Valoriser les élèves

Transcription

Valoriser les élèves
IUFM DE BOURGOGNE
Mémoire professionnel 2 ème année IUFM
Valoriser les élèves
BREYSSE Carol
Mme VALLEE
2003
0160918L
Remerciements
J’ aimerais remercier Monsieur Atton, professeur d’anglais à l’IUFM, de la
confiance qu’il a eu en moi, en me donnant l’opportunité d’effectuer un stage en
responsabilité en Angleterre dès le mois de novembre. C’est lors de ce stage que
m’est vraiment venue l’envie d’approfondir la question de la valorisation des
élèves.
Je tiens aussi à remercier sincèrement Madame Vallée, qui a eu l’extrême
gentillesse d’avoir accepté d’être ma directrice de mémoire, bien que je lui l’ai
demandé assez tardivement, à mon retour d’Angleterre. Son aide à la réflexion et
ses conseils m’ont été précieux pour l’élaboration de mon mémoire.
Sommaire
Introduction...................................................................................................1
I.
Valoriser : comment ?................................................................... 2
1. Les missions de l’école ................................................................................... 2
a. La réussite de tous ........................................................................... 2
b. Former de futurs citoyens ................................................................ 3
2. Le caractère destructeur de la dévalorisation............................................. 3
a. L’importance du regard et des paroles d’autrui ........................... 3
b. Les conséquences de la dévalorisation........................................ 4
3. Aider à vaincre la peur d’apprendre.............................................................. 4
a. Une déstabilisation cognitive et affective ...................................... 4
b. Dédramatiser l’erreur........................................................................ 5
4. Croire en l’élève ............................................................................................... 6
a. Le pari d’éducabilité ......................................................................... 6
b. La relation de confiance................................................................... 7
II.
Valoriser : pourquoi ? ....................................................................7
1. Procédés utilisés en Angleterre..................................................................... 7
a. Que valoriser? .................................................................................. 8
b. Quelles gratifications accorder ? ................................................... 8
2. Méthodes anglaises transposées en France ............................................11
a. Mes choix parmi ces méthodes....................................................11
b. La mise en place du projet « bons points » ...............................12
3. Petites attentions à ne pas négliger............................................................14
a. Communiquer autrement que par la parole................................14
b. La place de l’enseignant................................................................14
III.
Valoriser : jusqu’où ?................................................................. 15
1. Le sens des apprentissages ........................................................................15
a. Le piège du dressage.....................................................................15
b. Affectivité et motivation..................................................................16
c. La compétition.................................................................................17
2. Le piège démagogique .................................................................................18
a. Ne rien attendre des élèves en retour .........................................18
b. Oser punir ........................................................................................19
c. L’évaluation......................................................................................20
3. Le piège démiurgique....................................................................................20
a. Un désir effréné de maîtrise..........................................................20
b. Accepter l’échec.............................................................................21
Conclusion................................................................................................. 22
Bibliographie.............................................................................................. 23
Annexes
Introduction
Si je me suis intéressée au thème de la valorisation de l’élève, c’est parce
que j’ai pu observer diverses pratiques lors de mon stage en Angleterre. Ces
dernières ont en effet retenu mon attention, tant elles étaient présentes au cours
de la journée : récompenses, encouragements, reconnaissance de l’élève et mise
en confiance sont prônées par le règlement de l’école, et sont donc appliquées
quotidiennement dans les classes.
Je me suis alors interrogée sur les effets que peuvent avoir de telles pratiques
sur les élèves, puisque manifestement ce système anglo- saxon a fait ses
preuves outre-Manche.
L’une des missions de l’école n’est-elle pas de permettre la réussite de
tous ? A ce sujet, les instructions officielles précisent en plusieurs points l’attitude
qu’un maître doit avoir, s’il souhaite aboutir à leur réussite : « Plus que jamais, la
seule règle est le regard positif sur l’enfant, même en extrême difficulté. Les
maîtres doivent donc veiller à mettre en valeur les résultats déjà atteints plutôt
que les manques, mesurer des évolutions plutôt que des niveaux, en déduire des
stratégies pour assurer la réussite de chacun des élèves »1. Il me semble alors
important de porter ce regard positif sur les élèves, afin que dès leur plus jeune
âge, ils prennent confiance en leurs capacités. Les accompagner, certainement,
mais au retour d’ Angleterre, il m’a paru essentiel de reconnaître et récompenser
les mérites des élèves, afin qu’ils prennent conscience que leur attitude est
conforme à ce que l’on attend d’eux, par le sentiment de fierté qu’ils éprouvent.
Ayant eu l’opportunité d’effectuer ce stage en responsabilité en Angleterre,
je me servirai de mes observations et expériences comme point d’appui à ma
réflexion. J’ai eu l’occasion d’emprunter et tester certaines des méthodes utilisées
à l’étranger lors d’un stage en maternelle. Je me suis alors demandé ce qui, en
France, pouvait être équivalent à ce système, à mes yeux, très efficace : la
remise de bons points, plus courante il y a quelques années que de nos jours a
alors suscité mon attention. Pourquoi ce système de valorisation semble –t-il se
perdre ?
Mon travail se subdivise en trois parties. Dans un premier temps, je
m’intéresserai aux raisons qui m’ont convaincue que valoriser les élèves est
incontournable. Dans un second temps, je m’interrogerai sur les manières de
valoriser les élèves, et enfin j’en aborderai les limites ,et les pièges sous-jacents.
1
Ministère de l’Education Nationale. Qu’apprend-on à l’école primaire ? Les nouveaux programmes, p 51
1
Si l’on se réfère aux exigences du Ministère de l’éducation, l’école doit assurer
l’égalité des chances :le maître doit donc à tout prix d’abstenir de prononcer
quelque jugements dépréciatif ou parole blessante envers les enfants, mais bien
au contraire, croire en eux et en leur capacité d’apprendre et de progresser.
I.
Valoriser : pourquoi ?
Pour aborder cette partie de mon travail, je m’appuierai tout d’abord sur les
grands fondements et missions de l’école. Je mettrai ensuite en relief le
caractère destructeur de la dévalorisation. Puis j’aborderai la nécessité
d’encourager l’ élève à vaincre sa peur d’apprendre. Enfin, je développerai
l’importance de croire en lui et en ses capacités.
1. Les missions de l’école
Assurer l’égalité des chances pour tous est une condition indispensable
pour permettre la réussite de tous, l’une des missions de l’école. Une de ces
autres missions est de former de futurs citoyens, respectueux d’autrui.
a. La réussite de tous
Faire accéder les élèves à la réussite, cela sous-entend que l’enseignant
doit s’assurer l’égalité des chances. Le ministère de l’Education y attache une
attention particulière : « Il fallait revisiter le système éducatif, et commencer par le
début, par l’école primaire. C’est là en effet que se forge et se construit l’esprit
des enfants. C’est là qu’ils prennent leur élan et que s’installe cette volonté de
réussir qui les accompagnera tout au long de leur scolarité et les aidera à
rebondir à tout âge de la vie. L’égalité des chances est le premier pari, qu’il nous
faut gagner en permanence-et dès le début. »2
Il faut donc faire abstraction des différences liées au milieu socio-culturel
et familial.
L’idée principale de cette citation est donc de lutter contre les inégalités: on doit,
en tant qu’enseignant, donner la chance d’apprendre et de progresser à tous. Il
est donc tout à fait possible dans cette optique d’observer des élèves provenant
de milieux défavorisés réussir leur scolarité. C’est sur ce point que j’introduis le
rôle de l’enseignant, qui a pour mission d’encourager, en portant un regard positif
sur les élèves, et en les aidant à prendre confiance en eux, en faisant abstraction
de leurs différences.
2
Ministère de l’Education Nationale. Qu’apprend-on à l’école primaire ? Les nouveaux programmes, p 7
2
b. Former de futurs citoyens
Si l’enseignant s’efforce d’exercer ce regard optimiste et de se montrer
très tolérant, c’est parce qu’il doit montrer l’exemple à ces élèves : il faut accepter
les différences de l’autre et les respecter.
En ce sens , on ne peut en aucun cas laisser prononcer par quiconque de la
classe des paroles dépréciatives et dévalorisantes envers un camarade. J’ai été
confrontée à ce genre de situation lors de mon stage en maternelle. Ne
connaissant pas encore très bien les enfants, je me demandais pourquoi l’un
d’entre eux ne répondait jamais à mes questions lorsqu’il était pourtant sollicité.
Je me suis alors aperçue que certains l’avaient étiqueté : « c’est normal qu’il
réponde pas, il est bête. »
Même si les enfants sont tous différents, aucun jugement discriminatoire de ce
genre ne peut être permis : à l’école, on apprend aussi le respect d’autri, donc de
la différence.
2. Le caractère destructeur de la dévalorisation
a. L’importance du regard et des paroles d’autrui
A l’école primaire, les enfants qui nous sont confiés sont encore bien
jeunes, leur personnalité est en train de se construire, et ils accordent beaucoup
d’importance à la manière dont ils sont perçus : on comprend alors les
conséquences que peuvent avoir les paroles blessantes d’autrui, et notamment
celles de l’enseignant: la vie à l’école, le regard des camarades et celui du maître
ont une influence très importante. L’élève se voit à travers les yeux d’autri.
Guy Leperlier souligne cette idée : « La motivation a sa source dans l’affectivité.
Le plus souvent, elle vient de l’image positive renvoyée par les adultes et
intériorisée par l’enfant». 3 Inversement, on imagine alors l’impact que peut avoir
une réflexion ou jugement dépréciatifs de la part d’un enseignant énoncés envers
un enfant devant toute la classe.
De nombreuses personnes ont apporté leurs témoignages et sentiments : plus
que touchées, elles se sont senties humiliées et dénigrées. J’ai sélectionné
certaines de ces interventions qui nous font réfléchir sur le poids des mots :
« Sa violence était verbale surtout, dans ces mots comme « nul »,
« lamentable », « minable », qu’il nous projetais au visage[…].Ou encore des
plaisanteries qu’il faisait à notre détriment. Il avait deux ou trois boucs émissaires,
et un chouchou sur lequel il plaisantait affectueusement. Moi, il m’appelait le
« péquenot », parce que mon père était paysan[…]. Je le détestais en silence,
j’étais mal dans ma peau. j’écris ça pour tous ceux à qui l’école a fait perdre les
mots, ceux qui ne pourront pas mettre ces douleurs en mots et qui gardent en
eux cette violence qui les brise ».4
3
4
Leperlier, Guy. Réussir sa scolarité, (re)motiver l’élève, Chronique sociale, 2001, p 9
Extraits de Mémoires de maîtres, paroles d’élèves, Librio, p 73, 90
3
Un autre témoignage poignant, quand on songe que des enfants si jeunes
peuvent éprouver de tels sentiments, celui de Marie-Pierre à huit ans, accusée
par l’enseignante de chanter faux, alors qu’elle y mettait tout son cœur :
- « N’est-ce pas, Marie-Pierre, que tu l’as fait exprès ? »
Ne voulant pas décevoir une fois de plus, j’ai murmuré :
- « Oui », mes grands yeux bleus ouverts, perdus sur votre visage si
doux…mais sans sourire, malgré votre satisfaction. Et je suis retournée en
classe, seule et triste. J’ai cru longtemps que je décevrais toujours les gens
que j’aimerais.4
b. Les conséquences de la dévalorisation
« Chacun de nous est né avec un potentiel de sentiments positifs mais ce
n’est pas automatique. En fait, certains jeunes face à leurs études et à leur avenir
sont fatalistes ou pessimistes. Des expériences malheureuses dans leur enfance,
ou simplement des critiques de leurs parents, de leurs professeurs[…]ont pu
provoquer des sentiments d’infériorité et une auto-estime basse. La confiance en
soi, ça s’apprend ! » 5
Les témoignages qui précèdent ne peuvent que nous persuader du
caractère destructeur de la dévalorisation : l’individu se sent humainement et
intellectuellement attaqué.
La dévalorisation est d’autant plus mal vécue lorsque l’élève fournit ce qu’il
conçoit comme un effort, mais qui n’est pas reconnu, ou même critiqué.
Les conséquences sur les élèves sont loin d’être négligeables, puisqu’ils
pourraient être amenés à prendre de la distance vis- à-vis du système scolaire :
« tout le système scolaire m’était devenu insupportable…j’étais devenue une
paria… et mon avenir s’écroulait…je ne pus me guérir de cette cassure. Je ne
vous ai pas pardonné. Je crois vous haïr encore ! » 5
Après cette lecture, on ne peut rester insensible aux effets provoqués par la
dévalorisation : plus qu’une perte de confiance en soi, ou une égratignure,
l’individu ressent une destruction humaine et intellectuelle, à cause de jugements
dévalorisants venant de celui ou celle dont l’enfant attendait tant, voire qu’il
admirait.
3. Aider à vaincre la peur d’apprendre
a. Une déstabilisation cognitive et affective
Apprendre, c’est être confronté à des situations qui sont déstabilisantes.
C’est découvrir que le système d’analyse du monde que l’on s’était créé s’avère
incomplet ou erroné. Je fais ici allusion aux représentations initiales des élèves
5
Leperlier, Guy. Réussir sa scolarité, (re)motiver l’élève, Chronique sociale, 2001
4
qui ne sont bien souvent pas conformes à la réalité : il faut alors reconstruire.
Cette situation est évoquée par Serge Boimare lorsqu’il souligne la nécessité
pour le maître d’aider les enfants à « apprivoiser leurs peurs, leur donner une
forme acceptable par la pensée afin qu’elles n’entraînent plus de rupture de la
démarche intellectuelle, telle est la condition indispensable pour réconcilier ces
enfants avec le savoir scolaire ».6
Les élèves risquent non seulement une déstabilisation cognitive, mais il sont
confrontés à une crise affective, puisque les processus émotionnels et cognitifs
ne sont pas disjoints dans notre cerveau. Il faut donc accompagner et encourager
l’enfant : c’est alors qu’intervient la nécessité de valoriser l’effort. Mais pour que
l’enfant ose risquer de se remettre en question, il me semble important de
dédramatiser les erreurs qui pourront s’ensuivre.
b. Dédramatiser l’erreur
En effet, on est globalement passé d’une conception négative de l’erreur,
donnant lieu à des sanctions, à une conception qui présente l’erreur comme une
étape nécessaire de l’apprentissage. Combien d’élèves ne se sont pas risqués à
répondre par peur de se tromper, et d’être jugés ? Combien se sont fait traiter
d’incapables, et décerner le bonnet d’âne ?
Philippe Meirieu insistait sur le fait que « la prise en compte de l’erreur est en
réalité, en pédagogie, la meilleure manière de combattre l’échec ».7
Les constructivistes ont démontré l’importance de dédramatiser l’erreur, ce
qui s’avère d’ailleurs conforme aux instructions officielles. On ne peut plus
considérer que l’erreur est le signe d’une incapacité, ou révélatrice d’un élève
destiné à échouer.
Il est très important d’admettre que même s’il y a erreur, il existe une logique
sous-jacente à la réponse erronée, qu’il faut faire ressortir pour pouvoir traiter.
Par exemple, un élève qui écrit : ils pleuvaient beaucoup , justifie l’emploi du
pluriel, car la quantité énoncée est importante : cette production, bien qu’erronée,
témoigne d’une logique compréhensible, qu’il faut prendre en compte et traiter.
L’enseignant devra parfois aller jusqu’à provoquer les erreurs pour les faire
ressortir. J’évoque ici le cas des conceptions des élèves : parmi les différents
types d’erreurs, on recense celles dues à des représentations initiales erronées :
il s’agit justement de celles qui risquent de déstabiliser les élèves.
Par exemple, lors d’un stage en CP, j’ai mis en place une séquence sur les fruits.
Pour respecter la démarche scientifique, je me suis intéressée aux
représentations initiales : Qu ‘est-ce qu ‘un fruit ?
Les jeunes enfants ont tendance à caractériser un fruit de la manière suivante :
v Le fruit est sucré
v Le fruit est coloré (sous-entendu, autre que vert)
v Le fruit pousse sur un arbre
6
7
Boimare , Serge. L’enfant et la peur d’apprendre. Dunod
Le journal des instituteurs , n°1, septembre 1995
5
Au lieu d’assimiler ces erreurs à des échecs, j’ai réfléchi aux situations que je
pouvais proposer afin de faire évoluer ces représentations.
Le maître doit parvenir à faire comprendre que les erreurs constituent une étape
incontournable pour apprendre : il s’agira de les faire évoluer pour les rapprocher
de savoirs savants. Admettre que les élèves peuvent se tromper, et donc les
accompagner dans l’apprentissage pour réduire leur peur, cela implique aussi la
valorisation de l’essai et de l’effort.
4. Croire en l’élève
Nous allons aborder ici les conditions primordiales préalables à tout
enseignement :croire en la capacité de l’élève de pouvoir être éduqué, ce qui
suppose la création d’une relation de confiance.
a. Le pari d’éducabilité
Croire en l’élève et en ses capacités, c’est ce que Philippe Meirieu appelle
« le pari d’éducabilité ». A quoi servirait l’école si les enseignants n’étaient pas
convaincus que les enfants peuvent être éduqués ? Non seulement il faut y croire
au plus profond de soi, mais il faut aussi faire ressentir aux élèves que l’on a
confiance en eux, que l’on les croit capables. Cette relation de confiance qui doit
être établie entre maître-élève est la composante psycho-affective très importante
de la relation pédagogique pour que les apprentissages soient favorisés :
Enseigner, c’est aider. Alain l’a aussi évoquée, plus poétiquement :
« Si je crois que l’enfant que j’instruis est incapable d’apprendre, cette croyance
écrite dans mes regards et dans mes discours le rendra stupide ; au contraire ma
confiance et mon attente est comme un soleil qui mûrira les fleurs et les fruits du
petit bonhomme […]Plus ou moins ; mais il faut essayer ; il faut croire. une demiconfiance est comme une injure. Il faut donner d’abord. »8
D’autre part, des travaux ont montré les effets de l’attente positive du
maître sur la qualité des résultats des élèves. J’évoque ici « l’effet Pygmalion » :
la croyance de l’enseignant dans les ressources de ceux qu’il a mission
d’éduquer est primordiale. Les enfants de l’école maternelle et élémentaire sont
encore des individus « en construction », qu’il faut convaincre de leurs capacités,
et les mettre en confiance pour qu’ils osent se risquer à aller plus loin. C’est
d’ailleurs ce que les instructions officielles mentionnent :« Il appartient au maître
de créer les conditions de réussite des élèves. Les apprentissages réussis
doivent beaucoup au climat de confiance créé par l’adulte et aux encouragements
qu’il prodigue ». 9
8
9
La Pleïade, Alain, t24 bis
Ministère de l’Education Nationale, Programmes de l’école primaire, Paris, CNDP, Savoir lire, 1995
6
b. La relation de confiance
De plus, il me semble très important d’ ajouter que si une relation de
confiance entre le maître et ses élèves est parvenue à s’établir, ces derniers n’ont
pas envie de décevoir, d’autant plus s’ils savent que l’enseignant attend
beaucoup d’eux. En me basant sur les observations lors de mon stage en
Angleterre, j’en ai déduit que l’importance que l’on accordait aux élèves avait un
lien très étroit avec leur attitude. Ce qui m’a interpellée, outre le port de l’uniforme
par les élèves de l’école, toutes classes confondues, ou encore les assemblées
et les chants, c’est la fierté des élèves à appartenir à cette école : les élèves n’ont
pas envie de décevoir. Si les couloirs de l’école comportent de nombreuses
photos des années antérieures (évènements sportifs, représentations…) , c’est
parce que chaque élève semble avoir tenu une place particulière dans cette
école.
La motivation d’un élève vient le plus souvent de l’image positive qui lui est
renvoyée, et qu’il intériorise : il appartient alors au maître de lui faire ressentir
cette confiance.
Persuadée de cette nécessité de valoriser les efforts des élèves ainsi que
leurs réussites au retour d’Angleterre, je me suis interrogée sur les méthodes qui
pourraient être transposées en France, et expérimentées lors de mon prochain
stage en maternelle. J’ajouterai que parfois certaines petites attentions valent
autant, sinon mieux, que de grandes méthodes.
II.
Valoriser : comment ?
Mes observations à l’étranger m’ont interpellée , tant les maîtres avaient un
regard optimiste sur le travail et le comportement des élèves : récompenses,
encouragements, félicitations et compliments ne manquaient pas. Je vais donc
présenter dans un premier temps le système de valorisation anglais tel qu’il est
appliqué.
1. Procédés utilisés en Angleterre
Si en France les instructions officielles évoquent la nécessité d’encourager
et porter un regard positif sur les élèves, aucune indication précise n’est fournie
quant aux moyens de le faire. En Angleterre, au contraire, les enseignants d’une
même école disposent de fiches communes détaillées, et mentionnant toutes les
attitudes à gratifier et une liste de moyens pour y parvenir.
7
a. Que valoriser?
Si je prends comme support le document «50 things to catch them being
good at » (cf. annexe 1), on peut faire ressortir plusieurs catégories d’attitudes à
faire valoir :
ü tout ce qui a trait au comportement, à l’autonomie et au respect d’autrui ou
du matériel :apporter de l’aide, être poli et attentif
ü ce qui est en rapport avec un travail scolaire satisfaisant
ü ce qui se rattache à un effort de la part de l’élève
Ce qui me semble important de mettre en relief, est le fait que parmi la liste
des actions qui méritent une gratification, figurent aussi bien la qualité du travail
scolaire, que des actes de citoyenneté :l’école vise en effet à former de futurs
citoyens. Se respecter les uns les autres, écouter la parole de l’autre, la politesse
sont des principes auxquels beaucoup d’importance est accordée.
b. Quelles gratifications accorder ?
Qu’entendent les enseignants anglais par gratification ? Aussi bien morales que
concrètes, elles font partie d’un système très organisé et défini par le règlement
de l’école :
Lorsque l’élève est inscrit pour la première fois à l’école, on lui attribue le nom
d’une équipe, à laquelle il appartiendra toute sa scolarité, et à laquelle il devra
rapporter des points pour la faire arriver en tête du tournoi chaque semaine (les
housepoints). Ce mode de fonctionnement est pratique concernant l’organisation
de la classe : les tables sont regroupées selon l’appartenance des élèves à l’une
des quatre équipes. Ce système est important, car les points pouvant être gagnés
motivent les élèves à bien se comporter.
C’est en effet l’un des moyens utilisés pour valoriser les élèves. Les professeurs
mettent un point d’honneur à reconnaître ce qui est bien, donc qui mérite
récompense. Un travail scolaire satisfaisant et sérieux, tout aussi bien qu’un
comportement exemplaire sont des occasions à saisir, et à faire reconnaître
devant toute la classe, voire devant une assemblée regroupant les classes d’un
même niveau, soit près de 200 élèves.
Les récompenses sont attribuées en fonction de l’action de l’élève:
ü Les autocollants et housepoints peuvent être donnés plusieurs fois par
jour
8
ü Quelques lignes écrites par le professeur dans le livre d’or de l’école,
destinées à être lues par le directeur de l’établissement ou le responsable
du niveau lors de l’assemblée : les élèves mentionnés se lèvent au milieu
de tous les autre assis et alignés, et sont applaudis après la lecture les
concernant.
Ces trois systèmes récompensent un bon travail, un effort ou un bon
comportement, alors que certains autres sont spécifiques pour la qualité du travail
scolaire:
ü Un diplôme est attribué chaque semaine au meilleur élève de chaque
classe, qui est alors nommé Star of the week.
ü Avant chaque période de vacances, des certificats sont remis aux élèves,
la couleur dépendant de la qualité du travail :
Gold certificate pour les élèves excellents
Silver certificate pour les très bons élèves
Bronze certificate pour les bons élèves
L’enseignant dispose de cinq certificats de chaque sorte, mais reste libre de
ne pas en distribuer la totalité. Lors de la remise de ces certificats à laquelle
j’ai assisté, près d’un tiers de la classe avait obtenu un certificat.
9
ü Lors de l’assemblée, l’équipe gagnante de la semaine est annoncée, après
comptage du nombre de housepoints, le score étant la somme de tous les
points gagnés par les élèves composant cette équipe.
Une gratification particulière est chaque année accordée au meilleur élève de la
year 7, dernière classe avant le changement d’école : l’inscription de son nom sur
le tableau du hall qui restera gravée.
Si pour les plus jeunes élèves de l’école ce système semble faire ses
preuves, il est néanmoins nécessaire de l’aménager pour les plus grands :la
remise d’autocollants, de housepoints ainsi que l’inscription dans le livre d’or
restent effectifs, mais ont bien moins d’impact. Il s’agit plutôt de leur accorder des
crédits (pour bon travail, bon comportement ou effort), mais qui eux, peuvent être
par la suite annulés en cas d’attitude non conforme. Avant chaque période de
vacances, l’enseignant additionne les points de chacun, et juge si l’élève peut
participer ou non au Golden time : il s’agit d’une activité spéciale ou d’ une sortie
(en décembre, ils sont allés au bowling).
Valoriser les élèves ne se résume pas seulement à les récompenser, mais
cela inclut aussi la mise en confiance, la reconnaissance. Toutes les attentions
portées à l’élève qui agit bien suffisent parfois à donner confiance.
En ce sens , le document dont chaque enseignant dispose dans l’école qui m’a
accueillie me semble intéressant, bien que parfois discutable. On ne parle plus ici
seulement de récompenses, mais de manières de faire comprendre à l’élève qu’il
a bien agi. Le classement de ces 90 moyens (cf. annexe 2) comporte plusieurs
catégories :
ü
ü
ü
ü
Les récompenses sociales
Les responsabilités spéciales
Les activités spéciales
Les possibles récompenses personnelles
10
Il paraît donc important parfois de donner une responsabilité particulière à l’élève
qui le mérite : c’est pour lui le signe d’une grande fierté, qui témoigne de la
confiance que lui porte l’enseignant.
Je pense que la plupart de ces méthodes ont un effet positif : afficher le nom des
élèves qui agissent bien, reconnaître en public leurs mérites, en informer d’autres
personnes de l’établissement, accorder des responsabilités particulières sont des
principes auxquels j’adhère. J’étais également convaincue que la remise de
récompenses plus concrètes telles les autocollants était importante, car cela avait
beaucoup d’impact sur les élèves. A présent, je suis davantage mitigée, après avoir
moi même mis en place un système équivalent : on est amené à réaliser que les
élèves font de leur mieux seulement par intérêt. La situation est très artificielle, et
pourrait s’assimiler à un dressage.
D’autre part, les enseignants de l’établissement anglais qui m’a accueilli avaient
tendance à exagérer le regard positif qu’ils portaient sur les élèves. Il était donc pour
moi très difficile de rester objective lors de l’évaluation.
Je développerai plus précisément dans ma troisième partie les pièges sous-jacents à
la valorisation, dans lesquels le système de récompenses anglais risque de faire
plonger ses enseignants.
2. Méthodes anglaises transposées en France
a. Mes choix parmi ces méthodes
Ce stage à l’étranger a mis en valeur l’importance de la présence d’un
public devant lequel sont faites certaines gratifications, mais aussi la nécessité de
valoriser au-delà de la qualité du travail scolaire : un comportement citoyen ainsi
que l’effort sont encouragés.
Enfin, le fait que certaines des récompenses soient accessibles par tous me
semble très important. J’ai donc essayé de conserver ces principes lors de la
mise en place de mon système de valorisation.
Il faut admettre que si en Angleterre, le système de valorisation est mis en
place par tous les enseignants, puisqu’il fait partie du règlement de l’école, cela
assure une certaine cohérence et continuité dans son application. N’étant en
stage que pour trois semaines, et aucun système de récompenses n’étant utilisé
dans les autres classes, je n’ai pu faire évoluer mon projet qu’au sein de la
classe, contrairement en Angleterre où les récompenses sont distribuées parmi
un nombre très important de maîtres et d’élèves, et où il prédomine le sentiment
d’appartenance à une équipe, différente de la classe.
J’ai donc songé à appliquer le système des bons points en apportant
quelques retouches personnelles, notamment inclure l’effort et le bon
comportement comme attitudes à récompenser afin de rendre accessible
l’acquisition de bons points à tous.
11
Elève moi-même, je me souviens avoir ouvert la page de mon cahier, et
découvrir ces deux bons points roses à l’intérieur pour me féliciter de mon travail.
C’est ce sentiment de satisfaction personnelle que j’ai eu envie de faire découvrir
à ces élèves de maternelle, pour qui le poids de l’affectivité est si important.
Mon stage en responsabilité se déroulant en maternelle, en moyenne et
grandes sections, j’ai du adapté quelque peu les méthodes envisagées, puisque
l’affectivité tient un rôle important .Il est vrai que j’ai beaucoup cherché ce qui
pourrait plaire à des enfants de maternelle, sans que je n’ai à y consacrer un
budget trop important. j’ai donc décidé d’emprunter l’idée des autocollants, qui a
semblé les satisfaire.
De plus, j’avais envisagé la remise de certificats attestant de la bonne attitude
des élèves comme ils étaient très jeunes, chacun s’en est vu remettre un.
b. La mise en place du projet « bons points »
J’ai donc mis en place un système de récompense dont les raisons
d’obtention sont similaires à celles prises en compte en Angleterre: des bons
points qui pouvaient être acquis à différentes occasions : un très bon travail valait
deux bons points, un bon travail, un effort ou un bon comportement en valait un.
J’ai réalisé un tableau à double entrée, comportant en ligne les trois raisons
permettant d’acquérir des bons points (travail, effort, comportement).En colonne,
figuraient les noms des élèves de la classe. J’avais prévu trois différentes
couleurs pour chaque colonne et pour les bons points qui correspondaient à la
raison d’obtention.
kkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkk
kkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkk
Ainsi, un élève à qui j’attribuais un bon point jaune savait qu’il avait produit un
travail satisfaisant, un rose pour avoir fait un effort (travail plus appliqué
qu’habituellement, ou persévérance dans une tâche à effectuer), un bleu pour un
comportement citoyen ou respectueux d’autrui. Je trouvais important de faire
12
formuler par les élèves eux-mêmes la raison pour laquelle ils avaient obtenu une
récompense.
.
C’était aussi l’occasion pour les élèves de faire un bilan en observant dans
quel(s) domaine(s) ils obtenaient le plus de bons points, et le(s) domaine(s) où ils
devaient progresser. Quand cinq bons points étaient acquis, ils avaient droit à un
autocollant.
Je demandai assez régulièrement à certains combien de bons points il leur
manquait pour obtenir un autocollant, ce qui me permettait de voir si tous y
accordaient de l’importance ; je dois avouer que les élèves de grande section ont
très bien réagi quant à l’introduction de ce système : ils parvenaient même à
programmer quand ils obtiendraient de nouveaux bons points en adoptant le bon
comportement au moment propice : « Maîtresse, si je travaille bien, tu me
donneras deux bons points et j’aurais un autocollant. ».
Les élèves sont vite devenus très autonomes quant au marquage des croix dans
les cases du tableau.
A la fin de mon stage, j’ai préparé des diplômes à remettre à chacun, mais
dont la couleur reflétait l’attitude générale de l’élève : les diplômes d’or étaient
réservés aux élèves auxquels on ne pouvait quasiment rien trouver à redire, ceux
d’argent pour ceux qui avaient une bonne attitude à l’école, et enfin les diplômes
de bronze pour les élèves qui n’avaient pas obtenu beaucoup de bons points. La
remise des certificats s’est déroulée en classe, les élèves nommés venant se
présenter en ligne pour recevoir leur prix. Les élèves n’avaient pas été informés
de cette intention, mais ont semblé beaucoup apprécier le fait de recevoir pour la
première fois une récompense comportant la signature d’un enseignant ainsi que
les applaudissements des camarades.
13
Je ne peux que regretter la courte durée du stage : même si j’ai pu observer un
changement d’attitude quasiment radical et rapide pour certains, il aurait peut-être
fallu plus de temps à d’autres. Ce n’est qu’une hypothèse, mais je développerai
plus précisément ce point dans ma troisième partie, quand j’aborderai la question
de la motivation.
J’aimerais ici souligner le fait que les enfants étaient fiers d’obtenir un autocollant.
Cela représente cinq bons points, lesquels ont été obtenus au prix d’efforts. Un
garçon était d’autant plus fier de choisir un papillon plutôt qu’un dinosaure pour
pouvoir l’offrir à sa sœur : cette attitude témoigne d’une envie de faire plaisir, et
d’une fierté qui sera ressentie au moment de l’offrande.
3. Petites attentions à ne pas négliger
Le fait de faire valoir le mérite d’un élève devant toute la classe a un impact
très fort, qu’il s’agisse de compliments, félicitations, encouragements : les
valorisations verbales que l’on adresse aux élèves sont très importantes, mais il
ne faut pas pour autant oublier qu’un sourire, un regard, une présence de la part
de l’enseignant restent importants.
a. Communiquer autrement que par la parole
L’enseignant peut aussi manifester sa satisfaction ou ses encouragements
plus discrètement que publiquement : il suffit en effet d’adresser un sourire ou un
regard à un élève qui le mérite pour qu’il comprenne qu’il a bien agi. Je pense
qu’il faut penser en terme de complémentarité avec les autre méthodes citées
précédemment. En effet, s’il est plaisant que le maître reconnaisse la bonne
attitude d’un élève devant la classe, il faut aussi considérer les relations plus
personnalisées maître - élève : l’enseignant connaît les capacités et difficultés de
chacun. Ainsi, même si je me suis efforcée de valoriser un effort ou bon travail de
la part de l’élève, j’ai pu me rendre compte que je prononçais souvent le même
type de compliment envers les mêmes élèves. J’évoque ici le cas des élèves en
difficulté, que j’encourageais surtout à persévérer, et la cas des bons élèves que
je félicitais pour leur travail. Même si j’ai gardé un regard positif sur tous les
élèves, il est vrai qu’il s’agissait toujours des mêmes qui recevaient les mêmes
compliments. J’ai donc essayé de rééquilibrer en prononçant moins de
félicitations aux bons élèves, mais en introduisant le regard et le sourire, de
même pour les élèves en difficulté, plutôt que de les encourager tout le temps à
haute voix.
L’introduction du sourire et du regard ne doit pas être négligée, puisque les
élèves de maternelle en ont très bien saisi le sens.
b. La place de l’enseignant
Il m’a semblé très important d’être le plus possible disponible pour les
élèves. Il ne faut donc pas négliger la place de l’enseignant dans la classe : si ce
14
dernier reste assis à son bureau en attendant que les élèves effectuent une
tâche, il aura beau sourire aux élèves pour les encourager ou leur faire
comprendre qu’il est satisfait, l’impact ne sera pas le même que s’il circule dans
la classe, s’il s’agenouille pour s’intéresser réellement au travail produit. C’est à
ce moment là qu’il peut se mettre au même niveau que les élèves, en se baissant
et en leur parlant à leur hauteur, en restant présent quand un enfant hésite, ne
sait pas.
La mise en place de gratifications m’a permis de me rendre compte des limites
d’un tel système et des pièges qu’il implique.
III.
Valoriser : jusqu’où ?
Si je reste néanmoins persuadée que les mérites d’un élève doivent être
reconnus et mis en valeur, il faut être très prudent dans l’utilisation d’un système
de récompenses :
Quel sens donne-t-on alors aux apprentissages? Peut-on toujours garder un
regard optimiste ?
1. Le sens des apprentissages
On peut en effet s’interroger sur le sens que l’on donne aux apprentissages
en appliquant de telles méthodes. Je prendrai comme appui à mes réflexions le
système de bons points que j’ai mis en place, et les conclusions que j’ai pu en
tirer.
a. Le piège du dressage
Après avoir discuté des comportements qu’il faut avoir à l’école, les élèves
et moi avons établi les critères qui pouvaient donner droit à des bons points. Ils
les ont très vite intégrés, pour la plupart, et adaptaient leur attitude… mais
ponctuellement, je dois l’avouer. Par exemple, lors du retour en classe, il suffisait
que l’un d’entre eux se bouche les oreilles pour montrer qu’il était gêné par le
bruit, et que lui, restait silencieux, pour que les autres copient son geste : les
enfants avaient donc tendance à se référer aux autres. Le comportement qu’ils
adoptaient alors ne provenait pas d’une volonté ou effort délibéré de leur part,
mais d’une attitude copiée.
J’avais donc essayé de n’accorder des bons points qu’aux premiers élèves
qui effectuaient la bonne attitude : par exemple, en rentrant en classe, je décidai
de ceux qui étaient les premiers à se montrer attentifs. J’ai donc dû à certains
moments modifier les règles établies au départ : était-ce bien juste ? Pouvais-je
vraiment juger de ceux qui étaient les premiers silencieux ? Mais j’ai décidé
15
qu’accorder des bons points à des élèves qui n’en mériteraient pas vraiment était
encore plus injuste.
Cet exemple nous expose une situation comparable au dressage : les
élèves adoptent parfois l’attitude que l’on attend d’eux non seulement
ponctuellement, mais aussi en connaissance de cause : ils savent qu’ils seront
récompensés.
Si en Angleterre, je m’étais rendue compte du « dressage » que
subissaient les enfants, c’était compte tenu de l’organisation beaucoup plus
stricte : lors des assemblées, les élèves étaient alignés très rigoureusement, les
déplacements étaient effectués sous haute vigilance …Ce système assez
militaire m’avait laissé entrevoir le piège du dressage, dans lequel je pensais bien
me garder de tomber quand moi, je mettrai un système un peu similaire en place
lors de mon stage … mais la réflexion d’un élève de cinq ans, visiblement très
lucide, m’a obligée à me rendre à l’évidence. Il s’agissait de la remise de l’un des
premiers bons points à un élève, et l’intervention d’un de ses camarades fut la
suivante : « c’est normal qu’il ait fait ça, il est attiré par le bon point ! » La
véracité de ce propos était surprenante, et source de questionnement pour moi :
c’est le fait de présenter un « appât » aux élèves qui a certainement des
conséquences sur le sens des apprentissages.
b. Affectivité et motivation
Je dois me rendre à l’évidence : quel regard par rapport aux
apprentissages ai-je imposé à ces élèves, si jeunes, dont je pensais récompenser
les mérites ? Ne travaille t-on que dans le but d’obtenir une récompense ? Faire
miroiter un autocollant aux yeux d’un enfant, est-ce la meilleure façon de lui
permettre de réussir ?
A ce stade de mon travail, j’en viens à la question de la motivation :
comment peut-on donner envie d’apprendre aux élèves ?
Il me semble que la réponse la plus probable est de leur faire découvrir le goût de
l’effort personnel, le plaisir, voire la jubilation d’acquérir un nouveau savoir, une
nouvelle compétence…La finalité des apprentissages est une question
primordiale, et ne doit pas se résumer à l’obtention d’autocollants. C’est l’idée
qu’évoque Antoine de la Garanderie lorsqu’il aborde les relations entre affectivité
et motivation :
« La motivation est suffisamment définie par l’attachement que les jeunes
manifestent pour la motocyclette, l’ordinateur, ou les sorties avec les copains […]
Ils ne sont donc pas « motivés pour », mais « entraînés par ».10
Si cette citation se réfère visiblement plus à des adolescents qu’à des enfants, il
est facile de la transposer dans un autre contexte : mes élèves, et le système de
bons points.
10
de La Garanderie, Antoine. La motivation , Son éveil, son développement, Bayard éditions, p60-61
16
De plus, les termes à caractère moral qu’il emploie confirment mon impression
qu’essayer « d’appâter » les élèves à l’aide de récompenses ne donne aucun
sens réel et durable aux apprentissages : « La distinction entre une affectivité par
nature mauvaise et une volonté bonne par essence… »10
De plus, il faut songer aux récompenses à accorder, puisqu’elles doivent être
attrayantes. Pour ma part, j’ai choisi les autocollants, pouvant être obtenus dès
cinq bons points. Il est vrai que je ne comptais pas y consacrer beaucoup
d’argent, mais j’espérais que cela allait plaire aux élèves. En maternelle, les
enfants sont jeunes, et satisfaits dès lors qu’ils ont droit à une petite récompense.
Mais je doute que cette dernière aurait pu intéresser un seul élève de CM2.
Un enseignant a d’autres préoccupations que de ne songer qu’à ce qui pourrai
plaire aux élèves. Beaucoup d’élèves de d’école élémentaire n’auraient pas la
réaction des enfants de maternelle qui, eux, s’efforcent d’adapter leur attitude,
devant une récompense qu’ils jugent in attrayante. Et si l’on songe à ce qui
pourrait bien motiver des élèves de cet âge-là, si toutefois l’on trouve une
réponse, il est évident que l’enseignant ne pourrait pas y consacrer un tel budget.
Si pour les plus jeunes élèves de l’école ce système semble faire ses preuves en
Angleterre, il est néanmoins nécessaire de l’aménager pour les plus grands :la
remise d’autocollants, de housepoints ainsi que l’inscription dans le livre d’or
restent effectifs, mais ont bien moins d’impact. Il s’agit plutôt de leur accorder des
crédits (pour bon travail, bon comportement ou effort). Avant chaque période de
vacances, l’enseignant additionne les points de chacun, et juge si l’élève peut
participer ou non au Golden time : il s’agit d’une activité spéciale ou d’ une sortie
(en décembre, ils sont allés au bowling).
Une organisation particulière a été mise en place par l’enseignant dans une
classe de cycle 3, et me semble proposer une solution mieux adaptée : il s’agit de
discerner des ceintures de différentes couleurs, comme les judokas, selon les
capacités des élèves à bien se comporter ou à bien travailler. Ce qui me paraît
intéressant, est que seule la meilleure, est en tissu, contrairement aux autres, qui
sont virtuelles. Encore plus intéressant, ces ceintures, une fois acquises, donnent
droit à des responsabilités, à des libertés : « Loin d’être une récompense, un bon
point déguisé, c’est une marque de confiance, la reconnaissance du sérieux de
l’enfant ».11
c. La compétition
Il s’agit là d’un piège bien réel de ce système de récompenses. Il faut donc
bien opposer émulation et compétition. En effet, lors de mon stage, les élèves
s’interpellaient fréquemment pour se demander combien de bons points il leur
manquait pour pouvoir obtenir un autocollant. Ils avaient bien compris l’enjeu, et
ce système les « forçait » à s’appliquer. Mais je me suis aperçue que certains
commençaient vraiment à prendre cela trop au sérieux, en me demandant d’ôter
11
Le monde de l’éducation, Janvier 2003, p74-75
17
un bon point à tel ou tel élève, à cause de telle ou telle raison, qui m’aurait, soidisant, échappée. Ces élèves là se préoccupaient trop de surveiller ce
qu’obtenaient les autres. La compétition a pris le pas sur l’émulation produite au
départ. Même si je n’ai remarqué cet esprit de compétition que chez un nombre
réduit d’élèves, j’ai pris conscience que j’étais entrain d’installer une sorte de
culture de guerre entre des camarades d’une même classe.
Pour donner du sens aux apprentissages, il est nécessaire de leur donner
une signification, faire comprendre à quoi ils peuvent servir : l’épanouissement
personnel. Si pour moi, valoriser incluait la remise de récompenses, je suis à
présent bien plus controversée à ce sujet après réflexion.
2. Le piège démagogique
Valoriser les élèves en reconnaissant, voire en récompensant leurs
mérites, implique une certaine vigilance de la part de l’enseignant pour ne pas
tomber dans l’excès.
Je m’intéresse dans cette partie au fait que le regard positif dont j’évoque
l’importance depuis le début de mon travail, ne peut pas être applicable dans
toutes les situations, sinon, on risque de tomber dans le piège démagogique
évoqué précédemment.. Il faut se rendre à l’évidence : un enseignant ne peut pas
toujours se montrer sympathique.
a. Ne rien attendre des élèves en retour
Sur le plan affectif, l’enseignant ne doit attendre aucun retour de ses
élèves. Il ne doit en aucun cas exiger que la reconnaissance qu’il a envers ses
élèves soit réciproque : « continuer à parier sur la réussite d’autrui, tout faire pour
y parvenir, mais sans exiger d’être payé en retour dans un rapport de réciprocité
de valeur marchande.[…] Cela commence avec la renonciation à la
reconnaissance : je dois tout à mes enfants, à mes élèves, à mes étudiants, mais
je n’ai rien à attendre d’eux et surtout pas qu’ils me disent merci. »12
Il est vrai que lorsqu’on prête un regard positif sur les réussites de l’élève,
on passe plutôt pour quelqu’un de sympathique aux yeux des élèves. Mais il ne
faut pas pour autant attendre que l’on nous aime pour cela :ce n’est pas parce
que je donne des bons points et des autocollants, qu’ils vont bien m’aimer. Le
piège est de vouloir plaire à tous et à tout prix de se faire aimer.
12
Meirieu, Philippe. Le choix d’éduquer, ESF, p 45
18
b. Oser punir
Il faut aussi ne pas sombrer dans un manque d’autorité total, qui
s’apparenterait à du laxisme. Si l’enseignant consacre du temps à élaborer, par
exemple des règles de vie, avec les élèves, ce n’est pas pour que les lois établies
soient bafouées, et la faute impunie. En effet, dans un groupe social, tout n’est
pas permis : il faut donc songer aux possibles transgressions, et aux sanctions
qui seront appliquées. La faute non punie constituerait une injustice.
Valoriser et porter un regard positif sur les élèves n’exclue pas, quand les
circonstances l’exigent, de punir les élèves. Il est donc nécessaire d’imposer des
interdits, et de prévoir des sanctions en cas de transgression. Il n’est pourtant pas
facile de punir, surtout lorsque l’on met un point d’honneur à garder un regard
positif sur les élèves. J’irai même jusqu’à dire qu’il faut un certain courage, car la
punition est l’aveu d’un échec : l’enseignant n’est pas parvenu à empêcher les
élèves de transgresser les règles. Il en arrive même à ne pas oser punir, de
crainte de ne plus être aimé : c’est ici que la dérive démagogique est dangereuse.
La relation pédagogique ne repose pas sur de l’amour, mais sur la confiance.
Et il est possible que l’enseignant manifeste sa confiance en un élève, même en
le punissant : il le punit, parce qu’il le croit capable de ne plus commettre la faute.
La punition a donc une valeur éducative, qu’il ne faut pas négliger. Punir, c’est
aussi amener les élèves à réfléchir sur leurs actes.
Si la nature des punitions que l’on peut affliger est diverse, j’ai pu observer que le
seul fait de retirer ou ne pas accorder de récompense à l’élève avait un réel effet.
En fait, je m’étais réservée le droit de retirer les bons points qui avaient été acquis
en cas mauvaise attitude. Il est vrai que les élèves concernés par ce retrait ont
été d’autant plus été punis, car ils se sont rendus compte que ces bons points,
qu’ils avaient gagnés, leur avaient été repris par leur seule faute. J’ai néanmoins
été confrontée au fait qu’un élève qui venait d’échanger ses bons points contre un
autocollants s’est mal comporté quelques minutes après. L’autocollant ayant été
acquis, aucun bon point ne pouvait être ôté, et l’élève en avait tout à fait
conscience : j’ai donc du réagir en le punissant autrement, ce à quoi il ne
s’attendait visiblement pas.
Ceci est conforme à ce que j’ai pu observer en Angleterre, notamment
avec des élèves de niveau équivalent au CM2. Ceux qui ne totalisant pas un
nombre suffisant de points doivent rester à l’école travailler. En ce sens, il me
semble que l’élève ne peut s’en prendre qu’à lui même s’il n’a pas l’autorisation
d’y participer, et cela peut l’amener à revoir son attitude, donc de l’améliorer
avant les prochaines vacances. Ce mode de fonctionnement me semble
intéressant, car les élèves privés de sortie sont indirectement punis :ils se sentent
punis, parce qu’ils ne sont pas récompensés, ce qui, il me semble, a un impact
encore plus fort. Peut-être l’élève réalise mieux alors que s’il s’appliquait dans
tous les domaines, ce serait pour lui personnellement.
19
c. L’évaluation
Donner confiance en l’élève passe par les encouragements qui peuvent
avoir lieu en cours d’apprentissage, pour aider l’élève à apprendre : on parle alors
d’évaluation formative. Mais qu’en est-il de l’évaluation sommative ?
Il me semble évident qu’un élève en grande difficulté, qui n’obtient que des notes
inférieures à la moyenne ne peut être félicité. Comment apprécier positivement
des notes inconcevables ? Je n’évoque pas ici les erreurs qui seraient
pardonnables, mais un travail fait sans application ou incomplet qui porterait
exclusivement sur la leçon ?
Il faut alors savoir discerner les réelles difficultés de la paresse afin d’adopter
l’attitude adaptée. Dans le cas d’un élève qui produirait des erreurs liées au
désintérêt ou à l’inattention, je pense que le regard positif sur l’élève laisserait
place à une sérieuse discussion. On ne peut pas tout accepter.
Me concernant, j’ai très vite été embarrassée quant à la correction et à
l’appréciation du travail des élèves en Angleterre : Il m’a semblé gênant, pour ne
pas dire injuste de devoir apprécier positivement un travail quasiment faux. Ce
souci d’impartialité m’a rendu la tâche difficile, puisque l’enseignant n’appréciait
jamais négativement leur travail. N’y a-t-il pas un moment où il faut noter selon la
réelle capacité de l’élève ? Ne pas dévaloriser est une chose, mais valoriser à
longueur de journée un élève faible n’est-ce pas aussi le faire croire en des
capacités qu’il n’a pas ?
Il est important de rappeler, en effet, que l’évaluation permet à l’élève de se
situer, et que l’évaluation sommative qui intervient en fin d’apprentissage
constitue un bilan des connaissances que possède l’élève. Il serait donc
incohérent de toujours apprécier positivement le travail de tous les élèves, les
plus faibles y compris, car ils risqueraient de se contenter d’un travail qui serait
pourtant insatisfaisant. L’évaluation doit permettre de mettre en relief aussi bien
les réussites que les lacunes d’un élèves, et je pense qu’il est important de
considérer ces deux aspects.
3. Le piège démiurgique
Si Meirieu semblait louer une croyance sans borne à l’éducabilité de
l’élève, il en admet à présent les limites, limites auxquelles chacun de nous peut
être confronté.
a. Un désir effréné de maîtrise
Meirieu s’estime « avoir été malade de l’éducabilité ». Il développe l’idée
qu’en s’obstinant à croire à la réussite de chacun, on finit par s’acharner sur
l’élève qui ne va pas assez vite, qui est inattentif. On peut risquer jusqu’à
20
l’emballement névrotique de la volonté d’éduquer. On ne doit donc pas prendre
pour cible ceux qui y arrivent le moins.
Si j’évoquais en première partie la nécessité d’assurer l’égalité des chances, il
n’en reste pas moins vrai que les capacités sont différentes d’un élève à l’autre,
et l’on ne peut exiger les mêmes performances. Il faut donc exiger le meilleur de
chacun, sans harceler ceux qui y parviennent moins bien.
J’évoquais précédemment le système des ceintures, qui nous rappelle la
pédagogie institutionnelle prônée par Fernand Oury , et qui pourrait apporter une
possible remédiation : c’est l’élève lui-même qui postule pour acquérir telle ou
telle ceinture : « Dans les apprentissages comme pour le comportement, l’enfant
postule lui-même au passage du degré supérieur quand il se sent prêt et qu’il en
a envie ».
b. Accepter l’échec
L’enseignant risque donc, à un certain stade d’emballement, de lutter si fort
contre l’échec, qu’il ne l’accepte plus. En effet, l’enseignant assimile alors l’échec
de l’élève à son propre échec.
« L’échec, en revanche, en ce qu’il témoigne de la résistance irréductible de
l’autre à notre influence et parce que nous ne pouvons pas, déontologiquement,
l’attribuer à un autre qu’à nous, sans abdiquer de notre postulat, nous atteint plus
profondément ». 13
Il est néanmoins vital d’accepter l’échec de certains, si l’on veut échapper à cette
« folie menaçante ».
13
Meirieu, Philippe. Le choix d’éduquer, ESF, p46
21
Conclusion
Si à mon retour d’Angleterre les méthodes utilisées m’avaient profondément
convaincue, je suis à présent plus réservée, et consciente des risques que l’on
prend et que l’on fait prendre aux élèves dès qu’on les applique.
Je demeure plus que jamais persuadée que valoriser les élèves est une
nécessité, mais il faut néanmoins être prudent.
La valorisation ne doit en aucun cas se résumer à la récompense. Si je
trouvais très marquant pour un enfant de se voir remettre une récompense
obtenue devant tous les autres, l’élaboration de ce mémoire m’a fait prendre
conscience de l’importance de donner du sens aux apprentissages. Or, ce n’est
pas en « dressant » les élèves, ni en les « attirant » par un petit cadeau, que l’on
y parvient. J’avais donc négligé quelque peu ce point, tant j’avais accordé
d’importance au caractère plus concret, palpable que permettait la récompense.
D’autre part, je me suis vite aperçue du caractère artificiel du comportement des
élèves, qui n’agissaient bien que par intérêt. De plus, il faut avouer que discerner
des récompenses est plutôt agréable pour l’enseignant, il est perçu comme
sympathique et apprécié. Mais il faut penser prioritairement à notre mission
éducative : les élèves ne travaillent pas pour un autocollant, mais pour euxmêmes : on ne peut pas les priver de découvrir le goût de l’effort, le plaisir
d’apprendre.
Valoriser les mérites d’un élève, cela inclue le simple fait de les
reconnaître, d’exprimer sa satisfaction, en félicitant, en encourageant, en
complimentant l’élève et en lui donnant sa confiance. Il me semble aussi très
important de valoriser des compétences au-delà du scolaire en prenant en
compte la vie de la classe, voire de l’établissement.
22
Bibliographie
Ouvrages consultés :
-
Alain. La Pleï ade,t24 bis
-
Boimare, Serge. L’enfant et la peur d’apprendre, Dunod, Paris, 1999
-
de La Garanderie, Antoine. La motivation , Son éveil, son développement,
Bayard éditions, 1996
-
Leperlier, Guy. Réussir sa scolarité, (re)motiver l’élève, Chronique sociale,
2001
-
Meirieu, Philippe. Le choix d’éduquer, ESF
-
Ministère de l’Education Nationale. Qu’apprend-on à l’école primaire ? Les
nouveaux programmes, XO Editions,2002
-
Mémoires de maîtres, paroles d’élèves , Librio
Revues consultées :
-
Le journal des instituteurs, n°1, septembre 1995
-
Le monde de l’éducation, Janvier 2003
23
Annexes
Annexe 1 :
Annexe 2 :
Valoriser les élèves
RESUME :
Je m’intéresse à la nécessité de porter un regard positif sur les élèves, ce qui est
étroitement lié à leur réussite, et notamment de reconnaître et faire valoir leurs
mérites. Félicitations verbales, encouragements à l’effort, récompenses sont des
méthodes que j’ai observées en Angleterre pour stimuler les élèves. J’en ai repris
certaines lors de mon stage en maternelle. J’en étudie aussi les effets et les
limites.
MOTS CLES :
Motivation / réussite scolaire / relation maître-élève / évaluation formative /
confiance