Louer, c`est jeter son argent par les fenêtres ? Foutaise, rétorquent

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Louer, c`est jeter son argent par les fenêtres ? Foutaise, rétorquent
Louer, c'est jeter son argent par les fenêtres ? Foutaise, rétorquent de nombreux locataires. Dans le
contexte actuel, disent-ils, les avantages de la location surpassent ceux de l'achat d'une copropriété.
Après deux décennies de «condomanie», assistons-nous au retour de la location ?
De 2007 à 2015, Susan Reinharz a été propriétaire d'une spacieuse copropriété au bord du canal Lachine.
Lors de son acquisition à l'état neuf, elle croyait faire une bonne affaire. Or, le rêve a viré au cauchemar.
Augmentation continuelle des frais de condo, vices cachés dans la fondation, poursuite contre le
constructeur, hausses des taxes foncières ; les problèmes se sont accumulés à un rythme d'enfer. «Je me
sentais de plus en plus étranglée par les dépenses», témoigne-t-elle.
En tant que présidente du syndicat de copropriétaires, Susan Reinharz se rend compte que la situation ne
fera qu'empirer dans les années à venir, en raison de multiples déficiences dans la construction.
Déterminée, cette semi-retraitée de 68 ans décide de vendre. «Mon but : en finir une fois pour toutes avec la
copropriété», dit-elle. Après la vente de son unité, sans le rendement escompté, elle a emménagé en mai
dernier dans une tour locative neuve qui vient d'émerger dans le quartier Griffintown, à 10 minutes du
Centre Bell.
Depuis, elle file le parfait bonheur dans son logement de 65 mètres carrés, avec vue sur la piscine
extérieure. «Je me sens libérée ! Ici, tout est compris : électroménagers, électricité, chauffage, eau chaude et
Internet. Je n'ai pas à craindre de nouvelles cotisations spéciales, la finition est aussi belle que dans les
condos neufs, je profite d'un service de sécurité de 24 h et un gym ouvrira bientôt au rez-de-chaussée. Que
demander de plus ?» déclare-t-elle. Qui plus est, ce mode de vie sans souci lui revient beaucoup moins
cher. «J'économise 15 000 dollars par an», dit-elle avec enthousiasme.
Tout comme cette sexagénaire, de plus en plus de gens désenchantés de la vie en copropriété, excédés par
les prix excessifs de l'immobilier, ou encore en quête d'un mode de vie sans responsabilités, affirment que
plus que jamais, le bonheur se trouve dans le locatif. Au diable le beau discours des courtiers
hypothécaires, des promoteurs et des agents immobiliers, cette nouvelle horde de locataires croit dur
comme fer que louer plutôt qu'acheter un appartement est un bien meilleur investissement. Surprise, de plus
en plus de planificateurs financiers leur donnent raison. Exit la propriété, vive la location !
«Avant, on disait que louer un appartement, c'était jeter son argent par les fenêtres. Aujourd'hui, c'est tout le
contraire : acheter un condo, c'est jeter son argent par les fenêtres», soutient Sylvain B. Tremblay, viceprésident, Gestion privée, chez Optimum Gestion de placement. La raison : les perspectives de rendement
des copropriétés pour les prochaines années, voire la prochaine décennie, sont faibles, peut-être même
nulles. «Mais les coûts pour vivre dans une copropriété, eux, ne cessent d'augmenter, comme les frais
d'assurance et d'entretien. À mon avis, on entre dans un cycle où les appartements locatifs deviendront une
option plus séduisante», ajoute Sylvain B. Tremblay.
Et il n'est pas seul à le croire. Serge Goulet, président de Devimco, un acteur important de la construction
résidentielle à Montréal à qui on doit la renaissance du quartier Griffintown, croit lui aussi à un retour en
force du locatif. «Alors que dans le marché du condo, le rythme des ventes ralentit considérablement, on
sent une forte demande d'appartements neufs avec services. De plus en plus de gens désirent louer, mais
rejettent les vieux appartements désuets qui surabondent sur le marché», explique-t-il.
Serge Goulet, aussi promoteur du quartier Dix30, n'entend pas rater la vague. Il achève tout juste la
construction de la phase I de l'Hexagone, un complexe de 257 appartements locatifs dans Griffintown,
planifie déjà la phase II, et entreprend l'érection d'une autre tour locative dans l'ouest du centre-ville de
Montréal, englobé dans son complexe d'habitation O'Nessy. «Je prévois construire plus de 1 000
appartements locatifs dans un proche avenir, tant en ville que dans la première couronne», dit-il avec la
détermination qu'on lui connaît.
Preuve de l'engouement pour le locatif : le taux d'inoccupation dans le segment des condos locatifs, la
concurrence directe des appartements locatifs neufs, plafonne à près de 3 % depuis deux ans dans la grande
région de Montréal, alors que plus de 4 000 unités se sont ajoutées en 2014 seulement, indique un rapport
de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL). «Ça montre que la demande de ce type de
logements est forte», constate David L'Heureux, analyste de marché à la SCHL.
Un autre facteur stimule la construction de complexes locatifs : l'appétit des caisses de retraite pour des
investissements aux revenus stables et sûrs, qui offrent un rendement supérieur à celui des obligations. «Les
fonds veulent diversifier leurs placements et les tours locatives répondent à leurs attentes», explique PierLuc Lafontaine, conseiller principal chez Groupe Investors. Serge Goulet s'inscrit dans ce mouvement. Il
prévoit vendre ses immeubles locatifs à des fonds institutionnels dans un horizon de cinq ans, «quand ils
auront atteint leur plein potentiel», dit l'homme d'affaires.
En plus de Devimco, d'autres promoteurs veulent maintenant signer des baux plutôt que des actes de vente.
Dans le centre-ville de Montréal, le Groupe Canvar construit actuellement une tour mixte de 37 étages,
dont les 12 premiers étages seront occupés par un hôtel, et les étages supérieurs, par des appartements
locatifs. «Dans la région de Québec, on sent un véritable boom dans les appartements locatifs haut de
gamme», constate Elisabeth Koulouris, analyste de marché à la SCHL.
Contrairement aux «blocs» à appartements moches et sans âme des années 1970, la plupart des complexes
d'aujourd'hui n'ont rien à envier aux condos dits de luxe. Par exemple, le Groupe Huot, un important
promoteur immobilier de Québec, construit actuellement L'Altitude à Saint-Augustin-de-Desmaures, un
projet de 171 appartements au design contemporain érigé dans un boisé préservé à 45 %, avec
stationnement souterrain, service de voiturier, centre de conditionnement physique et vue sur le SaintLaurent, le lac Saint-Augustin et les Laurentides.
«Mes appartements sont aussi luxueux que les condos de luxe que construisent mes voisins», affirme avec
conviction Stephan Huot, président du Groupe Huot. Comme dans la plupart des projets locatifs neufs, ici,
on vise clairement les baby-boomers, qui désirent la tranquillité d'esprit de la location, sans rien sacrifier au
confort. «L'important pour eux, c'est de ne pas voir le mot "résidence pour personnes âgées" inscrit sur la
façade !» dit Stephan Huot en riant.
Après la vie de propriétaire, la vie de locataire. Voilà une tendance de plus en plus en vogue chez les babyboomers. Anciennement propriétaire d'une grande maison à Saint-Michel-de-Bellechasse, près de Lévis,
Sylvie Ruel, une rédactrice de 63 ans, n'a pas voulu garder la maison ni l'aménager en copropriété à la suite
du décès de son mari en 2005. «Les propriétaires ont tendance à l'oublier, mais c'est lourd d'avoir une
maison. Je me souviens de toutes les fins de semaine où l'on consacrait tout notre temps à son entretien. Pas
bricoleuse pour deux sous, je ne me voyais pas payer constamment pour faire faire des travaux», dit-elle.
Ses amies lui recommandent l'achat d'un condo, affirmant qu'il s'agit d'un bon investissement. Or, elle n'y
croit pas du tout. «J'aime mieux profiter du capital que j'ai obtenu à la vente de ma maison pour voyager
que le cadenasser dans le bois et la brique. Une maison, ça rend captif», dit-elle. Dix ans plus tard, elle ne
regrette pas son choix. «Je vis dans un spacieux haut de duplex qui a du cachet à revendre. Au prix de mon
loyer (960 $, chauffage inclus), je ne pourrais avoir l'équivalent en tant que copropriétaire», dit Sylvie Ruel.
Et elle a probablement raison, soutient Pier-Luc Lafontaine, de Groupe Investors. «Devenir propriétaire au
prix d'un loyer, c'est impossible. En plus des versements hypothécaires, on doit mettre dans la balance la
taxe de bienvenue, les frais de notaire, les coûts de l'entretien, les frais de copropriété, les taxes foncières et
scolaires et, éventuellement, les frais de revente. Ce sont des montants qu'on ne récupère pas», dit-il. Autre
facteur à considérer : en investissant dans un condo, on ne peut pas placer son capital ailleurs, par exemple
sur les marchés boursiers. «Dans le contexte actuel, acheter un condo pour du court terme n'a pas de sens»,
soutient Pier-Luc Lafontaine, preuves à l'appui (voir l'encadré «Louer ou acheter»).
En effet, les experts sont unanimes : des rendements de 10 % par an comme au début des années 2000, on
ne reverra pas ça de sitôt. Kevin Hughes, économiste régional à la SCHL, constate que la question de la
rentabilité des condos est sur toutes les lèvres. «La conjoncture, en raison d'un marché nettement favorable
aux acheteurs, exerce une pression à la baisse sur les prix. On pense que nous en avons encore pour
plusieurs années avant que les stocks de condos ne reviennent à un état d'équilibre», dit-il. Pour Hélène
Bégin, économiste principale chez Desjardins, l'essor du condo est chose du passé. «On pense que la hausse
des valeurs, à long terme, ne dépassera pas le taux de l'inflation», dit cette analyste.
La location présente aussi beaucoup d'avantages. «Les baby-boomers qui vendent leur maison devenue trop
grande peuvent placer leur capital et puiser uniquement dans les intérêts pour payer leur loyer», affirme
Stephan Huot. Autre atout : la flexibilité. «Rompre un bail est beaucoup plus facile que de trouver un
acheteur pour une copropriété de luxe», ajoute le constructeur et gestionnaire immobilier. Les
copropriétaires qui ont vendu dans les dernières années en savent quelque chose. Nombreux sont ceux qui
ont dû vendre à perte.
Par contre, une épée de Damoclès pend au-dessus de la tête des locataires qui louent un condo ou un
appartement d'un petit investisseur : la reprise de logement. Sylvie Ruel en a fait l'expérience. «J'habitais
depuis sept ans dans un fabuleux appartement que j'avais soigneusement décoré. Mon propriétaire l'a trouvé
si beau qu'il a décidé de le reprendre pour lui-même. Je ne l'ai pas trouvé drôle», raconte-t-elle avec
amertume. D'où l'attrait, dit Sylvain B. Tremblay, des tours locatives qui appartiennent à des fonds. «On ne
vous évincera pas pour loger sa belle-mère», avance-t-il.
Si le locatif neuf semble séduire davantage les baby-boomers, en dépit des loyers nettement plus élevés que
dans le locatif vieillissant, il séduit aussi de jeunes professionnels. Dans le complexe L'Hexagone, dans
Griffintown, ces derniers représentent une bonne partie des locataires. «Ce sont des gens qui gagnent
beaucoup d'argent, mais qui n'ont pas encore accumulé une mise de fonds ou qui ne voient tout simplement
pas l'intérêt d'accéder à la propriété dans la conjoncture», affirme Martin Killeen, directeur de la location à
l'Hexagone. Le locatif, la prochaine vague de fond en immobilier ?