Manhattan - Lycée E.Galois - Beaumont-sur-Oise

Transcription

Manhattan - Lycée E.Galois - Beaumont-sur-Oise
Manhattan
Woody Allen
3
raisons
de voir le film
1.
New York
comme on ne l’a jamais
vue au cinéma.
2.
Histoires de cœur
pour une déclaration
d’amour à Manhattan.
3.
Ce qui vaut que
la vie vaut d’être vécue.
Bande-annonce
Pitch
Woody Allen est né à New York (à Brooklyn). Cette ville est toute sa vie, son nid, sa mie,
sa muse, loin de laquelle il ne pourrait vivre longtemps sans dépérir. Souvent décor
de ses films, elle occupe ici un rôle à part entière. L’acteur réalisateur la filme en noir et blanc
et en cinémascope. Il la magnifie et lui dit, notamment au cours d’une scène d’ouverture
mémorable, tout ce qu’elle a pu lui apporter de bon. Et de moins bon. Car, sous ses airs légers
et humoristiques, Manhattan cache une veine tragique qu’Allen avait déjà exploitée un an plus
tôt dans Intérieurs (1978).
L’île de Manhattan sert donc d’écrin à l’histoire d’Isaac Davis (Allen lui-même), un petit
intellectuel juif new-yorkais, désireux de tout avoir dans la vie : le grand amour et un travail
d’écrivain épanouissant. En attendant, il doit composer avec ses trois femmes – son ex-femme
qui déballe sa vie dans un livre à scandales, la charmante Tracy de vingt-cinq ans sa cadette,
Mary, la maîtresse de son meilleur ami – et un travail d’écriture de sketches comiques qu’il finit
par abandonner.
Si Manhattan fut un immense succès public et critique à sa sortie en 1979, Allen fut si déçu
en visionnant la première mouture du film qu’il pensa un instant le « mettre à la poubelle ».
« Vous croyez, demanda-t-il à ses collaborateurs, qu’il y a un moyen pour que je rachète ça
à United Artists et qu’ils ne le sortent pas, et puis je leur ferai un film gratuitement ou on
trouvera autre chose, en guise de paiement ? » Sa monteuse Sandy Morse le rassura et le travail
de postproduction s’acheva alors qu’Allen préparait déjà son film suivant sur les vicissitudes
du vedettariat : Stardust Memories.
Zoom
61. C’est le nombre de plans qui ouvrent Manhattan, cette œuvre de Woody Allen dans
laquelle celui-ci exprime son admiration sans bornes pour la « Grosse Pomme » (The Big Apple).
Manhattan, lieu et personnage d’un film homonyme qui prend les allures d’une confession
intime à peine voilée, ne se révèle jamais mieux, nous dit Jean-Paul Sartre, qu’en prenant
un peu de hauteur, un peu de distance. C’est de l’intérieur, par un de ses plus fidèles résidents,
qu’elle est décrite ici. Avec tendresse et respect.
Le cinéma, reflet de la vie ? Reflet d’une vie ? La première séquence du film expose toute
la difficulté de se raconter et questionne avec humour le pacte qui fait d’une œuvre de fiction
écrite à la première personne (ou presque) un aveu d’autobiographie. Le film s’ouvre avec
des vues de New York sur lesquelles Isaac Davis jette (en voix off) les premières lignes d’un
roman qu’il essaie d’écrire tout au long du film. La problématique posée par cette séquence
porte sur la manière de raconter sa vi(ll)e sans se/la trahir. Que dire, ne pas dire ?
Les 61 plans qui la composent sont autant de facettes d’un kaléidoscope urbain et intime
difficile à appréhender, jeu de miroirs que Woody Allen décline ensuite dans des décors
presque aussi nombreux. Chaque plan-miroir constitue un pan de la vie de l’auteur ; chaque
début du fameux « chapitre un » qu’Isaac essaie d’écrire pendant que défilent les images
de New York correspond à un aspect, un point de vue différent de l’agglomération. Chaque
définition en chasse une autre, comme si la ville, changeante et inaccessible, se dérobait aux
limites du portrait, résistait aux bords du cadre de la caméra. L’écrivain réalisateur tente pourtant
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Woody Allen
de la circonscrire avec un texte plusieurs fois remis sur le métier et une juxtaposition
compulsive de plans de la métropole. Entre la caméra-stylo et les obsessions de l’auteur,
un contrat autobiographique impossible ?
Carnet de création
Une méthode de travail « sauvage »
Affranchis des contraintes d’une narration serrée, Allen et son chef opérateur Gordon Willis
ont pu s’offrir la liberté de tourner où ils voulaient dans New York. Les vitrines et façades
de Gucci, de Sotheby Parke-Bernet et du Plaza sont ainsi filmées avant même que quiconque
n’ait eu le temps de s’apercevoir de la présence de la petite équipe du film (un avantage pour
un tournage « sauvage »). Le feu d’artifice du nouvel an est pris depuis la fenêtre de la salle
de bains d’un appartement d’amis donnant sur Central Park Ouest, et quelques scènes sont
tournées au Carlyle Hotel, au coin de la rue d’Allen. « Woody évite pas mal de paperasserie
et de démarches administratives grâce à son expérience sur Candid Camera (une série
télévisée, NDR), écrit un chroniqueur new-yorkais. Il arrive quelque part avec la production
et ils commencent tout simplement à tourner. » Pour profitable qu’elle soit, cette pratique
comporte néanmoins quelques inconvénients. Gêné par les badauds curieux, Allen doit
souvent multiplier les prises de vues pour les scènes en extérieur. Par ailleurs, concernant
la scène d’intérieur « chorégraphique » du planétarium, elle a été aux trois quarts filmée
après autorisation dans le musée, mais pour des raisons scénographiques (mouvements
de caméra et déplacements des acteurs), une partie de l’endroit a été reconstruite en studio.
À cette seule exception, tout le film a été tourné en décors naturels.
Parti pris
Jacques Lourcelles salue « le film le plus achevé de Woody Allen »
« C’est au début d’Annie Hall que Woody Allen avait commencé de s’adresser, en tant que
personnage, directement à la caméra et au public. Depuis lors, le caractère autobiographique
de son personnage n’a cessé de s’affirmer, d’une manière si inventive et si ambitieuse que
ce personnage est venu prendre sa place naturellement parmi les plus grands représentants
du burlesque américain, à côté d’un Chaplin, d’un Keaton, d’un Jerry Lewis. »
Dictionnaire du cinéma, éd. Robert Laffont, 1992.
Matière à débat
Manhattan et La Dolce Vita
On dit souvent de Woody Allen qu’il est le metteur en scène le plus européen des cinéastes
américains. Pour raccourcie qu’elle soit, cette formule s’applique néanmoins assez bien
à Manhattan qui, à bien des égards, n’est pas sans évoquer La Dolce Vita de Federico Fellini
(après que la scène liminaire nous a rappelé les plans fixes de la fin de L’Éclipse d’Antonioni,
1962). Comme dans le film du « Maestro » où Marcello (Mastroianni) joue un journaliste
velléitaire, Allen incarne ici un auteur déchiré entre des travaux d’écriture purement alimentaires
et un projet « sérieux » de roman. Comme Marcello, Isaac a pour inspiratrice de ses élans
créateurs une jeune fille pure (à peine nubile) que Fellini comme Allen oppose à une femme
mûre, cynique (au moins dans un premier temps) et nombriliste. La plupart des amis
des deux héros sont des êtres égocentriques qui passent leur temps à parler d’eux-mêmes,
à disséquer leurs problèmes moraux et sentimentaux. L’un hante les fêtes, cocktails et autres
lieux de rencontres mondains ; l’autre (dans un registre moins décadent et surtout plus intimiste)
fréquente les tavernes chaleureuses, les librairies et les musées (MOMA, planétarium).
À la fin du film, Isaac ne parvient pas à renouer avec Tracy qui part pour Londres durant six mois
tandis que Marcello n’arrive pas à communiquer avec la fille de la plage. D’un côté, la superbe
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Woody Allen
musique de Nino Rota accompagne les déambulations nocturnes de Marcello dans Rome ;
de l’autre, c’est la musique de George Gershwin (Rhapsody in Blue) qui sert d’accompagnement
romantique aux tergiversations lunaires d’Isaac dans Manhattan. L’ensemble est tellement
harmonieux que chacune de ces partitions musicales semble une émanation de la ville idéalisée
dans un cinémascope et un noir et blanc archi-soignés.
« J’aime… J’aime pas… »
Mais, bien plus que La Dolce Vita, Manhattan est un film drôle, intime sinon introspectif
(propension d’Allen depuis Annie Hall à parler de lui-même) et tendrement désillusionné.
Loin de la désespérance qui ronge les Romains de Fellini, les intellectuels urbains de Manhattan
cachent leur profondeur tragique derrière un humour de dérision (Isaac), une suffisance
cynique (Mary), une agressivité vengeresse (Jill) ou un hédonisme tardif (Yale). Seule Tracy,
du haut de ses 17 ans, fait la leçon aux autres, si « adultes » et pourtant si déraisonnables,
en leur adressant un message de simplicité, de sincérité et d’espoir. « Tu dois avoir davantage
confiance en l’homme » dit-elle en substance à Isaac à la fin.
La ville de New York vit au diapason de ces êtres fragiles et touchants que nous montre
le cinéaste. La vie trépidante de la cité, ses alanguissements du soir et ses nuits douces
ou électriques disent tour à tour les élans et rétractations, les malaises et hésitations,
les promesses et découragements de son héros. Spectaculaire, secrète, déprimante, excitée
ou confuse, la ville est comme Isaac. Aussi charnelle, complexe et contradictoire que lui.
Il suffit d’une brume sur un après-midi finissant ou d’un dégradé de gris sur le ciel new-yorkais
pour traduire les palpitations et les intermittences des cœurs amoureux, de celui d’Isaac
ou des autres. À l’inverse, il n’est besoin que d’une larme sur la joue de Tracy et du sourire
en demi-teinte d’Isaac face à elle pour dire avec une émouvante modestie les hasards cruels
et les espoirs amoureux de toute cette ville qui s’agite alentour.
Manhattan brille par son intelligence des situations et son attention particulière à exprimer
les qualités comme les défauts des êtres. Gai et triste à la fois, positif et négatif, il semble tenir
un discours un peu capricieux, une sorte de « J’aime… J’aime pas… » parfaitement subjectif
comme en témoignent les nombreuses critiques à l’emporte-pièce d’Isaac sur Gustav Malher,
Scott Fitzgerald, Heinrich Böll, ses clins d’œil à Humphrey Bogart ou à Groucho Marx ou encore
la séquence du magnétophone durant laquelle le héros énumère ce qui rend, selon lui, la vie
intéressante :
« Well, it [la nouvelle qu’Isaac tente d’écrire sur les habitants de Manhattan, NDR] has
to be optimistic. Well, all right, why is life worth living? That’s a very good question. Well,
there are certain things… I guess that make it worthwhile. Like what? Okay. For me… I would
say… Groucho Marx, to name one thing… and Willie Mays, and the second movement
of the Jupiter Symphony, and Louis Armstrong’s recording of Potato Head Blues… Swedish
movies, naturally… Sentimental Education by Flaubert… Marlon Brando, Frank Sinatra…
Those incredible apples and pears by Cézanne… The crabs at Sam Wo’s… Tracy’s face… »
Envoi
La Dolce Vita (1960)
de Federico Fellini
est à Rome
ce que Manhattan
est à l’envoûtante
cité américaine.
Philippe Leclerc
•Filmographie, ouvrages, albums, fichiers audio, anecdotes (en anglais)
•Biographie, filmographie, interviews, synopsis, scènes inédites et liens À lire
•Frodon (Jean-Michel), Conversations avec Woody Allen, éd. Plon, 2000.
•Baxter (John), Woody Allen, éd. Flammarion, 2000.
•Björkman (Stig), Woody Allen, portrait de l’artiste au travail, éd. Cahiers du cinéma, 2002.
3 © SCÉRÉN-CNDP
À voir
Passerelles

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