Gouvernance de l`Internet en Afrique

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Gouvernance de l`Internet en Afrique
I N E T 2 0 0 7
A
BUJA
Numéro spécial
http://www.societesdelinformation.net
Bienvenue à ce supplément spécial
de Sociétés de l’information consacré
aux réunions d’AfNOG, d’AfriNIC et
d’Inet qui ont eu lieu à Abuja au début
du moi de mai 2007. Cette édition
spéciale inclut des comptes-rendus et
des entretiens avec des acteurs clés,
mettant en valeur la profondeur et la
pertinence des discussions.
Quatrième édition, Inet Abuja était
la toute première organisée par
notre bureau régional pour l’Afrique,
récemment créé. Ceci reflète la
dynamique de régionalisation et
de localisation croissante de l’Isoc.
Inet Abuja a ainsi abordé deux
thèmes régionaux importants qui
enrichiront directement la discussion
internationale sur l’Internet: CyberSécurité et gouvernance de l’Internet.
La session sur la Cyber-Sécurité a
déclenché une discussion captivante,
dont l’intensité a montré l’importance
de ces questions en Afrique. Une
bonne occasion de faire le point sur
l’état des trafics non désirés et pour
rencontrer la commission nigériane
pour la Cyber-Sécurité.
La session sur la gouvernance de
l’Internet fut également animée,
confirmant l’implication très en amont
de l’Afrique dans le processus du
Sommet Mondial sur la Société
de l’Information. Inet Abuja fut une
excellente occasion pour tous les
participants de tous les secteurs et
des diverses sous-régions africaines
de réaffirmer leurs priorités et de
maintenir la discussion vivante
localement.
L’Isoc voudrait exprimer sa gratitude à
tous les participants qui ont contribué
à faire de cet événement un succès.
Dawit Bekele
Gouvernance de l’Internet
en Afrique
Le débat sur la gouvernance d’Internet se déroule actuellement dans
le cadre d’un dialogue institutionnel à l’échelle internationale, lors du
Forum pour la gouvernance de l’Internet (FGI) sous l’égide des Nations
Unies. Depuis les toutes premières discussions autour des questions de
gouvernance (SMSI 2003 à Genève, 2005 à Tunis), l’Internet Society s’est
engagée dans les débats sur la gouvernance et s’est battue pour un débat
multilatéral, multiacteurs, démocratique et transparent. L’organisation de
forums régionaux comme Inet apparaît clairement comme un puissant outil,
permettant de faire entendre la voix de l’ensemble des acteurs de l’Internet
de tous les continents.
A Abuja, au Nigéria, l’Internet Society a récemment organisé et financé
la réunion Inet qui s’est déroulée en parallèle des réunions AfriNIC-6 et
AFNOG-8, regroupant près d’une centaine de participants de tous les
continents. Cette manifestation, organisée par Dawit Bekele, chef du
bureau de liaison régional de l’Isoc pour l’Afrique, a réuni une palette de
représentants de la société civile, des pouvoirs publics, des entreprises
de télécommunication et d’Internet, des opérateurs régionaux et des
universitaires.
Les questions de la gouvernance d’Internet ont fait l’objet de trois sessions ;
la première dédiée à l’état de l’art en Afrique et à l’échelle internationale, la
seconde portant sur les questions d’accès et la troisième permettant une
discussion plus générale sur les priorités africaines concernant Internet.
Tout au long de ces sessions, des experts se sont exprimés sur une série
de priorités pour l’Afrique qui permettront d’enrichir les prochains débats
préparatoires à la réunion du FGI à Rio en novembre 2007.
Sans grande surprise, c’est l’Accès qui est arrivé en tête des
préoccupations des participants d’Inet, et notamment la question de la
connectivité et des coûts d’accès, suivie par la question des cadres de
régulation à mettre en place pour améliorer l’accès en zone rurale. La
Sécurité est apparue comme la seconde préoccupation ; un appel à un plus
grand engagement de l’ensemble des parties prenantes a été lancé. Enfin,
la diversité culturelle, soit la mise en valeur des contenus locaux, mais
aussi et surtout l’alphabétisation et l’accessibilité des contenus pour des
communautés en difficulté ont été identifiées comme prioritaires.
L’Isoc s’engage à continuer de tout mettre en œuvre pour permettre à ces
débats d’avancer. Nous sommes fermement convaincus qu’un dialogue
constructif sur les priorités telles que celles définies à Inet Abuja est l’un des
meilleurs moyens de permettre aux parties prenantes de participer au débat
sur la gouvernance de l’Internet – autant à l’échelle locale qu’internationale.
Constance Bommelaer
Pour aller plus loin sur la gouvernance d’Internet, lire sur le site de l’Isoc :
www.isoc.org/pubpolpillar/
Internet Governance Forum : www.intgovforum.org
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INET 2007 • ABUJA • Numéro spécial
État des lieux sur la gouvernance de l’Internet
Pour se faire entendre au niveau global, il faut d’abord promouvoir le débat et l’émulation à l’échelle locale.
La localisation est bien la clé du débat sur l’Afrique et la gouvernance de l’Internet.
« Assister n’est pas la question. Il ne s’agit pas
d’être présent dans des centres de conférences
internationales dans des pays lointains mais
de participer et d’avoir son mot à dire dans
l’organisation des débats, d’affirmer ce que nous
voulons vraiment. L’Afrique devrait être contributrice,
pas seulement spectatrice ». En trois phrases,
Adiel Akplogan, directeur d’AfriNIC, résume le
débat ouvert par Dawit Bekele sur l’Afrique et la
gouvernance de l’Internet.
impliqués dans les débats nationaux. Les chapitres de
l’Isoc peuvent et doivent alimenter la discussion avec
d’autres organisations ». « Participer ! Nous devons
créer une émulation et, pour cela, nous avons besoin
de votre participation ! » affirme N Quaynor d’AfNOG
avec conviction.
A la question soulevée par une participante, à propos
de la nécessité d’une prise de responsabilité à
l’échelle nationale, les intervenants ont exprimé leur
accord unanime, tout en rappelant que le secours ne
viendrait pas davantage du sommet que de l’extérieur.
« Cela fait des années et des années que nous
espérons qu’une solution arrive du sommet, cela ne
marche tout simplement pas » surenchérit A Akplogan.
« C’est pourquoi nous devons partir de la base et
créer l’émulation. Mais cette émulation n’est pas
seulement au niveau individuel, elle consiste aussi à
pousser les organisations vers l’avant. Nous devons
identifier des objectifs communs, comme l’accès, et
faire converger la dynamique dans cette direction. »
Dawit Bekele, du Bureau Afrique de l’Isoc,
avait débuté l’échange en soulignant comment
la transparence et l’ouverture du Forum de la
Gouvernance de l’Internet (FGI), créé suite au
Sommet mondial de la Société de l’information
(SMSI), rejoignent les valeurs défendues par l’Isoc :
« le FGI est un bon endroit pour discuter des
questions liées à la gouvernance de l’Internet ».
Un avis partagé par A Akplogan : « le FGI n’est pas
un organe décisionnel, ce qui permet aux gens de
s’exprimer librement et avec passion. »
Mais qu’est-ce que l’Afrique peut attendre de
conférences internationales ? « Le SMSI a promis
l’accès et nous attendons encore » souligne Pierre
Dandjinou qui met les participants en garde : « le
FGI est un forum informel pour discuter de choses
et d’autres. C’est tout. N’en attendez pas plus.
C’est pourquoi les Africains doivent s’organiser et
avoir des réunions régionales. Le débat devrait être
« localisé ».
La question du financement devient alors moins
cruciale. Comme le souligne N Quaynor : « agir
localement ne nécessite pas de billet d’avion ni
d’organisation lourde ». Et D Bekele de conclure en
appelant chacun à se réunir et à agir pour permettre,
dans chaque pays, une prise de conscience du
caractère vital de l’infrastructure Internet.
Charles Simon, envoyé spécial à Abuja
Vers des stratégies locales
La localisation est en effet un terme
récurrent dans les discussions.
Les orateurs s’entendent même
pour dire que c’est la chose la plus
importante pour l’Afrique. « L’Isoc
est persuadée que le FGI doit se
concentrer sur la stratégie » explique
D Bekele, « mais il ne pourra
atteindre son but, celui d’une plus
grande participation de tous, s’il se
résume à une réunion annuelle. Il
devra y avoir des discussions au
niveau national, particulièrement en
Afrique. Les gouvernements locaux
devront aussi être plus fortement
De gauche à droite, Pierre Dandjinou,
Nii Quaynor, Adiel Akplogan et Dawit Bekele.
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INET 2007 • ABUJA • Numéro spécial
On prépare l’avenir d’IPv4
IPv4 – des ressources
en voie de disparition
L’épuisement total de l’espace IPv4 encore
disponible arrive à grands pas et AfriNIC se
prépare pour la prochaine étape.
L’épuisement de l’espace d’adressage IPv4 et la
nécessaire transition vers IPv6 ont fait l’objet de
nombreuses conférences nationales et internationales.
La perspective d’épuisement se profile de plus en plus
nettement, et IPv6 tarde à décoller. Le débat s’échauffe.
à un marché poussé par la demande. L’analyse d’A
P Aina est que « les statistiques de distribution des
adresses IP montrent des régions émergentes à la
traîne, qui, dans l’animation du marché, auront peu à
proposer et beaucoup à négocier pour satisfaire des
besoins en hausse. » Selon lui, les petits FAI des régions
émergentes feraient des cibles faciles dans le cadre d’un
marché noir incontrôlé.
D’après les dernières projections de Geoff Huston,
l’espace global d’adresses IPv4 devrait arriver à son
terme fin 2009-début 2010. Alain Patrick Aina, chargé
de mission à AfriNIC, souligne que, selon le taux
de consommation, l’épuisement total pourrait être
extrêmement rapide. À Abuja, Bill Woodcock, membre
du CA d’Arin, le Registre Internet Régional (RIR) nordaméricain, met l’assistance en garde. Les RIR doivent
se débarrasser des schémas du passé et commencer à
planifier leur avenir.
Nouvelles solutions pour de nouveaux défis
Didier Kasole, membre du CA d’AfriNIC et président de
l’Isoc République démocratique du Congo, modère tout
discours alarmiste sur la période de transition d’IPv4 à
IPv6. « Après la fermeture de l’usine, les détaillants ont
encore du stock ». Les RIR auront encore des adresses
IPv4 à distribuer après que IANA aura alloué le dernier
bloc de la réserve centrale. Il y a aussi la question
du « passif », ces blocs d’adresses IP distribués aux
premiers temps de l’Internet, quand le caractère rare
de la ressource n’était pas perçu. Beaucoup de ces
blocs sont notoirement sous-utilisés. Si Iana et les RIR
pouvaient en récupérer quelques-uns, D Kasole estime
que cela pourrait donner à la communauté les quelques
années dont elle a besoin pour basculer en douceur vers
IPv6. En attendant, AfriNIC a déjà formé des personnels
locaux dans huit pays d’Afrique et met la dernière
touche à V6Mandela, un laboratoire et centre de test à
destination de la communauté africaine.
AfriNIC anticipe
Avec moins de 1 % de l’ensemble des adresses IPv4
distribuées, AfriNIC est de loin le plus petit RIR. Il a
cependant anticipé la fin d’IPv4 très en amont. On prévoit
que son espace d’adressage IPv4 actuel sera vidé en
novembre 2008. Deux demandes d’allocation devraient
être encore faites à Iana, le gardien de la ressource
globale, permettant de retarder l’épuisement d’IPv4 en
Afrique jusqu’en d’avril 2014. Mais que se passera-t-il si
la consommation en IPv4 s’accélère et que l’épuisement
de la ressource a lieu avant qu’AfriNIC puisse demander
sa toute dernière allocation ? Cela pourrait compliquer la
transition dans l’attente du déploiement complet d’IPv6.
Les opérateurs de la région Apnic, couvrant l’Asie, ont
fait une proposition : coordonner et planifier l’épuisement
de la ressource IPv4 à l’échelle mondiale. Les derniers
blocs d’adresses IPv4 seraient répartis à part égale entre
les cinq RIR, couvrant respectivement les zones Afrique,
Amérique du Nord et du Sud, Asie et Europe.
Selon B. Woodcock, l’épuisement de la ressource
IPv4 et la transition vers IPv6 pourrait révolutionner le
modèle économique des RIR. Il est cependant encore
temps de faire face aux nouveaux défis et la certification
des ressources pourrait être utile à cet égard. Son
déploiement et son utilisation par les RIR pourraient
faciliter et sécuriser l’intégrité du transfert des ressources,
des titres et assurer l’exclusivité du transfert selon A P
Aina, limitant les effets pervers d’un nouveau marché
poussé par la demande. « Cela pourrait aussi donner une
nouvelle raison d’être aux RIR » ajoute B Woodcock.
Charles Simon
Mais cela pourrait ne pas être suffisant pour les pays
en développement face à une ressource de plus en
plus rare et aux risques induits par le marché noir.
L’offre IPv4 diminuant et la demande augmentant, B
Woodcock estime que les RIR auront de plus en plus
de mal à maintenir le régime d’allocation à la hauteur
des besoins existants. Les pays en développement
seront certainement les plus affectés par le passage
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INET 2007 • ABUJA • Numéro spécial
Sécurité sur Internet
Combattre le trafic
Internet indésirable
Un cadre pour
la cybersécurité au Nigéria
Attaques distribuées par saturation (DDOS), spam,
virus, vers… L’Internet est un terrain de jeu pour les
personnes mal intentionnées. La mauvaise nouvelle
est que les gentils sont en train de perdre la partie.
La première chose qui frappe, en écoutant
l’intervention de Basil Udotai, c’ est que le Nigeria
fait face aux mêmes défis que le reste du monde en
matière de cybersécurité. La fin d’un mythe !
Loa Andersson, membre du Internet Architecture Board
(IAB), a mené l’enquête sur la face sombre de l’Internet et
ses conclusions sont pour le moins inquiétantes.
Pour sa première intervention publique, Basil Udotai de
l’Office du Conseiller à la sécurité nationale, Direction
nigériane pour la cybersécurité, offre un choix au public :
une présentation sur les « 419 » ou sur la cybersécurité.
L’auditoire tranche pour la cette dernière, faisant fi
de la « couleur locale ». B Udotai prend cependant le
temps d’expliquer ce qui est aussi connu sous le nom
d’« arnaque nigériane ».
Il suffit d’ouvrir son courrier électronique ou son filtre à
spam pour constater que le trafic indésirable ne cesse de
croître sur Internet. Des études récentes avancent que le
spam représente aujourd’hui plus de 60% de l’ensemble
des courriers échangés. Pire encore : désormais, ce
sont des criminels qui sont derrière la majorité du trafic
indésirable sur Internet.
Un beau matin, un internaute reçoit un courriel d’un
proche parent du médecin personnel d’un dictateur
africain. Celui-ci a besoin que quelqu’un l’aide à
récupérer une petite fortune bloquée sur un compte
bancaire suisse à Zug. Progressivement, notre pigeon
transfère de petites puis de fortes sommes au parent
en détresse – 60 000 dollars dans un cas attribué
aux Nigérians – accompagnées de ses données
personnelles et bancaires. C’est ce qu’on appelle un
« 419 » en hommage à l’article du Code pénal nigérian
correspondant. D’après B Udotai, les Nigérians ne sont
cependant pas plus à blâmer que les autres dans ce
genre d’affaires.
D’après L Andersson, c’en est fini des garnements semant
la pagaille pour s’amuser. Le trafic indésirable actuel
est motivé par l’appât du gain et l’internaute en est la
proie. L’économie souterraine ressemble un grand centre
commercial virtuel où nos informations personnelles sont
achetées et vendues. Nous sommes démunis car les
solutions techniques existantes ne sont pas adaptées ou
encore, ne sont pas déployées à bon escient.
Comme trop souvent, cela est dû à un manque de
compétence ou de formation. L Andersson pense
cependant qu’il faut axer les efforts vers la formation
de la communauté - pas tant sur l’utilisateur final que
sur l’« utilisateur avancé » et le niveau intermédiaire.
L’alternative serait de mettre un terme au caractère ouvert
de l’Internet ou de le rendre très complexe, ce qui n’est
pas viable.
Surtout, les défis auxquels son pays est confronté
aujourd’hui n’ont rien à voir avec les 419. Il s’agit bien
plus de lutter contre le trafic Internet indésirable, ce qui
nécessite le juste mélange de technologie et de droit.
Dans la plupart des pays, le trafic indésirable ne tombe
pas actuellement sous le coup de la loi. C’est d’autant
plus préoccupant que les réseaux électroniques font de
plus en plus fonctionner des services critiques dans de
nombreux secteurs vitaux. Ainsi, les autorités nigérianes
travaillent à l’identification des infrastructures critiques et
créent des règles de conformité spéciales pour celles-ci.
Un groupe de travail de l’IAB s’est tenu récemment sur la
question de la sécurité regroupant essentiellement des
experts en provenance des États-Unis et d’Europe. L
Andersson, ferme partisan d’une participation africaine au
débat en cours, en appelle aux volontaires. « Nous avons
besoin d’un plan d’action, dit-il. Les chapitres de l’Isoc
pourraient jouer un rôle majeur en matière d’éducation. »
La bonne nouvelle : le Nigéria a réussi à établir des liens
avec les principales agences de sécurité du monde.
La mauvaise : encore trop souvent, le Nigéria est
regardé avec suspicion. La conséquence : de nombreux
intermédiaires financiers comme Paypal et GoDaddy!
bloquent toute transaction liée d’une façon ou d’une
autre au Nigéria…
Charles Simon
Après la discussion,
c’est l’heure du vote.
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INET 2007 • ABUJA • Numéro spécial
Accès physique et
environnements facilitant
Titi Akinsamni et
Michuki Mwangi
plaident pour
l’accès.
« L’Afrique prend vraiment du retard par rapport
au reste du monde. L’accès croît également mais
à un rythme bien moins soutenu que dans le reste
du monde. » affirme Mike Jensen, un consultant
indépendant sud africain et spécialiste reconnu
des mesures du réseau. La dure réalité, c’est que
l’Afrique ne comble pas le fossé, bien au contraire.
Ainsi, le GSM génère de gros profits en Afrique alors
que la voix sur IP et le WiFi sont tributaires de l’état
des infrastructures et de la législation. Les choses
changent, mais dans un nombre réduit de pays.
D’après M Jensen, l’Afrique a besoin de promouvoir
la concurrence pour que « les prix baissent et les
infrastructures se développent ». L’Isoc pourrait
avoir un rôle pivot à cet égard en soutenant les
consommateurs et en encourageant l’adaptation des
cadres réglementaires.
des réussites de l’Afrique, c’est le mobile. Le réseau
africain est bien plus impressionnant que l’américain
et l’européen mis ensemble. Pourquoi? Pour répondre
à la demande. Nous pourrions donc passer les dix
prochaines années à couvrir l’Afrique de fibre optique,
pour M Mwangi la question serait toujours : qu’est-ce
qui passe dans le tuyau ?
Il ne voit pas pourquoi quelqu’un payerait 50 dollars par
mois pour vérifier sa boîte gmail et yahoo de chez lui
quand il peut faire la même chose pour 1 dollar par jour
au cybercafé le plus proche. Il va plus loin : le contenu
qui intéresse les Africains n’existe pas aujourd’hui et
rien n’incite à la participation. Si l’Afrique était mieux
interconnectée, peut-être les Africains partageraient-ils
plus de contenu, stimulant ainsi la demande d’accès.
Tout cela mène M Mwangi à la même conclusion
que Titi Akinsanmi : les gens doivent être exposés
à l’Internet pour créer la demande. « On trouve tout
ce qu’on veut sur l’Internet mais il faut que quelqu’un
pointe dans la bonne direction. »
Pour Titi Akinsanmi, du Global Teenager Project, les
problèmes auxquels l’Afrique est confrontée sont
cependant plus profonds. Prôner l’accès dans une
réunion pan-africaine de spécialistes de l’informatique
c’est bien, mais pour qui travaillons-nous exactement ?
C’est le reste de la population qu’il faut aider, pas tant à
accéder à la technologie, qu’à appréhender la diversité
de ses usages. « Comment approcher la technologie,
comment y entrer et comment en sortir ? Comment
communiquer avec elle, à travers elle ? Parfois, nous
avons besoin des technologies les plus simples pour
jouir de la vie, ce qui, après tout, est l’essentiel. »
L’accès à cette connaissance des usages, T Akinsanmi
l’appelle « l’accès à l’accès ».
Nii Quaynor, d’AfNOG, partage ces idées mais son
expérience le pousse à aller au-delà des questions
urgentes, vers ce qu’elles dissimulent. « L’accès
pour quoi ? Voulons-nous l’accès pour favoriser
l’investissement en Afrique ou le développement ? »
Si la question est laissée sans réponse, l’accès n’est
qu’un moyen sans fin et l’Afrique continuera dans
ses errements passés, notamment en matière de
privatisation.
Et elle s’interroge : « combien de personnes ont
conscience des possibilités que l’Isoc offre? ». Bien
sûr, le Forum de la gouvernance de l’Internet (FGI)
qui discute notamment de l’accès technique est une
superbe opportunité pour expliquer aux gouvernements
de quoi il retourne. C’est une occasion unique de créer
des liens et de faire avancer les choses en répandant
la bonne parole, mais la bataille de l’accès ne se mène
pas qu’au sein des réunions internationales. Il faut
également toucher les bonnes personnes à l’échelle
nationale. « Nous pouvons faire de l’émulation, nous
lancer dans des aventures institutionnelles mais, avant
tout, nous devons fixer un cap et œuvrer à la prise de
conscience de tous. »
Dans le public, William Stucke, membre fondateur
de l’Isoc Afrique du Sud et président d’AfrISPA, une
association de FAI africains, s’inscrit dans cette
logique. « L’un des problèmes en Afrique, c’est que les
frontières rendent difficile l’établissement de réseaux
transnationaux. Le manque de concurrence entraîne
un manque d’entreprise privée qui, à son tour, se
traduit par un manque d’infrastructures et donc des prix
élevés et un accès faible. La demande est invisible
tant qu’il n’y a pas suffisamment de compétition pour
faire baisser les prix à un niveau abordable. »
Réseau mobile et dorsale Internet
Michuki Mwangi de Kenic, l’opérateur du .ke, est
d’accord mais favorise l’aspect technique du problème.
Pour lui, c’est la demande qui génère l’accès. Une
Charles Simon
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INET 2007 • ABUJA • Numéro spécial
Réduire la fracture
Michuki Mwangi préside AfTLD, une association
de ccTLD africains, et dirige Kenya Network
Information Center (Kenic), l’organisme en
charge du .ke.
Mike Jensen est un consultant indépendant qui a acquis une
vaste expérience en participant à la mise en place de systèmes
d’information et de communication dans plus de 35 pays
africains. Sud africain basé à Johannesburg, il a envoyé son
premier courriel il y a 25 ans alors qu’il étudiait au Canada.
À quels problèmes spécifiques
sont aujourd’hui confrontés les
ccTLD africains ?
L’Afrique a d’abord été lente
à adopter et mettre en œuvre
les technologies Internet. En
conséquence de quoi, la plupart
des ccTLD africains ont d’abord
été gérés depuis l’étranger. Mais
avec la pénétration croissante de
l’Internet, plus de pays africains ont pris les commandes de
leur ccTLD.
D’après vous, l’accès à Internet
croît en Afrique à un rythme moins
soutenu que dans le reste du
monde. Qu’en est-il réellement ?
Il est dangereux de généraliser sur
un continent aussi diversifié que
l’Afrique, mais on peut néanmoins
définir un modèle assez cohérent. En
effet, la bande-passante disponible
et l’accès connaissent des taux de
croissance moins rapide que dans le reste du monde, à quelques
rares exceptions comme le Sénégal, la Tunisie, l’Égypte, le Kenya
et le Rwanda.
Il y a aussi le mythe selon lequel les ccTLD sont locaux alors
que les gTLD sont globaux. Nombreux sont ceux qui optent,
pour cette raison, pour un gTLDs au lieu de leur ccTLD. La
question du prix pose aussi problème. Les titulaires de noms
de domaines veulent des prix bas, ce qui remet en cause le
modèle économique adopté par certains registres.
Ces coûts handicapent-ils l’Afrique ?
Des coûts élevés rendent l’Internet inabordable pour l’Africain
moyen qui se contente donc de quelques courriers électroniques
et d’un rapide coup d’oeil au web. À cause des monopoles sur les
liaisons internationales, les opérateurs peuvent demander plus
de 5 000 dollars par mois pour une liaison de 5 Mb/s alors que
la même bande-passante en voie transatlantique est à environ
5 dollars. Du coup, très peu de gens peuvent utiliser Internet ou
passer des appels internationaux. Il est généralement admis qu’un
coût élevé des communications entrave la création d’emplois, et
d’entreprises, sans parler des relations amicales et familiales. Pour
l’instant, la pénétration limitée des infrastructures et les faibles taux
d’alphabétisation masquent partiellement les problèmes. Mais c’est
le syndrome de l’œuf et de la poule ; on doit casser cette logique
en abaissant les coûts.
Comment AfTLD entend-elle aider les ccTLD africains à
se développer ?
Il y a des réussites en Afrique ; notamment les .za, .ke, .sn
et .mw qui sont développés par des registres autosuffisants.
Les membres d’AfTLD étudient ces modèles pour les
dupliquer. AfTLD va aussi entreprendre des actions de
sensibilisation à l’importance des ccTLD pour stimuler la
prise de conscience. Enfin, AfTLD veut faciliter l’émulation
et organisera des sessions consacrées à la gestion
technique, aux meilleures pratiques et aux questions de
réglementation.
Quelles sont les priorités ?
Ouvrir les marchés résidentiels et du dernier kilomètre à la
concurrence tout en créant des dorsales d’accès ouvert à l’échelle
nationale et internationale pour que les fournisseurs d’accès
puissent constituer leur offre de services sur ces bases
Comment des partenariats avec des organisations
telles que AfriNIC ou l’Isoc aident AfTLD à atteindre ses
objectifs ?
AfTLD est une jeune organisation qui souhaite collaborer
avec différentes organisations régionales et internationales
pour donner renforcer ses activités. Avec le soutien
d’organisations comme AfriNIC, l’Isoc, AfNOG et l’Icann,
nous disposons des ressources pour entreprendre des
activités à destination de la communauté régionale. De plus,
AfTLD collabore avec d’autres associations régionales de
ccTLD comme Centr en Europe, APTLD et LACTLD. Nous
échangeons des informations, des résultats de recherches
et des chiffres. AfTLD va aussi créer un espace où ses
membres pourront partager les données permettant une
meilleure gestion des ccTLD.
Que peuvent faire des organisations comme l’Isoc pour faire
avancer les choses ?
Favoriser la prise de conscience sociale et politique des problèmes
en soutenant les groupes locaux de consommateurs, en diffusant
des informations et en utilisant les médias grand public pour
diffuser le message, en particulier la TV et la radio qui ont un taux
de pénétration bien supérieur aux autres médias en Afrique.
Charles Simon, envoyé spécial à Abuja
Charles Simon
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