Soutenir la paix et le développement à Mindanao

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Soutenir la paix et le développement à Mindanao
SPÉCIAL
CONSOLIDATION DE L A PAIX : RÉTABLIR L A CONFIANCE
PHOTO : MASATAKA OTSUKA
Soutenir la paix et
le développement à Mindanao
4 JICA’S WORLD JANVIER 2015
E
n mars 2014, le Front Moro islamique de
libération (MILF) et le gouvernement philippin ont mis fin à un conflit qui minait depuis
plus de 40 ans l’île méridionale des Philippines. Une fois l’accord de paix conclu, la reconstruction
des régions dévastées par la guerre a pu commencer.
Un volet important concernait la mise en place
d’institutions et la formation d’administrateurs au cœur
de la nouvelle entité politique qui entrera en fonction au
début de 2016. La JICA, dont l’aide aux zones de
Mindanao touchées par le conflit a démarré dès la seconde
moitié des années 1990, poursuit son soutien aux habitants qui œuvrent à la mise en place d’une paix et d’un
développement durables.
LES STIGMATES DE QUATRE DÉCENNIES DE CONFLIT
Les voyageurs qui transitent par l’aérogare réservée aux
vols intérieurs à l’aéroport international Ninoy Aquino,
à Manille, sont frappés par l’ambiance qui règne au niveau
d’une des portes d’embarquement. Si les Philippins sont
chrétiens dans leur grande majorité, les femmes qui
attendent ici – coiffées d’un foulard et vêtues de longues
robes noires – sont de confession musulmane. Elles vont
à Cotabato, sur l’île de Mindanao, à une heure et demie de
vol de Manille.
Mindanao est la deuxième plus grande île de ce pays
qui en compte plus de 7 000 – seule l’île de Luçon qui
abrite la capitale, Manille, est plus étendue. C’est aussi le
théâtre d’un âpre conflit qui sévit depuis plus de 40 ans.
L’histoire de Mindanao est complexe. Avant le
seizième siècle, la plupart des régions de l’île étaient
peuplées de musulmans. La chrétienté a gagné en
influence quand les Philippines sont devenues une colonie
espagnole, puis américaine. Cette influence religieuse a
persisté après l’indépendance, lorsque les chrétiens venus
d’autres îles ont afflué, chassant bien souvent les habitants
musulmans, s’emparant de leurs terres et parfois de leur
vie. Privés de leurs moyens de subsistance et de sécurité,
les habitants ont pris les armes contre le gouvernement et
se sont engagés dans la lutte pour l’indépendance de l’île.
Ce conflit a probablement fait plusieurs centaines de
milliers de victimes depuis les premiers échanges de tirs,
dans les années 1970.
En 1996, le Front Moro de libération nationale
(MNLF), l’un des groupes armés impliqués dans la lutte,
a signé un accord de paix avec le gouvernement philippin,
prenant la tête de la Région autonome du Mindanao
musulman (RAMM). Mais le MILF, qui revendiquait le
droit à l’autodétermination en tant qu’entité islamique
indépendante, a rompu avec le MNLF et poursuivi
la lutte.
DES EFFORTS DE PAIX SOUTENUS PAR LE JAPON
L’élaboration d’une solution pacifique à ce conflit a constitué un immense défi, les deux parties campant fermement sur leurs positions, convaincues d’avoir des raisons
légitimes de se battre. Dans ces conditions périlleuses,
le Japon est venu apporter son soutien au processus de
paix entre le gouvernement et les forces révolutionnaires.
Parmi les principales raisons ayant motivé le Japon, citons
l’affinité particulière ressentie pour Mindanao, qui
abritait quelque 20 000 Japonais avant la deuxième
guerre mondiale.
Quand le gouvernement philippin et le MNLF ont
conclu un accord de paix en 1996, le Japon a été l’un des
premiers pays à fournir une aide pour la reconstruction de
Mindanao. Depuis 2006, le Japon participe aux efforts
déployés dans les régions de Mindanao touchées par le
conflit pour instaurer la paix entre le gouvernement
national et le MILF. Citons notamment la participation à
l’équipe internationale de surveillance (EIS) à Mindanao,
ou encore l’appui aux initiatives Japon-Bangsamoro pour
la reconstruction et le développement (J-BIRD), un
ensemble exceptionnel de programmes destiné à fournir
une aide socio-économique protéiforme à la population
locale.
L’EIS est une entité internationale constituée
de représentants du Brunei, du Japon, d’Indonésie,
de Malaisie et de Norvège. Ses quatre divisions surveillent
les aspects sécurité, aide humanitaire, aide socioéconomique et protection civile, l’objectif principal étant
de garantir le respect des termes de l’accord de paix.
La composition multinationale de l’IMT a permis de
réduire les accrochages potentiels en exerçant une
pression internationale pour maintenir le gouvernement
philippin et le MILF sur la voie de la paix.
Jusqu’à l’obtention de l’accord de paix, les tensions
accumulées au fil des décennies de conflit sont devenues
très vives ; un ancien président philippin est même allé
jusqu’à souhaiter l’anéantissement des rebelles. Mais c’est
le président Benigno S. Aquino III qui s’est donné pour
priorité d’instaurer la paix à Mindanao, celle-ci étant
primordiale pour la stabilité de tout le pays. Avec l’appui
de la communauté internationale, les deux parties au
conflit ont pu franchir cette dernière étape vers la paix.
Dans un contexte tendu,
Takayuki Nakagawa
(à gauche), membre
japonais de l’EIS, visite un
avant-poste de l’opposition
en 2013 pour rapprocher
forces armées
gouvernementales et
officiers du MILF.
PRÉPARER LE TERRAIN POUR LA NOUVELLE
ENTITÉ POLITIQUE
Des travaux sont en cours pour mettre sur pied un nouveau
gouvernement du Bangsamoro en 2016. La création de
cette nouvelle entité politique nécessite dans un premier
temps d’élaborer la loi fondamentale du Bangsamoro et de
la faire adopter par le Parlement philippin.
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L’expert de la JICA Shinichi Masuda (à gauche) visite un
village pour observer les activités de développement.
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Un volontaire de la paix local éclaire les participants d’un programme de formation à
l’Université d’Hiroshima sur la reconstruction de la ville après la guerre.
Banderole sur laquelle on peut lire :
« Tous nos vœux au gouvernement
du Bangsamoro. »
L’expert de la JICA Shinichi Masuda a étroitement
collaboré avec l’autorité intérimaire, la Commission de transition du Bangsamoro, et l’Agence de développement du
Bangsamoro, soutenant des efforts tels que la mise en place
d’institutions et de politiques pour le nouveau gouvernement,
la formation d’administrateurs, et l’établissement de services de
base. « C’est un processus entièrement nouveau pour le MILF »,
explique M. Masuda. « Ce sera un test en grandeur réelle pour
voir si les acteurs concernés sont capables de créer un gouvernement autonome, non pas idéal, mais opérationnel. »
Norodin Salam, membre de la BTC, a de fortes attentes :
« Nous voulons créer un gouvernement doté d’une forte
autonomie, qui soutienne non seulement les musulmans, mais
aussi les chrétiens et les peuples autochtones de la région. Nous
souhaitons profiter de l’expérience du Japon, qui s’est reconstruit en partant de zéro après la deuxième guerre mondiale. »
Selon M. Masuda, la meilleure façon d’encourager le processus
de paix est de déployer des efforts pour améliorer les moyens de
subsistance de la population. « Quels que soient les obstacles
rencontrés, le processus doit se poursuivre. Même le plus petit
pas en avant est vital. »
L’Université d’Hiroshima, qui n’a de cesse de partager un
message de paix avec le reste du monde, apportera également un
appui au nouveau gouvernement du Bangsamoro. Dans le cadre
d’un programme d’aide technique de la JICA au niveau local,
le professeur adjoint Meg Kagawa, de la faculté de sciences
sociales de cette université, participe à la formation de jeunes
chefs de file locaux pour en faire de futurs administrateurs.
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Dans certaines parties de Mindanao, la forte influence
régionale de divers groupes et clans a entravé les efforts de
l’administration locale. Pour remédier à ce problème, trente
habitants de Mindanao ont été invités à passer un mois au Japon
durant les trois années qu’a duré le projet, afin d’étudier la structure des autorités locales d’Hiroshima et leurs approches en
matière de développement, et de découvrir la manière dont cette
ville a opéré sa reconstruction après la guerre.
Un membre du personnel local qui travaille avec
Mme Kagawa aux Philippines, place de grands espoirs
dans ce programme : « Je veux que les jeunes participants
deviennent une force de changement, en partageant avec
d’autres habitants de Mindanao les connaissances qu’ils
acquièrent au Japon sur le fonctionnement de l’administration
locale. »
AMÉLIORER LE NIVEAU DE VIE
L’instauration de la paix n’a de sens que si les habitants
de la région peuvent espérer un avenir meilleur.
À cette fin, la JICA participe à divers programmes visant à
favoriser une paix durable à Mindanao.
Ces efforts comprennent notamment l’appui à de petits
projets d’infrastructures dans plus de 300 villages de la
région. On en trouve un exemple à une heure de route
environ de la capitale régionale, Cotabato, dans le village
côtier de Kusiong. Au centre du village s’étend un espace à ciel
ouvert où du riz et d’autres récoltes produites par les habitants
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Les enfants de toutes les confessions vont à l’école de Kusiong pour s’instruire.
Le bâtiment a été construit avec l’aide du Japon.
sèchent au soleil. « En ce moment, on fait sécher des noix de
coco, » explique un villageois. « Quand elles seront prêtes, on
les pressera pour en extraire de l’huile. »
Le brouhaha animé des enfants de l’école est un autre
exemple de ces efforts. Un calendrier indiquant les principaux
jours fériés musulmans et chrétiens est accroché au mur de la
classe. Un instituteur explique en souriant : « Les enfants,
même ceux des familles autochtones, célèbrent tous les événements. Nous cohabitons paisiblement quelles que soient nos
croyances. » Le fait de s’occuper ensemble des infrastructures
du village crée de la cohésion en rassemblant tous les habitants
pour le bien commun.
L’appui de la JICA va au-delà d’une aide infrastructurelle.
Mindanao étant dépourvu d’industrie majeure, il est indispensable de développer des activités génératrices de revenus pour
les habitants. À Solon, un village de la municipalité de Sultan
Mastura, les experts de la JICA soutiennent les efforts des
habitants pour l’élevage du tilapia, un poisson d’eau douce.
« Nous avons beaucoup tâtonné, mais nous commençons
à faire des bénéfices », affirme un membre d’un groupe de
villageois souriants. « Les habitants d’autres villages nous
rendent même visite pour en savoir plus sur nos activités. »
Dans un centre de formation du village de Macabico, un expert
de la JICA apprend aux habitants comment fabriquer de
l’engrais organique. Ces connaissances sont appliquées à la
production de tomates et à d’autres cultures maraîchères.
La productivité est en hausse, ce qui est bon signe pour l’avenir
du village.
Les serres et d’autres
technologies aident les
cultivateurs de tomates
à protéger leurs cultures
de l’intensité du soleil
philippin.
« Au départ, l’aide doit se concentrer sur des efforts
permettant aux gens de subvenir à leurs besoins essentiels »,
explique Mohammad Yacob, directeur exécutif de l’Agence de
développement du Bangsamoro. À mesure que les choses
s’améliorent, on passe à l’étape suivante du développement :
l’investissement. M. Yacob nourrit de grands espoirs pour la
région. « Mindanao est riche en ressources et en terres fertiles.
Nous espérons que beaucoup d’entreprises, notamment
japonaises, prendront conscience de cette richesse et viendront s’installer ici. De nouvelles industries créent des emplois
et contribuent au développement de la région. »
Des décennies de conflit ont engendré des taux de
pauvreté nettement supérieurs à la moyenne nationale dans
le sud-ouest et le centre de Mindanao. Les insuffisances au
niveau des services sociaux de base et des infrastructures sont
autant de défis à relever. La JICA entend continuer à s’attaquer
à ces problèmes jusqu’à ce que chaque habitant de Mindanao
puisse vivre en paix, débarrassé du fléau de ce conflit armé.
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