Le vote des outremers

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Le vote des outremers
2012
2012 - Les électorats sociologiques
Elections
Les électorats sociologiques
Le vote des outremers
N°16
Mars 2012
Christiane Rafidinarivo
Habilitée à diriger des recherches en science politique
Université de La Réunion
www.cevipof.com
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Centre de recherches politiques
2012 - Les électorats sociologiques
N°16
Mars 2012
Christiane Rafidinarivo
Habilitée à diriger des recherches en science politique
Université de La Réunion
Le vote des outremers
Que disent les dynamiques politiques des outremers sur les enjeux de vote
à l’élection présidentielle de 2012 ? La marge de mobilisation électorale est
importante. Les élections sur les statuts des outremers ont modifié
l’importance du vote identitaire et des recompositions politiques locales. La
globalisation d’enjeux locaux se multiplie, l’espace public s’élargit. Quels
électorats se dessinent et comment se déterminent les votes ?
L’outre-mer1 se présente souvent comme
un tout dans les imaginaires électoraux. Celui des
lointaines possessions qui font de la nation une
diversité unitaire et de la France un grand pays si
ce n’est un coûteux empire anachronique. Les
dynamiques politiques des outremers depuis une
décennie font émerger d’autres perspectives. Estce que cela redessine les électorats et détermine
les votes pour l’élection présidentielle de 2012 ?
Un électorat utile ou déterminant ?
Plus d’1,5 millions d’électeurs outre-mer
et 1 million en métropole sur 43,2 millions
d’inscrits en 2011 en France, on serait tenté de
croire que ce n’est pas un électorat déterminant
les résultats du scrutin présidentiel. Aux
sénatoriales de 2011, le vote des outremers a
pourtant contribué au basculement historique du
Sénat à gauche. Ce n’est pas le même corps
électoral à l’élection présidentielle mais quand
les sondages sont serrés entre les candidats,
quand les perspectives de ralliement sont
susceptibles de faire basculer les résultats, au
premier tour comme au second, chaque voix
compte. Et chaque ralliement aussi. Une chose est
sûre, les électorats ultramarins tiennent tous à ce
que leur spécificité soit prise en compte par
l’État : discontinuité territoriale, inégalités,
difficultés et atouts qui leur sont propres.
Résultats et abstentions
À la présidentielle de 2002, les votes
outre-mer sont massivement à droite pour
Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen : 10% en
moyenne, entre 3,85% en Martinique et 19,58%
en Nouvelle Calédonie. En 2007, les DROM et
deux COM, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon
ont voté majoritairement pour Ségolène Royal, à
l’inverse du vote national, tandis que la Guyane
et les autres COM ont voté pour Nicolas Sarkozy.
Les outremers français sont formés de 12 composantes :
Les DOM-TOM sont devenus, selon les articles 73 et 74 de la constitution, loi constitutionnelle du n°2003-276 du 28 mars 2003 :
- Départements et régions d’outre-mer (DROM) : Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte depuis 2011, La Réunion ;
- Collectivités d’outre-mer (COM) : Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna, dont
les Pays d’outre-mer (POM) : Polynésie française et Nouvelle-Calédonie régie par le titre XIII de la constitution.
Les Terres australes et antarctiques sont collectivités sui generis par l’article 72-3. Elles n’ont pas de résidents permanents.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=BDB6D37B864F41D80CC55028D4DB5F04.tpdjo11v_1?
cidTexte=LEGITEXT000005634154&dateTexte=20120206
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Résultats de l’élection présidentielle de 2007 :
DROM COM
GUADELOUPE
N. SARKOZY S. ROYAL
49,17%
50,83%
TENDANCE ABSTENTION
gauche
34,52%
GUYANE
53,08%
46,92%
droite
36,53%
MARTINIQUE
39,48%
60,52%
gauche
34,22%
LA REUNION
36,43%
63,57%
gauche
22,81%
MAYOTTE
39,96%
60,04%
gauche
52,44%
NOUVELLE
CALEDONIE
62,98%
37,02%
droite
31,86%
POLYNESIE FRANÇAISE
51,90%
48,10%
droite
25,33%
SAINT-PIERRE-ET
MIQUELON
39,14%
60,86%
gauche
25,19%
50,17%
49,83%
droite
30,50%
WALLIS-ET-FUTUNA
FRANCE
53,06 % 46,94 % droite 16,03 %
Source : Conseil constitutionnel.
Trois variables importantes se profilent
pour 2012 : d’une part, la capacité des candidats
à capitaliser les voix favorables en 2007, d’autre
part, la mobilisation électorale - vu le fort taux
d’abstention2 jusqu’ici - et enfin, les interactions
entre recompositions politiques locales et vote
pour la présidentielle.
Votes statutaires3, débats identitaires
et recomposition de paysage
politique
La mandature a été marquée par une
demande d’évolution institutionnelle par des élus
d’outre-mer, principalement de gauche, et en
réponse, par l’organisation de scrutins statutaires
par l’État. Le vote statutaire répond à un
questionnement conceptuel. Ses formulations
concernent directement les fonctions régaliennes
et décentralisées et indirectement, la définition
du rôle outremer du président de la République :
chef de l’État français, garant de l’intégration
nationale des outremers, interlocuteur du
dialogue de la répartition des rôles et budgets
entre l’État et les collectivités, voire de la relation
avec la métropole.
Le vote statutaire est supposé apporter
une stabilité politique ainsi qu’une réponse
institutionnelle aux crises politico-sociales et aux
affrontements identitaires. Ces scrutins posent la
question de l’organisation locale des pouvoirs et
celle des degrés d’intégration ou d’autonomie des pouvoirs locaux, des transferts de
compétences et de budget, des engagements ou
désengagements de l’État. La proposition du
candidat du PS, François Hollande, rejetée par
Nicolas Sarkozy, d’ouvrir le vote aux ressortissants
étrangers non européens aux élections locales
prend ainsi des proportions très différentes en
outre-mer où les enjeux frontaliers de migrations
et de contestations territoriales n’en font pas
simplement une question de démocratie locale.
Les votes statutaires ravivent le débat
politique et identitaire. Ils institutionnalisent de
nouvelles configurations politiques locales entre
évolutionnistes, indépendantistes ou partisans du
statu quo. Elles interfèrent avec le clivage
national traditionnel droite/gauche mais ne
sauraient y être réduites. Il est possible que ces
scrutins évacuent les revendications statutaires du
Le calendrier du vote a été avancé d’un jour aux Antilles et en Polynésie avant que ces électeurs ne connaissent le résultat
national. Cela contribue à diminuer le taux d’abstention par rapport aux élections précédentes.
3 Les votes statutaires sont liés à des évolutions de statut institutionnel soumise au vote. Aux outremers, ils se sont
exprimés lors de scrutins organisés pour consulter l’électorat sur les applications de réformes constitutionnelles (scrutin
statutaire) depuis 2003 :
- 2010 : les élus de Guyane et Martinique demandent une évolution institutionnelle soumise au vote. Résultat : les
électeurs votent non à l’autonomie accrue et oui à l’assemblée unique qui remplace le conseil régional et le conseil
général. La première élection des membres aura lieu en 2013 ;
- 2011 : Référendum : Mayotte devient DROM ;
- 2014-2018 : la Nouvelle Calédonie se déterminera ou non pour l’indépendance.
2014 : Réforme des collectivités territoriales : assemblée unique pour les régions monodépartementales et corps unique de conseillers.
À une autre échelle, le référendum de 2005 sur le traité européen a donné lieu à un vote statutaire.
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vote des outremers à l’élection présidentielle et
ramènent la question principale à un vote pour
ou contre les programmes des candidats et
évaluant leur stature présidentielle.
Recompositions politiques locales
et relais électoraux
D’autre part, les ambitions locales
suscitent de multiples recompositions du paysage
politique qui marquent les scrutins depuis 2007
autour d’enjeux locaux. C’est le cas des
rapprochements entre UMP et Mouvement de
gauche en Guyane. Les coalitions entre familles
politiques opposées sont récurrentes en
Polynésie. Une minorité droite sociale UMP s’est
alliée avec le Modem et la gauche pour emporter
la présidence du Conseil général en 2008 et la
maintenir en 2011 à La Réunion.
Ces recompositions sont des logiques de
maintien local de pouvoir et d’intérêts. La victoire
de la droite aux élections régionales
réunionnaises est le fait du refus du PS de s’allier
avec la coalition PC-Verts-Modem et transfuges de
la droite. Ces intérêts relèvent parfois des
environnements régionaux internationaux
comme des nombreuses retombées de la
politique européenne des territoires. Mayotte
souhaite accéder au statut de Région
ultrapériphérique tandis que Saint-Barthélemy
quitte son statut de Région ultraphériphérique
européenne (RUP 4) pour les dispositifs des Pays
et territoires d’outre-mer (PTOM5 ) européens et
maintient sa trajectoire de croissance dopée par
ces choix.
Le président UMP de la région Réunion
propose un référendum sur la question « Quelle
relation avec la métropole ? », immédiatement
après la présidentielle de 2012. C’est une façon
de se saisir des positions de Nicolas Sarkozy sur
le recours au référendum. François Hollande met
en avant le principe de la consultation populaire
pour faire évoluer les institutions sur proposition
des élus, en particulier en ce qui concerne la
Guadeloupe et La Réunion.
L’impact des recompositions politiques
locales sur les votes à l’élection présidentielle est
important. Vont-elles les émietter ou les focaliser
sur un choix plus individuel relayé par les
sympathies partisanes ? L’effet escompté sur la
redistribution locale par le relais des élus est
également une anticipation d’importance au vote.
Vote de crise et/ou vote économique ?
Tant les crises globales que locales, en
2009 aux Antilles, en 2011 à Mayotte, et en 2009
et 2012 à La Réunion, contextualisent fortement
la séquence électorale autour des revenus, des
prix, du travail et de l’ordre public. Y a-t-il un
carré magique6 du vote ? Ces crises s’inscrivent
aussi dans une longue pré-campagne à l’élection
présidentielle. Les plans d’austérité rejaillissent
sur les moyens des collectivités locales. Il est
probable que cela pèse autant, si ce n’est plus,
sur les relais électoraux que la loi de programme
pour le développement économique ou les
décisions du Conseil interministériel de l’outremer. Les taux de chômage sont très élevés,
supérieurs à 20%, - 60% chez les jeunes
Les RUP sont territoires de l’UE, soumis au droit communautaire et ont accès aux fonds structurels de l’Union.
L’Union européenne distingue les PTOM en tant que territoires de pays membres de l’UE sans qu’ils soient eux-mêmes
territoires de l’UE. Ils ont un statut associé avec accès commercial préférentiel à l’UE dans le but d’un développement
économique et social.
6 Le carré magique se réfère au carré magique économique en variables des décisions de politiques conjoncturelles : taux de
croissance, taux de chômage, taux d’inflation et balance commerciale.
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Réunionnais 7 - et le taux de population vivant endessous du seuil de pauvreté souvent plus
important, 52% à La Réunion 8 en 2008. Pour les
élus comme pour la population, l’importance du
porte-monnaie et de la capacité à financer l’avenir
est un critère essentiel d’évaluation électorale.
La dimension nationale des enjeux de
l’élection présidentielle est relayée outre-mer
par les partis politiques et les media. Les enjeux
locaux sont aussi très présents et la présidentielle
est la première campagne électorale d’une
séquence incluant les législatives de 2012, les
municipales de 2013 et les premières élections de
collectivités territoriales de 2014. François
Hollande projette d’abroger la réforme
territoriale s’il est élu. Mais 2014 est pour
certains un formidable enjeu de pouvoir local :
l’assemblée unique et sa présidence.
Les dynamiques de l’espace public
contribuent à modifier certaines pratiques de
vote d’appartenance. Le développement de
l’usage des bouquets satellites, des réseaux
sociaux et d’internet se fait à un rythme
considérable. Il favorise un choix électoral plus
personnel pour la présidentielle de 2012.
Vote ultramarin
L’échéance de 2012 mettra en regard un
État unitaire et des instances locales ultramarines réactives et spécifiques. Compter sur les
votes d’allégeance ne suffit pas, ni capitaliser
ceux des sympathisants de tel ou tel parti. Il
faudra conquérir l’électorat sur des enjeux de
taille qui se globalisent comme les zones
économiques exclusives, le développement,
l’environnement ou les dynamiques européennes.
L’atlas électoral des outremers n’est pas
seulement la répartition des votes sur les
territoires ou selon les électorats, c’est, en
filigrane, l’atlas économique et politique de la France
aux frontières ultramarines.
Pour aller plus loin :
> COMBEAU (Yvan) (dir.), Étude
politique, Année politique 2011 à l’île de La
Réunion, Élections cantonales et sénatoriales :
les stratégies de coalitions, Saint-Denis,
université de La Réunion, Centre de
recherche sur les sociétés de l’Océan
indien (CRESOI), 2011, 124 p.
h t t p : / / w w w. c r e s o i . f r / I M G / p d f /
etude_politique_yvan_combeau.pdf
> COMBEAU (Yvan) (dir.), Le Tournant
politique du 21 mars 2010 : élections
régionales 2010, l'île de La Réunion, SaintDenis, université de La Réunion, 2010,
79 p. [ISBN 978-2-36247-009-7]
> COMBEAU (Yvan) (dir.), Le Vote de
l’outre-mer, Paris, Quatre chemins, 2007,
260 p. [ISBN 978-2-8478-4168-8]
> MELIN-SOUCRAMANIEN
(Ferdinand) (dir.), L’Outremer français, un
« modèle » pour la République, Pessac,
Presses universitaires de Bordeaux,
2009, 181 p. [ISBN 78-2-86781-524-9]
> PERRINEAU (Pascal) et ROUBAN
(Luc) (dir.), La Solitude de l’isoloir : les vrais
enjeux de 2012, Paris, Autrement,
Frontières, 2011, 188 p. [ISBN
978-2-7467-3061-8]
> RAFIDINARIVO (Christiane),
« Travail, servitude et liberté », La Pensée,
« Esclavages et sujétions : dépendance(s),
esclavage(s), contrainte(s) », n° 368,
octobre-décembre 2011, pp. 45-55.
> RAFIDINARIVO (Christiane),
Dynamiques politiques locales et nouvelles
relations internationales dans la globalisation
financière, note de synthèse, Habilitation à
diriger des recherches, science politique,
Saint-Denis, université de La Réunion,
2007, 101 p.
INSEE, Enquête emploi 2011 à La Réunion.
CHEVALIER (Pascal), « Introduction », Économie de La Réunion, n° 134, INSEE, avril 2009.
http://www.insee.fr/fr/insee_regions/reunion/themes/revue/revue134/revue134_introduction.pdf
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