ? Qu’aviez-vous à faire là-bas ? La diplomatie a ses règles ! Ce n’est pas votre pays. C’est la Turquie ! Vous pouvez vous déplacer dans le consulat et autour mais, ailleurs, il faut une autorisation. » Autre coup de semonce diplomatique. Le président n’ayant pas goûté l’humour d’une chanson moquant le « Big Boss du Bosphore », diffusée le 17 mars dans une émission satirique de la chaîne publique allemande NDR, les autorités turques n’ont pas hésité à convoquer Martin Erdmann, ambassadeur d’Allemagne à Ankara, pour réclamer des explications. « Je ne suis pas en guerre contre la presse », a plus tard assuré M. Erdogan à la journaliste Christiane Amanpour sur CNN, le 31 mars, à l’occasion de sa visite aux Etats-Unis. Le même jour, son service d’ordre avait molesté des journalistes désireux de suivre son discours devant la Brookings Institution, à Washington, dont l’ancienne correspondante de The Economist en Turquie, Amberin Zaman, élégamment qualifiée par les gardes du président de « putain du PKK ». Une attitude et une posture très éloignées de celles qu’affichait Recep Tayyip Erdogan lors de son premier mandat (2003-2007). Il était alors partisan déclaré des réformes et d’un ancrage européen de la Turquie. A l’époque, le Parlement avait mis les bouchées doubles pour conformer le pays aux exigences européennes : abolition de la peine de mort et des tribunaux d’exception, rédaction d’un nouveau code pénal… En 2004, son gouvernement islamo-conservateur avait même pris le risque politique de soutenir le « plan Annan » concocté par l’ONU, visant à réunifier Chypre, malgré les fortes réserves de l’armée. Lors du référendum, en avril 2004, les Chypriotes turcs avaient dit oui à la réunification, les Chypriotes grecs s’y étaient opposés massivement. Au final, seule la partie grecque de l’île a rejoint l’UE, laissant le Nord turc dans son isolement. Dès lors, l’attrait pour le projet européen n’a cessé de décliner en Turquie. Si 73 % des Turcs étaient favorables à l’adhésion à l’UE en 2004, ils n’étaient plus que 53 % en 2014. Un incident illustre le mépris dont ils se croient l’objet. Lors de sa visite éclair à Ankara, le 25 février 2011, le président français Nicolas Sarkozy avait été incapable de renoncer à son chewing-gum pendant ses entrevues officielles. Un détail qui a marqué les esprits. Aujourd’hui encore, le chewing-gum de Sarkozy est resté dans les mémoires comme la marque d’une humiliation suprême, faisant presque passer au second plan les assertions du dirigeant français sur une éventuelle adhésion européenne de la Turquie. « Soit nous disons non à la Turquie et nous l’humilions, soit nous disons oui et nous détruisons l’Europe », avait résumé, en décembre 2006, M. Sarkozy, alors président de l’UMP et candidat à l’élection présidentielle. Recep Tayyip Erdogan s’est plaint auprès de Vladimir Poutine des mauvaises manières que lui faisaient des Européens. « Avant l’arrivée de Merkel et de Sarkozy au pouvoir, je participais aux sommets, mais ça n’est plus le cas. Ce sont eux qui ont saboté le processus », déplorait-il lors d’une visite à Moscou, le 18 juillet 2012. Six mois plus tard, il réclamait au maître du Kremlin un siège pour son pays dans l’Organisation de coopération de Shanghaï, un groupe sécuritaire emmené par Moscou pour faire contrepoids à l’influence américaine en Asie centrale. Son argument : « Si vous nous acceptez, nous pourrons en finir avec le processus d’intégration européenne. » NOUVELLE DOXA L’ÉTAT DE DROIT, LE RESPECT DES LIBERTÉS FONDAMENTALES ET DES MINORITÉS PEUVENT ATTENDRE… ANKARA EST DÉSORMAIS EN MESURE DE DICTER SES CONDITIONS Mais le Recep Tayyip Erdogan du premier mandat était-il sincèrement proeuropéen ? En 2003, son pouvoir n’était pas illimité et il avançait avec prudence. A l’époque, « l’armée et l’establishment laïque sont aux aguets. [M. Erdogan] va s’attacher à rogner leurs prérogatives, à limiter leur pouvoir, écrivent Nicolas Cheviron et Jean-François Pérouse dans une biographie détaillée, intitulée Erdogan, nouveau père de la Turquie ? (Ed. François Bourin, 440 p., 26 €). Pour parvenir à ses fins, il dispose d’un instrument puissant : le projet d’adhésion de la Turquie à l’UE et les réformes démocratiques [que ce projet] suppose ». L’attachement aux valeurs démocratiques qu’il proclamait à cette période suscite encore des interrogations à ce jour. N’avait-il pas confié au quotidien Milliyet le 14 juillet 1996, alors qu’il était maire d’Istanbul, que la démocratie « est un moyen, non une fin » ? A-t-il instrumentalisé le projet européen ? Question « insoluble », selon les auteurs. Au cours de son troisième mandat (20112014), c’est un tout autre Recep Tayyip Erdogan qui se dessine. Soucieux d’imprimer sa marque sur le pays, à l’instar d’Atatürk, le fondateur de la République laïque tournée vers l’Occident, mais dans une volonté de renverser l’ordre établi. Selon sa nouvelle doxa, la Turquie n’a jamais été le partenaire naturel de l’Occident. La décision des pères fondateurs, soucieux d’ancrer le pays à l’Ouest, était mauvaise car elle a coupé les Turcs de leur héritage ottoman et de leurs racines islamiques. Le pays doit, au plus vite, retrouver son rôle de chef de file du monde musulman. Les « printemps arabes » qui se succèdent en 2011 apparaissent alors comme l’occasion géopolitique | 21 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 L’armée évoque un coup d’Etat pour le démentir Recep Tayyip Erdogan, candidat à l’élection présidentielle, regarde à travers la vitre de son bus de campagne. Il sera élu dès le premier tour, le 10 août 2014. SAMUEL ARANDA/PANOS Le 5 avril, le président turc s’adresse à des avocats au palais présidentiel, à Ankara. AFP/TURKISH PRESIDENTIAL PRESS OFFICE/KAYHAN OZER rêvée de mettre en pratique cette nouvelle doctrine. Le gouvernement islamo-conservateur turc pouvait espérer qu’avec la chute des dictateurs arabes en Tunisie, en Egypte et en Libye, voire peut-être bientôt en Syrie, tout le bassin de la Méditerranée orientale allait se retrouver sous l’influence des Frères musulmans, dont les vues politiques correspondent à celles de M. Erdogan. Ne possède-t-il pas, posée sur son bureau, une sculpture de la « Rabia », cette main au pouce replié vers la paume et aux quatre doigts dressés, signe de ralliement à la confrérie musulmane, lors du coup d’Etat de l’armée égyptienne contre le président islamiste Mohamed Morsi, à l’été 2013 ? Mais la chute de Morsi marque l’écroulement de ce rêve panislamique et le pari d’Erdogan tourne au cauchemar. La théorie du « zéro problème avec les voisins », élaborée au milieu des années 2000 par Ahmet Davutoglu, s’enlise bientôt dans les sables mouvants des conflits arabes succédant au « printemps » qui n’a pas tenu ses promesses. Le paysage diplomatique est mitigé, pour ne pas dire sombre : les relations de la Turquie sont mauvaises avec l’Egypte, froides avec l’Irak, tendues avec l’Iran, promises à un rabibochage avec Israël et très dégradées avec la Russie… La destruction d’un avion de chasse russe par des F-16 turcs, le 24 novembre 2015, va même provoquer une brouille sérieuse avec Moscou. Depuis l’intervention armée de Vladimir Poutine aux côtés de Bachar Al-Assad en Syrie, les incidents se sont multipliés. Avec l’installation, par Moscou, d’un système de défense antiaérien dans le nord de la Syrie, l’aviation turque se retrouve paralysée. Seule l’artillerie peut encore pilonner depuis la frontière des combattants kurdes syriens devenus, eux aussi, des « ennemis » de la Turquie. « L’IMAM BECKENBAUER » Dans ce contexte d’isolement, le blanc-seing accordé par l’UE ne pouvait pas mieux tomber pour Erdogan. Il peut désormais se consacrer à ses obsessions autocratiques et mégalomaniaques. L’ancien gamin du quartier populaire de Kasimpasa, à Istanbul, celui que ses camarades de jeunesse surnommaient « l’imam Beckenbauer » parce qu’il était à la fois le plus religieux et le meilleur joueur de football d’entre eux, se sent investi d’une nouvelle « mission ». Il l’a fait savoir en toute modestie : « Si je m’en vais, l’Etat périclite. » Son installation dans un palais de 200 000 mètres carrés à Ankara au coût faramineux de 491 millions d’euros, peu après son élection comme président en 2014, a visiblement accéléré sa perte de contact avec la réalité. Oublié « l’imam Beckenbauer » : sa L’INSTALLATION D’ERDOGAN DANS UN PALAIS DE 200 000 MÈTRES CARRÉS, PEU APRÈS SON ÉLECTION EN 2014, A ACCÉLÉRÉ SA PERTE DE CONTACT AVEC LA RÉALITÉ folie des grandeurs lui vaut le nouveau surnom de « sultan ». Ses discours sont plus idéologiques, mêlant la rhétorique populiste, religieuse et nationaliste. « Que dit le commandement ? Que Dieu nous suffit et qu’il est le meilleur juge. Sans lui, nous n’aurions jamais pu affronter l’armée de Byzance (…) ni créer le plus puissant des Etats et le garder en vie pendant 600 ans », déclame-t-il le 6 janvier devant des centaines de maires de petits villages réunis dans son palais d’inspiration « néo-seldjoukide ». L’homme aime à s’approprier l’Histoire. Dans son imaginaire, 2023 sera une annéeclé. A cette date, sera célébré le centième anniversaire de la République turque. En profitera-t-il pour la remplacer par la « République d’Erdogan » ? Le culte de la personnalité s’installe. « Voici le verre utilisé par notre président pour boire de l’eau pendant son discours », écrivait récemment l’un de ses jeunes admirateurs sur son compte Twitter, photo à l’appui. Un autre de ses zélotes, Abdurrahman Dilipak, éditorialiste du quotidien pro-gouvernemental Yeni Akit, réclame pour sa part un retour au califat, comme durant le règne du sultan Abdulhamid II (1876-1909) qui le réinstaura dans toute sa grandeur… avant d’être déposé par les Jeunes Turcs. p la guerre dans le sud-est de la Turquie contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, indépendantiste), conjuguée à l’avancée des milices kurdes du nord de la Syrie, a redonné à l’armée turque son rôle de premier plan, celui de gardienne de l’unité. La ligne adoptée par le président Recep Tayyip Erdogan – « Il n’y a plus rien à négocier avec le PKK » – n’est pas pour lui déplaire, tout comme la rhétorique nationaliste en vigueur dans les rangs du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), au pouvoir depuis 2002. Pour autant, l’institution ne veut plus se mêler de politique. Il n’y aura pas de coup d’Etat, dit un communiqué publié sur son site le 31 mars. Cette déclaration, du jamais-vu, visait à couper court aux rumeurs « sans fondement » apparues dans « certains médias » persuadés de l’imminence d’un putsch. Quels médias ? Quelles rumeurs ? Aucune précision n’est donnée. Soulignant l’« impact négatif » de telles allégations sur « le moral » des soldats, les généraux promettent de poursuivre en justice tous les amateurs de scénarios de fiction. Dépositaire de l’héritage de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la République turque, laïque et unitaire, en 1923, l’armée a longtemps pesé sur la vie politique du pays, avec trois putschs à son actif, en 1960, 1971 et 1980, ainsi que le renversement en douceur d’un gouvernement dominé par les islamistes en 1997. Mais, depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, les généraux ne tirent plus les ficelles. Le président est seul maître à bord, a insisté M. Erdogan lors de sa dernière visite à l’Académie militaire d’Istanbul, le 28 mars : « Je ne cesse de répéter que nous sommes une nation, un drapeau, un pays, un Etat. Aujourd’hui, j’ajoute : une armée unique, un commandant unique. » En 2015 à la même époque, les officiers de l’Académie avaient eu droit à un tout autre discours. Un mea culpa du président, chagriné par les persécutions endurées par les militaires, à l’époque où l’armée et l’islam politique ne faisaient pas bon ménage. Règlements de comptes Car fut un temps, de 2003 à 2013, où les comptes se réglaient au tribunal. A l’issue de grands procès très médiatisés (affaires Ergenekon et Balyoz), des centaines d’officiers, accusés de complot contre l’AKP, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Tout ça pour rien, déplorait le président turc le 20 mars 2015. « Moi et le pays tout entier avons été bernés. Ces opérations nous ont déçus, confiait-il alors aux officiers de l’Académie. Toute cette affaire n’était qu’un complot orchestré par une organisation avide de mettre la main sur la Turquie grâce à ses réseaux au sein d’institutions étatiques et des médias. » Cette « organisation » est la confrérie de l’imam Fethullah Gülen, devenue la bête noire de l’AKP après avoir été sa meilleure alliée, notamment au moment des grands procès. Rien ne va plus désormais avec les fethullahci (adeptes de M. Gülen), accusés à leur tour de complot. Leurs journaux ont été saisis, leur banque confisquée, leurs écoles fermées et des centaines d’entre eux ont été emprisonnés. La confrérie avait commis la faute, en décembre 2013, de révéler un scandale de corruption embarrassant pour le gouvernement et pour l’entourage présidentiel. Blessé par cette trahison, M. Erdogan s’est depuis rapproché de l’armée. Perçue par beaucoup comme un signe de maturité, la volonté qu’avait eue le président d’écarter l’armée du pouvoir n’avait pas apporté la transparence espérée. L’opinion publique est restée sur sa faim et les questions qu’elle se posait sur les contours de « l’Etat profond » – l’alliance informelle de l’armée, des politiciens et de la mafia – ou sur les assassinats politiques et les disparitions sont restées sans réponse. Les procès des militaires ont finalement tourné aux règlements de comptes. Les magistrats se sont acharnés sans preuves convaincantes, les instructions ont été bâclées. Fin 2013, alors que la relation dégénérait avec Fethullah Gülen, le président a ouvert la voie à une révision. Plus de deux cents officiers ont ainsi été libérés, tandis que les magistrats qui avaient instruit leurs dossiers, des fethullahci convaincus pour la plupart, se retrouvaient, à leur tour, en position d’accusés. p m. jé. (istanbul, correspondante) 22 | géopolitique 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Haut-Karabakh : le réveil d’un conflit « gelé » Le Haut-Karabakh, théâtre d'un conflit territorial... EN AVRIL 2016, LES PIRES AFFRONTEMENTS... Moscou a imposé le 5 avril un cessez-le-feu fragile dans cette République séparatiste contrôlée par l’Arménie en Azerbaïdjan, scène des combats les plus violents depuis 1994 Zone de combat Combat très violent Point de tension ... DEPUIS LE CESSEZ-LE-FEU DE 1994 Limite de la région du Haut-Karabakh avant 1991 C Entre le 2 et le 5 avril, l’Azerbaïdjan annonce avoir perdu 31 soldats et 2 civils ; les indépendantistes 32 combattants et 5 civils. H DISTRICT DE CHAHOUMIAN Ligne de cessez-le-feu Zone militarisée Autre ligne de front A Î ... entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan... N Chahoumian E Talish Barda Tartar D UN TERRITOIRE CONTRÔLÉ PAR LES ARMÉNIENS Madagi U Lac Sevan Partie du Haut-Karabakh contrôlée par les indépendantistes, peuplée d’Arméniens Seyssoulan P Martakert E Erevan T AGDAM I AZERBAÏDJAN T Vardenis Route en cours de finition C KELBADJAR Route stratégique (financée par la diaspora arménienne) reliant l’Arménie au Haut-Karabakh et à l’Iran AGDAM A U Agdam E Corridor de Latchine, « cordon ombilical » entre Arménie et Haut-Karabakh a ors ARMÉNIE S d te A u Ro C Districts azerbaïdjanais, hors HautKarabakh, sous contrôle de l’Arménie le « Route Ville principale et « capitale » LATCHINE de l a vie » C Eghegnadzor ENCLAVÉ GÉOGRAPHIQUEMENT, ET MILITAIREMENT L’AZERBAÏDJAN Martouni Stepanakert TURQUIE cas e Zone de très haute montagne Territoire du Haut-Karabakh resté sous contrôle de l’Azerbaïdjan, devenu no man’s land HAUT-KARABAKH Latchine au Fizouli 25 km Ancien district de Chahoumian (Haut-Karabakh) sous contrôle de l’Azerbaïdjan Goris FIZOULI Route bloquée Aéroport dont le fonctionnement est empêché par l’Azerbaïdjan KOUTBALY IRAN NAKHITCHEVAN (AZERBAÏDJAN) DJEBRAÏL ... dans une région stratégique SUR LA ROUTE DES HYDROCARBURES Kafan Oléoduc Hydrocarbure Beneniyar AUX MARGES DU PRÉ CARRÉ RUSSE ZANGUELAN X Allié de l’Arménie Base militaire russe en Arménie L e Haut-Karabakh est le théâtre de l’un de ces conflits dits « gelés », hérités de l’effondrement de l’URSS et qui permettent aux autorités russes de continuer à peser sur ce qu’elles considèrent comme leur « étranger proche ». Des affrontements violents ont de nouveau éclaté, samedi 2 avril, entre forces azerbaïdjanaises et arméniennes. La question de cette enclave séparatiste contrôlée par l’Arménie sur le territoire de l’Azerbaïdjan, non résolue depuis vingt-huit ans, menace aujourd’hui de déstabiliser le Caucase du Sud. Le cessez-le-feu imposé le 5 avril par la Russie reste en effet fragile. « Le dégel de ce conflit gelé risque d’en entraîner d’autres dans la région », s’inquiète-t-on à Paris, en faisant allusion notamment à l’Ossétie du Sud et à l’Abkhazie, deux républiques séparatistes de la Géorgie, créées avec le soutien russe. La France, les Etats-Unis et la Russie coprésident depuis 1992 le Groupe de Minsk, instauré par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe pour tenter de résoudre ce conflit. Rattachement contesté La population de ce haut plateau, en majorité arménienne (94 %), a toujours contesté son rattachement à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, décidé en 1921 par Staline, alors commissaire aux nationalités. Dès 1988, le Parlement de l’enclave réclame son rattachement à l’Arménie. Mais le gouvernement refuse, entraînant une vague de violences contre la population arménienne dans plusieurs villes azerbaïdjanaises, dont la capitale, Bakou. Toujours hantée par la mémoire du génocide des Arméniens perpétré par l’Empire ottoman pendant la première guerre mondiale, cette communauté craint d’être anéantie dans un Azerbaïdjan à dominante turcophone et musulmane. En septembre 1991, le Haut-Karabakh proclame son indépendance, prend les armes avec le soutien d’Erevan et parvient à créer une continuité territoriale Territoire sécessionniste géorgien reconnu par la Russie RUSSIE : ALLIÉE TRADITIONNELLE DE L’ARMÉNIE IRAN avec l’Arménie en s’emparant du corridor de Latchine et de sept autres districts, peuplés en majorité d’Azéris, soit quelque 13 % du territoire de l’Azerbaïdjan. Entre 1988 et le cessez-le-feu de mai 1994, cette guerre a fait plus de trente mille morts et des centaines de milliers de réfugiés, azéris pour la plupart. Depuis, des incidents armés éclatent régulièrement, mais ils n’ont jamais été aussi intenses qu’en ce début avril. L’armée azerbaïdjanaise est intervenue massivement sans obtenir pour autant des résultats significatifs sur le terrain. Ce nouvel embrasement risque d’avoir des répercussions régionales dans un contexte où la Turquie et la Russie sont déjà à couteaux tirés sur le dossier syrien. Grands alliés du régime azerbaïdjanais dirigé par Ilham Aliev, le président islamo-conservateur turc, Recep Tayyip Erdogan, et son premier ministre, Ahmet Davutoglu, ont multiplié les déclarations martiales. La Turquie, a menacé M. Davutoglu, est prête à aller « jusqu’à l’apocalypse » pour soutenir ses « frères » azerbaïdjanais. Vladimir Poutine s’est jusqu’ici gardé de répondre sur le même ton. Il s’est efforcé d’imposer un cessez-le-feu en pesant de toute son influence sur l’Arménie, où Moscou dispose de deux bases militaires, mais aussi sur l’Azerbaïdjan qui reste un client important de son industrie d’armement. Pour l’expert en questions stratégiques et fin connaisseur du Caucase Gérard Chaliand, « les Russes ont montré qu’ils restent plus que jamais les patrons et les arbitres dans la région ». p marc semo carte : flavie holzinger et véronique malécot MARQUÉE PAR UNE HISTOIRE BELLIQUEUSE ENTRE L’ARMÉNIE ET LA TURQUIE X Soutien à l’Azerbaïdjan Elle entretient néanmoins de bonnes relations avec l’Azebaïdjan et entend conserver un rôle d’arbitre dans le Caucase du Sud. Le conflit du Haut-Karabakh est une réminiscence de l’ère soviétique. Cette enclave, peuplée marjoritairement d’Arméniens, a été rattachée à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, par Moscou, en 1921. Abkhazie C H A Î N E D U G R A N D Ossétie du Sud Mer Noire GÉORGIE Frontière fermée Mer Caspienne C A U C A S E Tbilissi P E T I T Gumri Kars C A U C ARMÉNIE Erevan Abovian Erzurum TURQUIE : SOUTIEN INCONDITIONNEL DE L’AZERBAÏDJAN A S AZERBAÏDJAN E Bakou HAUTKARABAKH AZER. Si le Haut-Karabakh reste un problème important entre la Turquie et l’Arménie, le principal point d’achoppement reste le contentieux lié au génocide des Arméniens de 1915, commis par l’Empire ottoman, que la Turquie refuse de reconnaître. IRAN : FRONTIÈRE STRATÉGIQUE 100 km Le pays exerce un rôle majeur dans la région. Il contrôle la seule frontière terrestre véritablement ouverte de l’Arménie, pays enclavé. Il permet aussi les connexions entre le Nakhitchevan et le reste de l’Azerbaïdjan. SOURCES : J. RADVANYI, N. BEROUTCHACHVILI, ATLAS GÉOPOLITIQUE DU CAUCASE, AUTREMENT, 2009 ; G.-F. DUMONT, « HAUT-KARABAKH : GÉOPOLITIQUE D'UN CONFLIT SANS FIN », GÉOPOLITIQUES, HAL-SHS, 2013 ; EIA ; AFP ; LE MONDE géopolitique | 23 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Jean-Marie Guéhenno « L’Etat islamique et Al-Qaida ne seront pas vaincus de l’extérieur » Le président du think tank International Crisis Group souligne les limites d’une guerre globale contre le djihadisme qui ignorerait la diversité des situations locales, de l’Europe au Proche-Orient ENTRETIEN propos recueillis par cécile hennion et madjid zerrouky D iplomate français, Jean-Marie Guéhenno est aujourd’hui président-directeur général de l’International Crisis Group (ICG). Entre 2000 et 2008, il a été secrétaire général adjoint au département des opérations de maintien de la paix des Nations unies, puis, en 2012, adjoint de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe pour la Syrie. L’armée syrienne a repris Palmyre à l’organisation Etat islamique (EI) le 27 mars, et la pression militaire s’accroît côté irakien. Une reconquête militaire est-elle en vue ? Pour pouvoir parler de victoire, il faudrait que la question du « ensuite, qui ? » soit réglée. On ne peut que se réjouir que Palmyre ne soit plus sous la coupe de l’EI. Mais après ? Est-ce que l’Etat syrien va administrer cette ville, alors même qu’il a été un facteur clé du développement de l’EI ? Le problème est le même en Irak : qui va gérer les villes « libérées » ? Certes, il y a des élites sunnites réfugiées à Bagdad. Le gouvernement irakien affirme que celles-ci prendront les commandes, que de l’argent sera investi pour rebâtir les villes et qu’un nouvel ordre politique positif sera alors établi. Ce calcul ignore une autre dimension de ces conflits que l’on retrouve en Europe : la persistance d’une fracture immense entre la jeunesse et les élites. Les jeunes considèrent – pas toujours à tort – ces élites comme corrompues. Pour eux, ce sont des gens vivant à l’abri, à Bagdad, en train de faire des affaires, tandis qu’eux souffrent. L’idée que ces élites vont s’acheter une légitimité avec l’argent de l’étranger dans ces villes reconquises est douteuse. Elle est même porteuse d’un risque de voir émerger une « cinquième vague » de violence, parce que les questions de la représentativité et de la THE BROOKINGS INSTITUTION passerelle entre ces jeunes qui veulent une vie digne et un travail et ces élites n’auront pas été réglées. L’Etat islamique ou Al-Qaida ne seront pas vaincus de l’extérieur. L’extérieur peut apporter une aide, mais le cœur du sujet, c’est la construction politique dans les pays où ils sont implantés. C’est une chose qu’il faut dire avec des nuances, il ne s’agit pas d’adopter une posture isolationniste, du genre « qu’ils se débrouillent entre eux », qui serait mauvaise. La bonne réponse, c’est la modestie : reconnaître qu’à la fin des fins ce sont les dynamiques politiques qui peuvent créer de la stabilité dans ces pays – ou pas. Et que, par nos actions, nous pouvons contribuer à cette stabilité ou, au contraire, approfondir le chaos existant. Or, l’EI se nourrit de ce chaos, il lui faut la guerre pour prospérer. Il faut également tenir compte de notre responsabilité dans la situation actuelle, notamment parce que le Moyen-Orient d’aujourd’hui, nous l’avons en partie façonné. Faire preuve d’arrogance néocoloniale ne marchera pas. Les raisons qui poussent un Français ou un Belge à rejoindre l’Etat islamique sont profondément différentes de celles d’un Yéménite ralliant Al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA) ou de celles de Syriens et d’Irakiens s’engageant dans les rangs de l’EI. C’est rendre service à l’adversaire que de lui prêter une unité qu’il ne possède pas. La tendance actuelle consiste aussi à considérer les crises du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et ce qui se passe en Europe, les jeunes qui partent faire le djihad en Syrie ou ailleurs, comme un théâtre global. C’est là une erreur stratégique. L’idée de régler le terrorisme en Europe en « écrabouillant » l’EI en Syrie ou en Libye est une idée fausse. C’est même plutôt une sorte de diversion… Vous évoquez le risque d’une « cinquième vague » de violence. Quelles sont les précédentes ? En examinant les origines de ces mouvements terroristes, on constate plusieurs vagues : la première suit la guerre d’Afghanistan (avec le retour des combattants arabes, en Algérie par exemple). La deuxième, « la vague AlQaida », a culminé avec les attentats du 11-Septembre. La réponse américaine, l’invasion de l’Irak en 2003, a contribué à la troisième vague qui, elle-même, a préparé la quatrième. D’une certaine manière, l’Etat islamique est l’enfant adultérin d’une débaassification mal pensée de Paul Bremer [gouverneur de l’Irak sous occupation américaine de mai 2003 à juin 2004] et du comportement des milices chiites de l’expremier ministre irakien Nouri Al-Maliki. C’est cette combinaison qui a généré l’EI en Irak. Ce qui est très dangereux, c’est non seulement que chacune de ces vagues est plus vio- « Untitled 5 » (2011), de Khalil Younes, 30 x 40 cm, encre sur papier, 2011. Khalil Younes « Rouge brandi/Corps armés/Les tueurs sont tous les mêmes/Des corps sans visage. » C’est ainsi que le cinéaste, illustrateur et vidéaste Khalil Younes légende son dessin. Issu de la série « Revolution 2011 », il a été réalisé au début de la révolution syrienne. Né à Damas, Khalil Younes a émigré en 1998 aux Etats-Unis, où il a suivi des études de cinéma au Columbia College Chicago et au Massachusetts College of Art and Design, à Boston. Son travail est régulièrement présenté en Europe et aux Etats-Unis. lente que la précédente, mais aussi que la dernière arrivée n’élimine pas les précédentes… On parle beaucoup de l’Etat islamique, mais Al-Qaida est bien vivante. Elle est active au Yémen. Elle est derrière la plupart des attentats commis en Afrique. Pour y remédier, il faut réfléchir aux conditions politiques qui ont créé ces vagues et apprendre de nos erreurs. Cette « quatrième vague », caractérisée par une emprise territoriale de l’EI, semble inédite par rapport à la stratégie d’Al-Qaida… Al-Qaida occupe et gère une ville au Yémen [Al-Mukalla], mais la vision prônée par l’EI d’un califat avec une assise territoriale constitue en effet la différence la plus marquée entre les deux groupes. Cette vision porte d’ailleurs en elle les germes de la fragilité de l’EI. C’est d’abord un projet fondé sur le retour à des sources imaginaires, relevant plus de la mythologie que de la réalité. Ensuite, [l’emprise territoriale] implique une administration. Or, dès que l’EI commence à administrer, il crée d’énormes frustrations. Certains aspects lui apportent un soutien temporaire : vivre dans une zone contrôlée par l’EI, c’est vivre dans une paix, fondée sur la terreur certes, mais qui n’est plus l’anarchie de la guerre. C’est un endroit où la vie quotidienne peut se réorganiser. Mais la Syrie est un pays éduqué, où le taux d’alphabétisation est important, bien supérieur à celui de l’Egypte par exemple. Ce taux est presque aussi élevé chez les garçons que les filles. La probabilité pour qu’une masse de Syriens soutienne un système qui met les femmes dans une situation d’infériorité totale et qui rejette l’Occident me paraît faible. Sur le plan militaire, beaucoup de combattants ont rejoint l’EI parce qu’il était plus efficace et mieux organisé. Des anciens officiers irakiens y étaient actifs, ce qui explique les succès initiaux. Ils ont choisi l’EI par opportunisme, pas après avoir lu un programme politique. En quoi l’EI est-il mieux organisé que les autres groupes rebelles syriens ou que le Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaida ? Il est difficile de répondre à cette question, car il ne s’agit pas d’une scène statique. Les individus passent d’un groupe à l’autre et les alliances stratégiques varient. La qualité de l’organisation se jauge aussi selon le contexte. Quand vous êtes en guerre, ce qui compte, c’est la capacité à manier une kalachnikov. Quand la guerre s’arrête, les priorités changent : l’organisation du ramassage des ordures, le fonctionnement d’une école ou d’un dispensaire deviennent des questions plus importantes. L’arrêt des combats – outre qu’il améliore le sort des populations – contribue à l’évolution des dynamiques politiques. Un groupe comme Al-Nosra, qui tire sa vigueur de ses capacités militaires, s’est trouvé soudain menacé lors de la récente cessation des hostilités en Syrie et des manifestations de la population qui ont suivi. Quelle rivalité oppose les djihadistes sur le terrain ? L’OPA de l’Etat islamique a-t-elle réussi ? Pas encore, non. Mais il faudrait raisonner ville par ville, groupe par groupe. On s’imagine à tort que tout est structuré avec des chefs, des sous-chefs et que des bataillons passent d’une organisation à l’autre avec armes et bagages. C’est beaucoup plus complexe. Les rivalités vont se poursuivre et évoluer. Après l’EI, viendra peut-être autre chose… Encore une fois, ce sont les conditions politiques à l’origine du développement de ces structures qui importent. Est-il possible de voir ces conditions politiques changer en Syrie, avec Bachar Al-Assad au pouvoir ? Probablement non. Mais je crois qu’il n’est guère réaliste d’imaginer que le départ d’Assad sera le résultat de négociations. Si les Russes réalisent – ce qui n’est pas certain – qu’ils sont dans une situation dont ils ne pourront se dépêtrer tant qu’Assad reste, alors là, il peut y avoir une surprise. Un coup d’Etat, ou autre chose… Le scénario est plus probable qu’une négociation pour une raison simple : l’un des problèmes qu’engendrerait le départ d’Assad est que, dans le régime syrien, tous les fils remontent à lui. Si vous enlevez la clé de voûte, la voûte s’effondre. A moins d’en avoir une autre, déjà prête. Les Russes comptent les meilleurs spécialistes du Moyen-Orient. Ils sont tout à fait compétents. Ils ont pu constater les limites du régime, ils savent parfaitement que l’idée d’une reconquête complète par le régime ne se produira pas. Les gens n’arrêteront de se tirer dessus qu’à condition de recevoir certaines garanties pour leurs communautés. Sans cela, ils savent qu’ils iront à la boucherie. C’est une question de survie. Reste l’épineuse question de savoir s’il peut y avoir une force tierce qui puisse venir en garant. Mais je ne vois guère qui pourraient être les volontaires, ni quels contributeurs traditionnels de l’ONU en auraient les capacités. Pour créer les conditions d’une reconstitution progressive de la Syrie, la présence d’une force tierce va être indispensable, car le risque de massacres est réel. Malheureusement, je pense qu’il n’y aura pas de solution rapide. C’est, malgré tout, un des éléments de réponse à l’EI. Car son existence se nourrit de rivalités régionales et de guerre. Son ultraviolence et la radicalisation terroriste interviennent relativement tard dans son jeu. p 24 | DÉBATS & ANALYSES 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Les « Panama papers » ont provoqué un séisme qui ébranle les planètes politique et financière. Vont-ils marquer le début d’une nouvelle ère de probité ou l’émotion va-t-elle retomber ? Un monde sans fraude est-il possible ? La cérémonie des « papers » ne fait que commencer Rions de ces tristes sires qui prennent l’argent trop au sérieux D’autres révélations suivront l’ouverture de cette gigantesque boîte de Pandore. Car la défiance citoyenne est désormais immense Ces scandales ne suscitent plus qu’un bref émoi dans une opinion publique blasée qui considère ces dérives comme un mal nécessaire Par WILLIAM BOURDON D égoût, nausée, alors que les répliques du séisme provoqué par les « Panama papers » n’en sont qu’à leurs prologues. Cette révélation est en forme de trompe-l’œil tant les bénéficiaires de ce système d’opacification des flux d’argent illicites ont été aussi parfois les responsables publics. Ils n’ont pas su, voulu, mettre un terme à un siphonnage des ressources publiques, alors qu’ils demandent tant de sacrifices à ceux qui se sont si paupérisés qu’ils en sont d’autant plus sidérés. Sombre ironie, les principaux bénéficaires sont bien souvent ceux-là mêmes qui instrumentalisent la lutte contre la corruption pour se procurer à peu de frais les habits de la vertu. Pensons aux dirigeants du Front national, qui braconnent dans les champs de la colère et du désenchantement pour dénoncer le manque d’intégrité de nos représentants politiques alors qu’en leur sein, on le savait déjà par d’autres scandales financiers, se trouvent des bénéficiaires de cet incroyable trou noir de la planète finance. Les braconniers sont devenus gibier ; ils sont aussi les fossoyeurs de la probité publique. Ainsi, tant de dirigeants en Afrique, en Asie, et au premier chef les dirigeants chinois, qui ont fait essentiellement de la lutte contre la corruption un moyen d’éradiquer leurs opposants. Le paradoxe est de constater que ceux qui sont en responsabilité, dont on attendait une défense de l’intérêt général, n’ont pas répondu à cette aspiration mais l’ont détournée pour mieux se constituer des retraites dorées, mus par une seule religion : celle de la cupidité qui suppose d’organiser son irresponsabilité juridique. C’est l’universalisation d’une gigantesque défiance des citoyens du monde entier vis-à-vis de ceux qui devraient défendre l’intérêt général, alors qu’il n’a jamais été autant menacé par la financiarisation souterraine de l’économie qui a conduit à tant de pertes de souveraineté. Les citoyens savent que leur pouvoir d’achat, lors de la grande crise systémique de 2007 et 2008, a été frappé de plein fouet du fait de cette duplicité de tant d’acteurs publics et privés. En contrepoint de ce gigantesque scandale : un mouvement citoyen éparpillé et protéiforme qui tâtonne place de la République et ailleurs. Il nous rappelle, et c’est essentiel, que sans cette exigence citoyenne, les masques ne seraient jamais tombés et les Etats, jamais contraints à agir. De ce point de vue, le projet de loi Sapin II est un pas trop timide, car la protection des lanceurs d’alerte n’a de sens que si elle s’étend évidemment à la fraude fiscale. Cette omission, comme le refus de faire sauter le verrou de Bercy, c’est-àdire de permettre aux associations de déclencher des poursuites pour fraude fiscale ou au parquet de le faire d’office, continueront à entretenir le soupçon sur la volonté de l’Etat de rester dans la culture de l’arrangement. UNE IMMUNITÉ POUR LES LANCEURS D’ALERTE Derrière les « Panama papers », il y a un lanceur d’alerte. Les « Panama papers » exigent, sans sombrer dans l’hypermonétarisation de l’alerte, d’envisager une rétribution pour ces lanceurs d’alerte trop souvent plongés dans une totale précarité. Les « Panama papers » commandent aussi de créer un registre des bénéficiaires effectifs des sociétés dans le cadre de la lutte contre l’opacité des trusts. Enfin, si le lanceur d’alerte, en brisant un secret, révèle un grave dysfonctionnement mais s’expose à des poursuites pénales, une réflexion doit s’engager pour, au cas par cas, lui octroyer une immunité. En miroir inversé, les tentatives des lobbies pour que l’Union européenne impose la criminalisation de la violation du secret des affaires ; un grand écart donc entre la volonté de sécuriser leur chemin d’une main, tout en les bâillonnant ou les décourageant de l’autre. Ces citoyens, en forme de « petites insurrections individuelles », comme disait Vaclav Havel, qui n’en peuvent plus d’un monde qui se privatise, se monétarise au mépris des droits élémentaires des citoyens. La cérémonie des « Papers » ne fait que commencer et sera suivie demain des « Hongkong papers », et plus loin des « Dubaï papers » ou des « Pékin papers ». Cette cérémonie, elle a commencé il y a quarante ans avec les « Pentagone papers », quand un fonctionnaire américain, Daniel Ellsberg, avait communiqué au New York Times des extraits d’un rapport top secret du département de la défense américain consacré aux relations entre le Vietnam et les Etats-Unis : « Mettons ces fils de pute en prison », avait demandé Nixon, fou de rage, à son conseiller, Henri Kissinger. En réplique, Hannah Arendt devait écrire Lying in Politics et rappeler : « L’honnêteté n’a jamais compté parmi les vertus politiques et les mensonges ont toujours été considérés comme des outils légitimes dans les relations politiques. » DE BRAISE ET DE COLÈRE Un nouveau vent court, de braise et de colère, à travers la planète, qui doit obliger nos responsables politiques à sortir de leur torpeur et à ériger de véritables herses en forme de sanctions des établissements financiers qui continuent à collaborer avec ces trous noirs de la planète. Mais, aujourd’hui, a aussi surgi un vent mortifère provoqué par les attentats et la menace terroriste qui font se réveiller les cyniques, désinhiber les opportunistes et rendre parfois ridicules les droits-de-l’hommistes. C’est également l’étalage des richesses face à l’extrême pauvreté qui en est le ferment. C’est cette barbarie qui conduit les Etats à fermer les yeux sur ceux qui instrumentalisent la lutte contre le terrorisme pour écraser toutes les dissidences et survendre leur inflexibilité face à Daech, AlQaida et tous leurs franchisés. Une gigantesque boîte de Pandore s’est ouverte, espérons qu’elle ne soit pas un tonneau des Danaïdes, tant la mondialisation financière offre chaque jour des outils qui ne cesseront de se sophistiquer pour continuer à braver l’inquiétude citoyenne mondiale. p ¶ William Bourdon est avocat au barreau de Paris et auteur, entre autres, de « Petit manuel de désobéissance citoyenne » (éd. JC Lattès, 2014) Evasion fiscale | par serguei Par JONAS LÜSCHER L e plus déprimant, dans les révélations des « Panama papers », c’est peut-être que tout cela, au fond, ne nous surprend pas, ne saurait nous surprendre ; ni les pratiques, ni les noms, ni même les chiffres exorbitants. Quiconque feuillette régulièrement la presse sérieuse ou s’intéresse un tant soit peu à ce qui se passe dans le monde est capable de citer une demi-douzaine, voire une douzaine d’oasis fiscales, sait ce qu’est une société-écran, sait plus ou moins comment ces sociétés opèrent et quels buts elles servent : la dissimulation de revenus, le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et, dans certains cas, oui, l’optimisation fiscale « légale ». Les pratiques sont connues depuis des décennies, on ne peut pas vraiment s’en étonner. Les noms cités n’étonnent pas davantage : c’est la clique habituelle de kleptocrates, de dictateurs, d’oligarques, de terroristes, de gros industriels, de coureurs cyclistes, de footballeurs qui, souvent déjà jugés pour fraude fiscale, jouent maintenant les nigauds innocents en rejetant la responsabilité sur leurs roublards de pères. On trouve même dans leurs rangs des fonctionnaires de la FIFA. Non, cela ne saurait vraiment pas nous surprendre, pas plus que les noms des intermédiaires qui ont fait fonder pour leurs clients ces sociétés-écrans. Il s’agit là encore de vieilles connaissances, parmi lesquelles des banques notoirement délinquantes et déjà condamnées à ce titre, comme HSBC, Credit Suisse, la Deutsche Bank, UBS et la Société générale. Tout cela n’est certes ni nouveau ni surprenant. Dès 2013, la Süddeutsche Zeitung rapportait que des membres des plus riches familles allemandes possédaient des sociétés-écrans au Panama, notamment chez les Porsche, les Piëch (Volkswagen) et les Quandt (BMW), les éditeurs Burda, les caféiers Jacobs et les banquiers von Finck. Et sur les quatre dernières années, Le Monde, en collaboration avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a chaque année révélé un scandale du même ordre : en 2013, les « offshoreLeaks », en 2014 les « LuxLeaks », l’an dernier les « SwissLeaks », à présent les « Panama papers »… Et l’an prochain ? Bien sûr, il pourrait cette fois s’agir d’un record. 2,6 téraoctets de données, c’est énorme… 2,6 téraoctets, ce sont 2 600 000 000 000 octets, mais nous avons tous dû nous habituer, ces dernières années, à des chiffres comportant un nombre absurde de zéros. 11 500 000 documents, 214 488 sociétés, 14 000 intermédiaires, 21 places financières offshore… Mais même ces chiffres ne peuvent plus véritablement nous surprendre. Et si nous ne nous en étonnons plus, c’est peutêtre aussi parce que tout cela cadre bien avec des mœurs économiques en pleine déliquescence. Un scandale alimentaire succède à l’autre ; des banques, comme si cela allait de soi, reportent dans leurs bilans des centaines de millions de pénalités, et nous avons oublié depuis longtemps ce qui leur avait valu ces amendes – manipulation du taux Libor, non-respect de sanctions internationales, complicité de fraude fiscale. « POUR LE BIEN DU MONDE » Un constructeur automobile équipe ses véhicules de logiciels truqueurs pour minimiser les émissions de gaz polluants. Et nous nous souvenons qu’il n’y a pas si longtemps, le même constructeur avait dû faire face à un scandale où il était question de pots-de-vin, de voyages d’agrément, de courtisanes payées par l’entreprise. S’agissant du sport, plus rien ne nous frappe : dopage dans le cyclisme et l’athlétisme, FIFA, UEFA, caisses noires, corruption, esclavage sur des chantiers de stades au Qatar, championnats achetés, trafic sordide de droits de retransmission, Bernie Ecclestone qui verse 44 millions de dollars de pots-de-vin à un banquier de la Banque publique bavaroise et s’en sort en signant simplement un gros chèque… Tout cela nous est devenu si familier qu’après un bref émoi, nous revenons bien vite à nos affaires quotidiennes. Il nous semble que toutes ces petites escroqueries et grosses infractions sont un mal nécessaire à accepter au nom de l’ensemble, qui resplendit de tous les feux de la croissance économique. Même le meilleur des mondes – et le monde capitaliste actuel nous est vendu comme tel – doit faire une place au mal, Leibniz le savait déjà. Dans cette théologie capitaliste où l’appât du gain figure au nombre des vertus, il est compréhensible que certains croyants particulièrement zélés aillent un peu trop loin. Mais même cela n’advient que « pour le bien du monde » (Pro mundi beneficio, selon l’ironique devise de l’Etat panaméen) : la doctrine du salut baptisée « trickle down » légitime tout accroissement de fortune chez les plus riches, puisqu’il en résulte aussi plus de retombées chez les plus pauvres. Ce mécanisme, selon lequel la prospérité se répand sur les riches comme une pluie tiède, glisse sur leurs cheveux parfumés, roule sur leur peau soignée et va s’accumuler autour de leurs orteils pédicurés en mettant également à flot les radeaux bricolés par les va-nu-pieds, est connu aussi sous le nom de « théorie du crottin de cheval » : plus on donne d’avoine au cheval, plus abondante sera sa production de crottin et plus les moineaux auront à manger. Oui, peut-être ne peut-on réagir à tout cela que comme Voltaire à Leibniz ; par une ironie mordante. Certes, nous pouvons promulguer des lois plus strictes et des réglementations, mais ils trouveront de nouvelles failles. Nous pouvons invoquer la décence, l’éthique et la morale, mais ils se sont depuis longtemps forgé les leurs. Ce qui nous reste, c’est la possibilité de nous moquer d’eux, de tourner en dérision ces nababs qui passent leur courte vie en compagnie d’êtres répugnants, à construire des montages offshore et à fonder, dans des républiques bananières, des sociétés-écrans. Il est peut-être temps pour nous de nous remettre à rire : rire de ces figures grotesques, de ces tristes sires qui prennent l’argent trop au sérieux. p (Traduit de l’allemand par Diane Meur) ¶ Jonas Lüscher est un écrivain suisse germanophone. Il a publié « Le Printemps des barbares » (ed. Autrement, 2015) débats & analyses | 25 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 LA CHRONIQUE DETHOMAS PIKETTY L’hypocrisie européenne Aux Pays-Bas, le populiste Geert Wilders fait la course en tête Analyse jean-pierre stroobants bruxelles - bureau européen L a question des paradis fiscaux et de l’opacité financière occupe depuis des années le devant de l’affiche. Malheureusement, il existe en ce domaine un écart abyssal entre les proclamations victorieuses des gouvernements et la réalité de ce qu’ils font. En 2014, l’enquête LuxLeaks révélait que les multinationales ne payaient quasiment aucun impôt en Europe, grâce à leurs filiales au Luxembourg. En 2016, les « Panama papers » montrent l’étendue des dissimulations de patrimoines opérées par les élites financières et politiques du Nord et du Sud. On peut se réjouir du fait que les journalistes fassent leur travail. Le problème est que les gouvernements ne font pas le leur. La vérité est que presque rien n’a été fait depuis la crise de 2008. Par certains côtés, les choses ont même empiré. Prenons les sujets dans l’ordre. Sur l’imposition des profits des grandes sociétés, la concurrence fiscale exacerbée a atteint de nouveaux sommets en Europe. Le Royaume-Uni s’apprête ainsi à réduire son taux à 17 %, du jamais-vu pour un grand pays, tout cela en protégeant les pratiques prédatrices des îles Vierges et des autres places offshore de la couronne britannique. Si l’on ne fait rien, alors on finira tous par s’aligner sur les 12 % de l’Irlande, voire sur 0 %, ou même sur des subventions aux investissements, comme c’est déjà parfois le cas. Pendant ce temps, aux EtatsUnis, où il existe un impôt fédéral sur les profits, le taux est de 35 % (sans compter l’impôt des Etats, compris entre 5 % et 10 %). C’est le morcellement politique de l’Europe et l’absence d’une puissance publique forte qui nous mettent à la merci des intérêts privés. La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de sortir de l’impasse. Si quatre pays, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, qui regroupent plus de 75 % du PIB et de la population de la zone euro, proposaient un nouveau traité fondé sur la démocratie et la justice fiscale, avec comme mesure forte un impôt commun sur les grandes sociétés, alors les autres pays seraient obligés de suivre. Sauf à se placer en dehors de l’effort de transparence que les opinions publiques demandent depuis des années, et à s’exposer à des sanctions. Un registre unifié des titres Sur les patrimoines privés détenus dans les paradis fiscaux, la plus grande opacité est là aussi toujours de mise. Un peu partout dans le monde, les plus grandes fortunes ont continué de progresser depuis 2008 beaucoup plus rapidement que la taille de l’économie, en partie parce qu’elles paient moins d’impôts que les autres. En France, un ministre du budget a pu tranquillement expliquer en 2013 qu’il ne détenait aucun compte en Suisse, sans crainte que son administration ne l’apprenne, et il a fallu de nouveau des journalistes pour découvrir la vérité. Les transmissions automatiques d’informations sur les actifs financiers, officiellement acceptées par la Suisse, et toujours refusées par le Panama, sont supposées régler la question à l’avenir. Sauf qu’elles ne commenceront timidement à être appliquées qu’à compter de ¶ Thomas Piketty est économiste, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, professeur à l’Ecole d’économie de Paris SEULE UNE APPLICATION RÉPÉTÉE DE SANCTIONS COMMERCIALES ET FINANCIÈRES PERMETTRA DE SORTIR DU CLIMAT D’OPACITÉ ET D’IMPUNITÉ 2018, avec des exceptions béantes, par exemple pour les titres détenus par l’intermédiaire des trusts et des fondations, et tout cela sans aucune pénalité prévue pour les pays récalcitrants. Autrement dit, on continue de vivre dans l’illusion que l’on va résoudre le problème sur la base du volontariat, en demandant poliment aux paradis fiscaux de cesser de mal se comporter. Il est urgent d’accélérer le processus et de mettre en place de lourdes sanctions commerciales et financières pour les pays qui ne respecteront pas des règles strictes. Ne nous y trompons pas : seule une application répétée de telles sanctions, au moindre manquement constaté (et il y en aura, y compris bien sûr avec nos chers voisins suisses et luxembourgeois), permettra d’établir la crédibilité du système et de sortir du climat d’opacité et d’impunité généralisée en vigueur depuis des dizaines d’années. Il faut dans le même temps mettre en place un registre unifié des titres financiers, ce qui passe par la prise de contrôle public des dépositaires centraux (Clearstream et Eurostream en Europe, Depository Trust Corporation aux EtatsUnis), comme l’a bien montré Gabriel Zucman. Pour crédibiliser le système, on peut aussi imaginer un droit d’enregistrement commun sur ces actifs, dont les recettes pourraient financer un bien public mondial (comme le climat). Reste une question : pourquoi les gouvernements ont-ils fait si peu depuis 2008 pour lutter contre l’opacité financière ? La réponse courte est qu’ils se sont donné l’illusion qu’ils n’avaient pas besoin d’agir. Leurs banques centrales ont imprimé assez de monnaie pour empêcher l’effondrement complet du système financier, évitant ainsi les erreurs qui, à la suite de 1929, avaient conduit le monde au bord du gouffre. Résultat : on a effectivement échappé à la dépression généralisée, mais, on s’est dispensé des réformes structurelles, réglementaires et fiscales indispensables. On pourrait se rassurer en notant que le bilan des grandes banques centrales (qui est passé de 10 % à 25 % du PIB) demeure faible par comparaison à l’ensemble des actifs financiers que les acteurs publics et privés détiennent les uns sur les autres (autour de 1 000 % du PIB, voire 2 000 % au Royaume-Uni), et pourrait encore augmenter en cas de besoin. En vérité, cela montre surtout l’hypertrophie persistante des bilans privés et la fragilité extrême de l’ensemble du système. Espérons que le monde saura entendre les leçons des « Panama papers » et s’attaquer enfin à l’opacité financière sans attendre une nouvelle crise. p [email protected] C’ est un parti sans structure et sans argent. C’est un parti sans véritable programme, outre la défense des oubliés du système, la condamnation sans nuance de l’immigration, de l’islam et de l’Europe dont, à en croire son leader, Geert Wilders, les Pays-Bas gagneraient à délaisser la monnaie et le projet. C’est un parti qui n’est jamais parvenu à gouverner et qui a bien vite débranché la prise d’un gouvernement, dit « Rutte I », quand libéraux et chrétiens-démocrates néerlandais crurent possible, à l’automne 2010, de négocier le soutien « extérieur » de l’homme à la chevelure peroxydée. M. Wilders n’était pas encore, à l’époque, séduit par le Front national, auquel il reprochait son antisémitisme, ou par le Vlaams Belang belge, qu’il assimilait à un parti néonazi. Il a revu son jugement sur l’un et sur l’autre et a finalement négocié de justesse une entente pour la formation d’un groupe d’extrême droite au Parlement de Strasbourg. Mercredi 6 avril, après la victoire du non qu’il défendait au référendum sur l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne, Geert Wilders a salué un vote « de défiance à l’égard des élites de Bruxelles et de La Haye » qui est « le début de la fin de l’UE ». Avant d’être félicité par Marine Le Pen. Aujourd’hui, alors qu’il célèbre sans faste les 10 ans de sa création, le Parti pour la liberté (PVV) de M. Wilders reste donc un mystère. Sans figure autre que celle de son chef, sans implantation locale mais crédité, depuis des mois, d’un score qui le place en tête de tous les sondages : de 33 à 41 sièges de députés, sur les 150 que compte la seconde Chambre de La Haye. En cas d’élection, le PVV obtiendrait plus de sièges que la coalition de libéraux et travaillistes au pouvoir. Celle-ci en détenait 76 en 2012, elle n’en conserverait, au mieux, que la moitié, victime, sans doute, du douloureux programme de réformes économiques et sociales qu’elle a impulsé. A onze mois du prochain scrutin législatif, Mark Rutte et Diederik Samsom, le premier ministre libéral et le chef du Parti social-démocrate, se demandent déjà comment ils parviendront à rééditer leur performance de 2012 : leur duel à couteaux tirés avait, à l’époque, tellement focalisé l’attention que leurs deux formations avaient été portées au pinacle, les transformant en vainqueurs… et en alliés obligés. Cela avait entraîné le relatif effacement de M. Wilders, délaissé par les chaînes commerciales qui, depuis dix ans, ont contribué à sa popularité. Dans ce royaume où la façon de faire de la politique fut longtemps très conventionnelle, les propos incendiaires de l’intéressé, ses formules à l’emporte-pièce et ses attaques personnelles lui ont assuré l’intérêt des journalistes, trop heureux de rompre avec les règles du compromis raisonnable. Avec son idée d’une taxe sur les foulards islamiques – qu’il a rebaptisés « torchons pour la tête » –, sa condamnation des petits voyous devenus « terroristes des rues » et son refus de voir son pays « colonisé par les musulmans » ou victime d’un « tsunami islamique », M. Wilders a attiré l’attention de tous. Si le film Fitna, censé démontrer le caractère intrinsèquement violent de la religion musulmane, ne fut qu’un triste navet, cela ne l’a pas empêché de présenter son projet d’éloigner les perturbateurs en les obligeant à vivre dans des conteneurs, à l’orée des villes. UN TRIBUN QUI RÈGNE SEUL Qu’importe, M. Wilders a occupé le devant de la scène, et c’est tout ce qui compte pour ce tribun qui n’a que faire des congrès, des assemblées de militants ou des querelles d’ego. Il règne seul, s’accommode des départs de ceux qui croyaient possible la création d’un vrai parti et, contrairement à Marine Le Pen, il ne croit pas à la nécessité d’une « dédiabolisation ». Il considère, au contraire, que c’est en privilégiant la rupture avec tous ses rivaux qu’il pourra durer. Les ultralibéraux, les conservateurs chrétiens ou les partisans de l’ordre nouveau qui ont tenté de se placer dans son sillage n’ont pas réussi à s’y faire une place. Les tentatives de scission qui émaillent l’aventure du PVV n’ont aucun effet sur un homme qui capte au mieux ce que les Néerlandais appellent le buikgevoel, le sentiment que l’homme de la rue a « dans le ventre ». Son seul maître et modèle est Pim Fortuyn, le populiste de Rotterdam, mort sous les balles d’un extrémiste en 2002. Il avait révolutionné la façon de faire de la politique aux Pays-Bas en moquant ouvertement ses rivaux et en s’adressant à « Jan Modaal », le Néerlandais moyen. M. Wilders y a ajouté la pratique du harcèlement parlementaire : à la seconde Chambre de La Haye, il multiplie les interpellations et les motions, ce qui offre à l’opinion l’image d’un constant activisme. Et le pouvoir dans tout cela ? La courbe de popularité du PVV a été aussi chaotique que son histoire au cours de la décennie mais, jamais, il n’a atteint les sommets que lui prédisent les actuelles enquêtes d’opinion, laissant entrevoir à ses sympathisants une hypothèse longtemps jugée folle : un cabinet « Wilders I ». Dirigé par l’indispensable « Geert », mais avec quels partenaires, puisque le système de la coalition est, dans les faits, obligatoire aux Pays-Bas ? C’est un autre mystère, auquel le leader populiste trouve déjà une issue : il prévoit que, s’il arrive en tête mais ne peut gouverner, une « révolte » se produira. A-t-il, en réalité, l’envie de conduire son pays ? La question est sans réponse, mais plus le populiste détricote le consensus néerlandais, plus il gagne des voix dans toutes les couches de la société : outre les crânes rasés, une partie des retraités et des exclus, il séduit beaucoup de jeunes – un quart de son électorat potentiel a moins de 35 ans –, de femmes et de diplômés. Pour expliquer leur ralliement, ils avancent comme raison le prétendu envahissement de l’Europe par des étrangers musulmans… p PLUS LE LEADER DU PARTI POUR LA LIBERTÉ DÉTRICOTE LE CONSENSUS NÉERLANDAIS, PLUS IL GAGNE DES VOIX DANS TOUTES LES COUCHES DE LA SOCIÉTÉ [email protected] L’ambivalent Alain Juppé Le livre C e livre ne ressemble à aucun autre. Une sorte d’OVNI dans le monde de l’édition. Son auteur, Gaël Tchakaloff, dresse un portrait intime et psychologique du maire de Bordeaux sur un ton décalé, voire burlesque. Son récit-enquête rédigé à la première personne n’a rien à voir avec un ouvrage politique classique. Car cette journaliste au Nouvel Economiste, qui a travaillé au cabinet de Rachida Dati en 2007, au ministère de la justice, se met en scène tout au long des pages en se présentant volontairement comme une femme déjantée, hystérique ou provocante. Elle raconte en détail les péripéties de sa plongée dans la galaxie Juppé pendant dix-huit mois. Une vraie immersion. Ou plutôt un défi : « Percer l’âme » de celui qu’elle décrit comme un « bloc de glace », « fermé » et « verrouillé à double tour ». Son but ? Montrer le « vrai Juppé ». Celui de la sphère privée, qu’on ignore. « Je le veux dénudé (…). Je veux son cœur, sa sève, sa peau, sa chair, son tréfonds », s’emballe celle qui a dû patienter dix mois avant d’avoir son premier rendez-vous avec le favori de la primaire à droite pour la présidentielle. Un grand sentimental Affichant ouvertement sa proximité avec le candidat et ses proches, qu’elle appelle par leur prénom, Gaël Tchakaloff assume d’être tombée dans un syndrome de Stockholm avec son sujet – « Au fil des mois, il devient ma dope, ma came, ma vitamine. » Surnommée « la dingue » par l’équipe Juppé, elle ne cache pas avoir joué de ses charmes pour franchir le barrage dressé par Gilles Boyer, le directeur de campagne de M. Juppé, qui verrouille la communication de son patron. « Gilles, j’ai fini par le violer. Il s’est laissé faire. Cela n’a pas été une mince affaire », écritelle, en maniant sans cesse le second degré. Des multiples entretiens entre l’auteure, « Alain » et ses proches, il ressort un portrait ambivalent, plutôt à l’avantage de M. Juppé. Car si l’auteure le fait apparaître sans surprise comme un homme froid, orgueilleux et arrogant – « c’est un handicapé des rapports humains », dixit son fils Laurent –, elle décrit surtout un grand sentimental, loin de sa raideur apparente. Un Alain Juppé, présenté par son épouse Isabelle comme un « ultrasensible », qui ne supporte pas de ne pas être aimé. « C’est un vrai affectif, mal à l’aise avec les gens hostiles », explique Virginie Calmels, première adjointe du maire de Bordeaux. « Moi, je ne sais pas être sympathique sur commande, admet Alain Juppé. Je me détends quand je me sens aimé et entouré. » Autre surprise : l’anticonformisme de sa première famille, « des gens bohèmes, presque libertaires ». Rien de bien gênant pour le favori des sondages. Ses rivaux, qui misaient sur cet ouvrage pour le déstabiliser, n’y trouveront pas matière à exploiter. Car, loin d’écorner sa bonne image dans l’opinion, ce livre tend au contraire à humaniser celui que ses camarades de classe appelaient « Amstrad », du nom de l’ordinateur phare des années 1980. p alexandre lemarié LAPINS ET MERVEILLES de Gaël Tchakaloff. Flammarion, 268 pages, 19 euros 26 | 0123 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE par j ean- m iche l b e zat Apprenti sorcier de l’or noir L a photo officielle promet d’être belle et édifiante, à Doha, au soir du 17 avril : une brochette de ministres accourus dans la capitale du Qatar de l’ensemble de la planète pétrolière pour s’entendre sur un gel de la production d’or noir à son niveau de janvier. Il y aura là le Saoudien, le Russe, le Vénézuélien, l’Algérien, le Nigérian, l’Emirati, l’Indonésien et quelques autres. Il n’est pas sûr qu’un acteur-clé, le ministre iranien du pétrole, soit présent. Bijan Namdar Zanganeh a fait savoir qu’il fera le voyage s’il a « le temps ». Son absence transformerait alors la réunion en une farce. Et cet échec pourrait faire replonger le prix du baril, qui a regagné plus de 10 dollars depuis son plancher de 27 dollars en janvier. L’hôte qatari, qui préside l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 2016, a prévenu que le rééquilibrage du marché est une « question urgente ». Mais que peut-on attendre de Doha ? Les dirigeants des pays producteurs ont constaté que la seule perspective de cette réunion a contribué au regain de vigueur des cours pétroliers depuis quelques semaines. De New York à Singapour, en passant par Londres, les investisseurs avaient besoin de se raccrocher au moindre espoir – même celui d’un très hypothétique plafonnement de l’offre – pour arrêter la dangereuse spirale qui les entraînait vers un baril à 20 dollars, mortel pour les nations sous perfusion de pétrodollars. Une remontée qui reste très fragile tant que le marché n’aura pas été purgé de son tropplein de pétrole. On en est loin, tant l’Iran, la Russie, l’Irak et surtout l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial, y mettent peu de bonne volonté. Tout le monde bombe le torse et montre ses muscles. Téhéran affirme qu’il exporte désormais 2 millions de barils par jour, le double de ce qu’il écoulait à l’étranger avant la levée des sanctions internationales en janvier. Et la NIOC, sa compagnie nationale, casse allègrement les prix pour regagner des parts de marché en Europe et en Asie. Par la voix du prince Mohammed Ben Salmane, fils du roi, l’Arabie saoudite a prévenu qu’elle ne resserrerait pas les vannes tant que d’autres, à commencer par l’Iran, ne feraient pas de même. Et les Saoudiens font tout ce qui est possible pour entraver les exportations iraniennes par voie maritime. « Stratégie du désespoir » La Russie ? A l’initiative du sommet, d’abord prévu le 20 mars, elle ne veut pas que la réunion fasse « pschitt ». Et le ministre russe de l’énergie, Alexandre Novak, cherche à s’en assurer en rencontrant son homologue saoudien, Ali Al-Naïmi. Mais elle joue double jeu en annonçant que ses compagnies n’ont jamais pompé autant de brut en trente ans. Et les divergences entre les deux pays, certes moins fortes qu’entre l’Iran et l’Arabie saoudite, sont néanmoins profondes : Moscou soutient le régime syrien de Bachar Al-Assad. Et sur le front pétrolier, Riyad reproche depuis des lustres aux Russes d’être les À RIYAD, ON NOURRIT UNE CRAINTE OBSIDIONALE DU RETOUR DE L’IRAN COMME PREMIÈRE PUISSANCE RÉGIONALE L’ARABIE SAOUDITE NE VEUT PLUS ÊTRE LE « BANQUIER CENTRAL » DU MARCHÉ DU PÉTROLE « passagers clandestins » de l’OPEP, tirant profit des décisions du cartel tout en laissant les Saoudiens supporter seuls les efforts d’ajustement de la production. Avec dix-huit mois de recul, on s’interroge sur la stratégie imposée par l’Arabie saoudite lors de la réunion de l’OPEP de novembre 2014 : laisser le brut couler à flot pour faire baisser les prix, éliminer les producteurs américains de shale oil produisant à des coûts plus élevés et conserver ses parts de marché. Une « stratégie » ? Cela supposerait une aptitude du royaume wahhabite à préparer le coup d’après, comme un joueur d’échecs. C’est plutôt la « stratégie du désespoir » d’un pays qui n’avait pas d’autre choix, corrige Pierre Terzian, directeur de la revue Pétrostratégies. Il y a un an et demi, M. Al-Naïmi n’imaginait pas un baril à moins de 70 dollars, même en laissant les vannes grandes ouvertes, confie le patron d’une compagnie pétrolière. Un an plus tard, il enfonçait le plancher des 40 dollars, puis il passait sous les 30 dollars. Riyad est devenu, à son corps défendant, l’apprenti sorcier de l’or noir. Fuite en avant Ballotée dans la tourmente du Moyen-Orient, l’Arabie saoudite redoute que ses ressources ne passent à terme par pertes et profits dans un monde en pleine transition énergétique. Le pays ne veut plus être le « banquier central » du marché, quand il injectait ou retirait des liquidités pétrolières pour équilibrer offre et demande. « Il n’y a plus de Mario Draghi du pétrole », regrette le patron d’une major pétrolière. Le royaume restera longtemps un acteur de poids grâce à ses réserves abondantes et ses coûts d’extraction très bas. Mais ce sont les Etats-Unis et l’Iran qui seront les deux grands gagnants de la hausse de la production à l’horizon 2021, prévient l’Agence internationale de l’énergie. Des producteurs américains à l’affût qui, une fois le baril revenu à 50 dollars, seront de nouveau saisis par la fièvre de l’or noir. Il y a bien quelque chose de désespéré dans les manœuvres des Saoudiens. Et cela déborde largement leur politique pétrolière. A Riyad, on nourrit une crainte obsidionale du retour de l’Iran comme première puissance régionale et de la constitution d’un « arc chiite » allant de l’Iran au Liban en passant par l’Irak et la Syrie de Bachar AlAssad, avec la République islamique en leader incontesté. La signature en juillet 2015 de l’accord sur le programme nucléaire iranien, parrainé par le président américain, Barack Obama, a renforcé ce profond sentiment d’insécurité. « Les Iraniens sont plus nombreux, plus éduqués, plus malins que les Saoudiens. L’histoire est écrite : l’empire perse est de retour », tranche un grand patron en affaires avec les deux pays. Ce qui explique la fuite en avant de Riyad, traditionnellement très prudent, avec son intervention militaire au Yémen contre les rebelles houthistes pro-iraniens. Comme son intransigeance sur le front pétrolier, qui risque de transformer le rendez-vous de Doha en une risible pantalonnade. p [email protected] Tirage du Monde daté samedi 9 avril : 281 949 exemplaires LE PAPE, OU LE DOGME SANS DOGMATISME N i grand chambardement ni statu quo : c’est une voie médiane que le pape François a choisie dans son exhortation apostolique sur la famille. Rendu public vendredi 8 avril, ce texte de 265 pages, intitulé Amoris Laetitia (« la joie de l’amour »), est le fruit d’un cheminement de deux ans au sein de l’Eglise catholique, marqué par deux synodes, en octobre 2014 et en octobre 2015. Le souverain pontife argentin se livre à une vigoureuse défense du mariage catholique, un lien pour la vie entre un homme et une femme qu’il ne résume pas à la seule ouverture à la procréation. Une union qui s’oppose à ce qu’il appelle la « culture du provisoire », où « tout est jetable, chacun uti- lise et jette, paie et détruit, exploite et presse, tant que cela sert. Ensuite, adieu ! » Le dogme étant le dogme, le pape le confirme donc. Mais sans dogmatisme. Il affiche, en effet, un pragmatisme conforme à sa volonté de s’adresser à toutes ces « périphéries » humaines que l’Eglise a trop longtemps ignorées. Une démarche qui doit offrir « un cadre et un climat qui nous empêchent de développer une morale bureaucratique froide en parlant des thèmes les plus délicats, et nous situe plutôt dans le contexte d’un discernement pastoral empreint d’amour miséricordieux ». Se posant en pape de la miséricorde, Jorge Bergoglio souligne qu’« il s’agit d’intégrer tout le monde » dans la vie ecclésiale. Tout le monde ? Les familles monoparentales ou celles qui ne sont unies que civilement ? Les concubins ? Les divorcés remariés ? Les homosexuels ? Pour tous ces exclus de l’Eglise, François propose un « traitement » au cas par cas. Les prêtres et les évêques sont invités à se pencher sur « l’innombrable diversité des situations concrètes », celles qui ont amené des fidèles à cohabiter, à se séparer, à se remarier. Il ne s’agit pas de jeter des pierres aux personnes qui vivent des situations « irrégulières » mais d’examiner avec miséricorde les « circonstances atténuantes » qui expliquent la condition dans laquelle elles se trouvent. La principale avancée de cette réflexion sur la famille est donc la liberté donnée à chaque prêtre, en tenant compte des cultures locales, de discerner jusqu’où il peut aller pour intégrer ces exclus. Ce système à la carte peut ouvrir la voie, « dans certains cas », aux sacrements comme la communion, notamment pour les divorcés remariés. Quitte à faire naître des disparités entre les pays, voire entre les diocèses. L’aile la plus progressiste reprochera sans doute au pape de ne pas être allé assez loin, de s’être arrêté en chemin. L’aile la plus conservatrice, avec les évêques africains et polonais, qui ont fait de la résistance pour préserver une image traditionnelle de la famille, jugera probablement sa démarche iconoclaste. François a dû tenir compte de ces sensibilités diverses et des tensions qu’elles ont générées lors des synodes. Les homosexuels sont ainsi les grands oubliés de cette exhortation. Le rapport d’étape, après le synode d’octobre 2014, soulignait pourtant que « les personnes homosexuelles ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne ». Une meilleure participation des femmes à la vie de l’Eglise n’est pas davantage évoquée, alors que le pape observait, en juillet 2013, que « Marie est plus importante que les Apôtres, que les évêques ». Trop prudent, ou trop timoré, François ? Il a au moins le mérite d’entrouvrir une porte trop longtemps fermée. p L’ultime chef-d’œuvre du Maestro Visite ou Mémoires et Confessions un ilm de Manoel de Oliveira CAHIERS CINEMA DU ACTUELLEMENT AU CINÉMA Bolloré et Berlusconi s’allient pour créer un « Netflix européen » ▶ Vivendi et Mediaset concluent un accord d’échange de participations et formeront une plate-forme de vidéos à la demande C omment combattre Netflix, cette pieuvre américaine de la télévision à la demande, qui séduit de plus en plus en Europe ? Après des mois de discussions, Vincent Bolloré et Silvio Berlusconi ont décidé de s’unir pour faire émerger un « Netflix européen », aussi puissant dans la distribution que dans la production de contenus. Ils ont fort à faire. Leur grand rival américain compte 75 millions d’abonnés dans le monde et a prévu de dépenser cette année 6 milliards de dollars (5,3 milliards d’euros) dans la production de contenus exclusifs. Pour sceller leur partenariat, les deux groupes ont annoncé, vendredi 8 avril, un échange de participations. Vivendi, présidé par Vincent Bolloré, va entrer à hauteur de 3,5 % dans Mediaset, dont un tiers du capital est détenu par M. Berlusconi. En parallèle, Vivendi reprendra 100 % de Mediaset Premium, le bouquet de télévision payante, propriété à 89 % de Mediaset et à 11 % de Telefonica. L’opération, qui valorise Mediaset Premium à 800 millions d’euros, sera essentiellement acquittée par échange de titres. Mediaset profite de cette occasion pour entrer à hauteur de 3,5 % dans le capital de Vivendi. Ainsi, le groupe de médias de l’ancien président du conseil italien devient le premier actionnaire industriel de Vivendi derrière le groupe Bolloré. Symbole de cette coopération future, Pier Silvio Berlusconi, fils de Silvio Berlusconi, actuel dirigeant de Mediaset, rejoindra le conseil d’administration de Vivendi. sandrine cassini et philippe ridet (à rome) → LIR E L A S U IT E PAGE 8 Le danois Bang & Olufsen passe sous pavillon chinois ▶ Le milliardaire Qi Jianhong devient actionnaire majoritaire de l’icône du son haut de gamme ▶ En difficulté depuis plusieurs années, B & O va se recentrer sur l’acoustique et le design → LIR E PAGE 4 Les résidences pour seniors, eldorado des promoteurs L a foule qui se presse dans les allées du 18e Salon des seniors, à Paris, porte de Versailles, du 7 au 10 avril, montre que la « silver économie » – en référence à la couleur argentée des cheveux des personnes âgées autant qu’à leur patrimoine – se porte bien. Une quinzaine de stands sur 250 y proposent des appartements à louer ou à acheter en résidences services pour seniors, et visent deux publics, les utilisateurs eux-mêmes et les investisseurs, particuliers et institutionnels. Selon Xerfi, bureau d’études économiques, la France compte déjà 540 résidences, totalisant 42 000 logements pour 54 000 habitants. Au rythme de 80 ouvertures par an, le parc devrait, d’ici à 2020, atteindre plus de 1 000 ensembles. Le secteur est en pleine révolution, peut-être même proche de la bulle immobilière. Tous les grands promoteurs se sont lancés : Pierre et Vacances a, en 2007, acheté Les Senioriales, qui comptent déjà 52 immeubles ou villages et 20 en projet ; Bouygues Immobilier a, fin 2014, pris une participation de 40 % dans les Jardins d’Arcadie, du groupe Acapace, qui totalisent 21 résidences en service et 24 en projet, soit 1 500 futurs appartements. isabelle rey-lefebvre → LIR E L A S U IT E PAGE 3 540 C’EST LE NOMBRE DE RÉSIDENCES QUE COMPTE LA FRANCE AUJOURD’HUI, TOTALISANT 42 000 LOGEMENTS A Copenhague. ANDREAS GKANATSIOS/INVISION-REA PLEIN CADRE L’ORÉAL, PARCE QUE L’AFRIQUE LE VAUT BIEN → LIR E PAGE 2 SÉCURITÉ INFORMATIQUE LA CNIL PLÉBISCITE LE CHIFFREMENT DES DONNÉES PERSONNELLES → LIR E PAGE 8 j OR | 1 240 $ L'ONCE j PÉTROLE | 41,94 $ LE BARIL j EURO-DOLLAR | 1,1399 j TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 1,718% J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,43 % VALEURS AU 09 AVRIL - 7 H 00 VU DE NEW YORK Des bénédictins au secours de Tesla T esla Motors va peut-être trouver son salut dans un… cercueil. Le fabricant de voitures électriques est confronté depuis des années à une levée de boucliers à propos du mode de distribution de ses véhicules aux Etats-Unis. Contrairement aux autres constructeurs, le groupe fondé par Elon Musk a choisi de s’affranchir d’un classique réseau de concessionnaires indépendants, en vendant directement ses véhicules par l’intermédiaire des showrooms qui lui appartiennent. Le problème, c’est que ce mode de commercialisation est considéré comme illégal dans pas moins de six Etats, qui représentent tout de même 18 % des ventes de véhicules neufs aux Etats-Unis. Malgré une guérilla juridique, l’Arizona, le Michigan, le Texas, le Connecticut, l’Utah et la Virginie-Occidentale refusent de faire évoluer leur manière de vendre des automobiles. La législation remonte aux années 1950. Le but était de protéger les commerçants de décisions arbitraires de la part des constructeurs, qui peuvent être tentés de fermer les concessions au gré de leurs intérêts sans tenir compte de leurs affiliés. Mais Tesla a peut-être trouvé la parade en s’appuyant sur une décision de justice prise en 2013 dans le secteur des pompes funèbres. L’affaire remonte au moment de l’ouragan Katrina. Alors que La Nouvelle-Orléans est submergée par les eaux, les victimes se multiplient et la région connaît un brusque engorgement des services funéraires. L’abbaye Saint-Joseph, qui appartient à la congrégation des bénédictins, décide de prendre le taureau par les cornes en demandant à ses moines de fabriquer les cercueils. Or, jusqu’alors, pour exercer ce sympathique métier, il fallait obtenir le feu vert du Louisiania Board of Funeral Directors, qui veille à l’obtention des licences. Une procédure contestée par l’abbaye, qui a obtenu gain de cause, la cour d’appel fédérale de La Nouvelle-Orléans considérant que les moines étaient habilités à vendre leurs propres cercueils sans le fameux sésame. Du marché de niche… au grand public Sans surprise, la dispute concernant Tesla trouve son épicentre dans la Mecque de l’industrie automobile américaine : le Michigan, où les trois constructeurs historiques (Ford, General Motors et Chrysler) ont leur siège. Le fabricant de voitures électriques a déposé une demande de licence commerciale, qui se heurte à la loi actuelle. Si Tesla était débouté, le fabricant se dit prêt à faire valoir la jurisprudence des moines de l’abbaye Saint-Joseph. L’enjeu est crucial pour le groupe qui veut jouer dans la cour des grands. Cantonné jusqu’à présent à un marché de niche, centré sur le haut de gamme, Tesla est en train de lancer une nouvelle voiture, le « modèle 3 », qui vise cette fois le grand public. Le constructeur s’est fixé des objectifs ambitieux en tablant sur 500 000 ventes annuelles d’ici à 2020. Il ne pourra les atteindre qu’avec un réseau commercial au maximum de son potentiel. De ce point de vue, les bénédictins pourraient lui être du plus grand secours. p stéphane lauer Cahier du « Monde » No 22157 daté Dimanche 10 - Lundi 11 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément 0123 hors-série Être français Les grands textes de Montesquieu à Edgar Morin Les nouveaux déis 60 auteurs 40 dessins ÊTRE FRANÇAIS Un hors-série du « Monde » 164 pages - 8,50 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique 2 | plein cadre 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 L’Oréal, un tournant africain Le leader mondial des cosmétiques est aimanté par l’Afrique, où il a connu sa plus forte croissance en 2015. Il vient de transférer son centre de recherche sur les cheveux africains et les peaux noires à Johannesburg johannesburg (afrique du sud) S igne de l’intérêt croissant de L’Oréal pour le continent africain, le groupe français a transféré à Johannesburg (Afrique du Sud) son centre de recherche et développement (R&D) spécialisé dans les cheveux africains et les peaux noires, précédemment basé à Clark dans le New Jersey (Etats-Unis). Installé aux côtés d’autres multinationales, dans un parc sécurisé où les paons se promènent sur le gazon, le centre a officiellement démarré ses activités depuis trois mois et l’équipe actuelle, de dix-neuf chercheurs, doit être étoffée rapidement. Toutes les données du laboratoire de Clark ont été transférées et certains ingénieurs américains sont venus prêter main-forte, pour quelque temps, à la nouvelle équipe. Dans le puzzle planétaire, le continent noir devient un marché prometteur. Si l’Afrique et le Moyen-Orient ne représentent aujourd’hui que 3 % des ventes du numéro un mondial des cosmétiques, c’est la partie du monde où sa croissance a été la plus forte en 2015 (+ 12 %). Et L’Oréal, qui y progresse deux fois et demie plus vite que le marché, cherche clairement à y rattraper Unilever et Procter & Gamble. « L’objectif est d’avoir une écoute plus fine de tous les consommateurs d’Afrique sub-saharienne pour conquérir ce marché », affirme Myriam Touré, responsable des marques africaines de L’Oréal. « Développer des produits spécifiques pour chaque classe sociale, travailler sur les nouvelles tendances de beauté, trouver des formules efficaces », ajoute Alice Laurent Lesaffre, directrice de la R&D en Afrique sub-saharienne. Rien qu’en Afrique du Sud, où les ventes de cosmétiques sont les plus importantes du continent, la proportion de ménages les plus aisés – qui gagnent plus de 10 000 rands par mois (585 euros) – est passée entre 2006 et 2011, de 20,3 % à 24,2 % de la population, souligne Sandeep Rai, directeur général de L’Oréal en Afrique du Sud. Malgré des écarts de richesse criants, un chômage endémique (au taux de 24,5 %) et une dépréciation du rand de 50 % face au dollar au cours des deux dernières années, la direction de L’Oréal considère qu’il est temps de se renforcer dans ce pays. TESTS DE SOLIDITÉ Aux yeux de Mme Touré, il « n’est pas sûr qu’il y ait encore beaucoup de marques africaines d’importance à racheter ». L’Oréal a déjà acquis au fil des années les produits capillaires Dark & Lovely et Restore Plus, la lotion corporelle Nice & Lovely, les crèmes dépilatoires Magic ainsi que les déodorants Sadie et Blue Ice. Le groupe compte désormais développer aussi ses propres produits. Or les habitudes – ces fameux « rituels de beauté » – diffèrent considérablement selon les pays. Et surtout la qualité même des cheveux afro-américains et africains varie de façon très notable. Dans le labo flambant neuf, des instruments ultra-sophistiqués ne coupent pas les cheveux en quatre mais analysent leur résistance à la tension. D’autres machines ser- Le salon de coiffure Township Alexandra, à Johannesburg (Afrique du Sud). LORÉAL vent à étudier, avec un microscope électronique au millième, à la fois leur densité et leur solidité. Un troisième prototype mesure la facilité avec laquelle une chevelure peut être peignée… Selon Alice Laurent Lesaffre, « plus les cheveux sont frisés, plus ils sont fragiles ». Selon la classification utilisée par L’Oréal, les Afro-Américains sont dotés de cheveux très bouclés, à 5 sur une échelle de 10, comme les habitants du Ghana, mais ceux du Kenya atteignent 6 et ceux d’Afrique du Sud, 8 au minimum. Leur vulnérabilité provient de la faiblesse de la protection de leurs cuticules. Si les cheveux caucasiens ou asiatiques montrent une bien plus grande solidité, ils blanchissent davantage et plus vite que les chevelures africaines. Dans un salon de coiffure attenant au labo, des « cobayes » testent de nouveaux produits capillaires : la moitié du crâne est recouverte d’un produit, l’autre moitié d’un autre. Des chercheurs scruteront et analyseront leur teinte, leur brillance, la facilité de coiffage… A deux pas, un jeune ingénieur indien, Wesley, met au point des parfums pour déodorants : l’un marie des essences de noix de coco, de tubéreuse et d’ananas. L’autre, plus discret, mélange des fragrances ambrées, musquées et poudrées. L’AFRIQUE ET LE MOYEN-ORIENT NE REPRÉSENTENT AUJOURD’HUI QUE 3 % DES VENTES DU NUMÉRO UN MONDIAL Pour trouver de nouvelles formules destinées à chaque pays africain, le groupe français applique une stratégie rôdée dans le monde entier : il étudie à la loupe les comportements des consommateurs. Ce qui passe donc par des études comportementales. Ce mardi d’avril, deux jeunes femmes employées par l’institut Razoscene enquêtent, pour le compte de L’Oréal, au domicile de l’une des panélistes. Salariée d’un centre équestre, Pauline, 38 ans, une femme très élégante, célibataire, qui vit avec sa fille à Johannesburg, raconte par le menu sa conception de la beauté. « C’est d’abord la confiance en soi », tranche-t-elle. Jamais elle ne sortirait sans rouge à lèvres et, pour rien au monde, ne changerait de parfum. A ses yeux, porter des faux cils, semble « franchement exagéré » et elle affirme rester fidèle à ses trois marques de prédilection Ponds (Unilever), Garnier (L’Oréal) et Olay (Procter & Gamble). Pauline, qui porte des cheveux très courts, les enduit d’huile de noix de coco, de crème nourrissante et les lave deux fois par semaine, avec du savon ou du shampooing. C’est bien là l’une des particularités de l’Afrique du Sud. Les vendeurs de shampooing sont à la peine car les cheveux très secs des Sud-Africains noirs ne nécessitent parfois qu’un shampooing tous les quinze jours… Dans les épiceries des townships, ce produit, trop cher, ne se vend quasiment pas. Le savon, qui sert aussi à laver le linge, le remplace avantageusement. En revanche, les boutiques d’extension pour cheveux, très prisées, fleurissent dans tous les centres commerciaux. « En Afrique du Sud, les consommateurs ont peur des faux et détestent les changements de packaging », souligne Dave Hughes, chargé des produits grand public de L’Oréal, fabriqués pour une grande partie dans l’usine du groupe à Johannesburg. Cet ancien marine, à l’aise comme un poisson dans l’eau même dans les townships dangereux, approvisionne chaque épicerie du quartier pauvre d’Alexandra, les salons de coiffure les plus miteux où les clients s’assoient sur un fauteuil éventré et paient leur coupe 15 rands (presque un euro). Tout comme les supermarchés les plus populaires, Freedom, où tout le monde se rue le jour de la paye, le 24 de chaque mois. Il fournit aussi les boutiques destinées aux coiffeurs, les magasins spécialisés en produits de beauté Clicks, jusqu’aux points de vente ultra-bobos du quartier de Maboneng. p nicole vulser Le marché de la beauté est très prometteur sur le continent si les prévisions se vérifient, il devrait se vendre bientôt en Afrique des millions de petits pots de crème de jour, des montagnes de gels douche, et toujours plus de déodorants et des produits capillaires… Selon une étude d’Euromonitor International, le marché des cosmétiques et produits de beauté devrait augmenter de 24,5 % en cinq ans, entre 2015 et 2020, pour atteindre 17 milliards de dollars (soit 14,94 milliards d’euros) dans les huit principaux pays du continent (Afrique du Sud, Nigeria, Egypte, Maroc, Algérie, Kenya, Tunisie, Cameroun). Le principal marché, l’Afrique du Sud, représentait à lui seul 3,5 milliards de dollars en 2015. Et, toujours selon Euromonitor, il devrait encore croître de plus de 25 % d’ici à 2020. Deuxième marché du continent, le Nigeria est, quant à lui, considéré par le cabinet Roland Berger Strategy comme « l’étoile montante du secteur en Afrique subsaharienne ». L’une des caractéristiques de cette zone tient aux fortes différences constatées, en termes de consommation, dans ces différents pays. Tous ont en revanche comme point commun d’être encore très focalisés sur les produits capillaires et les soins du corps. Le maquillage et les soins du visage restent encore marginaux mais bénéficient, selon le même cabinet Roland Berger Strategy, d’« un fort potentiel ». Essor des classes moyennes Les géants mondiaux du secteur des cosmétiques, mais aussi une multitude de marques locales, se livrent à une concurrence sans merci pour conquérir les 300 millions de personnes qui appartiendront en 2017 aux nouvelles classes moyennes du continent africain. En ajoutant aux ventes en Afrique celles réalisées au Moyen-Orient, Euromonitor assure que Unilever dominait largement le marché en 2015, suivi de près par Procter & Gamble, L’Oréal étant en troisième position, puis Beiersdorf (la maison mère de Nivea), Arabian Oud et Estée Lauder. Depuis peu, de nouveaux acteurs comme l’indien Godrej ou le chinois Longrich ont fait leur apparition. Si, au Kenya, seulement 15 % des produits d’hygiène et de beauté sont commercialisés dans des supermarchés, en Afrique du Sud, l’essentiel des ventes se fait dans le cadre structuré de chaînes de distributeurs. Mais si l’on recense dans ce pays 10 000 salons de coiffure en dur, avec de l’eau courante, on en compte dix fois plus dans des containers, où l’on utilise une bonne vieille bassine pour rincer la tête du client. p n. v. économie & entreprise | 3 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Ruée des promoteurs sur le marché des seniors D’ici quatre ans, le parc des résidences de services pour personnes âgées aura sans doute doublé suite de la première page Aegide Domitys, dont Nexity a, en 2008, pris une participation minoritaire de 33 %, se déclare premier opérateur, avec plus de 50 résidences ouvertes et environ 70 opérations « en développement » ; le groupe de bâtiment et travaux publics Vinci fonde ses espoirs sur Ovelia, acteur encore naissant. Il faut aussi compter avec le groupe Réside-Etudes qui, sous la marque La Girandière, développe de telles résidences dont déjà une vingtaine en fonction, et six en cours de commercialisation, et une kyrielle de petits intervenants, Groupe Pichet, Villa Médicis, Montana… Nouvelle génération De leur côté, les élus de collectivités locales accueillent volontiers ces nouveaux programmes, d’autant que cette nouvelle population ne leur posera pas beaucoup de problèmes… Les commercialisateurs de ces résidences ne manquent pas d’arguments pour vanter le besoin croissant de ces équipements qui s’adressent aux personnes âgées valides mais qui commencent à se sentir fragiles. La résidence services offre donc un habitat intermédiaire entre le domicile et l’établissement d’hébergement médicalisé pour personnes âgées dépendantes. Le concept de logements personnels avec des services communs, restaurant, gardiennage, bricolage ou entretien du jardin, réservés aux retraités encore valides, né dans les années 1980 avec les marques Hespérides ou Jardins d’Arcadie, était, à l’origine, proposé en accession à la propriété et les premières générations ont parfois laissé des mauvais souvenirs. Le bien était difficilement vendable, même à prix cassé, en raison de charges très élevées incluant obligatoirement tous les services proposés, restauration comprise, à tel point que même des œuvres caritatives refusaient qu’il leur soit légué… Aujourd’hui, promoteurs et gestionnaires annoncent une nouvelle génération de résidences services, avec des charges contenues et, surtout, conformes à la nouvelle loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, du 28 décembre 2015. Cette loi impose le distinguo entre services obligatoires et à la carte. « Nous voyons de plus en plus de seniors ayant connu le vieillissement difficile de leurs pa- rents, qui l’anticipent pour euxmêmes et pour qui déménager en se débarrassant de ses meubles n’est pas tabou, confie Gérard Pinneberg, directeur de la communication des Sénioriales. C’est une population exigeante, informée, connectée, qui veut vivre en ville. Notre obsession est de leur proposer des charges obligatoires faibles, autour de 160 euros par mois pour un studio, 200 euros pour un deux-pièces. » Faiblesse du modèle Une association d’environ 200 habitants d’une quinzaine de résidences Les Sénioriales s’est d’ailleurs constituée pour négocier d’égal à égal avec le gestionnaire : « On m’avait promis des charges de 160 euros, elles sont, aujourd’hui, du double, et nous ne sommes pas libres de supprimer le poste du gardien, qui coûte très cher, avec une loge que la copropriété est obligée de louer à Pierre et Vacances, qui en a gardé la pro- priété », s’insurge Didier Burggraeve, son président. Cogedim relance, aujourd’hui, un nouveau modèle, Cogedim Club, qui compte déjà sept structures en activité et treize en projet. « Les personnes âgées ne seront pas propriétaires et ne prennent pas le risque du portage immobilier, que nous cédons à des investisseurs et exploitons avec un bail commercial de neuf ans », détaille Alexis Moreau, directeur de Cogedim Résidences Services. A Sèvres (Hauts-de-Seine), le loyer est certes au-dessus du marché, à 28 euros le mètre carré mensuel et 2,50 euros de charges classiques et 7,50 euros pour le socle de services obligatoires, ce qui porte la dépense à 1 900 euros par mois pour un 50 mètres carrés, un coût supérieur au revenu moyen. « Nous garantissons le loyer pen- Le dispositif « Pinel » reconduit François Hollande a annoncé, vendredi 8 avril, la prolongation d’un an, jusqu’au 31 décembre 2017, du dispositif d’investissement locatif dit « Pinel » permettant de déduire fiscalement une partie du prix d’acquisition d’un logement, à condition de le louer. Grâce à ce dispositif fiscal, qui devait disparaître fin 2016, les ventes de logements neufs ont progressé de 13,6 % en 2015 et l’embellie devrait se poursuivre cette année avec l’entrée en vigueur du nouveau prêt à taux zéro, selon les chiffres publiés en février par la Fédération des promoteurs immobiliers. « La construction repart, le logement est maintenant sur une phase ascendante », s’est félicité le président de la République. La création d’un logement génère deux emplois, a expliqué le chef de l’Etat. dant le délai nécessaire pour remplir cette résidence, d’environ dixhuit mois, ce qui majore le prix de vente », précise M. Moreau. Est aussi insérée, dans le contrat de location, une clause visant à « trouver une solution », lorsque le locataire devient dépendant, autrement dit l’inciter à gagner un Ehpad. « Nous pouvons accepter 10 % de personnes dépendantes, pas au-delà, car nous devons aussi préserver la vie sociale du lieu ». C’est sans doute là une faiblesse du modèle de ne pas avoir anticipé le turnover rapide de résidents, tous les quatre à six ans, entre leur arrivée, à 80 ans en moyenne, et leur départ. La surproduction de résidences est-elle en cours ? Les gestionnaires restent d’ailleurs très discrets sur le taux réel de remplissage de leurs multiples immeubles, parfois en concurrence frontale, très près les uns des autres. p isabelle rey-lefebvre 10 GRANDS DESTINS DU XXe SIÈCLE RACONTÉS PAR 0123 Citymapper, la start-up qui agace la RATP La régie parisienne renâcle à livrer ses données aux calculateurs d’itinéraires L a RATP n’est pas vraiment partageuse… Aux acteurs du numérique qui souhaitent récupérer certaines de ses données, la régie oppose une fin de non-recevoir. La start-up londonienne Citymapper, qui propose un planificateur d’itinéraires de transport multimodal (métro, bus, Autolib’, Velib’, taxis et VTC), en fait l’amère expérience. Créée en 2012, la société propose gratuitement son application, très ergonomique, dans une trentaine de villes, dont Bordeaux, Lyon, Amsterdam, Tokyo ou New York. A Paris, elle galère. Si elle a accès aux horaires théoriques des réseaux de bus, de métro et de RER, la RATP lui refuse l’accès aux données en temps réel, qui indique tout arrêt, incidents, etc. « Nous avons rencontré plusieurs fois la RATP, et c’est toujours la même réponse : “Notre politique est de ne pas ouvrir les données” », indique Jean-Baptiste Casaux, le chargé de développement de la start-up. La RATP jalouse notamment son application, qui est consultée chaque jour par 1,2 million d’utilisateurs. « Partout ailleurs, cela se passe bien, reprend-il. A Hongkong, nous venons même d’aider HK Tramways à ouvrir leurs données temps réel pour la première fois il y a deux semaines… » Incidemment, cette société est gérée par une filiale commune de Transdev et de la… RATP. A la régie, Citymapper agace. « Nous sommes pour l’“open data”, assure Franck Avice, le directeur service et relation clients de la RATP. Nous souhaitons aider les start-up qui proposent par exemple de nouveaux services. Mais nous n’entendons pas céder nos données à certains acteurs, qui ne nous citent même pas dans leur application. Si on les laisse s’en servir gratuitement, on risque de vivre ce qu’ont vécu les hôtels avec Booking. com et perdre notre relation à nos clients. » Depuis août 2015, et la loi sur la croissance d’Emmanuel Macron, les sociétés de transport doivent mettre à disposition leurs données dans le cadre de l’« open data ». Elles doivent adopter un « code de conduite » sur la mise à disposition de ces données, en instance de validation à Bercy. Un décret, actuellement au Conseil d’Etat, doit aussi être publié. « Ils refusent tous » La nouvelle loi autorise les opérateurs de transport à demander aux « utilisateurs de masse » de données de contribuer aux coûts de leur mise à disposition. La RATP dispose ainsi d’une redevance d’accès à ses données. Nécessaire, juge M. Avice, car, gratuit, cela peut être catastrophique : « Il y a quinze jours, Citymapper a fait tomber nos serveurs à force de les solliciter, de manière non autorisée », assure-t-il. D’autres sources affirment que la RATP aurait fermé ses serveurs afin justement d’empêcher Citymapper de se servir. En guerre avec la start-up, la RATP n’arrivait plus à filtrer ses accès… Outre cette redevance, la RATP demande à ceux qui reprennent ses données de lui rétrocéder, via une licence dite « ODBL », tous les développements élaborés à partir de ces dernières. « Ils refusent tous », assure Franck Avice. « On n’a même pas pu discuter de cette question », s’étonne-t-on chez Citymapper, la start-up qui a levé, depuis deux ans, 50 millions de dollars (43,86 millions d’euros). De quoi s’interroger selon Franck Avice. « Vous pensez vraiment que cette société lève autant d’argent pour développer simplement le meilleur service d’itinéraires ? Les investisseurs espèrent récupérer des données sur les utilisateurs de ces applications, qu’ils pourront monétiser plus tard et croiser avec d’autres données. Dès lors, pourquoi devrait-on leur céder gratuitement nos propres données ? » p philippe jacqué 1 044 pages - 39,90 € En vente en librairie ✁ BON DE COMMANDE JE COMMANDE Livre «Ils ont changé le monde» MQVLICHGEMONDE QUANT. 161WMQCHGEMONDE PRIX UNIT. TOTAL 39,90 € ................... € Participation aux frais d’envoi Total de la commande 4,99 € .................... € Pour commander ce coffret, remplissez ce bon de commande et renvoyez-le à : LE MONDE - SERVICE ABONNEMENTS - A 1100 62066 ARRAS CEDEX 9. Vous pouvez également commander sur notre boutique en ligne : www.lemonde.fr/boutique ou par téléphone 0,30 € / min . Délai de livraison : maximum 4 semaines à compter au 3289 de l’enregistrement de la commande. Nom : ................................................................................. Prénom : ............................................... 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Vos nom, prénom et adresse seront communiqués à nos services internes et, le cas échéant, dans l’avenir, à quelques publications partenaires, sauf avis contraire de votre part, en cochant la case ci-contre ❏ 4 | économie & entreprise 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Leboncoin, cimetière des éleveurs frappés par la crise du lait La chute des prix conduit nombre d’exploitants à cesser leur activité A vendre, contrat laitier ». Loïc et Marie Rissel ont décidé de placer cette petite annonce sur le site Internet Leboncoin. Le couple, qui avait repris la ferme des parents de Marie à SaintOnen-la-Chapelle (Ille-et-Vilaine) en 1992, a décidé de jeter l’éponge. « Nous avons eu les charges de la mise aux normes, puis avec le prix du lait qui baisse, c’est trop. On n’arrive pas à dégager de revenus », explique Mme Rissel. Même si l’annonce n’évoque pas de prix, elle espère que la cession du droit à produire, qui lie l’exploitation à la coopérative Agrial, lui rapportera 150 000 euros. Si l’affaire se conclut, les 70 vaches de la ferme iront à l’abattoir et M. Rissel, ancien négociant en bovins, cherchera un emploi. L’histoire n’est pas unique. Avec la crise qui secoue la filière laitière, nombre d’éleveurs abandonnent la partie. La floraison d’annonces de « ventes de contrats laitiers » sur Leboncoin en fait la démonstration. « Il y en a toutes les semaines », constate Mme Rissel. Il est vrai que, pour l’heure, le prix du lait continue à être orienté à la baisse. Avec toutefois un écart de prix qui s’est élargi. « La fourchette actuelle est comprise entre 260 et 315 euros la tonne. Lactalis est aux environs de 270 euros la tonne, Sodiaal à 280 euros, et les PME vers le haut de la fourchette à 315 euros », explique André Bonnard, trésorier de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), branche spécialisée du syndicat agricole FNSEA. Selon le ministère de l’agriculture, le prix du lait payé à l’éleveur a baissé de 8 % en début d’année par rapport à la même période un an plus tôt. Sous la pression des éleveurs, la France tente de trouver une solution à cette situation de surproduction née de la fin des quotas laitiers décrétée le 31 mars 2015. La crise laitière sera d’ailleurs à nouveau évoquée lors du conseil des ministres européens de l’agriculture, qui se tiendra lundi 11 avril à Luxembourg. La France donnera l’exemple Lors du précédent conseil, le 14 mars, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a obtenu le soutien de la Commission européenne sur l’essentiel des mesures exceptionnelles qu’il réclamait. Il a eu gain de cause sur un doublement des volumes de stockage public de poudre de lait et de beurre. Surtout, il a décroché l’activation de l’article 222, un outil de régulation prévu dans le cadre de la politique agricole commune. Ce texte introduit une dérogation au droit de la concurrence et permet à des associations de professionnels ou des coopératives de décider de réduire volon- Dans une exploitation laitière, à l’heure de la traite. DAVID ADEMAS/PHOTOPQR/OUEST FRANCE tairement leur production. Un pas de côté par rapport au dogme libéral prôné par Bruxelles, mais limité à six mois. La Commission a également autorisé le financement par les Etats membres des acteurs qui seraient prêts à réduire leur production. La France devait donner l’exemple pour mettre en musique ces mesures. M. Le Foll a réuni l’ensemble des acteurs de la filière laitière mardi 5 avril. L’interprofession a renoncé à l’objectif qu’elle s’était fixé d’une croissance annuelle des volumes de 2 % jusqu’en 2020. Elle s’est engagée à une stabilisation sur 2015. Mais, pour les industriels, cet accord n’est valable que si les autres Etats européens suivent la même voie. Le conseil du 11 avril sera l’occasion de faire un tour de table pour connaître la volonté de chacun d’activer ou non cet article 222 et d’évoquer la question du finance- Les transactions qui se négocient depuis la mise en place des contrats privés sont sur la sellette ment. Mais il ne devrait pas y avoir de décisions. M. Le Foll a fixé comme nouveau rendez-vous le 25 mai. A cette date, la commission agriculture du Parlement européen devrait réunir l’ensemble des acteurs de la filière au niveau européen autour d’une maîtrise temporaire de la production, selon le ministère. En attendant, l’horloge tourne et la pression s’accroît sur les éleveurs les plus fragiles financière- Le danois Bang & Olufsen passe sous contrôle chinois L e fleuron danois de la hi-fi Bang & Olufsen (B&O) est en train de passer entre les mains du milliardaire chinois Qi Jianhong, devenu, jeudi 7 avril, actionnaire majoritaire en achetant 13,1 % de B&O, portant ainsi sa participation à 18,7 % du groupe. Qi Jianhong a acheté les actions à un prix de 85 couronnes (11,4 euros) , alors que le cours de clôture s’est établi jeudi à près de 75 couronnes l’action. Propriétaire de Sparkle Roll Group, distributeur de produits de luxe, Qi Jianhong envisagerait de racheter l’ensemble de la compagnie danoise. Mais certains analystes estimaient vendredi dans la presse locale que le prix d’achat à 85 couronnes pouvait être considéré comme trop bas pour que le milliardaire chinois puisse espérer acheter le reste des actions au même prix. Quoi qu’il en soit, l’arrivée de Sparkle Roll Group comme actionnaire majoritaire ne relève en rien d’une décision impulsive. Elle est le nouvel épisode d’une relation suivie et reflète la lente dégringolade d’une icône. Les deux compagnies coopèrent depuis des années. Dès 2012, elles avaient entamé un partenariat pour accompagner la croissance de B&O en Chine, sans que cela améliore son horizon. Son cours est suspendu en avril 2014 lorsqu’une augmentation de capital échoue et, en janvier 2015, le conseil d’administration se résout à trouver un acquéreur. Quelques mois plus tard, B&O vend Automotive, sa seule filiale rentable qui produit des équipements de sonorisation pour les constructeurs de véhicules haut de gamme, à la société américaine Harman. Annonçant la suppression de 125 emplois, le PDG de B&O, Tue Mantoni, déclare alors : « Ce n’est pas tout de fabriquer les meilleurs produits au monde, encore faut-il gagner de l’argent dessus. » Le groupe compte environ 2 000 employés, dont la moitié au Danemark. A l’automne 2015, B&O annonce que des discussions sont en cours avec plusieurs acheteurs potentiels. Il y a trois semaines, après une longue pé- Les difficultés de la marque sont à l’image de l’économie danoise qui peine à décoller riode de silence, le danois révèle que ses téléviseurs seront fabriqués à partir de 2017 sous la marque B&O par LG, qui a par ailleurs commencé à utiliser des produits B&O dans ses derniers téléphones mobiles. Retour aux sources La direction de B&O souhaite ainsi clairement se recentrer sur son savoir-faire dans les domaines de l’acoustique et du design. Un retour aux sources pour cette compagnie créée en 1925 par deux ingénieurs à Struer, dans le nord-ouest du Danemark, là où se trouvent toujours son siège et le musée local qui retrace l’histoire de la radio et de la télévision. La société fabrique d’abord des haut-parleurs et des microphones avant d’élargir sa gamme aux radios, aux appareils stéréo, aux télévisions, aux téléphones et aux équipements de sono pour les voitures. L’une des marques de fabrique du groupe a toujours été un design exclusif. A partir des années 1970, B&O s’établit durablement parmi les clients à fort pouvoir d’achat. Mais la compagnie danoise a toujours eu du mal à gagner de l’argent, terminant souvent dans le rouge, notamment ces trois dernières années, alors que les gens écoutent toujours plus la musique sur des appareils mobiles. La société a également M. Le Foll justifie cette décision par la nécessité de ne pas créer une charge supplémentaire pour les jeunes qui s’installent. Même si la majorité des contrats sont repris par des éleveurs qui souhaitent s’agrandir. La décision est soutenue tout autant par la FNSEA que par la Confédération paysanne. « Nous ne sommes pas là pour aider ceux qui partent, mais ceux qui veulent rester dans le métier », affirme M. Bonnard, de la FNPL. Une chose est sûre : les grands industriels souhaitent que la restructuration s’accélère alors qu’en dix ans le nombre d’exploitations laitières est passé de 100 000 à 66 000. Lactalis met en exergue une comparaison européenne. Soit 3 500 éleveurs hollandais d’un côté contre 13 500 français de l’autre, pour lui livrer une quantité équivalente de lait de 5,3 milliards de litres. p laurence girard 1,2 MILLIARD Icône de la hi-fi haut de gamme, B&O est en situation délicate depuis des années stockholm - correspondance ment, comme en témoignent les annonces déposées sur Leboncoin. Mais le gouvernement a décidé de mettre fin à ces pratiques de vente des contrats laitiers. Un texte introduit dans la loi Sapin II, adoptée en conseil des ministres le 30 mars, prévoit d’interdire pour cinq ans la cession à titre onéreux des contrats qui lient l’éleveur à l’industriel. Les annonces du site Leboncoin seront-elles donc condamnées ? Plus généralement, toutes les transactions qui se négocient depuis la mise en place des contrats privés qui ont remplacé les quotas sont sur la sellette. Elles sont souvent complexes car dépendantes de chaque organisation. Ainsi, aujourd’hui, les producteurs normands de Danone peuvent céder leurs contrats dans une fourchette de prix comprise entre 80 et 130 euros la tonne. Quand ceux du Nord-Pasde-Calais ne les vendent pas. souffert de retards de livraison de la part de sous-traitants pour obtenir à temps des composants. B&O a enregistré des pertes de plus de 98 millions de couronnes (13,16 millions d’euros) pour les neuf premiers mois de 2015, pour un chiffre d’affaires de près de 1,94 milliard de couronnes. Les ventes étaient toutefois en hausse sur le dernier trimestre, de décembre à février, grâce aux bons résultats de sa gamme B&O Play, des appareils portables destinés aux jeunes, son talon d’Achille jusque-là. Les difficultés de la marque sont à l’image du Danemark qui, en dépit de bases solides et d’une image flatteuse, peine à décoller. La croissance du dernier trimestre 2015 était de 0,1 %, moins bien que prévu, mettant la croissance pour l’année à 1,2 %. L’année 2016 ne devrait pas être meilleure, selon les prévisions. « La situation de B&O est révélatrice de celle de l’économie danoise, remarque Steen Bocian, économiste en chef de Dansk Erhverv, l’organisation patronale danoise. La consommation privée a été faible depuis longtemps au Danemark et même si B&O est une entreprise globale, cela les affecte. Elle a connu des problèmes de compétitivité et les avantages qu’elle avait en termes d’excellence et de design ont été petit à petit réduits par ses concurrents. » p olivier truc C’est le montant en dollars, soit 1,05 milliard d’euros, de l’amende infligée à la banque californienne Wells Fargo aux Etats-Unis, afin de solder les poursuites des autorités américaines liées à ses pratiques dans les crédits immobiliers. L’accord entre la justice américaine et l’établissement a été annoncé vendredi 8 avril. Wells Fargo a reconnu des pratiques « abusives » lors de l’octroi de prêts entre mai 2001 et décembre 2008, a indiqué le département de la justice. « Cet arrangement nous permet de mettre derrière nous cette procédure », a réagi la banque, ajoutant avoir constitué des réserves pour cette amende. T RAN S PORTS La SNCF condamnée à financer une association de victimes de Brétigny La SNCF a été condamnée, vendredi 8 avril, à verser 60 000 euros de provisions à une association de victimes de la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge (Essonne), une somme qui servira à prendre en charge une partie des coûts de la procédure. La justice a donné raison à l’association Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny, qui estimait ne pas pouvoir lutter « à armes égales » dans ce dossier avec la SNCF. – (AFP.) La vente du port grec du Pirée bouclée L’Agence grecque de privatisations a annoncé, vendredi 8 avril, avoir signé l’accord pour la cession de 67 % de la société du port du Pirée, le plus grand de la Grèce, au géant chinois du transport maritime Cosco, au prix de 368,5 millions d’euros. – (AFP.) ES PAC E Succès de SpaceX pour sa première mission de fret La société SpaceX a réussi, vendredi 8 avril, à faire poser le premier étage de sa fusée Falcon 9 sur une barge flottante dans l’océan Atlantique. La firme avait déjà tenté cette manœuvre à cinq reprises. Dans le même temps, le lanceur a propulsé la capsule de fret Dragon vers la station spatiale internationale, la première mission réussie de fret de SpaceX. – (AFP.) LUXE Le bénéfice net de Prada au plus bas depuis cinq ans Prada a publié, vendredi 8 avril, un bénéfice net annuel de 330,9 millions d’euros pour l’exercice clos fin janvier 2016, en baisse de 27 % par rapport à l’exercice précédent. Il s’agit, pour le groupe italien de luxe dirigé par Patrizio Bertelli, du résultat net le plus bas depuis cinq ans. && ' & && $( ' %(! & # # #& & & # # #& vÊTeMeNTs Costumes modulables avec 1 ou 2 pantalons de 300 € à 438 € Vestes de 200 € à 295 € NOUVEAU CONCEPT Et toujours : Digel, LES CHEMISES,Alain Gauthier et Jupiter, LES PuLLS, Enzo Lorenzo et Guy de Bérac, LES PARKAS, MAntEAuX et IMPERS, Bugatti, LES PAntALOnS, Bernard Zins, SOuS-VÊtEMEntS et PyJAMAS, Eminence, CHAuSSEttES, Eminence et DD. Du mardi au samedi de 10 h 15 à 13 heures - 14 h 30 à 19 heures 53, rue d’Avron - 75020 PARIS - Tél. : 01.43.73.21.03 ArTs ANCieNs RECHERCHONS PEINTURES SUISSES de Anker à Valotton Buchet, 1925 . 111 / ' ***% % *+* & ! #& ( )% + "" + + % ## ( )% + + +' + ( )% + " ! %! #+ ( )% + " ! ( % ! + " +# # ()) " ! $ %. (0 "-(!) 1% *# # % (! (% " ( % ! + " +' Nous recherchons également : CHINE ET ART D’EXTREME-ORIENT, bibliophilie, gravures, dessins, archéologie et objets de collections. 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C’est un géant de la gestion d’actifs, Pimco, qui le dit. « En 2016, l’économie mondiale connaîtra une trajectoire probablement encore plus chaotique, fragile et inférieure à la normale qu’au cours des sept dernières années », a asséné le spécialiste de l’investissement, mardi 5 avril, dans le compte rendu de sa réunion trimestrielle tenue le mois dernier. Difficile de prendre à la légère ce mastodonte de la planète finance : le groupe gère la bagatelle de 1 430 milliards de dollars (1 257 milliards d’euros) d’actifs. Son conseil consultatif mondial est présidé par… Ben Bernanke, le prédécesseur de Janet Yellen à la tête de la Fed (banque centrale américaine), et compte parmi ses membres Jean-Claude Trichet, l’ancien patron de la Banque centrale européenne (BCE). Et ces ex-grands argentiers mondiaux n’ont guère envie de rire. « Nous avons abaissé d’un quart de point notre prévision de croissance du PIB réel mondial, à 2 %-2,5 %. La croissance réelle mondiale avait atteint 2,8 % en 2014 et 2,6 % l’an dernier ; nous anticipons donc une poursuite de cette décélération », indique Pimco. Si même le gratin des financiers y perd son latin, comment s’étonner que les investisseurs du monde entier ne sachent plus sur quel pied danser ? La semaine écoulée en a Rebond des valeurs bancaires à la Bourse de Milan La Bourse de Milan a fortement rebondi vendredi 8 avril (+ 3,95 %), tirée par les valeurs bancaires. Le secteur avait beaucoup baissé lors des dernières séances, en particulier jeudi, sur fond d’inquiétudes autour des créances douteuses et d’augmentations de capital à venir. Le rebond est lié au fait que le gouvernement pourrait annoncer, lundi 11, la mise en place d’un fonds de soutien aux banques italiennes. De nature privée, celui-ci serait soutenu par l’Etat, via une participation de la Caisse des dépôts italienne (CDP). Il permettrait, selon la presse italienne, d’assurer la bonne mise en œuvre d’augmentations de capital, comme celles de Banca Popolare di Vicenza – qui doit être garantie par Unicredit – et de Veneto Banca – qui doit notamment être garantie par Intesa Sanpaolo. encore fourni l’illustration, emmenant les indices boursiers tantôt à la hausse, tantôt à la baisse. Des soubresauts qui, au final, peinent à faire émerger une tendance nette. Entre le lundi 4 et le vendredi 8 avril, le CAC 40 s’est replié de 0,44 %, tandis que le DAX allemand perdait 1,76 % et le Footsie britannique gagnait à peine 0,95 %. Mêmes mouvements erratiques outre-Atlantique, où le S&P 500 a baissé de 1,21 %. Espoirs douchés En cause ? Les incertitudes sur la nature et l’évolution du ralentissement de l’économie chinoise, mais aussi les fluctuations du baril de pétrole, entré dans un nouveau cycle de fébrilité dans l’attente d’une réunion entre pays producteurs prévue à Doha, le 17 avril. Alors qu’un gel de la production mondiale avait été un temps évoqué pour assainir un marché en surcapacité chronique, les espoirs des investisseurs ont été sévèrement douchés le 1er avril, après des déclarations de Mohammed Ben Salmane, le vice-prince héritier et numéro trois de l’Arabie saoudite. Il a prévenu que son pays, membre dominant de l’OPEP, ne gèlera le niveau de son offre que si les autres grands producteurs, en premier lieu l’Iran, font de même. Or, le ministre iranien du pétrole, Bijan Namdar Zanganeh, a fait savoir dans la foulée que les Le gérant d’actifs Pimco a abaissé d’un quart de point sa prévision de croissance du PIB réel mondial, à 2 % - 2,5 % exportations pétrolières de son pays dépassent désormais les 2 millions de barils par jour (mbj). De son côté, la Russie, également dans le peloton de tête des pays producteurs, annonçait le 3 avril que sa production a atteint 10,91 mbj en mars, un record depuis près de trente ans… Dernier sujet d’angoisse pour les marchés, et non des moindres : les agissements des banques centrales, avec notamment la divergence monétaire entre une Fed engagée dans un processus de hausse des taux, et une BCE toujours pied au plancher en matière d’assouplissement quantitatif (quantitative easing ou QE, achats massifs de titres de dettes). La Fed elle-même semble toutefois divisée sur l’opportunité de relever les taux directeurs lors de sa prochaine réunion, les 26 et 27 avril, a-t-on appris mercredi, à l’occasion de la publication des « minutes » (compte rendu) de la dernière réunion du comité de politique monétaire (FOMC) de l’institut, qui s’était tenue les 15 et 16 mars. Pas de quoi clarifier les idées des investisseurs… Et ce n’est sans doute pas fini. « De nombreux vents contraires persistent : un ralentissement dans les marchés émergents qui, combiné avec les tendances démographiques des pays développés, devrait conduire à une croissance tendancielle mondiale plus faible au cours des prochaines années. A cela s’ajoutent un récent raffermissement de l’euro par rapport au dollar qui pénalise les exportateurs, une inflation qui reste faible, des banques centrales qui semblent à court de munitions, un manque de réformes structurelles (…) et le référendum britannique sur un possible “Brexit” le 23 juin », listent les analystes de Sycomore AM dans une note parue le 7 avril. A vous donner le tournis ! A ces risques démultipliés s’ajoute un facteur technique, non négligeable. « La liquidité [est] de plus en plus abondante, ce qui démultiplie la taille des flux de capitaux acheteurs ou vendeurs », souligne-t-on chez Natixis. Et envoie les indices valdinguer à la hausse ou à la baisse, encore plus violemment. Les grands argentiers de la planète n’ont pas fini de se faire des cheveux blancs. p audrey tonnelier MATIÈRES PREMIÈRES TAUX & CHANGES Le précieux filon des mines de cuivre La BCE prête à tout contre la déflation L e cours du métal rouge continue de faire grise mine. Il ne flamboie guère en Bourse. La tonne de cuivre se négociait vendredi 8 avril à 4 650 dollars (4080 euros) la tonne. A comparer aux 10 000 dollars la tonne atteints il y a cinq ans. Ou aux sommets tutoyés au cours des années 2000, lorsque ce métal pavoisait comme un symbole du « super cycle » des matières premières. La gamelle a été particulièrement violente en 2015, le cuivre ayant vu s’évaporer près du quart de sa valeur. Même si, comme pour tous les métaux, les feux de la spéculation lui ont redonné un peu de couleur en mars, la pression est retombée depuis. Lors du grand raout organisé par le petit monde du cuivre, cette semaine, à Santiago au Chili, l’ambiance n’était pas à la fanfaronnade. Lors d’un sondage rapide, seul un quart des intervenants, groupes miniers comme investisseurs, estimaient que le point bas était atteint. Les autres voyant encore la courbe se creuser. Avec, en ligne de mire, la barre des 4 000 dollars la tonne. Le joyau de la couronne Les groupes miniers se serrent la ceinture. Ils ont d’ailleurs renoncé à fêter leurs retrouvailles annuelles au sein de l’enceinte du prestigieux hippodrome de la capitale chilienne. Pour réduire la mise, ils ont opté pour un simple centre des congrès et limité le nombre de couverts. Il est vrai que la facture pèse sur ces entreprises qui n’avaient pas anticipé un tel retournement de conjoncture. La compagnie publique chilienne Codelco, plus gros producteur mondial, a annoncé, fin mars, une Dégringolade COURS DU CUIVRE, EN DOLLARS LA TONNE, À LONDRES 5 730 4 650 2 000 11 MARS 2015 7 AVRIL 2016 SOURCE : BLOOMBERG perte de 1,3 milliard de dollars au titre de l’exercice 2015. L’entreprise, qui avait accru sa production de 3,6 %, s’est mise au régime sec, en réduisant ses effectifs et ses investissements. Pour autant, les mines de cuivre elles-mêmes gardent tout leur éclat. Les groupes censés tailler pour réduire leurs dettes rechignent à se séparer de ces actifs qui n’ont rien perdu de leur préciosité. Glencore, par exemple, qui ploie sous des montagnes de dettes, a préféré conclure, mercredi 6 avril, la cession de 40 % de sa filiale agricole à un fonds de pension canadien. De quoi empocher 2,3 milliards de dollars. Il devrait aussi céder des équipements ferroviaires d’une mine de charbon australienne pour plus de 700 millions de dollars. Mais même quand ils sont contraints de céder des mines de cuivre, les groupes tentent de conserver les plus beaux filons. Le cuivre reste le joyau de la couronne des entreprises minières. La nomination du patron de cette activité comme PDG du numéro deux mondial, Rio Tinto, a été mise en exergue par ses thuriféraires. Certains sont même prêts à s’offrir de nouvelles mines de métal rouge. Tous sont persuadés que les cours vont se redresser. Et que les surplus créés par le double effet du ralentissement brutal de la croissance chinoise et de la frénésie d’investissements dans les mines vont se résorber. A quel horizon ? La question reste suspendue… à un fil de cuivre. p laurence girard P ubliées le 7 avril, les minutes du Conseil des gouverneurs de la BCE n’ont pas apporté de grande surprise. Elles ont toutefois validé le sentiment qu’éprouvent nombre d’opérateurs sur les marchés depuis un mois : la Banque centrale européenne en a encore sous le pied. Le même jour, plusieurs hauts responsables de la banque centrale ont d’ailleurs réaffirmé qu’ils ne laisseraient pas la zone euro s’enliser dans la déflation. Le Portugais Vitor Constâncio, vice-président de la BCE, a ainsi déclaré que la Banque centrale ferait « tout ce qui est nécessaire » pour que l’inflation revienne à 2 %, son objectif de long terme. Après une baisse de 0,2 % en février, les prix se sont encore tassés de 0,1 % en mars en rythme annuel. Au cours des trois dernières années, l’inflation en zone euro a été continuellement inférieure à 2 %. « Nous combattons des forces désinflationnistes permanentes », a insisté Mario Draghi, président de l’institution européenne, cité par l’agence Bloomberg. mie et la transmission de la politique monétaire, répond Rose Ouahba, responsable de l’équipe obligataire chez Carmignac Gestion. Cela signifie qu’il y aura toujours un acheteur en dernier ressort insensible au niveau de volatilité de ces titres. » En confortant les intervenants sur ce marché, en particulier les banques, la BCE veut les inciter à prendre davantage de risques en accordant des crédits aux ménages et aux entreprises. La réaction des marchés à ces annonces a été positive, signe que le discours de Mario Draghi passe toujours. « En annonçant qu’elle pouvait pratiquer une politique monétaire encore plus accommodante, la BCE s’est assurée deux mois de tranquillité, mais les interrogations des opérateurs ne sont pas levées », commente Mme Ouahba. Que va faire la BCE ? « Les minutes ont confirmé qu’elle entendait stimuler l’inflation par des mesures non conventionnelles plutôt qu’en recourant à de nouvelles baisses de taux », dit Frederik Ducrozet, économiste chez Pictet Wealth Management. La Banque centrale pourrait ainsi modifier les règles de son programme de rachats d’obligations, censé courir jusqu’en mars 2017. « Elle pourrait le prolonger et, surtout, modifier la répartition des achats de titres par pays », poursuit M. Ducrozet. D’autres experts estiment que la BCE aura bientôt épuisé l’arsenal des moyens à sa disposition. Les causes de la faiblesse de l’inflation, telles que l’anémie de la demande, échappant en grande partie à son champ d’action. p Rachat d’obligations d’entreprises L’arsenal de mesures annoncées par la BCE le 10 mars pour stimuler l’inflation est déjà impressionnant, avec une baisse de 0,05 % à 0 % de son principal taux directeur, une baisse de – 0,3 % à – 0,4 % du taux de dépôt auquel les banques peuvent placer leurs liquidités et une hausse de 60 à 80 milliards d’euros du volume de dette qu’elle rachète chaque mois depuis mars 2015. La BCE a aussi annoncé qu’elle allait désormais rajérôme porier cheter des obligations d’entreprise dans le cadre de son programme de rachats de det- LA SOCIÉTÉ DES LECTEURS DU « MONDE » tes, un événement, car cet outil n’a encore jamais été essayé en Europe. COURS DE L'ACTION Pourquoi la BCE rachète-t-elle des obligaVENDREDI 8 AVRIL tions d’entreprise ? « L’idée est de créer un fi- Société des lecteurs du « Monde » let de sécurité sur le marché des emprunts 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 privés, qui permet le financement de l’écono- Tel. : 01 57 28 25 01 - [email protected] 1.22€ argent & placements | 7 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Quand l’héritage sert à rembourser les aides Lors d’une succession, des prestations sont recouvrées par les organismes qui les ont versées O n l’ignore souvent, mais au moment de régler une succession, de nombreuses aides sociales sont récupérables par les départements ou les caisses de retraite qui les ont versées. Il n’est pas rare de voir des héritages fondre de plus de 100 000 euros », observe Marie Monmarché, notaire à Joué-lès-Tours (Indre-etLoire) pour Groupe Monassier. Les Yvelines ont, par exemple, recouvré 7 millions d’euros en 2015, les Hauts-de-Seine 7,3 millions d’euros. Si vous héritez d’un proche qui percevait ces aides, la marche à suivre diffère selon leur type. Côté départements, plusieurs dispositifs sont concernés. C’est le cas de l’aide ménagère à domicile – il faut percevoir moins de 4 600 euros annuels pour y être éligible –, de l’aide aux repas et de la prestation spécifique dépendance (cette aide n’existe plus depuis 2002 mais est encore récupérée sur certaines successions). Et surtout, de l’aide sociale à l’hébergement (ASH), versée à de nombreux seniors en maisons de retraite – et à des handicapés en établissements – pour financer les prestations d’hôtellerie. Voilà pour la théorie, car en pratique, certains départements peuvent décider de ne pas recouvrer telle ou telle prestation. Les Hauts-de-Seine, par exemple, ne récupèrent pas l’aide ménagère. Quant aux caisses de retraite, elles peuvent se faire rembourser le « minimum vieillesse ». Fin 2014, 425 000 personnes bénéficiaient de cette allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), qui garantit un certain montant de ressources mensuelles. Toutes ces aides peuvent être récupérées à partir du moment où elles ont été versées pour la première fois. Quand l’héritage affiche un solde négatif, les héritiers ne sont toutefois pas appelés à effacer l’ardoise avec leurs propres deniers. Pour le reste, chaque dispositif affiche ses propres règles. Les aides du département pour les prestations à domicile ne sont ainsi récupérables que sur la part de l’actif net de la succession qui dépasse 46 000 euros, avec une franchise de 760 euros. Si le défunt a perçu 10 000 euros d’aide ménagère, et que l’actif net s’élève à 49 000 euros, le département récupère ainsi 2 240 euros (49 000 – 46 000 – 760 euros). Sacré micmac Sachez que pour évaluer l’actif net, il est admis de déduire les dettes personnelles du défunt, mais aussi celles liées au décès (frais funéraires, etc.) et aux biens de la succession (crédits, sommes à dépenser pour rénover un logement à vendre…). En revanche, il faut rajouter les sommes investies en assurance-vie après 70 ans. Pour les autres aides départementales, aucun seuil de perception n’est prévu : si le défunt a reçu 50 000 euros d’ASH et que l’actif s’élève à 40 000 euros, tout l’héritage va au département. Les donations en ligne de compte Si vous avez reçu une donation d’une personne qui perçoit un coup de pouce financier du département moins de dix ans avant sa demande d’aide, on pourra vous demander un remboursement des prestations sociales à hauteur des sommes que vous avez empochées. Ce remboursement peut être exigé à la succession du bénéficiaire des aides, voire plus tôt, selon la pratique du département. Pour le « minimum vieillesse » (ASPA), le principe est différent puisque les donations accordées par le demandeur sont de toute façon prises en compte pour évaluer son éligibilité à l’aide. Au moment de la demande d’ASPA, un bien donné à un descendant au cours des cinq années précédentes est ainsi considéré procurer un revenu fictif annuel de 3 % de sa valeur (et de près de 12 % pour un bien donné à une autre personne). De son côté, la caisse de retraite « ne recouvre ses créances que sur la part de l’actif net qui dépasse 39 000 euros, et seulement à hauteur maximale de 6 226 euros par année d’allocation versée », précise Christine Cambus, directrice juridique et réglementation à la CNAV. Autre particularité : pour éviter que les retraités du monde rural ne renoncent au minimum vieillesse (ASPA), la valeur des fermes et de leurs bâtiments n’entre plus en compte pour le calcul depuis le 29 décembre 2011. Attention, à partir du moment ou ils ont connaissance du décès, les départements et caisses de retraite disposent de cinq ans pour réclamer leur dû ! En général, « c’est le notaire chargé de la succession qui les contacte », explique Marie Monmarché. S’il n’y a pas de notaire (certaines familles s’en passent pour les successions sans bien immobilier), le département ou la caisse de retraite contactent directement les ayants droit. Si la demande de récupération a lieu après le partage, chaque héritier doit rembourser à hauteur de la quote-part reçue : un sacré micmac, surtout quand les sommes ont été dépensées… Ainsi, mieux vaut toujours se signaler dès l’ouverture de la succession, même lorsqu’on n’est pas certain que le défunt percevait des aides. Rembourser avant le partage reste bien plus simple, d’autant qu’il faut souvent vendre des biens pour solder la créance. Ceux qui ne peuvent régler la note, par exemple si le conjoint souhaite rester dans la résidence principale et ne pas la vendre, « peuvent demander l’étalement du remboursement sur plusieurs années, ou repousser le paiement au décès du conjoint survivant », explique-t-on conseil général des Hauts-de-Seine. p caroline racapé CLIGNOTANT I MMOBI LI ER Les taux des crédits cassent la barre des 2 % La baisse des taux d’intérêt des crédits immobiliers s’est encore accélérée en mars, selon l’Observatoire crédit logement-CSA. Les taux se sont établis à 1,97 % en mars contre 2,09 % en moyenne en février, et 2,20 % en décembre. « La baisse des taux, qui avait déjà été rapide durant les premiers mois de 2016, connaît une accélération remarquable en mars », relève l’Observatoire, en notant qu’ils évoluent à leur plus bas niveau depuis la fin des années 1940. Et rien n’indique qu’ils devraient remonter rapidement. Pour stimuler l’économie, la Banque centrale européenne fait tout pour maintenir les emprunts d’Etat au plus bas. Or, les taux des crédits immobiliers sont en partie indexés dessus. QUESTION À UN EXPERT jean dugor, notaire à Auray (Morbihan) Quel est l’intérêt d’opter pour une donation temporaire d’usufruit ? La donation temporaire d’usufruit revient à céder l’usage d’un bien pour une période donnée (cinq à dix ans en général) tout en gardant la propriété (nue-propriété). En donnant l’usufruit d’un bien, les revenus qui y sont attachés, comme les loyers s’il s’agit d’un bien immobilier, ou les dividendes s’il s’agit d’un compte titres reviennent à l’usufruitier. A l’issue de cette période le nu-propriétaire retrouve la pleine propriété de son bien. Il s’agit donc d’une manière efficace d’aider un membre de sa famille, en particulier l’un de ses enfants. Un couple disposant d’un appartement mis en location peut ainsi décider de le donner en usufruit à sa progéniture pendant la durée de ses études pour l’aider à assumer ses charges quotidiennes. Cette donation est fiscalement avantageuse. Vis-à-vis de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), tout d’abord. Le bien donné en usufruit sort du patrimoine du nu-propriétaire, ce qui revient donc à diminuer sa base taxable et donc à réduire son ISF, voire de ne plus y être assujetti. Côté impôt sur le revenu, il en est de même, les loyers du bien ainsi donné ne figurant plus dans la base d’imposition du donateur ce qui équivaut à une réduction d’impôts. VILLES EN MUE VOIT GRAND A Paris, la poste du Louvre se métamorphose POUR VOTRE WEEK-END LES QUOTIDIENS ET SUPPLÉMENTS DU WEEK-END d’autres usages : on y trouvera un commissariat de police, une halte-garderie, un espace de coworking, des commerces, des bureaux, des logements sociaux et, au dernier étage, un hôtel de standing de 80 chambres, avec restaurant et terrasse de 2 300 m2. « Charpente métallique au centre » Le coût de cette rénovation s’élève à 140 millions d’euros et les recettes locatives encaissées par le Groupe La Poste devraient dépasser 10 millions par an. Bien qu’il ne soit pas classé monument historique, cet ensemble sera rénové dans le respect de l’esprit des lieux. « Ce bâtiment usine a été conçu avec une structure originale et innovante pour l’époque. Les façades en pierre se situent en périphérie de l’édifice et la charpente métallique a été réalisée au centre. D’ailleurs, cette charpente sera conservée et restaurée », explique M. Perrault. Les acteurs de cette restructuration prévoient aussi de transformer ce bâtiment en un îlot urbain en créant des passages traversant l’immeuble. « Les promeneurs pourront ainsi passer par la cour intérieure à ciel ouvert qui existe déjà au centre, mais qui a toujours été fermée au public », poursuit l’architecte. p laurence boccara Les promeneurs pourront traverser le bâtiment, transformé en îlot urbain, par une cour intérieure à ciel ouvert. L’ÉDITION ABONNÉS NUMÉRIQUE 7/7 DOMINIQUE PERRAULT ARCHITECTURE * Prix normal d’abonnement A u numéro 52 de la rue du Louvre, dans le 1er arrondissement de Paris, l’opération de rénovation du majestueux immeuble abritant la poste a démarré. Ce chantier devrait durer trentedeux mois avec une livraison prévue fin 2018. Propriété du groupe postal, c’est l’architecte Dominique Perrault qui va moderniser cet édifice emblématique du quartier. Erigé en 1888 par l’architecte Julien Guadet, l’hôtel des Postes offre une stature imposante qui tranche avec celle des immeubles haussmanniens. Ce bâtiment « îlot » trône entre les rues du Louvre, Etienne-Marcel et Jean-Jacques-Rousseau. Il s’élève sur six étages, compte trois niveaux de sous-sol et développe une surface de 35 000 m2. Certaines façades mesurent jusqu’à 100 mètres de long. Détenu et occupé à 100 % par le Groupe La Poste depuis l’origine, ce lieu servait de bureau de poste – le seul de France ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 –, de centre de tri et de distribution du courrier. « Au terme de la modernisation de l’édifice, les différents métiers du groupe (courrier, banque, plate-forme de logistique urbaine…) n’occuperont plus qu’un tiers des surfaces », explique Christian Cléret, directeur général de Poste Immo, filiale immobilière du Groupe La Poste. L’immeuble offrira ABONNEZ-VOUS SUR LeMonde.fr/offrewe 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016 Vivendi et Mediaset unis pour contrer Netflix Les groupes français et italien ont annoncé vendredi 8 avril un échange de participations à hauteur de 3,5 % La CNIL très favorable au chiffrement des données tifs qu’ils possèdent déjà. Canal+ dispose de CanalPlay en France et de Watchever en Allemagne. Mediaset a lancé Infinity il y a un an en Italie, et a prévu de décliner la version espagnole en septembre. Un nom commun pour la future plate-forme devrait être trouvé d’ici à septembre. Une proie attractive pour Bolloré Une structure ad hoc sur le modèle d’Hulu, une plate-forme de vidéos américaine, devrait voir le jour. Vivendi et Mediaset en seraient les actionnaires majoritaires. Ils accueilleraient au tour de table deux majors américaines, qui prendraient des participations minoritaires. Des discussions auraient déjà été engagées avec Warner, Sony, Disney, Fox, etc. Mais le choix ne serait pas arrêté. Au-delà de ce partenariat industriel, beaucoup considèrent l’arrivée de Vincent Bolloré dans Mediaset comme un prélude à une future prise de pouvoir du groupe 0123 Inversement, un administrateur du géant français des médias siégera au conseil de Mediaset. Il s’agira soit d’Arnaud de Puyfontaine, actuel président du directoire, soit de Yannick Bolloré, fils de Vincent Bolloré. Ensemble, Vincent Bolloré et Silvio Berlusconi, qui se connaissent de longue date, espèrent se faire une place de choix dans le paysage européen audiovisuel. Dans la télévision payante d’abord, où les deux groupes ne sont pas en très bonne posture. Centre névralgique de Vivendi, Canal+, qui compte 11 millions d’abonnés, dont 6 millions dans l’Hexagone, connaît d’importantes difficultés en France. Concurrencé dans le cinéma par Netflix et dans le sport par BeIN Sports, le groupe perd des clients depuis de nombreuses années. En 2015, ses pertes en France ont atteint 264 millions d’euros. Canal+ a déjà engagé une première riposte en signant un accord de distribution exclusive avec BeIN Sports. En Italie, après une dizaine d’années d’existence, Mediaset Premium ne compte que 1,3 million de clients, malgré 710 millions d’euros investis pour acheter les droits de la Ligue des champions, qui courent de 2015 à 2018. Le bouquet, lancé sous la houlette de Pier Silvio Berlusconi, se situe loin derrière les 4,7 millions de clients de Sky Italia, propriété de Rupert Murdoch. En acceptant l’offre de Vincent Bolloré, Silvio Berlusconi revoit ses ambitions à la baisse. En avril 2015, le magnat australo-américain des médias lui avait fait une offre de rachat de 1 milliard d’euros. A eux deux, Vivendi et Mediaset comptent s’appuyer sur une plus large base de clientèle pour produire des contenus pour le marché international. Vivendi a déjà mis un coup d’accélérateur dans ce domaine. Le fleuron français a acquis 26 % de Banijay, la société de production de Stéphane Courbit. Et StudioCanal, filiale de Canal+, vient d’entrer au capital de trois sociétés de production indépendantes. Il a racheté 33 % du capital de l’espagnol Bambu Producciones, et 20 % des britanniques Urban Myth Films et Sunny March TV. Dans la distribution, les deux groupes vont donc développer une plate-forme de vidéos à la demande, afin d’offrir une alternative aux majors devenues très dépendantes de Netflix. Pour cela, ils peuvent s’appuyer sur les ac- HORS-SÉRIE suite de la première page de télévision italien. En Italie, Mediaset fait figure de puissance locale. Ses trois chaînes gratuites (Italia 1, Canale 5 et Rete 4) rivalisent en termes d’audience avec la RAI et attirent 57 % du marché publicitaire. « L’unique intérêt de Bolloré est de faire main basse sur Premium pour s’adjuger ensuite la totalité de Mediaset, vers qui converge la majorité du marché publicitaire italien », écrivait même La Repubblica le 21 mars. Pier Silvio Berlusconi a tenu à couper court aux rumeurs dès vendredi. « Si vous demandez si cet accord est un premier pas vers un désengagement de la famille Berlusconi du secteur des communications, ma réponse est non », a-t-il dit. L’accord entre les deux groupes prévoit que Vivendi ne puisse acheter aucune action Mediaset lors de la première année après la signature du contrat. La seconde et la troisième année, la participation du français dans Mediaset ne pourra être supérieure à 5 %. Les deux groupes vont développer une plate-forme de vidéos à la demande, en incluant deux majors américaines Et après ? Qui succédera à Silvio Berlusconi, qui fêtera ses 80 ans en septembre ? Fedele Confalonieri, meilleur ami, conseiller le plus écouté de l’ex-Cavaliere et président de Mediaset, approche, lui aussi, de ses 79 ans… Berlusconi, qui fut trois fois président du conseil entre 1994 et 2011, a-t-il encore besoin d’un empire à présent qu’il n’a plus d’avenir en politique ? Mediaset, fondé en 1993, est contrôlé à 33,5 % par la holding financière Fininvest, elle-même déte- nue par Silvio Berlusconi et ses cinq enfants, nés de deux mariages. Les deux aînés, Pier Silvio et Marina, dirigent respectivement Mediaset et Mondadori, le premier éditeur italien. Mais le patriarche s’est convaincu qu’aucun de ses héritiers n’avait les épaules assez larges ni assez de flair en affaires pour en assumer la gouvernance et la croissance. C’est également fort de ce raisonnement politique que Matteo Renzi, le chef du gouvernement italien, qui a rencontré plusieurs fois Vincent Bolloré, n’a pas cherché à contrecarrer cette opération. Pour l’homme d’affaires breton, qui foule le sol italien depuis deux décennies, avec des participations dans Mediobanca et plus récemment dans Telecom Italia, le premier opérateur télécoms du pays, dont il s’est offert 25 % du capital, Mediaset apparaît comme une proie très attractive. p sandrine cassini et philippe ridet (à rome) Réussir son bac PROGRAMME 2016 avec 0123 La commission estime que cette technologie est nécessaire au respect de la vie privée L a Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) s’est nettement prononcée en faveur du chiffrement des données personnelles dans une décision adoptée jeudi 7 avril et rendue publique vendredi 8 lors de la présentation de son rapport annuel. Elle y explique que cette technologie est nécessaire pour garantir le droit à la vie privée et constitue un composant essentiel de la sécurité informatique, de même qu’un facteur de protection, voire de concurrence, pour les entreprises françaises. Le chiffrement des données, explique la CNIL, permet de « protéger les personnes et leur vie privée, afin de garantir leurs droits fondamentaux ». « Le chiffrement est un élément vital de notre sécurité » en permettant de « protéger les systèmes d’information », poursuit la commission, qui « contribue aussi à la robustesse de notre économie numérique » et à « promouvoir l’essor de l’économie du numérique ». Faut-il des « portes dérobées » ? Depuis plusieurs mois, aux EtatsUnis mais aussi en France, des voix s’élèvent, accusant les fabricants de technologie de compliquer les enquêtes, notamment en matière de terrorisme, en proposant à leurs utilisateurs des moyens cryptographiques de protection de leurs données. Certains ont appelé à la mise en place de « portes dérobées », c’est-à-dire un moyen de rendre caduc le chiffrement des données pour les besoins d’une enquête. Dans sa position, la CNIL déconseille fermement un tel dispositif. La commission rappelle tout d’abord l’existence, en France, d’un « cadre légal bien établi » concernant la collaboration des entreprises fournissant de la cryptographie aux enquêtes criminelles. La CNIL voit donc dans les « portes dérobées » un « risque collectif tendant à affaiblir le niveau de sécurité des personnes face à l’ampleur du phénomène cybercriminel » et souligne le fait que les criminels, ceux qu’on cherche à atteindre avec ce mécanisme, continueront à utiliser du chiffrement résistant aux enquêteurs. Si la question peut se poser dans les rangs des forces de l’ordre, dans les milieux plus techniciens, les « portes dérobées » font l’unanimité contre elles. L’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi), l’autorité placée auprès du premier ministre chargée de la protection des systèmes informatiques de l’Etat, a récemment rédigé une note confidentielle dans laquelle elle se prononçait aussi en faveur d’un chiffrement robuste et récusait l’idée de « porte dérobée ». La position de la CNIL n’a rien de surprenant de la part d’une institution qui incite depuis des années les entreprises à recourir à cette technique de protection par chiffrement et qui s’apprête à faire de même pour les particuliers si le projet de loi numérique, adopté à l’Assemblée, demeure en l’état. Mais cette position intervient dans un contexte très tendu sur ce sujet. Aux Etats-Unis, la question de savoir si les autorités doivent disposer d’une « porte dérobée » a fait rage pendant des mois. Le FBI a aussi tenté d’engager un bras de fer devant la justice avec Apple afin d’obtenir son aide pour « casser » le chiffrement d’un téléphone appartenant à un terroriste de San Bernardino, lançant un débat sur le pouvoir de contrainte des autorités sur les entreprises technologiques. Un projet de loi à ce sujet est d’ailleurs en préparation et devrait être examiné par le Sénat américain. En France, la question du chiffrement s’est aussi invitée au menu des débats autour du projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Les amendes visant les entreprises qui ne collaboreraient pas suffisamment avec les autorités en la matière ont été renforcées. p martin untersinger HUIT MATIÈRES Toutes les clés pour enrichir votre copie et décrocher la mention • Des fiches de cours détaillées • Des sujets commentés pas à pas • Les articles du Monde en lien avec le programme • Des conseils sur la méthodologie des épreuves En vente chez votre marchand de journaux et sur : www.lemonde.fr/boutique En coédition avec En partenariat avec 2 E N QUÊ TE En voiture Simone, Depuis dix ans, des centaines de milliers de gens covoiturent avec Blablacar. Un précipité de la France dans l’habitacle Leila, Viviane, Laurent, Noé, Ali, Sofia, Gisèle, Enrique … 4 I N TERVI EW Jérémy Ferrari en mode libre Pédophilie et « Petite maison dans la prairie »… L’humoriste répond avec acidité au questionnaire de « L’Epoque ». 5 PSYCH O Frigo, dis-moi qui est le plus névrosé ? Nickel chrome ou en vrac, le réfrigérateur conserve nos petits péchés. Et en dit long sur notre identité. 6 TO UR I S ME Trouville éternelle L’Hôtel Flaubert et ses colombages nous font remonter le temps jusqu’aux toiles d’Eugène Boudin. MARIO WAGNER DIMAN C H E 1 0 - LU N DI 1 1 AV RIL 201 6 C AHI ER DU « M O N DE » N O 2215 7 - N E PEUT ÊT RE V EN DU SÉPARÉM EN T 0123 DIM A N C HE 1 0 - L UN DI 1 1 AVR IL 20 1 6 ENQUÊTE 2 «Toute la France monte dans ma voiture » Un profil, un trajet. Chaque jour, des milliers de personnes s’inscrivent sur Blablacar pour rouler avec de parfaits inconnus. Dix ans de rencontres improbables, souvent enrichissantes Pascale Krémer V otre mission, si vous l’acceptez ? Vous enfermer durant plusieurs heures dans un habitacle étroit avec des inconnus. Et instaurer, au sein de cette microsociété éphémère, des relations humaines harmonieuses. Chaque mois, des centaines de milliers de personnes relèvent, en France, ce défi du huis clos, qui n’est pas lancé par la NASA en prévision d’un voyage vers Mars, mais par Blablacar. Elles covoiturent. En une décennie d’existence, le site a fédéré 25 millions de membres à travers le monde, dont plusieurs millions en France, « marché le plus mature », selon l’entreprise – le chiffre précis est tenu secret. La petite start-up tricolore est désormais championne planétaire du covoiturage longue distance. L’entreprise fondée et dirigée par Frédéric Mazzella s’est muée en « licorne » valorisée à plus de 1 milliard de dollars. Bien sûr, crise et précarité ont dopé cette mobilité à coûts partagés, moins onéreuse que le train, plus souple aussi, et rassurante puisque les « blablacaristes » sont autant de profils renseignés sur le Web et jaugés par leurs pairs. Bien sûr, la sensibilité écologique a fait apparaître toute l’absurdité du ballet autoroutier des voitures quasi vides, alors même que le rapport à l’automobile virait à l’utilitaire. Il y a bien des explications rationnelles au succès de Blablacar. Ce serait oublier une dernière composante essentielle : la convivialité. Le covoiturage, c’est deux, quatre, six heures d’un transport réellement en commun puisqu’il faut se parler. Qui commence à covoiturer pour raisons économiques continue souvent par goût. « On attrape le virus », résume Sylvie Cormouls, 44 ans, clown et professeur de yoga du rire, qui ne s’éloigne plus de son île de Ré sans embarquer des passagers. « J’ai commencé le covoiturage, j’étais en quasi-dépression, mon mari venait de me quitter. Je vais vous dire, ça m’a fait revivre. » En une centaine de voyages, depuis 2011, Sylvie est devenue prosélyte. « Je m’offre des tranches de vie. Sur le site, je me mets en mode “Acceptation automatique”, je ne choisis donc pas les gens. Toute la société monte dans ma voiture. Une symbiose se crée qui n’existe pas dans la vie réelle. » Cette phrase, sans cesse, revient comme un étonnement dans les propos des blablacaristes réguliers : « Jamais je n’aurais rencontré ces personnes dans la vraie vie… » Car ce trajet d’en moyenne 330 kilomètres est l’occasion d’un brassage social, générationnel et culturel. Plaisirs du hasard et de l’altérité. « On ferait les mêmes rencontres si l’on s’asseyait sur un CO N T R Ô LE R O U T I ER A qui est ce sac de coke ? Lorraine de Foucher E n juin 2014, un étudiant parisien poste une annonce sur Blablacar pour remplir sa Citroën C3 à destination de Toulouse, où il prévoit de faire la fête tout le week-end. Rendez-vous est fixé porte d’Orléans avec une étudiante en architecture, récemment rentrée d’un long séjour au Mexique. Un troisième passager prend place, il a 29 ans et vient de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Il fait beau, la musique à la radio est entraînante et les échanges badins. On emprunte l’A20, quatre cents kilomètres plus tard, on a dépassé Limoges, c’est l’heure de l’essence, de la pause pipi et des bonbons de station-service. La voiture s’engage sur l’aire d’autoroute de Briance-Ligoure. Là, des agents des douanes contrôlent le véhicule et trouvent dix kilos de cannabis ainsi que 500 grammes de cocaïne dans une valise. La prise est la plus importante de l’année pour le département de la Vienne : la marchandise sera estimée à environ 100 000 euros à la revente. En garde à vue, les deux étudiants protestent, le troisième passager reconnaît finalement qu’il était payé pour transporter la drogue. « Il s’est tout de suite plaint du look de babas cool de ses compagnons de voyage, explique son avocate, Me Gisèle Claude-Lachenaud. Il m’a dit “la fille avec son chapeau mexicain, lui avec sa guitare, on a eu l’air de fumeurs de shit, et les douaniers nous sont tombés dessus, alors que j’avais fait exprès de prendre un Blablacar pour être plus discret”. » « C’est assez malin d’utiliser le covoiturage pour faire du trafic de stupéfiants, poursuit Me ClaudeLachenaud, ça permet de déjouer les clichés des douaniers, qui vont toujours plus contrôler une Audi A8 plaquée en Al- lemagne, que trois étudiants en goguette pour faire la fête à Toulouse dans une C3… » Sauf cette fois-ci, où le passager a été condamné à trois ans de prison pour trafic de stupéfiants. « Le covoiturage, ça permet aussi de dématérialiser l’infraction et de brouiller les pistes », ajoute Me Jean-Philippe Broyart, avocat à Valenciennes, et chargé en décembre 2015 de défendre un passager belge de 35 ans, intercepté à la frontière à bord d’un véhicule de covoiturage, avec un kilo de cannabis et 300 grammes d’héroïne. Lui n’a jamais reconnu être le propriétaire du sac où la drogue était stockée. « Il n’y avait pas d’empreintes sur le sac, pas d’ADN, les six autres passagers pouvaient aussi bien s’être ligués contre mon client pour dire qu’il était le propriétaire de la marchandise », explique son conseil. Le tribunal de Valenciennes n’a pas suivi : l’accusé avait un casier rempli de condamnations pour trafic de stupéfiants. Si les affaires de transport de drogue par covoiturage restent rares, la police aux frontières de Calais est de plus en plus souvent confrontée à des cas mêlant trafic de migrants et covoiturage. « Ce sont souvent des ressortissants polonais qui transportent des Ukrainiens avec des faux papiers », précise un policier. Mais il est très difficile de prouver l’existence d’un trafic. « En général, ils font les choses bien, on retrouve l’annonce sur le site, et ils jurent qu’ils ne se connaissent pas, explique un policier. On épluche leurs relevés téléphoniques pour voir s’ils ont des numéros communs et prouver l’organisation, mais ils jouent la bonne foi en disant qu’ils ne savaient pas que leur passager était clandestin. » Covoiturer en paix > Le meilleur profil Pour donner confiance aux passagers, le conducteur a intérêt à être complet : mettre sa photo, indiquer son modèle de voiture, ses préférences (cigarette ou non, musique, niveau de discussion…), ainsi que les détails du trajet (lieu de départ exact, possibilité de faire des pauses, nombre de personnes à l’arrière, etc.). Une conductrice peut cocher « ladies only ». Une option très peu utilisée, selon Blablacar. > Monter en grade Les avis positifs reçus, comme l’ancienneté et le profil, permettent de « monter en grade » : un membre de Blablacar peut ainsi être « débutant », « habitué », « confirmé », « expert » ou « ambassadeur ». Ce dernier statut ouvre la porte d’une communauté qui organise des festivités et peut téléconseiller bénévolement les nouveaux arrivants sur le site. > Le bonheur au volant Selon une enquête TNS Sofres de décembre 2014, avoir des passagers à bord influence positivement le comportement du conducteur : concentration mieux maintenue, meilleur respect du code de la route, moindre énervement… L’évaluation a posteriori du conducteur par ses passagers (« agréable », « peut mieux faire », « à éviter ») joue aussi. banc, longtemps, dans la rue, raisonne Arnaud de Parade, entrepreneur, qui trouve désormais ridicule de partir seul dans sa grosse voiture. Sauf qu’on ne le fait pas, et qu’il n’y a pas tant d’espaces que cela où l’on communique. » Où le jeune apprenti marionnettiste et le patron de PME partagent les sièges avant, quand la marchande de fruits, le podologue et le pompier se tassent à l’arrière. Dans ce melting-pot à la française, Sylviane Jourdheuil, 48 ans, plonge chaque jour en ouvrant sa portière à des inconnus. Trente-cinq kilomètres de trajet entre son domicile de Langres (HauteMarne) et la médiathèque de Chaumont, dont elle est conservatrice. « Le covoiturage, sait-elle désormais, ce n’est pas l’auto-stop d’il y a vingt ans. Des liens se créent. En faisant se côtoyer des gens de milieux sociaux différents, on rend plus perméables les cercles. » Un jour, alors qu’elle met de la musique, le jeune homme assis à ses côtés murmure : « Cette chanson, c’est la première que j’ai entendue à ma sortie de prison. » Léger malaise… « Là, se souvient Sylviane, je me demande s’il a fait une grosse bêtise… Violé une conductrice ? En fait, il avait été condamné pour trafic de drogue, comme beaucoup de jeunes en milieu rural où l’on s’ennuie à mourir. Il m’a raconté ses difficultés, j’ai un petit réseau, il a trouvé un appartement. » Impossible de dresser le portraitrobot des adeptes de la voiture partagée. Les jeunes pionniers ont été rejoints par leurs parents et grands-parents. La plus forte progression d’inscrits, ces cinq dernières années ? Les plus de 60 ans, certains octogénaires retrouvant ainsi une mobilité. Et l’on compte deux fois plus d’actifs, ou de cadres, que d’étudiants. L’habitacle comme précipité de la société française. C’est ainsi que, fin 2014, une magistrate suppléante de la cour d’assises de l’Aveyron convoie deux des dix-huit accu- 0123 D IM A N C HE 1 0 - L UN D I 1 1 AVR IL 20 1 6 3 MARIO WAGNER sés qui comparaissent devant elle, sans les reconnaître. Que Leila Madani, une quinquagénaire œuvrant dans l’édition, profite sur une aire d’autoroute du festin improvisé par « un couple de Sénégalais revenant d’un mariage avec des provisions ». « Je suis d’origine algérienne. A bord de la voiture, il y avait aussi un Tunisien qui avait participé à la révolution. On a mis Youssou N’Dour à fond, on a fait une virée en Afrique en passant par Montluçon. » Psychothérapie de groupe Certes, l’esprit du covoiturage s’est un brin dissous dans la monétisation du service. En 2012, le site a rendu payante la mise en relation de ses membres. La plate-forme ponctionne environ 15 % de la somme demandée par le conducteur (frais d’essence et de péage divisés par trois). Pour un Paris-Rennes, par exemple, le passager paie 24 euros, 20 au conducteur et 4 à Blablacar. Du coup, certains conducteurs ont parfois l’impression de jouer les taxis. « De transporter des jeunes qui mettent leurs écouteurs et se noient dans leur monde, des personnes âgées qui veulent être déposées au pied de chez elles », bougonne une autopartageuse de longue date. Viviane Mae, assistante dentaire, a vécu comme une dévitalisation sans anesthésie son dernier Grenoble-Vannes, en tant que passagère. « J’ai pris double dose d’huiles essentielles pour supporter. » Quatre passagers, dans une BMW, avaitelle vu sur le site. Serré mais pensable avec de petits bagages. Sauf que le chauffeur, quinquagénaire indélicat, avait également accepté pour 50 euros de convoyer cinq lapins dans son coffre. La voilà partie, valise sur les genoux, pour un voyage de quatorze heures ponctué d’incessants arrêts pour remplacer les covoiturés arrivés à bon port. « Seul l’argent intéressait le conducteur. » Depuis, elle s’est inscrite sur Covoiturage-libre.fr, qui met gratuitement en relation conducteurs et passagers (comme GoMore, Vadrouille-covoiturage.com, Karzoo.fr, Tribu-covoiturage. com…). Elle espère côtoyer des covoitureurs qui certes, paient leur trajet, mais demeurent plus proches de l’idéal solidaire des débuts. Le hic, c’est que l’offre est mince. Blablacar monopolise 90 % du marché du covoiturage longue distance en Europe… Quand le coffre ne fait pas clapier, le covoiturage dope le moral. Les confidences s’y livrent en accéléré, jusqu’aux confins de la psychothérapie de groupe, parfois. Laurent Barelier, du cabinet d’études Chronos, spécialisé dans les questions de mobilité, l’explique : « C’est éphémère, puisqu’on Viviane Mae, assistante dentaire ne se reverra pas, la plupart du temps. Tout le monde est sur un pied d’égalité, personne ne se connaissant au départ. Il y a une injonction tacite de sociabilité dans ce service collaboratif. Et l’on sort des règles sociales habituelles. » « On peut exagérer, s’inventer une vie, se libérer des masques sociaux, appuie Sylvie la clown. Je me souviens d’un Toulouse-La Rochelle. Nous étions quatre femmes en instance de « Quatre passagers, cinq lapins dans le coffre, pour quatorze heures de trajet. J’ai pris double dose d’huiles essentielles pour supporter » divorce, avec le même juge. Les oreilles des hommes de la Terre entière ont sifflé ! C’était quasiment orgasmique tellement on a ri. » Tant de bonheur interroge. Est-ce le filtre qu’instaure la pratique, réservée à des personnes plus ouvertes de portière et d’esprit que la moyenne des Français ? « On ne peut plus dire cela quand 40 % d’une classe d’âge covoiture, comme c’est le cas des 18-35 ans », rétorque-t-on chez Blablacar. Il y a là de quoi se réjouir. Qui voit la France de près l’apprécie, donc. Les stéréotypes tombent. Les quinquas discutent avec des jeunes plein de projets dont ils comprennent qu’ils se heurtent à des murs. Juifs et musulmans ne rejouent pas toujours l’Intifada sur la banquette arrière. Les compagnons de voyage préférés de Noé Menuau, 19 ans, qui prend des cours de comédie à Paris ? « Les vieux ! Ils ont changé dix fois de carrière, ils ont des centaines de trucs à raconter. » Quoiqu’il ait aussi apprécié les sept heures de route avec un technicien de surface d’origine kosovare, qui lui a décrit par le menu, sur fond musical idoine, les mariages dans son pays. « Il expliquait super bien ! C’était génial alors que ça aurait pu virer au cauchemar. » Car l’enfer, ce peut être l’autre covoitureur. Le gars qui croit aux extraterrestres ou à la théorie du complot, et essaie de convertir son compagnon de voyage tout le long du trajet. Christiane, sa procédure de divorce, ses deux maris, ses enfants, ses chiens, pendant les six heures d’un Toulouse-Paris. Le lourdaud qui tente de séduire sa voisine d’habitacle, ostensiblement peu intéressée, dans le silence gêné des trois autres passagers… Quand un Paris-Rennes paraît plus long qu’un Terre-Mars. SEN S I N T ER DI T L’onomatopée Avis aux silencieux : chez Blablacar, il est interdit de se taire. L’option « Je ne parle pas » n’est pas proposée aux conducteurs pour renseigner leur profil. Ils n’ont le choix qu’entre « Bla », « Blabla » et « Blablabla » 4 0123 DIM A N C HE 1 0 - L UN DI 1 1 AVR IL 20 1 6 N O S J O U R S A R EU H INTERVIEW C’est le watt que je préfère Clara Georges Le premier rayon de soleil de l’année est une malédiction. C’est leur signe de ralliement. Le petit troupeau se forme à la sortie de la crèche. La transhumance des poussettes vagissantes. L’exil des choco BN écrasés. Où vont-ils tous ? Au « parc », pardi. Au « jardin ». Déposer leurs petits paquets morveux sur le gazon pelé, s’ébaubir de leur trouvaille douteuse dans le bac à sable. Se délecter de la magie darwinienne qui opère sur un toboggan (« Elle a du caractère, hein ? »). L’inévitable Maman Rayonnante (la même qui peuple les forums Internet de « BB1 » et de « visites chez le gygy ») déclame : « J’adore l’emmener au parc, ça lui fait tant de bien de se dépenser, d’être un peu dans la nature. » La nature ? Connais pas. L’enfant est élevé en batterie. Le matin, la douce lueur de la 60 watts ancienne génération fait office de soleil. Au réveil, on dirait un poussin sous sa lampe chauffante. Les bienfaits de notre astre, il les ingère sous forme liquide – quatre gouttes de vitamine D. Il peut ensuite s’ébrouer dans les 61,18 m2 dont il dispose pour découvrir le monde. Tout y est. La flore – une racine d’orchidée. La faune – mites alimentaires et, en saison, araignées. L’air pur – VMC dans la salle de bains. Grâce aux néons de la crèche, l’enfant cultive un teint bleuté qu’il pourra entretenir sa vie durant face à un écran d’ordinateur. Il y découvre la loi du plus fort sans salir ses chaussures. C’est La Guerre des boutons sans les têtes de cochon. Surtout, nous échappons au pire du « jardin » : les parents. Qui s’indignent pendant que leur marmot nourri au grain picore des mégots. « Vous ne l’emmenez même pas voir la campagne ? » Bien sûr que si : dès le mois de novembre, promis, il sera planté devant « Des paroles et des actes ». B U R EA U - T I CS Crochet du doigt Jérémy Ferrari : « Je suis une baleine au fioul » Si vous croisez quelqu’un qui fait des guillemets avec les doigts, sachez que vous avez affaire à un individu potentiellement traumatisé Vous êtes fan d’une page Facebook. « L’Exigence », la fanpage du dernier livre de Manuel Valls. Déjà douze membres… Vous êtes une application mobile idéale. Le réseau de rencontres pédophile Kinder : « Localisez l’enfant sans surveillance le plus proche de chez vous. » Vous êtes un tutoriel. Comment différencier un djihadiste d’un hipster. Vous êtes un lanceur d’alerte. Bernard-Henri Lévy. Il a quand même dévoilé au monde qu’il est possible de rester coiffé au milieu d’un champ de bataille. Jérémy Ferrari répond Vous êtes un réseau social de avec mordant au rencontres entre passionnés. : sans les questionnaire de « L’Epoque » Feetfucking.com mains mais avec nos baskets ! Nicolas Santolaria On connaît tous quelqu’un qui a cette manie agaçante de faire des guillemets avec ses doigts quand il parle. Comme un écureuil qui gratterait la surface d’une noisette imaginaire, il agite mécaniquement index et majeur dans le vide pour souligner la teneur hautement stratégique de certains de ses propos. Exemple : « Pendant ma présentation Powerpoint, Norbert s’est montré [guillemets avec les doigts] “vachement attentif”. Bref, il ne s’est réveillé qu’au moment de mon dernier slide en disant qu’il avait trouvé ça [guillemets avec les doigts] “passionnant”. Non mais tu te rends compte : le mec est chargé de [guillemets avec les doigts] “la motivation des équipes”. Je rêve ! » Cette manie est généralement assortie d’une moue un peu crispée, avec congestion connexe des maxillaires, censée appuyer encore plus le discours. On peut aussi y adjoindre une formulation verbale totalement redondante qui précisera que tout cela est « entre guillemets ». A ce stade, on n’est plus dans la signalétique, on est carrément dans le feu d’artifice sémiotique. Si cette manie agace autant, c’est non seulement parce que la personne qui la met en œuvre ressemble à Chantal Goya en train d’interpréter « ce matin, un lapin, a tué un chasseur », mais également parce qu’elle témoigne d’une extension du domaine de la bureautique. Loin d’être neutres, les outils informatiques que nous utilisons au quotidien finissent par nous définir. Ils déteignent sur nos modes de pensée, nos manières d’être et il n’est jamais plaisant de voir quelqu’un se mécaniser. Les guillemets avec les doigts sont peut-être le premier indice tangible de ce mouvement de fusion homme-machine que la Silicon Valley tente de nous revendre. En procédant de la sorte, vous laissez subrepticement entendre que vos doigts sont « augmentés », équipés des mêmes fonctions que votre clavier azerty : en conséquence, chacune de vos conversations a vocation à être aussi bien présentée qu’un document Word. C’est là où les choses se gâtent. S’il est facile de retranscrire gestuellement la fonction « italique », en inclinant vos doigts à 45°, que faire si vous souhaitez mettre vos guillemets en « gras » ? Faut-il plonger préalablement vos mains dans un pot de beurre de cacahuète ou vous faire greffer des churros huileux au bout des ongles ? On le voit bien, tout cela devient vite ridicule. Néanmoins, cette manie témoigne d’un complexe d’infériorité face à l’apparente perfection des outils que nous utilisons. Nous éprouvons à leur égard un sentiment étrange que le penseur Günther Anders a qualifié de « honte prométhéenne ». Si vous croisez quelqu’un qui fait des guillemets avec les doigts, vous savez désormais que vous avez affaire à un individu potentiellement traumatisé. Comme il n’existe pas encore de centre de déradicalisation typographique, c’est à vous de prendre la personne en charge. Parlez-lui gentiment. Expliquez-lui que les machines ne vont pas lui voler son travail, que le meilleur des logiciels n’est pas à l’abri d’un bug et qu’il n’y a pas de raison de vouloir réduire son humanité protéiforme aux fonctionnalités basiques d’un traitement de texte. Mais son psychisme étant encore fragile, précisez-lui, bien entendu, que tout cela est « entre guillemets ». Vous êtes un complot ou une fausse rumeur. « Au départ je me suis présenté à la présidentielle parce que j’avais perdu un pari. » François Hollande. Propos recueillis par Marie Godfrain Vous êtes un geste pas écolo. Brûler sur le trottoir une baleine imbibée de fioul sur un matelas d’amiante. Vous êtes un mot à la mode insupportable. ASAP. Vous êtes une série. La Petite Maison dans la prairie. Parce qu’on peut payer le médecin avec un panier d’œufs. Vous êtes fast ou slow-food ? Slow-fast-food : le McDonald’s a toujours été une tradition pour moi. Vous êtes made in France ou tout à 10 euros ? Ni l’un ni l’autre. Made in China : tout à 1 euro. Vous êtes un néologisme. Un « mex », c’est un mec qui ne sait pas encore que c’est un ex. JULIE CAUGHT P eut-on rire de tout ? Oui, nous dit Jérémy Ferrari dans son nouveau one-man-show, Vends 2-pièces à Beyrouth, qui se joue à guichets fermés partout en France et qu’il reprendra du 3 au 10 juin à l’Olympia, à Paris. Attentats du 13 novembre, recrutement de l’organisation Etat islamique, conflits au Proche-Orient, actions des ONG… Tout y passe. C’est même la marque de fabrique de cet ancien cancre, qui a quitté l’école à 16 ans. Celui qui a fait ses classes dans la bande à Ruquier, à la télévision et à la radio, ne recule devant aucune polémique. Il en a encore fait la démonstration en interpellant vivement Manuel Valls sur France 2 à propos, notamment, de la présence du président du Gabon, Ali Bongo, au rassemblement du 11 janvier. Préparez-vous : il s’est prêté au jeu de notre portrait chinois avec la même acidité. Vous êtes un tweet en 140 caractères. Bon, j’ai bien réfléchi et je pense que j’ai trouvé la solution pour résoudre le conflit israélo-palestinien ! Il faudrait tout simplement que Vous êtes une photo qui disparaît une fois consultée. Le prince saoudien décoré de la Légion d’honneur ! Vous êtes une personnalité à suivre sur Instagram. Les cheveux de Kev Adams. Vous êtes une mauvaise habitude de notre époque. Les viols collectifs. « JE CHOISIS “LA PETITE MAISON DANS LA PRAIRIE”. PARCE QU’ON PEUT PAYER LE MÉDECIN AVEC UN PANIER D’ŒUFS » 0123 D IM A N C HE 1 0 - L UN D I 1 1 AVR IL 20 1 6 5 PSYCHO JONATHAN KITCHEN/GETTY IMAGES Mon surmoi au frigo Il conserve nos aliments mais surtout nos petites manies. Ouvre ton réfrigérateur et je te dirai qui tu es Si cela était si mauvais pour la santé, je ne serais plus là pour en témoigner ! » Le frigo XXL de Marc Dupuis, chef d’entreprise à la tête d’une famille recomposée, est, lui, tiré à quatre épingles : « Les produits les plus anciens sont devant afin de les consommer en premier. Le fromage est filmé et dans un tiroir à part. Idem pour les légumes. Pour les restes, je suis plutôt boîtes en plastique, décrit le quadragénaire, qui s’occupe aussi des courses et aime à être derrière les fourneaux. Evidemment, personne ne respecte mon rangement alors que tout le monde est content et perd moins de temps devant un frigo rangé », Marlène Duretz regrette-t-il. M. Dupuis fulmine devant les emballages vides ou les fonds de bouteille, spécialité des enfants, les yaourts entamés délaissés par sa belle-mère, ou encore les fromages dont sa femme est friande mais qui n’en ont plus l’apparence. « Encore heureux que je ange ta vie !, La Magie du rangement… Les librairies déborrefais le tri et le rangement chaque semaine », assure le méticuleux dent d’ouvrages de développement personnel sur l’imqui apprécie « quand il est nickel et bien rangé ». portance de mettre de l’ordre chez soi. Il y a un curieux « Les réfrigérateurs en désordre sont monnaie courante alors que absent de ces manuels du bien-être par l’étagère : le réfrileur contenu peut être organisé rapidement et simplement en mettant les gérateur. Pourtant, quoi de plus intime que notre bon produits debout », écrit Marie Kondo dans son best-seller, La Magie du vieux frigo ? Habitudes de consommation, grignotages rangement (First Editions, 2015). « Par exemple. Si vous ouvrez mon réfrihonteux et petites manies, disparités culturelles et économiques, gérateur, vous trouverez les carottes debout dans la porte. » Une étonmais aussi enjeux conjugaux et territoriaux : le réfrigérateur est un nante suggestion qui contredit les recommandations du ministère de condensé de nos quotidiens reconfigurés. l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur le réfrigérateur – oui, « Mon frigo ? En ce moment, c’est une catastrophe ambulante !, une telle chose existe ! Selon les commandements ministériels, donc, la s’exclame Chiara Lugano en jetant un œil dans son réfrigérateur contre-porte est privilégiée pour stocker œufs, beurre, lait, jus de fruits immaculé. Je n’ai plus que des bouteilles d’eau et des canettes de soda. entamés bien refermés, le bac à légumes accueillant fruits et légumes Sans doute la preuve vivante [oui, elle a bien dit vivante !] que je ne frais lavés et fromages emballés à finir d’affiner. passe pas beaucoup de temps chez moi », lâche la Car chacun a sa conception du frigo idéal, qui peut jeune femme célibataire. On passe une tête dans le être sujet à discorde. « A la différence d’un autre frigo de sa voisine de palier, mère célibataire d’une IL FAUT/JE DOIS… objet, le frigo est plus compliqué à gérer entre des fillette. « Il est rempli de conditionnements multipersonnes qui ont des points de vue différents sur colores pour enfants dont l’agroalimentaire a le > OUBLIER l’alimentation et sur le rapport à l’hygiène, analyse secret, détaille Nicole Pressil. Mon frigo fourmille Le miel (qui cristallise au Bruno Maresca, directeur de recherche associé au de petites choses et de mille et une boîtes, vestiges de froid), le saucisson, l’huile et Crédoc. Dans une famille, il y a une sorte d’unité de repas délaissés par nos deux appétits de moineaux. » le vinaigre, la pâte à tartiner, fonctionnement – qui peut se distendre et diverger « Cette mini-chambre froide domestique l’ail et les oignons non couaussi, variant en fonction de l’âge des membres du s’invite très souvent sur mon divan, au même titre pés, les tomates, avocats et foyer, de leur inclinaison pour le nettoyage et l’ordre que la salle de bains ou la chambre à coucher, fruits frais (les baies et melons ou encore selon qu’ils aiment à manger… debout observe Olivier Douville, psychothérapeute qui perdent en saveur, les banadevant la porte du frigo grande ouverte ! En couple, dirige la revue Psychologie clinique. Et pour deux nes noircissent), le chocolat, par exemple, si les individus ne se supportent plus, raisons. La première est que le frigo conserve, au ce vieux porto tawny, les fines cela va forcément déboucher sur des différends », sens propre et par analogie psychique, et la seconde, herbes qui piquent du nez, observe le sociologue. les pommes de terre et c’est qu’il est dépositaire de nos marques identitaiLe tofu de Madame en tête-à-tête avec le le concombre, le café moulu res », selon que je suis une femme ou un homme, steak à peine emballé de Monsieur, le beurre, irréou en grains qui, comme en fonction de mon éducation, mon régime aliductible occupant du « en haut à droite », et les les œufs, est une « éponge » mentaire ou encore de mes convictions. macaronis jamais à couvert sont des sources de et absorbe les odeurs des Montre-moi ton frigo, je te dirai qui tu es, potentielles frictions. « A travers le frigo, au même autres aliments. en quelque sorte. D’un côté, ceux qui briquent, titre que les toilettes ou la cabine de douche, on qui astiquent, qui trient par dates et couleurs ; de touche à l’intimité du corps. Le corps peut se sentir l’autre, ceux qui posent en vrac, et qui accumu> AUTORISER envahi par les restes du corps de l’autre, y compris lent des strates de nourriture façon palimpseste. Les asticots pour la pêche, les ses “restes” alimentaires que renferme le frigo », Un peu comme la caverne réfrigérée d’Ali Baba vaccins, le pull angora contre explique M. Douville. chez Andrée Pernot, nonagénaire. Les restes, le la chute de ses poils, le vernis Enfin, il y a le cas du « frigo partagé » : en ventre à l’air, sont empilés et les denrées entremêà ongles pour préserver sa colocation, ou en entreprise. Autant dire qu’il y lées dans un joyeux méli-mélo : les vestiges d’un fluidité, le soin contour des a là un « enjeu territorial très fort », commente rôti tournent de l’œil aux côtés de yaourts joufyeux dont l’effet décongesM. Maresca. « Tout est plutôt rationalisé », témoiflus, dont la date limite de consommation ravirait tionnant est optimisé par le gne Pierre Crémant, en colocation avec trois jeule paléontologue. « Pourquoi jeter ce que je vienfroid ainsi que les brumisanes gens et deux frigos – dont un « pour les bièdrai tôt au tard à consommer ?, s’offusque Andrée. teurs et les cosmétiques frais. res ». Chacun dispose de son étage, la contreEt – chaud devant ! – les sousporte et le bac à légumes sont mis en commun. vêtements, gels intimes et « Ces deux espaces posent davantage de problèsextoys, nous dit-on dans mes, puisqu’ils ne dépendent de la responsabilité l’oreillette. de personne ; c’est un no man’s land », déplore-t-il. Un lieu où les aliments ont leur vie propre. Tel ce chou-fleur qu’il a logé dans le bac à légumes il y a… trois semaines. R PER SO Dites-le avec des aubergines Alice Pfeiffer O ubliez les roses rouges et les jolis cœurs roses. Pour déclarer votre fougue ou mettre votre interlocuteur(trice) sur la voie de vos préoccupations du moment, pensez à l’aubergine. Sous forme d’emoji – les adeptes du « sexting » apprécient sa forme évocatrice. Ou sous sa forme réelle – pour les mêmes raisons. Dans une démarche dite « IRL » (ou « in real life »), la société Eggplantmail.com propose d’envoyer, de façon anonyme, le légume personnalisé par un message tracé dessus, pour la modique somme de 9,99 dollars. « Cet emoji-pénis (…) est utilisé pour se réconcilier, se séparer, célébrer la vie », précise le site qui se décrivait alors, sans détours inutiles, comme « 100 % phallique. 100 % anonyme. 100 % dérangeant ». Dérangeant, ça l’est devenu pour son créateur, Jack Kenyon, un attaché de presse britannique aujourd’hui dépassé par le succès de cette opération supposée n’être qu’un gag sans lendemain. Réseaux sociaux aidant, le site créé en mars a vite reçu plus de 100 commandes quotidiennes. Beaucoup trop pour son inventeur. Incapable de se concentrer sur son travail principal, Jack Kenyon finit par poster un appel d’offres en ligne, sur la page d’accueil de son site : « Cela me prend trop de temps. Si vous souhaitez reprendre ce site, écrivez-moi. » Un repreneur n’a pas tardé à se manifester. Brandyn Williams, un entrepreneur spécialisé dans le e-commerce basé en Pennsylvanie, s’est passionné pour l’affaire. Le 28 mars, elle était à lui. Quelques jours plus tard, il assurait avoir déjà recruté des représentants dans chacun des cinquante Etats américains, ainsi que dans treize autres pays, dont le Royaume-Uni, l’Irlande ou le Danemark. « A ce stade-là, nous avons besoin de représentants partout dans le monde pour couper à certains frais de port et aux lois diverses ne permettant pas l’envoi de denrées périssables », explique Brandyn Williams, pour qui « la demande ne fait que grandir ». D’autres professionnels du e-commerce font leur beurre sur les petites manies du Web : le site Mysterypotato.com propose d’envoyer par courrier des pommes de terre également ornées d’un message personnalisé (évoquant les nombreux « mèmes » au sujet du légume), une brique (référence à divers jeux vidéo) ou des enveloppes remplies de paillettes (clin d’œil à certains filtres sur Snapchat). « Une vraie intégration de codes numériques dans la vie quotidienne », assure Brandyn Williams, qui a remodelé la page d’accueil de son site : il n’est plus que « 100 % anonyme, 100 % hystérique ». “Pour se réconcilier, se séparer ou célébrer la vie ”, un site propose d’envoyer le légume avec message personnalisé 6 0123 DIM A N C HE 1 0 - L UN DI 1 1 AVR IL 20 1 6 A gauche. Vue d’une chambre de l’Hôtel Flaubert, à Trouville. ÉDOUARD CAUPEIL En bas. « Plage à Trouville » (1865), d’Eugène Boudin COURTESY NATIONAL GALLERY OF ART TRO UVI L L E ETER N EL L E L’Hôtel Flaubert. Chambre double à partir de 120 €, petit déjeuner inclus. Rue Gustave-Flaubert, 14360 Trouville-sur-Mer. Tél. : 02-31-88-37-23. TOURISME La Villa Montebello. Dans ce musée installé dans l’ancienne villa de villégiature de la marquise de Montebello (1866) sont exposés quelques vestiges des débuts du tourisme balnéaire à Trouville, des photos du « topsy » (le surnom des planches), des costumes de plage et des peintures de Charles Mozin et Eugène Boudin. 64, rue du GénéralLeclerc. Tél. : 02-31-88-16-26. Museevillamontebello.fr Vous aimez Boudin… vous adorerez Trouville Le bac de TrouvilleDeauville. Depuis 1863, le bateau à passagers traverse la Touques à marée haute toutes les cinq minutes en journée pour relier les deux stations balnéaires. A marée basse, une passerelle (payante) prend le relais. 1,20 € par personne. Tél. : 06-83-78-95-94. Le-bac-de-trouvilledeauville.fr Vicky Chahine S ur la langue de sable, têtes couronnées et bourgeoisie du Second Empire profitent de leur bain de mer pour faire un bain de foule. Installées sur des chaises – le transat arrivera dans les années 1930 –, elles peaufinent leur carnet d’adresses et discutent mariages arrangés. Quand elles ont envie de se jeter à l’eau, les femmes se glissent dans une cabine mobile tirée par un cheval pour troquer leur crinoline contre un costume de bain ample en drap de laine. La carriole les dépose ensuite au bord de l’eau, où un guide-baigneur leur propose un « bain à la lame », un plongeon rapide (pour ne pas dire brusque). Où sommes-nous ? Dans une toile d’Eugène Boudin (18241898), Plage à Trouville (1865). Le peintre, auquel le Musée d’art moderne du Havre (MuMa) consacre une exposition du 16 avril au 26 septembre, fut l’un des meilleurs ambassadeurs de la Normandie. Le « roi des ciels », comme Camille Corot le surnommait, a montré dans ses peintures l’avènement du tourisme balnéaire sur la Côte fleurie. Dieppe, Honfleur, dont il est natif, mais surtout Trouville-sur-Mer. Ce village de pêcheurs devient en 1830 la deuxième station balnéaire française (après Dieppe), sacrée « reine des plages » en 1862, soit une année avant que ne soit inaugurée sa rivale, Deauville. La poissonnerie. Installée dans la halle aux poissons, elle est classée monument historique officiel depuis 1887. A emporter ou à déguster sur les quelques tables hautes : pêche du jour, fruits de mer mais aussi l’emblématique soupe de poisson de Jeannette au mystérieux mélange d’épices. Boulevard Fernand-Moureaux. Tél. : 02-31-88-02-10. Poissonnerie-pilletsaiter.fr La plume au bec Sur la plage, nulle carriole pour les baigneurs aujourd’hui : ceux que ne refroidit pas la température de la Manche traversent à pied la vaste étendue de sable. Mais quelques lieux ont gardé l’empreinte de ce Trouville d’un autre temps. C’est le cas de l’Hôtel Flaubert, dont l’architecture normande à colombages, classée, fait L ES CUR ES MAR I N ES . Cet hôtel 5* ouvert en 2015 est installé sur les planches, face à la mer. Décoration contemporaine, restaurant gastronomique et spa avec piscine intérieure à l’eau de mer. Chambre double à partir de 176 €. Boulevard de la Cahotte. Tél. : 02-31-14-26-00. Lescuresmarines.com L ES AFFI CH ES . Un restaurant près des planches, avec vue sur la plage depuis la terrasse couverte et chauffée. Accueil soigné, carte qui change au gré des saisons et produits frais. Réservation indispensable le week-end. 6, rue de Paris. Tél. :02 31 98 31 94 VI L L A GI PSY. Un charmant salon de thé pour les adeptes du tchaï, thé au lait de soja, et des pâtisseries sans gluten (mais gourmandes). Dans la partie boutique, jolie sélection d’objets et de linge de maison scandinave. 65, rue des Bains. Tél. : 09-53-83-88-90. Villagypsy.fr TRO UVI L L ES UR MER .O RG. Office de tourisme de Trouville-sur-Mer : 32, quai Fernand-Moureaux. Tél. : 02-31-14-60-70. face à la mer, et aux planches, décorées depuis 2001 par les affiches de Savignac. Cet autre amoureux de la ville a d’ailleurs signé l’image de l’hôtel : un Flaubert endormi sur une mouette, la plume au bec. A l’intérieur, une trentaine de chambres charmantes et confortables sont meublées (juste ce qu’il faut) comme une maison de campagne par la propriétaire, nièce de Fernand Moureaux, maire et mécène de la station balnéaire dans les années 1930. C’est lui qui a eu l’idée d’installer cet hôtel à la place du casino d’été, où avait lieu, tous les dimanches, un célèbre bal éclairé par 1 200 becs de gaz. Détruit en 1925, il a laissé place à l’Hôtel Flaubert, inauguré en 1936 – l’année des premiers congés payés, ce n’est sûrement pas un hasard. La clientèle désormais fidèle apprécie la vue sur la mer, les vieilles affiches, le mobilier en bois et le petit déjeuner servi en chambre. Depuis certaines (les 35 et 43 notamment, en angle), on peut observer les marées sans sortir de son lit. Et même à quelques pas, le ballet des chalutiers – vingtsept sont encore en activité – qui rapportent la pêche du jour. Comme si rien n’avait changé. L’ A PPLI DE LA SEMA I N E Mapstr, le carnet d’adresses sans ratures Marlène Duretz « Tu vas à Naples ? Il faut absolument que tu goûtes la pizza aux fleurs de courgettes de Starita… je retrouve l’adresse et je te l’envoie par mail. Et cette pâtisserie aussi, près de la gare centrale, qui fait les meilleurs babas, une spécialité incontournable de la ville… ! » Et si une appli, savant mixage entre le bloc-notes et Google Maps, permettait d’engranger toutes les adresses des bonnes tables, enseignes, nids douillets ou lieux culturels glanées au détour d’un couloir d’entreprise ou d’un magazine ? Mapstr (prononcez « mapsteur »), lancée en juillet 2015 par Sébastien Caron, remplit avec brio cette fonction, conservant les lieux favoris et adresses à tester, à conserver jalousement ou à partager sur une carte interactive. En moins d’un an, plus de 1,7 million de localisations ont été enregistrées par plus de 150 000 utilisateurs dans le monde. Les avantages > Plutôt que de consigner les adresses dans de capricieux carnets de notes, Mapstr offre d’enregistrer un lieu par la géolocalisation, la saisie ou le scan de son nom, sinon de son adresse. > Après avoir ouvert (ou non) un compte gratuit, quelques secondes suffisent à intégrer une adresse, en lui associant, selon sa nature (shopping, loisirs, services…), un ou plusieurs tags ainsi qu’un picto pour mieux le retrouver. Pour chaque emplacement, sa photo extraite de Google Maps ou ajoutée par l’utilisateur, et, s’il y a lieu, les horaires d’ouverture, le numéro de téléphone, le site Web et l’itinéraire associés. > A noter, le récent rapprochement de Mapstr avec Uber et Citymapper permet de commander un véhicule ou de disposer du trajet détaillé à pied, à vélo et en transports en commun. Les inconvénients > Amateurs de guides de voyages et carnets garnis de marquepages multicolores, de cartes de visite et couverts d’annotations, cette appli n’est pas pour vous. > Partager une ou plusieurs adresses implique de générer un code confidentiel, valable trois jours, à communiquer à son « ami » préalablement enregistré sous Mapstr. Contraignant mais utile pour conserver la main sur ses données – accessoirement sa vie personnelle ! – tout en préservant ses petites mines d’or. Appli gratuite sous iOS - Site Web et version Android disponibles sous deux mois. 0123 D IM A N C HE 1 0 - L UN D I 1 1 AVR IL 20 1 6 7 FLORENT TANET POUR « LE MONDE » CUISINE Tzatziki rose Le radis droit dans sa botte Légers, croquants, piquants, les petits roses lancent l’offensive de charme du printemps Stéphanie Noblet D ans la palette des verts tendres qui colorent les étals maraîchers se distingue, en touches pointillistes, le rose délicat des radis. Droits ou ronds dans leurs bottes, magenta ou fuchsia, voire violines ou franchement écarlates, unis ou bicolores, parfois dégradés – rien que du naturel, aucune coloration douteuse. Discrètement strié sous une peau satinée, leur corps s’incarne dans diverses silhouettes, longilignes, ventrues ou biscornues. Mais la finesse domine : de la pointe de sa radicelle à l’extrémité de sa feuille gracile et duveteuse, l’espèce crucifère recèle bien des atouts poétiques. Certes, il en pousse toute l’année sous serre – et sous blister plastique au supermarché, tristes spécimens rabougris. Mais c’est au printemps que les petits roses donnent le meilleur d’eux-mêmes, avec le croquant hors pair des primeurs, tout juste sortis de terre. Un simple rinçage à l’eau, une coupe express des fanes et racines et ils sont prêts. Dès l’enfance, on aime les croquer ainsi, avec les doigts, du sel et l’indissociable duo pain-beurre. J’en connais qui garnissent leurs tartines d’une couche de rondelles roses moins épaisse que leur litière beurrée. D’autres qui zappent le pain pour tartiner directement le légume. D’autres enfin (dont je fais partie) qui croquent autant le vert cru des tiges que le blanc de la chair, ne laissant aucune trace du nombre avalé… A chacun sa manière. Dans son évidente simplicité, la trinité radis-pain-beurre de qualité demeure un grand moment gastronomique. « Ils sont pas trop piquants ? » C’est la rituelle question du client, témoigne Xavier Morize, maraîcher francilien dont les premiers radis sont sortis de terre début mars, avec deux semaines d’avance… Un client qui veut titiller ses papilles sans prendre trop de risque, tel le touriste occidental dans une gargote asiatique qui précède chaque commande de plat d’un prudent « not too spicy ? ». Mais la comparaison s’arrête là ; car si le juste dosage des épices s’opère en cuisine, le piquant des radis résulte de leur qualité de vie souterraine. « Seuls ceux qui ont manqué d’eau piquent trop », explique M. Morize. En somme, les radis qui arrachent sont ceux qui l’ont été trop tard, oubliés par un arroseur pingre ou étourdi… Méfiance, donc, devant des modèles hypertrophiés, qui risquent aussi de sonner creux et d’avoir le ventre mou. Acheter une botte de radis, c’est toujours un peu la loterie et voilà tout le piquant de l’affaire – sinon, on se contente d’un concombre. Dans cet ordre de gabarit, le radis noir hivernal à la peau mate et rugueuse, vif et piquant lui aussi, voit sa saison se terminer ; d’autres, plus rares, verts, roses ou violets, réservent de bonnes surprises. Bien plus doux, le cousin blanc japonais (daïkon) est le commis d’office des plateaux de sushis, mais s’apprête facilement à la maison (avec sauce soja et huile et graines de sésame). Pour jouer leur plus belle partition dans nos assiettes, ces radis ont un instrument de choix : la mandoline. Une lame inégalable pour les détailler en fines rondelles et mettre en valeur la transparence marbrée de leur chair, en carpaccio, en salade… Avec les petits roses, on redouble de prudence car l’opération est périlleuse, mais c’est ainsi qu’on réalise de jolies écailles pour garnir, par exemple, un poisson – sans cuisson, pour garder leur croquant. On ne les fait jamais cuire ? J’ai tenté la chose, toujours avec déception. Les radis roses glacés quelques minutes au beurre perdent un peu de leur couleur mais pas tout leur charme, tandis que leur goût évoque plutôt celui du navet… Seules les fanes méritent vraiment d’être cuites, pour finir en soupe : excellentes avec un simple bouillon de volaille, ou, pour leur redonner du piquant, avec du cresson, de l’oseille ou une pointe de wasabi. J A R DI N La pivoine oui, le chiendent non ! POUR DÉSHERBER, ON CHOISIT UNE JOURNÉE SANS PLUIE POUR QUE LA TERRE AIT EU LE TEMPS DE S’ALLÉGER (LES RACINES PRISES DANS LA BOUE SONT MOINS FACILES À EXTIRPER) Olivier de Vleeschouwer Pissenlit. MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE, DIST. RMN-GRAND PALAIS A l’attaque ! Le printemps, c’est l’époque où tout pousse. Le hic est dans ce tout qui sonne comme une mise en garde. Le pissenlit croît plus vite que le myosotis, le liseron plus sûrement que la clématite et le chiendent n’en parlons pas. La mauvaise herbe n’est pas mauvaise pour tout le monde, entend-on en ces temps de confusion des valeurs. Peut-être. N’empêche que si l’on n’y prend pas garde, les sauvageonnes auront tôt fait d’étouffer lupins, pivoines ou campanules qui, pour s’épanouir, réclament un minimum d’espace et de lumière. Désherber n’est sans doute pas une partie de plaisir. Mais la fin d’un désherbage rend heureux, parole de pratiquant ! Pour commencer, on choisit une journée sans pluie pour que la terre ait eu le temps de s’alléger (les racines prises dans la boue sont moins faciles à extirper). Equipement de base : une paire de gants, une gouge et une binette, ainsi qu’une planche où poser les genoux. Pissenlit et chardon ont une racine pivotante profondément enfouie dans le sol. La gouge est un allié précieux pour les extirper. Otez les fanes et les racines d’une botte de radis. Taillez-les en julienne : coupez-les d’abord en fines tranches dans la longueur, si possible avec une mandoline (ou un économe), puis en fins bâtonnets avec un couteau. Placez la julienne de radis dans un saladier ; arrosez avec une cuill. à s. de jus de citron. Rincez, séchez et ciselez finement deux grandes feuilles d’ail des ours* et 15 feuilles de menthe. Ajoutez-les dans le saladier, ainsi que deux yaourts nature au lait de brebis. Mélangez bien, assaisonnez avec une cuil. à s. de condiment balsamique blanc, de la fleur de sel, une cuill. à s. de baies roses concassées. Goûtez et rectifiez l’assaisonnement si nécessaire, avant de placer au frais. Servez à l’apéritif avec des tranches de pain grillé, ou en entrée, avec des filets de hareng mariné. *L’ail des ours est une forme d’ail sauvage, dont on consomme les feuilles (disponible sur les marchés ou en magasins bio). Il peut être remplacé par une gousse d’ail pressée. De même, on en fera bon usage pour s’attaquer au liseron qui peut être désespérant avec ses racines en forme de nouilles. La binette et le sarcloir sont utiles pour éliminer toutes les petites pousses encore frêles et tendres à cette époque mais qui, dans quelques semaines, formeraient une jungle. Il va sans dire qu’autour des arbustes ou des vivaces identifiés, on fera assaut de prudence pour ne causer aucun dommage. La durée de l’exercice dépend naturellement de la taille de l’espace à nettoyer. Quand la terre est propre, que les mauvaises herbes ont rejoint la brouette, il est urgent de penser à l’avenir. La nature ayant horreur du vide, de nouvelles graines pourraient germer et tout serait à refaire. Couvrir la terre nue avec un paillis permet d’éviter cet écueil. Comment procède-t-on ? Rien de plus simple. Sur le sol propre, on répartit une couche d’environ 5 cm d’écorce broyée ou de paille de lin (les jardineries proposent un choix assez large de matériaux organiques possibles). Ce paillis, outre qu’il empêche le retour des mauvaises herbes, présente l’avantage de retenir l’humidité dans le sol. On aura donc moins besoin d’arroser son jardin dès l’arrivée des premières journées chaudes. Pour les allées gravillonnées et autres lieux de passage, la pratique a longtemps privilégié l’usage de désherbants chimiques dont la nocivité est aujourd’hui clairement reconnue. Un sarcloir bien affûté, muni d’un long manche, permettra d’obtenir un résultat équivalent tout en gardant bonne conscience. 0123 Je n’ai pas écouté les infos depuis un an ni ouvert un seul journal… encore moins regardé le « 20 heures ». Cette diète médiatique n’était pas volontaire, au départ. Elle s’est imposée dans un grand moment de stress. Mais, depuis que je me suis aperçue que j’étais plus sereine sans entendre les horreurs du monde à longueur de journée, je crois que je ne reviendrai pas en arrière. On me reproche de faire l’autruche ? On me dit : « Au contraire, il faut s’engager, relever le défi ! » Ce n’est pas de la lâcheté. L’actualité m’angoisse, me déprime. Comment voulez-vous être utile à quoi que ce soit dans cet état ? Je ne suis pas coupée du monde pour autant. J’ai su, par l’avalanche de « Je suis Bruxelles » sur Facebook, qu’il y avait eu de nouveaux attentats. Difficile d’y échapper, de toute façon. C’était à l’aéroport et dans le métro, mais je ne connais ni les détails ni le nombre exact de victimes. Les attaques du 13 novembre, c’est mon mari, abonné au Dauphiné libéré, qui me les a apprises. Là encore, je n’ai pas cherché à savoir plus que l’essentiel. Compter les morts, entendre ce que les terroristes avaient dit avant de tirer ne m’apportait rien. Une émission qui m’expliquerait comment on en est arrivé là m’intéresserait, mais je choisirais le moment pour l’écouter, car je ne veux plus subir les sujets anxiogènes. Le déclic fut un burn-out. Je suis pharmacienne, mère de deux enfants, responsable validation dans un laboratoire pharmaceutique de la région lyonnaise. Un poste à responsabilité – la production attend mon feu vert pour démarrer –, mais sans l’équipe suffisante pour l’exercer. J’ai craqué au printemps dernier. La FDA [Food and Drug Administration], l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments, devait nous inspecter deux mois plus tard. Quand j’ai pris le poste, j’avais demandé des renforts. La réponse a tardé à arriver. Entre-temps, la charge de travail avait encore augmenté et j’ai dû finalement former une intérimaire. La direction avait en revanche programmé quatre inspections à blanc pour s’assurer qu’on tiendrait les délais. On avait du retard, mais ces journées passées à le pointer me ralentissaient d’autant. La veille du troisième contrôle fictif, l’intérimaire m’a lâchée. Le matin, je me suis effondrée. Je n’avais pas la force de faire face aux consultants. Mon médecin m’a arrêtée. C’était le 16 avril 2015. Il y a un an. C’est aussi le dernier jour où j’ai écouté un journal à la radio. Vu mon état, il y avait urgence à faire redescendre la pression. Couper les actus est la première chose qui m’est venue à l’esprit. Avant, j’étais sur France Inter matin et soir. Je déposais ma fille à l’école à 8 h 30, puis je prenais la route avec la revue de presse. Suivait l’invité du jour. J’arrivais juste avant le journal de 9 heures. Sur le chemin du retour, vers 17 h 30, les humoristes de « Si tu écoutes, j’annule tout » passaient l’actualité à la moulinette. A mesure que la pression augmentait au travail, mes compagnons de trajet ont changé, car je rentrais plus tard. Mais, dans tous les cas – Nicolas Demorand dans « Un jour dans le monde » puis « Le téléphone sonne » –, ça parlait actu, et j’étais ballottée entre les scandales politiques du moment, les guerres intestines des partis ou les départs des jeunes en Syrie. Rien de bien réjouissant, donc. J’écoutais encore la radio au moment de Charlie. Le jour de la marche, le dimanche 11 janvier, j’ai même allumé la télé. C’est suffisamment rare pour être noté : d’ordinaire, je ne regarde que « Silence, ça pousse », une émission de jardinage sur France 5, ou « Des racines et des ailes », sur France 3. Les images, ce jour-là, m’ont donné de l’espoir. Quelque Isabelle Ducau, 43 ans, mère de deux enfants, pharmacienne dans un laboratoire, a décidé d’entamer une diète médiatique. chose se passait : la France était unie, les terroristes avaient fait chou blanc. La routine a malheureusement repris le dessus. La gauche qui tape sur la droite, la droite qui tape sur la gauche, le FN qui souffle sur les deux. Or, entendre les uns critiquer les autres, je trouve ça démotivant, voire décourageant. Eviter les actualités est devenu un réflexe. Si je tombe sur France Inter, je zappe. France Info, n’en parlons pas. Radio Isa, une radio locale, me convient, mais si le flash arrive, je bascule sur une musicale. A quoi bon savoir qu’il y a eu un braquage au tabac du coin ou qu’un grand-père au volant a reculé sur son petit-fils ? Un sujet m’intéresse ? Je me renseigne, mais je décide du moment. Cela change tout. Recevoir une mauvaise nouvelle en pleine figure quand on n’a pas l’énergie amplifie le mal-être. Depuis que je ne subis plus l’information, j’ai vraiment gagné en sérénité. Il y a quelques semaines, ma fille est rentrée avec trois quarts d’heure de retard. Avant, j’aurais craint le pire. Là, j’ai simplement pensé qu’elle avait eu un empêchement. « Toi aussi, fais une diète médiatique ! », ai-je lancé, l’autre jour, agacée, à ma mère qui trouvait fou que je parte me promener seule dans le bois, ou que ma fille de 8 ans rentre à pied de chez sa copine alors qu’elle vit à deux maisons de la nôtre. « Elle va se faire enlever ! – Oui, et il y a des braquages au supermarché, tu ne vas donc plus faire tes courses ? Un chauffard pourrait aussi nous renverser sur le chemin de l’école, mais si je prends la voiture, je peux avoir un accident… » A penser constamment au pire, on ne vit plus. Les faits divers, j’avais commencé à ne plus les écouter depuis que j’étais devenue maman. Quand des enfants sont concernés, inévitablement, on se projette. On finit par voir le mal partout et par penser qu’il y a un danger à laisser sa fille rentrer du collège à pied. Cette année détachée de l’actualité m’a redonné confiance en l’être humain. L’homme est aussi capable de grandes choses – il n’y a qu’à voir le documentaire Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent –, mais on ne le dit pas assez. J’ai un blog, Les carnets du bienêtre, sur lequel je relaie quelques initiatives. A ma petite échelle, j’ai créé un média positif. Et à aucun moment cette diète médiatique ne m’a mise dans l’embarras. Si je devais ne pas savoir de quoi on me parle, j’expliquerais simplement ne pas être au courant. On ne peut pas tout connaître. Une fois, cette année, je me suis quand même demandé si le premier ministre n’avait pas changé. Je suis allée vérifier : c’est toujours le même. TOC-TOC DIM A N C HE 1 0 - L UN DI 1 1 AVR IL 20 1 6 TÉMOIGNAGE 8 Propos recueillis par Emeline Cazi AU GALOP Magali Cartigny e regarde mon tartare. J’ai 8 ans. C’est du cheval. Tous les mercredis, je fais de l’équitation. Je déteste ça. Une heure à mettre le mors, deux juste pour choper la papatte. Il s’appelle Chéyenne. Il me déteste. Je le vois dans ses yeux. Quand je tombe, il s’arrête à un cil de mon visage. Juste assez près pour que mon cœur lâche, mais pas assez pour me défigurer. Car il veut me voir revenir et échouer. Encore. J’avoue que j’y pense quand je mastique la chair crue. Avec un œuf dessus. A cheval. Je ne me demande pas alors quelle souffrance a pu endurer le demi-poney qui a fini dans mon assiette Heidi (petite fille des montagnes). Ça me réjouit juste d’être là, tenant la J fourchette haute, trônant au sommet de la chaîne alimentaire. Prédateur number one, je dis « présent ». Et je repars, ma cravache en bandoulière, prête à dominer l’animal, du moins mentalement. C’est qui les plus forts ? Eh ben c’est pas moi, c’est les Verts mais tant pis. Trente ans après, je ne me demande toujours pas si le bœuf servi à la cantine rêvait d’être une grenouille ou s’il pensait à sa mère parfois entre deux balayages de mouches. Je regarde mon steak haché et je ne vois rien venir. Ni remords ni regret. Le choix de la moutarde peut-être. Je repense à JeanPierre Coffe, pourfendeur de la malbouffe. Je le voyais à la télé jeter du boudin noir sur le public le mercredi midi. Ça me donnait faim. Aujourd’hui, mon fils de 7 ans a décidé d’être végétarien. Je l’ai inscrit en colo. Cet été, il fera du poney. A cru. UN D I M A NCH E À SA I N T - LÉO N - SU R - V ÉZÈR E Heureux comme un bouddha en Dordogne Michel Labussière Longtemps, la côte de Jor, dans le Périgord, n’a été qu’un agréable lieu de promenade dominicale. Un petit détour pour les gens du coin, après la messe à la cathédrale Saint-Front de Périgueux, à SaintLéon-sur-Vézère (Dordogne). Une escapade après un déjeuner au château des Milandes, le « village du monde » cher à Joséphine Baker. Une voie de passage pour les touristes en route vers les grottes de Lascaux ou la statue de Cro-Magnon, aux Eyzies. Mais depuis l’implantation de trois centres bouddhistes tibétains, des itinéraires bis conduisent vers d’autres lieux de recueillement sur la petite commune périgourdine (environ 400 habitants) : au monastère Dhagpo Kagyu Ling, le premier installé sur la commune, en surplomb de la route départementale 6 ; à Tashi Pelbar Ling, au lieu-dit La Sonnerie ; à l’association cultuelle bouddhiste Nyingmapa, près du camping Le Paradis. « Le dimanche, les curieux viennent nous voir en famille », raconte Jean-Guy de Saint-Perier, président de l’association du monastère Daghpo Kagyu Ling, un centre d’études et de méditation bouddhiques de dimension européenne – ici résident en permanence une vingtaine de moines autour du supérieur, le lama Jigmé Rinpoché. En juillet 2015, près de 2 000 personnes se sont rassemblées dans ce monastère pour écouter le 17e karmapa Trinley Thayé Dorjé (haut dignitaire de la lignée Kagyu, une des quatre principales branches du bouddhisme tibétain). En temps normal, le succès du site est si soutenu qu’il a fallu mettre en place un dispositif d’accueil, avec un guide qui renseigne les visiteurs sur l’histoire et la finalité du centre. Tout commence dans les années 1960, lorsqu’un ingénieur britannique, Bernard Benson, obsédé par la guerre froide, cherche un endroit où se retirer du monde et jette son dévolu sur le château de Chaban. En 1975, le philanthrope fait don du domaine et de ses 40 hectares au 16e karmapa. Ce dernier décide alors de faire de ce lieu le siège européen de l’école dite « voie du diamant », qui a pour caractéristique de porter l’accent sur la méditation. « Ici, on se déchausse pour entrer dans le temple », prévient un guide. Comme pour s’asseoir sur les coussins jaune et rouge devant la statue géante de Bouddha. Deux enfants venus sans enthousiasme de Sarlat en ce dimanche de mars sont soudain captivés par les moines en robe safran et les moulins à prière. Plus loin, deux copines regagnent le parking, tout aussi enchantées. « Ça m’a fait un bien fou », souffle Annie, qui passe la semaine dans un bureau à la chambre de commerce. Un monastère peut parfois aussi permettre de prendre un peu l’air.