Enki bilal invite du festival de la langue - Boulogne
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Enki bilal invite du festival de la langue - Boulogne
Vivre sa ville Cinéma Enki Bilal invité du festival de la langue Française pour son nouveau film, Immortel 2095: Horus revisité Essentiellement connu du grand public pour ses albums de bande dessinée (La Foire aux immortels, La Femme piège, Froid Équateur, Le Sommeil du monstre...), Enki Bilal vient de donner le dernier tour de manivelle à son troisième long métrage produit par Charles Gassot, Immortel, avec Linda Hardy, Charlotte Rampling et Thomas Kretschmann dans les rôles principaux. Le film sort en avant-première à Boulogne-Billancourt le 5 mars prochain, dans le cadre de la 3e édition du festival de la langue française. Entretien avec Enki Bilal et présentation du film dont la sortie nationale est prévue le 24 mars. Paris, 2004. Atelier parisien d’Enki Bilal. L’air est encore respirable, la Tour Eiffel toujours en fer et les hommes n’ont pas des têtes d’animaux. Le dessinateur lui-même n’est pas un monstre bicéphale à sang bleu. Alors que 32 décembre, deuxième album de sa nouvelle trilogie, caracole toujours en tête dans les bacs, le dessinateur s’apprête à promouvoir dans le plus grand mystère son troisième long métrage, Immortel. L’histoire se déroule à New York en 2095, entre un dieu égyptien, une extraterrestre et un humain. j’allais au cinéma une fois par semaine avec ma mère, à la maison, je dessinais en rêvant à des histoires. En fait, un univers nourrissait l’autre. J’ai simplement continué. Je dois ma rencontre professionnelle avec le cinéma, à Alain Resnais qui m’a demandé de travailler avec lui sur La Vie est un roman. Ensuite, j’ai réalisé mes deux premiers films. Je suis un raconteur d’histoires, c’est le même métier sur le papier ou la pellicule, ce qui vient du graphisme fini toujours par exister en 3D. Comment êtes vous arrivé au cinéma, par lassitude du dessin ? !Quatre ans de travail ont été nécessaires pour recréer à l’écran l’univers des bandes dessinnées d’Enki Bilal. Non, ces deux passions parallèles me suivent depuis mon enfance. À 7-8 ans, à Belgrade, Boulogne~Billancourt 48 ➛ février 2004 Information 323-BBI p 44 à la fin 26/01/04 13:10 Page 49 é Bio express Le destin de certains hommes se rit souvent de la logique, dès son commencement, celui d’Enki Bilal se décline en bande dessinée, pas toujours gaie mais toujours en couleurs. Né à Belgrade en 1951, il arrive à Paris à l’âge de 10 ans où la famille se recompose autour du père émigré cinq ans plus tôt. Le gamin yougoslave suit un parcours scolaire classique, apprend le français en moins de deux et alimente au quotidien sa passion du crayon. Adolescent, il planche trois mois aux Beaux-arts mais se préfère autodidacte. Lauréat d’un concours dans le journal Pilote, il y est publié une première fois en 1972. Il rencontre Pierre Christin, scénariste de Valérian, et créent ensemble des albums de politique fiction (La Croisière des oubliés, Les Phalanges de l’Ordre noir...). Avec La Foire aux immortels, son premier album en solo, les années 80 de la B.D. ne jurent plus que par lui. En 1989, sans abandonner le pastel, il pose son regard créatif derrière l’œil de la caméra pour tourner son premier film, Bunker Palace Hôtel. Succès d’estime avec des acteurs comme Jean-Louis Qu’il s’agisse de bandes dessinées ou de cinéma, vos personnages évoluent dans un univers proche de la science fiction (S.F.), vous semblez très attaché à ce style ? Est-ce vraiment de la science fiction ? Je préfère parler d’angoisses et de projections dans l’avenir ou de circulation entre les trois éléments qui composent le temps : le présent, la mémoire du passé et l’inconnu du futur. Trop de choses sont assimilées à la S.F. parce qu’elles relèvent du genre. Si on parle B.D., mes derniers albums se situent davantage dans la prospective. Rêver d’un monde parfait n’alimente pas mon moteur de création. Mon univers « fictif » me permet de régler des comptes avec le passé que j’ai vécu et le présent que je Trintignant et Carole Bouquet dans les premiers rôles. Puis, c’est Thyko Moon avec Michel Piccoli et Marie Laforêt, 80 000 entrées et des copies pirato-bancales dans les vidéoclubs qu’il aimerait voir disparaître. Bibliographie non exhaustive • La Trilogie Nikopol (2002), regroupant La Foire aux immortels (1980), La Femme piège (1986) et Froid Équateur (1992) ; • Le Sommeil du monstre (1998) ; • 32 décembre (2003) aux Humanoïdes Associés. Alcide Nikopol, interprété par Thomas Kretschmann, face au dieu Horus sorti de son sommeil millénaire. vis. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’auto fiction pure. Je suis à l’aise dans un certain langage pas dans l’autre. En réalité, je m’amuse énormément en dessinant et en écrivant sur ces thèmes qui font peur. Vous aimez donc avoir peur et faire peur ? À petite dose ce sentiment n’est pas désagréable, il y a une espèce de fascination du danger. Toucher à ces mondes extrêmes, pas si loin des réalités de la guerre, c’est aussi une façon d’exorciser les démons. J’ai la chance de pouvoir exprimer mes obsessions et mes passions à travers un art qui n’est même pas un métier, cela fait partie de ma vie. Cela dit, cette chance est le fruit d’un long travail en soli- Linda Hardy dans le rôle de Jill la femme énigme aux larmes bleues, humaine ou mutante ? Boulogne~Billancourt ➛ février 2004 Information 49 Vivre sa ville taire où l’angoisse du mot fin est terrible. C’est très difficile de terminer un album, si je perdais la faculté de le faire, alors, j’aurais peur. Que pouvez-vous dire sur votre nouveau film ? Il reprend les noms de trois personnages de La Trilogie Nikopol : Horus, Nikopol et Jill, mais l’histoire a été entièrement recomposée, inédite. Visuellement, il comporte certaines choses qui viennent du Sommeil du monstre et de 32 décembre. Pour ainsi dire, ce film m’appartient de A à Z. Je suis impliqué dans son écriture, j’en ai dessiné les personnages virtuels, pas mal d’éléments du décor et des accessoires, et créé la charte visuelle avec les infographistes, avant d’attaquer la réalisation et le suivi de la postproduction. Les captures d’écrans ont permis d’associer humains et mutants, réalisés en images de synthèse, dans ce bar d’un autre monde. Est-ce facile de recréer cet univers de B.D. au cinéma ? L’amour pourra-t-il sauver le monde ? Contrairement au dessin, la fabrication de ce genre de film est longue et coûteuse. Les compétences de 400 personnes ont été nécessaires sur quatre ans. C’est énorme. Nous avons passé trois ans chez Duran, spécialiste des effets numériques, pour travailler sur le décor du New York de 2095 et des personnages réalisés en images de synthèse. Immortel est truffé d’effets spéciaux qui ont demandé un énorme travail d’incrustation d’images et de captures d’écran, alors que le tournage avec les acteurs en chair et en os n’a duré que 16 semaines. Six mois ont également été nécessaires pour toute la postprodcution (mixage, son, doublage, synchronisation...) qui a eu lieu dans les locaux des Audis de Boulogne. Peut-on connaître le coût d’une telle production ? Environ 23 millions d’euros. C’est une somme importante. À titre comparatif, certaines superproductions atteignent 35 millions d’euros, mais un film français coûte en moyenne cinq à six millions d’euros. Pour le même sujet, les Américains peuvent multiplier l’enveloppe par trois ou quatre ! Par rapport à mes premiers films c’est très confortable, et en même temps limite. Finalement on se retrouve toujours avec un petit budget ! Certaines contraintes financières obligent à réfléchir à d’autres plans cinématographiques, ce n’est pas si mal. Je ne veux pas jouer les enfants gâtés du cinéma quand j’en suis un dans la bande dessinée, où je fais ce que je veux. Peut-on réaliser un film et continuer à produire des albums de bande dessinée ? Quand on m’a proposé le film, fin 1999, je travaillais sur 32 décembre. J’ai tout stoppé à la 28e page et préparé le film. Le retour dans l’atelier, laissé en jachère pendant plus de deux ans, a été terrifiant, j’y ai passé un mois sans pouvoir me remettre au dessin. C’est reparti un matin avec une organisation incroyable et soudaine, dessin le matin supervision du film l’après-midi, qui m’a permis de sortir l’album en 2003. J’ai même commencé à écrire le prochain et à le crayonner. Justement, quels sont vos projets ? Pour l’instant, je prends quelques jours de vacances pendant lesquels je vais écrire au soleil (NDLR : l’univers noir et désespéré d’Enki Bilal est souvent né sous les cocotiers au bord d’une mer turquoise) et j’attends la sortie du film. S’il marche c’est bien, mais cela ne changera rien, je recommencerai. J’ai appris énormément sur ce film-là, trois ans d’école à tous les postes. Il est trop tôt pour mettre en projet un quatrième film, mais cela m’intéresserais de faire le même travail de recomposition avec ma nouvelle trilogie. ■ Amélia Vilar del Peso e 3 Festival de la langue française de Boulogne-Billancourt La bande dessinée à l’honneur Le nouveau cru 2004 du festival de la langue française s’articule cette année autour de la bande dessinée et de la caricature de presse. Pour sa 3e édition, l’événement littéraire se tient le 5, 6 et 7 mars prochain. Les invités d’honneur en sont Anne Goscinny et Plantu, mais de nombreux fans de B.D. comme Jean-Loup Dabadie et Michel-Édouard Leclerc ont également accepté de participer à la conférence proposée le samedi 6 mars à l’espace Landowski. Ce débat sur l’histoire de la bande dessinée francophone et de ses scénaristes succède à la proclamation des résultats et aux remises des prix du concours de la nouvelle. Une dictée lue par Jean-Pierre Fourcade s’adressant au grand public, tous les âges confondus, elle aussi axée sur l’univers de la B.D. vient clore le festival le samedi 7 mars. • Retrouvez le détail de la manifestation dans le BBscope page 11. Boulogne~Billancourt 50 ➛ février 2004 Information