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Cheikh al Arab
Bibliographie
1
Mohamed Louma, Oustourat Cheikh Al Arab (la Légende Cheikh Al
Arab), Kénitra, Imprimerie Rapide, 2003.
Moumen Diouri, Réalités marocaines : La dynastie alaouite, de
l'usurpation à l'impasse, Paris, 1988.
Maâti Monjib, La Monarchie marocaine et la lutte pour le pouvoir,
Paris, l’Harmattan 1992.
Le Petit Marocain, numéro du 8 août 1964 et des jours suivants.
On est en juin 1964 à Tanger. Le policier Mhammed Faouzi est
convoqué à Rabat par les services d’Oufkir. Celui-ci envoie à sa
recherche un nombre impressionnant d’officiers et d’agents du CAB1.
Quatre voitures sont nécessaires pour mener à bien la mission dont le
directeur de la DGSN s’occupe personnellement. En quel honneur, ce
simple policier reçoit-il tout cet intérêt de l’homme le plus puissant du
Maroc après Hassan II ?
Monsieur Faouzi est un ancien résistant. Comme beaucoup d’autres
membres de l’Armée de libération et des groupes de Résistance, il est
intégré comme policier au sein de la Sécurité nationale, suite à
l’indépendance du Maroc. Caractéristique spéciale : c’est le frère de
Hmad Faouzi, plus connu sous son nom de guerre Cheikh al Arab.
De fait, tout ce que compte le Maroc comme services de sécurité,
aussi bien secrets qu’officiels, sont sur les nerfs car ils n’arrivent pas à
mettre la main sur celui qui est considéré comme l’homme armé le
plus dangereux du royaume. Ils ont la certitude qu’il est rentré de son
court exil algérien depuis plusieurs mois, qu’il est en contact actif
avec ses dizaines de cellules armées dans le cadre d’une mobilisation
générale de ses hommes. Mais les services ne savent ni où il se trouve
ni quels sont ses objectifs immédiats. Las, Oufkir décide de s’attaquer
à ce qu’il considère comme le maillon faible de l’organisation de
Cheikh al Arab : sa famille éparpillée au Maroc et son clan à Agoulliz,
une petite localité du Souss. C’est dans ce cadre que le directeur de la
DGSN, décide, pour en avoir le cœur net, de « recevoir » dans l’un de
ses bureaux à Rabat, le propre frère du wanted numéro 1 du royaume.
Oufkir tire sur le frère de Cheikh al Arab
Il séjourne deux jours dans un centre de torture à Rabat et qui est très
probablement Dar El Moqri. Il peut entendre les cris des torturés et
autres suppliciés mais personne ne le touche ni lui parle. S’agit –il tout
simplement de le mettre en condition avant qu’il ne soit conduit
devant le colonel Oufkir ?
« J’étais très étonné de me trouver face à face avec le colonel
Mohammed Oufkir qui était attablé à son bureau officiel. Il se servait
d’une bouteille de whisky depuis le petit matin. 1
Après un moment de silence et alors que je suis debout devant lui, il
s’adresse à moi : « Ne sais-tu pas où se trouve en ce moment ton frère
(Cheilk al Arab) ? Je lui réponds que « non ». Il se met en colère tout
en se servant à boire de sa bouteille : « vous êtes une famille de
traîtres, ennemis du roi et de la patrie. Nous saurons comment vous
punir ! Il faut que tu collabores avec nous en tant que policier (...).
C’est dans ton intérêt ! Que dis- tu ? ». Je lui ai immédiatement
répondu, choqué par son insolence (…) : « Mon colonel : nous
sommes une famille de patriotes qui avions combattu pour le retour de
la famille royale de son exil. Nous ne sommes pas des traîtres comme
vous le savez très bien ! » Avant même que je ne termine ce que je
disais, Oufkir qui eut l’air de devenir fou, ouvrit très rapidement un
tiroir. Je compris de tout de suite qu’il s’emparait d’une arme à feu.
Dieu m’inspira à cet instant de grande tension. Je me suis jeté
immédiatement par terre avant d’entendre une longue salve qui me
visait. Il s’agissait d’une mitraillette MAT 49. »
Il faudrait rappeler qu’Oufkir interrogeait le frère de Cheikh al Arab
en présence du commandant Ahmed Dlimi, du célèbre Achâachi et
d’autres officiers.
1
Mohamed Louma, Oustourat Cheikh Al Arab (la Légende Cheikh Al Arab), Kénitra, Imprimerie Rapide, 2003,
p.166.
L’on peut se poser la question : pourquoi les plus hautes autorités
sécuritaires du pays se donnent tant de mal pour mettre la main sur
Cheikh al Arab ?
De fait, depuis la dislocation de l’Armée de libération-Sud (ALS)
commencée par l’opération franco-espagnole dite Ecouvillon en
février 1958 puis achevée par le prince Hassan chef d’état-major des
FAR, fin 1959-début 1960, Cheikh al Arab est l’homme qui a montré
le plus d’opiniâtreté et de suite dans les idées pour reconstruire ladite
armée. Son objectif est double : achever de libérer le reste du Maroc et
du Maghreb encore sous occupation étrangère et « libérer le peuple »
marocain qui quelques années après l’indépendance tombe, selon ses
dires, sous la domination des traîtres et des corrompus. Ce
positionnement radical va se renforcer suite au tournant autoritaire et
pro-occidental pris par le Maroc après la montée sur le trône du roi
Hassan II.
Du douar natal à Rabat
Mais avant d’aller plus en avant dans la description de l’itinéraire
exceptionnel de l’homme et de ses choix politiques, revenons un peu
en arrière pour jeter un bref regard sur ses origines et son enfance.
Cheikh al Arab est originaire du Sud-Ouest. Il est né vers 1929 dans la
tribu des Ahl Tata et plus précisément à Agoulliz, un douar amazigh
qui entrera dans l’histoire grâce à son célèbre natif. Son père
Mohammed Ben Brahim Bouchlaken et sa mère Khadija bent Said lui
choisissent comme prénom Hmad (version amazighe d’Ahmed).
Mohammed Ben Brahim est un fqih. Il émigre, avant son mariage, à
Tindouf pour y ouvrir une petite épicerie avant de mettre le cap sur le
nord comme nombre de ses contribules. Il s’installe pendant quelques
années dans le quartier Akkari à Rabat où il exerce le même métier.
Hmad apprend les rudiments du coran e de la langue arabe dans les
écoles traditionnelles de sa région avant de rejoindre son père à Rabat
à pied alors qu’il n’a qu’une dizaine d’années. Il aide son père à tenir
l’épicerie tout en perfectionnant son arabe classique et son savoir
religieux auprès d’un fqih respecté de Rabat. Il travaille quelque
temps au sein l’ensemble scolaire Mohammed V avant de trouver un
travail régulier et relativement bien payé comme cuisinier à l’école
Guessous. Le fondateur de celle-ci n’est autre que le leader
nationaliste Ahmed Balafrej.
C’est à cette époque qu’il commence à s’intéresser à la politique. Il
participe alors qu’il n’a que quinze ans aux manifestations du 29
janvier 1944 qui sont réprimées dans le sang par les forces de l’ordre
coloniales. Il contribue également à réunir les cotisations des
commerçants originaires du Souss, nécessaires pour le fonctionnement
de l’école Guessouss dont il devient l’un des employés administratifs
durant l’emprisonnement puis l’exil de son fondateur.
A la fin des années quarante, Hmad prend une décision qui reste sans
explication jusqu’à aujourd’hui. Lui le nationaliste, passe un concours
pour devenir policier dans le cadre de l’administration coloniale. Cela
étonne son entourage et provoque la colère de son père qui pense que
son fils aurait mieux fait d’ouvrir une boutique comme les autres
membres de son clan.
Pourquoi une telle décision ? S’agit-il de s’initier au maniement des
armes ? L’on peut être tenté par une telle interprétation quand on sait
qu’après quelques mois d’entraînement passés en Tunisie, il retourne
au Maroc et réintègre l’école nationaliste Guessous.
Un engagement nationaliste et puritain
Selon son biographe Mohammed Louma, Cheikh al Arab devient très
actif politiquement après son retour de Tunisie. Ainsi il participe à
l’organisation des manifestations dans le quartier Akkari suite à
l’assassinat du syndicaliste tunisien Ferhat Hached au début du mois
de décembre 1952. Il prend des contacts également dans sa région
natale afin que les dignitaires locaux du Makhzen ne signent pas la
pétition initiée par Leglaoui et qui demande aux autorités du
Protectorat de déposer Mohammed V.
Au tout début de 1953, Cheikh Al Arab qui porte le pseudonyme de
Ahmed Loudiyi constitue un groupe armé dont le noyau dur est formé
par les membres de son clan à Agoulliz. Un autre groupe voit le jour
dans l’enclave espagnole Sidi Ifni. Quelques mois plus tard, il met sur
pied plusieurs cellules armées à Rabat dont certains membres sont
bien plus instruits que lui. Les principales cibles de ces noyaux armés
sont les collaborateurs marocains des autorités coloniales. Ayant des
penchants fondamentalistes, Cheikh al Arab vise aussi parfois les
commerces qui vendent aux musulmans l’alcool et le tabac.
Du fait de son activisme armé acharné et de l’efficacité de ses réseaux
de soutien financier, les services secrets mettent les bouchés doubles
pour mettre la main sur Loudiyi et ses hommes. Plusieurs de ces
derniers tombent dans les pièges que leur tendent la police durant la
première moitié de 1954. Traqué partout à Rabat, Cheikh al Arab se
dirige vers sa région natale où il se sent plus en confiance. Il y est
pourtant arrêté au début du mois de juin 1954. Il restera en prison
jusqu’au mois de mai 1956 notamment à la Maison centrale de
Kénitra où il reçoit de la part de ses codétenus le surnom de Cheikh al
Islam -qui devient plus tard Cheikh al Arab- en raison de son
observance stricte des prescriptions religieuses et de sens aigu de la
solidarité entre musulmans. Radical, il refuse d’être défendu par un
avocat français même s’il s’agit du libéral pro marocain, maître
Buttin (le père de Maurice Buttin le futur avocat de la famille Ben
Barka). Il refuse également la proposition du tribunal d’accepter
Ahmed Réda Guédira comme conseil légal à cause de l’opposition de
celui-ci à la violence nationaliste. Dès sa sortie il se dirige vers le sud
pour participer comme cadre à l’organisation de l’Armée de
libération-Sud. Mais il est à la fois apprécié par ses subordonnés pour
son abnégation et craint par ses supérieurs à cause de son orgueil
démesuré et de ses méthodes expéditives. Il tue plusieurs anciens
collaborateurs et/ou confisquent leurs biens. Il liquide également à
Agadir l’officier qui avait tué Allal ben Abdellah lors de la tentative
d’assassinat du sultan Ben Arafa. Le commandement de l’ALS finit
par le congédier
Le desperado
Au début de 1960, il refuse de déposer les armes comme le fait la
majorité des membres de l’ALS. La police de Laghzaoui puis celle
d’Oufkir le traquent partout au Maroc mais ne parviennent pas à
l’arrêter. C’est au début donc des années soixante où Cheikh al Arab
devient une véritable légende. Partout dans le Souss mais également à
Casablanca et Rabat on raconte dans les cafés ses mille ruses pour
échapper toujours in extrémis aux agents du CAB 1 qui sont lancés à
ses trousses. D’ailleurs plusieurs agents qui le connaissent détournent
le regard ailleurs quand ils le rencontrent, qui par sympathie, qui par
crainte d’une vengeance assurée. Aussi il parvient à rendre visite, au
nez et à la barbe des geôliers, à ses militants emprisonnés à Kénitra et
Casablanca. De même, il se rend en personne dans la propre villa de
Mohammed Oufkir afin de persuader le cuisinier de celui-ci -qui était
membre de son groupe de résistance à l’époque coloniale- de
collaborer à l’enlèvement du colonel.
Selon son camarade d’armes Moumen Diouri, Cheikh al Arab finit par
devenir républicain et les dizaines de cellules armées qu’il implante un
peu partout au Maroc durant les années 1961-63 ne visent pas moinse
que le renversement du régime Hassan II. D’ailleurs, selon plusieurs
témoignages, il rencontre, dans le plus parfait secret et à deux reprises
en 1963, Mehdi Ben Barka qui commence à se poser, à l’époque, des
questions quant l’efficacité de la voie pacifique pour contrer les
méthodes violentes d’Oufkir.
Les activités subversives du Cheikh sont utilisées comme prétexte par
le régime pour régler son sort à l’Unfp. Le 16 juillet 1963, la majorité
de la direction politique de celle-ci et des milliers de membres sont
mis à l’ombre sous l’accusation de complot contre l’ordre établi.
Cheikh al Arab quitte en ce moment le royaume pour se réfugier en
Algérie. Il parvient à obtenir dans ce pays des quantités importantes
d’armes qu’il réussit à introduire au Maroc au printemps 1964.
Durant l’été de la même année l’étau policier se resserre autour du
Cheikh à Casablanca. A l’aube du 7 août 1964, il est encerclé chez son
ami Mokhazni nommé Annajjar dans le quartier populaire Sidi
Otmane. Oufkir participe en personne à l’opération. Le Cheikh et ses
camarades opposent une résistance acharnée. Cheikh al Arab quitte la
maison de son fidèle ami en se protégeant par des salves fournies. Il
jette une grenade en face de lui pour couvrir sa fuite mais celle-ci
n’explose pas. Il se jette par terre et se tire une balle dans la tête afin
de protéger les secrets et les hommes de son organisation. Oufkir
reçoit les félicitations appuyées de Hassan II qui le nomme, deux
semaines plus tard, ministre de l’Intérieur.

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