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Chaque portrait du corpus comporte, en nombre variable, des traits réalistes.
• Balzac, chef de file du courant réaliste, est celui qui s’appuie le plus sur le
réel et donne l’impression de voir le personnage dans toute sa vérité. Il multiplie les détails physiques, s’attarde sur « le visage », le « front », le « nez », le
« menton », les « yeux » et qualifie par des adjectifs descriptifs chacune de
ces parties : le front est « chauve, bombé, proéminent, retombant en saillie »,
les yeux sont « vert de mer ternis en apparence par l’âge ». Puis, son regard
s’abaisse sur le corps « fluet et débile » et le costume avec sa « dentelle » et
« le pourpoint ». Il précise aussi le cadre de la rencontre, dans « un escalier ».
Le portrait progresse en focalisation interne : la scène est essentiellement
perçue à travers les yeux intrigués du jeune peintre Nicolas Poussin, un
regard précis, attentif aux détails que son pinceau devrait rendre.
• Zola s’appuie un peu moins sur le réel ; il s’attarde moins sur le physique
de Goujet, ses « cheveux courts », son « front bas », sa « barbe jaune », sa
« poitrine vaste » ; il décrit davantage les outils du forgeron, ses techniques
de travail, la façon dont il lance le « marteau de haut, à grandes volées
régulières », le matériau et l’objet qu’il forge (« le fer rouge » et « la tête du
boulon ») ; en écrivain naturaliste, il associe l’homme à son milieu. La scène
est vue à travers les yeux admiratifs de Gervaise et il semble qu’on entende
les commentaires que la blanchisseuse se fait à elle-même, avec son style
familier et populaire : Goujet, pour elle, est « un gaillard », « beau […]
comme un Bon Dieu », « sans mentir » !
©HATIER
• Hugo et Proust donnent peu de détails réalistes : on sait que Gwynplaine,
est « saltimbanque » et que son visage est figé dans « un rictus »
permanent.
Proust mentionne les « mèches blanches » du duc de Guermantes, le « gris
plombé [de ses] joues raides », ses « yeux qui voyaient à peine » ; or ces
détails, communs à bien des personnes âgées, ne sont pas vraiment suffisants pour individualiser le personnage. Proust se sert de la focalisation
externe et tout est rapporté par le narrateur de La Recherche du temps
perdu, très sensible à l’appartenance sociale et au titre du « duc ; il inscrit le
portrait dans un cadre temporel (« aujourd’hui ») et lui donne un arrière-plan
par quelques allusions au mode de vie du duc et à ses relations.
• Ces portraits s’appuient sur la réalité mais ce ne sont pas de simples
« photographies », ils la transposent et la dépassent ; ils jouent sur différents
registres, proposent des images fortes et spectaculaires, se servent des
possibilités expressives de figures de style.
Certains de ces personnages prennent une dimension inquiétante. Le
vieillard de Balzac a quelque chose « de diabolique » et Nicolas Poussin se
demande s’il n’est pas quelque spectre échappé d’un tableau : il lui trouve
une « couleur fantastique ». Proust parle aussi de « teintes fantastiques » à
propos du duc de Guermantes dont il fait un quasi-mort vivant, tant « la
proximité de la mort » marque ce personnage singulier, métamorphosé, par
une métaphore filée marine, en « rocher dans la tempête ».
Pour rendre compte de l’étrangeté fantastique de « l’homme qui rit » malgré
lui, Hugo multiplie les figures d’opposition et les antithèses : « sa face riait,
sa pensée non », « s’il eût pleuré, il eût ri » (l’expression est proche de l’oxymore) et finit par une métaphore spectaculaire qui est aussi un oxymore :
« Qu’on se figure une tête de Méduse gaie. »
Goujet, lui, prend une dimension épique : véritable « montagne » de muscles, il se transfigure en divinité toute d’« or », tel un Vulcain des faubourgs.
• Ces personnages prennent aussi la dimension d’une œuvre d’art, peinture
ou sculpture. Le vieillard de Balzac semble sorti d’un tableau de Rembrandt
et c’est des « noirceurs effrayantes » de la « palette » de la vieillesse et de la
mort que le duc tire « le gris plombé de ses joues ». Le duc est aussi
comparé à un buste sculpté, une « de ces […] têtes antiques » appréciées
des amateurs d’art. Zola s’inspire de la sculpture pour décrire Goujet avec
« [ses] épaules et [ses] bras sculptés qui paraissaient copiés sur ceux d’un
géant, dans un musée ». Gwynplaine peut être vu comme une œuvre d’art
« admirablement réussi[e] » et Hugo reste dans le domaine de la sculpture
quand il le compare à « une tête de Méduse gaie »…
• Tout romancier se sert du réel, mais le modifie. Souvent, la transfiguration
artistique permet au lecteur de s’imaginer le mieux le personnage.
©HATIER