Le Monde - entree

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Le Monde - entree
2
En voiture
Simone,
EN QU ÊTE
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
72E ANNÉE - NO 22157
2,40 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE
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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
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Blablacar, rouler tranquille avec des inconnus
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avec Blabla
Un précipité
de la Franceacle
dans l’habit
Leila,
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Laurent,, Ali,
Noé
Sofia, èle,
Gis
Enrique …
4
INT ERV IEW
ri
Jérémy Ferrare
ode lib
Nuit debout, la gauche des indignés contre le PS
▶ La mobilisation du mou-
▶ Né de la contestation
contre le projet de loi
El Khomri, il va désormais
bien au-delà et refuse
tout cadre institutionnel
vement Nuit debout s’étend
à tout le pays. Une nouvelle
manifestation contre la « loi
travail » est prévue samedi
▶ Nuit debout n’entend pas
▶ Le mouvement est radica-
▶Le rassemblement
désigner des leaders, chacun parle en son nom et
se méfie par-dessus tout des
récupérations politiques
lement hostile au Parti
socialiste, qui voit s’installer cette gauche spontanée
avec une réelle inquiétude
ressemble à celui des
« indignés » espagnols, qui
a prouvé qu’il était pérenne
Panama papers
PATRIMOINE
LE PARADIS
FISCAL,
ANTICHAMBRE
DES DIVORCES
« SORTIR DU CLIMAT
D’OPACITÉ ET D’IMPUNITÉ
GÉNÉRALISÉE »
Par THOMAS
CINÉMA
LES COMPTES
CLANDESTINS
DES FRÈRES
ALMODOVAR
PIKETTY
▶ La cérémonie des « papers »
FRAUDE
LA COMMISSION
EUROPÉENNE
DURCIT LE TON
ne fait que commencer,
par William Bourdon
▶ Les nouvelles révélations
changeront-elles quelque
chose ?, par Jonas Lüscher
L IRE PAG ES 6-7
DÉBATS – LIR E PAGE S 2 4 - 2 5
Le 3 février 2016
PHOTO : ALBERT FACELLY/DIVERGENCE IMAGES
P OLI T I QU E – LIR E PAGE 8
François Fillon
« Il sera difficile
pour Sarkozy
de se présenter »
LIR E PAGE 9
Yémen
Cessez-le-feu
dans un pays
en ruine
LIR E PAGE 2
Géopolitique
Erdogan joue
sur l’Europe
pour s’imposer
LIR E PAGE S 2 0 - 2 1
Mediaset
Bolloré et
Berlusconi,
pour un « Netflix
européen »
LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 8
Attentats Arrestation décisive d’un suspect en Belgique Télévision
Carton plein
pour les séries
C
inq mois après les attentats de Paris, et plus de
deux semaines après
ceux de Bruxelles, la police belge
continue de démêler l’écheveau
de la filière terroriste qui a semé
la mort dans les deux capitales.
Cinq suspects ont été interpellés,
vendredi 8 avril à Bruxelles, à l’issue d’un coup de filet qui représente une avancée majeure pour
l’enquête. Parmi eux figure Mohamed Abrini, l’homme le plus
recherché d’Europe depuis l’ar-
restation, le 18 mars, de son complice présumé Salah Abdeslam :
deux personnages-clés désormais à la disposition de la justice
des deux pays.
Considéré comme le onzième
homme des commandos du
13 novembre 2015, Mohamed
Abrini, un Belgo-Marocain de
31 ans, est aussi soupçonné
d’avoir joué un rôle actif dans les
attentats de Bruxelles. Les enquêteurs belges suspectent ce membre de la bande de Molenbeek
d’être l’« homme au chapeau », le
troisième terroriste filmé par la
vidéosurveillance de l’aéroport
de Zaventem le matin du 22 mars.
Accompagnant les deux kamikazes, cet homme non encore formellement identifié avait déposé
un sac bourré d’explosifs avant de
disparaître. L’ADN d’Abrini a en
tout cas été retrouvé dans deux
planques du quartier de Schaerbeek utilisées par les terroristes.
soren seelow
→ LIR E L A S U IT E PAGE 1 0
Arts premiers
Les Marquises
en majesté
Le Musée des Arts premiers
consacre, pour la première fois,
une grande exposition à l’histoire
et à la culture millénaires de
l’archipel des îles Marquises.
Totems de basalte et tatouages
ethniques, tambours et danses,
récits et légendes longtemps
combattus par les missionnaires
français : une fascinante
cosmogonie magnifiée quai
Branly, à Paris, à partir du 12 avril.
LIR E PAGES 1 4 - 1 5
Les séries représentent
« ce qui s’est passé de plus
passionnant dans l’élaboration des histoires »,
assure John Truby,
« script doctor » et consultant des grands studios. « Séries Mania »
propose, au Forum des
images, à Paris, une série
de projections gratuites
du 15 au 24 avril.
UN JUGE CHERCHE
LES COUPABLES.
SA FILLE LA VERITÉ.
“UN FILM
PASSIONNANT !”
LE MONDE
“INTENSE, AMBITIEUX
ET FÉMINISTE.”
POSITIF
“NOTRE
COUP DE COEUR !”
LE FIGARO
LIR E PAGE S 1 6 - 1 7
1
ÉD ITO R IAL
Noix de coco
sculptée.
C. GERMAIN /MUSÉE
LE PAPE, OU
LE DOGME SANS
DOGMATISME
→ LI R E P A G E 26
AU CINÉMA LE 13 AVRIL
DU QUAI BRANLY
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
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INTERNATIONAL
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Un immeuble
détruit par les
bombardements
à Taëz, le 14 mars.
ANEES MAHYOUB
Le grand bond en arrière du Yémen
Plus d’un an après l’intervention de la coalition arabe, la crise humanitaire fait rage dans le pays
Des millions
de personnes
sont menacées
de famine, selon
le Programme
alimentaire
mondial
pétrole et les médicaments », rappelle une diplomate européenne.
Aujourd’hui, le blocus naval partiel, imposé au pays par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite,
la destruction des installations
portuaires par les bombardements et les combats, notamment
à Hodeïda, et les difficultés de la
Banque centrale yéménite, qui découragent les établissements financiers internationaux de travailler avec les marchands livrant
encore des denrées alimentaires
dans ces ports, ont créé des pénuries graves et durables. Des millions de personnes sont menacées
de famine, selon le Programme
alimentaire mondial (PAM).
En février, les importations de
carburant couvraient à peine 15 %
des besoins du pays, selon
Mme Ferhan, ce qui signifie des
manques dans les hôpitaux, pour
le pompage de l’eau et le transport
de la nourriture.
Depuis le début de l’intervention de la coalition saoudienne, le
conflit au Yémen a fait plus de
6 300 morts, dont une moitié de
civils, selon les Nations unies.
Dans les zones de combat, les armes explosives (roquettes, bombes, mortiers) ont fait 36 000 blessés depuis un an, d’après Handicap international. L’organisation
s’attache à cartographier les
champs de mines du nord du
pays, afin de pouvoir en activer le
lent déminage, au terme du
conflit. Les structures de santé
manquent cruellement pour soigner ces blessés : la moitié ont été
détruites en un an, estime JeanFrançois Corty, directeur des opérations internationales de Médecins du monde (MDM).
173 000 Yéménites exilés
En janvier, l’armée saoudienne,
qui a multiplié les erreurs de tir au
fil du conflit, a reconnu sa responsabilité dans le bombardement
d’une structure de Médecins sans
frontières (MSF) à Haydan, mené
le 26 octobre. Elle a annoncé la
création d’une commission d’enquête indépendante sur des incidents similaires. MSF a subi deux
autres bombardements dans les
trois mois suivants, dans les villes
de Taëz et de Razeh. L’organisation Human Rights Watch a par
ailleurs affirmé, jeudi, au terme
d’une enquête de terrain, que le
dernier carnage en date, qui avait
provoqué la mort d’au moins
97 civils, dont 25 enfants, sur un
marché du district de Mastaba,
avait été causé par un avion saou-
dien équipé de bombes GBU fournies par les Etats-Unis, alors que
plusieurs ONG multiplient les
appels à faire cesser les livraisons
d’armes à Riyad.
L’armée saoudienne, qui envisageait en mars 2015 une campagne
rapide, évoque aujourd’hui la fin
prochaine de la phase la plus active
des combats et, dans le même
temps, son intention de poursuivre les opérations jusqu’à la prise
de Sanaa, si les négociations politiques échouaient. Malgré le soutien aérien de la coalition, les forces pro-Hadi au sol en sont encore
bien loin, et le président en exil se
dit, quant à lui, de sources diplomatiques, décidé à encercler la capitale sans y entrer. Surtout, l’armée saoudienne évoque un objectif de « consolidation de l’Etat »
yéménite, dont elle estime d’ores
et déjà qu’il durera des années.
Ce sera un défi économique
pour le royaume saoudien, qui a
enregistré en 2015 un déficit bud-
ARABIE SAOUDITE
Zone contrôlée
par les houthistes
OMAN
C
ombien d’années faudra-t-il à un Yémen en
ruines pour se relever de
la guerre qu’y mène, depuis mars 2015, l’Arabie saoudite, à
la tête d’une coalition de pays arabes, contre les rebelles houthistes ? Un cessez-le-feu entre les rebelles alliés à l’ancien président
Ali Abdallah Saleh, qui s’étaient
emparés de l’essentiel du pays entre septembre et mars 2015, et le
gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi, en exil à Riyad, doit
entrer en vigueur dimanche
10 avril à minuit. S’il est respecté,
des négociations s’ouvriront le
18 avril au Koweït avec les rebelles,
que l’Arabie saoudite considère
comme une tête de pont de l’Iran
à sa frontière.
Mais quelle que soit l’issue de
ces négociations, les répercussions de la crise pèseront durant
des années, voire des décennies,
sur le pays. « Ce conflit a détruit
des années d’investissement humanitaire », estime Hanalia Ferhan, chef de mission de l’ONG Acted dans la capitale, Sanaa, tenue
par les houthistes. « En 2012, près
d’un enfant sur trois était en situation de malnutrition dans les gouvernorats de Sanaa et d’Hodeïda »,
un port ouvrant sur la mer Rouge,
également aux mains des rebelles. « Juste avant le conflit, début
2015, ce chiffre était tombé à 16 % à
la suite du travail qui a été mené.
Aujourd’hui, nous sommes revenus à la situation d’avant-guerre. »
Or l’antique Arabie heureuse
était, dès avant la guerre, le pays le
plus pauvre du Proche-Orient.
Début 2015, treize millions de personnes y avaient besoin d’une
assistance humanitaire, selon les
Nations unies. Après un an de
conflit seulement, elles sont
21 millions, soit près de 80 % de la
population.
« Début 2015, le Yémen était,
comme une île, dépendant à 90 %
de ses importations commerciales
pour ses fonctions vitales, notamment les denrées alimentaires, le
Haydan
YÉMEN
Sanaa
Hodeïda
Taëz
Aden
DJIBOUTI
Moukalla
Golfe d’Aden
SOMALIE
100 km
gétaire record de 87 milliards de
dollars (76 milliards d’euros), dû à
la baisse des prix du pétrole. Début mars, pour la première fois
depuis plus d’une décennie, Riyad
cherchait à emprunter entre 6 et
8 milliards de dollars (de 5 à 7 milliards d’euros) pour combler ce
déficit. L’écroulement de l’Etat yéménite, à sa frontière sud, présente également pour Riyad un
enjeu démographique. Avec une
population estimée à 28 millions
de personnes, dont près d’un tiers
d’étrangers, l’Arabie saoudite hébergeait déjà, en 2015, 583 000 migrants yéménites, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Un chiffre qui a
augmenté d’au moins 40 000 personnes depuis le début du conflit.
La guerre a fait en un an près de
2,5 millions de déplacés à l’intérieur du Yémen. Elle a poussé
173 000 personnes à l’exil, selon le
Haut-Commissariat des Nations
unies pour les réfugiés (HCR),
pour l’essentiel dans la péninsule
Arabique et la Corne de l’Afrique :
à Oman, en Arabie saoudite, à Djibouti, en Somalie. L’arrivée à
terme de ces migrants en Europe,
à travers le désert soudanais, la Libye puis la Méditerranée, n’est
qu’une question de temps. Les
premiers migrants yéménites ont
été repérés à Lampedusa. p
louis imbert
La trêve laisse espérer de nouvelles négociations de paix
les combats au yémen ne cesseront pas
avec le cessez-le-feu qui doit entrer en vigueur dimanche 10 avril. Mais cette trêve,
si elle est en partie respectée, ouvre la voie
à des négociations de paix entre les rebelles houthistes et le gouvernement d’Abd
Rabo Mansour Hadi, les premières ayant
une véritable chance de succès depuis l’entrée en guerre de l’Arabie saoudite, en
mars 2015, en soutien au président Hadi et
contre la rébellion, soupçonnée d’être assistée par l’Iran. De précédents pourparlers, menés en Suisse sous l’égide des Nations unies, avaient échoué en décembre.
Ceux qui s’annoncent demeurent dans le
cadre de la résolution 2215 adoptée par le
Conseil de sécurité de l’ONU en avril 2015,
laquelle prévoit le retrait des rebelles des
villes dont ils se sont emparés et la restitution de l’armement lourd saisi. Ils ont été
préparés par plusieurs semaines de
contacts, à Riyad, entre des représentants
des houthistes et de l’Arabie saoudite. Depuis un mois, ces discussions ont permis
une accalmie des bombardements et des
incursions menées à la frontière saoudienne par les rebelles, alliés aux forces de
l’ancien président Ali Abdallah Saleh, ainsi
que des échanges de prisonniers. Dans le
même temps, les bombardements aériens
saoudiens se sont réduits sur la capitale,
Sanaa, tenue par les houthistes, et sur leur
fief de Saada, au nord.
Attitude ambiguë vis-à-vis des djihadistes
Il reste cependant de nombreux obstacles.
Le 3 avril, le président Hadi, en exil à Riyad,
a surpris en limogeant son vice-président
et premier ministre, Khaled Bahah, pour
nommer à sa place le général Ali Mohsen
Al-Ahmar. Cette promotion annonce une
volonté de poursuivre l’épreuve de force
plus que de négocier.
« Les discussions entre l’Arabie saoudite et
les houthistes sont une menace pour
M. Hadi comme pour M. Saleh, qui tentent
d’utiliser la guerre pour restaurer leur légitimité », estime Adam Baron, chercheur in-
vité au Conseil européen des relations
internationales. Ali Mohsen participe à la
planification des opérations contre les rebelles depuis Riyad. Il fut longtemps vu
comme un successeur de l’ex-président
Saleh. Celui-ci avait été poussé à se retirer
de la présidence en 2012, à la suite des mouvements de révolte populaire du « printemps yéménite », laissant place à un gouvernement de transition dirigé par M. Hadi.
Le général Mohsen est haï des houthistes, contre lesquels il a mené les guerres du
président Saleh durant les années 2000. Il
est impopulaire auprès d’une large part de
la population, des libéraux aux mouvements autonomistes du sud du pays. Il est
en revanche réputé proche de groupes
salafistes et des milices du mouvement AlIslah, affilié aux Frères musulmans. Il a
maintenu une attitude ambiguë vis-à-vis
des djihadistes liés à Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), qui profitent du
chaos pour s’ancrer dans l’est du pays. p
l. i.
international | 3
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Au Tchad, Idriss Déby en route
pour un cinquième mandat
L’Italie rappelle son
ambassadeur au Caire
Un vent de protestation souffle à N’Djamena contre le président sortant
La version égyptienne du meurtre de
l’étudiant Giulio Regeni ne convainc pas Rome
rome - correspondant
A
l’exception de sa
santé, éternel objet
d’interrogations, Idriss
Déby n’a jamais paru
aussi fort. Les rébellions qui menaçaient d’emporter son pouvoir
se sont mises en sommeil, ses expéditions militaires au Mali puis
chez ses voisins nigérians, camerounais et nigériens ont fait de lui
le fer de lance de la lutte contre le
djihadisme en Afrique.
Les pays occidentaux, la France
en tête, le considèrent comme
l’incontournable pôle de stabilité
dans une région traversée par de
multiples conflits, et ses homologues africains l’ont désigné en janvier président en exercice de
l’Union africaine. Sa réélection
pour un cinquième mandat à la
tête du Tchad, lors du scrutin
prévu dimanche 10 avril, ne fait
guère de doute. Pourtant, un vent
de protestation inédit souffle sur
N’Djamena et la province.
Pour Idriss Déby, aux commandes depuis vingt-six ans, le danger ne vient pas de l’opposition
qui avance en ordre dispersé, avec
13 candidats. Saleh Kebzabo, l’une
de ses principales figures, tente
d’espérer que sa troisième candidature à la présidence sera la
bonne. « Si la mobilisation dans les
meetings se traduit en voix, je serai
élu au premier tour. Au minimum,
un second tour est inévitable. Partout où je me suis rendu, tout le
monde réclame le changement, affirme cet ancien journaliste. Déby
n’a que deux solutions pour se
maintenir : la fraude et le passage
en force. »
Cependant, les prospectus imprimés d’un « Déby dégage ! », les
slogans « Trop c’est trop » ou « Ça
suffit » ne semblent pas ébranler
la confiance de Mahamat Hissène, l’un des responsables de la
campagne du chef de l’Etat :
« Nous sommes partis pour une
victoire au premier tour, dit-il. Depuis l’indépendance, aucun prési-
Le mouvement
de grogne
a éclaté après le
viol collectif d’une
jeune fille par les
fils d’un ministre
et de généraux
dent n’a fait autant de réalisations.
Grâce au pétrole [exploité depuis
2003], nous avons construit des
routes, des hôpitaux, des écoles, six
universités, quintuplé le nombre
de fonctionnaires et leur salaire a
été doublé. » Reste que certaines
de ces écoles ne sont que des bâtisses de paille où les élèves s’assoient sur des briques, et que la
chute des cours de l’or noir
plombe le budget de l’Etat.
Aura internationale
Stratège militaire, Idriss Déby a
également montré des talents de
diplomate pour maintenir son
aura internationale, notamment
à Paris. L’élection de François Hollande en 2012 avait suscité une
vive inquiétude au sein du pouvoir tchadien. La crainte que les
socialistes lui fassent payer la
disparition, en 2008, de leur
« camarade » Ibni Oumar Mahamat Saleh, le porte-parole de
l’opposition au pouvoir en place,
a été brève.
En lançant ses soldats, aux côtés
de l’armée française, à l’assaut des
djihadistes qui occupaient le nord
du Mali en janvier 2013, M. Déby a
récupéré sa place de meilleur allié
au Sahel. « Le patron de la région,
c’est lui, et sa loyauté n’a jamais
fait défaut », déclare une source
au ministère de la défense.
Le président tchadien trouve
historiquement ses meilleurs
avocats parmi les militaires français – il accueille depuis août 2014
le quartier général de l’opération
« Barkhane », chargée de lutter
contre les djihadistes dans la
bande sahélo-saharienne – mais il
dispose aussi de relais au Quai
d’Orsay. L’an passé, Laurent Fabius fut son premier défenseur
devant les bailleurs de fonds
quand le Tchad était à la recherche
de facilités de paiement à la suite
de la baisse du prix du brut.
Fort en dehors de ses frontières,
M. Déby a cependant été surpris
par un mouvement de grogne
qu’il n’a pas vu venir. Celui-ci a
éclaté le 13 février avec la diffusion, sur les réseaux sociaux, du
viol collectif d’une jeune fille,
Zouhoura, par les fils d’un ministre et de généraux. Aussitôt, dans
N’Djamena et plusieurs villes de
province, les esprits se sont enflammés et la rue s’est soulevée.
L’affaire a été un révélateur des
malaises de la société tchadienne : le ras-le-bol face à l’impunité des proches du pouvoir, la
rancœur face à la mainmise des
Zaghawa – la communauté du
chef de l’Etat – sur les meilleurs
postes et les meilleures affaires, la
cherté de la vie, la corruption, la
frustration de la jeunesse dans un
pays où les deux tiers de la population a moins de 25 ans.
Idriss Déby a réagi promptement. Les violeurs ont officiellement été envoyés à la prison de
Karotoro, un bagne dans le désert,
mais la répression des manifestations a été brutale. Les ONG évoquent au moins deux morts. Depuis, des organisations de la société civile et des syndicats tentent d’entretenir la mobilisation.
Cinq de leurs dirigeants ont été
placés derrière les barreaux. Le
parquet de N’Djamena a requis, le
7 avril, six mois de prison ferme à
l’encontre de quatre d’entre eux.
Leurs soutiens ont été violemment dispersés. Idriss Déby tient
toujours fermement le pouvoir,
mais des lézardes sont apparues
dans la citadelle. p
cyril bensimon
LES DATES
Q
1990
Idriss Déby renverse le président
Hissène Habré avec l’appui
de la France, du Soudan
et de la Libye.
1996
Election d’Idriss Déby à la présidence lors du premier scrutin
pluraliste.
2003
Le Tchad devient exportateur
de pétrole.
2005
Révision de la Constitution
qui supprime la limitation
du nombre de mandats
présidentiels.
2008
Des colonnes rebelles parties
du Soudan entrent dans
N’Djamena. Le pouvoir
les repousse avec le soutien
de la France.
2013
Le Tchad envoie son armée
combattre les groupes djihadistes au Mali. Deux ans plus tard,
elle intervient au Cameroun,
au Nigeria et au Niger pour lutter
contre Boko Haram.
uarante-huit heures pour
rien. La visite de deux
jours à Rome des magistrats égyptiens chargés
de l’enquête sur la disparition et le
meurtre de Giulio Regeni, un
étudiant italien de 28 ans disparu
près de son domicile du Caire le
25 janvier dernier et dont le corps
torturé a été retrouvé le 3 février, a
tourné au fiasco.
Le dossier de 3 000 pages présenté par les enquêteurs cairotes
n’a pas convaincu leurs homologues de Rome. « Après la rencontre
des magistrats à Rome, l’Italie a
décidé officiellement de rappeler
son ambassadeur pour consultations », a annoncé le président du
Conseil, Matteo Renzi, vendredi
8 avril, sur Twitter. « Nous voulons
une seule chose : la vérité sur Giulio
Regeni », a relayé, toujours sur
Twitter, le ministre des affaires
étrangères, Paolo Gentiloni. Une
manière de souligner que celle-ci
n’était toujours pas atteinte.
« Aucun élément »
Dans un communiqué du parquet
de Rome, le procureur chargé de
l’enquête en Italie a expliqué que
la délégation égyptienne avait remis les relevés téléphoniques de
deux amis italiens de l’étudiant
qui se trouvaient au Caire au moment de sa disparition, ainsi que
des photos prises le jour de la découverte du corps. Mais il ne précise pas si les magistrats italiens
ont pu avoir accès aux images de
vidéosurveillance aux alentours
du domicile du jeune homme.
Après avoir présenté l’assassinat
de Giulio Regeni comme un « accident de la route », puis comme « un
crime sexuel » et enfin comme
« un règlement de comptes personnel », Le Caire pensait avoir fourni
la version la plus crédible en affirmant avoir découvert un réseau
de kidnappeurs qui détenait encore les papiers d’identité et l’argent de l’étudiant italien. Une ex-
plication d’autant plus commode
que tous les membres de cette
bande ont été tués par la police
lors d’une descente dans leur repaire. En réponse, le procureur italien a redit sa conviction qu’il n’y
avait « aucun élément liant directement le gang aux tortures et à la
mort de Giulio Regeni ».
Pour les magistrats, la presse, les
amis du jeune homme et le gouvernement italien, tout porte à
croire, en effet, que la mort de
l’étudiant de l’université de Cambridge – qui poursuivait un travail
sur les syndicats égyptiens – est à
mettre sur le compte des services
secrets, qui ont vu en lui un ennemi du régime. Le ministère
égyptien des affaires étrangères a
feint de ne pas comprendre la décision de Rome. Son porte-parole,
Ahmed Abou Zeid, a indiqué vendredi soir que Rome n’avait pas
officiellement notifié sa décision
au Caire et a dit attendre le retour
de sa délégation pour « évaluer
complètement la situation ».
L’Italie peut-elle aller plus loin
dans son exigence de vérité sur la
disparition de Giulio Regeni ?
Deuxième partenaire commercial de l’Egypte – avec 4,3 milliards
d’euros d’échanges –, l’Italie entretenait d’excellentes relations
avec le régime du président Abdel
Fattah Al-Sissi, en qui elle voyait
un partenaire pour la stabilisation de la Libye. De plus, l’ENI, la
compagnie pétrolière nationale
– qui passe pour être le véritable
ministère des affaires étrangères
italien – a découvert en août 2015
en Egypte un gigantesque gisement de gaz. Ces intérêts diplomatiques et énergétiques pèsent
lourd dans ce dossier et risquent
de freiner d’autres initiatives,
même si Matteo Renzi a promis
que « l’Italie ne s’arrêtera que face
à la vérité » et que la mère de la victime a promis de révéler la photo
de son fils supplicié si l’enquête
demeurait enlisée. p
philippe ridet
avec hélène sallon
Au Danemark, la traque
aux soutiens des réfugiés
stockholm - correspondance
«VERTIGINEUX»
F
olivier truc
TÉLÉRAMA
ACTUELLEMENT EN e-CINÉMA
EXCLUSIVEMENT SUR VOS SERVICES DE VIDÉO À LA DEMANDE
CRÉATION
aut-il y voir la nouvelle échelle des valeurs au Danemark ?
Mercredi 6 avril, un Danois a payé une amende de
5 000 couronnes (670 euros) afin d’éviter un procès. Le
7 septembre, en pleine crise des réfugiés, il avait craché depuis
un pont sur un groupe de migrants qui marchait sur une route
danoise. L’homme, surpris en pleine action par un photographe,
les avait aussi insultés et leur avait fait un doigt d’honneur.
Le 11 mars, une Danoise, Lisbeth Zornig Andersen, et son mari
ont été jugés coupables de trafic d’êtres humains par le tribunal
de Nykobing Falster et condamnés chacun à verser 22 500 couronnes (3 000 euros) pour avoir aidé, également le 7 septembre,
une famille de Syriens à entrer au Danemark en voiture.
Dans ce pays où l’extrême droite monnaye depuis quinze ans
son soutien à la minorité gouvernementale de droite au prix de
l’une des législations les plus strictes d’Europe, où la police peut
saisir les bijoux des demandeurs d’asile, de nombreux Danois
en ont eu assez. Benjamin Koppel, un
musicien de jazz, a lancé une collecte,
« J’AI HONTE DES
s’insurgeant contre le fait que « la décence commune a été criminalisée ».
SIGNAUX QU’ENVOIE
Un groupe Facebook qui rassemble
40 000 personnes a été ouvert pour
MON PAYS »
dire aux réfugiés qu’il existait des
LISBETH ZORNIG ANDERSEN
Danois amicaux.
condamnée pour trafic
« J’ai été contactée par l’un des survid’êtres humains
vants des Juifs danois sauvés pendant
la seconde guerre mondiale. Il est choqué de ce qui se passe », raconte au Monde Lisbeth Zornig Andersen. Elle et son mari ont fait appel de leur condamnation. Six
autres Danois ont été condamnés, 300 autres attendent leur jugement. « Le Danemark est divisé en deux, constate-t-elle. Avant,
le Danemark était comme la Suède, au top des pays humanitaires. Et puis l’extrême droite est arrivée, les partis ont peur de perdre des voix à leur profit. J’ai honte des signaux qu’envoie mon
pays, où il est moins condamnable d’humilier des gens en crachant dessus que de les aider. » La famille syrienne est maintenant réfugiée en Suède. p
4 | international & europe
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Après le non
au référendum,
Amsterdam
cherche la parade
Les europhobes rêvent d’un vote
sur la sortie des Pays-Bas de l’UE
la haye - envoyé spécial
L
es affiches de la campagne ont disparu des rues
de La Haye, comme s’il
fallait tourner la page au
plus vite. Après la victoire du non
au référendum sur l’accord d’association entre l’Union européenne (UE) et l’Ukraine, mercredi 6 avril, les électeurs néerlandais se réjouissent ou redoutent,
c’est selon, d’avoir envoyé un signal dévastateur à moins de trois
mois du référendum sur le
« Brexit » (sortie du Royaume-Uni
de l’UE). Le non l’a emporté avec
plus de 60 % des suffrages et une
participation légèrement supérieure au seuil requis afin de valider la consultation (30 %). Mais les
partisans des deux camps n’en tirent pas les mêmes conclusions.
« Beaucoup de Néerlandais admirent la discussion en cours au
Royaume-Uni, alors que ceux qui
défendent la souveraineté nationale sont pris pour des fous sur le
continent », observe l’essayiste
néerlandais Thierry Baudet, dont
le Forum pour la démocratie s’est
associé pour l’occasion à Geert
Wilders, le patron du Parti pour la
liberté (extrême droite), qui caracole en tête des sondages, aux socialistes eurosceptiques et aux
activistes du site Geen Stijl
(« aucun style »).
Le succès de ce front hétéroclite
a été salué par les europhobes de
tout le continent, à commencer
par le Britannique Nigel Farage,
chef du Parti pour l’indépendance
du Royaume-Uni. Deux jours
avant le vote de mercredi, cette figure de proue du « Brexit » est venue faire campagne dans les environs d’Amsterdam. Pour lui, le
vote des Néerlandais ne serait que
le « hors-d’œuvre » d’un banquet
dont la sortie du Royaume-Uni de
l’UE doit constituer le « plat de résistance ». Pour Thierry Baudet,
tout se tient en effet : « La succession des crises, de la Grèce à l’euro,
puis aux réfugiés, démontre que
l’Union est un projet mégalomane
qui ne tient pas compte des soucis
des gens, et dont il faut se libérer. »
Doutes de la population
Au surlendemain de cet échec,
Mark Rutte, le premier ministre à
la tête d’une coalition libérale-travailliste, sait bien que le contexte
européen n’a fait qu’alimenter les
doutes d’une population qui avait
déjà renversé la table, en 2005, en
votant, tout comme une majorité
d’électeurs français, contre la
Constitution européenne. Mais il
tente, lui, de sauver les apparences,
ce vendredi, face à un petit groupe
de journalistes. Pour ne pas fragiliser davantage son allié britannique, David Cameron, M. Rutte
martèle, sans trop s’étendre, que le
vote dans son pays et le référendum sur le « Brexit » « ne portent
pas du tout sur le même sujet ». Il
répète aussi, vu le calendrier britannique et la complexité des en-
Un bureau de vote à La Haye, mercredi 6 avril, lors du référendum sur l’accord d’association UE-Ukraine. PETER DEJONG/AP
jeux ukrainiens, qu’il est « bien
trop tôt » pour indiquer comment
sortir de cette impasse. Mais pas
question de ratifier en l’état le
traité d’association avec l’Ukraine.
Le gouvernement se donne
quelques semaines, voire quelques mois, pour trouver une parade et cherche, tardivement, à
contrer certains des arguments
entendus pendant la campagne :
l’association avec l’Ukraine ne signifie pas son adhésion à l’UE ni
une guerre prochaine avec la Russie, en dépit de la coopération militaire dénoncée par les détracteurs du traité. « A un an des élections, sous pression de l’extrême
droite, les composantes de la coalition ont tiré les mauvaises leçons
du référendum négatif de 2005 en
choisissant de ne pas faire campagne, critique Michiel Van Hulten,
un ancien eurodéputé travailliste
engagé pour le oui. A leur dé-
« L’euroscepticisme
et le discours
antiestablishment
sont de plus en
plus dominants »
CAROLINE DE GRUYTER
journaliste
charge, il faut dire que l’Ukraine,
corrompue et déstabilisée par la
Russie, constitue un sujet de choix
pour les détracteurs de l’Europe. »
A ses yeux, les tenants du non ont
pu marteler leurs idées trop longtemps dès 2015, sans la moindre
opposition, alors qu’une campagne plus active aurait pu, peutêtre, inverser les choses.
« Si la participation avait été plus
forte, le résultat aurait sans doute
été le même, car l’euroscepticisme
et le discours antiestablishment
sont de plus en plus dominants »,
estime au contraire Caroline de
Gruyter, journaliste au quotidien
NRC Handelsblad. Pour elle, « les
Néerlandais sont de plus en plus
coincés en Europe : leur raison les
encourage à dépendre des Allemands, ce qu’ils détestent au fond,
et ils sont un peu orphelins des Britanniques, dont ils se sentent instinctivement proches ».
Menace d’un « Nexit »
« C’est un cercle vicieux : l’internationale des nationalistes est à
l’œuvre, et le succès des uns nourrit
les espoirs des autres », ajoute le
politologue Luuk Van Middelaar.
Ainsi les artisans de la campagne
du non ont-ils à peine savouré le
« hors-d’œuvre » qu’ils brandissent
à leur tour la menace d’un référendum sur la sortie des Pays-Bas de
l’UE, le « Nexit ». Pour les mouve-
ments populistes, cette prochaine
étape serait même une évidence si
les Britanniques devaient choisir
le divorce en juin. Mais ils ont en
tête que la toute récente loi sur
l’organisation des référendums,
dont c’était la première application, ne permet ce genre de vote
que sur des textes soumis au Parlement néerlandais. « De toute façon, veut croire Michiel Van
Hulten, l’opinion n’est pas du tout
prête pour cette option : deux tiers
des Néerlandais restent favorables
au maintien dans l’UE. »
D’ici là, les partisans du non ont
déjà d’autres cibles en tête. « Le
traité de libre-échange en cours de
discussion avec les Etats-Unis ou la
relocalisation des demandeurs
d’asile seront soumis au Parlement
et constituent autant de sujets propices à consultation », prévient
Thierry Baudet. p
philippe ricard
L’Espagne se prépare à de nouvelles élections législatives en juin
Les négociations entre les socialistes, le parti de la gauche anti-austérité Podemos et le parti centriste Ciudadanos ont fait long feu
madrid - correspondance
P
lus de trois mois après les
élections législatives du
20 décembre 2015 qui ont
accouché d’un Parlement très
fragmenté, il ne reste au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE)
que très peu d’espoir de former un
gouvernement en Espagne. Pour
ne pas dire aucun, reconnaît l’un
de ses responsables au Monde.
Les négociations à trois, entre le
PSOE, le parti de la gauche antiaustérité Podemos et le parti centriste Ciudadanos, entamées jeudi
7 avril, ont fait long feu. Le lendemain de la première réunion entre
les équipes de négociation des
trois partis, le chef de file de Podemos, Pablo Iglesias, a créé la surprise en annonçant que les militants de son parti seront appelés à
voter entre le 14 et le 16 avril sur la
posture à suivre. Ce qui rend inutile la poursuite des discussions,
alors même que M. Iglesias avait
soumis la veille un document en
vingt points sur lequel travailler.
Les 400 000 inscrits au parti seront invités à répondre à deux
questions. La première, « Voulezvous un gouvernement basé sur le
pacte Rivera-Sanchez ? », fait référence à l’accord d’investiture,
comportant 200 mesures socia-
les, économiques et politiques,
déjà signé entre le secrétaire général socialiste, Pedro Sanchez, et le
président de Ciudadanos, Albert
Rivera. Cet accord dispose du soutien de 131 députés sur 350, ce qui
est loin de la majorité nécessaire à
l’investiture (176 députés).
Surpris et indigné
La seconde question est plus vague : « Etes-vous d’accord avec la
proposition de gouvernement de
changement que défend Podemos,
En Comú podem et En Marea [le
nom de ses alliances régionales
en Catalogne et en Galice] ? » La
« proposition » en question est
celle d’un gouvernement de coalition du PSOE et de Podemos, qui
obtiendrait le soutien de 169 députés. Cependant, pour aboutir,
cette formule devrait aussi obtenir le soutien de Ciudadanos, qui
n’est pas disposé à se plier aux
exigences de Podemos, ou encore
des indépendantistes catalans.
Or, ces derniers posent comme
condition sine qua non la tenue
d’un référendum d’autodétermination, auquel s’oppose le PSOE.
Pablo Iglesias a immédiatement
annoncé son intention de voter
non à la première question, ce qui
ne laisse guère de doute sur le résultat final. « Nous avons reçu une
réponse légitime, mais immobiliste. Ni le PSOE ni Ciudadanos ne
sont disposés à changer leur position, s’est-il justifié vendredi. Ciudadanos a dit qu’il n’admettrait
que des petites retouches à son document. (…) Ils se sont opposés à
toute formule de gouvernement
qui inclut Podemos. Et le PSOE n’a
pas envisagé la possibilité de suivre une voie distincte de celle de
son accord avec Ciudadanos. »
Podemos n’a « jamais voulu d’accord. Ils n’ont jamais eu d’attitude
sincère », a réagi le porte-parole socialiste, Antonio Hernando, qui
s’est dit surpris et indigné. Pour le
porte-parole de Ciudadanos, José
Manuel Villegas, « si Podemos ou le
PP ne rectifient pas leurs positions,
nous irons vers des élections ».
Le PSOE a jusqu’au 2 mai pour
trouver une majorité parlementaire qui lui assure l’investiture, le
chef du gouvernement en fonction, Mariano Rajoy (Parti populaire, PP, droite), ayant abandonné
l’espoir de former un gouvernement, faute de soutiens, bien que
le PP soit arrivé en tête avec 27,8 %
des suffrages et 123 députés. Passé
ce délai, de nouvelles élections seraient automatiquement convoquées le 26 juin. Un scénario qui
semble à présent inéluctable. p
sandrine morel
planète | 5
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Un gigantesque projet industriel
menace le sud de la Birmanie
D’une superficie de 200 km2, dans une région encore préservée,
la zone économique spéciale profitera essentiellement à la Thaïlande
REPORTAGE
dawei (birmanie) - envoyé spécial
« Qui aurait envie
de vivre
près d’une zone
industrielle
polluée ? »
U KHAY MAR WUN YHA
moine bouddhiste
INDE
CHINE
BANG.
BIRMANIE
I r ra wa d d
y
Naypyidaw
LAOS
S a l o u en
I
ci, on a toujours vécu une vie
tranquille, ne comptant que
sur nous-mêmes, nos plantations, nos vergers. Et
maintenant, voilà que l’on devra
peut-être tous partir à cause de la
construction d’un barrage sur la
rivière. Si ce projet se réalise, notre
village sera inondé. Tout le
monde devra recommencer sa vie
de zéro, ailleurs. »
Assis à même le parquet du monastère de Kalonehtar, un village
d’un millier d’habitants niché au
cœur de la jungle épaisse de la Birmanie méridionale, Saw Nyan,
61 ans, planteur de noix de bétel,
résume calmement l’inquiétude
des habitants de la région. Il y a de
quoi s’alarmer : des milliers d’entre eux risquent d’être déplacés à
cause d’un gigantesque projet industriel imaginé par les gouvernements birman et thaïlandais.
Les conditions de leur relogement
et le montant des compensations
promises restent entourés d’un
flou savamment entretenu par les
responsables du projet.
Cette zone économique spéciale
(SEZ) devrait être construite à une
vingtaine de kilomètres au nord
de Dawei, petite ville au charme
un peu désuet et capitale du
Tanintharyi, région sud de la Birmanie encore peu touchée par le
développement. La SEZ couvrira
une surface de 204 kilomètres
carrés, comprendra un port en
eau profonde sur la mer d’Andaman, une usine pétrochimique,
une centrale thermique au charbon, une raffinerie de pétrole, une
aciérie, un chemin de fer. Ce sera
la plus grande zone industrielle
d’Asie du Sud-Est. Coût estimé :
entre huit et plusieurs dizaines de
milliards de dollars.
Le barrage dont parle le planteur
de bétel est un ouvrage qui permettra d’alimenter en eau douce
la zone, grâce à la formation d’un
vaste réservoir. Mais la menace
est d’une ampleur beaucoup plus
vaste . Selon le rapport de l’Association pour le développement de
Dawei (DDA), une ONG d’écologistes locaux, « de 20 à 36 villages
pourraient directement subir
l’impact de la SEZ. De 4 384 à
7 807 foyers sont concernés, soit
une population de 22 000 à
43 000 personnes ».
Dans le village de Kha Maung
Chung, situé à une quinzaine de
kilomètres de la mer et lui aussi
fort d’un millier d’âmes, ces dernières sont défendues par un
moine bouddhiste de choc.
U Khay Mar Wun Yha, robuste et
jovial personnage au téléphone
portable glissé sous sa robe lie-devin, a pris les choses en main.
Comme toujours en Birmanie, les
moines jouent un rôle aussi spirituel que social et le sayadaw explique à ses ouailles les raisons de
son opposition au projet. « Rien de
bon ne va sortir de tout cela pour
nous », assène-t-il devant un petit
groupe de villageois. « Qui aurait
envie de vivre près d’une zone
industrielle polluée ? »
Pourtant, certains hésitent,
comme Moe Hein, le président de
l’Association de la jeunesse locale.
L’homme n’est pas, a priori, hos-
Golfe
du Bengale
THAÏLANDE
Rangoun
Dawei
Mer
d’Andaman
Bangkok
150 km
tile au projet. « Je ne veux pas partir d’ici ; ici, c’est chez moi. En
même temps, la SEZ pourrait permettre à notre région de se développer. La construction de la route
vers la Thaïlande [déjà percée,
quoique encore non asphaltée, à
travers la jungle et la chaîne de
montagnes séparant les deux
pays] pourrait changer notre vie »,
hasarde-t-il.
Les travaux ont commencé
Le projet profitera surtout aux
Thaïlandais : Dawei est à 630 km
de Rangoun mais à 280 km de
Bangkok… La zone économique
spéciale permettrait au royaume
thaï d’avoir un accès direct à
l’océan Indien par la mer
d’Andaman au lieu de devoir
contourner la péninsule malaisienne en faisant le détour par le
détroit de Malacca.
La SEZ a néanmoins déjà connu
un certain nombre de vicissitudes. Le projet patine : le gouvernement birman a annulé en 2012 la
concession initialement accordée
au grand groupe Italthaï, deux
ans après que ce dernier eut signé
un premier accord avec la Myanmar Port Authority. En 2013, le
plan initial a été revu à la baisse.
Les gouvernements birman et
thaïlandais se sont alors emparés
directement du projet en signant
un accord bilatéral pour la
constitution d’une zone spéciale
de développement économique à
Dawei. En 2015, le Japon est devenu partie prenante, quoique
son engagement reste pour
l’heure un peu flou.
Si la construction de la SEZ reste
encore à l’état d’ébauche, les travaux ont commencé. Mais seulement sur une zone de 25 km2, qui
constitue la « phase 1 », et où il est
prévu de loger 370 000 employés
et cadres. Depuis une colline, on
peut découvrir en action les camions et les bulldozers qui ont
défriché un coin de jungle où,
seule, la silhouette d’une petite
maison de bambou rappelle qu’il
y eut là un village.
A Kalonehtar, c’est aussi un
moine qui défend les droits de ses
fidèles. U Pyin Nyar Won Tha est
l’une des figures du mouvement
de défense des paysans, soutenu
par de jeunes militants laïques. A
eux tous, ils ont organisé le réseau de résistance passive. « Les
gens de la SEZ viennent nous voir
pour nous convaincre, mais ils
sont sournois. Ils parlent de compensations financières, mais les
paysans n’ont en fait aucune idée
de la valeur marchande de leurs
plantations de bétel, de cajou, de
cardamome. Rien n’est clair »,
explique le bonze.
L’un des responsables de la SEZ,
U Han Sein, a reconnu en octobre 2015 que la difficulté était de
« gagner la confiance » des villageois. Pourtant, a-t-il promis, « il y
aura de l’emploi pour tous ! ».
Réponse du moine : « Je n’y crois
pas. Les gens d’ici n’ont pas beaucoup d’éducation. Ils n’ont pas la
formation nécessaire aux emplois
que la SEZ pourrait offrir. »
Le nouveau gouvernement démocratique, dont Aung San Suu
Kyi vient de devenir la « super-ministre », en occupant notamment
les postes de chef de la diplomatie
et de conseiller d’Etat, est entré en
fonctions le 1er avril. Selon Saw
Abreu, le directeur du Réseau de
défense des populations du Tenasserim, nom du fleuve qui traverse la province dont Dawei est
la capitale, « l’important est désormais de savoir si le gouvernement
va être ou non à l’écoute des populations par rapport aux projets de
développement ».
Un peu à l’écart de l’étincelante
plage de sable blanc qui court,
interminable, le long de la mer
d’Andaman, on devine une demidouzaine de misérables masures
en bambou. Quelque deux cents
pêcheurs y survivent. Leur hameau, Char Khaing, qui trônait
encore récemment en bordure de
plage, a été détruit en 2012 par les
autorités. Celles-ci ont estimé que
les habitants n’avaient pas le droit
de propriété légitime sur ce lieu
où devrait être construit le port
en eau profonde.
Ma Oh Than, une veuve de
60 ans, constate, dépitée, un cigare birman entre deux doigts,
que le projet de la SEZ, c’est « pour
les riches, pas pour des pauvres
comme nous ». La dame avait un
temps été relogée dans l’un des
nouveaux villages de déplacés.
Elle n’y est pas restée. « Je n’avais
rien y faire. Il n’y avait presque
personne, pas d’eau courante, pas
de travail, rien. J’ai préféré revenir
ici, près de la plage. » Ma Oh Than
n’a qu’une seule chose en commun avec la future zone industrielle : un avenir incertain. p
bruno philip
LES CHIFFRES
1 492
C’est, en euros, le PIB par habitant de la Birmanie, l’un des
pays les plus pauvres du monde.
Avec une proportion de 25,6 %
de sa population au-dessous du
seuil de pauvreté, elle est un peu
plus riche que le Bangladesh et
l’Afghanistan, mais plus pauvre
que le Népal ou le Laos.
70 %
C’est le pourcentage de la population rurale. La majorité des
51 millions d’habitants vit à la
campagne et l’écrasante majorité d’entre eux utilise le bois de
chauffage pour faire cuire ses aliments. 85 % des pauvres vivent
en milieu rural. Le riz est le principal produit agricole et occupe
60 % des surfaces cultivées.
52 %
C’est le taux de Birmans qui a
accès à l’électricité. Un taux très
faible, si on le compare avec le
reste du monde, alors que la
consommation d’électricité par
habitant n’est que de 110 kW.
Les perspectives de construction
de barrages sur les fleuves
Irrawaddy et Salween restent
des projets très controversés.
Pétrole : les forages en
Méditerranée contestés
Ségolène Royal va appliquer un moratoire
« immédiat » sur les permis de recherche
d’hydrocarbures dans les eaux françaises
L
e pétrole est vraiment devenu indésirable en Méditerranée. Ségolène Royal
l’avait déjà laissé entendre. Vendredi 8 avril, elle a saisi l’occasion
de la deuxième conférence nationale de l’océan pour l’affirmer à
nouveau avec force. La ministre
de l’environnement a annoncé un
« moratoire immédiat sur la recherche d’hydrocarbures en Méditerranée », compte tenu des
« conséquences dramatiques » que
pourrait avoir un accident dans
cette mer quasi fermée. « Je n’accorderai plus aucun permis d’exploration, ni dans les eaux territoriales, ni sur le plateau continental », a-t-elle insisté.
Les eaux du sud de la France font
actuellement l’objet de deux demandes de prospection de compagnies britanniques. La société
Melrose, qui voulait explorer les
fonds marins à une trentaine de
kilomètres des côtes des Bouchesdu-Rhône et du Var, avait demandé le renouvellement du permis Rhône-Méditerranée, ce que
le gouvernement lui a refusé par
deux fois. Mais l’affaire, qui est
passée devant le Conseil d’Etat en
décembre 2014, n’est toujours pas
close sur le plan juridique. Une
autre requête, Rhône-Est maritime, déposée par Panoceanic
Energy Limited, était également
en cours d’instruction par le gouvernement. L’annonce de la ministre devrait a priori la stopper.
Mme Royal n’a pas évoqué les militants écologistes qui ont tout mis
en œuvre pour perturber la rencontre des grandes compagnies
pétrolières et gazières à Pau (Pyrénées-Atlantiques), à l’occasion du
sommet Marine, Construction
and Engineering sur le pétrole
offshore et le forage en eau profonde, du 5 au 7 avril. Son annonce
sonne néanmoins comme une réponse à leurs préoccupations.
La ministre veut entraîner les
autres pays riverains, au nom de la
protection de la Méditerranée,
inscrite dans la convention de Barcelone. Il va lui falloir une grande
force de persuasion. L’Italie, en
particulier, a accordé des dizaines
de permis d’exploitation du côté
de l’Adriatique. Selon le rapport
« MedTrens » publié en janvier par
le WWF, le Fonds mondial pour la
nature, les zones attribuées pour
l’exploration et l’exploitation
d’hydrocarbures, ou faisant l’objet
d’appels d’offres, représenteraient
21 % de la surface de la Méditerranée. Et la production semble appelée à fortement progresser.
Exercice d’équilibriste
Ailleurs dans son immense domaine maritime – 11 millions de
kilomètres carrés –, la France a
d’autres permis actifs ou en attente d’un renouvellement. C’est
le cas dans le golfe de Gascogne, au
large de la Bretagne, des côtes de
Guyane, dans le canal du Mozambique. Dans cette partie de l’océan
Indien, Mme Royal n’était pas pressée de répondre aux deux compagnies South Atlantic Petroleum et
Marex Petroleum, désireuses de
forer dans les eaux de Juan de
Nova, un îlot corallien français des
îles Eparses, mais le tribunal administratif de Saint-Denis de la
Réunion l’y a contrainte en septembre 2015. Elle a dû se résoudre
à leur accorder une concession.
Ce difficile équilibre entre préservation de l’écosystème marin
et développement économique
est l’une des préoccupations de
Ségolène Royal. Lors de la conférence, vendredi, la ministre a mis
l’accent sur l’« économie bleue »,
un terme très général qui désigne
l’exercice d’équilibriste permettant de concilier des activités a
priori concurrentielles, telles que
le transport maritime, la pêche et
l’aquaculture, et les énergies renouvelables liées à la mer. C’est
l’objet d’un projet de loi assez
technique, sur le point d’être
adopté par le Parlement. p
martine valo
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DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
BILLET
« Le Monde »
proteste contre le
refus de visa par
l’Algérie à un de
ses journalistes
Les autorités algériennes ont refusé de donner un visa au journaliste du Monde qui devait couvrir la visite officielle de Manuel
Valls en Algérie à partir du
samedi 8 avril, nous empêchant
d’effectuer notre travail. Cette
décision est liée à notre traitement des « Panama papers », en
particulier les informations que
nous avons publiées sur l’Algérie. Le Monde regrette cette
décision et proteste contre cette
entrave à la liberté de la presse.
Par solidarité, France Culture,
France Inter, Libération et
Le Figaro ont décidé de
boycotter le voyage.
jérôme fenoglio
Directeur du « Monde »
Sur l’île de San Blas, en mars 2015.
PAOLO WOODS-GABRIELE GALIMBERTI/INSTITUTE
L’offshore, antichambre des divorces
Par peur de se faire dépouiller par leurs « ex », les grandes fortunes montent de complexes circuits financiers
C
e sont presque toujours
des hommes, et parmi
le 1 % des plus riches du
monde, qui font appel à
Mossack Fonseca pour protéger
leur fortune des appétits de leur
moitié. Et le cabinet panaméen
accepte sans sourciller. Les « Panama papers » permettent de découvrir les dessous, souvent peu
reluisants, de ces opérations.
En Thaïlande, le cabinet conseil a
ainsi apporté son aide à un
homme qui voulait un « remède
miracle » au cas où son épouse tenterait de le déposséder. En Equateur, il a proposé des sociétésécrans à un « client qui voulait acquérir une entreprise avant son divorce ». Au Luxembourg, non sans
quelques plaisanteries, il a aidé un
Néerlandais qui voulait « protéger » son patrimoine « contre les
conséquences déplaisantes d’un divorce à l’horizon ». Pourtant, les
fournisseurs de services offshore,
qui mettent sciemment les biens
d’une personne hors de portée de
son conjoint, sont passibles de
poursuites judiciaires. « Quand
quelqu’un entame ce genre de procédure, plus le divorce est proche,
plus il y a de chances qu’il veuille
dissimuler ses biens pour une
fraude en droit matrimonial », indique Sanford K. Ain, un avocat de
Washington. Lui-même a travaillé
sur une affaire de divorce tellement complexe qu’il avait sur son
bureau un schéma des comptes,
sociétés et trusts du mari. « On
aurait dit que quelqu’un avait jeté
un tas de spaghettis sur la page »,
plaisante l’avocat – démêler l’affaire avait d’ailleurs coûté entre
2 et 3 millions de dollars.
La chanteuse Michelle Young,
dont le divorce a été fort médiatisé,
a fondé en 2014 une organisation
pour aider les femmes escroquées
par leur ex-mari à naviguer dans
les eaux coûteuses du système judiciaire britannique. « C’est un
« C’est un combat
sans merci.
Si vous n’avez
pas les moyens
de vous
défendre, vous
êtes mort »
MICHELLE YOUNG
ex-femme d’un promoteur
combat sans merci, dit-elle. Si vous
n’avez pas les moyens de vous défendre, vous êtes mort. » Elle a mis
sept ans et des millions de dollars
pour retrouver des biens de son
ex-mari, le promoteur Scot Young.
Qui avait fait notamment appel à
Mossack Fonseca pour mettre sur
pied un complexe empire financier, dispersé en Russie, aux îles
Vierges et à Monaco. « Il y a tant de
biens – c’est comme un mini-Enron », a expliqué la chanteuse. Elle
a obtenu en 2013 un jugement qui
lui accordait 32 millions de dollars.
Scot Young a fait appel, celui-ci a
été rejeté. L’homme a été retrouvé
empalé sur les pics d’une grille
après être tombé du quatrième
étage de son appartement londonien, mais c’est, semble-t-il, sans
rapport avec son divorce.
En 1987, Dmitri Rybolovlev, milliardaire et propriétaire du club de
football de l’AS Monaco, épouse
Elena, une étudiante dont il est
tombé amoureux pendant ses
études dans l’Oural. Dmitri est le
« roi des engrais » russe, le couple a
deux enfants, s’installe en Suisse
et est, selon ses avocats, « fabuleusement riche ». En décembre 2008,
Elena Rybolovleva demande le divorce, en raison d’« une période
prolongée de relations maritales
tendues ». Selon la loi suisse, chaque conjoint a droit à une part
égale de la fortune commune.
Mais savoir quels biens doivent
être partagés n’est pas plus simple
que le complexe réseau offshore.
Mossack Fonseca a ainsi créé Xitrans Finance Ltd aux îles Vierges
britanniques en 2002. Une boîte
postale sur l’île de Tortola, mais
qui possède des toiles de Picasso,
Modigliani, Van Gogh, Monet, Degas et Rothko ou des meubles
Louis XVI. Quand le mariage explose, Dmitri Rybolovlev se sert de
Xitrans pour sortir ses biens de
Suisse et les placer à Singapour et à
Londres, hors de la portée d’Elena
– Mossack Fonseca se tient au courant et se fait envoyer en janvier
2009 les notes d’audience du tribunal. Si Xitrans est contrôlé par le
trust familial des Rybolovlev, seul
Dmitri en détient les parts.
Après plusieurs années de bataille, un tribunal suisse accorde
4,5 milliards de dollars à Elena
en 2014. La cour d’appel ramène
ce chiffre à 600 millions de dollars, en calculant le montant de la
prestation, à partir des capitaux
détenus par les trusts chypriotes
de Rybolovlev. Dmitri et Elena se
sont refusés à tout commentaire.
Blanchiment d’argent
Il n’y a pas que les maris qui peuvent compter sur les paradis fiscaux. L’amiral Antonio Ibarcena
Amico, un ami d’Alberto Fujimori
au Pérou, a ainsi eu quelques ennuis après la chute du président :
il a été reconnu coupable de corruption et de détournement de
fonds dans un contrat d’armement. La presse signale alors
qu’un membre de la famille de
son épouse a utilisé une société
offshore pour blanchir de l’argent, par le biais d’investissements immobiliers, et le transférer sur le compte de madame. Le
nom de la société ressemble fort à
celui de l’une des deux sociétés
enregistrées par Mossack Fonseca, Alverson Financial S.A., et les
avocats du cabinet panaméens
supputent avec un peu d’inquiétude que les journalistes ont mal
orthographié le nom de l’entreprise, et que c’est bien la leur.
Mossack Fonseca rencontre
ainsi en 2004 Marcela Dworzak,
l’épouse de l’amiral, pour éclaircir
le problème. Elle assure qu’Alverson Financial S.A. lui appartient
bien, et que tout a été fait « d’une
manière transparente, légale et
propre ». Ses entreprises ne servent qu’à dissimuler des biens à
son époux. Or, « elle vit séparée depuis plusieurs années de son mari,
un responsable du gouvernement
Fujimori, et ses sociétés sont là pour
protéger le patrimoine qu’elle a hérité de sa famille dans l’éventualité
d’un divorce », résument les juristes de Mossack Fonseca dans une
note interne. Les avocats de Marcela Dworzak confirment qu’elle
« ne veut pas qu’il sache ce qu’elle
possède », et Mme Dworzak reste
cliente du cabinet.
Quelques années plus tard, les
autorités péruviennes ouvrent
une enquête sur Marcela Dworzak
pour blanchiment d’argent. Elle
vit à présent au Chili et n’est jamais retournée au Pérou, où on
lui reproche d’avoir utilisé un
compte panaméen pour cacher
l’argent du contrat d’armement
véreux pour lequel son mari s’est
fait inculper. La famille IbarcenaDworzak affirme que les allégations péruviennes ne sont motivées que par des raisons politiques, Marcela Dworzak se refuse à
tout commentaire.
Autre cas intéressant, le divorce
de Nichola Joy et du magnat de
l’aviation, Clive Joy-Morancho. Le
couple se sépare en décembre 2011
après plus de cinq ans de mariage
et trois enfants. Depuis, Nichola
Joy est partie à la chasse aux
40 millions de dollars qui, selon
elle, lui reviennent. Soit au moins
deux appartements à Londres, un
L’affaire était
si complexe
que l’avocat avait
sur son bureau
un schéma
des comptes,
sociétés et trusts
du mari
avion-charter, un château avec six
chambres en France, une villa aux
Caraïbes et un terrain dans une
station de ski suisse. Clive répète
que ces biens sont coincés à l’étranger et qu’il n’en a pas l’usage, et jure
qu’il sera ruiné si sa femme le dépouille de ces menues propriétés.
« Une mascarade »
Fin 2014, un juge anglais examine
leur patrimoine, dont 35 voitures
de collection – des Bentley, Ferrari,
McLaren et une Alfa-Romeo
« particulièrement belle », soupire
Clive – d’une valeur totale de plusieurs millions de dollars. Nichola
Joy réclame les voitures ou une
contrepartie. Le juge, Sir Peter Singer, rejette sa demande : même si
Clive Joy-Morancho estime que
cette collection lui appartient, aux
yeux de la loi, elle est la propriété
d’un trust par le biais d’une société offshore. Nichola Joy a obtenu quelque 180 000 dollars par
an jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la répartition de ce qui reste de la fortune
des Joy-Morancho.
Mais Sir Singer est fort mécontent. « C’est une mascarade élaborée, menée sans scrupule et sans
considération des conséquences »,
écrit le magistrat. Pour lui, les activités du mari constituent « un édifice pourri fondé sur la dissimulation et la tromperie, une imposture, une mascarade, quelque
chose de factice, de fallacieux,
monté de toutes pièces ». Le commentaire est un peu désagréable
pour Mossack Fonseca, qui a
monté une partie de l’édifice offshore depuis 1997. D’ailleurs, les
avocats de Clive Joy envoient en
mai 2013 au cabinet panaméen le
commandement d’un tribunal,
afin de geler les actifs de Clive JoyMorancho jusqu’à ce que le patrimoine du couple soit réparti.
Or, Mossack Fonseca est représentant aux îles Vierges britanniques de Glengarriff Property Holdings Limited, la société propriétaire des deux logements londoniens convoités par chacun des
époux, et la responsable juridique
du cabinet avertit ses collègues :
« Les conséquences d’une violation
d’un gel des actifs sont graves et
nous devons agir avec responsabilité. » Le juge Singer a finalement
tranché : il a établi que Clive JoyMorancho avait transféré la propriété légale des appartements à
un trust offshore avant d’épouser
Joy. Les appartements ne font
donc pas partie du patrimoine matrimonial. « J’étais naïve, je ne savais pas ce qu’était un trust quand
je l’ai épousé, explique Nichola Joy.
Le problème, c’est qu’il faut tellement d’argent pour combattre
cette injustice et que je ne peux pas
le faire, et mon ex le sait. La loi doit
changer. Ces trusts offshore tournent la justice en dérision. »
Nichola Joy réclame toujours ses
40 millions de dollars. Elle s’est
lancée à l’assaut des sociétés offshore qui jalonnent son chemin.
Derrière les paradis fiscaux, résume le juge Singer, il y a un ancien
mari qui nourrit le « désir de la
vaincre financièrement ». Parce
qu’il a deux choses en horreur :
« Etre contraint de donner de l’argent au fisc ou à son ex-femme ». p
will fitzgibbon (icij),
daptation « le monde »
(Traduit par Valentine Morizot)
|7
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Bruxelles veut plus de transparence
Ce qu’il faut
savoir
La Commission européenne entend durcir la lutte contre la fraude fiscale des entreprises
bruxelles - bureau européen
L
es révélations « Panama papers » et le scandale planétaire qu’elles ont déclenché
bousculent l’agenda européen en
matière de lutte contre la fraude et
l’évasion fiscales. Selon nos informations, la Commission européenne, qui avait prévu de longue
date de présenter la semaine prochaine une proposition de directive afin d’obliger les multinationales à rendre publics leurs profits
pays par pays, travaille à une modification de son texte pour aller
plus loin dans la transparence.
Bruxelles voudrait obliger toutes
les entreprises, quelle que soit leur
nationalité, à condition qu’elles
aient une activité en Europe (une
filiale) et qu’elles génèrent un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros, à publier leurs profits, leurs impôts et le nombre de
leurs salariés, pays par pays. Dans
les 28 pays de l’Union européenne,
mais aussi, si elles y sont présentes
d’une manière ou d’une autre,
dans les paradis fiscaux inscrits
dans une future « liste noire »
européenne des pays non coopératifs, que Bruxelles a également
En tout, près de
6 000 sociétés
dans le monde
pourraient être
concernées
par ce nouveau
dispositif
l’intention d’établir dans les mois
qui viennent.
En tout, près de 6 000 sociétés
dans le monde pourraient être
concernées par ce dispositif. Les
informations devraient être rendues accessibles facilement, sur le
Web et dans les rapports annuels.
Le texte initial, une refonte de la directive comptable 2013, n’intégrait
pas cette obligation de transparence pour les paradis fiscaux.
« Mais, après les “Panama papers”,
on se doit de le faire », souligne une
source proche des discussions.
Dans une lettre qu’a pu consulter Le Monde, adressée le 8 avril
par le président de la Commission,
Jean-Claude Juncker, à Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe, M. Juncker confirme que
l’institution travaille sur cette option : « Le 12 avril, la Commission
présentera une proposition pour le
reporting pays par pays. Elle répondra à la forte attente publique
d’une plus grande transparence
sur les comptes des sociétés et le niveau d’impôts qu’elles payent,
mais tiendra aussi compte de la nécessité de préserver la compétitivité des activités européennes.
Dans notre proposition, nous accorderons une importance particulière aux informations fiscales relatives aux pays qui ne respectent pas
les bons standards de gouvernance
en la matière. »
Jean-Claude Juncker et les cabinets des commissaires Jonathan
Hill (finance), Pierre Moscovici
(économie) et Valdis Dombrovskis (union monétaire) travaillent
d’arrache-pied pour être prêts
d’ici au mardi 12 avril. La nouvelle
mouture du texte devra, ce
jour-là, être validée par le collège
des commissaires, qui se réunira
à Strasbourg, en marge de la cession plénière du Parlement
européen.
La Commission pourrait aussi,
dans cette proposition qu’elle remanie, renforcer ses exigences
concernant le registre des bénéficiaires des trusts en Europe. Jusqu’à présent, elle demandait que
ce registre soit tenu à la disposition des justices des pays membres. Elle pourrait recommander
que les administrations fiscales
puissent aussi y avoir accès, pour
pouvoir mieux mener leurs enquêtes sur les éventuelles fraudes.
Quant à la liste européenne des
paradis fiscaux, elle n’existe pas
encore, mais Bruxelles compte
bien, dans les six mois, convaincre
les 28 pays membres de s’entendre
sur des critères de « choix » communs pour les pays non coopératifs, et sur des sanctions qui pourraient leur être imposées.
Le « reporting pays par pays »
existe déjà dans les textes européens, pour les banques et les sociétés minières et forestières.
Bruxelles espère qu’en le généralisant à tous les secteurs de l’industrie et des services, elle alimentera le débat démocratique et
médiatique, et contraindra les
multinationales à payer des impôts partout où elles génèrent
des profits.
Si ce texte modifié pour y intégrer les paradis fiscaux reçoit un
feu vert au collège, il représentera
un précédent considérable. La législation irait alors bien plus loin
que ce qui existe actuellement
dans le monde en matière de
transparence : l’Organisation de
coopération et de développement économiques, dans son
plan d’action pour lutter contre
l’érosion des bases fiscales des entreprises (BEPS), prévoit seulement l’obligation de transmission des informations des sociétés aux administrations fiscales
nationales, qui sont ensuite censées se les échanger.
Les ambitions de la Commission
devraient être bien reçues par les
ONG et les eurodéputés Verts, qui
exigeaient qu’elle s’attaque plus
frontalement aux paradis fiscaux.
Elles risquent en revanche de très
fortement contrarier les lobbies
des grandes entreprises. Comment les Etats membres réagiront-ils ? Bruxelles compte sur l’effet « Panama papers » pour emporter la décision. Il suffit d’une
majorité qualifiée des Etats pour
que les modifications de la directive comptable puissent être
adoptées. p
cécile ducourtieux
Coordonnées par
le Consortium international des journalistes
d’investigation (ICIJ), la
rédaction du Monde et
108 autres dans 76 pays
ont eu accès à une masse
d’informations inédites
qui mettent en lumière
le monde opaque de la
finance offshore et des paradis fiscaux.
Les 11,5 millions de
fichiers proviennent des
archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca,
spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015.
Il s’agit de la plus grosse
fuite d’informations
jamais exploitée par
des médias.
Les « Panama papers »
révèlent que, outre des
milliers d’anonymes, de
nombreux chefs d’Etat,
des milliardaires, des
grands noms du sport, des
célébrités ou des personnalités sous le coup de
sanctions internationales
ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.
Pedro Almodovar abandonne
la promotion de son film « Julieta »
Le cinéaste espagnol et son frère détenaient un compte offshore
géré par la firme panaméenne Mossack Fonseca
Madrid, correspondance
I
l a tout annulé : sa présence à
l’avant-première de son dernier film, prévue mardi
5 avril à Barcelone, sa conférence
de presse à Madrid, le jour suivant, et les interviews qui devaient suivre. Le réalisateur Pedro
Almodovar a préféré sacrifier sa
participation à la promotion de
Julieta, sorti sur les écrans espagnols vendredi 8 avril, plutôt que
d’affronter les questions des
journalistes. « En raison de la
priorité informative de thèmes
étrangers à Julieta », s’est justifiée, laconique, sa boîte de production, El Deseo.
La « priorité informative » n’est
autre que la présence des noms
de Pedro Almodovar et de son
frère Agustin, producteur de ses
films et cofondateur d’El Deseo,
dans les « Panama papers », qui
révèlent depuis quelques jours,
dans la presse internationale, les
noms de possesseurs de comptes offshore gérés par la firme
panaméenne Mossack Fonseca.
Entre 1991 et 1994, époque qui
coïncide avec la sortie de Talons
aiguilles ou Kika, les deux hom-
mes ont détenu une société offshore domiciliée dans les îles
Vierges britanniques et gérée
par Mossack Fonseca, Glen
Valley Corporation. Une révélation qui fait tache dans le curriculum vitae du réalisateur espagnol, homme de gauche connu
pour ses prises de position et
ses affinités avec les écolo-communistes.
Selon le site d’information Elconfidencial.com et la chaîne de
télévision La Sexta, la société
suisse Unifinter a enregistré
Pedro et Agustin Almodovar
comme fondés de pouvoir de
Glen Valley Corporation, dont le
capital social initial est de
50 000 dollars, en juin 1991. Les
documents signés leur donnent
alors compétence pour « administrer la société sans limite, (…)
apporter des contrats, (…) recevoir
ou prêter de l’argent, acheter des
produits, de la marchandise, des
actions, (…) ouvrir des comptes
bancaires au nom de la société
dans n’importe quelle banque » ou
encore « avoir accès à chacun des
coffres-forts ».
Néanmoins, les documents
épluchés par les journalistes ne
Vargas Llosa « ne savait même pas »
Le Prix Nobel de littérature 2010, Mario Vargas Llosa, dont le nom
apparaît dans les « Panama papers », a assuré, jeudi 7 avril, qu’il
n’avait jamais eu connaissance d’un compte offshore à son nom
et à celui de son épouse, dont il est aujourd’hui séparé. « Je ne
savais même pas, je l’ignorais complètement », a déclaré le Prix
Nobel, âgé de 80 ans.
Selon le site espagnol El Confidencial, les noms de l’écrivain et de
Patricia Llosa apparaissent dans la société Talome Services Corp,
aux îles Vierges, entre le 1er septembre et la mi-octobre 2010. « Si
M. et Mme Vargas Llosa ont pu monter cette société en vue d’un investissement, cela ne peut être attribué qu’à un conseiller financier
ou à un intermédiaire », souligne l’agence littéraire Carmen
Balcells, qui représente l’écrivain.
leur ont pas permis d’en savoir
plus sur l’utilisation faite de la
société ou sur le montant des
fonds qui ont pu y transiter
jusqu’à sa fermeture, le 11 novembre 1994.
« Nous n’avons pas de commentaires à faire à ce sujet », a été la
première réaction des frères Almodovar dans un communiqué
laconique envoyé lundi 4 avril et
qui se terminait par un avertissement : « Nous serons attentifs au
contenu de l’information publiée,
en particulier aux jugements de
valeur qui pourraient être faits et
porter atteinte à nos droits. »
De quoi incendier davantage
l’opinion et obliger Agustin Almodovar à envoyer un deuxième
communiqué.
En règle « avec les obligations »
Le frère du célèbre réalisateur oscarisé y assume toute la responsabilité de la société offshore. « Dès
les premiers moments de la constitution d’El Deseo, Pedro et moi nous
sommes répartis les tâches (…) : j’ai
pris en charge la gestion de l’entreprise et lui s’est consacré aux aspects créatifs », explique Agustin
Almodovar, qui justifie la constitution de la société en 1991 par « la recommandation de [ses] conseillers,
face à une possible expansion internationale de l’entreprise ».
En 1990, Pedro Almodovar avait
effectivement connu un grand
succès avec le film Attache-moi.
« Cependant, on a laissé mourir la
société sans activité car elle ne collait pas avec notre manière de travailler », poursuit-il, avant d’assurer être en règle « avec toutes les
obligations fiscales ». Reste que
Julieta a sans doute été la première victime espagnole des
« Panama papers ». p
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8|
FRANCE
La gauche hésitante face à Nuit debout
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Le mouvement, qui cherche désormais à essaimer hors de Paris, se méfie de toute récupération politique
C
ertains y voient une petite lueur dans le ciel de
la gauche, d’autres pressentent les nuages qui
s’amoncellent. Le mouvement
Nuit debout, parti de la place de la
République, à Paris, devait s’étendre à l’ensemble de la France samedi 9 avril. Dans la foulée des
manifestations contre la loi travail prévues dans l’après-midi,
près d’une cinquantaine de rassemblements nocturnes étaient
attendus à travers le pays.
Après plusieurs métropoles régionales, c’est au tour de villes
moins grandes (Niort, Angoulême, Valence, Toulon, Dijon,
Besançon…) d’être gagnées par ce
mouvement d’inspiration anticapitaliste, qui rejette la politique
du gouvernement. Le concept fait
même tache d’huile en Europe :
des rassemblements sont prévus
en Belgique, en Espagne, en Allemagne… Né de la contestation
contre le projet de loi El Khomri, il
dépasse désormais ce cadre. Les
participants sont invités à prendre la parole au cours d’assemblées générales sans fin, avec délibérations collectives et votes innombrables à la clé.
Les socialistes surveillent avec
attention ces rassemblements,
qui leur sont profondément hostiles. « Difficile de savoir sur quoi
tout ça va déboucher, il faudra
voir comment cette gauche activiste rentre dans l’atmosphère de
la présidentielle et des législatives », explique Jean-Christophe
Cambadélis, le premier secrétaire
du PS. Dans la majorité, on se
garde pourtant de critiquer,
conscient que parmi les veilleurs
nocturnes se trouvent de nombreux électeurs déçus de François Hollande.
« Tout le monde est là »
A la gauche du PS, on regarde
s’installer le mouvement avec intérêt, voire envie. « Je trouve ça
politique et poétique, il est bienvenu de se réapproprier l’espace
public, totalement tenu par l’idéologie de l’ordre, du fait de l’état
d’urgence », explique Pouria
Amirshahi, député des Français
de l’étranger, qui a récemment
quitté le PS.
Nombreux sont ceux qui sont
allés faire un tour sur place,
comme le fondateur du Parti de
gauche (PG), Jean-Luc Mélenchon, le porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste, Olivier
Besancenot, ou le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent. Le
plus souvent sans prévenir de
leur venue pour ne pas être accusés de récupération politique.
Pour David Cormand, qui vient
de reprendre les rênes d’Europe
Sur la place du Capitole à Toulouse, dans la soirée du 8 avril. ULRICH LEBEUF/MYOP POUR « LE MONDE »
Ecologie-Les Verts après le départ
d’Emmanuelle Cosse, « c’est le
premier truc intéressant qui se
passe depuis longtemps. Il fait
prendre conscience que les corps
intermédiaires – syndicats et partis politiques – sont has been ».
Le nouveau patron d’EELV n’est
pas tombé des nues, le 31 mars,
lors de la première Nuit debout.
L’un des porte-parole du parti, Julien Bayou, était dans le coup depuis des semaines. Cette figure de
Jeudi noir était en effet le 23 février à la Bourse du travail de Paris quand François Ruffin, le réalisateur du documentaire Merci
La majorité
se garde
de critiquer,
consciente que
se trouvent là de
nombreux déçus
de Hollande
patron !, a lancé l’initiative.
M. Bayou y voit « un goût prononcé pour les assemblées radicales et les prises de parole, quitte à
frôler la caricature avec un vote
sur les votes ». L’absence de revendications établies, qui débordent
le cadre du projet de loi travail, ne
le dérange pas. « Non seulement
on ne sait pas ce qu’on veut mais
en plus on en est fiers ! », s’amuset-il. Son rôle dans tout ça ? « Il y en
a certains qui sont en soutien et
d’autres qui rêvent d’être récupérés », répond le jeune homme. Un
petit tacle à Jean-Luc Mélenchon
qui, dimanche 3 avril, a expliqué
qu’il serait « très fier » que le mouvement le « récupère ».
Depuis l’éclosion de Podemos,
en 2014 en Espagne, parti né du
mouvement des « indignés »
madrilènes qui campaient sur la
Puerta del Sol, l’ancien candidat à
la présidentielle scrute avec attention ce qui se passe de l’autre côté
de la frontière. Les cadres du Parti
de gauche n’ont pourtant pas saisi
dès le départ ce qui se jouait place
de la République, selon Leïla
Chaïbi, une ancienne dirigeante
de la formation, toujours membre du PG. Egalement militante de
Jeudi noir, elle a été contactée dès
le départ par François Ruffin pour
faire profiter de son expérience.
« Je n’y allais surtout pas avec ma
casquette politique », précise-telle d’emblée. Rapidement, elle a
tenté d’alerter ses camarades du
PG, qui ont mis un certain temps
à réagir. « Moi, je prenais mon pied
depuis plusieurs semaines. J’avais
dit aux cadres du PG qu’il se passait un truc. Certains sont venus en
regardant ça comme un truc de
“toto” [autonomes] car ça ne venait pas d’eux et sortait des schémas habituels. Ils restaient bloqués sur “JLM2017” [le site de la
candidature de M. Mélenchon].
Maintenant que ça marche, tout le
monde est là. »
Dans ce mouvement sans leader
et où chacun parle en son nom,
Leïla Chaïbi note « la méfiance
d’une récupération politique ».
Marie-Pierre Vieu, membre de la
direction du PCF, en est consciente. « C’est naturel et on ne doit
« Nuit debout
fait prendre
conscience que
les syndicats
et les partis
politiques sont
has been »
DAVID CORMAND
secrétaire national d’EELV
pas le vivre comme un obstacle »,
souligne-t-elle. La dirigeante communiste juge que ce mouvement
« revitalise le débat démocratique », ajoutant que « la question,
maintenant, est de savoir comment la Nuit debout peut contribuer à ce qu’on travaille la perspective politique ». Une interrogation
qui n’est pas près de trouver une
réponse, tant les participants à
Nuit debout sont, pour l’heure et
dans leur majorité, hostiles à trouver un débouché politique à ce
mouvement.
Avant d’entrer dans des considérations électorales, certains militants aimeraient que le mouvement, jusque-là très urbain,
s’étende aux zones rurales et aux
périphéries des villes. Le mot d’ordre #Banlieuesdebout est apparu
depuis quelques jours sur Twitter,
en provenance de Montreuil, où
un appel a été lancé. Mais ils
n’étaient pas très nombreux à
avoir répondu présent vendredi
soir place Jean-Jaurès.
« Le mouvement est encore très
parisien, explique Almamy Kanoute, porte-parole du collectif
Emergence. Pour que cela prenne
en banlieue, il faut que cela parte
non pas des militants politiques,
mais des citoyens lambda, et
il faut décentrer de Paris vers la
périphérie. » Pour l’instant, les
initiatives restent marginales.
Pour la Nuit debout, le défi,
avant d’être politique, est surtout de sortir de l’entre-soi
sociologique. p
raphaëlle besse desmoulières,
nicolas chapuis
et sylvia zappi
« Un des enjeux du mouvement, c’est de sortir de l’entre-soi »
P
ENTRETIEN
rofesseur de science politique à l’université Paris-VIII
et auteur de Petite histoire
de l’expérimentation démocratique
(La Découverte, 2011), Yves Sintomer décrypte ce que traduit, selon
lui, le mouvement Nuit debout.
Comment analysez-vous
ce mouvement ?
C’est impressionnant de voir
prendre un mouvement comme
celui-là, alors qu’on était dans un
climat très noir. Cela fait l’actualité, alors que c’est quelque chose
de relativement spontané. Les individus qui l’ont lancé étaient très
peu nombreux et incapables à
eux seuls de mobiliser autant de
monde, s’ils n’avaient pas incarné
quelque chose. Pour beaucoup de
personnes, c’est un bol d’air dans
une situation préoccupante.
Qu’exprime-t-il ?
D’abord une rage, une indignation, un ras-le-bol, l’impression
d’avoir affaire à un système qui est
bloqué, à une situation sociale et
économique qui se dégrade, à des
politiques qui n’entendent pas, à
un monde injuste. Il y a en même
temps une joie, une volonté de
vivre, de faire des choses et de s’engager, qui va à l’encontre de tout
un discours qui parle de l’individualisme montant et du désintérêt des jeunes pour la politique.
Ce mouvement s’appuie sur
la mobilisation contre le
projet de loi El Khomri mais
dépasse ce cadre sans formuler
de revendications précises.
Pourquoi ?
C’est l’idée que porter des revendications précises, c’est s’engager dans un jeu de négociations et d’institutionnalisation
où un mouvement spontané
comme celui-là ne peut que perdre. Pour avoir des revendications, les porter et les négocier
sur la longue durée, il faut avoir
une organisation. Nuit debout
exprime plutôt des valeurs, une
vision, une utopie. Ce sont des
gens qui viennent d’horizons très
divers et qui accordent une importance assez grande au fait de
prendre des décisions de façon
consensuelle. Dès lors que les
choses se préciseraient en termes
de revendications, il y aurait des
fractures.
La comparaison avec les
« indignés » espagnols vous
paraît-elle pertinente ?
Elle l’est dans la mesure où l’on
voit une forme d’action similaire :
l’occupation d’une place, des
assemblées générales où l’on ne
peut pas parler très longtemps, où
il n’y a pas de leader, une mobilisation à travers les réseaux sociaux, une diffusion en tache
d’huile… On retrouve aussi un discours sur le refus de la classe politique, la « caste », la méfiance par
rapport au système politique et
une critique sociale radicale. Tout
ça est très proche.
En même temps, en Espagne, le
« 15-M » a duré longtemps et a été
extrêmement massif. Des dizaines de milliers de personnes y ont
participé sur différentes places. A
certains moments, une large majorité de la population se reconnaissait dans ce mouvement. On
n’en est pas encore là en France.
Quel message Nuit debout
envoie-t-il aux politiques ?
Il interroge très fortement le
monde politique ! Peut-on rester
indéfiniment avec des partis politiques structurés de cette maniè-
re-là, ayant de moins en moins de
racines dans la population, happés par les institutions et le pouvoir au point de constituer un
monde en vase clos, surtout au
niveau national ?
Comment ce mouvement
peut-il s’inscrire dans
la durée ?
Cela a été dit par François Ruffin, l’auteur du film Merci patron ! : un des grands enjeux du
mouvement, c’est de parvenir à
sortir de l’entre-soi et de réussir à
toucher les « 99 % », comme le disait le mouvement Occupy Wall
Street, et à s’étendre bien au-delà
des noyaux initiaux. Ce n’est
peut-être pas impossible. Le fait
que le mouvement commence à
gagner des villes de province en
est un signe, même si, pour
l’heure, il n’y a pas beaucoup de
jeunes de banlieue présents.
Peut-il et doit-il trouver un
débouché politique ?
Nuit debout est politique, et la
politique ne se réduit pas à l’élection. C’est comme un écosystème
où les éléments s’influent les uns
les autres. Personne n’aurait pu
prévoir Podemos au moment des
« indignés » espagnols, et ce parti
s’inscrit à la fois en continuité et en
rupture avec les « indignados ». Les
répercussions politiques institutionnelles dépassent d’ailleurs
Podemos. On a assisté à des alliances plus larges, mouvementistes,
qui ont été amenées à gérer les
plus grandes villes, comme Madrid ou Barcelone. Et les effets d’un
tel mouvement se mesurent aussi
dans la modification du centre de
gravité des débats politique, dans
l’ouverture de possibles, y compris
en termes électoraux, même si ce
n’est pas leur objectif. p
propos recueillis par r. b. d.
france | 9
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
« Il sera très difficile pour Sarkozy de se présenter »
Distancé dans les sondages, François Fillon attaque les autres candidats à la primaire de la droite
L’
ENTRETIEN
ancien premier ministre, qui pâtit de sondages défavorables dans
la course à la primaire
de la droite pour 2017, se montre à
l’offensive pour rattraper son retard sur ses trois rivaux, Alain
Juppé, Nicolas Sarkozy et Bruno
Le Maire.
Vous êtes relégué à la quatrième place dans les intentions de vote pour la primaire.
Croyez-vous encore dans vos
chances de l’emporter ?
Je crois à la droiture de mon
projet et de ma démarche. La primaire n’a pas commencé, donc
les sondages n’ont aucun sens.
Cette élection démarrera quand
les électeurs connaîtront les programmes et surtout les candidats
sur la ligne de départ. A ce moment-là, les compteurs seront remis à zéro. On verra d’ailleurs si
Nicolas Sarkozy sera candidat.
Vous pensez qu’il ne pourra
pas se présenter ?
J’ai toujours pensé que cela
serait très difficile : il a été président de la République et a perdu
en 2012. Nicolas Sarkozy a toujours dit lui-même que les Français étaient régicides et, quand on
a coupé la tête du roi, c’est dur de
la remettre sur ses épaules…
Pourquoi les électeurs voteraient-ils pour vous à la primaire ?
Car je dis la vérité. Je suis le seul à
parler d’un risque de faillite. Je ne
dis pas comme plusieurs de mes
concurrents qu’il faut baisser
massivement les impôts, quitte à
faire déraper les déficits. Je porte
le projet le plus précis et le plus cohérent, avec l’idée que le chômage
est la cause majeure de notre
décohésion nationale. Les sujets
identitaires sont les résultats
d’une panne globale. Notre patrie
est déprimée parce qu’elle est bloquée dans sa croissance, ses emplois, ses espoirs de réussite. Ma
méthode, qui consiste à préparer
les textes avant l’alternance, permettra d’introduire des changements économiques et sociaux
radicaux dans un délai très court.
Ils seront mis en œuvre par une
équipe commando de dix à
quinze poids lourds, très compétents dans leur domaine. Qu’ils
soient des politiques ou non.
« Bruno Le Maire
est un vieux
routier de
la politique.
Le renouveau,
c’est un slogan,
pas un projet »
« Plus le temps
va passer, plus
Alain Juppé
va devoir dire
ce qu’il pense
de manière
plus précise »
Bruno Le Maire vous devance
désormais les sondages. Que
pensez-vous de son projet,
de son positionnement ?
C’est un candidat très sérieux,
qui sort de l’Ecole nationale d’administration (ENA), qui a été directeur de cabinet de Dominique
de Villepin et quatre ans ministre
dans mes gouvernements. C’est
donc un vieux routier de la politique. Le renouveau, c’est un slogan, pas un projet. C’est trop
court pour relever le défi de la
primaire, qui est de sélectionner
celui qui aura la charge de présider la sixième puissance mondiale, dans un contexte de chômage de masse, de finances dégradées et de guerre au terrorisme. J’attends le moment où
l’on va confronter nos projets car
on verra que le mien est le plus
innovant.
Est-ce votre amitié avec
M. Poutine qui vous rend
si bienveillant avec lui ?
Je ne juge pas la Russie en fonction de M. Poutine mais de la Russie éternelle, puissance continentale européenne avec laquelle
nous devons travailler. Je n’ai jamais eu de relation personnelle
avec M. Poutine, mais des relations institutionnelles car nous
avons été premiers ministres
pendant quatre ans ensemble.
Nous nous sommes vus plus
d’une dizaine de fois, à chaque reprise longuement car c’est un
homme difficile dans les négociations. Mais quand vous trouvez
un accord avec lui, il le respecte.
La Russie a un objectif en Syrie :
empêcher que le régime d’Al-Assad tombe pour éviter la prise de
pouvoir de l’organisation Etat islamique (EI). Poutine est pragmatique. Moi, je pense que le régime
d’Al-Assad est condamné à moyen
terme mais je fais de la realpolitik
sur les questions internationales.
Dans l’immédiat, il faut battre
l’Etat islamique (EI) puis conclure
un accord politique pour pacifier
le pays et dégager une transition
politique à Damas.
Que pensez-vous de la campagne d’Alain Juppé ?
Plus le temps va passer, plus
Alain Juppé va devoir dire ce qu’il
pense de manière plus précise.
Par exemple, sur la déchéance de
nationalité, je n’ai pas compris
quelle était sa position, alors que
moi, j’étais contre dès le début.
Son programme n’est pas aussi
carré que le mien. Exemple : sur
l’organisation du temps de travail dans l’entreprise, il a un logiciel classique, où l’Etat est supposé tout piloter. Moi, j’ai un logiciel du XXIe siècle, qui tient
compte des évolutions de la société et des métiers.
François Fillon, à Paris, le 7 avril. ED ALCOCK/MYOP POUR « LE MONDE »
Comment expliquez-vous qu’il
soit le favori de la primaire ?
Le système fabrique des favoris.
A un moment, compte tenu du
contexte politique, Alain Juppé
est apparu comme le seul capable
de battre Nicolas Sarkozy. Les difficultés que j’ai moi-même rencontrées lors de l’élection à la
présidence de l’UMP face à JeanFrançois Copé, en 2012, ont été
une blessure. J’ai pris des coups
dans mon combat pour l’honnêteté, mais je ne regrette rien car je
crois à la noblesse en politique.
Pourquoi soutenez-vous l’intervention russe en Syrie ?
La diplomatie française a été
naïve et peu visionnaire. Il aurait
fallu bâtir une coalition avec les
Russes dès le départ de ce conflit
pour lutter contre la montée du
fondamentalisme islamiste. Au
début, nous avons imaginé que
Bachar Al-Assad allait tomber en
quelques semaines.
Nous avons refusé collectivement de penser que la guerre ci-
vile pourrait durer. En tendant
la main à la Russie, nous aurions
pu trouver un accord avec elle, et
sa politique extérieure aurait été
moins brutale aujourd’hui. Si
M. Hollande m’avait écouté il y
a trois ans quand je prônais
déjà cette solution, nous n’en serions pas là.
Pourquoi le Panama a-t-il été
sorti en 2012 de la liste noire
des paradis fiscaux, quand
vous étiez premier ministre ?
Cette décision avait été prise
avec onze autres pays de l’OCDE
sur la foi des engagements pris
par le Panama. Nous avons été
trompés car ce pays n’a manifestement pas respecté sa parole. Je
constate qu’il a fallu que Le Monde
publie ses informations sur les
« Panama papers » pour que le
gouvernement actuel prenne la
décision de remettre ce pays sur la
liste des paradis fiscaux. S’il y a
responsabilité, elle est donc au
moins partagée. p
propos recueillis par
matthieu goar, alexandre
lemarié et philippe ricard
Guerre ouverte entre Ségolène Royal et Alain Rousset
Mise en cause pour sa gestion en Poitou-Charentes, la ministre veut porter plainte pour diffamation contre le président de la nouvelle région
D
es photos, des livres, des
objets… Toute personne
qui a un jour pénétré
dans le bureau de Ségolène Royal
le sait : la ministre de l’environnement chérit plus que tout l’ancienne région Poitou-Charentes,
dont elle fut présidente de 2004 à
2014. Pas une discussion au cours
de laquelle elle ne fasse référence
à cette expérience qui lui a longtemps servi de vitrine pour promouvoir les « solutions » qu’elle
souhaitait appliquer à l’ensemble
de la France.
Son « laboratoire » picto-charentais se retourne aujourd’hui contre elle. Sa gestion de la région est
épinglée par un audit, commandé
par son successeur socialiste,
Alain Rousset, président de la
nouvelle région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes (ALPC).
L’étude,
réalisée
par
Ernst & Young et rendue publique
jeudi 7 avril, fait état d’un « déficit » global des recettes par rapport aux dépenses. Résultat : l’ancienne région Poitou-Charentes
fait face à des retards de paiement
estimés à 132 millions d’euros et à
une « sous-budgétisation » de certains postes de dépense. La région
a également souscrit des emprunts toxiques, dont une partie
(46,8 millions d’euros) à « très
haut risque », alors que son niveau
d’épargne est « quasi-nul ».
Mme Royal a immédiatement riposté contre ce qu’elle estime
être « une opération de dénigrement, de démolition, de harcèlement » de la part de M. Rousset.
Très remontée, la ministre, qui a
reçu Le Monde, vendredi, a confirmé son intention de porter
plainte pour diffamation. « Je ne
me laisserai pas faire. C’est quand
même mon identité, la région
Poitou-Charentes ! Je refuse d’être
ainsi salie », s’insurge-t-elle.
S’agissant de la méthode, elle
juge « hallucinant qu’un président
de région socialiste se comporte
ainsi à l’égard d’une ministre, et
qu’il se permette de commander
un audit sans même [l’]appeler. Il
y a une volonté de nuire. Ils ne [la]
« En accumulant
les politiques
publiques,
la région PoitouCharentes a fait
sauter la banque »
ALAIN ROUSSET
président de la région ALPC
laisseront jamais tranquilles, ces
bonshommes… »
Sur France 3, Mme Royal a qualifié d’« inexacte » l’accusation de
factures impayées. « La fusion des
régions a entraîné momentanément l’arrêt d’un certain nombre
de paiements, parce qu’il a fallu fusionner les systèmes informatiques, a-t-elle expliqué. Ces quelques semaines de retard sont toutes résorbées. » Contacté par
Le Monde, M. Rousset rétorque
que « certains paiements ont été
arrêtés en juillet, c’est-à-dire avant
même la fusion informatique ».
Le patron de la nouvelle grande
région se défend d’avoir voulu
« lancer une fatwa contre PoitouCharentes ». Mais « je peux vous
dire que cette région a eu les yeux
plus gros que le ventre et qu’à force
d’accumuler les politiques publiques elle a fait sauter la banque »,
dit-il. Ce sera sur le budget de
l’Aquitaine, « dont les finances ont
été jugées très saines par l’audit,
qu’[il va] devoir payer les factures », s’emporte-t-il.
Les témoins de longue date de
leurs relations ne s’étonnent
guère de la violente querelle qui
éclate aujourd’hui au grand jour
entre M. Rousset et Mme Royal.
Leur détestation réciproque dure
depuis des années. « Elle ne peut
pas le supporter, et lui non plus,
observe un ancien conseiller régional de gauche. Rousset a mal
pris qu’elle refuse de cofinancer certains projets ferroviaires auxquels
il tenait pour l’Aquitaine », rapporte ce même élu. Ségolène
Royal s’est toujours targuée de ne
pas augmenter les impôts, tout en
critiquant les exécutifs de gauche
qui faisaient le contraire. « J’ai incarné cette rigueur, j’ai travaillé
pendant dix ans à budget constant,
sans augmenter les impôts »,
rappelle-t-elle aujourd’hui. Avec
l’audit, « Rousset peut lui donner
une leçon de bonne gestion », fait
remarquer un ancien élu régional.
A couteaux tirés
En réalité, Mme Royal n’a jamais
accepté l’autorité dont M. Rousset entendait faire preuve à la tête
de l’Association des régions de
France (ARF), qu’il a présidée de
2004 à 2016. « Quand elle venait à
l’ARF, c’était à couteaux tirés entre
eux. Il n’appréciait guère son comportement de reine », se souvient un des responsables de l’association. « M. Rousset n’a jamais
digéré que, pendant dix ans,
Poitou-Charentes incarne le fait
régional. Lui n’incarnait pas
l’Aquitaine », rétorque Mme Royal.
« Il y a une forme de vengeance
sur le thème : si la région PoitouCharentes a été tant mise en
valeur, c’est qu’il y avait quelque
chose de caché. Comme s’il lui fallait noircir le tableau pour se permettre d’augmenter les impôts »,
poursuit-elle.
M. Rousset, lui, balaie ces accusations. « Elle est dans le déni de la
réalité. Moi, je ne sais pas régler
des comptes. Je ne sais pas être
méchant, mais j’ai toujours su, en
revanche, prendre les bonnes directions à la tête de ma région »,
rétorque-t-il.
Le patron d’ALPC assure n’avoir
« subi aucune pression » de la part
de François Hollande pour trouver
un cessez-le-feu avec Mme Royal.
Les deux hommes sont amis depuis leurs études communes à
Sciences Po, et M. Rousset, pendant la campagne présidentielle
de 2012, fut chargé des dossiers industriels dans l’équipe de campagne du candidat socialiste. « Ceux
qui me connaissent bien, comme
lui, savent que je suis un garçon indépendant », assure-t-il. p
béatrice jérôme
et david revault d'allonnes
10 | france
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Mohamed Abrini, suspect-clé des attentats, arrêté
Le Belgo-Marocain, soupçonné d’avoir pris part aux attaques de Paris et de Bruxelles, a été interpellé vendredi
suite de la première page
La première de ces deux planques,
rue Henri Bergé, a servi à confectionner les ceintures explosives
du 13 novembre. La seconde, rue
Max Roos, était occupée par les
assaillants des attentats de
Bruxelles avant qu’ils ne rejoignent l’aéroport de Zaventem
pour se faire exploser, le 22 mars
au matin.
A l’occasion d’un point presse,
vendredi soir, le parquet fédéral
belge est resté prudent quant au
rôle d’Abrini à Zaventem : « L’enquête se poursuit pour déterminer
si Mohamed Abrini est ou non la
troisième personne présente lors
des attentats perpétrés à l’aéroport. » C’est après avoir diffusé la
veille un appel à témoins pour retrouver « l’homme au chapeau »,
que les policiers belges ont interpellé Mohamed Abrini et deux
autres personnes, dont l’identité
n’a pas été dévoilée, vendredi en
fin d’après-midi dans une rue
d’Anderlecht.
« Cercles djihadistes »
Dans la matinée, deux autres suspects avaient été arrêtés dans un
autre quartier de Bruxelles :
Osama K. et Hervé B. M., selon les
états civils parcellaires divulgués
par le parquet belge. Osama K. a
été filmé dans le complexe commercial bruxellois City 2 achetant
les sacs qui seront utilisés par les
kamikazes de l’aéroport. L’enquête se poursuit en revanche
pour déterminer s’il s’agit bien de
« la deuxième personne » filmée le
22 mars en train de discuter avec
Khalid El Bakraoui, peu avant que
ce dernier se fasse exploser à la
station de métro de Maelbeek, a
précisé le parquet belge.
Jusqu’ici recherché sous l’identité d’emprunt – Naim Al-Hamed
– figurant sur son faux passeport
syrien, Osama K. est arrivé en Europe avec le flux de migrants par
l’île grecque de Leros, le 20 septembre 2015. Il était accompagné
durant son périple par Ahmed A.,
alias Mounir Ahmed Alaaj, interpellé le 18 mars à Molenbeek avec
Salah Abdeslam. Son ADN a par
Image de vidéosurveillance d’une station-service de Ressons-sur-Matz (Oise), montrant Mohamed Abrini en compagnie
de Salah Abdeslam, le 11 novembre 2015, deux jours avant les attentats de Paris. AFP
ailleurs été découvert dans l’appartement de Schaerbeek où séjournaient les assaillants du
22 mars. Salah Abdeslam était allé
chercher les deux hommes en
voiture à Ulm, en Allemagne,
dans la nuit du 2 au 3 octobre,
pour les ramener en Belgique.
En attendant de déterminer le
rôle exact joué par ces suspects
dans les attentats de Bruxelles,
l’arrestation de Mohamed Abrini
constitue une avancée spectaculaire pour l’enquête sur ceux du
13 novembre. Ami d’enfance de
Salah Abdeslam, ce délinquant
multirécidiviste est soupçonné
d’avoir rejoint la Syrie à l’été 2015.
Parmi différents voyages, les enquêteurs ont retrouvé la trace
d’un vol aller-retour Bruxelles-Istanbul entre le 23 et le 30 juin 2015,
Le parcours de l’« homme au chapeau »
De nouvelles images de l’« homme au chapeau » quittant l’aéroport de Bruxelles le 22 mars, juste après l’attentat, ont été diffusées jeudi 7 avril par la justice belge, qui avait fait appel au public
pour le retrouver. Un montage d’images prises par des caméras de
surveillance détaille le parcours du suspect de sa sortie de l’aérogare jusqu’à ce que sa trace se perde dans Bruxelles environ deux
heures plus tard. Après les deux explosions à l’aéroport, à 7 h 58,
l’homme, pantalon foncé, chaussures brunes et veste claire, sort
de l’aérogare. Il traverse à pied la commune de Zaventem où il se
débarrasse de sa veste. On le voit parfois courir, parfois marcher.
La dernière caméra le filme à 9 h 50. « La veste pourrait donner de
précieux renseignements si elle était retrouvée », souligne l’avis de
recherche. Et confirmer s’il s’agit bien de Mohamed Abrini.
Ce dimanche à 12h10
PASCAL SAINT-AMANS
Directeur du Centre de politique et d’administration fiscale à l’OCDE
répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),
Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Ayad (Le Monde).
Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr
0123
Ami d’enfance de
Salah Abdeslam,
ce délinquant
multirécidiviste
est soupçonné
d’avoir rejoint la
Syrie à l’été 2015
ainsi qu’un aller simple IstanbulLondres, le 9 juillet. Ils en déduisent que Mohamed Abrini « est
probablement parti en Syrie en
juin 2015 et n’a probablement pas
passé beaucoup de temps sur
place ». Son frère, Souleymane,
qui avait intégré la katiba Al-Battar, celle d’Abdelhamid Abaaoud,
coordinateur présumé des attentats de Paris, y a perdu la vie
en 2014 à l’âge de 21 ans.
Connu des policiers belges
pour « ses contacts dans les cercles islamistes radicaux et djihadistes à Molenbeek-Saint-Jean en
Belgique », Mohamed Abrini
réapparaît dans le viseur des services de renseignement au lendemain des attentats du 13 novembre. Il est soupçonné d’avoir
effectué deux trajets entre
Bruxelles et Paris avec les frères
Abdeslam dans les jours précédant les attaques, afin de louer
des chambres à Bobigny et Alfortville, qui serviront de planques
aux commandos.
Les enquêteurs pensent surtout
l’avoir reconnu lors du dernier
convoi, celui qui conduira les ka-
mikazes jusqu’à Paris. Le 12 novembre, à 3 h 10 du matin, deux
voitures, une Clio et une Seat, stationnent dans une ruelle sombre
de Dansaert, un quartier branché
de Bruxelles surnommé le « petit
New York ». A la lueur des réverbères, une caméra de vidéosurveillance immortalise la scène.
Terré en Belgique
Les policiers belges la retranscrivent sur procès-verbal : un
homme, identifié comme étant
Salah Abdeslam, descend de la
Clio pour remettre un « paquet » à
l’occupant de la Seat. Au vu de
leurs vêtements, captés par des
caméras d’une station-service
quelques heures plus tôt, les enquêteurs pensent avoir identifié
les deux autres passagers :
Brahim Abdeslam, kamikaze du
13 novembre, et Mohamed Abrini.
Le « paquet » transmis, les deux
véhicules quittent Bruxelles. A
4 h 30, la Seat et la Clio foncent
sur l’autoroute A54 en direction
de Charleroi. Le trio fait halte
dans un quartier réputé pour ses
arrivages d’armes et ses livraisons de drogue. Ils passent une
partie de la journée dans un appartement loué sous un faux
nom par Khalid El Bakraoui, futur kamikaze de la station de métro de Maelbeek. Vers 16 heures,
rejoint par une troisième voiture,
le convoi fait route vers Paris. A
17 h 03, la Clio fait le plein à SaintGhislain, en Belgique. Ses occupants sont de nouveaux filmés :
« Probablement les frères Abdeslam et Mohamed Abrini », notent
les enquêteurs.
Mohamed Abrini a-t-il passé la
nuit avec les kamikazes à Bobigny
et Alfortville, la veille des attentats ? Les enquêteurs ne retrouvent en tout cas la trace de son retour à Bruxelles que le 13 novembre au petit matin. Il passe un moment en famille, puis signe en fin
de journée le bail de l’appartement dans lequel il est censé emménager avec sa future épouse. Il
est aperçu plus tard dans la soirée
dans un café de Molenbeek en
compagnie d’Ahmed Dahmani.
Suspecté d’avoir joué un rôle dans
les attentats de Paris, ce proche de
Salah Abdeslam s’envolera le lendemain pour la Turquie, où il sera
arrêté le 16 novembre.
Mohamed Abrini n’a pas tenté
de suivre Ahmed Dahmani en
Turquie. Il disposait selon toute
vraisemblance des complicités
suffisantes pour être exfiltré,
alors que les services d’enquête ne
l’avaient pas encore identifié.
Comme d’autres acteurs des attentats de Paris – tels les frères El
Bakraoui ou l’articifier-kamikaze
Najim Laachraoui –, il a préféré se
terrer en Belgique pendant cinq
mois. Un temps durant lequel la
cellule de Paris s’est « endormie »
à Bruxelles, avant d’y perpétrer
le deuxième acte de son projet
terroriste. p
soren seelow
Un caïd de Molenbeek passé au terrorisme
Mohamed Abrini fait partie de la bande qui gravitait autour de Salah et Brahim Abdeslam
C
PROFIL
heveux courts, silhouette
athlétique,
Mohamed
Abrini, 31 ans, interpellé
vendredi 8 avril à Anderlecht, près
de Bruxelles, est un de ces
manœuvriers présumés des attentats de Paris et de Bruxelles qui ont
sauté le pas du terrorisme directement depuis la case banditisme.
Caïd redouté, barbu taciturne :
comme une bonne part de la
bande de Salah Abdeslam – seul
survivant des commandos du
13 novembre – ce Belgo-Marocain
faisait partie, jusque-là, de la petite
pègre du quartier de Molenbeek,
bien connue des services de police.
Son casier judiciaire parle pour
lui. A son actif, quelque 45 condamnations, dont une vingtaine
pour vols, quatre pour détention
ou consommation de drogues,
plusieurs pour recel, agissements
suspects, et trois pour « évasions
de détenus ». Un curriculum vitae
de voyou tout terrain, à l’image de
celui des frères Abdeslam et de
presque tous les hommes mis en
examen ces derniers mois, en Belgique, dans le cadre de l’enquête
sur les tueries parisiennes.
C’est notamment au bar Les Béguines, plaque tournante de divers trafics, tenu par Brahim Abdeslam, le frère aîné de Salah,
qu’une partie de ces ex-camarades
de quartier se retrouvaient avant
les attentats du 13 novembre. C’est
aussi là que Mohamed Abrini passait de temps à autre. Il y avait
écopé du surnom de « Brioche »,
allusion à son emploi dans un
snack-boulangerie de Molenbeek.
Un job alimentaire : en coulisses,
Mohamed Abrini avait une réputation de « voleur » aguerri.
Avant que Les Béguines ne
soient fermées pour trafic de stupéfiants, le 4 novembre 2015, on
pouvait autant y faire affaire que
s’informer de la température du
quartier. Mohamed Abrini n’y venait pas « souvent », selon la déposition de l’un des prévenus belges,
Ali O. Mais assez pour que sa présence soit remarquée. « C’est quelqu’un qui aime beaucoup l’argent
et qui a manipulé beaucoup d’argent », a lâché le jeune homme aux
enquêteurs. Origine de cette aura
de bandit respecté : « un coup à
200 000 euros »…
Goût pour les voyages
Selon ce prévenu, Mohamed
Abrini ne parlait pas ouvertement
de religion. D’après l’une de ses
deux sœurs, interrogée par la
chaîne RTL, fin novembre 2015, il
n’avait rien à voir avec son petit
frère Souleymane. « C’était le jour
et la nuit », a-t-elle soutenu. Parti
en Syrie, en janvier 2014, ce dernier serait mort depuis au com-
bat. Souleymane, né le 9 novembre 1993, avait rejoint la katiba
dite « Al-Battar », en lien avec l’organisation Etat islamique. Une katiba dont Abdelhamid Abaaoud,
le cerveau présumé des attentats
de Paris, était l’un des piliers.
En 2015, Mohamed Abrini, qui a
deux autres frères, avait en réalité
été inscrit sur la liste de l’organisme belge recensant les individus soupçonnés de radicalisation
ou d’un séjour en Syrie. Selon une
note de la Direction générale de la
sécurité intérieure, le jeune
homme était largement connu
pour ses contacts dans les cercles
islamistes radicaux et djihadistes
à Molenbeek. Il était « probablement parti en Syrie », mais
« n’avait probablement pas passé
beaucoup de temps sur place »,
précise le document.
Mohamed Abrini avait en tout
cas un goût certain pour les voyages. L’un de ces séjours à l’étranger les plus troublants est un passage par Birmingham, au Royaume-Uni, à l’été 2015. C’est un
autre prévenu, Abdellah C. (remis
en liberté le 7 avril), avec qui il
était très ami, qui en a confirmé
l’existence et livré les détails, lors
de sa garde à vue. Les deux jeunes
hommes avaient l’habitude de se
fréquenter au snack-boulangerie, de fumer des cigarettes, parfois d’aller au bowling.
On est alors mi-juillet 2015, et Abdellah C. va chercher Mohamed
Abrini à Paris. Trois semaines plus
tôt, il l’avait déposé à l’aéroport de
Bruxelles pour un vol vers Istanbul. Mais, dans la voiture, Mohamed Abrini lui montre fièrement des photos d’un séjour en
Angleterre… L’enquête a établi, depuis, que Mohamed Abrini n’a jamais utilisé son billet retour depuis Istanbul et a enchaîné quelques jours plus tard avec un vol
pour Birmingham, avant de rentrer par l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, à Paris. Pourquoi ?
Mystère. Abdellah C. assure qu’il
n’a pas posé de questions…
Amitiés de quartier sur base
d’échanges de bons procédés et de
loi du silence, telle était la règle
dans le cercle des Abdeslam. Ainsi
lors de sa garde à vue, le 19 mars,
dont Le Monde a consulté le procès-verbal, Salah s’était vu présenter une photo de Mohamed
Abrini. Il avait confirmé son nom
sans hésiter. Mais il l’avait totalement dédouané : « C’est mon voisin. Il n’a rien à voir avec les attentats de Paris. Il n’a rien fait. » Les policiers lui avaient demandé, malgré tout, s’il n’avait pas une idée du
lieu où son ami pourrait se trouver
« Je l’ignore. Je ne l’ai jamais vu dans
mes différentes planques », avait-il
assuré sans sourciller. p
élise vincent
france | 11
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Attentats : quel
budget pour
l’indemnisation
des victimes ?
La chancellerie et Bercy doivent
arbitrer entre pérennité de la prise
en charge et souci d’économie
A
près la compassion,
voici venu le temps de
l’addition. Le gouvernement doit bientôt se
prononcer sur la façon de pérenniser le financement de la solidarité nationale envers les victimes
du terrorisme. Le 15 avril, doit être
remis un rapport diligenté par
Michel Sapin, le ministre des finances, et Jean-Jacques Urvoas, le
garde des sceaux.
Dans la lettre de mission reçue
par Patrick Poirret, inspecteur général des services judiciaires à la
chancellerie, et Marie-Christine
Lepetit, chef de l’inspection générale des finances à Bercy, les deux
ministres pointent l’urgence de
la situation en soulignant que
« les indemnisations consécutives
aux attentats du 13 novembre (…)
pourraient fragiliser la situation
financière » du Fonds de garantie
des actes de terrorisme et
d’autres infractions (FGTI), l’organisme chargé de prendre en
charge les victimes.
Les propositions devront concilier des objectifs en apparence
contradictoires : assurer une
« juste indemnisation des victimes » et aussi préciser des « mesures de rationalisation (…) pour l’ensemble des champs d’intervention » du FGTI. En clair, faire des
économies. Les arbitrages à venir
s’annoncent tendus et opposent
deux poids lourds du gouvernement. « Bercy est le ministère des
assurances, la justice est celui des
victimes », décrypte Stéphane Gicquel, le secrétaire général de la Fédération nationale des victimes
d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac), membre du conseil
d’administration du FGTI.
Dans l’immédiat, les pouvoirs
publics assurent qu’il n’y a pas de
crainte à avoir sur l’indemnisation à court terme des victimes
puisque le fonds de garantie dispose d’une cagnotte de 1,4 milliard d’euros. A la fin mars, le FGTI
avait déjà débloqué 23,6 millions
d’euros de provisions à 1 877 victimes directes et indirectes. De quoi
leur permettre d’effectuer les premières démarches médicales ou
administratives.
Chaque jour, de nouveaux dossiers sont ouverts pour des personnes estimant avoir été en « situation de danger » le 13 novem-
« Bercy est
le ministère
des assurances,
la justice celui
des victimes »
STÉPHANE GICQUEL
secrétaire général de la Fenvac
GUYAN E
bre ; les autorités s’attendent à en
recevoir environ 4 000. « Le processus d’indemnisation risque
d’être long car, pour chacune des
victimes, il faut attendre la consolidation de leur état de santé physique et psychique pour évaluer la
somme que nous leur proposerons », indique François Werner, le
directeur du FGTI. Juliette Méadel,
la nouvelle secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes, s’est
engagée à ce que tous les dossiers
soient traités d’ici à la fin de l’année. Un objectif « tenable », selon
M. Werner.
Charges multipliées par cent
Mais la récente hausse des contributions est insuffisante pour
« reconstituer nos réserves »,
poursuit M. Werner. Avant même
les attentats de novembre, il
avait déjà été jugé nécessaire
d’augmenter les moyens du
FGTI, financé par une taxe sur
tous les contrats d’assurance. Depuis le 1er janvier 2016, celle-ci est
passée de 3,30 euros à 4,30 euros.
Cette majoration doit rapporter
80 millions d’euros de recettes
supplémentaires par an.
Or, le coût additionnel généré
par les attentats de 2015 est estimé à environ 350 millions
d’euros. « Les charges liées au terrorisme ont été multipliées par
cent en 2015 », constate M. Werner. Il faut aussi anticiper de nouveaux besoins en cas de répétition de crimes de masse qui fragiliseraient les ressources de cet organisme, dont l’essentiel de
l’activité (20 000 dossiers par an)
est consacré à l’indemnisation
des victimes d’infractions de
droit commun.
Pour faire face à une telle éventualité, « il y a une révolution à
faire », estime Marc-André Ceccaldi, avocat spécialisé dans la défense des victimes et membre du
conseil d’administration du FGTI.
« Les victimes du terrorisme sont
désormais plus nombreuses et leur
prise en charge est plus longue, en
raison de la gravité de leurs blessures », dit-il. Or, pour continuer à
assurer une « réparation intégrale », il faut des ressources supplémentaires. Avec une hausse
modeste de cotisation, portée à
6 euros sur chaque contrat d’assu-
« Les victimes du
terrorisme sont
plus nombreuses
et la prise
en charge de
leurs blessures
est plus longue »
MARC-ANDRÉ CECCALDI
avocat
rance, « le financement du FGTI serait à l’abri », juge M. Ceccaldi.
Pour l’heure, ce scénario ne
semble pas être privilégié. Les assureurs, chargés de récolter ces
fonds, sont réticents à relever les
contributions de leurs adhérents.
De son côté, l’Etat redoute d’être
associé à une nouvelle augmentation de la pression fiscale. Pour
équilibrer les comptes, François
Werner évoque une piste de compromis. En cas d’une nouvelle attaque terroriste « d’une ampleur
exceptionnelle », le FGTI pourrait,
dit-il, « déclencher une augmentation temporaire des cotisations »
qui serait accompagnée d’une
« contribution de l’Etat ».
Reste à savoir comment vont
être évaluées les sommes allouées aux victimes. « Tout dépend de l’évolution de leurs blessures physiques et psychologiques »,
juge Philippe Dupuy, un responsable du FGTI. Après un long processus d’expertise, une offre sera
faite à la victime qui pourra la
contester si elle l’estime trop
basse. C’est là que les avocats trouveront leur utilité. « Les victimes
qui n’ont pas pris d’avocat risquent
d’être lésées », admet-on au FGTI.
Les associations de victimes proposent à leurs adhérents de se regrouper pour confier, en commun, leurs dossiers à un avocat.
« Le problème est que la FGTI
fonctionne comme une assurance
et que la définition de la victime
n’est pas la même que dans le milieu médical », pointe M. Gicquel,
de la Fenvac. Les indemnités peuvent varier d’un cas à l’autre.
Exemple : après l’attaque meurtrière du musée du Bardo, le
18 mars 2015 à Tunis, la veuve
d’une victime française n’a pas
obtenu la même somme qu’une
veuve des attentats du 7 janvier 2015 à Paris. p
daniel psenny
et yves-michel riols
Des soins gratuits pour les victimes
Les victimes des attentats du 13 novembre 2015 bénéficient pendant un an d’une prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale.
Tous leurs frais engagés pour des soins en rapport avec les attaques terroristes sont directement payés aux praticiens par la
Caisse d’assurance-maladie, à l’exception de dépassements de
tarifs pratiqués par certains professionnels. Le suivi psychiatrique
est également pris en charge pour les blessé(e)s et les proches
des victimes décédées. Ce droit aux soins gratuits, mis en place
dès la fin de la première guerre mondiale, a été remis à l’ordre
du jour après la vague d’attentats des années 1980 qui a secoué
Paris. Malgré l’insertion de cette disposition dans la puce de la
carte Vitale, de nombreux médecins et pharmaciens refusent
encore de ne pas faire payer les patients, souvent au motif que la
Sécurité sociale met plusieurs mois à les rembourser.
Un prêtre en garde à vue
pour agression sexuelle
sur un mineur
Un prêtre soupçonné de pédophilie et signalé par son
évêque a été placé en garde à
vue à Kourou (Guyane), vendredi 8 avril. A la demande de
l’évêque de Cayenne, Mgr Emmanuel Lafont, qui avait contacté le procureur, ce prêtre,
né en 1949, est « allé dénoncer
ses propres agissements » à la
gendarmerie. Une enquête
avait été ouverte à la suite de
son signalement et plusieurs
plaintes ont été déposées. Il
est notamment soupçonné
d’attouchements sur un mineur de 14 ans. – (AFP.)
J UST I C E
Xynthia : pas de pourvoi
en cassation
du parquet général
Le parquet général de la cour
d’appel de Poitiers ne formera
pas de pourvoi en cassation
contre la condamnation avec
sursis de l’ancien maire de La
Faute-sur-Mer (Vendée), René
Marratier, pour la mort de
29 personnes lors du passage
de la tempête Xynthia,
en 2010, et la relaxe de deux
autres prévenus, a-t-il indiqué
vendredi 8 avril. – (AFP.)
POLI C E
Forte baisse des
amendes pour port
du voile intégral
Le nombre d’amendes dressées pour port du voile intégral a chuté de 44 % en 2015,
selon les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur vendredi 8 avril. Depuis
l’entrée en vigueur de la loi
il y a cinq ans, un peu plus de
1 500 verbalisations ont été
établies. – (AFP.)
Une histoire vraie enin révélée
Pour les prud’hommes, traiter de « pédé »
un coiffeur n’est pas homophobe
L
a loi des séries serait-elle à l’œuvre ? Le
30 mars, une ministre de la République,
en l’occurrence la ministre des familles
Laurence Rossignol, provoquait l’indignation
en évoquant les « nègres favorables à l’esclavage » – avant de reconnaître une « faute de langage ». Et voilà que le conseil des prud’hommes de Paris estime, dans un jugement rendu
au nom du peuple français et dévoilé le 7 avril
par le journaliste Mathieu Brancourt, que « le
terme de “PD” ne peut être retenu comme propos homophobe ». Pour mémoire, il s’agit de
l’abréviation du mot pédéraste. « Il désigne l’attirance d’un homme adulte pour un garçon plus
jeune, généralement un adolescent, rappelle
SOS Homophobie sur son site Internet. A ce titre, il s’agit d’une insulte homophobe basée sur
l’amalgame entre l’homosexualité masculine et
la pédophilie. » C’est également l’une des plus
banales. Elle s’emploie dès l’école.
L’affaire que les prud’hommes avaient à juger est un litige entre les responsables d’un salon de coiffure et l’un des employés. Ce dernier était en période d’essai quand il a reçu par
erreur un SMS le concernant, rédigé par l’une
de ses supérieures hiérarchiques : « Je ne garde
pas X., je le préviens demain, (…) je ne le sens pas
ce mec : c’est un PD, ils font tous des coups de
putes. » L’employé, qui souhaite garder l’anonymat, saisit les prud’hommes le 20 novembre 2014 afin de faire reconnaître le caractère
discriminatoire de la rupture de son contrat.
L’employeur affirme de son côté que le salarié manquait d’expérience et ne s’intégrait
pas dans l’équipe du salon. Il soutient que le
terme « PD », bien qu’inapproprié, « est entré
dans le langage courant et qu’il n’a aucun sens
péjoratif ou homophobe dans l’esprit de la manager », selon le jugement rendu par le conseil des prud’hommes le 16 décembre 2015. La
société signale enfin que « cette affaire concerne le secteur de la coiffure, où la communauté homosexuelle est très représentée ».
Le conseil suit candidement cette argumentation, affirmant que le terme « PD » ne peut
être jugé homophobe « car il est reconnu que
les salons de coiffure emploient régulièrement
des personnes homosexuelles (…) sans que cela
pose de problèmes ». Il écarte donc la discrimination, mais retient l’injure, et accorde
5 000 euros au titre du préjudice moral. C’est
ce que met en avant Jacques-Frédéric Sauvage,
« LE PRÉJUGÉ
président du conseil des
prud’hommes de Paris,
DEVIENT UN
qui refuse par ailleurs de
FONDEMENT
« commenter une décision de justice ».
JURIDIQUE,
Le jugement a été qualifié de « scandaleux » par la
ON EST EN DEHORS
ministre du travail MyDU DROIT »
riam El Khomri. « Le raisonnement du conseil de
SLIMANE LAOUFI
prud’hommes banalise
cabinet du Défenseur
des propos qui reflètent
des droits
l’homophobie ordinaire,
et qui constituent une infraction pénale », insiste SOS Homophobie.
L’Union nationale des entreprises de coiffure
n’est pas en reste. « Nous ne voyons pas à quel titre nous constituerions une exception et redisons notre opposition très ferme à toute attitude ou propos homophobe », affirme Bernard
Stalter, son président.
Le Défenseur des droits est présent aux côtés
de l’employé. Slimane Laoufi, chef du pôle emploi privé de l’institution, ne s’explique pas les
« énormités » contenues dans la décision, rendue par des juges non professionnels. « Le conseil de Paris a une grosse activité, ils ne sont pas
loin de la professionnalisation, relève-t-il. Le
préjugé devient un fondement juridique, on est
en dehors du droit. » L’employé est « extrêmement sensible à l’ensemble des messages de soutien reçus », selon son avocat. Il a fait appel. p
gaëlle dupont
© Zero One ilm GmbH
13 avril
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12 |
CULTURE
Renaud revient avec la rage d’exister
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Après dix ans de silence, le chanteur publie un nouvel album, marqué par les attentats et la dérive de sa vie
A
MUSIQUE
u cas où cela vous
aurait échappé, Renaud est de retour,
avec un album de
13 chansons qu’on a failli attendre
pendant l’éternité. Que l’on peut
tenir pour un petit miracle. Et vu
l’accueil, se faire au passage une
idée de ce qu’a dû être, au bout de
trois jours, la résurrection. Un album bien fichu de bout en bout.
Preuve ? On attend la fin de chaque chanson, même celles où il ne
se passe rien (petite merveille de
Mulholland Drive), et la fin de l’album comme une histoire racontée aux enfants.
Dix ans de naufrage anisé, dix
ans sans écrire une ligne, dix ans
sans le moindre livre, sans film ni
théâtre, légume, poivrot du Vaucluse, Renaud est de retour ! Il
n’est pas forcément loin, le temps
d’Hexagone (1975), interdit sur les
ondes – la République rimant
avec « pays de flic ». Il n’est pas forcément loin, mais la première
chanson célèbre cette grande
nouvelle : J’ai embrassé un flic !
Où ? Pas sur la bouche, mais place
de la République, le 11 janvier 2015 : jour de la grande manif
après la tuerie des copains de
Charlie, et l’horreur sanglante de
l’Hyper Cacher.
On imagine un type revenant de
dix ans sur son île déserte. Dans le
taxi, il tombe sur cette chanson,
J’ai embrassé un flic… Deux notes
de basse et envoyez la musique
(Michaël Ohayon) ! Un air, ni de
stupeur ni de confession, un air
de deux airs de s’envoyer en l’air,
avec trompette façon mariachi, et
dans le lointain, des pin-pon, un
sifflet à roulette. De quoi troubler.
Le type du taxi reconnaît la voix,
un peu éraillée, parfois déraillée,
toujours déshabillée, chantant
faux, comme on dit, ici ou là, mais
chantant toujours vrai… C’est Renaud ! En comptant ses sous, le
type du taxi se dit, moi, je ferais
bien d’arrêter le pastis.
Etendard narquois
Non, c’est bien Renaud et c’est lui
qui revient de dix ans en apnée
dans le pastis. Dès qu’il a mis la
tête hors des cinq volumes d’eau,
sa voix est revenue. Sans illusion
(« Je n’ai jamais été un grand virtuose de la voix »), mais bien assez
pour être la voix de Renaud. Tendue, charnelle, portée par la rage
d’exister et les mots. Les mots,
bras dessus bras dessous, comme
en manif, avec Hugo, Léautaud,
Nougaro. Il les célèbre, les remercie. Les mots, « ce qui rend la vie
moins dégueulasse/Qui vous assigne une place/Plus près des anges
que des angoisses ».
Elégance des sables et du vent.
Sur un plateau de télé en 1978,
Brassens (« Toute mon œuvre ne
vaut pas la moindre des chansons
de Brassens ») s’approche timide-
N’entre pas qui veut
dans la maison du passé
Benoît Giros met en scène « Old Times »,
d’Harold Pinter, sans trouver le ton juste
I
THÉÂTRE
l y a une maison au bord de la
mer. Il y a un homme et une
femme. Il y a une attente :
quelqu’un va venir. Il y a des mots
pour le dire, des mots qui n’ont l’air
de rien, mais derrière eux, il y a Harold Pinter. Alors, il y a une pièce de
théâtre, Old Times, dans laquelle
on entre comme Manoel de Oliveira dans la maison qu’il a dû
abandonner et qu’il a filmée, dans
Visite ou Mémoires et confessions,
son film-testament : en sachant
que « le futur sera passé ». Il en va
souvent ainsi, avec l’œuvre dramatique d’Harold Pinter (1930-2008),
Prix Nobel de littérature en 2005.
On navigue dans un entre-deux où
rôde une menace, d’une manière
insidieuse, souterraine.
Un trio lié par un secret
Dans Old Times, Kate (Marianne
Denicourt) et Deeley (Emmanuel
Salinger) parlent d’Anna (Adèle
Haenel), l’amie de Kate qu’ils attendent. Vingt ans plus tôt, quand
elles étaient jeunes et pleines d’envies, les deux femmes ont vécu ensemble, dans un Londres insouciant. Puis leurs chemins se sont
séparés, Kate et son mari se sont
installés dans leur maison au bord
de la mer, Anna a quitté l’Angleterre et vit à Taormina, en Sicile. La
voilà qui arrive, et la tension
monte, sous l’apparence policée
de la conversation.
« J’aimerais que vous compreniez
que je ne suis pas venue ici pour
créer le chaos, mais pour célébrer
une très vieille amitié », dit Anna.
Rien n’est moins sûr. Le trio est lié
par un secret, dont chacun a sa
part de vérité. Harold Pinter ne le
dévoile pas. Il le laisse planer,
comme un oiseau noir qui guetterait le moment d’entrer dans le salon où se joue Old Times. Au Théâ-
tre de l’Atelier, ce salon moderne
donne directement sur la mer, que
l’on voit à travers une immense
baie vitrée comme les aiment
ceux qui croient que voir, c’est
avoir une vue sur un paysage.
Dans la mise en scène de Benoît
Giros (prononcer « girosse »),
Anna est présente dans la maison
dès le début de la pièce, alors que
son personnage n’a pas encore fait
son entrée. Elle rôde autour de
Kate et Deeley, telle une ombre
d’un passé qui pèse lourd dans la
relation du couple, mouvante et
tendue, à l’image des lumières que
donne Bertrand Courderc au ciel
et à la mer. Cet éclairagiste sait habiller les sentiments. Benoît Giros,
lui, sait leur donner un mouvement, en modulant l’espace qui sépare et unit les personnages. Du
point de vue de l’œil, le spectateur
est satisfait : Old Times a son cadre,
ses images.
Il n’en va pas de même du point
de vue de l’oreille. On sait à quel
point il est difficile de faire entendre Harold Pinter, dont les mots
peuvent tomber à plat, ou à côté,
s’ils ne sont pas dits sur le ton
juste. C’est ce ton juste qui fait défaut à Old Times. Emmanuel Salinger, trop brouillon, Marianne Denicourt, trop attendue, et Adèle
Haenel, trop en force, sont
comme les instruments d’une
partition dont ils n’auraient pas
trouvé la clé. C’est dommage. p
brigitte salino
Old Times, d’Harold Pinter.
Traduction : Séverine Magois.
Mise en scène : Benoît Giros.
Avec Marianne Denicourt,
Adèle Haenel et Emmanuel
Salinger. Théâtre de l’Atelier,
1, place Charles-Dullin, Paris 18e.
De 10 à 37 euros. Du mardi au
samedi, à 21 heures ; dimanche,
à 15 heures. Durée : 1 h 15.
« La vie
est moche
et c’est trop
court »,
petite valse
et accordéon,
n’ira pas doper
l’optimisme
ment de lui, guitare en main : « Je
ne connais sans doute pas toutes
vos chansons, mais elles sont vraiment bien construites. » (France
Inter, 8 avril).
Suit Toujours debout, dont on
vous a, jadis ou naguère, parlé. Un
peu décevante en première
écoute, elle claque maintenant
comme un étendard narquois.
Enfin, plus ou moins. Enchaîne-
ment sur Héloïse. Promenade
dans Venise avec sa fille Lola et sa
petite fille Héloïse. Charmant.
Vous verrez, on va s’y habituer.
Une Nuit en taule pour la route.
Garde à vue ? Délire d’anar ex-alcoolo ? « Petit fait vrai » à la Stendhal, si ça se trouve…
Petit Bonhomme s’adresse à ce
fils, Malone, dont il a raté l’enfance. Qu’il espère retrouver dans
l’adolescence. Il désespère de la
politique parce que la politique le
désespère. Il ne désespère pas des
« gens », de leur amour, de leur
confiance, ni des femmes et des
enfants d’abord. C’était ça, être de
gauche, rebelle, insoumis, contre
flics et curés, pour les femmes et
les enfants. Plus rien.
L’album bascule. Pas dans la tendresse, c’est son signe constant,
mais dans la tristesse. Très émouvante prière des morts pour Hyper Cacher. Puis, une de ses plus
belles chansons insignifiantes :
Mulholland Drive, mélodie douceamère, rêverie sur cette fille qu’on
aperçoit seule, sur l’autoroute,
avec son sac et cet air de liberté. Si
l’on ne se raconte jamais la vie des
inconnues qu’on aperçoit de loin,
on ne comprendra rien à cette
bluette qui fait vivre une scène,
une image, une photo ?
La vie est moche et c’est trop
court, petite valse et accordéon,
n’ira pas doper l’optimisme. C’est
le Renaud d’autant plus triste
qu’il dit la vérité en s’appuyant
sur la sienne et les amis disparus.
Le Renaud qui n’aime pas son Anniv – il faudra inventer des stages
pour ceux qui détestent leur anniversaire – « Tu te retournes et t’es
trop vieux », sur fond de cloche à
vache (l’instrument) pour marquer les années.
Dylan (« Ton père aimait un certain Robert Zimmerman ») ne parlera que trop aux copains, aux familles désespérés par ces crashs
sur platane de retour de boîte –
voir la PQR du lundi. Et Petite Fille
slave aux filles venues de l’Est à la
recherche du bonheur. Elles
auront trouvé un mac, des réseaux et les trottoirs des grandes
villes. Avant de rentrer au pays.
C’est aussi cela, Renaud, le chroniqueur, l’humble journaleux inspiré ; l’artiste du temps qui passe
et des petites causes. Final aux allures de slam qui tourne en chanson : Ta batterie. Pour Malone encore, glissant au passage, on
prend les paris, qu’il espère le voir
un jour aux tambours, derrière
lui, son père. Histoire de musicos.
Il reste assez de gauche en Renaud pour savoir que la liberté
aura, ces dix dernières années,
perdu pas mal de terrain. L’égalité,
on n’en parle même pas. Mais la
fraternité, il s’en charge. Il la
prend en charge. Et c’est un sacré
chantier, croyez-moi. p
francis marmande
culture | 13
0123
Konono n°1 et Batida, du Congo à l’Angola
Le musicien et producteur installé à Lisbonne a enregistré avec le groupe phare de Kinshasa
immédiate avec le son distordu du
likembé, qui sonnait comme un kissange [le piano à pouces angolais].
J’y ai trouvé de nombreuses similitudes avec certaines séquences que
je jouais à cette époque. En fait,
j’avais l’habitude de les mixer avec
des beats électroniques et ça collait
parfaitement à mes oreilles. »
Son imaginaire d’enfant
Pour autant qu’il s’en souvienne, la
musique congolaise a toujours fait
partie de son imaginaire d’enfant,
« comme c’est le cas pour toute personne qui a des liens avec l’Angola.
Nos anciens évoquaient souvent la
Radio révolutionnaire angolaise,
diffusée depuis le Congo, avant l’indépendance. Et pour ce qui est de la
musique, on peut entendre le son
congolais – particulièrement les
guitares – dans la musique angolaise. Je suppose qu’il y avait un
beau dialogue entre les artistes à
l’époque ».
Les deux pays ont des musiciens
en commun. Sam Mangwana, une
des célébrités de la rumba congolaise dont l’album Galo Negro va
être réédité (chez Grounded
Music/Socadisc), est d’origine angolaise, par exemple. Les membres
de Konono n° 1 ont eux-mêmes de
la famille en Angola. p
patrick labesse
Konono n° 1 en concert le 9 avril à
La Parole errante, Montreuil (SeineSaint-Denis) ; le 16 au Vauban, à
Brest (Finistère) ; le 22 au Stereolux,
Nantes (Loire-Atlantique) ; le 29 à
La Sirène, La Rochelle (CharenteMaritime), avec Batida ; le 30 au
Grand Mix, Tourcoing (Nord), avec
Batida ; le 4 mai au 6PAR4, à Laval
(Mayenne) ; le 5 au Krakatoa,
Bordeaux (Gironde) ; le 6 aux Nuits
Sonores, Lyon (Rhône) ; le 7 au
Consortium, Dijon (Côte-d’Or) ; le 12
à l’Antipode, Rennes (Ille-et-Vilaine).
Batida en concert le 15 avril à
l’Embarcadère, Aubervilliers (SeineSaint-Denis).
CD Konono n° 1 Meets Batida
(Crammed Discs – Wagram)
J U LI EN BEN EYTON
Galerie Lily Robert
Avec la méticulosité d’un maître allemand ou flamand du
XVe siècle ou du début du XVIe, Julien Beneyton, né en 1977,
peint des bikers, des satanistes, des tatoués, des adolescents
de banlieue et beaucoup
d’autres figures que l’on
serait en peine de définir
sans hésitation. Femmes
et hommes semblent vivre dans un monde d’inquiétudes et de dangers,
de crimes sans doute,
si l’on se fie au revolver
que tient l’un d’eux
et à un paysage de zone
commerciale sinistre
dessiné avec une
précision de topographe.
Peut-être ont-ils pour héros le boxeur Jean-Marc
Mormeck, auquel trois
grandes toiles en grisaille
« Sur le ring », de Beneyton,
sont dédiées dans la preextrait de la série « L’Œil
mière salle. Quant à leur
du tigre ». JULIEN BENEYTON/LILY ROBERT
rapport avec le monumental portrait de taureau de concours, entouré de ses éleveurs placé dans la vitrine, on ne saurait se risquer à l’expliquer. La peinture de
Beneyton est donc à la fois d’une lisibilité exemplaire, car tout
y est parfaitement imité, et d’une inintelligibilité déconcertante. On sait ce qu’on voit, mais on ne sait pas ce qui se passe
et pourquoi. Une chose est avérée cependant :
c’est un portraitiste très efficace. p philippe dagen
Galerie Lily Robert, 3, rue des Haudriettes, Paris-3e. Tél. : 01-43-70- 03-01.
Du mardi au samedi, de 11 heures à 19 heures. Jusqu’au 23 avril.
A L B U M S
affaire s’est nouée dans
un garage, à Lisbonne,
entre la fin de l’hiver et
le début du printemps
2015. Il faisait frisquet. « On se réchauffait avec du chocolat chaud et
le chauffage était mis au maximum », se souvient le propriétaire
du lieu. Il s’appelle Pedro Coquenão. Tout le monde le connaît
sous le nom de Batida. DJ, producteur, vidéaste et musicien d’origine angolaise, c’est un des noms
en vue de la scène afro-lisboète. Un
lanceur d’alerte aussi, engagé aux
côtés des 17 opposants au régime
en Angola, condamnés à la prison
pour « rébellion », aux côtés du
rappeur Ikonoklasta (« un de mes
meilleurs amis, un frère spirituel »).
Dans son garage, Batida a installé
un studio d’enregistrement. Le
nouvel album du groupe congolais Konono n° 1 s’est concocté là,
avec lui. Avec ses machines, ses
instruments, ses amis de la scène
africaine de Lisbonne invités dans
l’aventure, coproducteur de l’album (en compagnie de Vincent
Kenis, du label belge Crammed
Discs), il a agi comme un aiguillon
ardent sur la musique tournoyante des Congolais, basée sur
un tonique alliage entre percussions, voix et likembé (piano à
pouces) électrifié.
Fondé dans les années 1960 sous
le nom de l Orchestre folklorique
tout-puissant Konono n° 1, par
Mingiedi Mawangu, décédé
en 2015 à 85 ans, le groupe est l’un
des plus célèbres de Kinshasa sur
la scène internationale. Le monde
de la pop et du rock s’est entiché de
sa musique. L’Islandaise Björk
l’avait invité sur son album Volta,
sorti en 2007.
« J’étais fan de ce groupe, nous raconte Batida. J’ai commencé à jouer
leur musique dans mon émission
radio en 2007. Lorsque Marc Hollander, le boss de Crammed Discs,
m’a invité à collaborer avec eux,
j’étais ravi. J’ai senti une connexion
S É L E C T I O N
L’
MUSIQUE
G A L E R I E
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
ART HU R HON EGGER
& J ACQU ES I BERT
L’Aiglon
Anne-Catherine Gillet, Marc Barrard,
Etienne Dupuis, Philippe Sly, Pascal Charbonneau, Hélène Guilmette, Marie-Nicole
Lemieux, Chœur et Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano (direction).
L’on doit au chef d’orchestre japonais Kent Nagano, actuel
directeur musical de l’Orchestre symphonique de Montréal,
ce premier enregistrement de L’Aiglon, né à Monte-Carlo, en 1937,
de la plume conjointe des compositeurs français Jacques Ibert
(actes I et V) et suisse Arthur Honegger (actes II à IV), d’après un
livret tiré de la pièce d’Edmond Rostand. L’Aiglon (alias le roi de
Rome ou le duc de Reichstadt) est le fils de Napoléon, mort à
l’âge de 21 ans, à Schönbrunn, où sa mère, Marie-Louise d’Autriche, l’a emmené, alors qu’il avait 3 ans, après l’abdication de Napoléon, en avril 1814. La qualité des interprètes rend à cette fresque pseudo-historique tout son poids, à commencer par le
frémissant, fragile et radieux Aiglon d’Anne-Catherine Gillet et le
vieux grenadier Flambard, campé par le truculent Marc Barrard,
ainsi que par l’impératrice de luxe qu’est Marie-Nicole Lemieux.
La direction attentionnée de Kent Nagano dépeint avec brio les
atmosphères successives, de la valse viennoise dansée à la cour
d’Autriche aux rengaines populaires françaises, de l’évocation
martiale des batailles paternelles aux rêves délirants de victoires
filiales, jusqu’à la fin émouvante d’un jeune homme terrassé par
deux mondes incompatibles. p marie-aude roux
2 CD Decca Classics.
C HR I STOPHE
Les Vestiges du chaos
Chanteur de variétés bien tournées dans
les années 1960 et 1970 (Aline, Les
Marionnettes, Les Mots bleus, Señorita…),
Christophe, qui a, un temps, évolué vers
le rock avec guitares (l’album Le Beau
Bizarre, en 1978), avait connu, dans les
années 1980-1990, une période d’oubli.
L’album Bevilacqua, en 1996, réalisé en grande partie avec des
claviers électroniques, avait donné au chanteur le statut d’expérimentateur. Depuis, Christophe a redonné de ses nouvelles
phonographiques à quelques reprises, globalement dans ce
genre pop-électro. Les amateurs de sa voix un rien tremblante,
au souffle court, timbre dans les aigus dont il a fait un style,
avec un enrobage de sonorités synthétiques, devraient apprécier Les Vestiges du chaos, dans une approche similaire. Christophe y propose un hommage à Lou Reed (Lou), un duo avec Alan
Vega (Tangerine), en fidélité à deux musiciens qu’il apprécie. On
retiendra surtout de cet ensemble, qui ne laisse guère d’impression, la jolie poussée mélodique de Dangereuse, avec un ensemble de cordes. p sylvain siclier
1 CD Capitol Music/Universal Music.
N I COL AS MI C HAUX
A la vie, à la mort
Boîte à rythme feutrée, basse rondelette, claviers fragiles et nonchalance
vocale tirent Nicolas Michaux du côté
du charmant cocon d’une chanson domestique, chère à Mathieu Boogaerts
ou Albin de la Simone. Mais ce Liégeois
nomade, qui a posé ses valises au Danemark et au Congo, sait aussi jouer de l’allant d’une guitare,
à la fois fluide et aiguisée (on pense à Mac DeMarco), de percussions voyageuses, d’humeurs rock nostalgiques (George
Harrison, Richard Hawley) et d’un savoir-faire mélodique
(la séduction radiophonique de Nouveau départ et Croire
en ma chance). Son aisance à passer du français à l’anglais
dans une même chanson rappelle aussi le bilinguisme gracile
de Frànçois & the Atlas Mountains. p stéphane davet
1 CD Tôt ou tard.
K Retrouvez, sur Lemonde.fr, les critiques
de « Tranches de tronches », de Stéphane
Huchard « Stuch » et de « Rendez-vous », de DJ Djel
14 | culture
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
EXPOSITION ÎLES MARQUISES
Au pays
du tiki qui rit
Le Musée du quai Branly consacre
une grande exposition, du 12 avril
au 24 juillet, aux îles Marquises,
à ses totems et à son peuple,
qui attirèrent Melville, Gauguin ou Brel
REPORTAGE
hiva oa et nuku hiva (îles marquises) envoyé spécial
O
n débarque aux Marquises
avec un rêve. On les quitte
pareillement.
Stevenson
avait sûrement lu Taïpi de
Melville, qui y déserta d’un
baleinier le 9 juillet 1842, Segalen avait dû lire Loti. Qu’avaient-ils lu, Gauguin et Brel, qui vinrent tous deux y finir leurs
jours ? Moi, c’est avec Vargas Llosa que je débarque : Le Paradis (un peu plus loin) raconte
les dernières années de ce vieux chacal de
peintre réalisant ici à Atuona, sur l’île d’Hiva
Oa, le rêve qu’autrefois, à Arles, avec ce fou de
Vincent, ils caressaient : la Maison du jouir.
Peindre et faire l’amour.
Debout, face aux flancs escarpés d’un cratère auréolé de nuages menaçants, suivant la
ligne d’un arc-en-ciel tombant à pic dans la
houle d’une mer infestée de requins, on ne
peut s’empêcher de penser que tout rêve restera en deçà. Personne ne s’est trompé, c’est
bien là une terre d’anarchistes, le paradis des
déserteurs, l’origine du monde. A cet archipel
perdu au milieu du Pacifique, à son histoire et
à son peuple, le Musée du quai Branly consacre, du 12 avril au 24 juillet, sa grande exposition de printemps : « Matahoata. Arts et société aux îles Marquises ».
C’est à bord du dragueur de mines La Lorientaise, un vieux machin d’avant-guerre à
coque de bois, que l’aspirant Stéphane
Martin, à l’époque jeune énarque appelé
sous les drapeaux, aujourd’hui directeur du
Musée du quai Branly, débarqua en 1979.
Sous le charme, comme les autres. La Polynésie restera son premier port d’attache, et
ses compagnons d’équipage, des amitiés
d’une vie. Encore aujourd’hui, lorsqu’il se
rend aux Marquises, l’énarque y retrouve
François Gilmore le bosco ou Théodore le
matelot. Le fond d’écran de son ordinateur
portable est une prise de vue de la baie d’Hatiheu à Nuku Hiva. S’il tombe le costume, on
peut découvrir, partant de son pied et remontant sur sa jambe droite, un immense
tatouage marquisien à faire rougir un guerrier maori. Ainsi tombe-t-on amoureux de
ces terres du bout du monde. Ainsi décidet-on de lancer ce qui sera la plus grande exposition de par le monde à leur avoir jamais
été consacrée.
Les Marquisiens n’ont pas à proprement
parler de Dieu. L’univers est un œuf et nous
baignons dans son liquide amniotique. Les
étoiles y figurent les ancêtres, défunts puissants, auxquels on consacre, en signe d’allégeance et de respect, ces tikis, statues en basalte ou en tuf, érigées ici et là dans des lieux
sacrés envahis par la végétation. Quand un
être meurt, son âme passe le cap ouest des
îles. L’Ouest, là d’où leur peuple est venu, à
bord de pirogues mises à la mer quelque part
aux Samoa ou aux Tonga à peu près à l’époque où, de ce côté-ci du monde, un certain Jésus se faisait crucifier.
Une nuit, dit la tradition, Atea, figure tutélaire, décida de créer une maison pour lui et
A gauche,
« Krusenstern » 813 ;
à droite,
noix de coco
sculptée.
MUSÉE DU QUAI
BRANLY, PARIS
LES
MARQUISIENS
NE SONT
PAS DES
AFFABULATEURS
MAIS DES
ENCHANTEURS
son épouse, Atanua, appelant les forces divines à la rescousse. D’abord, il construisit
« deux piliers », Ua Pou, puis « la poutre faîtière », Hiva Oa, puis il y fixa « la charpente »,
Nuku Hiva, sur laquelle il posa les palmes de
cocotiers, « la couverture » du toit, Fatu Hiva.
Les noms de ces îles volcaniques égrenant la
genèse de cette cosmogonie éparse. Demandant aux divinités s’il n’avait rien oublié,
Atea se vit reprocher de ne pas s’être prosterné. Furieux, il envoya son requin qui renversa tout, et la maison se retrouva éparpillée dans l’océan. « C’est pourquoi l’histoire
n’est pas bouclée, dit le sage Edgar Tetahio-
tupa, docteur en anthropologie. On n’a pas
fini de réunir la maison. On vit encore
aujourd’hui dans la légende marquisienne…
Et cette reconstruction passe entre autres par
l’exposition au Quai Branly. »
Ils sont venus nous accueillir à l’aéroport
d’Hiva Oa, avec leurs chants en bourrasque,
leurs tambours impressionnants, leurs conques et leurs parures d’os macabres. Beaux
comme des mégalithes, souples comme des
panthères. La troupe est construite autour de
la famille Kaimuko. Il y a le père, Patrice, la
fille, Poe, et puis son frère Humu. C’est ce dernier qui, en décembre, présidait le Festival des
arts des îles Marquises, que son île accueillait.
Créé en 1987, le Matavaa et l’association à son
origine, le Motu Haka, sont devenus centraux
dans la reconstruction identitaire de l’archipel. Chaque île, chaque village, a sa troupe, ses
danseurs, ses associations. Partout le même
accueil, colliers de fleurs et corps exsudant.
UN VIEUX GRIMOIRE
Humu a le sang chaud et le port fier.
« Aujourd’hui, il nous faut décortiquer tous les
ajouts culturels qui se sont greffés à nos traditions », martèle le jeune trentenaire. Il est
symbolique de cette nouvelle génération qui
aimerait tant se « désacculturer ». Le terme
n’existe pas, parce que le concept lui-même
n’existe pas. On s’acculture, on se métisse,
on ne se démétisse pas. C’est la marche du
monde. « Les mélanges ont étouffé notre culture », s’agace Humu. Le téléphone de sa
sœur, la lumineuse Poe, apporte une ironie
salvatrice : elle a mis les Rolling Stones en
sonnerie…
A la tête de cette lignée de musiciens, il y
a Tahiatini, 90 ans. Les chorégraphies de la
troupe sont encore écrites par cette vieille
dame, doyenne de l’île. Elle les tire, murmurent ses enfants, d’un livre de danse
venu de son père, qu’elle garde secret et
qu’aucun n’a jamais vu. Un vieux grimoire dans un pays d’oralité. On dirait un
conte. Et c’en est peut-être un. Tout ici est
prétexte à histoire. Comme dans les montagnes encaissées des Pyrénées ou les landes désertes des Highlands, la légende,
culture | 15
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DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Motu-One
Hatutaa
Lors du Festival
des arts des îles
Marquises,
en décembre 2015,
sur le Tohua (place
communautaire
et religieuse)
de Taaoa sur l’île
Hiva Oa.
Eiao
Motu-Iti
Nuku-Hiva
Ua-Huka
Taiohae
Ua-Pou
PASCAL BASTIEN/DIVERGENCES
OCÉAN
PACIFIQUE
Fatu-Huku
Atuona
Puamau
Hiva-Oa
Motane
ÎLES MARQUISES
Tahuata
(POLYNÉSIE FRANÇAISE)
50 km
Fatu Hiva
jungle ; comme des rats ou même de l’arbre
à pain, venus avec les Maoris. La veille, sur
l’île de Nuku Hiva, Débora Kimitete nous a
fait nous arrêter devant un grand arbre où
nichait un upe, une sorte de lourd pigeon à
bec blanc. « Une espèce endémique », s’extasiait-elle avec fierté. « Comme moi, monsieur,
je suis endémique. » Elle riait, mais au fond,
pas tant que ça. Avec son mari, Lucien Kimitete, leader politique mort en 2002 dans un
obscur accident d’avion lors d’une campagne électorale, Débora a joué un grand rôle
dans le renouveau marquisien où l’art et la
culture ont un rôle prédominant face à l’hégémonie politique de Tahiti.
Dans la foulée du Festival des arts des îles
Marquises, le Motu Haka a ainsi créé une
« académie marquisienne », assemblée d’instituteurs actifs ou anciens, fers de lance de
l’intelligentsia locale, qui cherche à sanctuariser cette langue subtilement différente du tahitien et à la faire évoluer pour en pérenniser
l’usage. Télévision se dira pata ata, « l’image
projetée » ; l’ordinateur, oo’uia, « le cerveau
électronique »…
Femme en costume traditionnel.
Ci-dessous, le tiki souriant, Punaei,
sur l’île d’Hiva Oa. PASCAL BASTIEN/DIVERGENCES
« UNE CULTURE EN MOUVEMENT »
l’extraordinaire, est règle de survie. On se
nourrit du récit, car les récits aident à vivre. Et peu importe si ceux-ci se contredisent, tant qu’ils vous magnifient… Changez de guide, et celui-ci vous parlera d’un tiki
de six mètres de haut que les chasseurs lui ont
dit avoir vu. Celui-là, d’une tribu d’autrefois
qui mangeait les enfants de la tribu d’en bas.
Ce ne sont pas des affabulateurs, mais des enchanteurs en quête d’identité.
Car comment faire renaître une culture
que des générations de missionnaires ont
jeté au bûcher ? Cent cinquante ans de condamnation au silence – interdiction des ta-
touages, des chants, des danses, de la langue – ont créé une discontinuité historique.
Comment, même en détenant le record de
l’archipel le plus éloigné de tout continent,
retourner à l’état originel quand, dans ce
monde, tout est relié ?
Dans la forêt autour du surprenant Tiki
Ata, le « tiki qui rit », les immenses arbres
centenaires n’ont rien d’indigène, ils ont été
apportés là par les migrations successives,
les bateaux en escale, les marins en déroute.
Il en est ainsi des petits chevaux chiliens, qui
courent partout en liberté, comme des cochons sauvages ou des coqs qui peuplent la
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« Contrairement aux Tahitiens, les Marquisiens n’ont jamais perdu leur langue, témoigne
Stéphane Martin. Mais, quand j’ai débarqué
pour la première fois aux Marquises, en 1979, il
n’y avait pas les cheveux longs, les bijoux en os,
les tatouages et les tambours. On y dansait le
14-Juillet avec des paréos et une ou deux guitares. Les Marquisiens ont recréé cette image
kaina – sauvage –, qui fait contrepoint à la culture tahitienne très policée. » Et de poursuivre :
« Il y a en fait très peu d’objets marquisiens anciens, et la plupart ont été collectés très tôt. Du
coup, on a une image figée, archétypale, de la
culture marquisienne qui a l’air de s’arrêter à
Dupetit-Thouars et à l’arrivée des Français. Je
voulais avec cette exposition montrer que
c’était plus compliqué, une histoire politique,
évolutive, celle d’une culture en mouvement… »
Au fil des dix-huit salles consacrées aux
Marquises, l’exposition du Quai Branly est
ainsi un voyage entre passé et futur. Cela
commence par les premiers guerriers débarqués sur leurs pirogues vers l’an 150 avant Jésus-Christ. Leurs paepae, les structures d’habitation, leurs tohua, ces forums où ils se rassemblaient, et leurs meae, sites cultuels hantés par les cérémonies païennes et les
sacrifices humains, que l’on visite sur place
comme ailleurs l’Acropole – sans la foule, ces
îles du bout du monde n’accueillent que
50 000 visiteurs par an.
L’exposition se poursuit avec l’arrivée des
Occidentaux. L’Espagnol Mendaña, qui
en 1595 cherchait les richesses du roi Salomon et, passant par là, nomma ces îles en
l’honneur de la femme du marquis vice-consul du Pérou. James Cook, qui y resta quatre
EXTRAITS
“
Ceux qui visitent les
mers du Sud pour la
première fois sont généralement déçus par l’aspect
que présentent les îles
vues de la mer. D’après les
notions plus ou moins vagues que nous nous faisons de leur beauté, on se
les représente assez bien
comme des plaines chatoyantes aux molles ondulations, ombragées de
bosquets délicieux et arrosées par des ruisseaux
murmurants, et l’on
s’imagine que l’ensemble
du pays s’élève à peine
au-dessus de l’océan. La
réalité est tout autre : un
rivage âpre et rocheux,
dont le ressac bat les hautes falaises ; ça et là de
profondes baies, où
s’aperçoivent des vallées
aux bois épais, que séparent des éperons de montagnes revêtus de buissons clairsemés, et qui
rejoignent vers l’intérieur
un dédale de hauts mornes crevassés…”
Herman Melville, auteur
américain, extrait de son
romain « Taïpi » (1846).
“
Ils parlent de la mort
comme tu parles
d’un fruit ils regardent la
mer comme tu regardes
un puits les femmes sont
lascives au soleil redouté
et s’il n’y a pas d’hiver
cela n’est pas l’été la pluie
est traversière elle bat de
grain en grain quelques
vieux chevaux blancs qui
fredonnent Gauguin et
par manque de brise le
temps s’immobilise aux
Marquises.”
Jacques Brel, extrait
de la chanson
« Les Marquises », tirée de
son dernier album (1977).
jours en 1775, lors de son deuxième grand
voyage dans le Pacifique. « L’époque du contact », comme on dit ici. Un tournant civilisationnel. Les perles remplacent les coquillages, le métal fait son apparition, les
maladies ravagent la population, et on se
met à sculpter non plus pour le sacré, mais
pour le commerce. En 1842, les Français finissent par annexer ces îles inannexables, et
les missionnaires feront le reste, qui broient
la culture là où les armes peinent en vain à
éteindre les révoltes.
Enfin, l’exposition raconte cette jeune génération qui trouve, dans les années 1970,
l’écoute d’un évêque breton dont le nom,
Mgr Le Cleac’h, est murmuré dans ces îles
comme celui d’un saint. Un petit homme
doux qui va traduire la Bible en marquisien et
chercher la synthèse entre le dogme catholique et l’identité culturelle de ces populations
défaites. On ne comptait plus que 2 000 habitants dans les années 1920, contre 50 000
en 1790. Aujourd’hui, ils sont 9 000 dans ce
chapelet d’îles, et 55 % de la population a
moins de 15 ans.
Ahitiri, lui, en a 23. Il a des dents de verrats
dans les oreilles et une barbichette ; 97 kg,
1,76 m. Avant le Matavaa de décembre, il en
pesait 25 de plus. Une corpulence marquisienne. Ces jeunes sont aussi lestes dans
leurs mouvements qu’impressionnants
lorsqu’ils interprètent la danse du cochon, le
corps couvert de tatouages ethniques que la
génération de leurs pères s’est réappropriés.
Ahitiri est de Ua Pou, mais aujourd’hui il
étudie la sculpture au Centre des métiers
d’art de Papeete. Son rêve est le même que
celui de tous les jeunes Polynésiens : la métropole – et, pour lui, plus précisément,
l’école Boulle à Paris. Si cela ne marche pas ?
Il rit : « Je rentre chez moi, vivre de ma sculpture sous mon arbre à pain, en faisant mon
kaaku », un aligot fait en pilant le fruit de l’arbre à pain dans du jus de coco, la base de toutes choses avec le poisson cru et la banane
sous toutes ses formes.
Nella Touaitahuata aussi voulait partir. A
14 ans, elle s’était fait tatouer une tortue, en
cachette de sa mère. Et puis son père a disparu en mer en allant à la pêche, alors elle est
restée à Tahuata, petite île de 600 habitants,
pour ne pas laisser sa mère toute seule. Depuis, institutrice et mère à son tour, elle a découvert que la tortue est une figure sacrée, le
messager des dieux, et regarde ces retrouvailles avec le passé enfoui dans les entrailles
de son peuple comme l’espoir d’une autre
vie. Sa fille de 8 ans raconte un rêve : elle voudrait être archéologue. p
laurent carpentier
Matahoata, Arts et société aux îles
Marquises, au Musée du quai Branly, à Paris,
du 12 avril au 24 juillet. De 7 à 9 euros.
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16 |
J
télévisions
ENTRETIEN
ohn Truby est un « script
doctor » de référence. Son
rôle : redresser le scénario
d’un film qui faiblit ou sortir
de l’ornière l’intrigue d’une
série mal ficelée.
Consultant auprès de multiples
sociétés de production et de studios américains (dont HBO,
Disney, Sony Pictures, la Fox ou la
BBC), il a travaillé sur 1 800 productions. Il enseigne également
dans le monde entier l’art de la
narration ou « l’anatomie du scénario » pour reprendre le titre de
son manuel, édité en France chez
Nouveau Monde (2010).
Alors que la septième édition du
festival Séries Mania s’ouvrira
vendredi 15 avril à Paris, John
Truby revient sur la manière dont
les séries ont évolué ces dernières
années, en particulier en termes
de construction et le rôle essentiel tenu par les équipes de scénaristes.
Considérez-vous que la
construction de base d’un récit
soit identique pour un roman,
un film ou une série ?
Les techniques principales sont
les mêmes, seule diffère la structure. Au cours de ces quinze dernières années, ce qui s’est passé
de plus passionnant dans l’élaboration et le développement d’histoires s’est produit dans les séries.
Jusqu’alors, la façon de construire revenait à faire un récit
avec un début et une fin, en un
épisode, comme dans un film ou
un roman. En 1999, avec les « Soprano », naît aux Etats-Unis le récit sériel qui s’apparente au
feuilleton du XIXe siècle, même si
la série télévisée s’en distingue
par d’autres aspects. L’unité du
récit n’est plus l’épisode, mais la
saison entière, voire les saisons
qui se suivent. Cette sérialité est
une vraie révolution.
Même les formes les plus simples et les plus populaires en télévision, le policier et l’histoire criminelle, s’étalent souvent,
« La télévision
est à son
apogée
en termes
de créativité »
Consultant auprès des plus
grands studios américains,
dont HBO, John Truby,
auteur du livre « Anatomie
du scénario », revient
sur l’évolution des séries
ces dernières années,
notamment en matière
de construction, et sur
le rôle essentiel des auteurs
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DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
aujourd’hui, sur toute une saison
et s’avèrent donc beaucoup plus
intéressantes
qu’auparavant.
Pensez à « The Killing » ou à
« Fargo », par exemple. On ne
pouvait pas parvenir à une telle
qualité quand tout devait être
bouclé en 45 minutes !
Désormais, avec un canevas dix
à quinze fois plus long que pour
un film, les personnages principaux et les intrigues secondaires
se développent et se multiplient,
d’où une grande complexité de
l’histoire. De ce fait, la série télévisée devient assez fascinante, et
même bien plus que le cinéma.
C’est ce qui explique que l’on
parle d’« âge d’or » de la télévision : depuis les années 2000 environ, la télévision est à son apogée en termes de créativité, et ce,
partout dans le monde.
C’est tout de même plus vrai
aux Etats-Unis qu’en France…
A des degrés divers, c’est vrai partout. A l’époque où les séries reprenaient la même structure épisode
après épisode, il était aisé de mépriser la pauvreté de réalisation et
de scénario du petit écran par rapport aux films spectaculaires que
pouvait proposer le cinéma. Il en
va différemment aujourd’hui, où
une bonne série peut être aussi
bien filmée qu’au cinéma, et avec
tellement plus de dramaturgie
que n’importe quel film ! J’espère
qu’un jour, même en France, on
reconnaîtra que l’auteur d’une série n’est pas le réalisateur, mais le
scénariste. Parce que tout repose
sur l’écriture.
S’ajoute un autre fait : aux
Etats-Unis, le financement des
films et le type d’histoires qui se
vendent aujourd’hui à Hollywood sont très différents de
ceux de la télévision.
Cela a commencé avec le premier Star Wars (1977). S’apercevant que leur audience ne se limitait pas qu’aux Etats-Unis, les studios de cinéma ont commencé à
privilégier un type de récit pouvant attirer une audience mondiale, indépendamment des cultures et des frontières. Pour cibler
le même type d’ados et de jeunes
adultes, partout dans le monde à
la fois, ils ont donc recours à deux
types d’histoires : celles qui adaptent des mythes et celles qui ne
sont que pure action…
Cela explique qu’aux Etats-Unis
les vrais grands récits dramatiques, aujourd’hui, se présentent
sous forme de série. C’est là que
vont les très bons auteurs.
D’autant que, depuis l’apparition
du câble payant, les personnages
de séries n’ont plus à être toujours simples et positifs, comme
au temps où n’existaient que trois
grands réseaux audiovisuels, qui
eux-mêmes visaient l’audience la
plus large possible. Il fallait que
l’on s’attache au personnage principal pour que le spectateur revienne chaque semaine vers lui,
estimait-on alors, ce qui impliquait qu’il soit positif.
Donc la limitation imposée au
cinéma pour qu’il s’adresse à une
audience mondiale, liée à la liberté apportée par l’apparition
des chaînes payantes du câble, a
mené à la situation actuelle :
même au-delà des Etats-Unis, les
séries font preuve d’une très
grande créativité, et souvent
beaucoup plus que le cinéma.
Encore faut-il que les commanditaires laissent toute leur place
aux auteurs, ce qui ne semble
pas gagné en France…
Peut-être, mais la télévision
française s’améliore rapidement.
Les studios français ne sont pas
aussi optimistes que moi, et
pourtant, connaissez-vous un
autre pays que la France qui, aux
derniers International Emmy
Awards, ait remporté trois prix,
dont celui de la meilleure série
dramatique (« Engrenages » saison 5) ? Non ! C’est un signe très
positif. Il n’y a aucune raison pour
que les Français fassent moins
bien que les Américains !
Longtemps, en France, il n’y a eu
qu’« Engrenages ». Mais on voit
de plus en plus de bonnes séries
comme « Chefs », « Les Revenants », « Dix pour cent », « Fais
pas ci, fais pas ça ». Remarquez,
d’ailleurs, que cette dernière a
énormément gagné en qualité, au
fil des saisons.
Le travail des scénaristes français se voit à l’écran, si bien qu’ils
pourront se mesurer avec n’importe quelle série dans le monde
d’ici cinq ans ou un peu plus. Surtout s’il y a une aide à l’écriture,
ce qui est le plus important à
mon sens, et si l’on en vient au
système d’équipes chapeautées
par
un
auteur-producteur
(showrunner). Quand la télévision aura compris qu’il n’y a pas
d’autre choix, les freins français
finiront par s’émousser et les scénaristes parviendront à faire
tomber les barrières.
Vous ne croyez pas à l’auteur
isolé ou au duo de scénaristes
à la télévision ?
Non. La clé, pour la télévision
française, dans le futur, c’est la
création d’équipes d’écriture
comme on le fait aux Etats-Unis.
Le succès des séries américaines
vient de là ! Il est absolument indispensable qu’un créateur ait la
main sur l’ensemble de sa série, ce
qui suppose une équipe de scénaristes. La télévision française n’a
pas encore créé les circuits financiers pour cela, mais ça viendra,
on ne peut pas faire autrement.
L’important, dans une série,
c’est la manière de séquencer et
de rythmer les épisodes. S’ils sont
écrits par des scénaristes freelance, on ne peut rien coordonner
pour intensifier, petit à petit, le
pouvoir dramatique jusqu’à la fin
de la saison.
Quant à tout donner à écrire à
un seul auteur, en ayant le summum de la qualité et en fournissant une saison par an, c’est quasiment impossible. C’est le problème qu’a encore la télévision
française : « Les Revenants » a été
sacrée meilleure série dramatique aux International Emmy
Awards, mais il a fallu attendre
trois ans pour une deuxième saison. On ne peut entrer dans le circuit mondial comme ça ! p
propos recueillis par
martine delahaye
télévisions | 17
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DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
VOS
SOIRÉES
TÉLÉ
D IM AN CH E 10 AVR IL
TF1
20.55 Man of Steel
Film fantastique de Zack Snyder
(EU, 2013, 148 min).
23.35 Esprits criminels
Série créée par Jeff Davis
(EU, saison 4, ép. 19 et 24/26).
« The Five », série
britannique créée
par Harlan Coben
en 2016. Avec Lee
Ingleby (Slade),
Tom Cullen (Mark),
Sarah Suleman
(Pru) et O.T.
Fagbenle (Danny).
France 2
20.55 Neuilly sa mère !
Comédie de Gabriel Julien-Laferrière
(Fr., 2009, 90 min).
22.25 Faites entrer l’accusé
« Nuit tragique au moulin ».
Présenté par Frédérique Lantieri.
France 3
20.55 Les Enquêtes de Morse
Série créée par Russel Lewis
(GB, 2016, 90 min).
0.25 Les Poupées du diable
Film fantastique de Tod Browning
(USA, 1936, 75 min).
RED PRODUCTION COMPANY
Canal+
21.00 Football
33e journée de Ligue 1 :
Marseille-Bordeaux.
France 5
20.40 Les Moules,
reines des coquillages
Documentaire d’Hervé Corbière
(Fr., 2016, 90 min).
22.25 « Opération Torch »,
1942, les Alliés débarquent
Documentaire de Christophe Muel
(Fr., 2012, 52 min).
Arte
20.45 La Reine Margot
Drame de Patrice Chéreau (Fr.-Ital.All., 1993, 159 min).
23.20 Isabelle Adjani
« Deux ou trois choses qu’on ne sait
pas d’elle ». Documentaire
de Frank Dalmat et Julien Collet
(Fr., 2012, 68 min).
Tapis rouge pour les séries
La septième édition du festival Séries Mania se tiendra du 15 au 24 avril à Paris
O
bjet de la culture populaire, la série a acquis
un statut artistique à
mesure qu’elle devenait une industrie mondiale (et
non plus essentiellement américaine), et qu’elle voyait naître des
géants de l’exportation tels que la
Turquie, l’Amérique latine ou la
Corée. Elle s’invite même désormais dans les plus grands festivals
de cinéma, partout dans le monde.
Le franchissement du Rubicon
s’est produit en 2015, lorsque, pour
la première fois, les festivals de cinéma de Berlin et de Toronto
créent une section pour cette
forme de fiction au long cours.
Invitées de nouveau à la Berlinale en 2016, les séries ont donc,
dorénavant, leur siège bien installé au sein du programme cinématographique de ce festival de référence, vieux de soixante-cinq
ans. Même chose au Canada : fort
de quarante ans d’existence et de
sa proximité avec les Etats-Unis
(qui lui permet d’attirer des stars
en campagne pré-Oscars ou des
studios nord-américains), le Toronto International Film Festival
poursuivra lui aussi, en septembre, son programme « Primetime » consacré aux séries. Constatant qu’« il y a de plus en plus de
compétition entre les festivals »,
Piers Handling, son président, a
d’ailleurs annoncé au journal canadien La Presse vouloir « braquer
les projecteurs » sur les intercon-
nexions entre télévision et cinéma. En accordant de plus en
plus de place aux « drama series ».
Et il n’est pas le seul.
En Europe, le Rome Film Fest entend ainsi attirer les professionnels de séries auprès des spécialistes du cinéma habitués de son
Marché international de l’audiovisuel. Cela vaut aussi pour Rotterdam, Göteborg, Munich, Londres,
Genève ou Bruxelles. Sans oublier,
en France, les festivals qui ont intégré des séries dans leur programmation, ainsi que ceux de Paris
(Séries Mania) et Fontainebleau
(Séries Séries), qui défendent exclusivement cette forme fictionnelle depuis 2010 et 2012.
« Une course contre la montre »
Conscient de l’enjeu que représenterait pour la France un festival international des séries ayant les
moyens de devenir LA référence
avant qu’un autre pays ne s’y engage, le ministère de la culture
pourrait procéder à des annonces
en ce sens tout prochainement.
Un rapport à ce sujet a été commandé à Laurence Herszberg, directrice générale du Forum des
images à Paris (l’institution cinématographique de la Ville de Paris), qui y créa le festival Séries Mania en 2010, dont la septième saison se tiendra du 15 au 24 avril. Un
festival qui invite chaque année
professionnels et public à découvrir une cinquantaine de nouvel-
Conférences et rencontres exceptionnelles
Une cinquantaine de séries du monde entier, en avant-première, des rencontres
avec leurs créateurs, scénaristes ou acteurs, une sélection de webséries et des
conférences thématiques. Une compétition incluant des œuvres en provenance
de huit pays (Argentine, Australie, Belgique, France, Israël, Norvège, Suède et
Royaume-Uni). Une dizaine de rencontres avec, notamment, l’auteur-producteur
américain David Chase, créateur des « Soprano » (samedi 16 avril, à 18 heures) ; le
romancier américain Harlan Coben, créateur de la série « The Five » (samedi 16,
après la projection, à 20 h 30, de sa série) ; le « showrunner » et réalisateur des quatre premiers épisodes de « Marseille », nouvelle série de Netflix prévue le 5 mai
(mercredi 20 avril, après la projection des vingt premières minutes de la série, à
18 h 30). Nombre des séries présentées au Forum des images, à Paris, seront de
nouveau projetées dans deux salles de l’UGC Ciné Cité des Halles, du samedi
16 avril au dimanche 24 avril, entre 11 et 21 heures.
Séries Mania, du 15 au 24 avril, au Forum des images, à Paris. Entrée gratuite
sur présentation d’un billet à réserver sur Series-mania.fr ou à retirer sur place.
« Il faut une force
de frappe
non négligeable
pour atteindre
une dimension
véritablement
internationale »
LAURENCE HERSZBERG
directrice
du Forum des images
les créations internationales, à assister à des tables rondes et à rencontrer des auteurs-producteurs
tels que Vince Gilligan (« Breaking
Bad »), Nic Pizzolatto (« True Detective »), Matthew Weiner (« Mad
Men »), ou David Chase cette année (« Les Soprano »).
S’y ajoute cette année une compétition internationale, entre les
huit (co) productions sélectionnées venant de Belgique, de France-Espagne, d’Argentine, d’Israël,
de Suède-France, de Norvège, du
Royaume-Uni et d’Australie.
« Nous explorons chaque année de
nouveaux
territoires,
note
Mme Herszberg. Obtenir les séries
américaines en avant-première
reste compliqué, mais désormais,
les studios et les managers savent
qui nous sommes. Tout cela se
construit petit à petit. Quelqu’un
défriche pour nous l’Angleterre,
quelqu’un d’autre l’Argentine et
l’Australie, deux formidables terres
de fiction. Actuellement, nous cherchons à pénétrer des territoires intéressants mais très compliqués
comme le Japon et la Corée. Mais la
télévision n’y fonctionne pas
comme en Europe. »
Sans dévoiler les préconisations
du rapport qu’elle remettra à
Audrey Azoulay, ministre de la culture, vendredi 15 avril, Mme Herszberg met en avant l’urgence, reconnue par toute la profession, de
procéder à des arbitrages. « Cela
fait plusieurs années que j’alerte les
autorités, explique-t-elle. Nous
sommes pris dans une course con-
tre la montre. Il existe en France un
grand foisonnement de festivals
programmant des séries. Or il faut
avoir une force de frappe non négligeable pour atteindre une dimension véritablement internationale.
Pour le moment, à Berlin ou Toronto, les séries n’ont pas encore
une place très importante, mais il
faut aller très vite ! Nombre de festivals de cinéma étrangers ont une
renommée déjà faite et des budgets
autrement conséquents. Si l’on souhaite que la filière française soit
forte, il faut un grand événement
ici, en France. » Comme le cinéma,
la série pourrait alors devenir un
objet d’export.
Encore faudrait-il combler un
manque de productions patent en
France, si l’on se compare à nos
voisins, l’Angleterre produisant
deux fois plus de séries, et l’Allemagne trois fois plus… La programmation de Séries Mania en
apporte d’ailleurs une preuve, en
ayant intégré deux productions
belges et une canadienne dans la
section qui, traditionnellement,
mettait en compétition six séries
françaises entre elles. « On ne produit pas assez en France et l’étape la
plus fragile, la plus sous-financée,
concerne l’écriture, commente
Mme Herszberg. Les scénaristes
manquent d’espaces de création, il
leur faut des résidences d’écriture
ainsi que des lieux où échanger.
Mais c’est à l’échelon français et
européen en même temps qu’il faut
multiplier les initiatives pour faire
émerger des talents, des écritures,
des formations. Il faut élargir le réseau des producteurs et des diffuseurs à l’échelle européenne, si l’on
veut créer, nous aussi, un grand
marché de la série. »
Et la créatrice de Séries Mania de
se reprendre : « En fait, on ne peut
plus, on ne devrait plus parler de
“séries télévisées”. Netflix ou Amazon lancent des séries sans que ce
soit de la télévision. Les AngloSaxons
parlent
d’ailleurs
aujourd’hui de “drama series”. Il va
falloir que l’on trouve un autre
terme, nous aussi… » p
m. d.
M6
20.55 Enquête exclusive
Spécial 10 ans. Magazine présenté
par Bernard de La Villardière.
LUN D I 1 1 AVR IL
TF1
20.55 Clem
Téléfilm français d’Arnauld Mercadier
et Grégory Ecale (Fr., 2015, 115 min).
22.50 New York, unité spéciale
Série créée par Dick Wolf (EU, S14,
ép. 22 et 19/24 ; S5, ép. 25 et 23/25).
France 2
20.55 Rizzoli & Isles :
autopsie d’un meurtre
Série créée par Janet Tamaro
(EU, S5, ép. 9 et 10/18 ; S3, ép. 5/15).
23.00 Alcaline le mag
Mickey 3D.
France 3
20.55 Le Jour le plus long
Film de guerre de Ken Annakin,
Andrew Marton, Bernhard Wicki,
Gerd Oswald et Darryl F. Zanuck
(EU, 1962, 170 min).
Canal+
21.00 Section zéro
Série créée par Olivier Marchal
(Fr., S1, ép. 3 et 4/8).
22.30 Spécial investigation
« (T)erreur ». Présenté
par Stéphane Haumant.
France 5
20.45 Jeanne Poisson,
marquise de Pompadour
Téléfilm de Robin Davis
(Fr., 2006, 100 min, 2/2).
22.25 C dans l’air
Magazine présenté par Yves Calvi.
Arte
20.55 La mort vous va si bien
Comédie de Robert Zemeckis
(EU, 1992, 105 min).
22.35 La Comtesse
Drame de Julie Delpy
(EU-Fr.-All., 2009, 94 min).
M6
20.55 Top Chef
Présenté par Stéphane Rotenberg.
23.00 Top Chef, les secrets
des grands chefs
Présenté par Stéphane Rotenberg.
18 | télévisions
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Caitlyn Jenner, an 2
S É R IES
La deuxième saison de « Appelez-moi
Caitlyn », sur E !, témoigne d’un
approfondissement des sujets sociétaux
et politiques liés au transgénérisme
E!
À LA DEMANDE
SÉRIE DE TÉLÉ-RÉALITÉ
T
out le monde s’attendait
au pire avec le lancement, fin juillet 2015, de
« Appelez-moi Caitlyn »,
qui filmait la nouvelle vie de Bruce
Jenner, l’ancien champion olympique médaillé d’or de décathlon, devenu Caitlyn Jenner après une opération de réassignation de genre.
Cette crainte venait surtout du
fait que Bruce Jenner était l’un des
protagonistes d’une série de téléréalité mondialement célèbre et
abyssalement stupide, « La Famille
Kardashian », où on le voyait, au
jour le jour, filmé aux côtés de sa
femme et de ses enfants.
Mais, contre toute attente, Jenner en a fait l’objet d’une intéressante enquête dans le monde du
transgénérisme. Un monde que
lui faisaient découvrir des activistes et universitaires transgenres,
très éloignés de son milieu huppé
et privilégié. Ce qui n’empêcha pas
une forte contestation de certains
membres de la communauté
LGBT, ainsi qu’on le voit lors d’un
violent affrontement verbal au
cours de l’épisode 4 de la saison 2.
La saison 1 flirtait avec les codes
de la télé-réalité et faisait son possible pour y intégrer des célébrités,
tel le chanteur Boy George. La
deuxième, qui en est à mi-course
avec cinq épisodes déjà diffusés
par E !, semble vouloir insister encore plus sur les problèmes sociétaux et politiques liés au transgénérisme.
Au cours d’un long voyage en car
dans les Etats de l’Union, on retrouve l’universitaire Jennifer Finney Boylan, professeur à Barnard
College (New York), et Kate Bornstein, qui se définit comme
« auteure, performeuse et avocate
de la cause des adolescents, des
monstres & autres hors-la-loi ».
« Une femme normale »
Elles sont toutes deux femmes
transgenres, ont des enfants et
sont en couple avec des femmes.
Mais presque tout les sépare : leur
affrontement intellectuel constitue un axe principal de la série.
Kate Bornstein illustre l’avantgarde d’une pensée qui veut souligner la singularité intergenre, ni
homme ni femme. Elle revendique d’être un « monstre »
[« freak »], voire un « travelo »
[« trannie »], des termes considé-
Caitlyn Jenner sur le plateau de l’émission « Appelez-moi Caitlyn », en janvier. FREDERICK M. BROWN/AFP
rés comme offensants par Jennifer Boylan, qui revendique au contraire que les femmes transgenres
soient considérées comme des
femmes, sans autre qualificatif.
Jenner, qui n’a jamais eu de relation avec un homme de sa vie, dit
à Boylan ressentir le besoin d’en
fréquenter un pour « être comme
une femme normale ». Boylan lui
rétorque qu’elle n’a « pas besoin
d’un homme pour être femme » et
qu’« une femme transgenre est
une femme normale ».
On notera aussi une discussion
intéressante sur les liens conflictuels entre le milieu transgenre féminin et celui des drag-queens
d’où est issue l’une des voyageuses, Chandi Moore.
Caitly Jenner est la seule du
groupe à être favorable au Parti
républicain et à témoigner des
points de vue politiques extrêmement réactionnaires. La discussion, très animée, en arrive
presque à la scission du groupe.
Une rencontre – apparemment
fortuite, mais, on l’imagine, orchestrée – de Jenner et du couple
Clinton dans le hall d’un hôtel, à
Des Moines (Iowa), fait convenir
à Caitlyn Jenner qu’Hillary aura
été très bonne sur les questions
transgenres… Mais pour qu’elle
vote pour la candidate démocrate, il lui faudra opérer une
autre transition… p
renaud machart
Appelez-moi Caitlyn (EU, saison
1 et 2, 2015/2016).
Jean-François Zygel met en musique l’apéro
France 2 acquiert
« La Trève » et « Thirteen »
Confortée par les jolis succès
d’audience enregistrés récemment
avec les séries britannique « No
Offence » et islandaise « Trapped », la
chaîne publique continue d’étoffer
son catalogue par l’achat de fictions
étrangères européennes. Ainsi vientelle d’acquérir « La Trève » et
« Thirteen ». La première est une
série belge, qui met en scène un exflic, qui, après la mort de sa femme,
choisit, malgré tout, de reprendre
du service dans la ville de son
enfance. La seconde est une série
britannique centrée sur le
personnage d’Ivy, une jeune femme,
qui, après avoir été séquestrée
treize ans, retrouve les siens et aide
la police à mettre la main sur son
ravisseur.
Arte prend goût à l’anticipation
Après avoir diffusé, en février,
« Trepalium », la chaîne francoallemande va proposer une nouvelle
série d’anticipation en six épisodes,
intitulée « Transferts ». En cours de
tournage, ce thriller aborde la
question des dérives de la science et
la quête d’immortalité. Au casting de
cette série réalisée par Olivier
Guignard, on retrouve notamment
Arieh Worthalter, Brune Renault et
Thierry Frémont.
Canal+ adapte
« Vernon Subutex »
L’émission hebdomadaire du pianiste et compositeur sur France Inter est désormais programmée à 19 heures
FRANCE INTER
TOUS LES SAMEDIS –
19 HEURES
MAGAZINE
J
ean-François Zygel a l’air bien
seul dans le vaste studio 106
de la Maison de la radio. Tantôt devant un piano, tantôt à
une table, il enregistre sous une lumière blafarde « La Preuve par Z »,
l’émission musicale « faite à la
main et pour les oreilles » diffusée
sur France Inter. Quelques mètres
plus haut, il peut voir à travers une
vitre sa réalisatrice. Le musicien
communique avec elle quand il
n’est pas satisfait d’une prise. Et ça
arrive souvent. « J’utilise la radio
comme un instrument. J’applique
les mêmes méthodes que lorsque
j’étudie une partition. Je suis un pianiste qui travaille un morceau pour
qu’il soit le plus parfait possible »,
explique-t-il. La « courbe d’une
phrase », l’énergie de la voix, les enchaînements entre les parties
jouées et parlées, tout est répété
plusieurs fois.
Même si l’émission a débuté à la
rentrée, ce jour-là est une première. Il passe, dit-il, amusé, de
« l’heure du thé à celle de l’apéro ».
Daphné Roulier ayant mis fin à
« La vie est un je », Jean-François
Zygel reprend son horaire, entre
19 heures et 20 heures, le samedi.
Une tranche plus exposée qui lui
fait perdre une dizaine de minutes.
« Cela demande plus de travail de
montage, nous avons moins de
marge de manœuvre, on doit aller à
l’essentiel », raconte l’animateur et
créateur de « La Boîte à musique »,
diffusée chaque été sur France 2.
Des thèmes très éclectiques
Ce compositeur et pianiste improvisateur a fait de la télévision et de
la radio non un métier, mais un
moyen de diffuser son art. « Je
pense que ce sont des endroits naturels où les artistes doivent s’exprimer, un prolongement d’une vie artistique », insiste-t-il. Sur Inter,
Jean-François Zygel revisite et décrypte la musique autour d’un « fil
rouge ». Avec des extraits classiques, mais pas seulement – Queen,
Léo Ferré ou Charles Aznavour
s’invitent aussi sur les platines. Il
intervient également avec son
piano et interpelle régulièrement
avec son ton enjoué l’auditeur
dans ses explications « parlées ».
« J’essaye de trouver le bon équilibre
entre les trois, mais j’aime beaucoup les mots », confesse-t-il.
Très éclectiques, les thèmes ne
répondent à aucune logique, si ce
n’est celle de Jean-François Zygel :
« God Save the Queen » quand Elisabeth II a battu le record de longévité sur le trône de son aïeule Victoria ; « La neige » pour la fin du
printemps ; « Sortilèges russes »
samedi 9 avril ; ou encore, bientôt,
« Magie noire et magie blanche ».
« J’ai dans la tête des thèmes pour
au moins un an », s’enthousiasmet-il. De quoi rassasier les auditeurs
avant l’heure du dîner. p
joël morio
« La Preuve par Z ».
Jean-François Boyer, président de la
société de production Tetra Media, a
annoncé que le best-seller de Virginie
Despentes, Vernon Subutex (Grasset,
2015), allait être adapté pour Canal+,
sous la forme originale d’une série
comportant des épisodes de trente
minutes. L’adaptation, à laquelle
participe Virginie Despentes, a été
confiée à Cathy Verney, auteur de la
série « Hard » sur Canal+.
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
I. A beaucoup saisi et tapé, mais c’est
GRILLE N° 16 - 086
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
ini. II. Faire un bruit du tonnerre.
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
Abonnements par téléphone :
de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ;
de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
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Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
Courrier des lecteurs
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Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60
SUDOKU
N°16-086
Partir à la in. III. Le temps des
4
5
6
7
8
9
10
11
12
amours. Dans la pliure. Fait bon poids
à London. IV. Irritent la gorge et les
I
II
fosses. Antique cité. V. Traduction
scolaire. Mésopotamienne aujourd’hui en Iran. VI. Cours du Nord.
III
IV
Vous lançâtes. Note. VII. Mauvais
coup. Regardée de très près. VIII. Travaille à son avenir. Encore une fois.
V
VI
IX. Fait vinaigre. Beaucoup trop
d’innocence. X. Comme des huiles
pleines de senteurs.
VII
VIII
VERTICALEMENT
1. Pas facile à déjouer. 2. Risquent
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
d’émouvoir. 3. Se manifeste. Qui fait
X
quoi au journal. 4. Négation. Débarrassée de ses vieux bois. 5. Font souffrir dans le vestibule. 6. Bien raide et
toufue. Homme de cour et de cœur.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 085
HORIZONTALEMENT I. Haltérophile. II. Omerta. Renom. III. Ravir. Lipome.
IV. Oripeaux. Uet (tué). V. Dés. Me. Si. VI. Ay. Truste. PS. VII. Tétras. Ancra.
VIII. Européen. Ain. IX. Usine. Violet. X. Réservataire.
VERTICALEMENT 1. Horodateur. 2. Amareyeuse. 3. Lévis. Tris. 4. Trip.
Trône. 5. Etre. Râper. 6. Râ. Amuse. 7. Lues. Eva. 8. Prix. Tanit. 9. Hep.
Sen. Oa. 10. Inouï. Cali. 11. Lomé. Prier. 12. Emétisante.
7. Vaut de l’or. Lustrai les étofes.
8. Porteur de grappes. Montée
comme une belle pierre. 9. Relève. En
ville. 10. Montre le bout de la queue.
Station du Morbihan. 11. Du bleu à la
campagne. Chez les Clinton. De juin à
septembre. 12. Risquent de choquer
les oreilles chastes.
& CIVILISA TIONS
IX
N° 16
AVRIL 2016
NS
& CIVILISATIO
BATA´ILLE
DE LEPANTE
LA GRANDE
DÉFAITE
DES TURCS
L’EMPEREUR
AKBAR
Chaque mois,
un voyage à travers
le temps et les grandes
civilisations à l’origine
de notre monde
L’INDE RÊVÉE
OL
DU GRAND MOGH
SAINT MARTIN
TOUT CE QUE
LA GAULE LUI DOIT
AÇONS
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NT DE L’OMBRE
ILS SORTE
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AU SIÈCLE DES LUMIÈR
FASCINANTS
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ENTRE SCIENCE
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MARCHAND DE JOURNAUX
Présidente :
Corinne Mrejen
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L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
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0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
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Déclin ou métamorphose ?
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PHILOSOPHER
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Séverine Lèbre-Badré,
sa femme,
Lalie, Barnabé et Edmond,
ses enfants,
Colette et Jean Badré,
ses parents,
Sophie Badré,
sa sœur,
Jérôme Badré,
son frère,
Sa famille,
ont la douleur de faire part du décès,
le 5 avril 2016, de
Frédéric BADRÉ,
La cérémonie religieuse sera célébrée
le lundi 11 avril, à 15 heures, en l’église
Saint-Rémy de Vanves, suivie de
l’inhumation au cimetière de Vanves.
Ni leurs ni couronnes.
Vous pouvez adresser vos dons
à la recherche médicale.
Anne Bentéjac,
son épouse,
Alain et Marie-Paule Bentéjac,
Jean-Luc et Cathy Bentéjac,
ses ils et belles-illes,
François,
Emmanuel et Anne-Lise,
Xavier et Célia,
Corentin,
Mathilde,
ses petits-enfants et leurs compagnes,
Margaux,
son arrière-petite-ille,
Charles BENTEJAC,
survenu le 3 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
EGYPTOMANIA
Une collection pour découvrir la vie
et les mystères de l’Egypte des pharaons
Les obsèques ont été célébrées
le mercredi 6 avril, en l’église Saint-Roch
de Savignac.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Mme Gabriel Colin,
née Sabine Madelin,
son épouse,
ont la douleur de faire part du décès de
l’ingénieur général
de l’armement (2S)
Gabriel COLIN,
oficier de la Légion d’honneur,
oficier de l’ordre national du Mérite,
médaille de l’aéronautique,
Dès jeudi 7 avril, le vol. n°13
Toutânkhamon/La fête d’Opet/
La céramique/Alexandrie
survenu le 8 avril 2016, à Paris,
dans sa quatre-vingt-septième année.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mercredi 13 avril, à 10 h 30, en l’église
Saint-Jean-Baptiste-de-Grenelle, 23, place
Etienne-Pernet, à Paris 15e.
L’inhumation aura lieu le même jour,
à 15 h 30, au cimetière de Neuvilleau-Bois (Loiret).
2 LIVRES : LE JOUR J (3) : SWORD BEACH
et LA PASSE DE KASSERINE
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www.lemonde.fr/boutique
K Le Carnet du Monde
Tél. : 01-57-28-28-28
survenu le 23 mars 2016,
à l’âge de quatre-vingt-six ans.
ont la douleur d’annoncer le décès de
Christian JOIN-LAMBERT,
conseiller maître honoraire
à la Cour des comptes,
oficier de la Légion d’honneur,
Mme Hélène Mirlesse,
sa mère,
Mme Natalia Tsarkova-Mirlesse,
son épouse,
Samantha et Anastasia Mirlesse,
ses illes
Et l’ensemble de sa famille,
ont l’immense chagrin de faire part
du décès de
Etienne MIRLESSE,
survenu le 28 mars 2016, à Sion (Suisse),
à l’âge de soixante-et-un ans.
Une messe en sa mémoire aura lieu
le vendredi 29 avril, à 14 h 30, en l’église
de Saint-Etienne, d’Issy-les-Moulineaux
(France).
Cet avis tient lieu de faire-part.
décédé le mardi 5 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingts ans.
Une messe sera célébrée le mardi
12 avril, à 14 h 30, en l’église SaintMédard, 39-41, rue Daubenton, Paris 5e.
L’inhumation aura lieu dans l’intimité
familiale.
Ni fleurs ni couronnes. Dons à
l’association France Parkinson, 18, rue des
Terres au curé, Paris 13e.
Le président
de l’École Pratique des Hautes Études,
Le doyen de la section
des sciences religieuses,
Les directeurs d’études
Et les maîtres de conférences,
Les étudiants et auditeurs,
Le personnel administratif,
ont la tristesse de faire part du décès,
survenu le 4 avril 2016, de
Guy MONNOT,
Paris.
ancien titulaire de la direction d’études
« Exégèse coranique ».
Micheline,
sa sœur
et Cecil Serfaty,
Claude,
sa sœur
et Daniel Besse,
Nicole Sallé,
leurs enfants et petits-enfants,
Parents et alliés,
Ils s’associent à la douleur de la
famille.
Brest. Paris.
Jean-François et Michèle Rignault
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Suzanne LAGACHE,
ont l’extrême douleur de faire part
du décès de
survenu le 2 avril 2016.
Ses obsèques religieuses seront
célébrées dans l’intimité familiale.
Elle demeure en paix auprès de sa mère
et de son époux, au cimetière Saint-Pierre
de Marseille, sa ville natale.
Michel Lion,
son époux,
Catherine et Jérôme Handkan,
Jean-François et Jeanne Lion,
ses enfants,
Marc, Pauline, Victoire et Marguerite,
ses petits-enfants,
Gérard et Danièle Altmann,
Mme Annie LION,
née ALTMANN,
survenu le 24 mars 2016.
1, rue Huysmans,
75006 Paris.
née CUNISSE,
survenu à la Seyne-sur-Mer,
le 6 avril 2016,
à l’aube de ses quatre-vingt-quinze ans.
Les obsèques civiles seront célébrées
le mercredi 13 avril, à 10 heures,
au crématorium de La Seyne-sur-Mer
où l’on se réunira, suivies de la crémation.
Ce présent avis tient lieu de faire-part.
Jean Claude ROUCHY,
survenu le mercredi 6 avril 2016.
Jean claude Rouchy était une figure
majeure de la psychanalyse des groupes et
de la clinique des institutions qu’il a
contribué à transmettre et à promouvoir.
comédien, auteur dramatique,
survenu à Paris, le 5 avril 2016.
Un hommage lui sera rendu au
crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20e, le mardi 12 avril,
à partir de 13 heures.
La Fédération française
de l’ordre maçonnique
mixte international
Un hommage lui sera rendu le lundi
11 avril, de 17 heures à 20 heures, dans les
locaux du centre Ravel ISP, 6 avenue
Maurice-Ravel, Paris 12e.
« Le Droit Humain »
et le Grand Maître National,
Madeleine Postal,
Sophie et Guy, Amaury, Hubert Dion,
Héloïse et Maxime, Garance, Théophile
des Monstiers,
Corinne, Thomas, Romain Müllejans,
Sylvie, Jean-Paul, Franklin, Alexis,
Chloé Gilot,
organisent une conférence publique :
« Franc-maçonnerie et spiritualités »
Conférenciers :
André Comte-Sponville,
philosophe,
ont la douleur de faire part du décès
de leur mère, grand-mère et arrière-grandmère,
Bruno Pinchard,
professeur de philosophie
à l’université Jean-Moulin Lyon 3,
M Adèle SCIALOM,
me
née NACCACHE,
le samedi 16 avril 2016, à 14 heures,
9, rue Pinel, Paris 13e.
survenu le 1er avril 2016, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-seize ans
Inscription par courriel :
[email protected]
Tél. : 01 44 08 62 62.
L’inhumation a eu lieu dans la plus
stricte intimité au cimetière du
Montparnasse, Paris 14e.
Informations :
www.droithumain-france.org
Paris.
M. Christian Vernet,
son ils,
M lle Aurélia Vernet et M. Jonathan
Vernet,
ses petits-enfants,
Communications diverses
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Robert VERNET,
survenu le 8 avril 2016, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
Autour de l’exposition
Habiter le campement
L’inhumation aura lieu le mardi
12 avril, à 16 h 30, au cimetière de SaintLéger-Vauban (Yonne).
Juliette de Sousa,
sa compagne,
Daniel, Nelly,
ses enfants,
Marie-Françoise,
sa belle-ille,
Dorothée, Virginie, Agnès,
ses petites-illes,
La famille
Et ses amis,
ont le chagrin d’annoncer le décès de
Joseph WAJSBAUM,
survenu à Cacem (Portugal),
le 28 mars 2016,
dans sa quatre-vingt-dixième année.
Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité
familiale, le 29 mars, au cimetière de
Cacem (Portugal).
Anniversaire de décès
PF Leveque,
La Seyne-sur-mer,
04 94 108 800.
Images/Cité
Projection-débat en présence
de Michel Agier, anthropologue,
directeur d’études à l’EHESS
et chercheur à l’IRD,
Anita Pouchard Serra,
photographe du collectif d’architectes
« Sans plus attendre »,
Sara Prestianni, photographe,
et de Cyrille Hanappe,
architecte et ingénieur,
enseignant à l’ENSA,
jeudi 14 avril 2016, à 19 heures.
Plateforme de la création architecturale
Considérant Calais...
Documenter ce qui s’afirme à Calais,
à l’interface entre le bidonville
et la ville, par le Pôle d’exploration
des ressources urbaines (PEROU),
mardi 19 avril, à 18 h 30.
État d’urgence,
habitat d’urgence
rencontre avec des membres de l’ONG
Shelter Box, organisation internationale
de secours aux sinistrés de catastrophes,
dimanche 12 juin, à 16 heures.
Le 10 avril 1989,
Marie, Sandrine et Jérôme,
ses enfants,
Léa, Marion, Diego, Lucile, Carla, Julie
et Florian,
ses petits-enfants
Et toute la famille,
Ses obsèques seront célébrées le lundi
11 avril, au crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, Paris 20e, à 13 heures.
Les membres de Transition et de l’ARIP
déplorent la disparition de Jean Claude
Rouchy, fondateur et ancien président
des deux associations.
Entrée libre
inscription citechaillot.fr
Claire LISLE
s’endormait dans l’espérance de la
Résurrection.
Ayez une pensée ou une prière pour elle
et pour ceux qu’elle aimait.
Anniversaire
Le 9 août 1998 disparaissait
survenu le 6 avril 2016.
Roland MÉNARD,
Annick CHAUVIN.
Mame, tu aurais eu cent ans aujourd’hui
et tu es toujours dans nos cœurs.
Souvenir
Ce 11 avril 2016 est la date
anniversaire du départ de
Aron LANGBORT,
Une réunion d’hommage aura lieu lundi
11 avril, de 17 heures à 20 heures,
au CISP, 6, avenue Maurice-Ravel,
Paris 12e.
Messages et contacts :
[email protected]
ingénieur chimiste
ENSCT
(école nationale supérieure
de chimie de Toulouse).
Rappelez-vous !
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ont la tristesse de faire part du décès de
Jean Claude ROUCHY,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Conférence
ont la tristesse de faire part du décès de
Erica Ménard,
son épouse,
Diane et Jean-François Ménard,
sa belle-ille et son ils,
Cet avis tient lieu de faire-part.
Mme Simone RIGNAULT,
78, avenue Secrétan,
75019 Paris.
15, rue Alasseur,
75015 Paris.
Dès mercredi 6 avril, le n°18
survenu le 1er avril 2016, à Paris,
à l’âge de cinquante-quatre ans.
ont la tristesse de faire part du décès de
Pierre, Catherine, Jean, Marie France,
Benoît,
ses enfants,
leurs conjoints,
leurs enfants et leurs petits-enfants,
Marianne
MILLIÈS-LACROIX,
Une cérémonie aura lieu en la paroisse
Sainte-Cécile, 44, rue de l’Est, à BoulogneBillancourt, le mardi 19 avril, à 10 heures.
Marie-Thérèse Join-Lambert,
sa femme,
Nathalie et Frantz Lecarpentier,
Odile Join-Lambert et Frédéric
Pommier,
ses illes et ses gendres,
Mathieu et Michaël Pommier,
ses petits-enfants,
Eric et Bernadette Join-Lambert,
son frère et sa belle-sœur,
Tous ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
Dès mercredi 6 avril,
le volume n°5
VOLTAIRE
historienne d’art
et enseignante,
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23 79 4: 4: 4:
23 79 4: 43 58
Cet avis tient lieu de faire-part.
Hors-série
Marie-Hélène BREUIL,
La beauté de ta vie restera toujours
avec nous.
écrivain et peintre.
HORS-SÉRIE
ont la douleur immense de faire part
du décès de
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Hors-série
& CIVILISATIONS
a la tristesse de faire part du décès de
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GÉOPOLITIQUE
20 |
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Turquie-UE
Erdogan,
du bon élève au
maître chanteur
L’accord conclu à Bruxelles le 18 mars érige la Turquie en rempart
contre l’afflux de migrants et semble relancer le processus
d’adhésion à l’UE. Mais pour le président turc, au pouvoir depuis 2002,
l’Europe n’a toujours été qu’un moyen de conforter son autorité
marie jégo
istanbul - correspondante
D
avutoglu était le maître », se
souvient une journaliste
turque qui a assisté à la
phase finale des tractations
entre les chefs d’Etat de
l’Union européenne (UE) et
le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu,
sur l’accord migratoire conclu à Bruxelles le
18 mars. « Les Européens lui ont montré un
texte. Rien n’était clair. (…) Davutoglu leur a
suggéré de s’arranger entre eux, puisqu’ils
connaissaient les conditions fixées par la
Turquie. Il a regagné son hôtel en leur recommandant de l’appeler une fois l’accord trouvé.
Quarante-cinq minutes plus tard, tout était
prêt. Ils l’ont appelé et il est venu signer. » Un
récit illustrant parfaitement l’assurance
retrouvée d’une Turquie forte face à une Europe faible et divisée. Après ces négociations
qualifiées par M. Davutoglu de « marchandage de Kayseri », en référence à cette ville
anatolienne réputée pour le dynamisme de
ses commerçants, la Turquie a en effet obtenu ce qu’elle voulait : 6 milliards d’euros
pour soutenir l’accueil des migrants sur son
territoire, une exemption de visa vers
l’Europe pour ses ressortissants et la relance
du processus de son adhésion à l’UE.
De ces acquis, le dernier est sans conteste
le plus jubilatoire. Après plus de cinquante
ans de déconvenues, la Turquie a vu le vent
tourner en raison de l’incapacité des pays
européens à s’entendre sur une réponse interne à apporter à la crise migratoire. Avant
l’arrivée massive de réfugiés en Europe,
durant l’année 2015, personne à Bruxelles ne
songeait à accélérer le processus d’adhésion
de la Turquie, moribond depuis 2008. Lancées en 2005, les négociations avaient buté
sur les réticences de la France et de l’Allemagne, hostiles à l’idée de voir un pays musulman de 78 millions d’habitants venir bousculer les équilibres en Europe. Le veto de
Chypre, pays que la Turquie n’a toujours pas
reconnu, avait été le coup de grâce.
Depuis son fastueux palais d’Ankara, le
président Recep Tayyip Erdogan a pu savourer à distance la volte-face des Vingt-Huit.
N’a-t-il pas toujours dit et répété que c’est
l’Union européenne qui a besoin de la Turquie, et non l’inverse ? Les faits lui donnent
raison. Sentinelle de l’Occident au moment
de la guerre froide, la « petite Asie » redevient son rempart, contre les migrants
cette fois. Les « valeurs européennes », Etat
de droit, respect des libertés fondamentales
et des minorités, peuvent attendre… Car
Ankara est désormais en mesure de dicter
ses conditions.
Avant de quitter la capitale européenne et
l’accord en poche (il est entré en application le
4 avril), M. Davutoglu a exalté la relation
turco-européenne : « Une même destinée, des
objectifs semblables, un avenir commun ! »
Mais y croit-il seulement ? Pas vraiment, assure Bayram Balci, chercheur à Sciences Po :
« Les Turcs savent que leur rêve d’Europe n’est
pas près de se réaliser. Ils ne croient pas en la
sincérité des Européens. Mais la reprise du processus a une certaine utilité pour les deux parties. Ankara y voit un remède à l’isolement du
pays, enlisé dans plusieurs crises régionales, en
Syrie, en Irak, et aux prises avec la question
kurde. »
Les Européens n’y croient pas davantage.
« Cet accord est un jeu de dupes. Personne ne
peut réellement donner une perspective d’adhésion à la Turquie dans la période que nous
traversons », s’insurge l’ex-député européen
écologiste Daniel Cohn-Bendit. Alors pourquoi ce zèle à négocier ? L’accord a pu se faire,
parce que, poursuit-il, « les Européens ont
laissé [Angela] Merkel seule. Elle était obligée
de trouver une issue pour ralentir cet afflux
migratoire et ses partenaires lui ont dit “débrouille-toi !”. Les Hollandais, les Français critiquent l’accord, mais cela ne change rien à
leur position sur l’accueil des réfugiés ». Quant
au président turc Recep Tayyip Erdogan, « il
sait que ni les Français ni les Allemands ne
veulent vraiment l’adhésion de son pays, analyse l’ancien député européen. Il a juste besoin de ces négociations pour s’affirmer
comme une personnalité centrale, incontournable dans la région. Il renforce sa position, ce
qui affaiblit les oppositions [dans son pays] ».
« PUTAIN DU PKK »
Au pouvoir depuis 2003, d’abord en tant que
premier ministre puis, depuis 2014, comme
président, M. Erdogan est accusé de dérive
autoritaire par ses détracteurs. Trente-deux
journalistes sont actuellement en prison, des
centaines d’universitaires sont harcelés pour
avoir signé une pétition, 1 845 plaintes sont
en cours d’instruction pour « insulte au chef
de l’Etat ». Au sud-est du pays, la guerre a repris de plus belle entre les forces turques et
les rebelles armés du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, autonomiste et interdit en Turquie). C’est pourtant le moment
qu’a choisi l’UE pour lui tendre la main.
Mettre la Turquie sur les rails de la démocratie ne semble guère être une priorité de son
président. Le 25 mars, deux journalistes de
Cumhuriyet, Can Dündar et Erdem Gül,
étaient jugés pour leurs écrits au tribunal de
Caglayan, à Istanbul. Accusés d’espionnage, de
tentative de coup d’Etat et de soutien au terrorisme, ils encourent la perpétuité. La présence
à l’audience de diplomates occidentaux,
pendant les quelques heures où celle-ci était
publique, a déclenché l’ire de M. Erdogan :
« Qui êtes-vous ? Qu’aviez-vous à faire là-bas ?
La diplomatie a ses règles ! Ce n’est pas votre
pays. C’est la Turquie ! Vous pouvez vous déplacer dans le consulat et autour mais, ailleurs, il
faut une autorisation. »
Autre coup de semonce diplomatique. Le
président n’ayant pas goûté l’humour d’une
chanson moquant le « Big Boss du Bosphore », diffusée le 17 mars dans une émission satirique de la chaîne publique allemande NDR, les autorités turques n’ont pas
hésité à convoquer Martin Erdmann, ambassadeur d’Allemagne à Ankara, pour réclamer
des explications. « Je ne suis pas en guerre
contre la presse », a plus tard assuré M. Erdogan à la journaliste Christiane Amanpour sur
CNN, le 31 mars, à l’occasion de sa visite aux
Etats-Unis. Le même jour, son service d’ordre
avait molesté des journalistes désireux de
suivre son discours devant la Brookings Institution, à Washington, dont l’ancienne correspondante de The Economist en Turquie, Amberin Zaman, élégamment qualifiée par les
gardes du président de « putain du PKK ».
Une attitude et une posture très éloignées
de celles qu’affichait Recep Tayyip Erdogan
lors de son premier mandat (2003-2007). Il
était alors partisan déclaré des réformes et
d’un ancrage européen de la Turquie. A l’époque, le Parlement avait mis les bouchées doubles pour conformer le pays aux exigences
européennes : abolition de la peine de mort
et des tribunaux d’exception, rédaction d’un
nouveau code pénal… En 2004, son gouvernement islamo-conservateur avait même
pris le risque politique de soutenir le « plan
Annan » concocté par l’ONU, visant à réunifier Chypre, malgré les fortes réserves de l’armée. Lors du référendum, en avril 2004, les
Chypriotes turcs avaient dit oui à la réunification, les Chypriotes grecs s’y étaient opposés
massivement. Au final, seule la partie grecque de l’île a rejoint l’UE, laissant le Nord turc
dans son isolement.
Dès lors, l’attrait pour le projet européen n’a
cessé de décliner en Turquie. Si 73 % des Turcs
étaient favorables à l’adhésion à l’UE en 2004,
ils n’étaient plus que 53 % en 2014. Un incident
illustre le mépris dont ils se croient l’objet. Lors
de sa visite éclair à Ankara, le 25 février 2011, le
président français Nicolas Sarkozy avait été incapable de renoncer à son chewing-gum pendant ses entrevues officielles. Un détail qui a
marqué les esprits. Aujourd’hui encore, le
chewing-gum de Sarkozy est resté dans les
mémoires comme la marque d’une humiliation suprême, faisant presque passer au second plan les assertions du dirigeant français
sur une éventuelle adhésion européenne de la
Turquie. « Soit nous disons non à la Turquie et
nous l’humilions, soit nous disons oui et nous
détruisons l’Europe », avait résumé, en décembre 2006, M. Sarkozy, alors président de l’UMP
et candidat à l’élection présidentielle.
Recep Tayyip Erdogan s’est plaint auprès de
Vladimir Poutine des mauvaises manières
que lui faisaient des Européens. « Avant l’arrivée de Merkel et de Sarkozy au pouvoir, je
participais aux sommets, mais ça n’est plus le
cas. Ce sont eux qui ont saboté le processus »,
déplorait-il lors d’une visite à Moscou, le
18 juillet 2012. Six mois plus tard, il réclamait
au maître du Kremlin un siège pour son pays
dans l’Organisation de coopération de Shanghaï, un groupe sécuritaire emmené par
Moscou pour faire contrepoids à l’influence
américaine en Asie centrale. Son argument :
« Si vous nous acceptez, nous pourrons en finir
avec le processus d’intégration européenne. »
NOUVELLE DOXA
L’ÉTAT DE DROIT,
LE RESPECT
DES LIBERTÉS
FONDAMENTALES
ET DES MINORITÉS
PEUVENT
ATTENDRE…
ANKARA EST
DÉSORMAIS EN
MESURE DE DICTER
SES CONDITIONS
Mais le Recep Tayyip Erdogan du premier
mandat était-il sincèrement proeuropéen ?
En 2003, son pouvoir n’était pas illimité et il
avançait avec prudence. A l’époque, « l’armée
et l’establishment laïque sont aux aguets.
[M. Erdogan] va s’attacher à rogner leurs
prérogatives, à limiter leur pouvoir, écrivent
Nicolas Cheviron et Jean-François Pérouse
dans une biographie détaillée, intitulée Erdogan, nouveau père de la Turquie ? (Ed. François
Bourin, 440 p., 26 €). Pour parvenir à ses fins, il
dispose d’un instrument puissant : le projet
d’adhésion de la Turquie à l’UE et les réformes
démocratiques [que ce projet] suppose ».
L’attachement aux valeurs démocratiques
qu’il proclamait à cette période suscite encore
des interrogations à ce jour. N’avait-il pas confié au quotidien Milliyet le 14 juillet 1996, alors
qu’il était maire d’Istanbul, que la démocratie
« est un moyen, non une fin » ? A-t-il instrumentalisé le projet européen ? Question « insoluble », selon les auteurs.
Au cours de son troisième mandat (20112014), c’est un tout autre Recep Tayyip Erdogan qui se dessine. Soucieux d’imprimer sa
marque sur le pays, à l’instar d’Atatürk, le fondateur de la République laïque tournée vers
l’Occident, mais dans une volonté de renverser l’ordre établi. Selon sa nouvelle doxa, la
Turquie n’a jamais été le partenaire naturel
de l’Occident. La décision des pères fondateurs, soucieux d’ancrer le pays à l’Ouest,
était mauvaise car elle a coupé les Turcs de
leur héritage ottoman et de leurs racines islamiques. Le pays doit, au plus vite, retrouver
son rôle de chef de file du monde musulman.
Les « printemps arabes » qui se succèdent
en 2011 apparaissent alors comme l’occasion
géopolitique | 21
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
L’armée évoque
un coup d’Etat
pour le démentir
Recep Tayyip
Erdogan,
candidat
à l’élection
présidentielle,
regarde
à travers la vitre
de son bus
de campagne.
Il sera élu dès
le premier tour,
le 10 août 2014.
SAMUEL ARANDA/PANOS
Le 5 avril,
le président turc
s’adresse
à des avocats
au palais
présidentiel,
à Ankara.
AFP/TURKISH
PRESIDENTIAL PRESS
OFFICE/KAYHAN OZER
rêvée de mettre en pratique cette nouvelle
doctrine. Le gouvernement islamo-conservateur turc pouvait espérer qu’avec la chute des
dictateurs arabes en Tunisie, en Egypte et en
Libye, voire peut-être bientôt en Syrie, tout le
bassin de la Méditerranée orientale allait se retrouver sous l’influence des Frères musulmans, dont les vues politiques correspondent
à celles de M. Erdogan. Ne possède-t-il pas, posée sur son bureau, une sculpture de la « Rabia », cette main au pouce replié vers la paume
et aux quatre doigts dressés, signe de ralliement à la confrérie musulmane, lors du coup
d’Etat de l’armée égyptienne contre le président islamiste Mohamed Morsi, à l’été 2013 ?
Mais la chute de Morsi marque l’écroulement de ce rêve panislamique et le pari d’Erdogan tourne au cauchemar. La théorie du « zéro
problème avec les voisins », élaborée au milieu des années 2000 par Ahmet Davutoglu,
s’enlise bientôt dans les sables mouvants des
conflits arabes succédant au « printemps » qui
n’a pas tenu ses promesses. Le paysage diplomatique est mitigé, pour ne pas dire sombre :
les relations de la Turquie sont mauvaises avec
l’Egypte, froides avec l’Irak, tendues avec l’Iran,
promises à un rabibochage avec Israël et très
dégradées avec la Russie… La destruction d’un
avion de chasse russe par des F-16 turcs, le
24 novembre 2015, va même provoquer une
brouille sérieuse avec Moscou. Depuis l’intervention armée de Vladimir Poutine aux côtés
de Bachar Al-Assad en Syrie, les incidents se
sont multipliés. Avec l’installation, par Moscou, d’un système de défense antiaérien dans
le nord de la Syrie, l’aviation turque se retrouve paralysée. Seule l’artillerie peut encore pilonner depuis la frontière des combattants kurdes syriens devenus, eux aussi,
des « ennemis » de la Turquie.
« L’IMAM BECKENBAUER »
Dans ce contexte d’isolement, le blanc-seing
accordé par l’UE ne pouvait pas mieux tomber pour Erdogan. Il peut désormais se consacrer à ses obsessions autocratiques et mégalomaniaques. L’ancien gamin du quartier populaire de Kasimpasa, à Istanbul, celui que
ses camarades de jeunesse surnommaient
« l’imam Beckenbauer » parce qu’il était à la
fois le plus religieux et le meilleur joueur de
football d’entre eux, se sent investi d’une
nouvelle « mission ». Il l’a fait savoir en toute
modestie : « Si je m’en vais, l’Etat périclite. »
Son installation dans un palais de
200 000 mètres carrés à Ankara au coût faramineux de 491 millions d’euros, peu après
son élection comme président en 2014, a visiblement accéléré sa perte de contact avec la
réalité. Oublié « l’imam Beckenbauer » : sa
L’INSTALLATION
D’ERDOGAN DANS
UN PALAIS
DE 200 000 MÈTRES
CARRÉS, PEU
APRÈS SON
ÉLECTION EN 2014,
A ACCÉLÉRÉ SA
PERTE DE CONTACT
AVEC LA RÉALITÉ
folie des grandeurs lui vaut le nouveau surnom de « sultan ». Ses discours sont plus
idéologiques, mêlant la rhétorique populiste,
religieuse et nationaliste. « Que dit le commandement ? Que Dieu nous suffit et qu’il est
le meilleur juge. Sans lui, nous n’aurions jamais pu affronter l’armée de Byzance (…) ni
créer le plus puissant des Etats et le garder en
vie pendant 600 ans », déclame-t-il le 6 janvier devant des centaines de maires de petits
villages réunis dans son palais d’inspiration
« néo-seldjoukide ».
L’homme aime à s’approprier l’Histoire.
Dans son imaginaire, 2023 sera une annéeclé. A cette date, sera célébré le centième anniversaire de la République turque. En profitera-t-il pour la remplacer par la « République d’Erdogan » ? Le culte de la personnalité
s’installe. « Voici le verre utilisé par notre
président pour boire de l’eau pendant son
discours », écrivait récemment l’un de ses
jeunes admirateurs sur son compte Twitter,
photo à l’appui. Un autre de ses zélotes,
Abdurrahman Dilipak, éditorialiste du quotidien pro-gouvernemental Yeni Akit, réclame pour sa part un retour au califat,
comme durant le règne du sultan Abdulhamid II (1876-1909) qui le réinstaura dans
toute sa grandeur… avant d’être déposé par
les Jeunes Turcs. p
la guerre dans le sud-est de la Turquie
contre les rebelles du Parti des travailleurs
du Kurdistan (PKK, indépendantiste), conjuguée à l’avancée des milices kurdes du
nord de la Syrie, a redonné à l’armée turque son rôle de premier plan, celui de
gardienne de l’unité. La ligne adoptée par
le président Recep Tayyip Erdogan – « Il n’y
a plus rien à négocier avec le PKK » – n’est
pas pour lui déplaire, tout comme la rhétorique nationaliste en vigueur dans les
rangs du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), au
pouvoir depuis 2002.
Pour autant, l’institution ne veut plus se
mêler de politique. Il n’y aura pas de coup
d’Etat, dit un communiqué publié sur son
site le 31 mars. Cette déclaration, du
jamais-vu, visait à couper court aux rumeurs « sans fondement » apparues dans
« certains médias » persuadés de l’imminence d’un putsch. Quels médias ?
Quelles rumeurs ? Aucune précision n’est
donnée. Soulignant l’« impact négatif » de
telles allégations sur « le moral » des
soldats, les généraux promettent de poursuivre en justice tous les amateurs de
scénarios de fiction.
Dépositaire de l’héritage de Mustafa
Kemal Atatürk, fondateur de la République turque, laïque et unitaire, en 1923,
l’armée a longtemps pesé sur la vie politique du pays, avec trois putschs à son actif,
en 1960, 1971 et 1980, ainsi que le renversement en douceur d’un gouvernement
dominé par les islamistes en 1997. Mais,
depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, les
généraux ne tirent plus les ficelles.
Le président est seul maître à bord, a insisté M. Erdogan lors de sa dernière visite à
l’Académie militaire d’Istanbul, le 28 mars :
« Je ne cesse de répéter que nous sommes
une nation, un drapeau, un pays, un Etat.
Aujourd’hui, j’ajoute : une armée unique, un
commandant unique. » En 2015 à la même
époque, les officiers de l’Académie avaient
eu droit à un tout autre discours. Un mea
culpa du président, chagriné par les persécutions endurées par les militaires, à
l’époque où l’armée et l’islam politique ne
faisaient pas bon ménage.
Règlements de comptes
Car fut un temps, de 2003 à 2013, où les
comptes se réglaient au tribunal. A l’issue
de grands procès très médiatisés (affaires
Ergenekon et Balyoz), des centaines d’officiers, accusés de complot contre l’AKP, furent condamnés à de lourdes peines de
prison. Tout ça pour rien, déplorait le président turc le 20 mars 2015. « Moi et le pays
tout entier avons été bernés. Ces opérations
nous ont déçus, confiait-il alors aux officiers de l’Académie. Toute cette affaire
n’était qu’un complot orchestré par une
organisation avide de mettre la main sur la
Turquie grâce à ses réseaux au sein d’institutions étatiques et des médias. »
Cette « organisation » est la confrérie de
l’imam Fethullah Gülen, devenue la bête
noire de l’AKP après avoir été sa meilleure
alliée, notamment au moment des grands
procès. Rien ne va plus désormais avec les
fethullahci (adeptes de M. Gülen), accusés
à leur tour de complot. Leurs journaux ont
été saisis, leur banque confisquée, leurs
écoles fermées et des centaines d’entre
eux ont été emprisonnés.
La confrérie avait commis la faute, en décembre 2013, de révéler un scandale de
corruption embarrassant pour le gouvernement et pour l’entourage présidentiel.
Blessé par cette trahison, M. Erdogan s’est
depuis rapproché de l’armée.
Perçue par beaucoup comme un signe
de maturité, la volonté qu’avait eue le
président d’écarter l’armée du pouvoir
n’avait pas apporté la transparence espérée. L’opinion publique est restée sur sa
faim et les questions qu’elle se posait sur
les contours de « l’Etat profond » – l’alliance informelle de l’armée, des politiciens et
de la mafia – ou sur les assassinats politiques et les disparitions sont restées sans
réponse.
Les procès des militaires ont finalement
tourné aux règlements de comptes. Les
magistrats se sont acharnés sans preuves
convaincantes, les instructions ont été bâclées. Fin 2013, alors que la relation dégénérait avec Fethullah Gülen, le président a
ouvert la voie à une révision. Plus de deux
cents officiers ont ainsi été libérés, tandis
que les magistrats qui avaient instruit
leurs dossiers, des fethullahci convaincus
pour la plupart, se retrouvaient, à leur
tour, en position d’accusés. p
m. jé. (istanbul, correspondante)
22 | géopolitique
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Haut-Karabakh :
le réveil d’un conflit « gelé »
Le Haut-Karabakh, théâtre
d'un conflit territorial...
EN AVRIL 2016, LES PIRES
AFFRONTEMENTS...
Moscou a imposé le 5 avril un cessez-le-feu fragile dans cette
République séparatiste contrôlée par l’Arménie en Azerbaïdjan,
scène des combats les plus violents depuis 1994
Zone de combat
Combat très violent
Point de tension
... DEPUIS LE CESSEZ-LE-FEU DE 1994
Limite de la région du Haut-Karabakh
avant 1991
C
Entre le 2 et le 5 avril,
l’Azerbaïdjan annonce avoir
perdu 31 soldats et 2 civils ;
les indépendantistes
32 combattants et 5 civils.
H
DISTRICT
DE CHAHOUMIAN
Ligne de cessez-le-feu
Zone militarisée
Autre ligne de front
A
Î
... entre l’Arménie
et l’Azerbaïdjan...
N
Chahoumian
E
Talish
Barda
Tartar
D
UN TERRITOIRE CONTRÔLÉ
PAR LES ARMÉNIENS
Madagi
U
Lac Sevan
Partie du Haut-Karabakh contrôlée
par les indépendantistes, peuplée
d’Arméniens
Seyssoulan
P
Martakert
E
Erevan
T
AGDAM
I
AZERBAÏDJAN
T
Vardenis
Route en
cours de finition
C
KELBADJAR
Route stratégique (financée par la
diaspora arménienne) reliant
l’Arménie au Haut-Karabakh et à l’Iran
AGDAM
A
U
Agdam
E
Corridor de Latchine, « cordon
ombilical » entre Arménie et
Haut-Karabakh
a
ors
ARMÉNIE
S
d
te
A
u
Ro
C
Districts azerbaïdjanais, hors HautKarabakh, sous contrôle de l’Arménie
le
« Route
Ville principale
et « capitale »
LATCHINE
de l
a
vie
»
C
Eghegnadzor
ENCLAVÉ GÉOGRAPHIQUEMENT,
ET MILITAIREMENT L’AZERBAÏDJAN
Martouni
Stepanakert
TURQUIE
cas
e
Zone de très haute montagne
Territoire du Haut-Karabakh resté sous
contrôle de l’Azerbaïdjan,
devenu no man’s land
HAUT-KARABAKH
Latchine
au
Fizouli
25 km
Ancien district de Chahoumian
(Haut-Karabakh) sous contrôle de
l’Azerbaïdjan
Goris
FIZOULI
Route bloquée
Aéroport dont le fonctionnement est
empêché par l’Azerbaïdjan
KOUTBALY
IRAN
NAKHITCHEVAN
(AZERBAÏDJAN)
DJEBRAÏL
... dans une région stratégique
SUR LA ROUTE DES HYDROCARBURES
Kafan
Oléoduc
Hydrocarbure
Beneniyar
AUX MARGES DU PRÉ CARRÉ RUSSE
ZANGUELAN
X Allié de l’Arménie
Base militaire russe en Arménie
L
e Haut-Karabakh est le théâtre de
l’un de ces conflits dits « gelés », hérités de l’effondrement de l’URSS et
qui permettent aux autorités russes de
continuer à peser sur ce qu’elles considèrent comme leur « étranger proche ». Des
affrontements violents ont de nouveau
éclaté, samedi 2 avril, entre forces azerbaïdjanaises et arméniennes. La question
de cette enclave séparatiste contrôlée par
l’Arménie sur le territoire de l’Azerbaïdjan, non résolue depuis vingt-huit ans,
menace aujourd’hui de déstabiliser le
Caucase du Sud.
Le cessez-le-feu imposé le 5 avril par la
Russie reste en effet fragile. « Le dégel de ce
conflit gelé risque d’en entraîner d’autres
dans la région », s’inquiète-t-on à Paris, en
faisant allusion notamment à l’Ossétie du
Sud et à l’Abkhazie, deux républiques séparatistes de la Géorgie, créées avec le
soutien russe. La France, les Etats-Unis et
la Russie coprésident depuis 1992 le
Groupe de Minsk, instauré par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe pour tenter de résoudre ce conflit.
Rattachement contesté
La population de ce haut plateau, en majorité arménienne (94 %), a toujours contesté
son rattachement à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, décidé
en 1921 par Staline, alors commissaire aux
nationalités. Dès 1988, le Parlement de
l’enclave réclame son rattachement à l’Arménie. Mais le gouvernement refuse, entraînant une vague de violences contre la
population arménienne dans plusieurs
villes azerbaïdjanaises, dont la capitale,
Bakou. Toujours hantée par la mémoire
du génocide des Arméniens perpétré par
l’Empire ottoman pendant la première
guerre mondiale, cette communauté
craint d’être anéantie dans un Azerbaïdjan
à dominante turcophone et musulmane.
En septembre 1991, le Haut-Karabakh
proclame son indépendance, prend les
armes avec le soutien d’Erevan et parvient à créer une continuité territoriale
Territoire sécessionniste géorgien
reconnu par la Russie
RUSSIE : ALLIÉE TRADITIONNELLE
DE L’ARMÉNIE
IRAN
avec l’Arménie en s’emparant du corridor
de Latchine et de sept autres districts,
peuplés en majorité d’Azéris, soit quelque
13 % du territoire de l’Azerbaïdjan. Entre
1988 et le cessez-le-feu de mai 1994, cette
guerre a fait plus de trente mille morts et
des centaines de milliers de réfugiés, azéris pour la plupart.
Depuis, des incidents armés éclatent régulièrement, mais ils n’ont jamais été
aussi intenses qu’en ce début avril. L’armée azerbaïdjanaise est intervenue massivement sans obtenir pour autant des résultats significatifs sur le terrain. Ce nouvel embrasement risque d’avoir des répercussions régionales dans un contexte
où la Turquie et la Russie sont déjà à couteaux tirés sur le dossier syrien. Grands
alliés du régime azerbaïdjanais dirigé par
Ilham Aliev, le président islamo-conservateur turc, Recep Tayyip Erdogan, et son
premier ministre, Ahmet Davutoglu, ont
multiplié les déclarations martiales. La
Turquie, a menacé M. Davutoglu, est
prête à aller « jusqu’à l’apocalypse » pour
soutenir ses « frères » azerbaïdjanais.
Vladimir Poutine s’est jusqu’ici gardé de
répondre sur le même ton. Il s’est efforcé
d’imposer un cessez-le-feu en pesant de
toute son influence sur l’Arménie, où
Moscou dispose de deux bases militaires,
mais aussi sur l’Azerbaïdjan qui reste un
client important de son industrie d’armement. Pour l’expert en questions stratégiques et fin connaisseur du Caucase Gérard Chaliand, « les Russes ont montré
qu’ils restent plus que jamais les patrons et
les arbitres dans la région ». p
marc semo
carte : flavie holzinger
et véronique malécot
MARQUÉE PAR UNE HISTOIRE
BELLIQUEUSE ENTRE L’ARMÉNIE
ET LA TURQUIE
X Soutien à l’Azerbaïdjan
Elle entretient néanmoins de bonnes
relations avec l’Azebaïdjan et entend
conserver un rôle d’arbitre dans
le Caucase du Sud. Le conflit
du Haut-Karabakh est une réminiscence
de l’ère soviétique. Cette enclave,
peuplée marjoritairement d’Arméniens,
a été rattachée à la République
socialiste soviétique d’Azerbaïdjan,
par Moscou, en 1921.
Abkhazie
C H
A Î
N E
D U
G R
A N
D
Ossétie du Sud
Mer
Noire
GÉORGIE
Frontière fermée
Mer
Caspienne
C A
U C
A S
E
Tbilissi
P E
T I
T
Gumri
Kars
C A
U
C
ARMÉNIE
Erevan
Abovian
Erzurum
TURQUIE : SOUTIEN INCONDITIONNEL
DE L’AZERBAÏDJAN
A
S
AZERBAÏDJAN
E
Bakou
HAUTKARABAKH
AZER.
Si le Haut-Karabakh reste un problème
important entre la Turquie et l’Arménie,
le principal point d’achoppement reste
le contentieux lié au génocide des Arméniens
de 1915, commis par l’Empire ottoman,
que la Turquie refuse de reconnaître.
IRAN : FRONTIÈRE STRATÉGIQUE
100 km
Le pays exerce un rôle majeur dans
la région. Il contrôle la seule frontière
terrestre véritablement ouverte
de l’Arménie, pays enclavé.
Il permet aussi les connexions entre
le Nakhitchevan et le reste
de l’Azerbaïdjan.
SOURCES : J. RADVANYI, N. BEROUTCHACHVILI, ATLAS GÉOPOLITIQUE DU CAUCASE, AUTREMENT, 2009 ;
G.-F. DUMONT, « HAUT-KARABAKH : GÉOPOLITIQUE D'UN CONFLIT SANS FIN », GÉOPOLITIQUES, HAL-SHS, 2013 ; EIA ; AFP ; LE MONDE
géopolitique | 23
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Jean-Marie
Guéhenno
« L’Etat islamique
et Al-Qaida
ne seront pas
vaincus
de l’extérieur »
Le président du think tank International
Crisis Group souligne les limites
d’une guerre globale contre le djihadisme
qui ignorerait la diversité des situations
locales, de l’Europe au Proche-Orient
ENTRETIEN
propos recueillis par
cécile hennion et madjid zerrouky
D
iplomate français, Jean-Marie Guéhenno est aujourd’hui président-directeur général de l’International Crisis Group (ICG). Entre 2000
et 2008, il a été secrétaire
général adjoint au département des opérations de maintien de la paix des Nations
unies, puis, en 2012, adjoint de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue
arabe pour la Syrie.
L’armée syrienne a repris Palmyre
à l’organisation Etat islamique (EI)
le 27 mars, et la pression militaire
s’accroît côté irakien. Une reconquête
militaire est-elle en vue ?
Pour pouvoir parler de victoire, il faudrait
que la question du « ensuite, qui ? » soit réglée. On ne peut que se réjouir que Palmyre
ne soit plus sous la coupe de l’EI. Mais après ?
Est-ce que l’Etat syrien va administrer cette
ville, alors même qu’il a été un facteur clé du
développement de l’EI ?
Le problème est le même en Irak : qui va gérer les villes « libérées » ? Certes, il y a des élites
sunnites réfugiées à Bagdad. Le gouvernement irakien affirme que celles-ci prendront
les commandes, que de l’argent sera investi
pour rebâtir les villes et qu’un nouvel ordre politique positif sera alors établi. Ce calcul ignore
une autre dimension de ces conflits que l’on
retrouve en Europe : la persistance d’une fracture immense entre la jeunesse et les élites. Les
jeunes considèrent – pas toujours à tort – ces
élites comme corrompues. Pour eux, ce sont
des gens vivant à l’abri, à Bagdad, en train de
faire des affaires, tandis qu’eux souffrent.
L’idée que ces élites vont s’acheter une légitimité avec l’argent de l’étranger dans ces villes reconquises est douteuse. Elle est même
porteuse d’un risque de voir émerger une
« cinquième vague » de violence, parce que
les questions de la représentativité et de la
THE BROOKINGS INSTITUTION
passerelle entre ces jeunes qui veulent une
vie digne et un travail et ces élites n’auront
pas été réglées.
L’Etat islamique ou Al-Qaida ne seront pas
vaincus de l’extérieur. L’extérieur peut apporter une aide, mais le cœur du sujet, c’est la
construction politique dans les pays où ils
sont implantés. C’est une chose qu’il faut dire
avec des nuances, il ne s’agit pas d’adopter
une posture isolationniste, du genre « qu’ils se
débrouillent entre eux », qui serait mauvaise.
La bonne réponse, c’est la modestie : reconnaître qu’à la fin des fins ce sont les dynamiques politiques qui peuvent créer de la
stabilité dans ces pays – ou pas. Et que, par
nos actions, nous pouvons contribuer à cette
stabilité ou, au contraire, approfondir le
chaos existant. Or, l’EI se nourrit de ce chaos,
il lui faut la guerre pour prospérer. Il faut
également tenir compte de notre responsabilité dans la situation actuelle, notamment
parce que le Moyen-Orient d’aujourd’hui,
nous l’avons en partie façonné. Faire preuve
d’arrogance néocoloniale ne marchera pas.
Les raisons qui poussent un Français ou un
Belge à rejoindre l’Etat islamique sont profondément différentes de celles d’un Yéménite ralliant Al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA) ou de celles de Syriens et d’Irakiens s’engageant dans les rangs de l’EI. C’est
rendre service à l’adversaire que de lui prêter
une unité qu’il ne possède pas. La tendance
actuelle consiste aussi à considérer les crises
du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et ce
qui se passe en Europe, les jeunes qui partent
faire le djihad en Syrie ou ailleurs, comme un
théâtre global. C’est là une erreur stratégique. L’idée de régler le terrorisme en Europe
en « écrabouillant » l’EI en Syrie ou en Libye
est une idée fausse. C’est même plutôt une
sorte de diversion…
Vous évoquez le risque d’une « cinquième
vague » de violence. Quelles sont
les précédentes ?
En examinant les origines de ces mouvements terroristes, on constate plusieurs vagues : la première suit la guerre d’Afghanistan
(avec le retour des combattants arabes, en Algérie par exemple). La deuxième, « la vague AlQaida », a culminé avec les attentats du 11-Septembre. La réponse américaine, l’invasion de
l’Irak en 2003, a contribué à la troisième vague
qui, elle-même, a préparé la quatrième. D’une
certaine manière, l’Etat islamique est l’enfant
adultérin d’une débaassification mal pensée
de Paul Bremer [gouverneur de l’Irak sous occupation américaine de mai 2003 à juin 2004] et
du comportement des milices chiites de l’expremier ministre irakien Nouri Al-Maliki. C’est
cette combinaison qui a généré l’EI en Irak.
Ce qui est très dangereux, c’est non seulement que chacune de ces vagues est plus vio-
« Untitled 5 » (2011),
de Khalil Younes, 30 x 40 cm,
encre sur papier, 2011.
Khalil Younes
« Rouge brandi/Corps
armés/Les tueurs sont tous
les mêmes/Des corps sans
visage. » C’est ainsi que le
cinéaste, illustrateur et
vidéaste Khalil Younes
légende son dessin.
Issu de la série
« Revolution 2011 »,
il a été réalisé au début
de la révolution syrienne.
Né à Damas, Khalil Younes
a émigré en 1998
aux Etats-Unis, où il a suivi
des études de cinéma
au Columbia College
Chicago et au
Massachusetts College
of Art and Design,
à Boston. Son travail est
régulièrement présenté en
Europe et aux Etats-Unis.
lente que la précédente, mais aussi que la dernière arrivée n’élimine pas les précédentes…
On parle beaucoup de l’Etat islamique, mais
Al-Qaida est bien vivante. Elle est active au Yémen. Elle est derrière la plupart des attentats
commis en Afrique. Pour y remédier, il faut
réfléchir aux conditions politiques qui ont
créé ces vagues et apprendre de nos erreurs.
Cette « quatrième vague », caractérisée
par une emprise territoriale de l’EI,
semble inédite par rapport à la stratégie
d’Al-Qaida…
Al-Qaida occupe et gère une ville au Yémen
[Al-Mukalla], mais la vision prônée par l’EI
d’un califat avec une assise territoriale constitue en effet la différence la plus marquée entre
les deux groupes. Cette vision porte d’ailleurs
en elle les germes de la fragilité de l’EI. C’est
d’abord un projet fondé sur le retour à des
sources imaginaires, relevant plus de la mythologie que de la réalité. Ensuite, [l’emprise
territoriale] implique une administration.
Or, dès que l’EI commence à administrer, il
crée d’énormes frustrations. Certains aspects
lui apportent un soutien temporaire : vivre
dans une zone contrôlée par l’EI, c’est vivre
dans une paix, fondée sur la terreur certes,
mais qui n’est plus l’anarchie de la guerre. C’est
un endroit où la vie quotidienne peut se réorganiser. Mais la Syrie est un pays éduqué, où le
taux d’alphabétisation est important, bien supérieur à celui de l’Egypte par exemple. Ce
taux est presque aussi élevé chez les garçons
que les filles. La probabilité pour qu’une masse
de Syriens soutienne un système qui met les
femmes dans une situation d’infériorité totale
et qui rejette l’Occident me paraît faible.
Sur le plan militaire, beaucoup de combattants ont rejoint l’EI parce qu’il était plus efficace et mieux organisé. Des anciens officiers
irakiens y étaient actifs, ce qui explique les
succès initiaux. Ils ont choisi l’EI par opportunisme, pas après avoir lu un programme
politique.
En quoi l’EI est-il mieux organisé que
les autres groupes rebelles syriens ou
que le Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaida ?
Il est difficile de répondre à cette question,
car il ne s’agit pas d’une scène statique. Les individus passent d’un groupe à l’autre et les alliances stratégiques varient. La qualité de l’organisation se jauge aussi selon le contexte.
Quand vous êtes en guerre, ce qui compte,
c’est la capacité à manier une kalachnikov.
Quand la guerre s’arrête, les priorités changent : l’organisation du ramassage des ordures, le fonctionnement d’une école ou d’un
dispensaire deviennent des questions plus
importantes. L’arrêt des combats – outre qu’il
améliore le sort des populations – contribue à
l’évolution des dynamiques politiques. Un
groupe comme Al-Nosra, qui tire sa vigueur de
ses capacités militaires, s’est trouvé soudain
menacé lors de la récente cessation des hostilités en Syrie et des manifestations de la population qui ont suivi.
Quelle rivalité oppose les djihadistes
sur le terrain ? L’OPA de l’Etat islamique
a-t-elle réussi ?
Pas encore, non. Mais il faudrait raisonner
ville par ville, groupe par groupe. On s’imagine
à tort que tout est structuré avec des chefs, des
sous-chefs et que des bataillons passent d’une
organisation à l’autre avec armes et bagages.
C’est beaucoup plus complexe. Les rivalités
vont se poursuivre et évoluer. Après l’EI, viendra peut-être autre chose… Encore une fois, ce
sont les conditions politiques à l’origine du développement de ces structures qui importent.
Est-il possible de voir ces conditions
politiques changer en Syrie,
avec Bachar Al-Assad au pouvoir ?
Probablement non. Mais je crois qu’il n’est
guère réaliste d’imaginer que le départ d’Assad
sera le résultat de négociations. Si les Russes
réalisent – ce qui n’est pas certain – qu’ils sont
dans une situation dont ils ne pourront se dépêtrer tant qu’Assad reste, alors là, il peut y
avoir une surprise. Un coup d’Etat, ou autre
chose… Le scénario est plus probable qu’une
négociation pour une raison simple : l’un des
problèmes qu’engendrerait le départ d’Assad
est que, dans le régime syrien, tous les fils remontent à lui. Si vous enlevez la clé de voûte,
la voûte s’effondre. A moins d’en avoir une
autre, déjà prête.
Les Russes comptent les meilleurs spécialistes du Moyen-Orient. Ils sont tout à fait
compétents. Ils ont pu constater les limites
du régime, ils savent parfaitement que l’idée
d’une reconquête complète par le régime ne
se produira pas.
Les gens n’arrêteront de se tirer dessus qu’à
condition de recevoir certaines garanties
pour leurs communautés. Sans cela, ils savent qu’ils iront à la boucherie. C’est une
question de survie. Reste l’épineuse question
de savoir s’il peut y avoir une force tierce qui
puisse venir en garant. Mais je ne vois guère
qui pourraient être les volontaires, ni quels
contributeurs traditionnels de l’ONU en
auraient les capacités.
Pour créer les conditions d’une reconstitution progressive de la Syrie, la présence d’une
force tierce va être indispensable, car le risque de massacres est réel. Malheureusement,
je pense qu’il n’y aura pas de solution rapide.
C’est, malgré tout, un des éléments de réponse à l’EI. Car son existence se nourrit de
rivalités régionales et de guerre. Son ultraviolence et la radicalisation terroriste interviennent relativement tard dans son jeu. p
24 |
DÉBATS & ANALYSES
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Les « Panama papers » ont provoqué un séisme qui ébranle
les planètes politique et financière. Vont-ils marquer le début
d’une nouvelle ère de probité ou l’émotion va-t-elle retomber ?
Un monde sans fraude est-il possible ?
La cérémonie des « papers »
ne fait que commencer
Rions de ces tristes sires qui
prennent l’argent trop au sérieux
D’autres révélations suivront
l’ouverture de cette gigantesque
boîte de Pandore.
Car la défiance citoyenne
est désormais immense
Ces scandales ne suscitent
plus qu’un bref émoi
dans une opinion publique
blasée qui considère ces dérives
comme un mal nécessaire
Par WILLIAM BOURDON
D
égoût, nausée, alors que les répliques
du séisme provoqué par les « Panama
papers » n’en sont qu’à leurs prologues.
Cette révélation est en forme de trompe-l’œil
tant les bénéficiaires de ce système d’opacification des flux d’argent illicites ont été aussi parfois les responsables publics. Ils n’ont pas su,
voulu, mettre un terme à un siphonnage des ressources publiques, alors qu’ils demandent tant
de sacrifices à ceux qui se sont si paupérisés
qu’ils en sont d’autant plus sidérés.
Sombre ironie, les principaux bénéficaires
sont bien souvent ceux-là mêmes qui instrumentalisent la lutte contre la corruption pour
se procurer à peu de frais les habits de la vertu.
Pensons aux dirigeants du Front national, qui
braconnent dans les champs de la colère et du
désenchantement pour dénoncer le manque
d’intégrité de nos représentants politiques
alors qu’en leur sein, on le savait déjà par
d’autres scandales financiers, se trouvent des
bénéficiaires de cet incroyable trou noir de la
planète finance.
Les braconniers sont devenus gibier ; ils sont
aussi les fossoyeurs de la probité publique. Ainsi,
tant de dirigeants en Afrique, en Asie, et au premier chef les dirigeants chinois, qui ont fait essentiellement de la lutte contre la corruption un
moyen d’éradiquer leurs opposants.
Le paradoxe est de constater que ceux qui sont
en responsabilité, dont on attendait une défense
de l’intérêt général, n’ont pas répondu à cette aspiration mais l’ont détournée pour mieux se
constituer des retraites dorées, mus par une
seule religion : celle de la cupidité qui suppose
d’organiser son irresponsabilité juridique. C’est
l’universalisation d’une gigantesque défiance
des citoyens du monde entier vis-à-vis de ceux
qui devraient défendre l’intérêt général, alors
qu’il n’a jamais été autant menacé par la financiarisation souterraine de l’économie qui a conduit à tant de pertes de souveraineté. Les citoyens savent que leur pouvoir d’achat, lors de la
grande crise systémique de 2007 et 2008, a été
frappé de plein fouet du fait de cette duplicité de
tant d’acteurs publics et privés.
En contrepoint de ce gigantesque scandale : un
mouvement citoyen éparpillé et protéiforme
qui tâtonne place de la République et ailleurs. Il
nous rappelle, et c’est essentiel, que sans cette
exigence citoyenne, les masques ne seraient jamais tombés et les Etats, jamais contraints à agir.
De ce point de vue, le projet de loi Sapin II est
un pas trop timide, car la protection des lanceurs
d’alerte n’a de sens que si elle s’étend évidemment à la fraude fiscale. Cette omission, comme
le refus de faire sauter le verrou de Bercy, c’est-àdire de permettre aux associations de déclencher des poursuites pour fraude fiscale ou au
parquet de le faire d’office, continueront à entretenir le soupçon sur la volonté de l’Etat de rester
dans la culture de l’arrangement.
UNE IMMUNITÉ POUR LES LANCEURS D’ALERTE
Derrière les « Panama papers », il y a un lanceur
d’alerte. Les « Panama papers » exigent, sans
sombrer dans l’hypermonétarisation de l’alerte,
d’envisager une rétribution pour ces lanceurs
d’alerte trop souvent plongés dans une totale
précarité. Les « Panama papers » commandent
aussi de créer un registre des bénéficiaires effectifs des sociétés dans le cadre de la lutte contre
l’opacité des trusts. Enfin, si le lanceur d’alerte,
en brisant un secret, révèle un grave dysfonctionnement mais s’expose à des poursuites pénales, une réflexion doit s’engager pour, au cas
par cas, lui octroyer une immunité.
En miroir inversé, les tentatives des lobbies
pour que l’Union européenne impose la criminalisation de la violation du secret des affaires ;
un grand écart donc entre la volonté de sécuriser
leur chemin d’une main, tout en les bâillonnant
ou les décourageant de l’autre. Ces citoyens, en
forme de « petites insurrections individuelles »,
comme disait Vaclav Havel, qui n’en peuvent
plus d’un monde qui se privatise, se monétarise
au mépris des droits élémentaires des citoyens.
La cérémonie des « Papers » ne fait que commencer et sera suivie demain des « Hongkong
papers », et plus loin des « Dubaï papers » ou
des « Pékin papers ». Cette cérémonie, elle a
commencé il y a quarante ans avec les « Pentagone papers », quand un fonctionnaire américain, Daniel Ellsberg, avait communiqué au
New York Times des extraits d’un rapport
top secret du département de la défense américain consacré aux relations entre le Vietnam et
les Etats-Unis : « Mettons ces fils de pute en prison », avait demandé Nixon, fou de rage, à son
conseiller, Henri Kissinger. En réplique, Hannah Arendt devait écrire Lying in Politics et rappeler : « L’honnêteté n’a jamais compté parmi les
vertus politiques et les mensonges ont toujours
été considérés comme des outils légitimes dans
les relations politiques. »
DE BRAISE ET DE COLÈRE
Un nouveau vent court, de braise et de colère, à
travers la planète, qui doit obliger nos responsables politiques à sortir de leur torpeur et à ériger de véritables herses en forme de sanctions
des établissements financiers qui continuent à
collaborer avec ces trous noirs de la planète.
Mais, aujourd’hui, a aussi surgi un vent mortifère provoqué par les attentats et la menace terroriste qui font se réveiller les cyniques, désinhiber les opportunistes et rendre parfois ridicules les droits-de-l’hommistes. C’est également l’étalage des richesses face à l’extrême
pauvreté qui en est le ferment. C’est cette barbarie qui conduit les Etats à fermer les yeux sur
ceux qui instrumentalisent la lutte contre le
terrorisme pour écraser toutes les dissidences
et survendre leur inflexibilité face à Daech, AlQaida et tous leurs franchisés.
Une gigantesque boîte de Pandore s’est
ouverte, espérons qu’elle ne soit pas un tonneau des Danaïdes, tant la mondialisation financière offre chaque jour des outils qui ne cesseront de se sophistiquer pour continuer à braver l’inquiétude citoyenne mondiale. p
¶
William Bourdon est avocat au barreau de Paris et auteur,
entre autres, de « Petit manuel de désobéissance citoyenne »
(éd. JC Lattès, 2014)
Evasion fiscale | par serguei
Par JONAS LÜSCHER
L
e plus déprimant, dans les révélations
des « Panama papers », c’est peut-être
que tout cela, au fond, ne nous surprend
pas, ne saurait nous surprendre ; ni les pratiques, ni les noms, ni même les chiffres exorbitants. Quiconque feuillette régulièrement la
presse sérieuse ou s’intéresse un tant soit peu à
ce qui se passe dans le monde est capable de citer une demi-douzaine, voire une douzaine
d’oasis fiscales, sait ce qu’est une société-écran,
sait plus ou moins comment ces sociétés opèrent et quels buts elles servent : la dissimulation de revenus, le blanchiment d’argent, la
fraude fiscale et, dans certains cas, oui, l’optimisation fiscale « légale ». Les pratiques sont
connues depuis des décennies, on ne peut pas
vraiment s’en étonner.
Les noms cités n’étonnent pas davantage : c’est
la clique habituelle de kleptocrates, de dictateurs,
d’oligarques, de terroristes, de gros industriels,
de coureurs cyclistes, de footballeurs qui, souvent déjà jugés pour fraude fiscale, jouent maintenant les nigauds innocents en rejetant la responsabilité sur leurs roublards de pères. On
trouve même dans leurs rangs des fonctionnaires de la FIFA. Non, cela ne saurait vraiment pas
nous surprendre, pas plus que les noms des intermédiaires qui ont fait fonder pour leurs
clients ces sociétés-écrans. Il s’agit là encore de
vieilles connaissances, parmi lesquelles des banques notoirement délinquantes et déjà condamnées à ce titre, comme HSBC, Credit Suisse, la
Deutsche Bank, UBS et la Société générale.
Tout cela n’est certes ni nouveau ni surprenant.
Dès 2013, la Süddeutsche Zeitung rapportait que
des membres des plus riches familles allemandes possédaient des sociétés-écrans au Panama,
notamment chez les Porsche, les Piëch (Volkswagen) et les Quandt (BMW), les éditeurs Burda, les
caféiers Jacobs et les banquiers von Finck. Et sur
les quatre dernières années, Le Monde, en collaboration avec le Consortium international des
journalistes d’investigation (ICIJ) a chaque année
révélé un scandale du même ordre : en 2013, les
« offshoreLeaks », en 2014 les « LuxLeaks », l’an
dernier les « SwissLeaks », à présent les « Panama
papers »… Et l’an prochain ?
Bien sûr, il pourrait cette fois s’agir d’un record.
2,6 téraoctets de données, c’est énorme… 2,6 téraoctets, ce sont 2 600 000 000 000 octets, mais
nous avons tous dû nous habituer, ces dernières
années, à des chiffres comportant un nombre
absurde de zéros. 11 500 000 documents,
214 488 sociétés, 14 000 intermédiaires, 21 places
financières offshore… Mais même ces chiffres ne
peuvent plus véritablement nous surprendre.
Et si nous ne nous en étonnons plus, c’est peutêtre aussi parce que tout cela cadre bien avec des
mœurs économiques en pleine déliquescence.
Un scandale alimentaire succède à l’autre ; des
banques, comme si cela allait de soi, reportent
dans leurs bilans des centaines de millions de pénalités, et nous avons oublié depuis longtemps
ce qui leur avait valu ces amendes – manipulation du taux Libor, non-respect de sanctions internationales, complicité de fraude fiscale.
« POUR LE BIEN DU MONDE »
Un constructeur automobile équipe ses véhicules de logiciels truqueurs pour minimiser les
émissions de gaz polluants. Et nous nous souvenons qu’il n’y a pas si longtemps, le même constructeur avait dû faire face à un scandale où il
était question de pots-de-vin, de voyages d’agrément, de courtisanes payées par l’entreprise.
S’agissant du sport, plus rien ne nous frappe : dopage dans le cyclisme et l’athlétisme, FIFA, UEFA,
caisses noires, corruption, esclavage sur des
chantiers de stades au Qatar, championnats
achetés, trafic sordide de droits de retransmission, Bernie Ecclestone qui verse 44 millions de
dollars de pots-de-vin à un banquier de la Banque publique bavaroise et s’en sort en signant
simplement un gros chèque…
Tout cela nous est devenu si familier qu’après
un bref émoi, nous revenons bien vite à nos affaires quotidiennes. Il nous semble que toutes ces
petites escroqueries et grosses infractions sont
un mal nécessaire à accepter au nom de l’ensemble, qui resplendit de tous les feux de la croissance économique. Même le meilleur des mondes – et le monde capitaliste actuel nous est
vendu comme tel – doit faire une place au mal,
Leibniz le savait déjà. Dans cette théologie capitaliste où l’appât du gain figure au nombre des vertus, il est compréhensible que certains croyants
particulièrement zélés aillent un peu trop loin.
Mais même cela n’advient que « pour le bien du
monde » (Pro mundi beneficio, selon l’ironique
devise de l’Etat panaméen) : la doctrine du salut
baptisée « trickle down » légitime tout accroissement de fortune chez les plus riches, puisqu’il en
résulte aussi plus de retombées chez les plus pauvres. Ce mécanisme, selon lequel la prospérité se
répand sur les riches comme une pluie tiède,
glisse sur leurs cheveux parfumés, roule sur leur
peau soignée et va s’accumuler autour de leurs
orteils pédicurés en mettant également à flot les
radeaux bricolés par les va-nu-pieds, est connu
aussi sous le nom de « théorie du crottin de cheval » : plus on donne d’avoine au cheval, plus
abondante sera sa production de crottin et plus
les moineaux auront à manger.
Oui, peut-être ne peut-on réagir à tout cela que
comme Voltaire à Leibniz ; par une ironie mordante. Certes, nous pouvons promulguer des lois
plus strictes et des réglementations, mais ils
trouveront de nouvelles failles. Nous pouvons
invoquer la décence, l’éthique et la morale, mais
ils se sont depuis longtemps forgé les leurs.
Ce qui nous reste, c’est la possibilité de nous
moquer d’eux, de tourner en dérision ces nababs
qui passent leur courte vie en compagnie d’êtres
répugnants, à construire des montages offshore
et à fonder, dans des républiques bananières, des
sociétés-écrans. Il est peut-être temps pour nous
de nous remettre à rire : rire de ces figures grotesques, de ces tristes sires qui prennent l’argent
trop au sérieux. p
(Traduit de l’allemand par Diane Meur)
¶
Jonas Lüscher est un écrivain suisse germanophone.
Il a publié « Le Printemps des barbares » (ed. Autrement, 2015)
débats & analyses | 25
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
LA CHRONIQUE
DETHOMAS PIKETTY
L’hypocrisie
européenne
Aux Pays-Bas, le populiste Geert
Wilders fait la course en tête
Analyse
jean-pierre stroobants
bruxelles - bureau européen
L
a question des paradis fiscaux et de l’opacité financière occupe depuis des
années le devant de l’affiche. Malheureusement, il existe
en ce domaine un écart abyssal
entre les proclamations victorieuses des gouvernements et la réalité de ce qu’ils font. En 2014, l’enquête LuxLeaks révélait que les
multinationales ne payaient quasiment aucun impôt en Europe,
grâce à leurs filiales au Luxembourg. En 2016, les « Panama papers » montrent l’étendue des dissimulations de patrimoines opérées par les élites financières et politiques du Nord et du Sud. On
peut se réjouir du fait que les journalistes fassent leur travail. Le problème est que les gouvernements
ne font pas le leur. La vérité est que
presque rien n’a été fait depuis la
crise de 2008. Par certains côtés,
les choses ont même empiré.
Prenons les sujets dans l’ordre.
Sur l’imposition des profits des
grandes sociétés, la concurrence
fiscale exacerbée a atteint de nouveaux sommets en Europe. Le
Royaume-Uni s’apprête ainsi à réduire son taux à 17 %, du jamais-vu
pour un grand pays, tout cela en
protégeant les pratiques prédatrices des îles Vierges et des autres
places offshore de la couronne britannique. Si l’on ne fait rien, alors
on finira tous par s’aligner sur les
12 % de l’Irlande, voire sur 0 %, ou
même sur des subventions aux investissements, comme c’est déjà
parfois le cas.
Pendant ce temps, aux EtatsUnis, où il existe un impôt fédéral
sur les profits, le taux est de 35 %
(sans compter l’impôt des Etats,
compris entre 5 % et 10 %). C’est le
morcellement politique de l’Europe et l’absence d’une puissance
publique forte qui nous mettent à
la merci des intérêts privés. La
bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de sortir de l’impasse. Si quatre pays, la France, l’Allemagne,
l’Italie et l’Espagne, qui regroupent
plus de 75 % du PIB et de la population de la zone euro, proposaient
un nouveau traité fondé sur la démocratie et la justice fiscale, avec
comme mesure forte un impôt
commun sur les grandes sociétés,
alors les autres pays seraient obligés de suivre. Sauf à se placer en
dehors de l’effort de transparence
que les opinions publiques demandent depuis des années, et à
s’exposer à des sanctions.
Un registre unifié des titres
Sur les patrimoines privés détenus
dans les paradis fiscaux, la plus
grande opacité est là aussi toujours de mise. Un peu partout
dans le monde, les plus grandes
fortunes ont continué de progresser depuis 2008 beaucoup plus rapidement que la taille de l’économie, en partie parce qu’elles paient
moins d’impôts que les autres. En
France, un ministre du budget a
pu tranquillement expliquer
en 2013 qu’il ne détenait aucun
compte en Suisse, sans crainte que
son administration ne l’apprenne,
et il a fallu de nouveau des journalistes pour découvrir la vérité.
Les transmissions automatiques
d’informations sur les actifs financiers, officiellement acceptées par
la Suisse, et toujours refusées par
le Panama, sont supposées régler
la question à l’avenir. Sauf qu’elles
ne commenceront timidement à
être appliquées qu’à compter de
¶
Thomas Piketty est économiste,
directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, professeur à l’Ecole d’économie de Paris
SEULE UNE
APPLICATION
RÉPÉTÉE
DE SANCTIONS
COMMERCIALES
ET FINANCIÈRES
PERMETTRA DE
SORTIR DU CLIMAT
D’OPACITÉ
ET D’IMPUNITÉ
2018, avec des exceptions béantes,
par exemple pour les titres détenus par l’intermédiaire des trusts
et des fondations, et tout cela sans
aucune pénalité prévue pour les
pays récalcitrants. Autrement dit,
on continue de vivre dans l’illusion que l’on va résoudre le problème sur la base du volontariat,
en demandant poliment aux paradis fiscaux de cesser de mal se
comporter.
Il est urgent d’accélérer le processus et de mettre en place de lourdes sanctions commerciales et financières pour les pays qui ne respecteront pas des règles strictes.
Ne nous y trompons pas : seule
une application répétée de telles
sanctions, au moindre manquement constaté (et il y en aura, y
compris bien sûr avec nos chers
voisins suisses et luxembourgeois), permettra d’établir la crédibilité du système et de sortir du climat d’opacité et d’impunité généralisée en vigueur depuis des dizaines d’années.
Il faut dans le même temps mettre en place un registre unifié des
titres financiers, ce qui passe par la
prise de contrôle public des dépositaires centraux (Clearstream et
Eurostream en Europe, Depository Trust Corporation aux EtatsUnis), comme l’a bien montré Gabriel Zucman. Pour crédibiliser le
système, on peut aussi imaginer
un droit d’enregistrement commun sur ces actifs, dont les recettes pourraient financer un bien
public mondial (comme le climat).
Reste une question : pourquoi
les gouvernements ont-ils fait si
peu depuis 2008 pour lutter contre l’opacité financière ? La réponse courte est qu’ils se sont
donné l’illusion qu’ils n’avaient
pas besoin d’agir. Leurs banques
centrales ont imprimé assez de
monnaie pour empêcher l’effondrement complet du système financier, évitant ainsi les erreurs
qui, à la suite de 1929, avaient conduit le monde au bord du gouffre.
Résultat : on a effectivement
échappé à la dépression généralisée, mais, on s’est dispensé des réformes structurelles, réglementaires et fiscales indispensables.
On pourrait se rassurer en notant que le bilan des grandes banques centrales (qui est passé de
10 % à 25 % du PIB) demeure faible
par comparaison à l’ensemble des
actifs financiers que les acteurs
publics et privés détiennent les
uns sur les autres (autour de
1 000 % du PIB, voire 2 000 % au
Royaume-Uni), et pourrait encore
augmenter en cas de besoin. En vérité, cela montre surtout l’hypertrophie persistante des bilans privés et la fragilité extrême de l’ensemble du système. Espérons que
le monde saura entendre les leçons des « Panama papers » et s’attaquer enfin à l’opacité financière
sans attendre une nouvelle crise. p
[email protected]
C’
est un parti sans structure et
sans argent. C’est un parti sans
véritable programme, outre la
défense des oubliés du système,
la condamnation sans nuance de
l’immigration, de l’islam et de
l’Europe dont, à en croire son leader, Geert Wilders,
les Pays-Bas gagneraient à délaisser la monnaie et le
projet. C’est un parti qui n’est jamais parvenu à gouverner et qui a bien vite débranché la prise d’un gouvernement, dit « Rutte I », quand libéraux et chrétiens-démocrates néerlandais crurent possible, à
l’automne 2010, de négocier le soutien « extérieur »
de l’homme à la chevelure peroxydée.
M. Wilders n’était pas encore, à l’époque, séduit par
le Front national, auquel il reprochait son antisémitisme, ou par le Vlaams Belang belge, qu’il assimilait
à un parti néonazi. Il a revu son jugement sur l’un et
sur l’autre et a finalement négocié de justesse une
entente pour la formation d’un groupe d’extrême
droite au Parlement de Strasbourg. Mercredi 6 avril,
après la victoire du non qu’il défendait au référendum sur l’accord d’association entre l’Ukraine et
l’Union européenne, Geert Wilders a salué un vote
« de défiance à l’égard des élites de Bruxelles et de La
Haye » qui est « le début de la fin de l’UE ». Avant d’être
félicité par Marine Le Pen.
Aujourd’hui, alors qu’il célèbre sans faste les 10 ans
de sa création, le Parti pour la liberté (PVV) de M. Wilders reste donc un mystère. Sans figure autre que
celle de son chef, sans implantation locale mais crédité, depuis des mois, d’un score qui le place en tête
de tous les sondages : de 33 à 41 sièges de députés, sur
les 150 que compte la seconde Chambre de La Haye.
En cas d’élection, le PVV obtiendrait plus de sièges
que la coalition de libéraux et travaillistes au pouvoir. Celle-ci en détenait 76 en 2012, elle n’en conserverait, au mieux, que la moitié, victime, sans doute,
du douloureux programme de réformes économiques et sociales qu’elle a impulsé.
A onze mois du prochain scrutin législatif, Mark
Rutte et Diederik Samsom, le premier ministre libéral et le chef du Parti social-démocrate, se demandent déjà comment ils parviendront à rééditer leur performance de 2012 : leur duel à couteaux
tirés avait, à l’époque, tellement focalisé l’attention que leurs deux formations avaient été portées
au pinacle, les transformant en vainqueurs… et en
alliés obligés. Cela avait entraîné le relatif effacement de M. Wilders, délaissé par les chaînes commerciales qui, depuis dix ans, ont contribué à sa
popularité. Dans ce royaume où la façon de faire
de la politique fut longtemps très conventionnelle, les propos incendiaires de l’intéressé, ses formules à l’emporte-pièce et ses attaques personnelles lui ont assuré l’intérêt des journalistes, trop
heureux de rompre avec les règles du compromis
raisonnable.
Avec son idée d’une taxe sur les foulards islamiques – qu’il a rebaptisés « torchons pour la tête » –, sa
condamnation des petits voyous devenus « terroristes des rues » et son refus de voir son pays « colonisé
par les musulmans » ou victime d’un « tsunami islamique », M. Wilders a attiré l’attention de tous. Si le
film Fitna, censé démontrer le caractère intrinsèquement violent de la religion musulmane, ne fut qu’un
triste navet, cela ne l’a pas empêché de présenter son
projet d’éloigner les perturbateurs en les obligeant à
vivre dans des conteneurs, à l’orée des villes.
UN TRIBUN QUI RÈGNE SEUL
Qu’importe, M. Wilders a occupé le devant de la
scène, et c’est tout ce qui compte pour ce tribun qui
n’a que faire des congrès, des assemblées de militants ou des querelles d’ego. Il règne seul, s’accommode des départs de ceux qui croyaient possible la
création d’un vrai parti et, contrairement à Marine
Le Pen, il ne croit pas à la nécessité d’une « dédiabolisation ». Il considère, au contraire, que c’est en privilégiant la rupture avec tous ses rivaux qu’il pourra
durer. Les ultralibéraux, les conservateurs chrétiens
ou les partisans de l’ordre nouveau qui ont tenté de
se placer dans son sillage n’ont pas réussi à s’y faire
une place. Les tentatives de scission qui émaillent
l’aventure du PVV n’ont aucun effet sur un homme
qui capte au mieux ce que les Néerlandais appellent
le buikgevoel, le sentiment que l’homme de la rue a
« dans le ventre ».
Son seul maître et modèle est Pim Fortuyn, le populiste de Rotterdam, mort sous les balles d’un extrémiste en 2002. Il avait révolutionné la façon de
faire de la politique aux Pays-Bas en moquant ouvertement ses rivaux et en s’adressant à « Jan Modaal »,
le Néerlandais moyen. M. Wilders y a ajouté la pratique du harcèlement parlementaire : à la seconde
Chambre de La Haye, il multiplie les interpellations
et les motions, ce qui offre à l’opinion l’image d’un
constant activisme.
Et le pouvoir dans tout cela ? La courbe de popularité du PVV a été aussi chaotique que son histoire au
cours de la décennie mais, jamais, il n’a atteint les
sommets que lui prédisent les actuelles enquêtes
d’opinion, laissant entrevoir à ses sympathisants
une hypothèse longtemps jugée folle : un cabinet
« Wilders I ». Dirigé par l’indispensable « Geert »,
mais avec quels partenaires, puisque le système de la
coalition est, dans les faits, obligatoire aux Pays-Bas ?
C’est un autre mystère, auquel le leader populiste
trouve déjà une issue : il prévoit que, s’il arrive en tête
mais ne peut gouverner, une « révolte » se produira.
A-t-il, en réalité, l’envie de conduire son pays ? La
question est sans réponse, mais plus le populiste détricote le consensus néerlandais, plus il gagne des
voix dans toutes les couches de la société : outre les
crânes rasés, une partie des retraités et des exclus, il
séduit beaucoup de jeunes – un quart de son électorat potentiel a moins de 35 ans –, de femmes et de diplômés. Pour expliquer leur ralliement, ils avancent
comme raison le prétendu envahissement de l’Europe par des étrangers musulmans… p
PLUS LE LEADER
DU PARTI POUR
LA LIBERTÉ
DÉTRICOTE
LE CONSENSUS
NÉERLANDAIS,
PLUS IL GAGNE
DES VOIX DANS
TOUTES
LES COUCHES
DE LA SOCIÉTÉ
[email protected]
L’ambivalent Alain Juppé
Le livre
C
e livre ne ressemble à
aucun autre. Une sorte
d’OVNI dans le monde
de l’édition. Son auteur,
Gaël Tchakaloff, dresse un portrait intime et psychologique du
maire de Bordeaux sur un ton décalé, voire burlesque.
Son récit-enquête rédigé à la
première personne n’a rien à voir
avec un ouvrage politique classique. Car cette journaliste au Nouvel Economiste, qui a travaillé au
cabinet de Rachida Dati en 2007,
au ministère de la justice, se met
en scène tout au long des pages en
se présentant volontairement
comme une femme déjantée, hystérique ou provocante.
Elle raconte en détail les péripéties de sa plongée dans la galaxie
Juppé pendant dix-huit mois. Une
vraie immersion. Ou plutôt un
défi : « Percer l’âme » de celui
qu’elle décrit comme un « bloc de
glace », « fermé » et « verrouillé à
double tour ». Son but ? Montrer le
« vrai Juppé ». Celui de la sphère
privée, qu’on ignore. « Je le veux
dénudé (…). Je veux son cœur, sa
sève, sa peau, sa chair, son tréfonds », s’emballe celle qui a dû patienter dix mois avant d’avoir son
premier rendez-vous avec le favori de la primaire à droite pour la
présidentielle.
Un grand sentimental
Affichant ouvertement sa proximité avec le candidat et ses proches, qu’elle appelle par leur prénom, Gaël Tchakaloff assume
d’être tombée dans un syndrome
de Stockholm avec son sujet – « Au
fil des mois, il devient ma dope, ma
came, ma vitamine. » Surnommée
« la dingue » par l’équipe Juppé,
elle ne cache pas avoir joué de ses
charmes pour franchir le barrage
dressé par Gilles Boyer, le directeur de campagne de M. Juppé,
qui verrouille la communication
de son patron. « Gilles, j’ai fini par
le violer. Il s’est laissé faire. Cela n’a
pas été une mince affaire », écritelle, en maniant sans cesse le second degré.
Des multiples entretiens entre
l’auteure, « Alain » et ses proches,
il ressort un portrait ambivalent,
plutôt à l’avantage de M. Juppé.
Car si l’auteure le fait apparaître
sans surprise comme un homme
froid, orgueilleux et arrogant –
« c’est un handicapé des rapports
humains », dixit son fils Laurent –,
elle décrit surtout un grand sentimental, loin de sa raideur apparente. Un Alain Juppé, présenté
par son épouse Isabelle comme
un « ultrasensible », qui ne supporte pas de ne pas être aimé.
« C’est un vrai affectif, mal à l’aise
avec les gens hostiles », explique
Virginie Calmels, première adjointe du maire de Bordeaux.
« Moi, je ne sais pas être sympathique sur commande, admet Alain
Juppé. Je me détends quand je me
sens aimé et entouré. »
Autre surprise : l’anticonformisme de sa première famille,
« des gens bohèmes, presque libertaires ». Rien de bien gênant pour
le favori des sondages. Ses rivaux,
qui misaient sur cet ouvrage pour
le déstabiliser, n’y trouveront pas
matière à exploiter. Car, loin
d’écorner sa bonne image dans
l’opinion, ce livre tend au contraire à humaniser celui que ses
camarades de classe appelaient
« Amstrad », du nom de l’ordinateur phare des années 1980. p
alexandre lemarié
LAPINS ET MERVEILLES
de Gaël Tchakaloff.
Flammarion, 268 pages,
19 euros
26 | 0123
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE
par j ean- m iche l b e zat
Apprenti sorcier
de l’or noir
L
a photo officielle promet
d’être belle et édifiante, à
Doha, au soir du 17 avril :
une brochette de ministres accourus dans la capitale du
Qatar de l’ensemble de la planète
pétrolière pour s’entendre sur un
gel de la production d’or noir à son
niveau de janvier. Il y aura là le
Saoudien, le Russe, le Vénézuélien,
l’Algérien, le Nigérian, l’Emirati,
l’Indonésien et quelques autres. Il
n’est pas sûr qu’un acteur-clé, le
ministre iranien du pétrole, soit
présent. Bijan Namdar Zanganeh
a fait savoir qu’il fera le voyage s’il
a « le temps ». Son absence transformerait alors la réunion en une
farce. Et cet échec pourrait faire replonger le prix du baril, qui a regagné plus de 10 dollars depuis son
plancher de 27 dollars en janvier.
L’hôte qatari, qui préside l’Organisation des pays exportateurs de
pétrole (OPEP) en 2016, a prévenu
que le rééquilibrage du marché est
une « question urgente ». Mais que
peut-on attendre de Doha ? Les dirigeants des pays producteurs ont
constaté que la seule perspective
de cette réunion a contribué au regain de vigueur des cours pétroliers depuis quelques semaines.
De New York à Singapour, en passant par Londres, les investisseurs
avaient besoin de se raccrocher au
moindre espoir – même celui d’un
très hypothétique plafonnement
de l’offre – pour arrêter la dangereuse spirale qui les entraînait vers
un baril à 20 dollars, mortel pour
les nations sous perfusion de pétrodollars. Une remontée qui reste
très fragile tant que le marché
n’aura pas été purgé de son tropplein de pétrole. On en est loin,
tant l’Iran, la Russie, l’Irak et surtout l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial, y mettent peu
de bonne volonté.
Tout le monde bombe le torse et
montre ses muscles. Téhéran affirme qu’il exporte désormais
2 millions de barils par jour, le
double de ce qu’il écoulait à
l’étranger avant la levée des sanctions internationales en janvier. Et
la NIOC, sa compagnie nationale,
casse allègrement les prix pour regagner des parts de marché en Europe et en Asie. Par la voix du
prince Mohammed Ben Salmane,
fils du roi, l’Arabie saoudite a prévenu qu’elle ne resserrerait pas les
vannes tant que d’autres, à commencer par l’Iran, ne feraient pas
de même. Et les Saoudiens font
tout ce qui est possible pour entraver les exportations iraniennes
par voie maritime.
« Stratégie du désespoir »
La Russie ? A l’initiative du sommet, d’abord prévu le 20 mars,
elle ne veut pas que la réunion
fasse « pschitt ». Et le ministre
russe de l’énergie, Alexandre Novak, cherche à s’en assurer en rencontrant son homologue saoudien, Ali Al-Naïmi. Mais elle joue
double jeu en annonçant que ses
compagnies n’ont jamais pompé
autant de brut en trente ans. Et les
divergences entre les deux pays,
certes moins fortes qu’entre
l’Iran et l’Arabie saoudite, sont
néanmoins profondes : Moscou
soutient le régime syrien de Bachar Al-Assad. Et sur le front pétrolier, Riyad reproche depuis
des lustres aux Russes d’être les
À RIYAD, ON NOURRIT
UNE CRAINTE
OBSIDIONALE DU
RETOUR DE L’IRAN
COMME PREMIÈRE
PUISSANCE
RÉGIONALE
L’ARABIE SAOUDITE
NE VEUT PLUS ÊTRE
LE « BANQUIER
CENTRAL » DU
MARCHÉ DU PÉTROLE
« passagers clandestins » de
l’OPEP, tirant profit des décisions
du cartel tout en laissant les Saoudiens supporter seuls les efforts
d’ajustement de la production.
Avec dix-huit mois de recul, on
s’interroge sur la stratégie imposée par l’Arabie saoudite lors de la
réunion de l’OPEP de novembre 2014 : laisser le brut couler à
flot pour faire baisser les prix, éliminer les producteurs américains
de shale oil produisant à des coûts
plus élevés et conserver ses parts
de marché. Une « stratégie » ? Cela
supposerait une aptitude du
royaume wahhabite à préparer le
coup d’après, comme un joueur
d’échecs. C’est plutôt la « stratégie
du désespoir » d’un pays qui
n’avait pas d’autre choix, corrige
Pierre Terzian, directeur de la revue Pétrostratégies. Il y a un an et
demi, M. Al-Naïmi n’imaginait pas
un baril à moins de 70 dollars,
même en laissant les vannes grandes ouvertes, confie le patron
d’une compagnie pétrolière. Un
an plus tard, il enfonçait le plancher des 40 dollars, puis il passait
sous les 30 dollars. Riyad est devenu, à son corps défendant, l’apprenti sorcier de l’or noir.
Fuite en avant
Ballotée dans la tourmente du
Moyen-Orient, l’Arabie saoudite
redoute que ses ressources ne passent à terme par pertes et profits
dans un monde en pleine transition énergétique. Le pays ne veut
plus être le « banquier central » du
marché, quand il injectait ou retirait des liquidités pétrolières pour
équilibrer offre et demande. « Il
n’y a plus de Mario Draghi du pétrole », regrette le patron d’une
major pétrolière. Le royaume restera longtemps un acteur de poids
grâce à ses réserves abondantes et
ses coûts d’extraction très bas.
Mais ce sont les Etats-Unis et l’Iran
qui seront les deux grands gagnants de la hausse de la production à l’horizon 2021, prévient
l’Agence internationale de l’énergie. Des producteurs américains à
l’affût qui, une fois le baril revenu
à 50 dollars, seront de nouveau
saisis par la fièvre de l’or noir.
Il y a bien quelque chose de désespéré dans les manœuvres des
Saoudiens. Et cela déborde largement leur politique pétrolière. A
Riyad, on nourrit une crainte obsidionale du retour de l’Iran comme
première puissance régionale et de
la constitution d’un « arc chiite »
allant de l’Iran au Liban en passant
par l’Irak et la Syrie de Bachar AlAssad, avec la République islamique en leader incontesté. La signature en juillet 2015 de l’accord sur
le programme nucléaire iranien,
parrainé par le président américain, Barack Obama, a renforcé ce
profond sentiment d’insécurité.
« Les Iraniens sont plus nombreux,
plus éduqués, plus malins que les
Saoudiens. L’histoire est écrite :
l’empire perse est de retour », tranche un grand patron en affaires
avec les deux pays. Ce qui explique la fuite en avant de Riyad, traditionnellement très prudent,
avec son intervention militaire
au Yémen contre les rebelles houthistes pro-iraniens. Comme son
intransigeance sur le front pétrolier, qui risque de transformer le
rendez-vous de Doha en une risible pantalonnade. p
[email protected]
Tirage du Monde daté samedi 9 avril : 281 949 exemplaires
LE PAPE,
OU LE DOGME
SANS
DOGMATISME
N
i grand chambardement ni statu
quo : c’est une voie médiane que le
pape François a choisie dans son
exhortation apostolique sur la famille.
Rendu public vendredi 8 avril, ce texte de
265 pages, intitulé Amoris Laetitia (« la joie
de l’amour »), est le fruit d’un cheminement de deux ans au sein de l’Eglise catholique, marqué par deux synodes, en octobre 2014 et en octobre 2015.
Le souverain pontife argentin se livre à
une vigoureuse défense du mariage catholique, un lien pour la vie entre un homme
et une femme qu’il ne résume pas à la seule
ouverture à la procréation. Une union qui
s’oppose à ce qu’il appelle la « culture du
provisoire », où « tout est jetable, chacun uti-
lise et jette, paie et détruit, exploite et presse,
tant que cela sert. Ensuite, adieu ! »
Le dogme étant le dogme, le pape le confirme donc. Mais sans dogmatisme. Il affiche, en effet, un pragmatisme conforme à
sa volonté de s’adresser à toutes ces « périphéries » humaines que l’Eglise a trop longtemps ignorées. Une démarche qui doit offrir « un cadre et un climat qui nous empêchent de développer une morale
bureaucratique froide en parlant des thèmes
les plus délicats, et nous situe plutôt dans le
contexte d’un discernement pastoral empreint d’amour miséricordieux ». Se posant
en pape de la miséricorde, Jorge Bergoglio
souligne qu’« il s’agit d’intégrer tout le
monde » dans la vie ecclésiale. Tout le
monde ? Les familles monoparentales ou
celles qui ne sont unies que civilement ?
Les concubins ? Les divorcés remariés ? Les
homosexuels ?
Pour tous ces exclus de l’Eglise, François
propose un « traitement » au cas par cas.
Les prêtres et les évêques sont invités à se
pencher sur « l’innombrable diversité des situations concrètes », celles qui ont amené
des fidèles à cohabiter, à se séparer, à se remarier. Il ne s’agit pas de jeter des pierres
aux personnes qui vivent des situations
« irrégulières » mais d’examiner avec miséricorde les « circonstances atténuantes » qui
expliquent la condition dans laquelle elles
se trouvent. La principale avancée de cette
réflexion sur la famille est donc la liberté
donnée à chaque prêtre, en tenant compte
des cultures locales, de discerner jusqu’où il
peut aller pour intégrer ces exclus. Ce système à la carte peut ouvrir la voie, « dans
certains cas », aux sacrements comme la
communion, notamment pour les divorcés
remariés. Quitte à faire naître des disparités entre les pays, voire entre les diocèses.
L’aile la plus progressiste reprochera sans
doute au pape de ne pas être allé assez loin,
de s’être arrêté en chemin. L’aile la plus
conservatrice, avec les évêques africains et
polonais, qui ont fait de la résistance pour
préserver une image traditionnelle de la famille, jugera probablement sa démarche
iconoclaste. François a dû tenir compte de
ces sensibilités diverses et des tensions
qu’elles ont générées lors des synodes.
Les homosexuels sont ainsi les grands
oubliés de cette exhortation. Le rapport
d’étape, après le synode d’octobre 2014,
soulignait pourtant que « les personnes homosexuelles ont des dons et des qualités à
offrir à la communauté chrétienne ». Une
meilleure participation des femmes à la
vie de l’Eglise n’est pas davantage évoquée,
alors que le pape observait, en juillet 2013,
que « Marie est plus importante que les
Apôtres, que les évêques ». Trop prudent,
ou trop timoré, François ? Il a au moins
le mérite d’entrouvrir une porte trop longtemps fermée. p
L’ultime chef-d’œuvre du Maestro
Visite ou
Mémoires
et Confessions
un ilm de
Manoel de Oliveira
CAHIERS
CINEMA
DU
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
Bolloré et Berlusconi s’allient
pour créer un « Netflix européen »
▶ Vivendi et Mediaset concluent un accord d’échange de participations et formeront une plate-forme de vidéos à la demande
C
omment combattre Netflix, cette
pieuvre américaine de la télévision à la demande, qui séduit de
plus en plus en Europe ? Après des mois
de discussions, Vincent Bolloré et Silvio
Berlusconi ont décidé de s’unir pour faire
émerger un « Netflix européen », aussi
puissant dans la distribution que dans la
production de contenus. Ils ont fort à
faire. Leur grand rival américain compte
75 millions d’abonnés dans le monde et a
prévu de dépenser cette année 6 milliards de dollars (5,3 milliards d’euros)
dans la production de contenus exclusifs.
Pour sceller leur partenariat, les
deux groupes ont annoncé, vendredi
8 avril, un échange de participations.
Vivendi, présidé par Vincent Bolloré, va
entrer à hauteur de 3,5 % dans Mediaset,
dont un tiers du capital est détenu par
M. Berlusconi. En parallèle, Vivendi reprendra 100 % de Mediaset Premium, le
bouquet de télévision payante, propriété
à 89 % de Mediaset et à 11 % de Telefonica.
L’opération, qui valorise Mediaset Premium à 800 millions d’euros, sera essentiellement acquittée par échange de titres.
Mediaset profite de cette occasion pour
entrer à hauteur de 3,5 % dans le capital de
Vivendi. Ainsi, le groupe de médias de
l’ancien président du conseil italien devient le premier actionnaire industriel de
Vivendi derrière le groupe Bolloré. Symbole de cette coopération future, Pier Silvio Berlusconi, fils de Silvio Berlusconi,
actuel dirigeant de Mediaset, rejoindra le
conseil d’administration de Vivendi.
sandrine cassini
et philippe ridet (à rome)
→ LIR E L A S U IT E PAGE 8
Le danois Bang & Olufsen passe sous pavillon chinois
▶ Le milliardaire
Qi Jianhong
devient actionnaire majoritaire
de l’icône du son
haut de gamme
▶ En difficulté
depuis plusieurs
années, B & O
va se recentrer
sur l’acoustique
et le design
→ LIR E
PAGE 4
Les résidences
pour seniors,
eldorado des
promoteurs
L
a foule qui se presse dans
les allées du 18e Salon des
seniors, à Paris, porte de
Versailles, du 7 au 10 avril, montre que la « silver économie » – en
référence à la couleur argentée
des cheveux des personnes âgées
autant qu’à leur patrimoine – se
porte bien. Une quinzaine de
stands sur 250 y proposent des
appartements à louer ou à acheter en résidences services pour
seniors, et visent deux publics,
les utilisateurs eux-mêmes et les
investisseurs, particuliers et institutionnels.
Selon Xerfi, bureau d’études
économiques, la France compte
déjà 540 résidences, totalisant
42 000 logements pour 54 000 habitants. Au rythme de 80 ouvertures par an, le parc devrait, d’ici à
2020, atteindre plus de 1 000 ensembles. Le secteur est en pleine
révolution, peut-être même proche de la bulle immobilière.
Tous les grands promoteurs se
sont lancés : Pierre et Vacances a,
en 2007, acheté Les Senioriales, qui
comptent déjà 52 immeubles ou
villages et 20 en projet ; Bouygues
Immobilier a, fin 2014, pris une
participation de 40 % dans les Jardins d’Arcadie, du groupe Acapace,
qui totalisent 21 résidences en service et 24 en projet, soit 1 500 futurs appartements.
isabelle rey-lefebvre
→ LIR E L A S U IT E PAGE 3
540
C’EST LE NOMBRE DE RÉSIDENCES
QUE COMPTE LA FRANCE
AUJOURD’HUI, TOTALISANT
42 000 LOGEMENTS
A Copenhague. ANDREAS
GKANATSIOS/INVISION-REA
PLEIN CADRE
L’ORÉAL,
PARCE QUE L’AFRIQUE
LE VAUT BIEN
→ LIR E PAGE 2
SÉCURITÉ INFORMATIQUE
LA CNIL PLÉBISCITE
LE CHIFFREMENT DES
DONNÉES PERSONNELLES
→ LIR E PAGE 8
j OR | 1 240 $ L'ONCE
j PÉTROLE | 41,94 $ LE BARIL
j EURO-DOLLAR | 1,1399
j TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 1,718%
J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,43 %
VALEURS AU 09 AVRIL - 7 H 00
VU DE NEW YORK
Des bénédictins au secours de Tesla
T
esla Motors va peut-être trouver son
salut dans un… cercueil. Le fabricant de
voitures électriques est confronté depuis des années à une levée de boucliers à propos du mode de distribution de ses
véhicules aux Etats-Unis. Contrairement aux
autres constructeurs, le groupe fondé par Elon
Musk a choisi de s’affranchir d’un classique réseau de concessionnaires indépendants, en
vendant directement ses véhicules par l’intermédiaire des showrooms qui lui appartiennent.
Le problème, c’est que ce mode de commercialisation est considéré comme illégal dans pas
moins de six Etats, qui représentent tout de
même 18 % des ventes de véhicules neufs aux
Etats-Unis.
Malgré une guérilla juridique, l’Arizona, le
Michigan, le Texas, le Connecticut, l’Utah et la
Virginie-Occidentale refusent de faire évoluer
leur manière de vendre des automobiles. La législation remonte aux années 1950. Le but était
de protéger les commerçants de décisions arbitraires de la part des constructeurs, qui peuvent
être tentés de fermer les concessions au gré de
leurs intérêts sans tenir compte de leurs affiliés.
Mais Tesla a peut-être trouvé la parade en s’appuyant sur une décision de justice prise en 2013
dans le secteur des pompes funèbres. L’affaire
remonte au moment de l’ouragan Katrina. Alors
que La Nouvelle-Orléans est submergée par les
eaux, les victimes se multiplient et la région
connaît un brusque engorgement des services
funéraires. L’abbaye Saint-Joseph, qui appartient à la congrégation des bénédictins, décide
de prendre le taureau par les cornes en demandant à ses moines de fabriquer les cercueils. Or,
jusqu’alors, pour exercer ce sympathique métier, il fallait obtenir le feu vert du Louisiania
Board of Funeral Directors, qui veille à l’obtention des licences. Une procédure contestée par
l’abbaye, qui a obtenu gain de cause, la cour
d’appel fédérale de La Nouvelle-Orléans considérant que les moines étaient habilités à vendre
leurs propres cercueils sans le fameux sésame.
Du marché de niche… au grand public
Sans surprise, la dispute concernant Tesla
trouve son épicentre dans la Mecque de l’industrie automobile américaine : le Michigan, où les
trois constructeurs historiques (Ford, General
Motors et Chrysler) ont leur siège. Le fabricant
de voitures électriques a déposé une demande
de licence commerciale, qui se heurte à la loi actuelle. Si Tesla était débouté, le fabricant se dit
prêt à faire valoir la jurisprudence des moines
de l’abbaye Saint-Joseph.
L’enjeu est crucial pour le groupe qui veut
jouer dans la cour des grands. Cantonné jusqu’à
présent à un marché de niche, centré sur le haut
de gamme, Tesla est en train de lancer une nouvelle voiture, le « modèle 3 », qui vise cette fois le
grand public. Le constructeur s’est fixé des objectifs ambitieux en tablant sur 500 000 ventes
annuelles d’ici à 2020. Il ne pourra les atteindre
qu’avec un réseau commercial au maximum de
son potentiel. De ce point de vue, les bénédictins pourraient lui être du plus grand secours. p
stéphane lauer
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0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
L’Oréal,
un tournant
africain
Le leader mondial des cosmétiques
est aimanté par l’Afrique, où
il a connu sa plus forte croissance
en 2015. Il vient de transférer
son centre de recherche
sur les cheveux africains
et les peaux noires à Johannesburg
johannesburg (afrique du sud)
S
igne de l’intérêt croissant de
L’Oréal pour le continent africain,
le groupe français a transféré à Johannesburg (Afrique du Sud) son
centre de recherche et développement (R&D) spécialisé dans les
cheveux africains et les peaux noires, précédemment basé à Clark dans le New Jersey
(Etats-Unis). Installé aux côtés d’autres multinationales, dans un parc sécurisé où les paons se promènent sur le gazon, le centre a officiellement démarré ses activités depuis
trois mois et l’équipe actuelle, de dix-neuf
chercheurs, doit être étoffée rapidement.
Toutes les données du laboratoire de Clark
ont été transférées et certains ingénieurs
américains sont venus prêter main-forte,
pour quelque temps, à la nouvelle équipe.
Dans le puzzle planétaire, le continent noir
devient un marché prometteur. Si l’Afrique
et le Moyen-Orient ne représentent
aujourd’hui que 3 % des ventes du numéro
un mondial des cosmétiques, c’est la partie
du monde où sa croissance a été la plus forte
en 2015 (+ 12 %). Et L’Oréal, qui y progresse
deux fois et demie plus vite que le marché,
cherche clairement à y rattraper Unilever et
Procter & Gamble.
« L’objectif est d’avoir une écoute plus fine de
tous les consommateurs d’Afrique sub-saharienne pour conquérir ce marché », affirme
Myriam Touré, responsable des marques
africaines de L’Oréal. « Développer des produits spécifiques pour chaque classe sociale,
travailler sur les nouvelles tendances de
beauté, trouver des formules efficaces »,
ajoute Alice Laurent Lesaffre, directrice de la
R&D en Afrique sub-saharienne. Rien qu’en
Afrique du Sud, où les ventes de cosmétiques
sont les plus importantes du continent, la
proportion de ménages les plus aisés – qui
gagnent plus de 10 000 rands par mois
(585 euros) – est passée entre 2006 et 2011, de
20,3 % à 24,2 % de la population, souligne
Sandeep Rai, directeur général de L’Oréal en
Afrique du Sud.
Malgré des écarts de richesse criants, un
chômage endémique (au taux de 24,5 %) et
une dépréciation du rand de 50 % face au dollar au cours des deux dernières années, la direction de L’Oréal considère qu’il est temps
de se renforcer dans ce pays.
TESTS DE SOLIDITÉ
Aux yeux de Mme Touré, il « n’est pas sûr qu’il
y ait encore beaucoup de marques africaines
d’importance à racheter ». L’Oréal a déjà acquis au fil des années les produits capillaires
Dark & Lovely et Restore Plus, la lotion corporelle Nice & Lovely, les crèmes dépilatoires
Magic ainsi que les déodorants Sadie et Blue
Ice. Le groupe compte désormais développer
aussi ses propres produits. Or les habitudes
– ces fameux « rituels de beauté » – diffèrent
considérablement selon les pays. Et surtout
la qualité même des cheveux afro-américains et africains varie de façon très notable.
Dans le labo flambant neuf, des instruments ultra-sophistiqués ne coupent pas les
cheveux en quatre mais analysent leur résistance à la tension. D’autres machines ser-
Le salon
de coiffure
Township
Alexandra, à
Johannesburg
(Afrique du
Sud).
LORÉAL
vent à étudier, avec un microscope électronique au millième, à la fois leur densité et leur
solidité. Un troisième prototype mesure la
facilité avec laquelle une chevelure peut être
peignée… Selon Alice Laurent Lesaffre, « plus
les cheveux sont frisés, plus ils sont fragiles ».
Selon la classification utilisée par L’Oréal, les
Afro-Américains sont dotés de cheveux très
bouclés, à 5 sur une échelle de 10, comme les
habitants du Ghana, mais ceux du Kenya atteignent 6 et ceux d’Afrique du Sud, 8 au minimum. Leur vulnérabilité provient de la faiblesse de la protection de leurs cuticules. Si
les cheveux caucasiens ou asiatiques montrent une bien plus grande solidité, ils blanchissent davantage et plus vite que les chevelures africaines.
Dans un salon de coiffure attenant au labo,
des « cobayes » testent de nouveaux produits capillaires : la moitié du crâne est recouverte d’un produit, l’autre moitié d’un
autre. Des chercheurs scruteront et analyseront leur teinte, leur brillance, la facilité de
coiffage… A deux pas, un jeune ingénieur indien, Wesley, met au point des parfums pour
déodorants : l’un marie des essences de noix
de coco, de tubéreuse et d’ananas. L’autre,
plus discret, mélange des fragrances ambrées, musquées et poudrées.
L’AFRIQUE
ET LE MOYEN-ORIENT
NE REPRÉSENTENT
AUJOURD’HUI
QUE 3 % DES VENTES
DU NUMÉRO
UN MONDIAL
Pour trouver de nouvelles formules destinées à chaque pays africain, le groupe français applique une stratégie rôdée dans le
monde entier : il étudie à la loupe les comportements des consommateurs. Ce qui
passe donc par des études comportementales. Ce mardi d’avril, deux jeunes femmes
employées par l’institut Razoscene enquêtent, pour le compte de L’Oréal, au domicile
de l’une des panélistes. Salariée d’un centre
équestre, Pauline, 38 ans, une femme très
élégante, célibataire, qui vit avec sa fille à Johannesburg, raconte par le menu sa conception de la beauté. « C’est d’abord la confiance
en soi », tranche-t-elle. Jamais elle ne sortirait
sans rouge à lèvres et, pour rien au monde,
ne changerait de parfum. A ses yeux, porter
des faux cils, semble « franchement exagéré »
et elle affirme rester fidèle à ses trois marques de prédilection Ponds (Unilever), Garnier (L’Oréal) et Olay (Procter & Gamble).
Pauline, qui porte des cheveux très courts,
les enduit d’huile de noix de coco, de crème
nourrissante et les lave deux fois par semaine, avec du savon ou du shampooing.
C’est bien là l’une des particularités de l’Afrique du Sud. Les vendeurs de shampooing
sont à la peine car les cheveux très secs des
Sud-Africains noirs ne nécessitent parfois
qu’un shampooing tous les quinze jours…
Dans les épiceries des townships, ce produit,
trop cher, ne se vend quasiment pas. Le savon, qui sert aussi à laver le linge, le remplace avantageusement. En revanche, les
boutiques d’extension pour cheveux, très
prisées, fleurissent dans tous les centres
commerciaux.
« En Afrique du Sud, les consommateurs ont
peur des faux et détestent les changements de
packaging », souligne Dave Hughes, chargé
des produits grand public de L’Oréal, fabriqués pour une grande partie dans l’usine du
groupe à Johannesburg. Cet ancien marine, à
l’aise comme un poisson dans l’eau même
dans les townships dangereux, approvisionne chaque épicerie du quartier pauvre
d’Alexandra, les salons de coiffure les plus
miteux où les clients s’assoient sur un fauteuil éventré et paient leur coupe 15 rands
(presque un euro). Tout comme les supermarchés les plus populaires, Freedom, où
tout le monde se rue le jour de la paye, le 24
de chaque mois. Il fournit aussi les boutiques destinées aux coiffeurs, les magasins
spécialisés en produits de beauté Clicks, jusqu’aux points de vente ultra-bobos du quartier de Maboneng. p
nicole vulser
Le marché de la beauté est très prometteur sur le continent
si les prévisions se vérifient, il devrait se vendre bientôt en Afrique des millions de petits
pots de crème de jour, des montagnes de gels douche, et toujours plus de déodorants et des produits
capillaires…
Selon une étude d’Euromonitor International, le
marché des cosmétiques et produits de beauté devrait augmenter de 24,5 % en cinq ans, entre 2015 et
2020, pour atteindre 17 milliards de dollars (soit
14,94 milliards d’euros) dans les huit principaux
pays du continent (Afrique du Sud, Nigeria, Egypte,
Maroc, Algérie, Kenya, Tunisie, Cameroun).
Le principal marché, l’Afrique du Sud, représentait à lui seul 3,5 milliards de dollars en 2015. Et,
toujours selon Euromonitor, il devrait encore croître de plus de 25 % d’ici à 2020. Deuxième marché
du continent, le Nigeria est, quant à lui, considéré
par le cabinet Roland Berger Strategy comme
« l’étoile montante du secteur en Afrique subsaharienne ». L’une des caractéristiques de cette zone
tient aux fortes différences constatées, en termes
de consommation, dans ces différents pays. Tous
ont en revanche comme point commun d’être encore très focalisés sur les produits capillaires et les
soins du corps. Le maquillage et les soins du visage
restent encore marginaux mais bénéficient, selon
le même cabinet Roland Berger Strategy, d’« un
fort potentiel ».
Essor des classes moyennes
Les géants mondiaux du secteur des cosmétiques,
mais aussi une multitude de marques locales, se livrent à une concurrence sans merci pour conquérir
les 300 millions de personnes qui appartiendront
en 2017 aux nouvelles classes moyennes du continent africain.
En ajoutant aux ventes en Afrique celles réalisées
au Moyen-Orient, Euromonitor assure que Unilever
dominait largement le marché en 2015, suivi de près
par Procter & Gamble, L’Oréal étant en troisième position, puis Beiersdorf (la maison mère de
Nivea), Arabian Oud et Estée Lauder. Depuis peu, de
nouveaux acteurs comme l’indien Godrej ou le chinois Longrich ont fait leur apparition.
Si, au Kenya, seulement 15 % des produits d’hygiène et de beauté sont commercialisés dans des supermarchés, en Afrique du Sud, l’essentiel des ventes se fait dans le cadre structuré de chaînes de distributeurs. Mais si l’on recense dans ce pays
10 000 salons de coiffure en dur, avec de l’eau courante, on en compte dix fois plus dans des containers, où l’on utilise une bonne vieille bassine pour
rincer la tête du client. p
n. v.
économie & entreprise | 3
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Ruée des promoteurs sur le marché des seniors
D’ici quatre ans, le parc des résidences de services pour personnes âgées aura sans doute doublé
suite de la première page
Aegide Domitys, dont Nexity a,
en 2008, pris une participation
minoritaire de 33 %, se déclare
premier opérateur, avec plus de
50 résidences ouvertes et environ
70 opérations « en développement » ; le groupe de bâtiment et
travaux publics Vinci fonde ses
espoirs sur Ovelia, acteur encore
naissant.
Il faut aussi compter avec le
groupe Réside-Etudes qui, sous la
marque La Girandière, développe
de telles résidences dont déjà une
vingtaine en fonction, et six en
cours de commercialisation, et
une kyrielle de petits intervenants, Groupe Pichet, Villa Médicis, Montana…
Nouvelle génération
De leur côté, les élus de collectivités locales accueillent volontiers
ces nouveaux programmes,
d’autant que cette nouvelle population ne leur posera pas beaucoup de problèmes…
Les commercialisateurs de ces
résidences ne manquent pas
d’arguments pour vanter le besoin croissant de ces équipements qui s’adressent aux personnes âgées valides mais qui
commencent à se sentir fragiles.
La résidence services offre donc
un habitat intermédiaire entre le
domicile et l’établissement d’hébergement médicalisé pour personnes âgées dépendantes.
Le concept de logements personnels avec des services communs, restaurant, gardiennage,
bricolage ou entretien du jardin,
réservés aux retraités encore valides, né dans les années 1980
avec les marques Hespérides ou
Jardins d’Arcadie, était, à l’origine,
proposé en accession à la propriété et les premières générations ont parfois laissé des mauvais souvenirs.
Le bien était difficilement vendable, même à prix cassé, en raison de charges très élevées incluant obligatoirement tous les
services proposés, restauration
comprise, à tel point que même
des œuvres caritatives refusaient
qu’il leur soit légué…
Aujourd’hui, promoteurs et
gestionnaires annoncent une
nouvelle génération de résidences services, avec des charges
contenues et, surtout, conformes
à la nouvelle loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, du 28 décembre 2015.
Cette loi impose le distinguo
entre services obligatoires et à la
carte. « Nous voyons de plus en
plus de seniors ayant connu le
vieillissement difficile de leurs pa-
rents, qui l’anticipent pour euxmêmes et pour qui déménager en
se débarrassant de ses meubles
n’est pas tabou, confie Gérard
Pinneberg, directeur de la communication des Sénioriales. C’est
une population exigeante, informée, connectée, qui veut vivre en
ville. Notre obsession est de leur
proposer des charges obligatoires
faibles, autour de 160 euros par
mois pour un studio, 200 euros
pour un deux-pièces. »
Faiblesse du modèle
Une
association
d’environ
200 habitants d’une quinzaine de
résidences Les Sénioriales s’est
d’ailleurs constituée pour négocier d’égal à égal avec le gestionnaire : « On m’avait promis des
charges de 160 euros, elles sont,
aujourd’hui, du double, et nous ne
sommes pas libres de supprimer le
poste du gardien, qui coûte très
cher, avec une loge que la copropriété est obligée de louer à Pierre
et Vacances, qui en a gardé la pro-
priété », s’insurge Didier Burggraeve, son président.
Cogedim relance, aujourd’hui,
un nouveau modèle, Cogedim
Club, qui compte déjà sept structures en activité et treize en projet. « Les personnes âgées ne seront
pas propriétaires et ne prennent
pas le risque du portage immobilier, que nous cédons à des investisseurs et exploitons avec un bail
commercial de neuf ans », détaille
Alexis Moreau, directeur de
Cogedim Résidences Services.
A Sèvres (Hauts-de-Seine), le
loyer est certes au-dessus du marché, à 28 euros le mètre carré
mensuel et 2,50 euros de charges
classiques et 7,50 euros pour le socle de services obligatoires, ce qui
porte la dépense à 1 900 euros par
mois pour un 50 mètres carrés, un
coût supérieur au revenu moyen.
« Nous garantissons le loyer pen-
Le dispositif « Pinel » reconduit
François Hollande a annoncé, vendredi 8 avril, la prolongation
d’un an, jusqu’au 31 décembre 2017, du dispositif d’investissement locatif dit « Pinel » permettant de déduire fiscalement une
partie du prix d’acquisition d’un logement, à condition de le
louer. Grâce à ce dispositif fiscal, qui devait disparaître fin 2016,
les ventes de logements neufs ont progressé de 13,6 % en 2015 et
l’embellie devrait se poursuivre cette année avec l’entrée en
vigueur du nouveau prêt à taux zéro, selon les chiffres publiés en
février par la Fédération des promoteurs immobiliers. « La construction repart, le logement est maintenant sur une phase ascendante », s’est félicité le président de la République. La création
d’un logement génère deux emplois, a expliqué le chef de l’Etat.
dant le délai nécessaire pour remplir cette résidence, d’environ dixhuit mois, ce qui majore le prix de
vente », précise M. Moreau.
Est aussi insérée, dans le contrat de location, une clause visant à « trouver une solution »,
lorsque le locataire devient dépendant, autrement dit l’inciter à
gagner un Ehpad. « Nous pouvons
accepter 10 % de personnes dépendantes, pas au-delà, car nous
devons aussi préserver la vie sociale du lieu ».
C’est sans doute là une faiblesse
du modèle de ne pas avoir anticipé le turnover rapide de résidents, tous les quatre à six ans,
entre leur arrivée, à 80 ans en
moyenne, et leur départ. La surproduction de résidences est-elle
en cours ? Les gestionnaires restent d’ailleurs très discrets sur le
taux réel de remplissage de leurs
multiples immeubles, parfois en
concurrence frontale, très près les
uns des autres. p
isabelle rey-lefebvre
10 GRANDS DESTINS DU XXe SIÈCLE
RACONTÉS PAR 0123
Citymapper, la start-up
qui agace la RATP
La régie parisienne renâcle à livrer
ses données aux calculateurs d’itinéraires
L
a RATP n’est pas vraiment
partageuse… Aux acteurs
du numérique qui souhaitent récupérer certaines de ses
données, la régie oppose une fin
de non-recevoir. La start-up londonienne Citymapper, qui propose un planificateur d’itinéraires
de transport multimodal (métro,
bus, Autolib’, Velib’, taxis et VTC),
en fait l’amère expérience. Créée
en 2012, la société propose gratuitement son application, très ergonomique, dans une trentaine de
villes, dont Bordeaux, Lyon, Amsterdam, Tokyo ou New York.
A Paris, elle galère. Si elle a accès
aux horaires théoriques des réseaux de bus, de métro et de RER,
la RATP lui refuse l’accès aux données en temps réel, qui indique
tout arrêt, incidents, etc. « Nous
avons rencontré plusieurs fois la
RATP, et c’est toujours la même réponse : “Notre politique est de ne
pas ouvrir les données” », indique
Jean-Baptiste Casaux, le chargé de
développement de la start-up. La
RATP jalouse notamment son application, qui est consultée chaque
jour par 1,2 million d’utilisateurs.
« Partout ailleurs, cela se passe
bien, reprend-il. A Hongkong,
nous venons même d’aider HK
Tramways à ouvrir leurs données
temps réel pour la première fois il y
a deux semaines… » Incidemment,
cette société est gérée par une
filiale commune de Transdev et
de la… RATP.
A la régie, Citymapper agace.
« Nous sommes pour l’“open data”,
assure Franck Avice, le directeur
service et relation clients de la
RATP. Nous souhaitons aider les
start-up qui proposent par exemple
de nouveaux services. Mais nous
n’entendons pas céder nos données
à certains acteurs, qui ne nous citent
même pas dans leur application. Si
on les laisse s’en servir gratuitement, on risque de vivre ce qu’ont
vécu les hôtels avec Booking. com et
perdre notre relation à nos clients. »
Depuis août 2015, et la loi sur la
croissance d’Emmanuel Macron,
les sociétés de transport doivent
mettre à disposition leurs données dans le cadre de l’« open
data ». Elles doivent adopter un
« code de conduite » sur la mise à
disposition de ces données, en
instance de validation à Bercy. Un
décret, actuellement au Conseil
d’Etat, doit aussi être publié.
« Ils refusent tous »
La nouvelle loi autorise les opérateurs de transport à demander
aux « utilisateurs de masse » de
données de contribuer aux coûts
de leur mise à disposition. La
RATP dispose ainsi d’une redevance d’accès à ses données.
Nécessaire, juge M. Avice, car, gratuit, cela peut être catastrophique : « Il y a quinze jours, Citymapper a fait tomber nos serveurs à
force de les solliciter, de manière
non autorisée », assure-t-il.
D’autres sources affirment que la
RATP aurait fermé ses serveurs
afin justement d’empêcher Citymapper de se servir. En guerre
avec la start-up, la RATP n’arrivait
plus à filtrer ses accès…
Outre cette redevance, la RATP
demande à ceux qui reprennent
ses données de lui rétrocéder, via
une licence dite « ODBL », tous les
développements élaborés à partir
de ces dernières. « Ils refusent tous », assure Franck Avice.
« On n’a même pas pu discuter de
cette question », s’étonne-t-on
chez Citymapper, la start-up qui a
levé, depuis deux ans, 50 millions
de dollars (43,86 millions d’euros).
De quoi s’interroger selon
Franck Avice. « Vous pensez vraiment que cette société lève autant
d’argent pour développer simplement le meilleur service d’itinéraires ? Les investisseurs espèrent récupérer des données sur les utilisateurs de ces applications, qu’ils
pourront monétiser plus tard et
croiser avec d’autres données.
Dès lors, pourquoi devrait-on leur
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4 | économie & entreprise
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Leboncoin,
cimetière des
éleveurs frappés
par la crise du lait
La chute des prix conduit nombre
d’exploitants à cesser leur activité
A
vendre, contrat laitier ». Loïc et Marie Rissel ont décidé de placer
cette petite annonce
sur le site Internet Leboncoin. Le
couple, qui avait repris la ferme
des parents de Marie à SaintOnen-la-Chapelle (Ille-et-Vilaine)
en 1992, a décidé de jeter l’éponge.
« Nous avons eu les charges de la
mise aux normes, puis avec le prix
du lait qui baisse, c’est trop. On
n’arrive pas à dégager de revenus »,
explique Mme Rissel. Même si l’annonce n’évoque pas de prix, elle
espère que la cession du droit à
produire, qui lie l’exploitation à la
coopérative Agrial, lui rapportera
150 000 euros. Si l’affaire se conclut, les 70 vaches de la ferme
iront à l’abattoir et M. Rissel, ancien négociant en bovins, cherchera un emploi.
L’histoire n’est pas unique. Avec
la crise qui secoue la filière laitière, nombre d’éleveurs abandonnent la partie. La floraison
d’annonces de « ventes de contrats laitiers » sur Leboncoin en
fait la démonstration. « Il y en a
toutes les semaines », constate
Mme Rissel. Il est vrai que, pour
l’heure, le prix du lait continue à
être orienté à la baisse. Avec toutefois un écart de prix qui s’est
élargi. « La fourchette actuelle est
comprise entre 260 et 315 euros la
tonne. Lactalis est aux environs de
270 euros la tonne, Sodiaal à
280 euros, et les PME vers le haut
de la fourchette à 315 euros », explique André Bonnard, trésorier de
la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), branche
spécialisée du syndicat agricole
FNSEA. Selon le ministère de
l’agriculture, le prix du lait payé à
l’éleveur a baissé de 8 % en début
d’année par rapport à la même
période un an plus tôt.
Sous la pression des éleveurs, la
France tente de trouver une solution à cette situation de surproduction née de la fin des quotas laitiers décrétée le 31 mars 2015. La
crise laitière sera d’ailleurs à nouveau évoquée lors du conseil des
ministres européens de l’agriculture, qui se tiendra lundi 11 avril à
Luxembourg.
La France donnera l’exemple
Lors du précédent conseil, le
14 mars, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a obtenu le
soutien de la Commission européenne sur l’essentiel des mesures exceptionnelles qu’il réclamait. Il a eu gain de cause sur un
doublement des volumes de stockage public de poudre de lait et de
beurre. Surtout, il a décroché l’activation de l’article 222, un outil
de régulation prévu dans le cadre
de la politique agricole commune. Ce texte introduit une dérogation au droit de la concurrence et permet à des associations
de professionnels ou des coopératives de décider de réduire volon-
Dans une exploitation laitière, à l’heure de la traite. DAVID ADEMAS/PHOTOPQR/OUEST FRANCE
tairement leur production. Un
pas de côté par rapport au dogme
libéral prôné par Bruxelles, mais
limité à six mois. La Commission
a également autorisé le financement par les Etats membres des
acteurs qui seraient prêts à réduire leur production.
La France devait donner l’exemple pour mettre en musique ces
mesures. M. Le Foll a réuni l’ensemble des acteurs de la filière laitière mardi 5 avril. L’interprofession a renoncé à l’objectif qu’elle
s’était fixé d’une croissance annuelle des volumes de 2 % jusqu’en 2020. Elle s’est engagée à une
stabilisation sur 2015. Mais, pour
les industriels, cet accord n’est valable que si les autres Etats européens suivent la même voie.
Le conseil du 11 avril sera l’occasion de faire un tour de table pour
connaître la volonté de chacun
d’activer ou non cet article 222 et
d’évoquer la question du finance-
Les transactions
qui se négocient
depuis la mise
en place des
contrats privés
sont sur
la sellette
ment. Mais il ne devrait pas y avoir
de décisions. M. Le Foll a fixé
comme nouveau rendez-vous le
25 mai. A cette date, la commission
agriculture du Parlement européen devrait réunir l’ensemble des
acteurs de la filière au niveau européen autour d’une maîtrise temporaire de la production, selon le
ministère.
En attendant, l’horloge tourne
et la pression s’accroît sur les éleveurs les plus fragiles financière-
Le danois Bang & Olufsen passe
sous contrôle chinois
L
e fleuron danois de la hi-fi
Bang & Olufsen (B&O) est
en train de passer entre les
mains du milliardaire chinois Qi
Jianhong, devenu, jeudi 7 avril, actionnaire majoritaire en achetant
13,1 % de B&O, portant ainsi sa
participation à 18,7 % du groupe.
Qi Jianhong a acheté les actions à
un prix de 85 couronnes (11,4
euros) , alors que le cours de clôture s’est établi jeudi à près de
75 couronnes l’action.
Propriétaire de Sparkle Roll
Group, distributeur de produits
de luxe, Qi Jianhong envisagerait
de racheter l’ensemble de la compagnie danoise. Mais certains
analystes estimaient vendredi
dans la presse locale que le prix
d’achat à 85 couronnes pouvait
être considéré comme trop bas
pour que le milliardaire chinois
puisse espérer acheter le reste des
actions au même prix.
Quoi qu’il en soit, l’arrivée de
Sparkle Roll Group comme actionnaire majoritaire ne relève en
rien d’une décision impulsive.
Elle est le nouvel épisode d’une relation suivie et reflète la lente dégringolade d’une icône. Les
deux compagnies coopèrent depuis des années. Dès 2012, elles
avaient entamé un partenariat
pour accompagner la croissance
de B&O en Chine, sans que cela
améliore son horizon. Son cours
est suspendu en avril 2014 lorsqu’une augmentation de capital
échoue et, en janvier 2015, le conseil d’administration se résout à
trouver un acquéreur.
Quelques mois plus tard, B&O
vend Automotive, sa seule filiale
rentable qui produit des équipements de sonorisation pour les
constructeurs de véhicules haut
de gamme, à la société américaine Harman. Annonçant la suppression de 125 emplois, le PDG
de B&O, Tue Mantoni, déclare
alors : « Ce n’est pas tout de fabriquer les meilleurs produits au
monde, encore faut-il gagner de
l’argent dessus. » Le groupe
compte environ 2 000 employés,
dont la moitié au Danemark.
A l’automne 2015, B&O annonce que des discussions sont
en cours avec plusieurs acheteurs potentiels. Il y a trois semaines, après une longue pé-
Les difficultés
de la marque
sont à l’image
de l’économie
danoise
qui peine
à décoller
riode de silence, le danois révèle
que ses téléviseurs seront fabriqués à partir de 2017 sous la marque B&O par LG, qui a par ailleurs
commencé à utiliser des produits B&O dans ses derniers téléphones mobiles.
Retour aux sources
La direction de B&O souhaite
ainsi clairement se recentrer sur
son savoir-faire dans les domaines de l’acoustique et du design.
Un retour aux sources pour cette
compagnie créée en 1925 par
deux ingénieurs à Struer, dans le
nord-ouest du Danemark, là où se
trouvent toujours son siège et le
musée local qui retrace l’histoire
de la radio et de la télévision.
La société fabrique d’abord des
haut-parleurs et des microphones
avant d’élargir sa gamme aux radios, aux appareils stéréo, aux télévisions, aux téléphones et aux
équipements de sono pour les voitures. L’une des marques de fabrique du groupe a toujours été un
design exclusif. A partir des années 1970, B&O s’établit durablement parmi les clients à fort pouvoir d’achat. Mais la compagnie
danoise a toujours eu du mal à gagner de l’argent, terminant souvent dans le rouge, notamment
ces trois dernières années, alors
que les gens écoutent toujours
plus la musique sur des appareils
mobiles. La société a également
M. Le Foll justifie cette décision
par la nécessité de ne pas créer une
charge supplémentaire pour les
jeunes qui s’installent. Même si la
majorité des contrats sont repris
par des éleveurs qui souhaitent
s’agrandir. La décision est soutenue tout autant par la FNSEA que
par la Confédération paysanne.
« Nous ne sommes pas là pour
aider ceux qui partent, mais ceux
qui veulent rester dans le métier »,
affirme M. Bonnard, de la FNPL.
Une chose est sûre : les grands
industriels souhaitent que la restructuration s’accélère alors qu’en
dix ans le nombre d’exploitations
laitières est passé de 100 000 à
66 000. Lactalis met en exergue
une comparaison européenne.
Soit 3 500 éleveurs hollandais
d’un côté contre 13 500 français de
l’autre, pour lui livrer une quantité équivalente de lait de 5,3 milliards de litres. p
laurence girard
1,2 MILLIARD
Icône de la hi-fi haut de gamme, B&O est en situation délicate depuis des années
stockholm - correspondance
ment, comme en témoignent les
annonces déposées sur Leboncoin. Mais le gouvernement a décidé de mettre fin à ces pratiques
de vente des contrats laitiers. Un
texte introduit dans la loi Sapin II,
adoptée en conseil des ministres
le 30 mars, prévoit d’interdire
pour cinq ans la cession à titre
onéreux des contrats qui lient
l’éleveur à l’industriel. Les annonces du site Leboncoin seront-elles
donc condamnées ? Plus généralement, toutes les transactions
qui se négocient depuis la mise en
place des contrats privés qui ont
remplacé les quotas sont sur la
sellette. Elles sont souvent complexes car dépendantes de chaque
organisation. Ainsi, aujourd’hui,
les producteurs normands de Danone peuvent céder leurs contrats dans une fourchette de prix
comprise entre 80 et 130 euros la
tonne. Quand ceux du Nord-Pasde-Calais ne les vendent pas.
souffert de retards de livraison de
la part de sous-traitants pour obtenir à temps des composants.
B&O a enregistré des pertes de
plus de 98 millions de couronnes
(13,16 millions d’euros) pour les
neuf premiers mois de 2015, pour
un chiffre d’affaires de près de
1,94 milliard de couronnes. Les
ventes étaient toutefois en hausse
sur le dernier trimestre, de décembre à février, grâce aux bons résultats de sa gamme B&O Play, des appareils portables destinés aux jeunes, son talon d’Achille jusque-là.
Les difficultés de la marque sont
à l’image du Danemark qui, en dépit de bases solides et d’une image
flatteuse, peine à décoller. La croissance du dernier trimestre 2015
était de 0,1 %, moins bien que
prévu, mettant la croissance pour
l’année à 1,2 %. L’année 2016 ne devrait pas être meilleure, selon les
prévisions. « La situation de B&O
est révélatrice de celle de l’économie danoise, remarque Steen Bocian, économiste en chef de Dansk
Erhverv, l’organisation patronale
danoise. La consommation privée
a été faible depuis longtemps au
Danemark et même si B&O est une
entreprise globale, cela les affecte.
Elle a connu des problèmes de compétitivité et les avantages qu’elle
avait en termes d’excellence et de
design ont été petit à petit réduits
par ses concurrents. » p
olivier truc
C’est le montant en dollars, soit 1,05 milliard d’euros, de l’amende infligée à la banque californienne Wells Fargo aux Etats-Unis, afin de solder
les poursuites des autorités américaines liées à ses pratiques dans les
crédits immobiliers. L’accord entre la justice américaine et l’établissement a été annoncé vendredi 8 avril. Wells Fargo a reconnu des pratiques « abusives » lors de l’octroi de prêts entre mai 2001 et décembre 2008, a indiqué le département de la justice. « Cet arrangement
nous permet de mettre derrière nous cette procédure », a réagi la banque, ajoutant avoir constitué des réserves pour cette amende.
T RAN S PORTS
La SNCF condamnée à
financer une association
de victimes de Brétigny
La SNCF a été condamnée,
vendredi 8 avril, à verser
60 000 euros de provisions à
une association de victimes
de la catastrophe ferroviaire
de Brétigny-sur-Orge (Essonne), une somme qui servira à prendre en charge une
partie des coûts de la procédure. La justice a donné raison à l’association Entraide et
défense des victimes de la catastrophe de Brétigny, qui estimait ne pas pouvoir lutter
« à armes égales » dans ce
dossier avec la SNCF. – (AFP.)
La vente du port grec
du Pirée bouclée
L’Agence grecque de privatisations a annoncé, vendredi
8 avril, avoir signé l’accord
pour la cession de 67 % de la
société du port du Pirée, le
plus grand de la Grèce, au
géant chinois du transport
maritime Cosco, au prix de
368,5 millions d’euros.
– (AFP.)
ES PAC E
Succès de SpaceX
pour sa première
mission de fret
La société SpaceX a réussi,
vendredi 8 avril, à faire poser
le premier étage de sa fusée
Falcon 9 sur une barge flottante dans l’océan Atlantique.
La firme avait déjà tenté cette
manœuvre à cinq reprises.
Dans le même temps, le lanceur a propulsé la capsule de
fret Dragon vers la station
spatiale internationale, la première mission réussie de fret
de SpaceX. – (AFP.)
LUXE
Le bénéfice net de Prada
au plus bas
depuis cinq ans
Prada a publié, vendredi
8 avril, un bénéfice net annuel de 330,9 millions
d’euros pour l’exercice clos
fin janvier 2016, en baisse de
27 % par rapport à l’exercice
précédent. Il s’agit, pour le
groupe italien de luxe dirigé
par Patrizio Bertelli, du résultat net le plus bas depuis
cinq ans.
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17 576,96 POINTS
4 850,69 POINTS
15 821,52 POINTS
Les marchés tirés à hue et à dia
Face à une multiplication des incertitudes, les indices boursiers ne parviennent pas à trouver une direction fixe
C
e n’est pas comme si c’était
une surprise. Mais les choses sont toujours plus audibles quand elles émanent d’un cador dans son secteur. Les marchés
sont volatils, et voués à le rester.
C’est un géant de la gestion d’actifs, Pimco, qui le dit. « En 2016,
l’économie mondiale connaîtra
une trajectoire probablement encore plus chaotique, fragile et inférieure à la normale qu’au cours des
sept dernières années », a asséné le
spécialiste de l’investissement,
mardi 5 avril, dans le compte
rendu de sa réunion trimestrielle
tenue le mois dernier. Difficile de
prendre à la légère ce mastodonte
de la planète finance : le groupe
gère la bagatelle de 1 430 milliards
de dollars (1 257 milliards d’euros)
d’actifs. Son conseil consultatif
mondial est présidé par… Ben Bernanke, le prédécesseur de Janet
Yellen à la tête de la Fed (banque
centrale américaine), et compte
parmi ses membres Jean-Claude
Trichet, l’ancien patron de la Banque centrale européenne (BCE).
Et ces ex-grands argentiers mondiaux n’ont guère envie de rire.
« Nous avons abaissé d’un quart de
point notre prévision de croissance
du PIB réel mondial, à 2 %-2,5 %. La
croissance réelle mondiale avait atteint 2,8 % en 2014 et 2,6 % l’an dernier ; nous anticipons donc une
poursuite de cette décélération »,
indique Pimco.
Si même le gratin des financiers y
perd son latin, comment s’étonner
que les investisseurs du monde entier ne sachent plus sur quel pied
danser ? La semaine écoulée en a
Rebond des valeurs bancaires
à la Bourse de Milan
La Bourse de Milan a fortement rebondi vendredi 8 avril
(+ 3,95 %), tirée par les valeurs bancaires. Le secteur avait
beaucoup baissé lors des dernières séances, en particulier
jeudi, sur fond d’inquiétudes autour des créances douteuses
et d’augmentations de capital à venir. Le rebond est lié au fait
que le gouvernement pourrait annoncer, lundi 11, la mise en
place d’un fonds de soutien aux banques italiennes. De nature
privée, celui-ci serait soutenu par l’Etat, via une participation
de la Caisse des dépôts italienne (CDP). Il permettrait, selon la
presse italienne, d’assurer la bonne mise en œuvre d’augmentations de capital, comme celles de Banca Popolare di Vicenza
– qui doit être garantie par Unicredit – et de Veneto Banca
– qui doit notamment être garantie par Intesa Sanpaolo.
encore fourni l’illustration, emmenant les indices boursiers tantôt à
la hausse, tantôt à la baisse. Des
soubresauts qui, au final, peinent à
faire émerger une tendance nette.
Entre le lundi 4 et le vendredi
8 avril, le CAC 40 s’est replié de
0,44 %, tandis que le DAX allemand
perdait 1,76 % et le Footsie britannique gagnait à peine 0,95 %. Mêmes mouvements erratiques
outre-Atlantique, où le S&P 500 a
baissé de 1,21 %.
Espoirs douchés
En cause ? Les incertitudes sur la
nature et l’évolution du ralentissement de l’économie chinoise,
mais aussi les fluctuations du baril
de pétrole, entré dans un nouveau
cycle de fébrilité dans l’attente
d’une réunion entre pays producteurs prévue à Doha, le 17 avril.
Alors qu’un gel de la production
mondiale avait été un temps évoqué pour assainir un marché en
surcapacité chronique, les espoirs
des investisseurs ont été sévèrement douchés le 1er avril, après des
déclarations de Mohammed Ben
Salmane, le vice-prince héritier et
numéro trois de l’Arabie saoudite.
Il a prévenu que son pays, membre
dominant de l’OPEP, ne gèlera le
niveau de son offre que si les
autres grands producteurs, en premier lieu l’Iran, font de même.
Or, le ministre iranien du pétrole, Bijan Namdar Zanganeh, a
fait savoir dans la foulée que les
Le gérant d’actifs
Pimco a abaissé
d’un quart
de point
sa prévision
de croissance du
PIB réel mondial,
à 2 % - 2,5 %
exportations pétrolières de son
pays dépassent désormais les
2 millions de barils par jour (mbj).
De son côté, la Russie, également
dans le peloton de tête des pays
producteurs, annonçait le 3 avril
que sa production a atteint
10,91 mbj en mars, un record depuis près de trente ans…
Dernier sujet d’angoisse pour les
marchés, et non des moindres : les
agissements des banques centrales, avec notamment la divergence
monétaire entre une Fed engagée
dans un processus de hausse des
taux, et une BCE toujours pied au
plancher en matière d’assouplissement quantitatif (quantitative
easing ou QE, achats massifs de titres de dettes). La Fed elle-même
semble toutefois divisée sur l’opportunité de relever les taux directeurs lors de sa prochaine réunion,
les 26 et 27 avril, a-t-on appris mercredi, à l’occasion de la publication
des « minutes » (compte rendu) de
la dernière réunion du comité de
politique monétaire (FOMC) de
l’institut, qui s’était tenue les 15 et
16 mars. Pas de quoi clarifier les
idées des investisseurs…
Et ce n’est sans doute pas fini.
« De nombreux vents contraires
persistent : un ralentissement dans
les marchés émergents qui, combiné avec les tendances démographiques des pays développés, devrait conduire à une croissance tendancielle mondiale plus faible au
cours des prochaines années. A cela
s’ajoutent un récent raffermissement de l’euro par rapport au dollar qui pénalise les exportateurs,
une inflation qui reste faible, des
banques centrales qui semblent à
court de munitions, un manque de
réformes structurelles (…) et le référendum britannique sur un possible “Brexit” le 23 juin », listent les
analystes de Sycomore AM dans
une note parue le 7 avril. A vous
donner le tournis !
A ces risques démultipliés
s’ajoute un facteur technique, non
négligeable. « La liquidité [est] de
plus en plus abondante, ce qui démultiplie la taille des flux de capitaux acheteurs ou vendeurs », souligne-t-on chez Natixis. Et envoie
les indices valdinguer à la hausse
ou à la baisse, encore plus violemment. Les grands argentiers de la
planète n’ont pas fini de se faire
des cheveux blancs. p
audrey tonnelier
MATIÈRES PREMIÈRES
TAUX & CHANGES
Le précieux filon des mines de cuivre
La BCE prête à tout contre la déflation
L
e cours du métal rouge continue de faire grise mine. Il
ne flamboie guère en
Bourse. La tonne de cuivre se négociait vendredi 8 avril à 4 650 dollars
(4080 euros) la tonne. A comparer
aux 10 000 dollars la tonne atteints il y a cinq ans. Ou aux sommets tutoyés au cours des années
2000, lorsque ce métal pavoisait
comme un symbole du « super cycle » des matières premières.
La gamelle a été particulièrement violente en 2015, le cuivre
ayant vu s’évaporer près du quart
de sa valeur. Même si, comme
pour tous les métaux, les feux de la
spéculation lui ont redonné un
peu de couleur en mars, la pression est retombée depuis. Lors du
grand raout organisé par le petit
monde du cuivre, cette semaine, à
Santiago au Chili, l’ambiance
n’était pas à la fanfaronnade. Lors
d’un sondage rapide, seul un quart
des intervenants, groupes miniers
comme investisseurs, estimaient
que le point bas était atteint. Les
autres voyant encore la courbe se
creuser. Avec, en ligne de mire, la
barre des 4 000 dollars la tonne.
Le joyau de la couronne
Les groupes miniers se serrent la
ceinture. Ils ont d’ailleurs renoncé
à fêter leurs retrouvailles annuelles au sein de l’enceinte du prestigieux hippodrome de la capitale
chilienne. Pour réduire la mise, ils
ont opté pour un simple centre des
congrès et limité le nombre de
couverts. Il est vrai que la facture
pèse sur ces entreprises qui
n’avaient pas anticipé un tel retournement de conjoncture. La
compagnie publique chilienne Codelco, plus gros producteur mondial, a annoncé, fin mars, une
Dégringolade
COURS DU CUIVRE, EN DOLLARS LA TONNE, À LONDRES
5 730
4 650
2 000
11 MARS 2015
7 AVRIL 2016
SOURCE : BLOOMBERG
perte de 1,3 milliard de dollars au
titre de l’exercice 2015. L’entreprise, qui avait accru sa production
de 3,6 %, s’est mise au régime sec,
en réduisant ses effectifs et ses investissements.
Pour autant, les mines de cuivre
elles-mêmes gardent tout leur
éclat. Les groupes censés tailler
pour réduire leurs dettes rechignent à se séparer de ces actifs qui
n’ont rien perdu de leur préciosité.
Glencore, par exemple, qui ploie
sous des montagnes de dettes, a
préféré conclure, mercredi 6 avril,
la cession de 40 % de sa filiale agricole à un fonds de pension canadien. De quoi empocher 2,3 milliards de dollars. Il devrait aussi céder des équipements ferroviaires
d’une mine de charbon australienne pour plus de 700 millions
de dollars. Mais même quand ils
sont contraints de céder des mines
de cuivre, les groupes tentent de
conserver les plus beaux filons.
Le cuivre reste le joyau de la couronne des entreprises minières. La
nomination du patron de cette activité comme PDG du numéro
deux mondial, Rio Tinto, a été
mise en exergue par ses thuriféraires. Certains sont même prêts à
s’offrir de nouvelles mines de métal rouge. Tous sont persuadés que
les cours vont se redresser. Et que
les surplus créés par le double effet
du ralentissement brutal de la
croissance chinoise et de la frénésie d’investissements dans les mines vont se résorber. A quel horizon ? La question reste suspendue… à un fil de cuivre. p
laurence girard
P
ubliées le 7 avril, les minutes du
Conseil des gouverneurs de la BCE
n’ont pas apporté de grande surprise. Elles ont toutefois validé le sentiment
qu’éprouvent nombre d’opérateurs sur les
marchés depuis un mois : la Banque centrale européenne en a encore sous le pied.
Le même jour, plusieurs hauts responsables de la banque centrale ont d’ailleurs
réaffirmé qu’ils ne laisseraient pas la zone
euro s’enliser dans la déflation. Le Portugais Vitor Constâncio, vice-président de la
BCE, a ainsi déclaré que la Banque centrale
ferait « tout ce qui est nécessaire » pour que
l’inflation revienne à 2 %, son objectif de
long terme. Après une baisse de 0,2 % en
février, les prix se sont encore tassés de
0,1 % en mars en rythme annuel. Au cours
des trois dernières années, l’inflation en
zone euro a été continuellement inférieure
à 2 %. « Nous combattons des forces désinflationnistes permanentes », a insisté Mario
Draghi, président de l’institution européenne, cité par l’agence Bloomberg.
mie et la transmission de la politique monétaire, répond Rose Ouahba, responsable de
l’équipe obligataire chez Carmignac Gestion. Cela signifie qu’il y aura toujours un
acheteur en dernier ressort insensible au niveau de volatilité de ces titres. » En confortant les intervenants sur ce marché, en particulier les banques, la BCE veut les inciter à
prendre davantage de risques en accordant
des crédits aux ménages et aux entreprises.
La réaction des marchés à ces annonces a
été positive, signe que le discours de Mario
Draghi passe toujours. « En annonçant
qu’elle pouvait pratiquer une politique monétaire encore plus accommodante, la BCE
s’est assurée deux mois de tranquillité, mais
les interrogations des opérateurs ne sont
pas levées », commente Mme Ouahba.
Que va faire la BCE ? « Les minutes ont confirmé qu’elle entendait stimuler l’inflation
par des mesures non conventionnelles plutôt
qu’en recourant à de nouvelles baisses de
taux », dit Frederik Ducrozet, économiste
chez Pictet Wealth Management. La Banque
centrale pourrait ainsi modifier les règles
de son programme de rachats d’obligations,
censé courir jusqu’en mars 2017. « Elle pourrait le prolonger et, surtout, modifier la répartition des achats de titres par pays »,
poursuit M. Ducrozet. D’autres experts estiment que la BCE aura bientôt épuisé l’arsenal des moyens à sa disposition. Les causes
de la faiblesse de l’inflation, telles que l’anémie de la demande, échappant en grande
partie à son champ d’action. p
Rachat d’obligations d’entreprises
L’arsenal de mesures annoncées par la BCE
le 10 mars pour stimuler l’inflation est déjà
impressionnant, avec une baisse de 0,05 %
à 0 % de son principal taux directeur, une
baisse de – 0,3 % à – 0,4 % du taux de dépôt
auquel les banques peuvent placer leurs liquidités et une hausse de 60 à 80 milliards
d’euros du volume de dette qu’elle rachète
chaque mois depuis mars 2015. La BCE a
aussi annoncé qu’elle allait désormais rajérôme porier
cheter des obligations d’entreprise dans le
cadre de son programme de rachats de det- LA SOCIÉTÉ DES LECTEURS DU « MONDE »
tes, un événement, car cet outil n’a encore
jamais été essayé en Europe.
COURS DE L'ACTION
Pourquoi la BCE rachète-t-elle des obligaVENDREDI 8 AVRIL
tions d’entreprise ? « L’idée est de créer un fi- Société des lecteurs du « Monde »
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0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Quand l’héritage sert à rembourser les aides
Lors d’une succession, des prestations sont recouvrées par les organismes qui les ont versées
O
n l’ignore souvent, mais au
moment de régler une succession, de nombreuses aides sociales sont récupérables par les
départements ou les caisses de retraite qui
les ont versées. Il n’est pas rare de voir des
héritages
fondre
de
plus
de
100 000 euros », observe Marie Monmarché, notaire à Joué-lès-Tours (Indre-etLoire) pour Groupe Monassier. Les Yvelines ont, par exemple, recouvré 7 millions
d’euros en 2015, les Hauts-de-Seine
7,3 millions d’euros. Si vous héritez d’un
proche qui percevait ces aides, la marche à
suivre diffère selon leur type.
Côté départements, plusieurs dispositifs
sont concernés. C’est le cas de l’aide ménagère à domicile – il faut percevoir
moins de 4 600 euros annuels pour y être
éligible –, de l’aide aux repas et de la prestation spécifique dépendance (cette aide
n’existe plus depuis 2002 mais est encore
récupérée sur certaines successions). Et
surtout, de l’aide sociale à l’hébergement
(ASH), versée à de nombreux seniors en
maisons de retraite – et à des handicapés
en établissements – pour financer les
prestations d’hôtellerie. Voilà pour la
théorie, car en pratique, certains départements peuvent décider de ne pas recouvrer telle ou telle prestation.
Les Hauts-de-Seine, par exemple, ne récupèrent pas l’aide ménagère. Quant aux
caisses de retraite, elles peuvent se faire
rembourser le « minimum vieillesse ». Fin
2014, 425 000 personnes bénéficiaient de
cette allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), qui garantit un certain
montant de ressources mensuelles.
Toutes ces aides peuvent être récupérées à partir du moment où elles ont été
versées pour la première fois. Quand l’héritage affiche un solde négatif, les héritiers ne sont toutefois pas appelés à effacer l’ardoise avec leurs propres deniers.
Pour le reste, chaque dispositif affiche ses
propres règles. Les aides du département
pour les prestations à domicile ne sont
ainsi récupérables que sur la part de l’actif
net de la succession qui dépasse
46 000 euros, avec une franchise de
760 euros. Si le défunt a perçu
10 000 euros d’aide ménagère, et que l’actif net s’élève à 49 000 euros, le département récupère ainsi 2 240 euros (49 000 –
46 000 – 760 euros).
Sacré micmac
Sachez que pour évaluer l’actif net, il est
admis de déduire les dettes personnelles
du défunt, mais aussi celles liées au décès
(frais funéraires, etc.) et aux biens de la
succession (crédits, sommes à dépenser
pour rénover un logement à vendre…).
En revanche, il faut rajouter les sommes
investies en assurance-vie après 70 ans.
Pour les autres aides départementales,
aucun seuil de perception n’est prévu : si
le défunt a reçu 50 000 euros d’ASH et
que l’actif s’élève à 40 000 euros, tout
l’héritage va au département.
Les donations en ligne de compte
Si vous avez reçu une donation d’une personne qui perçoit un coup de pouce financier du département moins
de dix ans avant sa demande d’aide, on pourra vous
demander un remboursement des prestations sociales
à hauteur des sommes que vous avez empochées. Ce
remboursement peut être exigé à la succession du bénéficiaire des aides, voire plus tôt, selon la pratique du
département. Pour le « minimum vieillesse » (ASPA),
le principe est différent puisque les donations accordées
par le demandeur sont de toute façon prises en compte
pour évaluer son éligibilité à l’aide. Au moment de la demande d’ASPA, un bien donné à un descendant au cours
des cinq années précédentes est ainsi considéré procurer un revenu fictif annuel de 3 % de sa valeur (et de près
de 12 % pour un bien donné à une autre personne).
De son côté, la caisse de retraite « ne recouvre ses créances que sur la part de l’actif net qui dépasse 39 000 euros, et seulement à hauteur maximale de 6 226 euros
par année d’allocation versée », précise
Christine Cambus, directrice juridique et
réglementation à la CNAV. Autre particularité : pour éviter que les retraités du
monde rural ne renoncent au minimum
vieillesse (ASPA), la valeur des fermes et
de leurs bâtiments n’entre plus en
compte pour le calcul depuis le 29 décembre 2011.
Attention, à partir du moment ou ils
ont connaissance du décès, les départements et caisses de retraite disposent de
cinq ans pour réclamer leur dû ! En général, « c’est le notaire chargé de la succession qui les contacte », explique Marie
Monmarché. S’il n’y a pas de notaire (certaines familles s’en passent pour les successions sans bien immobilier), le département ou la caisse de retraite contactent
directement les ayants droit. Si la demande de récupération a lieu après le
partage, chaque héritier doit rembourser
à hauteur de la quote-part reçue : un sacré micmac, surtout quand les sommes
ont été dépensées…
Ainsi, mieux vaut toujours se signaler
dès l’ouverture de la succession, même
lorsqu’on n’est pas certain que le défunt
percevait des aides. Rembourser avant le
partage reste bien plus simple, d’autant
qu’il faut souvent vendre des biens pour
solder la créance. Ceux qui ne peuvent
régler la note, par exemple si le conjoint
souhaite rester dans la résidence principale et ne pas la vendre, « peuvent demander l’étalement du remboursement
sur plusieurs années, ou repousser le
paiement au décès du conjoint survivant », explique-t-on conseil général des
Hauts-de-Seine. p
caroline racapé
CLIGNOTANT
I MMOBI LI ER
Les taux des crédits cassent la barre des 2 %
La baisse des taux d’intérêt des crédits immobiliers
s’est encore accélérée en mars, selon l’Observatoire crédit logement-CSA. Les taux se sont établis à 1,97 % en
mars contre 2,09 % en moyenne en février, et 2,20 %
en décembre. « La baisse des taux, qui avait déjà été rapide durant les premiers mois de 2016, connaît une accélération remarquable en mars », relève l’Observatoire,
en notant qu’ils évoluent à leur plus bas niveau
depuis la fin des années 1940. Et rien n’indique qu’ils
devraient remonter rapidement. Pour stimuler l’économie, la Banque centrale européenne fait tout pour
maintenir les emprunts d’Etat au plus bas. Or, les taux
des crédits immobiliers sont en partie indexés dessus.
QUESTION À UN EXPERT
jean dugor, notaire à Auray (Morbihan)
Quel est l’intérêt d’opter pour une
donation temporaire d’usufruit ?
La donation temporaire d’usufruit revient à céder l’usage d’un bien
pour une période donnée (cinq à dix ans en général) tout en gardant
la propriété (nue-propriété). En donnant l’usufruit d’un bien,
les revenus qui y sont attachés, comme les loyers s’il s’agit d’un bien
immobilier, ou les dividendes s’il s’agit d’un compte titres reviennent
à l’usufruitier. A l’issue de cette période le nu-propriétaire retrouve
la pleine propriété de son bien.
Il s’agit donc d’une manière efficace d’aider un membre
de sa famille, en particulier l’un de ses enfants. Un couple disposant
d’un appartement mis en location peut ainsi décider de le donner
en usufruit à sa progéniture pendant la durée de ses études
pour l’aider à assumer ses charges quotidiennes.
Cette donation est fiscalement avantageuse. Vis-à-vis de l’impôt de
solidarité sur la fortune (ISF), tout d’abord. Le bien donné en usufruit
sort du patrimoine du nu-propriétaire, ce qui revient donc
à diminuer sa base taxable et donc à réduire son ISF, voire de
ne plus y être assujetti. Côté impôt sur le revenu, il en est de même,
les loyers du bien ainsi donné ne figurant plus dans la base
d’imposition du donateur ce qui équivaut à une réduction d’impôts.
VILLES EN MUE
VOIT GRAND
A Paris, la poste du Louvre se métamorphose
POUR VOTRE WEEK-END
LES QUOTIDIENS ET SUPPLÉMENTS DU WEEK-END
d’autres usages : on y trouvera un commissariat de police, une halte-garderie, un espace de coworking, des commerces, des bureaux, des logements sociaux et, au dernier
étage, un hôtel de standing de 80 chambres,
avec restaurant et terrasse de 2 300 m2.
« Charpente métallique au centre »
Le coût de cette rénovation s’élève à
140 millions d’euros et les recettes locatives
encaissées par le Groupe La Poste devraient
dépasser 10 millions par an. Bien qu’il ne
soit pas classé monument historique, cet
ensemble sera rénové dans le respect de l’esprit des lieux. « Ce bâtiment usine a été
conçu avec une structure originale et innovante pour l’époque. Les façades en pierre se
situent en périphérie de l’édifice et la charpente métallique a été réalisée au centre.
D’ailleurs, cette charpente sera conservée et
restaurée », explique M. Perrault.
Les acteurs de cette restructuration prévoient aussi de transformer ce bâtiment en
un îlot urbain en créant des passages traversant l’immeuble. « Les promeneurs pourront ainsi passer par la cour intérieure à ciel
ouvert qui existe déjà au centre, mais qui a
toujours été fermée au public », poursuit
l’architecte. p
laurence boccara
Les
promeneurs
pourront
traverser
le bâtiment,
transformé
en îlot urbain,
par une cour
intérieure
à ciel ouvert.
L’ÉDITION ABONNÉS NUMÉRIQUE 7/7
DOMINIQUE PERRAULT
ARCHITECTURE
* Prix normal d’abonnement
A
u numéro 52 de la rue du Louvre,
dans le 1er arrondissement de Paris,
l’opération de rénovation du majestueux immeuble abritant la poste a démarré. Ce chantier devrait durer trentedeux mois avec une livraison prévue fin
2018. Propriété du groupe postal, c’est l’architecte Dominique Perrault qui va moderniser cet édifice emblématique du quartier.
Erigé en 1888 par l’architecte Julien Guadet, l’hôtel des Postes offre une stature imposante qui tranche avec celle des immeubles haussmanniens. Ce bâtiment « îlot »
trône entre les rues du Louvre, Etienne-Marcel et Jean-Jacques-Rousseau. Il s’élève sur
six étages, compte trois niveaux de sous-sol
et développe une surface de 35 000 m2. Certaines façades mesurent jusqu’à 100 mètres
de long. Détenu et occupé à 100 % par le
Groupe La Poste depuis l’origine, ce lieu servait de bureau de poste – le seul de France
ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 –, de
centre de tri et de distribution du courrier.
« Au terme de la modernisation de l’édifice,
les différents métiers du groupe (courrier,
banque, plate-forme de logistique urbaine…)
n’occuperont plus qu’un tiers des surfaces »,
explique Christian Cléret, directeur général
de Poste Immo, filiale immobilière du
Groupe La Poste. L’immeuble offrira
ABONNEZ-VOUS SUR LeMonde.fr/offrewe
8 | MÉDIAS&PIXELS
0123
DIMANCHE 10 - LUNDI 11 AVRIL 2016
Vivendi et Mediaset unis pour contrer Netflix
Les groupes français et italien ont annoncé vendredi 8 avril un échange de participations à hauteur de 3,5 %
La CNIL très favorable au
chiffrement des données
tifs qu’ils possèdent déjà. Canal+
dispose de CanalPlay en France et
de Watchever en Allemagne. Mediaset a lancé Infinity il y a un an
en Italie, et a prévu de décliner la
version espagnole en septembre.
Un nom commun pour la future
plate-forme devrait être trouvé
d’ici à septembre.
Une proie attractive pour Bolloré
Une structure ad hoc sur le modèle d’Hulu, une plate-forme de vidéos américaine, devrait voir le
jour. Vivendi et Mediaset en seraient les actionnaires majoritaires. Ils accueilleraient au tour de
table deux majors américaines,
qui prendraient des participations
minoritaires. Des discussions
auraient déjà été engagées avec
Warner, Sony, Disney, Fox, etc.
Mais le choix ne serait pas arrêté.
Au-delà de ce partenariat industriel, beaucoup considèrent l’arrivée de Vincent Bolloré dans Mediaset comme un prélude à une
future prise de pouvoir du groupe
0123
Inversement, un administrateur
du géant français des médias siégera au conseil de Mediaset. Il
s’agira soit d’Arnaud de Puyfontaine, actuel président du directoire, soit de Yannick Bolloré, fils
de Vincent Bolloré.
Ensemble, Vincent Bolloré et Silvio Berlusconi, qui se connaissent
de longue date, espèrent se faire
une place de choix dans le paysage
européen audiovisuel. Dans la télévision payante d’abord, où les
deux groupes ne sont pas en très
bonne posture. Centre névralgique de Vivendi, Canal+, qui
compte 11 millions d’abonnés,
dont 6 millions dans l’Hexagone,
connaît d’importantes difficultés
en France. Concurrencé dans le cinéma par Netflix et dans le sport
par BeIN Sports, le groupe perd
des clients depuis de nombreuses
années. En 2015, ses pertes en
France ont atteint 264 millions
d’euros. Canal+ a déjà engagé une
première riposte en signant un accord de distribution exclusive
avec BeIN Sports.
En Italie, après une dizaine d’années d’existence, Mediaset Premium ne compte que 1,3 million
de clients, malgré 710 millions
d’euros investis pour acheter les
droits de la Ligue des champions,
qui courent de 2015 à 2018. Le bouquet, lancé sous la houlette de
Pier Silvio Berlusconi, se situe
loin derrière les 4,7 millions de
clients de Sky Italia, propriété de
Rupert Murdoch. En acceptant
l’offre de Vincent Bolloré, Silvio
Berlusconi revoit ses ambitions à
la baisse. En avril 2015, le magnat
australo-américain des médias lui
avait fait une offre de rachat de
1 milliard d’euros.
A eux deux, Vivendi et Mediaset
comptent s’appuyer sur une plus
large base de clientèle pour produire des contenus pour le marché
international. Vivendi a déjà mis
un coup d’accélérateur dans ce domaine. Le fleuron français a acquis
26 % de Banijay, la société de production de Stéphane Courbit. Et
StudioCanal, filiale de Canal+,
vient d’entrer au capital de trois sociétés de production indépendantes. Il a racheté 33 % du capital de
l’espagnol Bambu Producciones,
et 20 % des britanniques Urban
Myth Films et Sunny March TV.
Dans la distribution, les deux
groupes vont donc développer
une plate-forme de vidéos à la demande, afin d’offrir une alternative aux majors devenues très dépendantes de Netflix. Pour cela,
ils peuvent s’appuyer sur les ac-
HORS-SÉRIE
suite de la première page
de télévision italien. En Italie, Mediaset fait figure de puissance locale. Ses trois chaînes gratuites
(Italia 1, Canale 5 et Rete 4) rivalisent en termes d’audience avec la
RAI et attirent 57 % du marché publicitaire. « L’unique intérêt de Bolloré est de faire main basse sur Premium pour s’adjuger ensuite la totalité de Mediaset, vers qui converge la majorité du marché
publicitaire italien », écrivait
même La Repubblica le 21 mars.
Pier Silvio Berlusconi a tenu à
couper court aux rumeurs dès
vendredi. « Si vous demandez si cet
accord est un premier pas vers un
désengagement de la famille Berlusconi du secteur des communications, ma réponse est non », a-t-il
dit. L’accord entre les deux groupes prévoit que Vivendi ne puisse
acheter aucune action Mediaset
lors de la première année après la
signature du contrat. La seconde
et la troisième année, la participation du français dans Mediaset ne
pourra être supérieure à 5 %.
Les deux groupes
vont développer
une plate-forme
de vidéos
à la demande,
en incluant
deux majors
américaines
Et après ? Qui succédera à Silvio
Berlusconi, qui fêtera ses 80 ans en
septembre ? Fedele Confalonieri,
meilleur ami, conseiller le plus
écouté de l’ex-Cavaliere et président de Mediaset, approche, lui
aussi, de ses 79 ans… Berlusconi,
qui fut trois fois président du conseil entre 1994 et 2011, a-t-il encore
besoin d’un empire à présent qu’il
n’a plus d’avenir en politique ?
Mediaset, fondé en 1993, est contrôlé à 33,5 % par la holding financière Fininvest, elle-même déte-
nue par Silvio Berlusconi et ses
cinq enfants, nés de deux mariages. Les deux aînés, Pier Silvio et
Marina, dirigent respectivement
Mediaset et Mondadori, le premier éditeur italien. Mais le patriarche s’est convaincu qu’aucun
de ses héritiers n’avait les épaules
assez larges ni assez de flair en affaires pour en assumer la gouvernance et la croissance.
C’est également fort de ce raisonnement politique que Matteo
Renzi, le chef du gouvernement
italien, qui a rencontré plusieurs
fois Vincent Bolloré, n’a pas cherché à contrecarrer cette opération.
Pour l’homme d’affaires breton,
qui foule le sol italien depuis deux
décennies, avec des participations
dans Mediobanca et plus récemment dans Telecom Italia, le premier opérateur télécoms du pays,
dont il s’est offert 25 % du capital,
Mediaset apparaît comme une
proie très attractive. p
sandrine cassini
et philippe ridet (à rome)
Réussir son bac
PROGRAMME
2016
avec
0123
La commission estime que cette technologie
est nécessaire au respect de la vie privée
L
a Commission nationale de
l’informatique et des libertés (CNIL) s’est nettement
prononcée en faveur du chiffrement des données personnelles
dans une décision adoptée jeudi
7 avril et rendue publique vendredi 8 lors de la présentation de
son rapport annuel. Elle y explique
que cette technologie est nécessaire pour garantir le droit à la vie
privée et constitue un composant
essentiel de la sécurité informatique, de même qu’un facteur de
protection, voire de concurrence,
pour les entreprises françaises.
Le chiffrement des données, explique la CNIL, permet de « protéger les personnes et leur vie privée,
afin de garantir leurs droits fondamentaux ». « Le chiffrement est un
élément vital de notre sécurité » en
permettant de « protéger les systèmes d’information », poursuit la
commission, qui « contribue aussi
à la robustesse de notre économie
numérique » et à « promouvoir l’essor de l’économie du numérique ».
Faut-il des « portes dérobées » ?
Depuis plusieurs mois, aux EtatsUnis mais aussi en France, des
voix s’élèvent, accusant les fabricants de technologie de compliquer les enquêtes, notamment en
matière de terrorisme, en proposant à leurs utilisateurs des
moyens cryptographiques de protection de leurs données. Certains
ont appelé à la mise en place de
« portes dérobées », c’est-à-dire un
moyen de rendre caduc le chiffrement des données pour les besoins d’une enquête. Dans sa position, la CNIL déconseille fermement un tel dispositif.
La commission rappelle tout
d’abord l’existence, en France,
d’un « cadre légal bien établi » concernant la collaboration des entreprises fournissant de la cryptographie aux enquêtes criminelles. La
CNIL voit donc dans les « portes
dérobées » un « risque collectif tendant à affaiblir le niveau de sécurité des personnes face à l’ampleur
du phénomène cybercriminel » et
souligne le fait que les criminels,
ceux qu’on cherche à atteindre
avec ce mécanisme, continueront
à utiliser du chiffrement résistant
aux enquêteurs.
Si la question peut se poser dans
les rangs des forces de l’ordre,
dans les milieux plus techniciens,
les « portes dérobées » font l’unanimité contre elles. L’Agence nationale de sécurité des systèmes
d’information (Anssi), l’autorité
placée auprès du premier ministre chargée de la protection des
systèmes informatiques de l’Etat,
a récemment rédigé une note confidentielle dans laquelle elle se
prononçait aussi en faveur d’un
chiffrement robuste et récusait
l’idée de « porte dérobée ».
La position de la CNIL n’a rien de
surprenant de la part d’une institution qui incite depuis des années les entreprises à recourir à
cette technique de protection par
chiffrement et qui s’apprête à faire
de même pour les particuliers si le
projet de loi numérique, adopté à
l’Assemblée, demeure en l’état.
Mais cette position intervient
dans un contexte très tendu sur
ce sujet. Aux Etats-Unis, la question de savoir si les autorités doivent disposer d’une « porte dérobée » a fait rage pendant des mois.
Le FBI a aussi tenté d’engager un
bras de fer devant la justice avec
Apple afin d’obtenir son aide pour
« casser » le chiffrement d’un téléphone appartenant à un terroriste de San Bernardino, lançant
un débat sur le pouvoir de contrainte des autorités sur les entreprises technologiques. Un projet
de loi à ce sujet est d’ailleurs en
préparation et devrait être examiné par le Sénat américain.
En France, la question du chiffrement s’est aussi invitée au menu
des débats autour du projet de loi
de lutte contre le crime organisé et
le terrorisme. Les amendes visant
les entreprises qui ne collaboreraient pas suffisamment avec les
autorités en la matière ont été renforcées. p
martin untersinger
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2
E N QUÊ TE
En voiture
Simone,
Depuis dix ans,
des centaines
de milliers
de gens
covoiturent
avec Blablacar.
Un précipité
de la France
dans l’habitacle
Leila,
Viviane,
Laurent,
Noé, Ali,
Sofia,
Gisèle,
Enrique …
4
I N TERVI EW
Jérémy Ferrari
en mode libre
Pédophilie et « Petite maison dans
la prairie »… L’humoriste répond
avec acidité au questionnaire
de « L’Epoque ».
5
PSYCH O
Frigo, dis-moi
qui est le plus
névrosé ?
Nickel chrome ou en vrac,
le réfrigérateur conserve
nos petits péchés. Et en dit long
sur notre identité.
6
TO UR I S ME
Trouville
éternelle
L’Hôtel Flaubert et ses colombages nous font remonter le temps
jusqu’aux toiles d’Eugène Boudin.
MARIO WAGNER
DIMAN C H E 1 0 - LU N DI 1 1 AV RIL 201 6 C AHI ER DU « M O N DE » N O 2215 7 - N E PEUT ÊT RE V EN DU SÉPARÉM EN T
0123
DIM A N C HE 1 0 - L UN DI 1 1 AVR IL 20 1 6
ENQUÊTE
2
«Toute la France monte
dans ma voiture »
Un profil, un trajet. Chaque jour,
des milliers de personnes
s’inscrivent sur Blablacar pour
rouler avec de parfaits inconnus.
Dix ans de rencontres improbables,
souvent enrichissantes
Pascale Krémer
V
otre mission, si vous l’acceptez ? Vous enfermer
durant plusieurs heures
dans un habitacle étroit
avec des inconnus. Et instaurer, au sein de cette microsociété éphémère, des relations humaines harmonieuses. Chaque mois, des
centaines de milliers de personnes relèvent, en France, ce défi du huis clos, qui
n’est pas lancé par la NASA en prévision
d’un voyage vers Mars, mais par Blablacar. Elles covoiturent.
En une décennie d’existence, le
site a fédéré 25 millions de membres à travers le monde, dont plusieurs millions en
France, « marché le plus mature », selon
l’entreprise – le chiffre précis est tenu secret. La petite start-up tricolore est désormais championne planétaire du covoiturage longue distance. L’entreprise fondée
et dirigée par Frédéric Mazzella s’est
muée en « licorne » valorisée à plus de
1 milliard de dollars.
Bien sûr, crise et précarité ont
dopé cette mobilité à coûts partagés,
moins onéreuse que le train, plus souple
aussi, et rassurante puisque les « blablacaristes » sont autant de profils renseignés sur le Web et jaugés par leurs pairs.
Bien sûr, la sensibilité écologique a fait
apparaître toute l’absurdité du ballet
autoroutier des voitures quasi vides,
alors même que le rapport à l’automobile virait à l’utilitaire.
Il y a bien des explications rationnelles au succès de Blablacar. Ce serait
oublier une dernière composante essentielle : la convivialité. Le covoiturage, c’est
deux, quatre, six heures d’un transport
réellement en commun puisqu’il faut se
parler. Qui commence à covoiturer pour
raisons économiques continue souvent
par goût. « On attrape le virus », résume
Sylvie Cormouls, 44 ans, clown et professeur de yoga du rire, qui ne s’éloigne plus
de son île de Ré sans embarquer des
passagers. « J’ai commencé le covoiturage,
j’étais en quasi-dépression, mon mari venait de me quitter. Je vais vous dire, ça m’a
fait revivre. » En une centaine de voyages,
depuis 2011, Sylvie est devenue prosélyte.
« Je m’offre des tranches de vie. Sur le site, je
me mets en mode “Acceptation automatique”, je ne choisis donc pas les gens. Toute
la société monte dans ma voiture. Une
symbiose se crée qui n’existe pas dans la vie
réelle. » Cette phrase, sans cesse, revient
comme un étonnement dans les propos
des blablacaristes réguliers : « Jamais je
n’aurais rencontré ces personnes dans la
vraie vie… » Car ce trajet d’en moyenne
330 kilomètres est l’occasion d’un brassage social, générationnel et culturel. Plaisirs du hasard et de l’altérité. « On ferait les
mêmes rencontres si l’on s’asseyait sur un
CO N T R Ô LE R O U T I ER
A qui est ce sac de coke ?
Lorraine de Foucher
E
n juin 2014, un étudiant parisien poste une annonce
sur Blablacar pour remplir sa Citroën C3 à destination de Toulouse, où il prévoit de faire la fête tout le
week-end. Rendez-vous est fixé porte d’Orléans avec une
étudiante en architecture, récemment rentrée d’un long
séjour au Mexique. Un troisième passager prend place, il a
29 ans et vient de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Il fait
beau, la musique à la radio est entraînante et les échanges
badins. On emprunte l’A20, quatre cents kilomètres plus
tard, on a dépassé Limoges, c’est l’heure de l’essence, de la
pause pipi et des bonbons de station-service. La voiture
s’engage sur l’aire d’autoroute de Briance-Ligoure.
Là, des agents des douanes contrôlent le véhicule
et trouvent dix kilos de cannabis ainsi que 500 grammes
de cocaïne dans une valise. La prise est la plus importante
de l’année pour le département de la Vienne : la marchandise sera estimée à environ 100 000 euros à la revente. En
garde à vue, les deux étudiants protestent, le troisième
passager reconnaît finalement qu’il était payé pour transporter la drogue. « Il s’est tout de suite plaint du look de babas cool de ses compagnons de voyage, explique son avocate, Me Gisèle Claude-Lachenaud. Il m’a dit “la fille avec
son chapeau mexicain, lui avec sa guitare, on a eu l’air de fumeurs de shit, et les douaniers nous sont tombés dessus,
alors que j’avais fait exprès de prendre un Blablacar pour
être plus discret”. » « C’est assez malin d’utiliser le covoiturage pour faire du trafic de stupéfiants, poursuit Me ClaudeLachenaud, ça permet de déjouer les clichés des douaniers,
qui vont toujours plus contrôler une Audi A8 plaquée en Al-
lemagne, que trois étudiants en goguette pour faire la fête à
Toulouse dans une C3… » Sauf cette fois-ci, où le passager a
été condamné à trois ans de prison pour trafic de stupéfiants. « Le covoiturage, ça permet aussi de dématérialiser
l’infraction et de brouiller les pistes », ajoute Me Jean-Philippe Broyart, avocat à Valenciennes, et chargé en décembre 2015 de défendre un passager belge de 35 ans, intercepté à la frontière à bord d’un véhicule de covoiturage,
avec un kilo de cannabis et 300 grammes d’héroïne. Lui
n’a jamais reconnu être le propriétaire du sac où la drogue
était stockée. « Il n’y avait pas d’empreintes sur le sac, pas
d’ADN, les six autres passagers pouvaient aussi bien s’être
ligués contre mon client pour dire qu’il était le propriétaire
de la marchandise », explique son conseil. Le tribunal de
Valenciennes n’a pas suivi : l’accusé avait un casier rempli
de condamnations pour trafic de stupéfiants.
Si les affaires de transport de drogue par covoiturage restent rares, la police aux frontières de Calais est de
plus en plus souvent confrontée à des cas mêlant trafic de
migrants et covoiturage. « Ce sont souvent des ressortissants polonais qui transportent des Ukrainiens avec des
faux papiers », précise un policier. Mais il est très difficile
de prouver l’existence d’un trafic. « En général, ils font les
choses bien, on retrouve l’annonce sur le site, et ils jurent
qu’ils ne se connaissent pas, explique un policier. On épluche leurs relevés téléphoniques pour voir s’ils ont des numéros communs et prouver l’organisation, mais ils jouent
la bonne foi en disant qu’ils ne savaient pas que leur passager était clandestin. »
Covoiturer
en paix
> Le meilleur profil
Pour donner confiance
aux passagers, le
conducteur a intérêt à
être complet : mettre
sa photo, indiquer son
modèle de voiture, ses
préférences (cigarette
ou non, musique, niveau de discussion…),
ainsi que les détails du
trajet (lieu de départ
exact, possibilité
de faire des pauses,
nombre de personnes
à l’arrière, etc.). Une
conductrice peut
cocher « ladies only ».
Une option très
peu utilisée, selon
Blablacar.
> Monter en grade
Les avis positifs reçus,
comme l’ancienneté et
le profil, permettent de
« monter en grade » :
un membre de Blablacar peut ainsi être
« débutant », « habitué », « confirmé »,
« expert » ou « ambassadeur ». Ce dernier
statut ouvre la porte
d’une communauté
qui organise des
festivités et peut téléconseiller bénévolement les nouveaux
arrivants sur le site.
> Le bonheur
au volant
Selon une enquête
TNS Sofres de décembre 2014, avoir des
passagers à bord influence positivement
le comportement
du conducteur :
concentration mieux
maintenue, meilleur
respect du code de
la route, moindre
énervement… L’évaluation a posteriori
du conducteur par
ses passagers
(« agréable », « peut
mieux faire », « à éviter ») joue aussi.
banc, longtemps, dans la rue, raisonne
Arnaud de Parade, entrepreneur, qui
trouve désormais ridicule de partir seul
dans sa grosse voiture. Sauf qu’on ne le fait
pas, et qu’il n’y a pas tant d’espaces que
cela où l’on communique. » Où le jeune
apprenti marionnettiste et le patron de
PME partagent les sièges avant, quand la
marchande de fruits, le podologue et le
pompier se tassent à l’arrière.
Dans ce melting-pot à la française, Sylviane Jourdheuil, 48 ans, plonge
chaque jour en ouvrant sa portière à des
inconnus. Trente-cinq kilomètres de trajet entre son domicile de Langres (HauteMarne) et la médiathèque de Chaumont,
dont elle est conservatrice. « Le covoiturage, sait-elle désormais, ce n’est pas
l’auto-stop d’il y a vingt ans. Des liens se
créent. En faisant se côtoyer des gens de
milieux sociaux différents, on rend plus
perméables les cercles. » Un jour, alors
qu’elle met de la musique, le jeune
homme assis à ses côtés murmure :
« Cette chanson, c’est la première que j’ai
entendue à ma sortie de prison. » Léger
malaise… « Là, se souvient Sylviane, je
me demande s’il a fait une grosse bêtise…
Violé une conductrice ? En fait, il avait été
condamné pour trafic de drogue, comme
beaucoup de jeunes en milieu rural où
l’on s’ennuie à mourir. Il m’a raconté ses
difficultés, j’ai un petit réseau, il a trouvé
un appartement. »
Impossible de dresser le portraitrobot des adeptes de la voiture partagée.
Les jeunes pionniers ont été rejoints par
leurs parents et grands-parents. La plus
forte progression d’inscrits, ces cinq dernières années ? Les plus de 60 ans, certains octogénaires retrouvant ainsi une
mobilité. Et l’on compte deux fois plus
d’actifs, ou de cadres, que d’étudiants.
L’habitacle comme précipité de la société
française. C’est ainsi que, fin 2014, une magistrate suppléante de la cour d’assises de
l’Aveyron convoie deux des dix-huit accu-
0123
D IM A N C HE 1 0 - L UN D I 1 1 AVR IL 20 1 6
3
MARIO WAGNER
sés qui comparaissent devant elle, sans les
reconnaître. Que Leila Madani, une quinquagénaire œuvrant dans l’édition, profite sur une aire d’autoroute du festin
improvisé par « un couple de Sénégalais
revenant d’un mariage avec des provisions ». « Je suis d’origine algérienne. A bord
de la voiture, il y avait aussi un Tunisien qui
avait participé à la révolution. On a mis
Youssou N’Dour à fond, on a fait une virée
en Afrique en passant par Montluçon. »
Psychothérapie de groupe
Certes, l’esprit du covoiturage s’est un brin
dissous dans la monétisation du service.
En 2012, le site a rendu payante la mise en
relation de ses membres. La plate-forme
ponctionne environ 15 % de la somme demandée par le conducteur (frais d’essence
et de péage divisés par trois). Pour un
Paris-Rennes, par exemple, le passager
paie 24 euros, 20 au conducteur et 4 à Blablacar. Du coup, certains conducteurs ont
parfois l’impression de jouer les taxis. « De
transporter des jeunes qui mettent leurs
écouteurs et se noient dans leur monde, des
personnes âgées qui veulent être déposées
au pied de chez elles », bougonne une
autopartageuse de longue date.
Viviane Mae, assistante dentaire,
a vécu comme une dévitalisation sans
anesthésie son dernier Grenoble-Vannes,
en tant que passagère. « J’ai pris double
dose d’huiles essentielles pour supporter. »
Quatre passagers, dans une BMW, avaitelle vu sur le site. Serré mais pensable
avec de petits bagages. Sauf que le chauffeur, quinquagénaire indélicat, avait également accepté pour 50 euros de convoyer cinq lapins dans son coffre. La voilà
partie, valise sur les genoux, pour un
voyage de quatorze heures ponctué d’incessants arrêts pour remplacer les covoiturés arrivés à bon port. « Seul l’argent intéressait le conducteur. »
Depuis, elle s’est inscrite sur
Covoiturage-libre.fr, qui met gratuitement en relation conducteurs et passagers (comme GoMore, Vadrouille-covoiturage.com, Karzoo.fr, Tribu-covoiturage.
com…). Elle espère côtoyer des covoitureurs qui certes, paient leur trajet, mais
demeurent plus proches de l’idéal solidaire des débuts. Le
hic, c’est que l’offre
est mince. Blablacar
monopolise 90 %
du marché du covoiturage longue distance en Europe…
Quand le coffre ne fait pas clapier,
le covoiturage dope
le moral. Les confidences s’y livrent en
accéléré, jusqu’aux
confins de la psychothérapie de groupe,
parfois. Laurent Barelier, du cabinet
d’études Chronos,
spécialisé dans les
questions de mobilité, l’explique : « C’est
éphémère, puisqu’on
Viviane Mae, assistante dentaire
ne se reverra pas, la
plupart du temps.
Tout le monde est sur un pied d’égalité, personne ne se connaissant au départ. Il y a
une injonction tacite de sociabilité dans ce
service collaboratif. Et l’on sort des règles
sociales habituelles. » « On peut exagérer,
s’inventer une vie, se libérer des masques
sociaux, appuie Sylvie la clown. Je me souviens d’un Toulouse-La Rochelle. Nous
étions quatre femmes en instance de
« Quatre
passagers,
cinq lapins
dans le coffre,
pour quatorze
heures de trajet.
J’ai pris double
dose d’huiles
essentielles pour
supporter »
divorce, avec le même juge. Les oreilles des
hommes de la Terre entière ont sifflé !
C’était quasiment orgasmique tellement on
a ri. » Tant de bonheur interroge. Est-ce le
filtre qu’instaure la pratique, réservée à
des personnes plus ouvertes de portière et
d’esprit que la moyenne des Français ?
« On ne peut plus dire cela quand 40 %
d’une classe d’âge covoiture, comme c’est le
cas des 18-35 ans », rétorque-t-on chez Blablacar. Il y a là de quoi se réjouir. Qui voit la
France de près l’apprécie, donc. Les stéréotypes tombent. Les quinquas discutent
avec des jeunes plein de projets dont ils
comprennent qu’ils se heurtent à des
murs. Juifs et musulmans ne rejouent pas
toujours l’Intifada sur la banquette arrière.
Les compagnons de voyage préférés de Noé Menuau, 19 ans, qui prend des
cours de comédie à Paris ? « Les vieux ! Ils
ont changé dix fois de carrière, ils ont des
centaines de trucs à raconter. » Quoiqu’il
ait aussi apprécié les sept heures de route
avec un technicien de surface d’origine
kosovare, qui lui a décrit par le menu, sur
fond musical idoine, les mariages dans
son pays. « Il expliquait super bien ! C’était
génial alors que ça aurait pu virer au cauchemar. » Car l’enfer, ce peut être l’autre
covoitureur. Le gars qui croit aux extraterrestres ou à la théorie du complot, et
essaie de convertir son compagnon de
voyage tout le long du trajet. Christiane,
sa procédure de divorce, ses deux maris,
ses enfants, ses chiens, pendant les six
heures d’un Toulouse-Paris. Le lourdaud
qui tente de séduire sa voisine d’habitacle, ostensiblement peu intéressée, dans
le silence gêné des trois autres passagers…
Quand un Paris-Rennes paraît plus long
qu’un Terre-Mars.
SEN S I N T ER DI T
L’onomatopée
Avis aux silencieux : chez
Blablacar, il est interdit de se taire.
L’option « Je ne parle pas » n’est pas
proposée aux conducteurs pour
renseigner leur profil. Ils n’ont le
choix qu’entre « Bla », « Blabla »
et « Blablabla »
4
0123
DIM A N C HE 1 0 - L UN DI 1 1 AVR IL 20 1 6
N O S J O U R S A R EU H
INTERVIEW
C’est le watt que je préfère
Clara Georges
Le premier rayon de soleil de l’année est une malédiction.
C’est leur signe de ralliement. Le petit troupeau se forme à
la sortie de la crèche. La transhumance des poussettes vagissantes. L’exil des choco BN écrasés. Où vont-ils tous ? Au
« parc », pardi. Au « jardin ». Déposer leurs petits paquets
morveux sur le gazon pelé, s’ébaubir de leur trouvaille douteuse dans le bac à sable. Se délecter de la magie darwinienne qui opère sur un toboggan (« Elle a du caractère,
hein ? »). L’inévitable Maman Rayonnante (la même qui peuple les forums Internet de « BB1 » et de « visites chez le gygy »)
déclame : « J’adore l’emmener au parc, ça lui fait tant de
bien de se dépenser, d’être un peu dans la nature. »
La nature ? Connais pas. L’enfant est élevé en batterie. Le
matin, la douce lueur de la 60 watts ancienne génération
fait office de soleil. Au réveil, on dirait un poussin sous sa
lampe chauffante. Les bienfaits de notre astre, il les ingère
sous forme liquide – quatre gouttes de vitamine D. Il peut
ensuite s’ébrouer dans les 61,18 m2 dont il dispose pour découvrir le monde. Tout y est. La flore – une racine d’orchidée.
La faune – mites alimentaires et, en saison, araignées. L’air
pur – VMC dans la salle de bains. Grâce aux néons de la
crèche, l’enfant cultive un teint bleuté qu’il pourra entretenir
sa vie durant face à un écran d’ordinateur. Il y découvre la
loi du plus fort sans salir ses chaussures. C’est La Guerre des
boutons sans les têtes de cochon.
Surtout, nous échappons au pire du « jardin » : les parents.
Qui s’indignent pendant que leur marmot nourri au grain
picore des mégots. « Vous ne l’emmenez même pas voir
la campagne ? » Bien sûr que si : dès le mois de novembre,
promis, il sera planté devant « Des paroles et des actes ».
B U R EA U - T I CS
Crochet du doigt
Jérémy
Ferrari :
« Je suis
une baleine
au fioul »
Si vous croisez
quelqu’un qui fait
des guillemets
avec les doigts,
sachez que vous
avez affaire à un
individu potentiellement traumatisé
Vous êtes fan d’une page
Facebook.
« L’Exigence », la fanpage du
dernier livre de Manuel Valls.
Déjà douze membres…
Vous êtes une application
mobile idéale.
Le réseau de rencontres
pédophile Kinder : « Localisez
l’enfant sans surveillance
le plus proche de chez vous. »
Vous êtes un tutoriel.
Comment différencier
un djihadiste d’un hipster.
Vous êtes un lanceur d’alerte.
Bernard-Henri Lévy. Il a quand
même dévoilé au monde qu’il
est possible de rester coiffé au
milieu d’un champ de bataille.
Jérémy Ferrari répond
Vous êtes un réseau social de
avec mordant au
rencontres entre passionnés.
: sans les
questionnaire de « L’Epoque » Feetfucking.com
mains mais avec nos baskets !
Nicolas Santolaria
On connaît tous quelqu’un qui a cette manie agaçante de
faire des guillemets avec ses doigts quand il parle. Comme
un écureuil qui gratterait la surface d’une noisette imaginaire, il agite mécaniquement index et majeur dans le vide
pour souligner la teneur hautement stratégique de certains de ses propos. Exemple : « Pendant ma présentation
Powerpoint, Norbert s’est montré [guillemets avec les
doigts] “vachement attentif”. Bref, il ne s’est réveillé qu’au
moment de mon dernier slide en disant qu’il avait trouvé
ça [guillemets avec les doigts] “passionnant”. Non mais tu
te rends compte : le mec est chargé de [guillemets avec les
doigts] “la motivation des équipes”. Je rêve ! »
Cette manie est généralement assortie d’une moue un peu
crispée, avec congestion connexe des maxillaires, censée
appuyer encore plus le discours. On peut aussi y adjoindre
une formulation verbale totalement redondante qui précisera que tout cela est « entre guillemets ». A ce stade, on
n’est plus dans la signalétique,
on est carrément dans le feu
d’artifice sémiotique. Si cette
manie agace autant, c’est non
seulement parce que la personne qui la met en œuvre
ressemble à Chantal Goya en
train d’interpréter « ce matin, un
lapin, a tué un chasseur », mais
également parce qu’elle témoigne d’une extension du domaine de la bureautique. Loin
d’être neutres, les outils informatiques que nous utilisons au
quotidien finissent par nous
définir. Ils déteignent sur nos
modes de pensée, nos manières
d’être et il n’est jamais plaisant
de voir quelqu’un se mécaniser.
Les guillemets avec les doigts
sont peut-être le premier indice tangible de ce mouvement
de fusion homme-machine que la Silicon Valley tente de
nous revendre. En procédant de la sorte, vous laissez subrepticement entendre que vos doigts sont « augmentés »,
équipés des mêmes fonctions que votre clavier azerty : en
conséquence, chacune de vos conversations a vocation à
être aussi bien présentée qu’un document Word.
C’est là où les choses se gâtent. S’il est facile de retranscrire gestuellement la fonction « italique », en inclinant vos
doigts à 45°, que faire si vous souhaitez mettre vos guillemets en « gras » ? Faut-il plonger préalablement vos mains
dans un pot de beurre de cacahuète ou vous faire greffer
des churros huileux au bout des ongles ? On le voit bien,
tout cela devient vite ridicule. Néanmoins, cette manie
témoigne d’un complexe d’infériorité face à l’apparente
perfection des outils que nous utilisons. Nous éprouvons à
leur égard un sentiment étrange que le penseur Günther
Anders a qualifié de « honte prométhéenne ». Si vous croisez quelqu’un qui fait des guillemets avec les doigts, vous
savez désormais que vous avez affaire à un individu
potentiellement traumatisé. Comme il n’existe pas encore
de centre de déradicalisation typographique, c’est à vous
de prendre la personne en charge. Parlez-lui gentiment.
Expliquez-lui que les machines ne vont pas lui voler son travail, que le meilleur des logiciels n’est pas à l’abri d’un bug
et qu’il n’y a pas de raison de vouloir réduire son humanité
protéiforme aux fonctionnalités basiques d’un traitement
de texte. Mais son psychisme étant encore fragile, précisez-lui, bien entendu, que tout cela est « entre guillemets ».
Vous êtes un complot
ou une fausse rumeur.
« Au départ je me suis présenté
à la présidentielle parce que
j’avais perdu un pari. » François
Hollande.
Propos recueillis par Marie Godfrain
Vous êtes un geste pas écolo.
Brûler sur le trottoir une
baleine imbibée de fioul sur
un matelas d’amiante.
Vous êtes un mot à la mode
insupportable.
ASAP.
Vous êtes une série.
La Petite Maison dans la prairie.
Parce qu’on peut payer le médecin avec un panier d’œufs.
Vous êtes fast ou slow-food ?
Slow-fast-food : le McDonald’s
a toujours été une tradition
pour moi.
Vous êtes made in France
ou tout à 10 euros ?
Ni l’un ni l’autre. Made
in China : tout à 1 euro.
Vous êtes un néologisme.
Un « mex », c’est un mec qui ne
sait pas encore que c’est un ex.
JULIE CAUGHT
P
eut-on rire de tout ? Oui, nous dit Jérémy
Ferrari dans son nouveau one-man-show,
Vends 2-pièces à Beyrouth, qui se joue à guichets fermés partout en France et qu’il
reprendra du 3 au 10 juin à l’Olympia, à
Paris. Attentats du 13 novembre, recrutement de l’organisation Etat islamique, conflits au
Proche-Orient, actions des ONG… Tout y passe. C’est
même la marque de fabrique de cet ancien cancre, qui a
quitté l’école à 16 ans. Celui qui a fait ses classes dans la
bande à Ruquier, à la télévision et à la radio, ne recule
devant aucune polémique. Il en a encore fait la démonstration en interpellant vivement Manuel Valls sur
France 2 à propos, notamment, de la présence du
président du Gabon, Ali Bongo, au rassemblement
du 11 janvier. Préparez-vous : il s’est prêté au jeu de
notre portrait chinois avec la même acidité.
Vous êtes un tweet
en 140 caractères.
Bon, j’ai bien réfléchi et je
pense que j’ai trouvé la solution
pour résoudre le conflit
israélo-palestinien ! Il faudrait
tout simplement que
Vous êtes une photo qui
disparaît une fois consultée.
Le prince saoudien décoré
de la Légion d’honneur !
Vous êtes une personnalité
à suivre sur Instagram.
Les cheveux de Kev Adams.
Vous êtes une mauvaise
habitude de notre époque.
Les viols collectifs.
« JE CHOISIS “LA PETITE
MAISON DANS
LA PRAIRIE”. PARCE
QU’ON PEUT PAYER
LE MÉDECIN AVEC
UN PANIER D’ŒUFS »
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5
PSYCHO
JONATHAN KITCHEN/GETTY IMAGES
Mon
surmoi
au frigo
Il conserve nos aliments
mais surtout
nos petites manies.
Ouvre ton réfrigérateur
et je te dirai qui tu es
Si cela était si mauvais pour la santé, je ne serais plus là pour en témoigner ! » Le frigo XXL de Marc Dupuis, chef d’entreprise à la tête d’une
famille recomposée, est, lui, tiré à quatre épingles : « Les produits les
plus anciens sont devant afin de les consommer en premier. Le fromage est filmé et dans un tiroir à part. Idem pour les légumes. Pour les
restes, je suis plutôt boîtes en plastique, décrit le quadragénaire, qui
s’occupe aussi des courses et aime à être derrière les fourneaux. Evidemment, personne ne respecte mon rangement alors que tout le
monde est content et perd moins de temps devant un frigo rangé »,
Marlène Duretz
regrette-t-il. M. Dupuis fulmine devant les emballages vides ou les
fonds de bouteille, spécialité des enfants, les yaourts entamés délaissés par sa belle-mère, ou encore les fromages dont sa femme est
friande mais qui n’en ont plus l’apparence. « Encore heureux que je
ange ta vie !, La Magie du rangement… Les librairies déborrefais le tri et le rangement chaque semaine », assure le méticuleux
dent d’ouvrages de développement personnel sur l’imqui apprécie « quand il est nickel et bien rangé ».
portance de mettre de l’ordre chez soi. Il y a un curieux
« Les réfrigérateurs en désordre sont monnaie courante alors que
absent de ces manuels du bien-être par l’étagère : le réfrileur contenu peut être organisé rapidement et simplement en mettant les
gérateur. Pourtant, quoi de plus intime que notre bon
produits debout », écrit Marie Kondo dans son best-seller, La Magie du
vieux frigo ? Habitudes de consommation, grignotages
rangement (First Editions, 2015). « Par exemple. Si vous ouvrez mon réfrihonteux et petites manies, disparités culturelles et économiques,
gérateur, vous trouverez les carottes debout dans la porte. » Une étonmais aussi enjeux conjugaux et territoriaux : le réfrigérateur est un
nante suggestion qui contredit les recommandations du ministère de
condensé de nos quotidiens reconfigurés.
l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur le réfrigérateur – oui,
« Mon frigo ? En ce moment, c’est une catastrophe ambulante !,
une telle chose existe ! Selon les commandements ministériels, donc, la
s’exclame Chiara Lugano en jetant un œil dans son réfrigérateur
contre-porte est privilégiée pour stocker œufs, beurre, lait, jus de fruits
immaculé. Je n’ai plus que des bouteilles d’eau et des canettes de soda.
entamés bien refermés, le bac à légumes accueillant fruits et légumes
Sans doute la preuve vivante [oui, elle a bien dit vivante !] que je ne
frais lavés et fromages emballés à finir d’affiner.
passe pas beaucoup de temps chez moi », lâche la
Car chacun a sa conception du frigo idéal, qui peut
jeune femme célibataire. On passe une tête dans le
être sujet à discorde. « A la différence d’un autre
frigo de sa voisine de palier, mère célibataire d’une
IL FAUT/JE DOIS…
objet, le frigo est plus compliqué à gérer entre des
fillette. « Il est rempli de conditionnements multipersonnes qui ont des points de vue différents sur
colores pour enfants dont l’agroalimentaire a le
> OUBLIER
l’alimentation et sur le rapport à l’hygiène, analyse
secret, détaille Nicole Pressil. Mon frigo fourmille
Le miel (qui cristallise au
Bruno Maresca, directeur de recherche associé au
de petites choses et de mille et une boîtes, vestiges de
froid), le saucisson, l’huile et
Crédoc. Dans une famille, il y a une sorte d’unité de
repas délaissés par nos deux appétits de moineaux. »
le vinaigre, la pâte à tartiner,
fonctionnement – qui peut se distendre et diverger
« Cette mini-chambre froide domestique
l’ail et les oignons non couaussi, variant en fonction de l’âge des membres du
s’invite très souvent sur mon divan, au même titre
pés, les tomates, avocats et
foyer, de leur inclinaison pour le nettoyage et l’ordre
que la salle de bains ou la chambre à coucher,
fruits frais (les baies et melons
ou encore selon qu’ils aiment à manger… debout
observe Olivier Douville, psychothérapeute qui
perdent en saveur, les banadevant la porte du frigo grande ouverte ! En couple,
dirige la revue Psychologie clinique. Et pour deux
nes noircissent), le chocolat,
par exemple, si les individus ne se supportent plus,
raisons. La première est que le frigo conserve, au
ce vieux porto tawny, les fines
cela va forcément déboucher sur des différends »,
sens propre et par analogie psychique, et la seconde,
herbes qui piquent du nez,
observe le sociologue.
les pommes de terre et
c’est qu’il est dépositaire de nos marques identitaiLe tofu de Madame en tête-à-tête avec le
le concombre, le café moulu
res », selon que je suis une femme ou un homme,
steak à peine emballé de Monsieur, le beurre, irréou en grains qui, comme
en fonction de mon éducation, mon régime aliductible occupant du « en haut à droite », et les
les œufs, est une « éponge »
mentaire ou encore de mes convictions.
macaronis jamais à couvert sont des sources de
et absorbe les odeurs des
Montre-moi ton frigo, je te dirai qui tu es,
potentielles frictions. « A travers le frigo, au même
autres aliments.
en quelque sorte. D’un côté, ceux qui briquent,
titre que les toilettes ou la cabine de douche, on
qui astiquent, qui trient par dates et couleurs ; de
touche à l’intimité du corps. Le corps peut se sentir
l’autre, ceux qui posent en vrac, et qui accumu> AUTORISER
envahi par les restes du corps de l’autre, y compris
lent des strates de nourriture façon palimpseste.
Les asticots pour la pêche, les
ses “restes” alimentaires que renferme le frigo »,
Un peu comme la caverne réfrigérée d’Ali Baba
vaccins, le pull angora contre
explique M. Douville.
chez Andrée Pernot, nonagénaire. Les restes, le
la chute de ses poils, le vernis
Enfin, il y a le cas du « frigo partagé » : en
ventre à l’air, sont empilés et les denrées entremêà ongles pour préserver sa
colocation, ou en entreprise. Autant dire qu’il y
lées dans un joyeux méli-mélo : les vestiges d’un
fluidité, le soin contour des
a là un « enjeu territorial très fort », commente
rôti tournent de l’œil aux côtés de yaourts joufyeux dont l’effet décongesM. Maresca. « Tout est plutôt rationalisé », témoiflus, dont la date limite de consommation ravirait
tionnant est optimisé par le
gne Pierre Crémant, en colocation avec trois jeule paléontologue. « Pourquoi jeter ce que je vienfroid ainsi que les brumisanes gens et deux frigos – dont un « pour les bièdrai tôt au tard à consommer ?, s’offusque Andrée.
teurs et les cosmétiques frais.
res ». Chacun dispose de son étage, la contreEt – chaud devant ! – les sousporte et le bac à légumes sont mis en commun.
vêtements, gels intimes et
« Ces deux espaces posent davantage de problèsextoys, nous dit-on dans
mes, puisqu’ils ne dépendent de la responsabilité
l’oreillette.
de personne ; c’est un no man’s land », déplore-t-il. Un lieu où les
aliments ont leur vie propre. Tel ce chou-fleur qu’il a logé dans le bac
à légumes il y a… trois semaines.
R
PER SO
Dites-le
avec des
aubergines
Alice Pfeiffer
O
ubliez les roses rouges et les jolis cœurs
roses. Pour déclarer votre fougue ou mettre
votre interlocuteur(trice) sur la voie de vos
préoccupations du moment, pensez à l’aubergine.
Sous forme d’emoji – les adeptes du « sexting »
apprécient sa forme évocatrice. Ou sous sa forme
réelle – pour les mêmes raisons. Dans une démarche dite « IRL » (ou « in real life »), la société Eggplantmail.com propose d’envoyer, de façon anonyme, le légume personnalisé par un message tracé
dessus, pour la modique somme de 9,99 dollars.
« Cet emoji-pénis (…) est utilisé pour se réconcilier, se
séparer, célébrer la vie », précise le site qui se décrivait alors, sans détours inutiles, comme « 100 %
phallique. 100 % anonyme. 100 % dérangeant ».
Dérangeant, ça l’est devenu pour son créateur, Jack Kenyon, un attaché de presse britannique
aujourd’hui dépassé par le succès de cette opération
supposée n’être qu’un
gag sans lendemain.
Réseaux
sociaux
aidant, le site créé en
mars a vite reçu plus
de 100 commandes
quotidiennes. Beaucoup trop pour son inventeur. Incapable de
se concentrer sur son
travail principal, Jack
Kenyon finit par poster un appel d’offres
en ligne, sur la page
d’accueil de son site :
« Cela me prend trop
de temps. Si vous souhaitez reprendre ce
site, écrivez-moi. »
Un repreneur
n’a pas tardé à se manifester. Brandyn Williams, un
entrepreneur spécialisé dans le e-commerce basé
en Pennsylvanie, s’est passionné pour l’affaire. Le
28 mars, elle était à lui. Quelques jours plus tard, il
assurait avoir déjà recruté des représentants dans
chacun des cinquante Etats américains, ainsi que
dans treize autres pays, dont le Royaume-Uni, l’Irlande ou le Danemark. « A ce stade-là, nous avons
besoin de représentants partout dans le monde
pour couper à certains frais de port et aux lois diverses ne permettant pas l’envoi de denrées périssables », explique Brandyn Williams, pour qui « la
demande ne fait que grandir ».
D’autres professionnels du e-commerce font
leur beurre sur les petites manies du Web : le site
Mysterypotato.com propose d’envoyer par courrier
des pommes de terre également ornées d’un message personnalisé (évoquant les nombreux « mèmes » au sujet du légume), une brique (référence à
divers jeux vidéo) ou des enveloppes remplies de
paillettes (clin d’œil à certains filtres sur Snapchat).
« Une vraie intégration de codes numériques dans la
vie quotidienne », assure Brandyn Williams, qui a
remodelé la page d’accueil de son site : il n’est plus
que « 100 % anonyme, 100 % hystérique ».
“Pour se réconcilier,
se séparer ou
célébrer la vie ”,
un site propose
d’envoyer le
légume avec
message
personnalisé
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A gauche. Vue d’une
chambre de l’Hôtel
Flaubert, à Trouville.
ÉDOUARD CAUPEIL
En bas. « Plage
à Trouville » (1865),
d’Eugène Boudin
COURTESY NATIONAL
GALLERY OF ART
TRO UVI L L E
ETER N EL L E
L’Hôtel Flaubert.
Chambre double à partir
de 120 €, petit déjeuner
inclus.
Rue Gustave-Flaubert,
14360 Trouville-sur-Mer.
Tél. : 02-31-88-37-23.
TOURISME
La Villa Montebello. Dans
ce musée installé dans
l’ancienne villa de villégiature de la marquise de
Montebello (1866) sont exposés quelques vestiges
des débuts du tourisme
balnéaire à Trouville,
des photos du « topsy »
(le surnom des planches),
des costumes de plage et
des peintures de Charles
Mozin et Eugène Boudin.
64, rue du GénéralLeclerc.
Tél. : 02-31-88-16-26.
Museevillamontebello.fr
Vous aimez
Boudin…
vous adorerez
Trouville
Le bac de TrouvilleDeauville. Depuis 1863,
le bateau à passagers
traverse la Touques à marée haute toutes les cinq
minutes en journée pour
relier les deux stations
balnéaires. A marée
basse, une passerelle
(payante) prend le relais.
1,20 € par personne.
Tél. : 06-83-78-95-94.
Le-bac-de-trouvilledeauville.fr
Vicky Chahine
S
ur la langue de sable,
têtes couronnées et
bourgeoisie du Second Empire profitent de leur bain de
mer pour faire un
bain de foule. Installées sur des
chaises – le transat arrivera dans
les années 1930 –, elles peaufinent leur carnet d’adresses et discutent mariages arrangés. Quand
elles ont envie de se jeter à l’eau,
les femmes se glissent dans une
cabine mobile tirée par un cheval
pour troquer leur crinoline
contre un costume de bain ample
en drap de laine. La carriole les dépose ensuite au bord de l’eau, où
un guide-baigneur leur propose
un « bain à la lame », un plongeon
rapide (pour ne pas dire brusque).
Où sommes-nous ? Dans
une toile d’Eugène Boudin (18241898), Plage à Trouville (1865). Le
peintre, auquel le Musée d’art
moderne du Havre (MuMa) consacre une exposition du 16 avril
au 26 septembre, fut l’un des
meilleurs ambassadeurs de la
Normandie. Le « roi des ciels »,
comme Camille Corot le surnommait, a montré dans ses peintures
l’avènement du tourisme balnéaire sur la Côte fleurie. Dieppe,
Honfleur, dont il est natif, mais
surtout Trouville-sur-Mer. Ce
village de pêcheurs devient
en 1830 la deuxième station balnéaire française (après Dieppe),
sacrée « reine des plages » en 1862,
soit une année avant que ne soit
inaugurée sa rivale, Deauville.
La poissonnerie. Installée
dans la halle aux poissons, elle est classée monument historique officiel
depuis 1887. A emporter
ou à déguster sur les
quelques tables hautes :
pêche du jour, fruits de
mer mais aussi l’emblématique soupe de poisson de Jeannette au
mystérieux mélange
d’épices. Boulevard
Fernand-Moureaux.
Tél. : 02-31-88-02-10.
Poissonnerie-pilletsaiter.fr
La plume au bec
Sur la plage, nulle carriole pour
les baigneurs aujourd’hui : ceux
que ne refroidit pas la température de la Manche traversent à
pied la vaste étendue de sable.
Mais quelques lieux ont gardé
l’empreinte de ce Trouville d’un
autre temps. C’est le cas de l’Hôtel
Flaubert, dont l’architecture normande à colombages, classée, fait
L ES CUR ES MAR I N ES . Cet hôtel 5*
ouvert en 2015 est installé sur les planches,
face à la mer. Décoration contemporaine,
restaurant gastronomique et spa avec piscine
intérieure à l’eau de mer. Chambre double
à partir de 176 €. Boulevard de la Cahotte.
Tél. : 02-31-14-26-00. Lescuresmarines.com
L ES AFFI CH ES . Un restaurant près
des planches, avec vue sur la plage depuis la
terrasse couverte et chauffée. Accueil soigné,
carte qui change au gré des saisons et produits frais. Réservation indispensable le
week-end. 6, rue de Paris. Tél. :02 31 98 31 94
VI L L A GI PSY. Un charmant salon
de thé pour les adeptes du tchaï, thé au lait
de soja, et des pâtisseries sans gluten (mais
gourmandes). Dans la partie boutique,
jolie sélection d’objets et de linge de maison
scandinave. 65, rue des Bains.
Tél. : 09-53-83-88-90. Villagypsy.fr
TRO UVI L L ES UR MER .O RG. Office
de tourisme de Trouville-sur-Mer : 32, quai
Fernand-Moureaux. Tél. : 02-31-14-60-70.
face à la mer, et aux planches,
décorées depuis 2001 par les affiches de Savignac. Cet autre amoureux de la ville a d’ailleurs signé
l’image de l’hôtel : un Flaubert
endormi sur une mouette, la
plume au bec.
A l’intérieur, une trentaine de chambres charmantes et
confortables sont meublées (juste
ce qu’il faut) comme une maison
de campagne par la propriétaire,
nièce de Fernand Moureaux,
maire et mécène de la station balnéaire dans les années 1930. C’est
lui qui a eu l’idée d’installer cet
hôtel à la place du casino d’été, où
avait lieu, tous les dimanches, un
célèbre bal éclairé par 1 200 becs
de gaz. Détruit en 1925, il a laissé
place à l’Hôtel Flaubert, inauguré
en 1936 – l’année des premiers
congés payés, ce n’est sûrement
pas un hasard.
La clientèle désormais
fidèle apprécie la vue sur la mer,
les vieilles affiches, le mobilier en
bois et le petit déjeuner servi en
chambre. Depuis certaines (les 35
et 43 notamment, en angle), on
peut observer les marées sans sortir de son lit. Et même à quelques
pas, le ballet des chalutiers – vingtsept sont encore en activité – qui
rapportent la pêche du jour.
Comme si rien n’avait changé.
L’ A PPLI DE LA SEMA I N E
Mapstr, le carnet d’adresses sans ratures
Marlène Duretz
« Tu vas à Naples ? Il faut absolument que tu goûtes la pizza
aux fleurs de courgettes de Starita… je retrouve l’adresse et je te l’envoie par mail. Et cette pâtisserie aussi, près de la gare centrale, qui
fait les meilleurs babas, une spécialité incontournable de la ville… ! »
Et si une appli, savant mixage entre le bloc-notes et Google Maps,
permettait d’engranger toutes les adresses des bonnes tables,
enseignes, nids douillets ou lieux culturels glanées au détour d’un
couloir d’entreprise ou d’un magazine ? Mapstr (prononcez « mapsteur »), lancée en juillet 2015 par Sébastien Caron, remplit avec brio
cette fonction, conservant les lieux favoris et adresses à tester, à
conserver jalousement ou à partager sur une carte interactive. En
moins d’un an, plus de 1,7 million de localisations ont été enregistrées par plus de 150 000 utilisateurs dans le monde.
Les avantages
> Plutôt que de consigner les adresses dans de capricieux carnets de notes, Mapstr offre d’enregistrer un lieu par la géolocalisation, la saisie ou le scan de son nom, sinon de son adresse.
> Après avoir ouvert (ou non) un compte gratuit, quelques secondes suffisent à intégrer une adresse, en lui associant, selon sa
nature (shopping, loisirs, services…), un ou plusieurs tags ainsi
qu’un picto pour mieux le retrouver. Pour chaque emplacement,
sa photo extraite de Google Maps ou ajoutée par l’utilisateur, et,
s’il y a lieu, les horaires d’ouverture, le numéro de téléphone, le
site Web et l’itinéraire associés.
> A noter, le récent rapprochement de Mapstr avec Uber et Citymapper permet de commander un véhicule ou de disposer du
trajet détaillé à pied, à vélo et en transports en commun.
Les inconvénients
> Amateurs de guides de voyages et carnets garnis de marquepages multicolores, de cartes de visite et couverts d’annotations, cette appli n’est pas pour vous.
> Partager une ou plusieurs adresses implique de générer un
code confidentiel, valable trois jours, à communiquer à son
« ami » préalablement enregistré sous Mapstr. Contraignant mais
utile pour conserver la main sur ses données – accessoirement sa
vie personnelle ! – tout en préservant ses petites mines d’or.
Appli gratuite sous iOS - Site Web et version Android disponibles
sous deux mois.
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FLORENT TANET POUR « LE MONDE »
CUISINE
Tzatziki
rose
Le radis droit
dans sa botte
Légers, croquants, piquants,
les petits roses lancent l’offensive
de charme du printemps
Stéphanie Noblet
D
ans la palette des verts tendres qui colorent les étals
maraîchers se distingue, en touches pointillistes, le
rose délicat des radis. Droits ou ronds dans leurs bottes,
magenta ou fuchsia, voire violines ou franchement
écarlates, unis ou bicolores, parfois dégradés – rien que
du naturel, aucune coloration douteuse. Discrètement
strié sous une peau satinée, leur corps s’incarne dans diverses
silhouettes, longilignes, ventrues ou biscornues. Mais la finesse domine : de la pointe de sa radicelle à l’extrémité de sa feuille gracile et
duveteuse, l’espèce crucifère recèle bien des atouts poétiques. Certes, il
en pousse toute l’année sous serre – et sous blister plastique au supermarché, tristes spécimens rabougris. Mais c’est au printemps que les
petits roses donnent le meilleur d’eux-mêmes, avec le croquant hors
pair des primeurs, tout juste sortis de terre. Un simple rinçage à l’eau,
une coupe express des fanes et racines et ils sont prêts. Dès l’enfance,
on aime les croquer ainsi, avec les doigts, du sel et l’indissociable duo
pain-beurre. J’en connais qui garnissent leurs tartines d’une couche de
rondelles roses moins épaisse que leur litière beurrée. D’autres qui
zappent le pain pour tartiner directement le légume. D’autres enfin
(dont je fais partie) qui croquent autant le vert cru des tiges que le
blanc de la chair, ne laissant aucune trace du nombre avalé… A chacun
sa manière. Dans son évidente simplicité, la trinité radis-pain-beurre
de qualité demeure un grand moment gastronomique.
« Ils sont pas trop piquants ? » C’est la rituelle question du client,
témoigne Xavier Morize, maraîcher francilien dont les premiers radis
sont sortis de terre début mars, avec deux semaines d’avance… Un
client qui veut titiller ses papilles sans prendre trop de risque, tel le
touriste occidental dans une gargote asiatique qui précède chaque
commande de plat d’un prudent « not too spicy ? ». Mais la comparaison s’arrête là ; car si le juste dosage des épices s’opère en cuisine, le
piquant des radis résulte de leur qualité de vie souterraine. « Seuls ceux
qui ont manqué d’eau piquent trop », explique M. Morize. En somme,
les radis qui arrachent sont ceux qui l’ont été trop tard, oubliés par un
arroseur pingre ou étourdi… Méfiance, donc, devant des modèles
hypertrophiés, qui risquent aussi de sonner creux et d’avoir le ventre
mou. Acheter une botte de radis, c’est toujours un peu la loterie et voilà
tout le piquant de l’affaire – sinon, on se contente d’un concombre.
Dans cet ordre de gabarit, le radis noir hivernal à la peau mate
et rugueuse, vif et piquant lui aussi, voit sa saison se terminer ;
d’autres, plus rares, verts, roses ou violets, réservent de bonnes surprises. Bien plus doux, le cousin blanc japonais (daïkon) est le commis
d’office des plateaux de sushis, mais s’apprête facilement à la maison
(avec sauce soja et huile et graines de sésame). Pour jouer leur plus
belle partition dans nos assiettes, ces radis ont un instrument de
choix : la mandoline. Une lame inégalable pour les détailler en fines
rondelles et mettre en valeur la transparence marbrée de leur chair, en
carpaccio, en salade… Avec les petits roses, on redouble de prudence car
l’opération est périlleuse, mais c’est ainsi qu’on réalise de jolies écailles
pour garnir, par exemple, un poisson – sans cuisson, pour garder leur
croquant. On ne les fait jamais cuire ? J’ai tenté la chose, toujours avec
déception. Les radis roses glacés quelques minutes au beurre perdent
un peu de leur couleur mais pas tout leur charme, tandis que leur goût
évoque plutôt celui du navet… Seules les fanes méritent vraiment
d’être cuites, pour finir en soupe : excellentes avec un simple bouillon
de volaille, ou, pour leur redonner du piquant, avec du cresson, de
l’oseille ou une pointe de wasabi.
J A R DI N
La pivoine
oui,
le chiendent
non !
POUR DÉSHERBER,
ON CHOISIT UNE
JOURNÉE SANS
PLUIE POUR QUE LA
TERRE AIT EU LE
TEMPS DE S’ALLÉGER
(LES RACINES PRISES
DANS LA BOUE
SONT MOINS
FACILES À EXTIRPER)
Olivier de Vleeschouwer
Pissenlit. MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE,
DIST. RMN-GRAND PALAIS
A
l’attaque ! Le printemps, c’est l’époque où tout pousse.
Le hic est dans ce tout qui sonne comme une mise
en garde. Le pissenlit croît plus vite que le myosotis, le
liseron plus sûrement que la clématite et le chiendent n’en
parlons pas. La mauvaise herbe n’est pas mauvaise pour tout
le monde, entend-on en ces temps de confusion des valeurs.
Peut-être. N’empêche que si l’on n’y prend pas garde, les
sauvageonnes auront tôt fait d’étouffer lupins, pivoines ou
campanules qui, pour s’épanouir, réclament un minimum
d’espace et de lumière. Désherber n’est sans doute pas une
partie de plaisir. Mais la fin d’un désherbage rend heureux,
parole de pratiquant ! Pour commencer, on choisit une journée sans pluie pour que la terre ait eu le temps de s’alléger
(les racines prises dans la boue sont moins faciles à extirper).
Equipement de base : une paire de gants, une gouge et une
binette, ainsi qu’une planche où poser les genoux. Pissenlit
et chardon ont une racine pivotante profondément enfouie
dans le sol. La gouge est un allié précieux pour les extirper.
Otez les fanes et les
racines d’une botte
de radis. Taillez-les en
julienne : coupez-les
d’abord en fines tranches dans la longueur,
si possible avec une
mandoline (ou un
économe), puis en fins
bâtonnets avec un
couteau.
Placez la julienne de
radis dans un saladier ;
arrosez avec une cuill.
à s. de jus de citron.
Rincez, séchez et ciselez finement deux
grandes feuilles d’ail
des ours* et 15 feuilles
de menthe. Ajoutez-les
dans le saladier, ainsi
que deux yaourts nature au lait de brebis.
Mélangez bien, assaisonnez avec une cuil.
à s. de condiment
balsamique blanc,
de la fleur de sel, une
cuill. à s. de baies roses
concassées.
Goûtez et rectifiez
l’assaisonnement
si nécessaire, avant
de placer au frais.
Servez à l’apéritif avec
des tranches de pain
grillé, ou en entrée,
avec des filets de
hareng mariné.
*L’ail des ours est une
forme d’ail sauvage,
dont on consomme les
feuilles (disponible sur
les marchés ou en magasins bio). Il peut être
remplacé par une
gousse d’ail pressée.
De même, on en fera bon usage pour s’attaquer au liseron qui peut être désespérant avec
ses racines en forme de nouilles. La binette et
le sarcloir sont utiles pour éliminer toutes les
petites pousses encore frêles et tendres à cette
époque mais qui, dans quelques semaines,
formeraient une jungle.
Il va sans dire qu’autour des arbustes ou
des vivaces identifiés, on fera assaut de prudence pour ne causer aucun dommage. La
durée de l’exercice dépend naturellement de la
taille de l’espace à nettoyer. Quand la terre est
propre, que les mauvaises herbes ont rejoint la
brouette, il est urgent de penser à l’avenir. La
nature ayant horreur du vide, de nouvelles graines pourraient germer et tout serait à refaire.
Couvrir la terre nue avec un paillis permet d’éviter cet écueil. Comment procède-t-on ? Rien de
plus simple. Sur le sol propre, on répartit une
couche d’environ 5 cm d’écorce broyée ou de
paille de lin (les jardineries proposent un choix
assez large de matériaux organiques possibles).
Ce paillis, outre qu’il empêche le retour
des mauvaises herbes, présente l’avantage de
retenir l’humidité dans le sol. On aura donc moins besoin
d’arroser son jardin dès l’arrivée des premières journées
chaudes. Pour les allées gravillonnées et autres lieux de
passage, la pratique a longtemps privilégié l’usage de
désherbants chimiques dont la nocivité est aujourd’hui
clairement reconnue. Un sarcloir bien affûté, muni d’un
long manche, permettra d’obtenir un résultat équivalent
tout en gardant bonne conscience.
0123
Je n’ai pas
écouté
les infos depuis
un an ni ouvert
un seul journal…
encore moins regardé le
« 20 heures ». Cette diète
médiatique n’était pas
volontaire, au départ.
Elle s’est imposée dans
un grand moment de
stress. Mais, depuis que je me suis aperçue que j’étais plus sereine sans entendre
les horreurs du monde à longueur de
journée, je crois que je ne reviendrai pas
en arrière. On me reproche de faire
l’autruche ? On me dit : « Au contraire, il
faut s’engager, relever le défi ! » Ce n’est
pas de la lâcheté. L’actualité m’angoisse,
me déprime. Comment voulez-vous être
utile à quoi que ce soit dans cet état ?
Je ne suis pas coupée du monde
pour autant. J’ai su, par l’avalanche de « Je
suis Bruxelles » sur Facebook, qu’il y avait
eu de nouveaux attentats. Difficile d’y
échapper, de toute façon. C’était à l’aéroport et dans le métro, mais je ne connais
ni les détails ni le nombre exact de victimes. Les attaques du 13 novembre, c’est
mon mari, abonné au Dauphiné libéré,
qui me les a apprises. Là encore, je n’ai pas
cherché à savoir plus que l’essentiel.
Compter les morts, entendre ce que les
terroristes avaient dit avant de tirer ne
m’apportait rien. Une émission qui m’expliquerait comment on en est arrivé là
m’intéresserait, mais je choisirais le
moment pour l’écouter, car je ne veux
plus subir les sujets anxiogènes.
Le déclic fut un burn-out. Je suis
pharmacienne, mère de deux enfants,
responsable validation dans un laboratoire pharmaceutique de la région lyonnaise. Un poste à responsabilité – la production attend mon feu vert pour
démarrer –, mais sans l’équipe suffisante
pour l’exercer. J’ai craqué au printemps
dernier. La FDA [Food and Drug Administration], l’administration américaine des
denrées alimentaires et des médicaments, devait nous inspecter deux mois
plus tard. Quand j’ai pris le poste, j’avais
demandé des renforts. La réponse a tardé
à arriver. Entre-temps, la charge de
travail avait encore augmenté et j’ai dû
finalement former une intérimaire. La
direction avait en revanche programmé
quatre inspections à blanc pour s’assurer
qu’on tiendrait les délais. On avait du
retard, mais ces journées passées à le
pointer me ralentissaient d’autant. La
veille du troisième contrôle fictif, l’intérimaire m’a lâchée. Le matin, je me suis
effondrée. Je n’avais pas la force de faire
face aux consultants. Mon médecin m’a
arrêtée. C’était le 16 avril 2015. Il y a un an.
C’est aussi le dernier jour où j’ai écouté
un journal à la radio.
Vu mon état, il y avait urgence à
faire redescendre la pression. Couper les
actus est la première chose qui m’est
venue à l’esprit. Avant, j’étais sur France
Inter matin et soir. Je déposais ma fille à
l’école à 8 h 30, puis je prenais la route
avec la revue de presse. Suivait l’invité
du jour. J’arrivais juste avant le journal
de 9 heures. Sur le chemin du retour,
vers 17 h 30, les humoristes de « Si tu
écoutes, j’annule tout » passaient l’actualité à la moulinette. A mesure que la
pression augmentait au travail, mes
compagnons de trajet ont changé, car je
rentrais plus tard. Mais, dans tous les
cas – Nicolas Demorand dans « Un jour
dans le monde » puis « Le téléphone
sonne » –, ça parlait actu, et j’étais ballottée entre les scandales politiques du
moment, les guerres intestines des partis ou les départs des jeunes en Syrie.
Rien de bien réjouissant, donc.
J’écoutais encore la radio au moment de Charlie. Le jour de la marche, le
dimanche 11 janvier, j’ai même allumé la
télé. C’est suffisamment rare pour être
noté : d’ordinaire, je ne regarde que
« Silence, ça pousse », une émission de
jardinage sur France 5, ou « Des racines
et des ailes », sur France 3. Les images, ce
jour-là, m’ont donné de l’espoir. Quelque
Isabelle Ducau, 43 ans, mère
de deux enfants, pharmacienne
dans un laboratoire, a décidé
d’entamer une diète médiatique.
chose se passait : la France était unie,
les terroristes avaient fait chou blanc. La
routine a malheureusement repris le
dessus. La gauche qui tape sur la droite,
la droite qui tape sur la gauche, le FN qui
souffle sur les deux. Or, entendre les uns
critiquer les autres, je trouve ça démotivant, voire décourageant.
Eviter les actualités est devenu
un réflexe. Si je tombe sur France Inter,
je zappe. France Info, n’en parlons pas.
Radio Isa, une radio locale, me convient,
mais si le flash arrive, je bascule sur une
musicale. A quoi bon savoir qu’il y a eu un
braquage au tabac du coin ou qu’un
grand-père au volant a reculé sur son
petit-fils ? Un sujet m’intéresse ? Je me
renseigne, mais je décide du moment.
Cela change tout. Recevoir une mauvaise
nouvelle en pleine figure quand on n’a
pas l’énergie amplifie le mal-être. Depuis
que je ne subis plus l’information, j’ai
vraiment gagné en sérénité. Il y a quelques semaines, ma fille est rentrée avec
trois quarts d’heure de retard. Avant,
j’aurais craint le pire. Là, j’ai simplement
pensé qu’elle avait eu un empêchement.
« Toi aussi, fais une diète médiatique ! », ai-je lancé, l’autre jour, agacée,
à ma mère qui trouvait fou que je parte
me promener seule dans le bois, ou
que ma fille de 8 ans rentre à pied de
chez sa copine alors qu’elle vit à deux
maisons de la nôtre.
« Elle va se faire enlever !
– Oui, et il y a des braquages au
supermarché, tu ne vas donc plus faire
tes courses ? Un chauffard pourrait aussi
nous renverser sur le chemin de l’école,
mais si je prends la voiture, je peux avoir
un accident… »
A penser constamment au pire,
on ne vit plus. Les faits divers, j’avais
commencé à ne plus les écouter depuis
que j’étais devenue maman. Quand des
enfants sont concernés, inévitablement,
on se projette. On finit par voir le mal
partout et par penser qu’il y a un danger
à laisser sa fille rentrer du collège à pied.
Cette année détachée de l’actualité m’a redonné confiance en l’être
humain. L’homme est aussi capable de
grandes choses – il n’y a qu’à voir le
documentaire Demain, de Cyril Dion et
Mélanie Laurent –, mais on ne le dit pas
assez. J’ai un blog, Les carnets du bienêtre, sur lequel je relaie quelques initiatives. A ma petite échelle, j’ai créé un
média positif. Et à aucun moment cette
diète médiatique ne m’a mise dans l’embarras. Si je devais ne pas savoir de quoi
on me parle, j’expliquerais simplement
ne pas être au courant. On ne peut pas
tout connaître. Une fois, cette année, je
me suis quand même demandé si le premier ministre n’avait pas changé. Je suis
allée vérifier : c’est toujours le même.
TOC-TOC
DIM A N C HE 1 0 - L UN DI 1 1 AVR IL 20 1 6
TÉMOIGNAGE
8
Propos recueillis par Emeline Cazi
AU GALOP
Magali Cartigny
e regarde mon tartare.
J’ai 8 ans. C’est du
cheval. Tous les mercredis, je fais de l’équitation.
Je déteste ça. Une heure à
mettre le mors, deux juste
pour choper la papatte. Il
s’appelle Chéyenne. Il me
déteste. Je le vois dans ses
yeux. Quand je tombe,
il s’arrête à un cil de mon
visage. Juste assez près pour
que mon cœur lâche, mais
pas assez pour me défigurer.
Car il veut me voir revenir
et échouer. Encore. J’avoue
que j’y pense quand je
mastique la chair crue. Avec
un œuf dessus. A cheval.
Je ne me demande pas alors
quelle souffrance a pu
endurer le demi-poney qui
a fini dans mon assiette
Heidi (petite fille des
montagnes). Ça me réjouit
juste d’être là, tenant la
J
fourchette haute, trônant
au sommet de la chaîne
alimentaire. Prédateur
number one, je dis
« présent ». Et je repars, ma
cravache en bandoulière,
prête à dominer l’animal,
du moins mentalement.
C’est qui les plus forts ?
Eh ben c’est pas moi, c’est
les Verts mais tant pis.
Trente ans après, je ne me
demande toujours pas si
le bœuf servi à la cantine
rêvait d’être une grenouille
ou s’il pensait à sa mère
parfois entre deux balayages
de mouches. Je regarde mon
steak haché et je ne vois rien
venir. Ni remords ni regret.
Le choix de la moutarde
peut-être. Je repense à JeanPierre Coffe, pourfendeur
de la malbouffe. Je le voyais
à la télé jeter du boudin noir
sur le public le mercredi
midi. Ça me donnait faim.
Aujourd’hui, mon fils
de 7 ans a décidé d’être
végétarien. Je l’ai inscrit
en colo. Cet été, il fera
du poney. A cru.
UN D I M A NCH E À SA I N T - LÉO N - SU R - V ÉZÈR E
Heureux comme un bouddha en Dordogne
Michel Labussière
Longtemps, la côte de Jor, dans le Périgord, n’a été qu’un agréable lieu de promenade dominicale. Un petit détour pour les gens du
coin, après la messe à la cathédrale Saint-Front de Périgueux, à SaintLéon-sur-Vézère (Dordogne). Une escapade après un déjeuner au
château des Milandes, le « village du monde » cher à Joséphine Baker.
Une voie de passage pour les touristes en route vers les grottes de
Lascaux ou la statue de Cro-Magnon, aux Eyzies. Mais depuis l’implantation de trois centres bouddhistes tibétains, des itinéraires bis
conduisent vers d’autres lieux de recueillement sur la petite
commune périgourdine (environ 400 habitants) : au monastère
Dhagpo Kagyu Ling, le premier installé sur la commune, en surplomb
de la route départementale 6 ; à Tashi Pelbar Ling, au lieu-dit La Sonnerie ; à l’association cultuelle bouddhiste Nyingmapa, près du camping
Le Paradis. « Le dimanche, les curieux viennent nous voir en famille »,
raconte Jean-Guy de Saint-Perier, président de l’association du monastère Daghpo Kagyu Ling, un centre d’études et de méditation
bouddhiques de dimension européenne – ici résident en permanence
une vingtaine de moines autour du supérieur, le lama Jigmé Rinpoché. En juillet 2015, près de 2 000 personnes se sont rassemblées dans
ce monastère pour écouter le 17e karmapa Trinley Thayé Dorjé (haut
dignitaire de la lignée Kagyu, une des quatre principales branches du
bouddhisme tibétain). En temps normal, le succès du site est si soutenu qu’il a fallu mettre en place un dispositif d’accueil, avec un guide
qui renseigne les visiteurs sur l’histoire et la finalité du centre.
Tout commence dans les années 1960, lorsqu’un ingénieur
britannique, Bernard Benson, obsédé par la guerre froide, cherche un
endroit où se retirer du monde et jette son dévolu sur le château
de Chaban. En 1975, le philanthrope fait don du domaine et de ses
40 hectares au 16e karmapa. Ce dernier décide alors de faire de ce lieu
le siège européen de l’école dite « voie du diamant », qui a pour caractéristique de porter l’accent sur la méditation.
« Ici, on se déchausse pour entrer dans le temple », prévient un
guide. Comme pour s’asseoir sur les coussins jaune et rouge devant
la statue géante de Bouddha. Deux enfants venus sans enthousiasme
de Sarlat en ce dimanche de mars sont soudain captivés par les moines
en robe safran et les moulins à prière. Plus loin, deux copines regagnent
le parking, tout aussi enchantées. « Ça m’a fait un bien fou », souffle
Annie, qui passe la semaine dans un bureau à la chambre de commerce.
Un monastère peut parfois aussi permettre de prendre un peu l’air.

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