Étude des pratiques innovantes en matière de restructuration en

Transcription

Étude des pratiques innovantes en matière de restructuration en
Étude des pratiques innovantes en matière de
restructuration en Europe
Les restructurations d’entreprises et leur impact sur la santé : exemples
d’approches innovantes en entreprise
Thomas Kieselbach et Debora Jeske
Institute for Psychology of Work, Unemployment and Health (IPG), Universität
Bremen
Ce rapport a été réalisé dans le cadre du projet MIRE « Monitoring Innovative Restructuring in
Europe » qui a pour objet d’étude les pratiques innovantes en matière de restructuration en
Europe. Coordonné en Allemagne, ce travail est le résultat de la coopération entre l’IPG
(Institute for Psychology of Work, Unemployment and Health à l’université de Brême) et l’IAT
(Institut Arbeit und Technik de Gelsenkirchen). Le projet MIRE a pour but de repérer dans un
premier temps des exemples de pratiques innovantes en matière de gestion des restructurations
en Europe, puis d’organiser un transfert de connaissances via des échanges sur le plan
international. Ce projet est financé par le Fonds Social Européen (FSE), Article 6.
Afin d’atteindre les objectifs mentionnés ci-dessus, chaque pays participant (l’Allemagne, la
Belgique, la France, la Suède et le Royaume-Uni) a mis en place à l’échelle nationale des
réseaux d’experts qui se sont rencontrés et se sont rapprochés au cours du projet. Chaque pays
a conduit des études de cas qui illustrent les « bonnes pratiques » au niveau national en matière
de processus innovants de restructuration.
Dans le cadre du projet MIRE, l’IPG est chargé d’étudier les effets des restructurations
d’entreprises sur la santé et de rendre compte par le biais de ce rapport de l’existence de
pratiques innovantes pour les minimiser. Afin que nos lecteurs puissent bien comprendre les
différentes étapes d’émergence et de mise en œuvre de ces nouvelles initiatives, nous avons
accordé une importance toute particulière à la description du processus.
Thomas Kieselbach et Debora Jeske
Institute for Psychology of Work, Unemployment and Health (IPG)
Universität Bremen
Grazer Str. 2
D-28359 Bremen
E-mail : [email protected]
E-mail : [email protected]
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Table des matières
Résumé ...............................................................................................................................3
1. Innovation, santé et restructuration ...................................................................................6
2. Initiatives innovantes dans des entreprises en cours de restructuration ............................ 13
2.1. La promotion de la santé dans les cas de suppressions d’emplois : Saint-Gobain
(Allemagne).......................................................................................................... 14
2.2. La réadaptation pendant la période de préavis : Ericsson (Suède) .......................... 17
2.3. Le reclassement, ses défis et ses mécanismes d’aide : TeliaSonera (Suède) ........... 22
2.4. Le suivi de l’état de santé du personnel et les outils de mesure en ligne : British
Telecom (Royaume-Uni) ...................................................................................... 25
2.5. Soutien externe aux employés et initiatives internes de santé : Hôpital Saint-Joseph
de Brême (Allemagne).......................................................................................... 27
2.6. Les nouveaux acteurs sociaux et leurs approches .................................................. 29
3. Conclusion des études de cas .......................................................................................... 30
4. Recommandations .......................................................................................................... 36
4.1. Modifier les pratiques actuelles des entreprises ..................................................... 36
4.2. Les rôles potentiels des acteurs sociaux, nouveaux et existants.............................. 38
4.3. Certification et normalisation................................................................................ 39
4.4. Législation............................................................................................................ 39
4.5. Le besoin de nouveaux concepts et de nouvelles initiatives de recherche en Europe
41
5. Conclusion ..................................................................................................................... 42
Références bibliographiques ............................................................................................... 43
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Rés umé
Ce rapport comprend l’analyse de différentes initiatives de promotion de la santé dans le cadre
de restructurations qui figuraient dans plusieurs études de cas du projet MIRE. Les cinq
initiatives que nous avons étudiées montrent comment la santé peut devenir un enjeu crucial
avant ou pendant la phase de restructuration, enjeu qui doit être pris en compte par l’entreprise,
ses conseils ou toute autre institution responsable de la mise en œuvre, du soutien ou du
financement du processus de restructuration. Ce genre d’initiatives permet alors à ces acteurs
d’aborder de front le problème du chômage et de la santé avant, mais aussi pendant la phase de
restructuration. Parmi les exemples présentés dans ce rapport figurent : des programmes de
réadaptation conçus pour améliorer les chances de réintégration des salariés malades ; des
groupes de travail visant à augmenter la prise en compte de la santé dans les restructurations de
manière à réduire le stress et les problèmes de santé à la suite d’un licenciement ; une aide
sociale et psychologique dans les cas de reclassement ; un suivi de l’état de santé des salariés et
des initiatives internes mises en œuvre pour réduire le stress et augmenter la prise en compte de
la santé ; de nouvelles méthodes de prévention telles que des outils de mesure du stress et de
suivi de l’état de santé accessibles aux salariés et permettant à l’entreprise de comparer le
niveau de stress entre conditions normales de travail et périodes de restructuration.
Pour que les acteurs sociaux acceptent plus facilement les restructurations et la promotion de la
santé, les entreprises doivent envisager les restructurations comme un processus « naturel » de
leur développement. Cette approche leur permettrait alors de les gérer de manière proactive. En
effet, en envisageant les restructurations comme partie intégrante d’un processus continu à long
terme, et non plus comme un « accident » ou une «crise», les entreprises pourraient agir de
manière consciencieuse et responsable vis-à-vis des acteurs sociaux et éviter la situation de
gestion de crise. Par ailleurs, les restructurations et la promotion de la santé ont besoin d’être
intégrées dans le développement organisationnel des entreprises. Ces dernières doivent aborder
les problèmes potentiels relatifs à l’organisation de la production ou aux salariés dans leur
projet de développement stratégique afin de faire preuve de plus de souplesse en période de
changement. En prenant en compte les préoccupations des salariés, à savoir le stress et
l’employabilité, dans un développement organisationnel centré particulièrement sur la
pérennité des compétences et la productivité, l’entreprise élargit son éventail d’options et celui
de ses employés en cas de restructuration.
Ces pré-requis montrent en creux les fréquents obstacles issus des préjugés des acteurs sociaux,
du cloisonnement traditionnel des champs de responsabilités et des caractéristiques sectorielles.
La rareté des initiatives de promotion de la santé mises en place avant, pendant ou après la
phase de restructuration illustre bien le manque d’approches innovantes en matière de santé en
dehors des formations à la santé et à la sécurité ou des programmes plus généraux d’aide aux
employés, les PAE. La santé est souvent considérée comme une question secondaire par les
salariés et par les entreprises malgré les recherches qui ont établi un lien entre les
caractéristiques de l’environnement de travail, l’information en matière de santé aux niveaux
individuel et collectif, le soutien social et psychologique, d’une part, et les effets de la précarité
de l’emploi et de l’incertitude sur la performance et l’efficacité, d’autre part. Au contraire, la
position actuelle des entreprises risque d’entraîner la médicalisation et l’individualisation des
questions de santé, comme l’ont fait remarquer les syndicats et les comités d’entreprise. Les
restructurations sont susceptibles de déclencher des problèmes de santé déjà existants ou
d’entraîner la chronicisation d’antécédents médicaux. Les périodes d’instabilité et de
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changement dans l’organisation de l’entreprise affectent la confiance des salariés et leur
sentiment de justice. Les employeurs partent du principe que les salariés seront capables de
gérer seuls leur transition professionnelle. La promotion de la santé sur le lieu de travail avant
une réduction des effectifs ou des licenciements crée une projection positive dans le temps qui
permet aux salariés comme aux entreprises de mieux gérer le changement en développant de
nouvelles perspectives d’emploi. Malgré ces avantages, la grande majorité des services de santé
au travail n’offrent pas d’initiatives de promotion ou de prévention en matière de santé.
Si l’absence de connaissances spécifiques sur les effets des restructurations sur les salariés
licenciés ou rescapés des plans sociaux est un début d’explication, le manque d’intérêt de
nombreux acteurs sociaux, publics comme privés, a certainement aussi sa part de responsabilité
dans la situation actuelle.
Les recommandations et démarches suivantes concernent les lois, les approches
organisationnelles et la participation des acteurs sociaux. Elles sont nécessaires pour sortir les
entreprises européennes du statu quo.
-
La modification des pratiques actuelles des entreprises représente une première étape vers
l’intégration d’un plus grand nombre d’initiatives relatives à la santé dans le processus
complet de restructuration. Cela nécessitera des approches multiacteurs, d’une part, des
organismes publics et privés extérieurs (par ex. l’agence nationale pour l'emploi, les
services de santé au travail, des associations professionnelles) et, de l’autre, des
responsables du développement organisationnel, du CHSTC (comité d’hygiène, de sécurité
et des conditions de travail) et des ressources humaines au sein de la compagnie. Toutefois,
les salariés doivent avoir la possibilité d’exprimer leur point de vue, devenant ainsi des
acteurs à part entière du dialogue social sur la question de la santé au travail. Un accès plus
large aux avantages et aux initiatives en matière de santé pendant le temps de travail est
nécessaire. Les PME doivent aussi pouvoir davantage profiter de conseils professionnels et
participer aux initiatives. La deuxième étape concerne la redéfinition nécessaire de la santé
au travail au-delà de l’hygiène et la sécurité, de la gestion des accidents du travail et du
diagnostic des maladies professionnelles. Un certain nombre de « nouveaux pionniers » et
d’acteurs existants pourraient se révéler de précieux collaborateurs pour ces dirigeants
responsables de gérer le processus de restructuration. Ils pourraient aussi offrir une
formation aux salariés vulnérables (par exemple ceux ayant des antécédents médicaux), et
développer l’accès à l’information sur la promotion de la santé dans les PME. Ces acteurs,
en particulier les pionniers dont on a un réel besoin (cf. les exemples dans le rapport),
devraient bénéficier d’un soutien aussi bien au niveau national qu’européen. Mettre en
place des initiatives à l’échelle locale avec l’aide des chambres de commerce ou d’autres
associations est une étape de plus pour modifier les pratiques organisationnelles.
-
La certification et la standardisation des programmes de formation en matière de santé
actuellement disponibles ne se contentent pas de changer les pratiques organisationnelles ;
elles encouragent les nouveaux acteurs et ceux déjà sur le terrain à mettre en œuvre, à
soutenir et à promouvoir des initiatives relatives à la santé. L’adaptation des outils de
promotion de la santé aux exigences de l’environnement organisationnel en mutation est
nécessaire pour dépasser la traditionnelle approche par les risques. De plus, des certificats
d’excellence pourraient faciliter l’introduction de ces initiatives et accroître la
sensibilisation aux questions de santé dans les entreprises. La participation des comités
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d’entreprise et des syndicats au dialogue social en ces temps d’incertitude est une avancée
significative pour la confiance, la santé et le sentiment de justice des salariés : leur
engagement aux objectifs du processus de restructuration auxquels ils ont donné leur accord
rend les transitions plus faciles.
-
La législation est étroitement liée à la standardisation et à la certification. Par exemple, il
apparaît nécessaire de réviser les critères actuels concernant le rôle très limité des médecins
du travail pour pouvoir s’étendre au-delà du contrôle annuel des lieux de travail à risque.
Les médecins du travail devraient pouvoir s’impliquer au côté des délégués des services de
santé et de sécurité dans l’évaluation des risques et les initiatives relatives à de santé. Une
autre démarche proactive serait de mettre en place des mesures qui réclameraient à tous les
organismes de santé (qu’ils soient publics ou privés comme les mutuelles d’entreprises) de
fournir des statistiques annuelles permettant aux entreprises et aux instances nationales de
contrôler la santé de plus près. En outre, modifier les règles actuelles en matière de santé en
y incorporant une clause obligeant ces acteurs à ajouter à leurs services l’introduction, le
financement et le suivi de ces mesures de prévention de santé redéfinirait et redistribuerait
davantage les responsabilités en matière de prévention et de promotion de la santé. Cela
permettrait aussi de dépasser l’approche clinique traditionnelle qui se limite aux problèmes
physiologiques de santé au travail.
-
Afin d’appliquer les recommandations susmentionnées, de nouveaux efforts de recherche
doivent être entrepris (p. ex. le 7e PCRDT, FP 7). L’évaluation des effets des
restructurations sur la santé, l’importance de l’employabilité et l’introduction de nouvelles
recommandations en matière de législation, autres que celles déjà mentionnées, sont des
objets d’études prioritaires. La santé doit devenir un aspect central de l’emploi tout comme
la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Par ailleurs, la santé doit figurer au
programme des organismes et des associations européennes tels que les comités
d’entreprise européens (CEE) et les initiatives d’entreprises financées par l’Union
européenne afin d’encourager un discours public plus positif. L’amélioration des pratiques
en matière de gestion des ressources humaines doit faire l’objet d’efforts particuliers
notamment en ce qui concerne la réduction des facteurs négatifs de stress, le maintien ou
l’élargissement des systèmes d’aide et de prise en compte des rescapés des licenciements.
En conclusion, la promotion de la santé au travail doit être reconnue comme une valeur
concurrentielle nécessaire pour éviter aux entreprises le cercle vicieux des restructurations qui
mènent de manière contre-productive à une perte de productivité (comme l’a démontré le projet
de recherche SSER sur les restructurations socialement responsables menée par l’OIT et
d’autres experts impliqués dans le projet MIRE). Surmonter les barrières du changement
organisationnel, inclure la santé dans le concept de RSE, désindividualiser la santé au travail,
accompagner les employés en période de transition professionnelle sont autant de facteurs
importants pour éviter les effets potentiels d’hystérésis à long terme qui peuvent résulter d’une
exclusion de longue durée du marché du travail.
Le rapport suivant et les cas d’études innovants montrent comment les entreprises et les
acteurs, qu’ils soient différents, nouveaux ou déjà établis, peuvent jouer un rôle prépondérant
en faisant de la santé un point clé du fonctionnement organisationnel dans le processus de
restructuration.
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1. Inno v ati on, sa nté e t res tr uc tur a ti on
Les restructurations aujourd’hui visent généralement à améliorer la performance de
l’entreprise, souvent par une réduction de la masse salariale en lien avec des changements
structurels. Toutefois, l’efficacité organisationnelle est souvent l’un des aspects mis à mal
avant, pendant et après un tel processus, au point que la réduction des effectifs entraîne une
perte d’efficacité plutôt qu’un gain. Les méthodes traditionnellement utilisées pour évaluer
l’efficacité d’un plan social du point de vue des entreprises sont clairement inadaptées pour
comprendre et gérer l’impact de ce processus sur tous les acteurs tels que les employés et les
collectivités locales (SHAW et BARRETT-POWER, 1997). Ces outils de mesure renvoient
généralement aux indicateur de performance tels que la profitabilité, la productivité, la
rentabilité des investissements, la satisfaction du client, etc. Cependant, les retombées pour ces
salariés licenciés ou affectés par le processus de restructuration produisent un nouveau facteur
de coût qui doit être pris en compte au travail et dans la société. Les restructurations revêtent
une nouvelle dimension au-delà des connotations financières et politiques à savoir, les
conséquences et les implications des restructurations sur la santé de ceux qui sont directement
ou indirectement affectés par le processus.
Par le passé, les recherches en santé du travail ont été principalement menées en relation avec
les risques physiques évidents pour la santé des individus, en se concentrant sur les besoins
ergonomiques et physiques des employés au travail. L’Allemagne en est un exemple ; la
législation en place favorise un mécanisme coopératif de résolution des conflits pour
contrebalancer le large consensus professionnel et sociétal. La santé et la sécurité au travail
sont réglementées par le code national du travail ainsi que par la loi de sécurité sociale.
Toutefois, ces règles de prévention d’accidents se concentrent sur la prévention d’accidents du
travail et des maladies professionnelles (BEERMAN, KUHN et KOMPIER, 1999). Si la prévention
des problèmes physiologiques de santé est au centre de la réglementation, ce n’est pas le cas
des conséquences du stress lié à la pression mentale et à la souffrance émotionnelle dans une
entreprise en mutation.
Chaque entreprise a ses propres facteurs de stress. Ceux-ci peuvent être dus à l’environnement
de travail (p. ex. délais dus à un manque de matériaux, perturbations et charrettes qui en
découlent ; facteurs physiques de stress tels que le bruit, la chaleur, la poussière), au temps de
travail (p. ex. travail par équipes, horaires flexibles, temps partiel), aux caractéristiques propres
du poste et ses causes potentielles de stress liées à la charge de travail (HACKER et RICHTER,
1980). À cela viennent s’ajouter deux facteurs potentiels aggravants : l’absence de contrôle et
la plus grande ambigüité des rôles (MOHR et UDRICH, 1996). Les restructurations fréquentes
forcent les entreprises à reconnaître de nouvelles causes de stress telles que : l’incertitude,
l’employabilité, un sentiment de culpabilité vécu de plus en plus de manière individuelle de la
part du salarié qui n’est pas licencié. Ceci pris en compte, tous ces facteurs de stress ont plus de
chances d’être reproduits dans de nouvelles combinaisons et d’avoir un retentissement négatif
sur le personnel, là où les descriptions de poste, les équipes de travail et des départements
entiers auront été modifiés ou supprimés à la suite de restructurations. Il est désormais clair que
les restructurations d’entreprises ont souvent deux types de conséquences pour les salariés : le
licenciement pour les uns ou le maintien dans un environnement de travail modifié pour les
autres, rescapés des licenciements. Si les facteurs de stress sont différents pour chaque groupe,
ils affectent néanmoins le comportement et le bien-être personnel. Nous étudierons d’abord,
dans la partie suivante, les effets du chômage suite au licenciement.
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Les licenciements : effets physiologiques et psychiques du chômage sur la santé
Le chômage a différentes répercussions pour l’individu concerné, sur le plan personnel comme
sur le plan social. On peut noter un changement négatif dans son comportement comme par
exemple une tendance plus élevée à fumer, à consommer de l’alcool, à adopter un mauvais
rythme de sommeil ou à abandonner l’exercice physique. Tous ces facteurs de risques affectent
sa santé à long terme, comme le montre l’étude sur les indicateurs de problèmes de santé chez
les chômeurs tels que des troubles cardiaques et circulatoires (tension artérielle), des troubles
du système immunitaire et des taux de catécholamine et cholestérine (BORMANN, 1992). On
observe une forte augmentation des coûts d’assurance maladie dans l’Union européenne,
principalement due aux maladies psychosomatiques qui sont souvent associées au chômage et à
précarité de l’emploi (GLASER, 2000; cf. aussi KIESELBACH, WINEFIELD, BOYD et ANDERSON,
2006).
Les effets sociaux du chômage sont souvent liés aux changements de comportement décrits cidessus. L’individu se replie sur lui-même, participe à moins d’activités, ce qui le conduit à
s’exclure socialement. Le repli sur soi-même repose sur la croyance que le chômeur ne fait plus
partie de la société en tant que telle, particulièrement dans une société qui définit ses membres
en fonction de leur statut professionnel. Dans une culture qui a souvent tendance à « rejeter la
faute sur la victime », on contraint le salarié licencié à porter la responsabilité de sa situation au
lieu de replacer son licenciement dans un contexte de développements politiques et
économiques. Dans une La nouvelle réalité de la situation, c’est-à-dire la dépendance aux
allocations sociales, est souvent vécue comme une existence honteuse. Là encore, cette
expérience conduit à des sentiments de perte d’estime de soi, de perte d’auto-efficacité et de
perte d’autonomie (KIESELBACH, 2000). Par conséquence, soit les chômeurs se replient
volontairement sur eux-mêmes, soit ils se mettent à fréquenter ceux qui vivent en marge de la
société (KRONAUER, 2002). L’isolement social, la solitude, les repas et le sommeil déstructurés
les rapprochent. Le nombre croissant de visites chez le médecin ou dans les centres de soin est
hautement révélateur des problèmes que vivent les chômeurs (TURTLE et RIDLEY, 1984). Les
problèmes de santé observés incluent des pathologies mentales (dépression, insatisfaction avec
la situation présente, anxiété, sentiment d’impuissance et d’inutilité, piètre estime de soi-même,
résignation au destin, apathie). Inévitablement, le chômage affecte les relations familiales
(avec le conjoint, les enfants) et le cercle social (amis) (KIESELBACH, 1988; KIESELBACH,
LÖDIGE-RÖHRS et LÜNSER, 1998).
En général, les études traitent les adultes et les adolescents au chômage différemment, sur le
principe que le chômage est moins grave chez l’adolescent que chez le quadra- ou le
quinquagénaire qui a une carrière et une identité professionnelle établies. Toutefois,
l’augmentation du taux de chômage chez les adolescents a mis en lumière la question de la
perturbation du développement psychosocial, dont l’aliénation, l’augmentation de
comportements déviants et antisociaux seraient des effets présumés (KIESELBACH, 2000). Alors
que les restructurations n’affectent pas directement ces adolescents sans emploi, leurs chances
de recrutement déclinent avec la durée du chômage, réduisant ainsi leur choix d’orientation
professionnelle. Le changement de comportement, l’état de santé et les problèmes psychiques
peuvent à nouveau aggraver la situation. La réintégration du marché de l’emploi est plus
difficile après une longue période de chômage, surtout si le chômage a déclenché des
problèmes de santé. De façon générale, le chômage a tendance à avoir des effets néfastes sur la
santé des gens (MURPHY et ATHANASOU, 1999; PAUL et MOSER, 2001; KASL et JONES, 2000;
ZEMPEL, BACHER et MOSER, 2001).
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Réchapper des restructurations : effets physiologiques et psychiques sur la santé
Les restructurations et les changements organisationnels affectent non seulement ceux qui sont
licenciés mais aussi ceux qui restent. Ces salariés ne sont pas forcément mieux lotis pour la
seule et unique raison que contrairement à ceux qui ont perdu leur emploi, ils semblent avoir
été épargnés par le plan social. La réduction des effectifs, en particulier, est vécue par les
rescapés comme un processus difficile et douloureux, conduisant à un sentiment accru
d’insécurité, à des problèmes de santé, à une augmentation du stress et à une baisse de
motivation. Là encore, cela se voit dans une baisse de la productivité (KIESELBACH, 2006). Une
hausse du taux d’absentéisme, un dévouement réduit vis-à-vis de l’entreprise, une baisse de
prise de risques, une résistance à d’autres changements et un investissement moindre dans le
travail sont d’autres indicateurs d’alerte. Ces comportements varient souvent selon la phase de
transition professionnelle où le salarié se trouve : préparation, confrontation, ajustement ou
stabilisation (NICHOLSON et WEST, 1988). De plus, les rescapés des plans sociaux constatent
souvent que leur travail a subi de profondes modifications ; la surcharge, l’ambiguïté et le
conflit des rôles reviennent souvent dans les témoignages (TOMBAUGH et WHITE, 1990). Il
arrive que des modifications de poste s’accompagnent de troubles musculosquelettiques
(TMS), surtout dans les cas où la charge de travail physique est accrue. Une réduction de la
latitude décisionnelle et de la sécurité de l’emploi sont en outre des facteurs de stress pour
l’individu concerné (KIVIMÄKI, VAHTERA, FERRIE, HEMINGWAY et PENTTI, 2001). La réduction
des effectifs implique des changements néfastes de facteurs psychosociaux, et par conséquence
un grand stress psychologique. THORNHILL et SAUNDERS (1998) ont décrit les principaux états
psychologiques et réactions comportementales communs aux rescapés. Parmi les états
psychologiques, on note des sentiments négatifs tels que la colère, la culpabilité et l’incertitude,
mais ils s’accompagnent en outre d’une hausse du stress lié au travail, de la prise de conscience
de la précarité de l’emploi, d’un manque de satisfaction au travail et d’une baisse
d’investissement au sein de l’entreprise.
Les conséquences personnelles et sociales du stress et de l’impression de précarisation de
l’emploi suite à une restructuration (avec un plan de licenciements) peuvent entraîner de la
culpabilité, un manque d’engagement et de l’anxiété chez les salariés restants. Ceci est souvent
décrit comme la « maladie des rescapés » (NOER, 1997). L’étude ci-dessus montre que les
restructurations ont un rôle important à jouer au travail. Les raisons sous-jacentes aux
restructurations d’entreprise sont généralement l’amélioration de la compétitivité et des
perspectives d’avenir. Toutefois, les résultats de l’étude montrent que la capacité du salarié à
gérer ce processus ainsi que les répercussions potentielles (changement négatif de
comportement, augmentation des problèmes de santé) représentent un réel obstacle pour toute
entreprise cherchant à réussir son processus de restructuration. KIESELBACH et BEELMANN
(2004) recommandent aux entreprises qui préparent des restructurations et une réduction
d’effectifs d’envisager des initiatives d’assurance santé afin de mettre en place des mesures
préventives de santé avant la réorganisation. Le conseil en transition professionnelle serait un
domaine très important à développer en plus d’offres ciblées de conseil qui insistent sur la mise
en place et l’évaluation systématiques de données afin de détecter les risques de santé,
particulièrement indicateurs de la future morbidité chez les rescapés.
Si on décide d’inclure les réactions des rescapés dans l’évaluation de la réduction des effectifs,
il faut alors en adopter une définition plus générale, comme celle proposée par SHAW et
BARRETT-POWER (1997, p. 109) : « une constellation d’événements facteurs de stress centrés
autour des pressions de réduction d’effectifs qui exige beaucoup de l’entreprise, des équipes de
travail, et des salariés et qui nécessite un processus de coping et d’adaptation. »
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Tendances et nouveaux concepts dans l’organisation et le lieu de travail en mutation
Alors que l’environnement de travail a évolué vers un emploi plus temporaire et précaire, de
nouveaux concepts ont peu à peu dominé la discussion. La précarité de l’emploi et
l’employabilité sont de nouveaux termes pour définir l’environnement de travail et les effets
consécutifs sur les employés ; ils soulignent l’importance croissante de la capacité à vendre ses
compétences professionnelles afin d’accroître ses perspectives d’emploi à long terme.
Le nouvel environnement de travail : la précarité de l’emploi
Le concept psychologique de « précarité de l’emploi » renvoie ici aux inquiétudes concernant
la durée de l’emploi (HARTLEY, JACOBSON, KLANDERMANS et VAN VUUREN, 1991; SVERKE et
HELLGREN, 2002). La précarité de l’emploi a des effets néfastes sur la santé et le bien-être des
salariés (pour une vue d’ensemble, cf. p. ex. DE WITTE, 2000 ; NOLAN, WICHERT et BURCHELL,
2000). La précarité de l’emploi va négativement de pair avec la satisfaction de l’emploi (p. ex.
HELLGREN, SVERKE et ISAKSSON, 1999; HARTLEY et al, 1991). Parallèlement, on observe un
taux plus élevé de syndrome d’épuisement professionnel chez les travailleurs en emploi
précaire (p. ex. DEKKER et SCHAUFELI, 1995). Psychologiquement, leur sentiment général de
bien-être est plus bas aussi. Des études longitudinales confirment que la précarité de l’emploi a
une influence causale sur ces indicateurs (p. ex. BURCHELL, 1994). La précarité de l’emploi
influence aussi les attitudes organisationnelles des employés, affectant par la même aussi
l’entreprise en tant que telle. La prise de conscience de la précarité de l’emploi est souvent liée
à une implication organisationnelle réduite (p. ex. BROCKNER, TYLER & COOPER-SCHNEIDER,
1992; ROSENBLATT, TALMUD et RUVIO, 1999) et une méfiance à l’égard du management de la
société (ASHFORD, LEE et BOBKO, 1989).
La précarité devient réellement un problème dans les cas où un processus de restructuration
comprenait des licenciements perçus par les rescapés comme injustes ou injustifiés. Des
chercheurs ont analysé les antécédents de la précarité de l’emploi et ont mis en cause les
transformations radicales sur le plan économique dans le but de réduire les coûts et augmenter
l’efficacité de l’entreprise. Ces mesures incluent entre autres les processus de restructuration à
grande échelle, la réduction des effectifs, les fermetures d’usines et les privatisations. Ces
interventions s’accompagnent généralement de licenciements collectifs (KOZLOWSKI, CHAO,
SMITH et HELDLUND, 1993). Ces évolutions ainsi que l’augmentation du nombre d’employés
vacataires ont probablement contribué à intensifier ce sentiment de précarité (OCDE, 1997).
La découverte que la précarité de l’emploi affecte aussi l’investissement individuel au sein de
l’entreprise peut donner lieu également à diverses interprétations. Tout d’abord, cela peut être
vu comme une marque de ressentiment de la part du salarié. La certitude quant au devenir d’un
poste constitue un des éléments du contrat psychologique entre l’employeur et l’employé.
Quand cette certitude est remise en cause, il est probable que le salarié veuille combler le
déséquilibre en montrant moins d’intérêt, de motivation et d’engagement (SCHALK et FREESE,
1993).
Ces réactions personnelles aux restructurations suggèrent que les effets psychologiques ou
comportementaux empêchent souvent l’entreprise d’atteindre la structure ou le niveau de
compétitivité visés. On note en particulier la perte des employés qualifiés, le soi-disant « effet
d’écrémage », connu autrement sous le nom de « fuite des cerveaux » (ROSENBLATT et
SHEAFFER, 2001). Les salariés avec de bonnes chances d’employabilité sont davantage
susceptibles d’opter pour un départ volontaire (KIESELBACH, 1997a, 1997b). ROSENBLATT et
SHEAFFER (2001) suggèrent que les indices de fuite des cerveaux au niveau de l’entreprise
incluent la réduction des possibilités d’évolution de carrière ainsi qu’un déséquilibre de la
charge de travail, éléments que l’on rencontre très facilement dans les entreprises en cours de
9
restructuration. Comme nous l’avons déjà dit, ceci peut conduire à l'inverse de l’effet escompté,
c’est-à-dire une baisse de l’efficacité organisationnelle au lieu d’une hausse. Or, la fuite des
cerveaux et une baisse de performance sont particulièrement dommageables lorsque
l’entreprise est déjà sur le déclin ou touchée par la crise. Ceci contraste donc fortement avec le
but initial qu’était la redynamisation de l’entreprise par le biais de restructurations et de
processus de changement (NOER, 1993).
KIESELBACH et BEELMANN (2004) ont fait remarquer que les travailleurs en emploi précaire
sont précisément ceux qui n’ont pas les compétences nécessaires pour trouver un poste
différent sur le marché du travail. C’est là qu’un accompagnement professionnel et des mesures
de soutien mises en place par l’entreprise deviennent un tremplin approprié pour permettre à
ces individus de vivre plus facilement leur transition professionnelle. Mais cela demanderait
des entreprises de revoir leurs objectifs de formation qui ont tendance à se concentrer
seulement sur les lacunes immédiates ou sur l’information relative aux produits. Pour remédier
à cette visée limitée, il faudrait mettre en place un programme de formation plus systématique
et plus étendu qui permettrait aux salariés d’améliorer leurs compétences au-delà de leur
situation particulière. Un autre changement de stratégie est nécessaire pour augmenter la
flexibilité des programmes de formation interne aux entreprises afin de prendre en compte les
besoins et la disponibilité des employés (c.-à-d. permettre à tous les salariés d’y participer
qu’ils travaillent à temps-partiel, par équipes ou en horaires flexibles).
KIESELBACH et BEELMANN (2004) ont dressé un bilan de la précarité en relation avec le projet
SOCOSE (Accompagnement Social et Employabilité Durable : Stratégies Innovantes en
matière d’Aide au Reclassement). Sur le plan personnel, ils ont observé que le statut de
l’individu (chômeur, en emploi précaire ou rescapé de licenciements) influençait ses réactions
et ses stratégies de coping. Pour les chômeurs, l’incertitude quant à leur avenir professionnel
était source de stress (PAYNE, WARR et HARTLEY, 1984). Des interventions permettant aux
salariés de gérer l’incertitude pendant qu’ils sont encore situation d’emploi pourraient être
utiles. Le projet SOCOSE s’est aussi intéressé à la manière dont les salariés réagissaient face à
la précarité grandissante de l’emploi, aux stratégies de coping qu’ils développaient et dans
quelle mesure (si tel était le cas) les entreprises acceptaient leur responsabilité sociale (RSE)
pour leurs actions. Les résultats ont révélé que la précarité de l’emploi a une influence sur les
relations sociales ; la cohésion de groupe se détériore lorsque la méfiance entre chefs et
collègues augmente.La masse salariale est perçue davantage comme source de problèmes et les
salariés modèrent souvent leur comportement afin de réduire le risque de perdre leur emploi (p.
ex. réduction d’absentéisme, augmentation des heures supplémentaires et de la performance au
travail). Cependant, la plupart des gens se contente d’espérer le maintien dans leur poste sans
pour autant adopter une quelconque attitude susceptible de réduire l’incertitude. Peu de gens
cherchent activement à réduire les risques de précarité de l’emploi en cherchant d’autres
opportunités en dehors de leur entreprise; principalement s’ils appartiennent à certains secteurs
professionnels qui nécessitent une formation professionnelle continue pour s’adapter aux
évolutions technologiques de leur travail (p. ex. l’informatique) et à plus forte raison s’ils ont
déjà occupé un emploi précaire. Cette adaptation à la précarité croissante de l’emploi et sa
tolérance se retrouvent aussi chez d’autres employés du secteur du bâtiment, secteur qui
connaît également une forte précarisation des conditions de travail.
Dans le cadre du projet SOCOSE, les personnes interrogées ont aussi expliqué ce qu’elles
attendaient de la part de leur entreprise dans ce contexte de précarité grandissante. En premier
lieu, les salariés attendaient de leur entreprise qu’elle cherche à éviter les licenciements dans la
mesure du possible. Quand les licenciements étaient inévitables, on attendait alors des
entreprises qu’elles apportent une aide aux groupes qui posent le plus de problèmes comme les
10
seniors, en leur proposant notamment une formation continue. Elles pourraient, par exemple,
créer une agence pour l’emploi interne à l’entreprise qui aurait pour mission d’aider tout
particulièrement ceux sur le point d’être licenciés. Le réseau de contacts de l’entreprise avec
ses clients, ses fournisseurs et d’autres compagnies pourrait être une source d’information
précieuse. Une autre attente exprimée par les salariés concernait la nécessité pour les syndicats
de jouer un plus grand rôle dans le processus de réduction des effectifs, vu leur savoir-faire et
leur expérience en la matière. Le besoin d’une plus grande et d’une meilleure communication
entre l’employeur et les salariés figurait au cœur des préoccupations des personnes interrogées.
Les employés avaient l’impression que si le plan social était annoncé à l’avance et en détails à
l’ensemble des salariés, le processus gagnerait alors en transparence, et donc en équité et en
justice procédurale. Réciproquement, cela permettrait une plus grande objectivité dans la prise
de décision qui rendrait à son tour les décisions prises (justice distributive) plus faciles à
accepter pour les salariés.
Le nouvel environnement de travail : l’employabilité
L’attitude des salariés vis-à-vis de leurs perspectives de carrière est souvent un obstacle à leur
propre processus de changement et peut involontairement devenir une source supplémentaire
de stress en période de restructuration, augmentant ainsi l’incertitude. La motivation à long
terme, l’initiative personnelle (FRESE et FAY, 2001; ZEMPEL et FRESE, 2000) et l’auto-efficacité
(BANDURA, 1997) sont des qualités centrales au développement de l’employabilité des salariés.
ZEMPEL et FRESE (2000) ont démontré que l’initiative personnelle et le niveau de formation
influencent le futur statut professionnel d’un salarié; par ailleurs il est maintenant possible de
prédire la durée du chômage en prenant en compte l’initiative personnelle, les stratégies de
coping, les compétences cognitives et les alternatives disponibles sur le marché du travail.
Toutefois, la responsabilité de la santé et de l’employabilité ne devrait pas retomber sur les
seuls salariés ; elle devrait aussi être partagée par l’entreprise et la société.
Selon le rapport SOCOSE de KIESELBACH, BEELMANN et WAGNER (2002), l’employabilité est
un concept complexe. En tant que telle, l’employabilité se définit d’une part, par les offres de
formation avancée faites plus tôt par l’entreprise et d’autre part, par les stratégies individuelles
que les salariés jugent généralement suffisantes pour maintenir leur employabilité. L’analyse
des entretiens conduits dans le cadre du projet SOCOSE aussi bien avec des travailleurs
précaires qu’avec des personnes ayant réussi à retrouver un poste après leur licenciement a
révélé que « l’initiative personnelle était un pré-requis essentiel pour s’adapter aux situations
d’emploi précaire. Même si toutes les personnes interrogées avaient bénéficié d’une phase de
transition professionnelle avec le soutien de consultants spécialisés, le succès de cette transition
reposait toutefois très clairement sur l’investissement personnel » (KIESELBACH, BEELMANN et
WAGNER, 2002, p. 28). Les différentes stratégies adoptées par certaines personnes dès
l’annonce des projets de restructuration, l’ont très bien démontré. Certains professionnels ont
misé sur leurs qualifications et l’employabilité qui en découlait. Dans ce cas, les employés du
bâtiment redoutaient davantage la perte de leur emploi que les informaticiens. D’autres ont
décidé d’essuyer la tempête, préférant adopter une attitude passive plutôt que de s’engager dès
le départ. D’ailleurs, certaines personnes interrogées ont par la suite regretté cette stratégie
(Kieselbach, Beelmann & Wagner, 2002). Celles qui ont réussi à changer d’emploi ont reconnu
que cela avait amélioré leurs chances sur le marché du travail.
On trouve aussi des gens qui ont profité de l’occasion pour se réorienter totalement même si
leur poste, à l’origine, n’était pas forcément menacé. De ce point de vue, le processus de
restructuration a poussé certains salariés à agir ; il a aussi permis à d’autres de faire un bilan de
carrière en toute légitimité à la lumière des changements et de quitter l’entreprise pour aller
11
vivre de nouveaux défis. En plus de changer d’emploi, un grand nombre d’entre eux voyaient
une formation professionnelle et des diplômes supplémentaires comme des atouts essentiels
pour le futur, à plus forte raison, si ce n’était pas la première fois qu’ils connaissaient une
période d’instabilité dans leur emploi. Ceux notamment qui envisageaient de se mettre en
libéral se sont tournés vers un consultant pour discuter de leur reconversion professionnelle.
La moitié des personnes interrogées ont eu la possibilité de poursuivre une formation avancée
dans leur ancienne entreprise, et la grande majorité en a profité. Néanmoins, les résultats du
projet SOCOSE ont montré que peu d’individus avaient pris sur leur propre temps pour investir
dans leur employabilité. Lorsqu’ils avaient suivi des cours, c’était principalement pour des
raisons personnelles plutôt que pour entretenir leur employabilité professionnelle. Le groupe
qui semblait le plus motivé pour suivre une formation était celui dont l’ancienneté était
comprise entre dix et dix-neuf ans. La situation professionnelle et la sécurité de l’emploi étaient
probablement sa préoccupation principale.
On pourrait expliquer ce schéma par le fait que les employés les plus jeunes, dont la carrière est
relativement courte, ont l’impression qu’ils peuvent encore tirer profit de leur formation
initiale, et ils ne voient donc pas l’intérêt à continuer leur formation. Les salariés les plus
anciens, ceux qui ont plus de vingt ans de carrière se considèrent à un âge où la formation
continue ne leur semble plus valable.
Si l’employabilité est dans une certaine mesure une responsabilité individuelle (ZEMPEL et
FRESE, 2000), elle est toutefois devenue un objectif stratégique dans le monde professionnel, et
par conséquent relève pour l’employeur de la responsabilité de l’entreprise. KIESELBACH,
BEELMANN et WAGNER (2002) ont observé que les offres de formation internes dépendaient de
la culture de l’entreprise en matière d’activités de conseil et de formation continue, de la
profession en particulier et du secteur d’activité. La compétitivité de l’entreprise et la
compétence des salariés étant directement liées, l’employabilité est donc un objectif stratégique
et la formation une priorité pour l’entreprise. D’une certaine manière, les stratégies
organisationnelles pour entretenir l’employabilité de chaque salarié vont plus loin que
l’apprentissage sur le tas, qui a tendance à être l’approche la plus communément plébiscitée
dans les entreprises. Pourtant cette approche est insuffisante pour suivre les avancées
technologiques et évoluer. C’est pourquoi des formations spécifiques avancées apparaissent de
plus en plus comme une solution. Malheureusement, la formation est souvent le premier budget
à souffrir de coupes sombres dès qu’apparaît la possibilité de restructurations et de
licenciements. La gestion de crise est souvent une solution à court terme qui n’inclut pas de
gestion prévisionnelle à l’égard de la formation des potentielles victimes des licenciements.
Conclusion
La santé représente un atout pour toutes les entreprises. Sa promotion et la prévention des
problèmes de santé concernent plus que jamais tout le monde : salariés en poste fixe, en emploi
précaire ou chômeurs. Toutefois, la mise en place de stratégies différentes est nécessaire pour
répondre aux besoins de chaque groupe. Dans le processus de restructuration d’entreprise,
l’accent devrait être moins mis sur la gestion des retombées du changement après qu’il a eu lieu
que sur la mise en place de stratégies préventives aussi bien pour ceux qui perdront leur emploi
que pour ceux qui le garderont, et ce, dans des conditions souvent plus précaires. GEURTS et
GRÜNDEMANN (1999, p.17) ont proposé une nouvelle définition des activités de prévention du
stress : « toute initiative ou activité visant soit à réduire (ou à éliminer) les facteurs
psychologiques ou physiques de stress au travail, les problèmes de santé liés au travail,
l’absentéisme et l’incapacité totale de travail, soit à améliorer ou à promouvoir la santé au
travail. » Cette définition élargie ajoutée aux avis selon lesquels les évènements générateurs de
12
stress nécessitent des stratégies de coping et d’ajustement au niveau organisationnel, collectif et
individuel (SHAW et BARRETT-POWER, 1997), permettront aux acteurs des entreprises en cours
de restructuration d’avoir une discussion plus ouverte sur la prise en compte du stress et des
actions de prévention dans la planification. Ceci pourrait être une avancée importante dans
l’aide apportée aux victimes des licenciements et dans la prévention de problèmes de santé
chez les salariés restants. Les entreprises doivent considérer le changement organisationnel
comme une épreuve pour les salariés et non comme une simple mesure relative à la
performance ou au marché. La direction doit reconnaître et assumer sa part de responsabilité
dans le climat social et les difficultés mentales et physiques que rencontrent les salariés dans
cet environnement transformé potentiellement porteur de stress, d’incertitude, de contrats à
durée déterminée et de chômage croissant.
Dans les chapitres suivants, nous passerons en revue plusieurs exemples d’initiatives en
matière de santé dans des contextes et pays différents. Même si l’innovation dépend toujours
des contextes nationaux et organisationnels, nous espérons que ces différentes manières
d’aborder la santé aideront à surveiller l’état de santé des populations actives en Europe,
qu’elles mèneront à une meilleure compréhension des différentes options possibles pendant la
phase de restructuration, et qu’elles déboucheront en fin de processus à un concept élargi et
plus approprié de la santé qui inclurait la responsabilité de tous les acteurs d’un même pays,
employeurs compris. La manière dont cette responsabilité se traduira dans la réalité dépendra
de la législation de chaque pays. Toutefois, on pourrait envisager de confier la responsabilité du
suivi régulier de l’état de santé des salariés à l’employeur au-delà des lois relatives à l’hygiène
et à la sécurité qui ont tendance à se concentrer essentiellement sur les menaces physiques ou
les dangers à la santé (comme les toxines, le bruit ou la poussière). Il reste encore beaucoup à
faire en matière de règlementation relative au contrôle des facteurs psychosociaux pour
reconnaître tout d’abord les pathologies associées, mais cela mènera avec un peu de chances à
des mesures d’aide aux salariés ou de réduction des facteurs de stress au travail. La santé
mentale est aussi importante que le bien-être physique ; c’est pourquoi elle doit être reconnue
comme une question de santé et de sécurité au travail.
2. Initi ati ves i nno va ntes da ns des e ntre pris es e n c o urs de
res tr uc tur ati on
Souvent, les entreprises en cours de restructuration doivent faire face non seulement à de
nouveaux défis concernant la composition des structures, des tâches et des effectifs, mais aussi
à des problèmes d’insolvabilité, de faillite, d’OPA hostiles, de fermeture de sites et de
délocalisation.
Si tous ces phénomènes justifient la concentration actuelle des efforts sur la gestion financière
et sur la gestion de la production pendant la phase de restructuration, cela pose néanmoins la
question de l’approche et de l’abandon des programmes d’aide aux employés pendant ces
périodes de crise, de défis et parfois de lutte pour la vie. Après tout, sans « le capital humain »
de l’entreprise, sans ces hommes et ces femmes responsables du produit ou du service, il n’y
aurait pas de production. Dans les paragraphes à venir, nous citerons en exemple différentes
méthodes pour mieux prendre en compte le capital humain de l’entreprise plutôt que de se
limiter aux aspects financiers de la production.
13
2.1.
La promotion de la santé dans les cas de suppressions d’emplois :
Saint-Gobain (Allemagne)
L’Association
Fédérale
des
Mutuelles
d’Entreprises
(Bundesverband
der
Betriebskrankenkassen - BV BKK) à Essen a fait un travail exemplaire ces dernières années
dans la région de la Ruhr, en concentrant ses initiatives sur le soutien aux chômeurs seniors de
longue durée, mais aussi aux jeunes sans emploi et aux autres groupes. Contrairement à ce qui
se passe dans d’autres pays, les travailleurs en Allemagne ne perdent pas leur mutuelle même
après un licenciement, ce qui, ajouté à la loi qui impose que toute mutuelle d’entreprises en
Allemagne investisse dans des mesures de promotion et de prévention de la santé (SGB V §20),
représente une impulsion non négligeable pour financer de nouvelles initiatives en matière de
santé. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, les travailleurs en Allemagne ne
perdent pas leur mutuelle même après un licenciement, ce qui, ajouté à la loi qui impose que
toute mutuelle en Allemagne investisse dans des mesures de promotion et de prévention de la
santé (SGB V §20), représente une impulsion non négligeable pour financer de nouvelles
initiatives en matière de santé.
La restructuration du site de Saint-Gobain à Gelsenkirchen en Allemagne, aussi connu sous le
nom de “Schalker Verein” montre comment la promotion de la santé peut venir compléter des
mesures de transfert plus traditionnelles. En 2004, l’aciérie de Gelsenkirchen qui appartenait à
la compagnie française Saint-Gobain se retrouva menacée de fermeture. Autrement dit, tous les
salariés devaient être licenciés. La BV BKK à Essen fut informée longtemps à l’avance des
projets de restructuration par sa branche locale et décida d’agir avant que tous ces employés ne
se retrouvent au chômage. Elle prit contact avec la compagnie et obtint la permission de
proposer des initiatives relatives à la santé à tous les employés concernés par la fermeture
pendant leur processus de reclassement. Elle fournit tous les fonds et personnels requis pour
cette opération de promotion de la santé. L’objectif de ce programme était de dispenser des
ateliers non obligatoires de promotion de la santé sur le site de production. Chaque atelier
aborderait des sujets spécifiques et pertinents en matière de promotion de la santé. La
participation se faisait sur la base du volontariat.
Le concept de l’initiative de santé et son objectif
La mesure de promotion de la santé est née de la longue collaboration entre le département de
psychologie des entreprises de l’université de Dortmund et l’Association Fédérale des
Mutuelles d’Entreprises (BV BKK) d’Essen. La coopération s’était concentrée sur le thème du
chômage et de la santé. En association avec l’Institut de Psychologie et de Médecine du Travail
(Institut für Arbeitspsychologie und Arbeitsmedizin, IAPAM) d’Herdecke, les collaborateurs
avaient déjà mis au point par le passé un concept de conseil destiné spécialement aux chômeurs
et aux salariés en emploi précaire. Le concept reposait sur la logique suivante : les chômeurs et
les salariés menacés de licenciement doivent faire face à une situation de grande précarité qui
peut les conduire à modifier leur comportement vis-à-vis de l’alimentation et de l’activité
physique. Les gens en situation de précarité sont plus susceptibles d’avoir une mauvaise
hygiène de vie. La variation des perspectives d’emploi selon l’état de santé du chômeur a été le
second argument en faveur des initiatives de promotion de la santé. Les gens qui ont des
problèmes de santé ont moins de chance de réintégrer le marché du travail que ceux qui sont
relativement en bonne santé. Sur la base de ces hypothèses, deux objectifs ont été définis. Le
premier était d’améliorer l’accès au marché de l’emploi et les perspectives pour les chômeurs ;
le second, de promouvoir la santé auprès des sans-emplois et de les encourager à conserver une
certaine qualité de vie.
14
Encadré 1: Gros plan sur le financement
Cette initiative a été financée par la BV BKK et repose sur le Code V de Sécurité Sociale (SGB
V §20) qui oblige les mutuelles de santé à investir dans des programmes de prévention de la
santé afin d’améliorer le bien-être général de la population et en particulier « d’aider à réduire
les effets des inégalités sociales sur la santé ». Ces programmes et ces mesures peuvent
prendre différentes formes ; les textes mentionnent des groupes d’entraide, des organismes de
contact c’est-à-dire des organismes qui visent à prévenir les problèmes de santé ou qui se
spécialisent dans le soutien financier aux assurés en cas de chômage. Ces objectifs étaient déjà
ancrés dans les nombreux intérêts de la BV BKK pour ce groupe spécifique. Ces mesures
devraient aider à réduire les coûts, en particulier ceux provoqués par les problèmes de santé liés
au licenciement. De plus, elles influencent positivement le taux d’emploi et les structures de
prévention des risques pour les sociétaires maintenus dans leur emploi.
La mise en œuvre des initiatives sur le site de Saint-Gobain à Gelsenkirchen
Le concept de promotion de la santé dans ce cas précis avait pour objectif d’aider les
participants à identifier les tensions, les dangers et les facteurs de risque afin de les gérer, de les
surmonter et de les empêcher de devenir des obstacles à leur carrière professionnelle affectant
par la suite leur santé, leur productivité et leur qualité de vie. Dans le cadre de cette initiative,
les ateliers avaient pour thèmes : accroître la sensibilisation à la santé et à l’hygiène de vie,
aider les participants à envisager un nouveau départ, à gérer les situations problématiques et à
faire des projets à long terme.
Le projet fut présenté aux salariés une semaine après l’annonce officielle de la fermeture en
réunion. Une grande campagne de promotion des offres de consultation fut organisée par des
consultants qui tenaient des stands d’information, abordaient les salariés et répondaient aux
questions concernant la consultation proposée par le biais d’une ligne d’écoute spécialement
mise en place. Au final, sur 230 salariés 80 salariés participèrent aux réunions d’information ;
et parmi ces 80, 56 prirent part aux ateliers. Les participants étaient répartis en six groupes de
cinq à dix personnes chacun.
Les ateliers visaient à transmettre des conseils pratiques en matière de santé pour que les
participants puissent prendre davantage soin de leur santé. Les réunions et les ateliers eurent
lieu de juin à décembre 2004 dans les bureaux du bâtiment administratif sur le site de SaintGobain au rythme d’une session de cinq heures par mois. Avant que les ateliers ne
commencent, chaque participant bénéficia d’un entretien individuel d’une heure. Le but de cet
entretien initial était de fournir des renseignements supplémentaires sur le programme et de
rassembler des informations sur les participants pour les consultants, à l’aide d’un
questionnaire semi-standardisé. En plus des ateliers et de l’entretien initial obligatoire, les
salariés participants étaient libres de prendre rendez-vous avec un des consultants pour des
consultations personnelles ou des séances de coaching.
Le premier atelier s’intéressa aux habitudes et aux comportements des participants sue le plan
de l’exercice physique, de l’alimentation, du sommeil, de la consommation d’alcool et de
tabac. La discussion couvrit des thèmes comme les habitudes sportives ainsi que les
recommandations nutritionnelles de la Société Allemande de Nutrition (Deutsche Gesellschaft
für Ernährung). Cet atelier conduisit à un changement d’habitudes, visible notamment dans la
popularité du groupe de marche nordique. Un participant fit observer que des petits
changements avaient lieu; des gens se mirent à manger un fruit par jour, chose qu’ils ne
faisaient pas auparavant. L’impact des ateliers 2 et 5 se révéla plus difficile à évaluer dans la
mesure où leurs objectifs étaient de fournir aux participants des outils qui leur permettraient de
15
développer leur propre projet personnel à long terme et d’évaluer les méthodes mises en place
pour atteindre leurs objectifs. L’importance de la motivation était aussi un thème central de ces
ateliers. Toutefois, la perte des donnés suite à un renouvellement de personnel n’a pas permis
d’évaluer l’impact de ces mesures. Le soutien familial a contribué au bon degré de coopération
des participants : d’une séance à l’autre, ils accomplissaient les tâches à faire avec l’aide de leur
conjoint(e) à la maison. Les salariés participants ont aussi influencé de manière positive le
contenu, le contexte et les connexions entre les ateliers. En dehors des séminaires, ils créèrent
un petit groupe de marche nordique qui se retrouvait une fois par semaine devant les grilles de
l’usine pour aller faire de l’exercice dans un parc à proximité. Composés de dix personnes, ce
groupe continua de se rencontrer bien longtemps après la fin de l’initiative de promotion de
santé.
Évaluation, pérennité et efficacité des mesures.
Malheureusement, la perte des donnés suite à un renouvellement de personnel n’a pas permis
de faire une évaluation statistique de l’impact de ces mesures. Cependant, les appréciations et
commentaires représentent des indices d’une évaluation positive. Dans son compte rendu, le
formateur mentionne les résultats très positifs du programme sur les participants, ce qui
implique aussi des effets à long terme. De leur côté, les participants ont déclaré avoir élargi
leurs connaissances, amélioré leurs exigences en matière de santé et gagné en motivation pour
prendre davantage soin de leur santé et de leur avenir, tant sur le plan professionnel que
personnel. D’autres discussions et entretiens ont révélé qu’ils avaient modifié leurs habitudes et
leurs comportements (courses, exercice physique, maîtrise de la colère). Un groupe de marche
nordique a aussi été créé à leur initiative. Les questionnaires utilisés pendant le programme ont
montré que les participants avaient beaucoup appris. Le fait que les devoirs ou tâches fixés
d’une séance à l’autre étaient toujours accomplis avec beaucoup de zèle par les participants et
leur conjoint(e) en est une preuve supplémentaire. Cette évaluation est renforcée par
l’atmosphère positive (bonne volonté et participation active des salariés) qui régnait lors des
ateliers. Les participants ont aussi fait part de leur satisfaction vis-à-vis du contenu, du contexte
et de la progression des ateliers. La possibilité d’exprimer leurs angoisses, l’accompagnement
dans la formulation de nouvelles idées de carrière, les échanges arbitrés avec les collègues et le
soutien du formateur pendant les entretiens ont été particulièrement appréciés.
Toutefois, des critiques sont à faire. Seulement 16 participants ont accepté d’avoir des
entretiens individuels avec les organisateurs du programme. D’après un formateur, certains
processus auraient nécessité un taux de participation plus élevé. En effet, les effectifs se sont
réduits au fil du temps, ne laissant vers la fin qu’entre cinq à dix personnes par groupe. En ce
qui concerne les ateliers, 23 personnes sur 56 y ont participé à intervalles irréguliers, et 16
employés ont manqué des séances en raison de problèmes de santé, d’horaires décalés, de
stages en entreprise ou de nouvel emploi. Ce que nous devons néanmoins prendre en compte en
évaluant ce cas, c’est le caractère encore expérimental de cette initiative de promotion de la
santé. C’était seulement la deuxième fois qu’un tel projet était mis en œuvre dans une
entreprise. Quoi qu’il en soit, le cadre de mise en œuvre et la proposition clé à la base de cette
mesure font apparaître des aspects innovants indéniables. La promotion de la santé avait pour
objectif l’augmentation des compétences en matière de gestion de la santé qui, à son tour
accroît l’employabilité, sans pour autant se concentrer exclusivement sur le reclassement.
Contrairement à ce qui arrive parfois avec les projets à long terme dans les « sociétés de
transfert » dont l’évaluation repose principalement sur la réussite de leurs activités de
reclassement, ce contexte élargi a permis d’éviter l’apparition de problèmes comme la
16
frustration croissante des participants. De plus, ce programme a abordé des aspects plus
délicats qui ne sont pas toujours traités aussi ouvertement par « les sociétés de transfert », à
savoir : la possibilité réelle du chômage. L’accent mis sur l’individu et la prise en charge de sa
santé promet aussi d’avoir des effets bénéfiques à long terme sur le salarié et sur sa future
recherche d’emploi, en influençant de manière positive son hygiène de vie et en augmentant
par là même son employabilité.
2.2.
La réadaptation pendant la période de préavis : Ericsson (Suède)
Comme beaucoup de compagnies de télécommunications, le groupe Ericsson s’est mis à
développer et à mettre en œuvre des programmes de restructuration en Suède, au milieu des
années 1990, afin de recentrer ses activités pour s’adapter à la compétition croissante et aux
progrès technologiques. En 2001, l’effondrement des ventes et des commandes mit un sérieux
coup d’arrêt au développement et entraîna la décision de réduire le personnel suédois de 50 000
à 9 000 salariés. Le principe d’ancienneté fut modifié dans les négociations qui suivirent et
appliqué dans les limites du possible. En effet, le groupe avait besoin d’être en pleine mesure
de fonctionner, et pour cela devait conserver les salariés avec les compétences nécessaires aux
futurs besoins de la production. En contrepartie des concessions octroyées dans la sélection des
salariés à licencier, les syndicats négocièrent différentes options pour le personnel. Nous nous
intéresserons particulièrement à celle concernant l’offre très complète de retour à l’emploi
proposée sous la forme d’un programme de réorientation professionnelle sur douze mois appelé
« Forum pour le Futur ». La partie suivante s’attachera à étudier le recours aux pasteurs et
« aux coaches en ressources humaines » chargés d’offrir une aide supplémentaire aux employés
qui présentaient les problèmes de santé les plus graves.
Déroulement et objectif du « Forum pour le Futur »
En plus du financement de la Fondation Suédoise pour la Sécurité de l’Emploi, le « Forum
pour le Futur » a bénéficié du soutien d’un certain nombre de cabinets de conseil comme
Manpower, Right and Antenn (cf. Encadré 2). L’objectif de cette nouvelle initiative était de
trouver des solutions pour tous les employés : un nouvel emploi, une aide et des conseils à la
création d’entreprise, de nouvelles études ou qualifications. La phase expérimentale du Forum
se déroula entre août 1999 et août 2001 ; elle avait pour but d’aider les 200 salariés participants
à se reconvertir en les formant et en les accompagnant dans leur recherche d’emploi.
L’expérimentation se révéla un véritable succès : 95 % des salariés furent reclassés. À l’issue
du programme expérimental de reclassement, 80% des participants décidèrent de quitter
Ericsson et 20% restèrent dans la compagnie. Le test ayant étant concluant, le programme
Forum fut approuvé par les syndicats pour les licenciements à venir. Le programme officiel
démarra en 2001 avec l’objectif de trouver des solutions pour 80-90% des participants,
toutefois ces chiffres furent revus à la baisse deux ans plus tard en raison des difficultés du
marché de l’emploi. En 2003, le taux de reclassements réussis était de 78%. Les licenciements
étaient programmés tous les six mois et chaque vague s’accompagnait du démarrage d’un
nouveau Forum. Chaque nouveau Forum était négocié avec les syndicats (cf. Figure 1). Ainsi,
ces négociations et les commentaires des consultants permirent d’apporter progressivement des
améliorations d’un programme à l’autre. Un entretien individuel préalable était l’occasion pour
les salariés de faire connaissance avec leur coach et d’en apprendre plus sur le déroulement du
programme et sur leurs responsabilités.
17
Encadré 2: Les motifs à l’origine du projet Forum
Voici les raisons derrière le projet Forum que Carl-Gustav Leinar, directeur des ressources
humaines pour Ericsson-Suède à l’époque (2001), décrit brièvement au directeur du
programme : « Tout d’abord, Ericsson se doit d’être un bon employeur dans les périodes
florissantes comme dans les périodes de crise. Le programme n’a pas pour vocation de payer
les gens mais de leur donner les moyens de retrouver un emploi. Par ailleurs, les salariés qui
restent dans l’entreprise doivent se sentir en sécurité et doivent avoir l’assurance qu’ils
bénéficieront du même soutien. Deuxièmement, maintenir la bonne réputation et la bonne
image du groupe en aidant ceux qui doivent quitter l’entreprise à retrouver un emploi n’a cessé
d’être au cœur de nos préoccupations tout au long de ces cinq dernières années. Enfin, l’image
d’Ericsson comme employeur responsable est importante pour le recrutement futur de
nouveaux talents, lui-même essentiel pour une compagnie d’informatique et de
télécommunications. »
Le conseil en matière de réadaptation : le cabinet Prästbyrån et ses consultants en
ressources humaines
Face au nombre important de problèmes de santé qui se déclarèrent chez les participants, les
administrateurs, les responsables du programme ainsi que les conseillers en gestion de carrière
se rendirent vite compte que l’accompagnement en gestion de carrière seul était inadapté. À
l’époque, la société Manpower qui fournissait ces conseillers ne parvint pas à trouver une
solution à la nouvelle situation. De leur côté, les conseillers avaient eux aussi remarqué les
problèmes qui compromettaient la réussite du processus de réorientation professionnelle. En
outre, il y avait des différences notables entres les divers sous-groupes ; dans certains, les gens
réagissaient très fortement et très ouvertement aux difficultés du chômage imminent alors que
dans d’autres, ils se repliaient sur eux-mêmes. De plus, les conseillers et l’administration durent
faire face à un problème imprévu de taille : aucun dossier personnel contenant les antécédents
médicaux des participants des programmes n’avait été transmis au DRH du programme Forum
avant le début du programme (voir Encadré 3).
Figure 1 : Structure du programme Forum pour le Futur
Forum 1
août 1999-août 2001
pour 200 employés
Forum 2
Forum 3
Forum 4 etc.
jusqu’à l’automne
2005
En plus du soutien continu de la Fondation Suédoise pour la Sécurité de l’Emploi pour tous les
programmes, Ericsson bénéficia de l'aide des cabinets de conseil suivants : Manpower dès 1999
pour les Forums 1, 2, et 3 ; Manpower, Right et Antenn pour le Forum 4. À partir du Forum 5
(2003), les employés étaient libres de choisir le cabinet de leur choix (dans la limite de la
répartition géographique des compagnies sur le territoire).
Par la suite, un certain nombre d’initiatives furent mises en place pour remédier aux problèmes
de santé des salariés qui représentaient un obstacle majeur à l’objectif fixé de 80% de solutions
trouvées pour les participants. Si la majorité des participants pouvaient êtres aidés grâce au
recours à des consultants et experts supplémentaires, il fallait néanmoins trouver une autre
approche pour mieux comprendre les problèmes de santé et les conséquences des licenciements
18
sur les employés restant dans l’entreprise. La directrice du programme estima à 10% le nombre
de participants qui avaient des antécédents médicaux importants, aussi bien d’ordre physique
que mental (p. ex. alcoolisme, dépression). Vu que les conseillers et les différents membres de
l’encadrement du programme n’avaient pas eu connaissance de ces problèmes dès le départ, il
fallait trouver un moyen d’aider ces personnes à se réadapter.
C’est pourquoi un certain nombre de nouveaux experts rejoignirent le programme dans le cadre
d’une collaboration à long terme. Le cabinet Prästbyrån (composé de pasteurs qui sont aussi
des psychologues et des thérapeutes professionnels) envoya des « consultants en ressources
humaines », c’est-à-dire des consultants alliant les compétences d’un conseiller en gestion de
carrière et d’un conseiller-psychologue pour apporter une aide psychologique nécessaire au
travail de reclassement et à l’évaluation des problèmes de santé. Consultée une première fois
lors de la phase expérimentale du projet Forum, Prästbyrån se vit confier la supervision et le
soutien des participants présentant des problèmes de santé. Le coût supplémentaire des mesures
était totalement pris en charge par le fonds de restructuration d’Ericsson.
Encadré 3: Spécificités de la législation suédoise
La législation suédoise prévoit que dans le cas d’un accident du travail et d’une absence
prolongée de plus de trois semaines consécutives, l’employeur a pour obligation de mettre en
place un plan de réadaptation pour l’employé (p. ex. des séances de kinésithérapie pour un bras
cassé). Toutefois, peu d’employés font valoir ce droit puisqu’ils sont couverts par le système
classique de santé. Cependant si les employés n’ont pas bénéficié d’un programme de
réadaptation dans un certain délai qui suit leur maladie, la compagnie d’assurance contactera
l’employeur et exigera qu’il prenne les mesures nécessaires. Depuis peu, on note une hausse
dans le recours à la réadaptation financée par l’employeur.
La décision de recourir au cabinet Prästbyrån et à ses consultants en ressources humaines fut
prise à la suite d’une série d’entretiens demandée par le DRH du site dont les employés avaient
été sélectionnés pour le premier programme. Louise Linder, directrice de Prästbyrån, mena les
entretiens afin de repérer les thèmes récurrents parmi les employés ayant des problèmes de
santé ou des difficultés à s’adapter à la nouvelle situation. Elle suggéra la création de
séminaires sur des thèmes tels que « l’éthique du travail » (certains employés ne travaillaient
plus du tout), « le sens de la vie » (plusieurs personnes avaient une vision très pessimiste et
déprimée de l’avenir). En fait son rôle consistait à identifier les employés qui bénéficieraient
d’une aide professionnelle (ex : thérapie cognitive), à mettre en place cette aide, à définir les
approches spécifiques nécessaires pour chaque employé et à rediriger chacun vers le
professionnel le plus adapté de son réseau. Prästbyrån comprend un large réseau de thérapeutes
professionnels qualifiés qui travaillent pour le compte du cabinet. Bien que Prästbyrån
appartienne à l’église protestante, plusieurs employés de confession différente firent appel au
soutien de ses experts. De plus, Louise Lindner forma la directrice générale du programme
Forum qui, à son tour, forma le reste de l’équipe à gérer les entretiens et les situations difficiles
avec les employés.
Les consultants en ressources humaines sont des conseillers en gestion de carrière avec une
formation spécifique en psychologie pour guider les salariés dans leur réadaptation
professionnelle. On fit appel à eux lorsque les responsables du programme Forum remarquèrent
que 10 à 15% des participants ne réagissaient pas bien en entretien, n’arrivaient pas à s’adapter
à la nouvelle situation ou se repliaient totalement sur eux. Parmi les problèmes rencontrés par
les participants figuraient entre autres les congés de longue maladie, des conduites addictives
(p. ex. jeu, drogue, alcool), des handicaps physiques (p. ex. surdité, cécité) ou des difficultés
19
d’apprentissage (p. ex. dyslexie, compétences langagières limitées). D’autres problèmes
incluaient des comportements criminels (p. ex. espionnage industriel, détournement d’argent)
ou des difficultés liées au fossé culturel : certains salariés étrangers qui avaient trop honte
d’avouer la situation à leur famille se retrouvaient dans une situation personnelle et financière
extrêmement difficile. Les consultants en ressources humaines apportèrent aussi leur soutien à
ceux qui avaient des problèmes d’attitude au travail comme un manque d’indépendance et
d’initiative personnelle ou dans la recherche d’emploi. D’autres encore n’avaient pas les savoirêtre et savoir-faire nécessaires pour bien gérer les entretiens, souffraient de troubles de la
personnalité ou avaient une faible estime d’eux-mêmes. Avant même que le deuxième Forum
ne commence, la directrice et principale consultante de Prästbyrån avait son propre bureau
ouvert du lundi au vendredi dans les locaux occupés par le programme Forum. Chaque
employé avait droit à trois séances avec elle. Toute consultation supplémentaire nécessitait
l’accord préalable de la directrice du programme en raison des frais encourus. Si les employés
préféraient poursuivre leurs séances sans que la compagnie en soit informée, les frais étaient
alors à leur charge. Toutefois, la majorité des employés se contentèrent d’une ou deux séances
pour parler de leurs problèmes personnels.
Évaluation, pérennité et statistiques
Au départ, le personnel du programme Forum était totalement désarmé face aux problèmes de
santé ou aux situations plus complexes. Avant que le Forum 3 ne commence, la directrice et
son assistant allèrent voir les DRH des sites dont les employés devaient rejoindre le programme
afin d’avoir un aperçu confidentiel et informel des participants à venir et d’être prêts à aider
ceux qui en avaient le plus besoin. Ces réunions strictement confidentielles permirent de
détecter les problèmes plus rapidement, dans les trois premiers mois. Les directeurs des
ressources humaines comme les syndicats étaient très favorables à cette approche proactive qui
permettait aux gens de tirer plus rapidement profit du programme. À cela s’ajoutaient certaines
procédures pour suivre la situation de tous les participants au programme et synthétiser les
commentaires pour le programme suivant. Pour cela, tous les consultants se retrouvaient une
fois par semaine pour discuter des progrès, des problèmes et de la situation générale des
employés. L’assiduité faisait l’objet d’un contrôle régulier afin de s’assurer que les participants
coopéraient bien avec le programme. Par ailleurs, afin de vérifier et de maintenir la qualité tout
au long de chaque programme, tous les participants étaient convoqués à un entretien final. Ces
entretiens contribuaient ainsi au retour d’information continu nécessaire aux syndicats et à la
direction pour discuter et renouveler l’accord du programme suivant.
D’après l’évaluation du programme 2005, 80% des 9 300 salariés participants avaient trouvé
une nouvelle solution. Toutefois, Ericsson ne publia aucune statistique en matière de santé.
Cela s’explique bien sûr par la stricte confidentialité de ces informations. Même dans d’autres
circonstances, l’évaluation précise des résultats des mesures de soutien aurait été de toute façon
difficile à déterminer vu l’état de santé très variable d’une semaine à l’autre des employés.
Toutefois, certaines estimations de la DRH du programme suggèrent qu’entre 10 et 15% des
salariés bénéficièrent des services de réadaptation entre 1998 et 2005, soit entre 900 et 1400
personnes sur un total de 9 300 participants. La pasteur installée sur le site du Forum signala la
visite de 500 à 1000 employés sur cette période.
Ericsson demanda aussi aux divers cabinets de conseil de fournir des statistiques pour les 1200
employés qui avaient été aidés par leurs consultants. Le cabinet Right publia des chiffres pour
les 15% d’employés d’Ericsson qu’ils avaient aidés. Environ 25% d’entre eux trouvèrent un
emploi ailleurs et 15% quittèrent le programme pour commencer des études ou suivre une
formation à long terme. 20% restèrent en congé de longue maladie pour des maladies comme le
20
cancer ou la sclérose en plaques. 10% suivirent le programme de reclassement proposés par les
agences publiques pour l’emploi. Aucune information n’était disponible concernant les 31%
restant. Dans l’ensemble, la plupart des employés ont déclaré être satisfaits des solutions qui
leur avaient été proposées. Le cabinet Antenn fit part de chiffres légèrement différents pour
leurs participants : 55% retrouvèrent un emploi, 25% entreprirent des études, 10% restèrent en
congé de maladie et 10% utilisèrent les services de reclassement du service public. Il faut
néanmoins garder à l’esprit que les variations de résultats sont dues aux caractéristiques
particulières des divers sites et branches d’activité d’Ericsson ainsi que la répartition des
employés dans différents cabinets de conseil selon leurs besoins (cf. Encadré 4).
Encadré 4: Le programme Forum et les différences entre les groupes
L’exemple qui suit illustre bien aussi pourquoi les taux de réussite ne doivent pas être pris au
pied de la lettre. Tous les participants ne firent pas aussi bien ; c’est le cas d’un des derniers
programmes, le Forum 10 qui se composait principalement de concepteurs de logiciels.
Environ 80% des participants avaient besoin d’une aide urgente. Les membres de groupe qui
venaient juste de terminer la conception d’une radio étaient d’autant plus en colère d’être
licenciés qu’ils avaient été considérés jusque-là comme les grands gagnants de l’entreprise,
ayant évité neuf vagues de licenciements. Seulement 55% d’entre eux retrouvèrent un emploi
contre un taux moyen de 80%. Un marché particulièrement défavorable à ce secteur explique
en partie ce faible taux ; en effet, les deux seuls employeurs potentiels de concepteurs radio,
Ericsson et Nokia, procédaient à des réductions d’effectifs dans ce domaine. En outre, le
manque de communication et d’information sur la situation et la restructuration de la part du
directeur de cette branche fut un facteur aggravant. L’annonce des licenciements prit cette
catégorie d’employés totalement par surprise.
Répercussions du programme chez Ericsson et en dehors du groupe.
Les phases précédentes de restructuration chez Ericsson n’avaient jamais encore permis aux
responsables comme aux employés d’en apprendre autant qu’avec le programme Forum. Les
mesures notamment d’accompagnement et d’aide psychologique pendant les périodes de
licenciements n’avaient jamais été envisagées jusque-là par la direction. Seuls l’ampleur du
projet de licenciement et l’effet de filtre ont mis en avant ces employés qui avaient besoin
d’une aide spécifique et dont les problèmes étaient passés inaperçus pendant des années voire
des décennies auprès des supérieurs hiérarchiques, soit parce que ces derniers n’étaient pas
conscients de l’existence de ces problèmes soit parce qu’ils n’avaient pas jugé nécessaire d’en
informer la direction.
Jusque-là, la mise en place de mesures de réadaptation et de reclassement avait été le résultat de
diverses approches visant à résoudre les problèmes plutôt que le fruit d’une réelle approche
proactive. À la place, la compagnie a élaboré un instrument qui lui permet de participer
activement à la manière dont les problèmes de santé des employés sont réglés en instaurant
avec l’aide du réseau Prästbyrån un système d’orientation des employés. De cette manière,
Ericsson a désormais les moyens d’aider les employés qui ont besoin d’un spécialiste plutôt
que de les renvoyer vers les agences publiques de santé qui peuvent mettre plus de temps à
fournir le soutien requis. Il reste à savoir si ces problèmes de santé étaient jusque-là passés
inaperçus ou s’ils ont été déclenchés par les grosses vagues de restructuration de 1998 à 2006.
Non seulement le programme Forum a rendu service aux employés mais il a aussi permis à la
direction de prendre conscience de la complexité des problèmes de santé auxquels les salariés
étaient confrontés, ce qui, auparavant, ne figurait pas au centre de ses préoccupations
quotidiennes. Depuis la restructuration, le groupe Ericsson a introduit une procédure
particulière de soutien aux employés victimes des licenciements ainsi qu’un protocole de
21
communication. Sur les conseils des consultants, afin de rendre le processus moins douloureux
pour les salariés, les responsables doivent maintenant expliquer « le pourquoi » lors de
l’annonce du préavis et programmer des réunions de suivi. Si les salariés ne viennent pas à ces
réunions, il revient à la directrice de Prästbyrån de les contacter de la part de la compagnie.
Dans le cas de problèmes d’adaptation à la nouvelle situation, elle organise une aide
psychologique spécifique.
Le recours aux consultants en ressources humaines contribua à une augmentation quantitative
mais aussi qualitative des reclassements. La coopération entre divers cabinets de conseil
conduisit à la création d’une nouvelle agence spécialisée en conseil de santé pour les
entreprises en phase ou en projet de restructuration. L’agence d’intérim Manpower participa au
Forum 1 en fournissant plusieurs conseillers en gestion de carrières. Face au succès du
programme expérimental, Manpower décida de créer des filiales de services spécifiques. C’est
ainsi qu’Empower apparut en 2001 pour gérer l’accompagnement en gestion de carrière à plus
grande échelle. Par la suite, Empower fusionna en 2003 avec la compagnie Right Managements
pour créer une nouvelle société, Halsöpartner, dont le directeur adjoint nommé en 2004 n’était
autre que l’ancien consultant pour le programme Forum entre 1999 et 2003.
Aujourd’hui, Halsöpartner travaille en étroite collaboration avec des compagnies suédoises
telles que Sandvik, ABB (c’est-à-dire que des médecins et des infirmières du travail employés
par Halsöpartner offrent des services d’aide et de conseil dans ces entreprises ou dans d’autres
sociétés en phase de restructuration, comme Ericsson.)
2.3.
Le reclassement, ses défis et ses mécanismes d’aide : TeliaSonera
(Suède)
Comme de nombreuses entreprises publiques privatisées dans les années 1980 et 1990, le
réseau suédois de télécommunications Televerket rebaptisé plus tard Telia a connu
d’importants changements ces quinze dernières années. À la suite d’une restructuration de
grande ampleur dans les années 1990 impliquant des licenciements et des redéploiements
considérables, Telia et la compagnie finlandaise Sonera (appelée auparavant Telecom Finland)
fusionnèrent pour devenir en 2003 TeliaSonera. Aujourd’hui, TeliaSonera est une compagnie
de téléphone et un opérateur de téléphonie mobile scandinave. Televerket et plus tard Telia et
TeliaSonera ont connu plusieurs plans sociaux. Sur les 49 000 personnes qu’elle employait en
1989, Telia n’en comptait plus que 12 700 en 2002. Les précédents plans de restructuration de
Telia au début des années 1990 se sont soldés par un échec spectaculaire ; les raisons
principales étant la mentalité très traditionnelle des employés qui s’attendaient à faire toute leur
carrière dans cette entreprise et une forte opposition syndicale. En 1995, la direction mit en
place un programme de reclassement, connu par la suite sous le nom de programme Division P,
afin de supprimer jusqu’à 5 000 postes sur trois ans sans recours au licenciement. À l’époque,
la compagnie avait déjà fait ses premières armes dans le transfert de postes. Le cas d’étude
suivant décrit les mesures et les programmes mis en place en Suède entre 1996-1998 pour le
personnel de TeliaSonera en cellule de reclassement.
Restructuration, reclassement à long terme et défis en matière de santé
L’objectif de ce programme de reclassement sur trois ans était de donner aux salariés concernés
suffisamment de temps pour trouver un nouvel emploi (en dehors mais aussi à l’intérieur de
Telia) ou envisager d’autres solutions comme la reprise d’études, la création d’entreprise, etc.
De plus, la nouvelle organisation devait tenir compte des compétences existantes et protéger les
22
futurs savoir-faire au sein de l’entreprise, former les employés dans de nouveaux domaines et à
de nouveaux métiers, distribuer de nouvelles missions de travail et redéployer le personnel de
manière efficace à travers tout le groupe Telia. Un aspect essentiel du programme concernait la
mise en place du reclassement : la cellule de reclassement avait éliminé de nombreux
problèmes souvent rencontrés dans des programmes similaires. Les employés n’avaient
désormais plus de réel travail à faire ni même de poste de travail. Ils devaient partager les
ordinateurs et se rendre tous les jours à la cellule de reclassement comme n’importe quel autre
employé. Au total, en 1996, 23 000 personnes furent concernées par cette première initiative de
reclassement à l’échelle de groupe. Pour mener à bien le programme de reclassement, la
direction se reposait exclusivement sur les compétences de ses formateurs et responsables des
ressources humaines qui découvraient le programme en même temps que les salariés. Chacun
d’entre eux avaient la responsabilité d’un groupe de 20 personnes. Leur travail consistait à les
accompagner au quotidien, à les soutenir, à les aider à gérer leur frustration, à les motiver jour
après jour et à identifier les besoins particuliers de chacun (cf. Encadré 5). Aucun consultant
extérieur ne fut employé pour les aider. La seule aide extérieure financée et acceptée par la
mutuelle d’entreprises fut le recours aux agences de recrutement et de placement.
Encadré 5 :
Les raisons de ces mesures de restructuration
TeliaSonera fit part de ses raisons dans un communiqué de presse en mai 2006 : « En évitant
des négociations interminables sur les licenciements, l’entreprise augmente son efficacité; elle
peut garder les salariés plus jeunes et diplômés, réduire les coûts de recrutement et ainsi faire
preuve de bonne volonté aussi bien en tant que fournisseur qu’employeur. Les salariés quant à
eux n’ont pas à faire face au licenciement ; ils reçoivent une aide pratique et financière relative
à leur reclassement ainsi qu’une sécurité supérieure à celle des filets de sécurité classiques
grâce à l’accent mis sur la formation et sur le développement des compétences. »
Toutefois, dès les premiers mois, le personnel (les salariés à reclasser comme le personnel
d’encadrement du programme) se retrouva face à des difficultés qui avaient été clairement
sous-estimées par les instigateurs du programme. Si le fait de continuer à payer les salariés à
plein salaire pour un travail qu’ils ne faisaient plus présentait des avantages indéniables (c’est
en tant que salariés officiels de Telia qu’ils effectuaient leur recherche d’emploi, et non comme
chômeurs), l’infrastructure environnante et l’absence de travail provoquèrent néanmoins une
baisse de motivation après les premiers mois du programme. Les effets s’en firent vite
ressentir : certains membre du personnel, y compris des responsables du programme, étaient de
plus en plus stressés et éprouvaient des difficultés à s’adapter à la situation. Si pour certains
employés, cela fut immédiat, il fallut à d’autres plusieurs mois et plusieurs candidatures
infructueuses. Cette situation de reclassement conduisit certains à remettre en question le
travail de toute une vie, quelques-uns se tournèrent vers la drogue, ce qui n’avait pas du tout été
anticipé. Pour un grand nombre d’employés, le lien entre leur emploi et leur statut était un
aspect central de leur identité.
Quant au personnel d’encadrement, il avait besoin de savoir-faire spécifiques pour faire face à
cette situation complexe et répondre à la souffrance exprimée par les employés. Jusque-là, dans
tous ses précédents plans de restructuration, Telia n’avait jamais eu besoin de recourir à des
experts extérieurs. Un certain nombre de mesures furent alors mises en place dont
l’organisation d’une formation spéciale pour aider le personnel d’encadrement à faire face aux
difficultés inhérentes à leurs responsabilités. Telia n’avait pas pour autant l’intention d’en faire
23
des conseillers-psychologues. Dans un deuxième temps, Telia se tourna vers sa mutuelle et lui
demanda d’apporter elle-aussi son aide. La mutuelle donna alors accès à ses propres
conseillers : les employés de Telia avaient droit jusqu’à trois consultations par téléphone, ou
dans les locaux de la mutuelle si nécessaire, sans obligation d’informer leur responsable de
programme. Ces mesures s’appliquaient à tout le territoire. De plus, dans certaines régions, à
Stockholm notamment, les employés pouvaient partager leurs problèmes avec les Prästbyrån,
ces pasteurs spécialisés dans le conseil en matière de réadaptation. Dans un des centres, une
pasteur participait régulièrement aux réunions avec les employés, et consultait une fois par
semaine sur place.
Une mesure supplémentaire fut introduite un peu plus tard dans le programme : le mentorat du
personnel d’encadrement par des professionnels bénévoles, extérieurs au réseau Telia, qui,
placés sous l’autorité directe de la direction de la cellule de reclassement, avaient pour tâche de
les guider dans leur travail et de leur faire part de leur propre expérience. En contrepartie, ces
professionnels pouvaient se familiariser avec le fonctionnement du secteur des
télécommunications.
Évaluation et pérennité des mesures
Au cours des trois ans que dura le programme Division P (1996-1998), des solutions furent
trouvées pour 6 500 postes menacés de suppression. Ainsi, 3 600 personnes quittèrent la
compagnie (pour démarrer un nouvel emploi, reprendre ou commencer des études, créer leur
propre entreprise ou partir à la retraite), 2 800 réussirent à changer de poste au sein de
l’entreprise et seulement 2%, selon les statistiques fournies par Telia, sur les 6 500 employés
concernés furent licenciés faute de leur avoir trouvé une solution. Par ailleurs, 2 000 nouveaux
employés, de jeunes diplômés essentiellement, furent recrutés sur la même période. Au total,
depuis 1996, 7 000 employés ont quitté la compagnie Telia, et 11 000 autres postes ont été
externalisés. Le programme a donc dépassé de loin les objectifs de 1995. Toutefois, comme
pour chez Ericsson, les directeurs du programme Division P constatèrent un petit nombre de
salariés qui attendaient tout de leur employeur et qui restèrent passifs tout au long du
programme. Dans ce cas, la nature à long terme du programme ne joua pas en leur faveur. Vu
que le soutien psychologique et les services de santé étaient sous-traités, aucune statistique
n’est disponible dans ce domaine. Toutefois, des estimations prudentes évaluent à 5% le
nombre d’employés dans la cellule de reclassement qui auraient fait appel aux consultants du
centre de mutuelle.
Sur le plan des mesures de santé et de leur importance dans la planification de futures
restructurations, l’expérience accumulée au cours de la première période de reclassement entre
1996-1998 a eu plusieurs effets positifs sur la mise en place de tels programmes et sur
l’approche générale d’encadrement. Les dirigeants ont maintenant l’obligation de prendre en
compte le coût de promotion de la santé au travail dans leur budget annuel. Les programmes de
reclassement qui suivirent prêtèrent particulièrement attention au nombre de conseillers et de
responsables d’encadrement nécessaire au soutien de vastes groupes d’employés. La
collaboration avec les mentors extérieurs pour le personnel d’encadrement est toujours en
place.
24
2.4.
Le suivi de l’état de santé du personnel et les outils de mesure en
ligne : British Telecom (Royaume-Uni)
Comme toutes les entreprises du secteur public britannique qui ont fait l’objet d’une
privatisation, British Telecom a subi d’importantes restructurations. Le passage d’une
entreprise publique à une entreprise privée devant désormais faire face à la concurrence non
seulement nationale mais aussi européenne et mondiale prit un certain temps (1984-1993) et se
fit en plusieurs étapes. Les années qui suivirent conduisirent à maints changements tels que des
scissions-dissolutions et des fusions. Les pertes financières qu’accumula la compagnie à la fin
des années 1990 et au début des années 2000 furent à l’origine de la plupart de ces activités de
restructuration ; il était donc indispensable de réorienter la stratégie et de repenser totalement
l’organisation de l’entreprise en fonction des nouvelles technologies et de la concurrence
émergente. Aujourd’hui les activités de BT recouvrent les services informatiques en réseau, les
services de télécommunications locaux, nationaux et internationaux, l’accès haut débit, les
produits et les services Internet. BT eut recours à des processus classiques de restructuration
tels que les programmes de reclassement, la délocalisation, l’externalisation, l’intérim (la barre
maximale des 10% de l’ensemble de la masse salariale a été négociée avec les syndicats) ainsi
que la mise en place de mesures compensatoires, d’indemnités de départ volontaire ou de
primes de mutation pour encourager les salariés à une plus grande mobilité en dehors ou au
sein même de l’entreprise. Le défi d’un tel redéploiement des effectifs exigeait de la part de BT
une stratégie d’anticipation des besoins de compétences, de formation professionnelle et
d’organisation des plans de ressources humaines afin de calculer au plus près les besoins de
recrutement et d’éviter les sureffectifs dans certains secteurs. Ainsi, on constate que les
effectifs sont restés relativement stables tout au long des dix dernières années, autour des 100
000 salariés.
Les résultats de ces restructurations alliés au développement d’une expertise en matière de
restructuration et de santé ont débouché sur la mise en place de mesures relatives au suivi et à
la promotion de la santé chez BT. Cela s’est fait avec le soutien d’un CHSCT influent et
hautement respecté, dont les membres bénéficient « d’une large marge de manœuvre » pour
faire leur travail et participent à toutes les procédures grâce à un accord de partenariat avec la
direction. Ces initiatives ont pour objectif de permettre à l’entreprise de surveiller l’état de
santé de ses employés pendant les phases de réorganisation et de les aider à surmonter un
environnement de travail toujours plus précaire, compétitif et instable.
Le suivi de la santé : une première méthode pour mesurer le stress et répondre aux
problèmes
Le syndicat des télécommunications, le Communication Workers Union (CWU), ayant maintes
fois signalé la question de la santé des salariés, s’ensuivirent les nominations d’un nouveau
Chief Medical Officer (médecin-hygiéniste en chef de la santé) et d’un responsable en chef de
la santé et de la sécurité. De plus, deux nouvelles initiatives furent mises en œuvre: STREAM,
un outil en ligne de mesure du stress, et Work Fit, un programme visant à améliorer la santé des
salariés. STREAM démarra en 2004 avec l’objectif de repérer le stress chez les employés puis
de le traiter en conséquence. Le lancement de cette initiative se fit en relation avec l’organisme
de droit public chargé de l’inspection du travail, the Health and Safety Executive (HSE) et sa
volonté d’améliorer la santé mentale au travail. L’entreprise, qui jusque-là avait toujours
contrôlé l’absentéisme pour raisons médicales, était consciente qu’environ 20% des absences
étaient liées à des troubles psychiques.
25
STREAM permet à chaque employé, s’il le souhaite, de rentrer confidentiellement son niveau
de stress en ligne ; les données sont ensuite rassemblées et analysées au niveau de toute
l’entreprise. Le questionnaire en ligne a été mis au point par un psychiatre clinicien et évalué
par des groupes de travail. STREAM permet de détecter « les pressions excessives ou
intolérables ayant des effets physiques ou psychologiques sur le corps humain ». De son côté,
l’employé reçoit un rapport exprimé par un code de couleurs (vert, orange, rouge) et
comportant des suggestions pour faire baisser le niveau de stress. En outre, le système fait
suivre ce rapport confidentiel au responsable hiérarchique direct de l’employé (seuls l’employé
et son supérieur direct ont accès au rapport). Dans le cas d’un niveau de stress élevé, le salarié
aura la possibilité d’en discuter avec son supérieur afin de trouver une solution. S’il préfère, il
pourra avoir cet entretien particulier avec le responsable hiérarchique suivant ; le supérieur
direct étant parfois la cause du problème. STREAM peut repérer différents types de problèmes
et offrir des solutions relatives à la charge de travail, la garde d’enfants, la flexibilité des
horaires de travail ou l’endettement. De plus, le salarié peut décider d’en parler à un conseiller
psychosociologique dans le cadre du programme d’aide aux employés (PAE) de l’entreprise, de
contacter la ligne d’écoute pour obtenir des conseils confidentiels et gratuits ou de demander
une séance gratuite avec un conseiller (sous-traitée à une agence de conseil via un
intermédiaire). Le personnel d’encadrement peut aussi demander un soutien pour régler les
problèmes mentionnés par les employés dans leur rapport.
Les résultats de STREAM peuvent aussi être compilés afin d’obtenir une vue d’ensemble des
problèmes de santé. Ces évaluations d’ordre général sont fortement encouragées par le CWU
ainsi que le CHSTC étant donné le stress quotidien auquel certains employés de BT, ceux des
centres d’appels notamment, sont soumis. Bien que STREAM ne soit pas utilisé dans le
contexte des restructurations, des niveaux de stress plus élevés ont été constatés lors de la
réorganisation de départements. Les rapports délivrés par STREAM permettent aux
responsables de prendre régulièrement connaissance des problèmes des employés et
d’intervenir ou de les rassurer en période d’incertitude. D’après un représentant syndical, à l’été
2006, entre 20 et 25% des salariés avaient utilisé STREAM. L’outil comprend aussi un tableau
de bord, le « Mental health dashboard », qui enregistre les congés de maladie liés à des
problèmes d’ordre psychologique, toutes les informations relatives à l’orientation des employés
à l’intention du service de médecine du travail ainsi que l’issue du processus STREAM.
La deuxième initiative Work Fit porte sur les problèmes de santé physique liés au mode de vie
actuels, notamment l’obésité, l’hypertension et le diabète. Elle a été mise en place en
collaboration avec un certain nombre d’organismes publics et privés qui ont à cœur de
promouvoir une bonne hygiène de vie. Le programme se déroule sur 16 semaines sur la base du
volontariat. En outre, le vieillissement de la masse salariale et les problèmes qui vont de pair
sont aussi pris en compte. En effet, ces employés sont moins susceptibles de faire du sport et
donc plus exposés au risque de maladies cardio-vasculaires. La quasi-totalité du programme est
diffusée via le réseau interne de BT et par courriel. Work Fit fixe aux participants des objectifs
hebdomadaires en matière de nutrition et d’exercice physique, ce qui se conclue souvent pour
beaucoup par une perte de poids. Les participants s’entraident et sont répartis en équipes qui
sont ensuite encouragées à rivaliser entre elles, ce qui non seulement accroît leur motivation
mais leur permet aussi de collecter de l’argent en faveur d’une association caritative. L’accès
au programme est gratuit et confidentiel. Si, comme avec STREAM, les participants ont la
possibilité de suivre leurs progrès, ils peuvent dans ce cas précis aussi suivre ceux de leur
équipe. À la fin du programme, l’entreprise organise une fête pour récompenser et féliciter les
salariés de leurs exploits. Jusqu’à présent, le taux de participation a dépassé toutes les attentes.
26
D’abord estimé à 5 000, le nombre d’inscrits pour les douze premiers mois s’est élevé à 16 500,
dont un cinquième a déjà terminé le programme avec succès.
Évaluation et pérennité des mesures
Le CHSTC et le CWU ont grandement participé à promouvoir ces deux outils au départ. Des
stands, des démonstrations et des réunions d’information ont été organisés par les représentants
syndicaux à travers tout le Royaume-Uni. Le personnel d’encadrement a lui aussi pris part à la
démarche en autorisant les employés à se rendre aux réunions sur leur temps de travail. Deux
infirmières du travail ont été recrutées pour pouvoir informer et conseiller les salariés. En plus
de STREAM et Work Fit, BT a aussi investi dans deux autres initiatives d’aide à la gestion du
stress dans une entreprise en perpétuelle mutation. L’une d’elle, intitulée «Positive Mentality »,
est une campagne de sensibilisation de 16 semaines qui encourage les employés à prendre
davantage soin de leur santé mentale. L’autre est une campagne anti-tabac qui, suite à
l’interdiction de fumer dans les lieux publics en Écosse puis chez BT, a pour objectif d’aider
les salariés à réduire leur consommation voire à totalement arrêter de fumer par le biais
d’informations et de conseils. Cette campagne est organisée en association avec les caisses
primaires d’assurance maladie et bénéficie d’un accord autorisant les employés à se rendre sur
leur temps de travail à des séances pour les aider à arrêter de fumer sur leur lieu de travail.
Ainsi, plutôt que de se contenter de régler les problèmes, ces nouvelles initiatives contribuent à
s’attaquer aux répercussions sur les salariés de la précarisation de l’emploi et des
restructurations récurrentes, ce qui réciproquement a entraîné le recours à des initiatives de
santé plus proactives en matière de prévention.
2.5.
Soutien externe aux employés et initiatives internes de santé : Hôpital
Saint-Joseph de Brême (Allemagne)
Le St Joseph Stift GmbH, un hôpital privé situé à Brême dans le nord-ouest de l’Allemagne, a
connu plusieurs phases de restructuration ces dernières années sous la forme de scissions visant
à accroître sa compétitivité par la réduction des coûts. Les scissions concernèrent
principalement les services auxiliaires et non-médicaux de l’hôpital tels que la kinésithérapie,
la restauration, l’entretien et l’informatique et la gestion des équipements. Autrement dit, ces
départements qui employaient environ 10% de l’ensemble du personnel de l’hôpital, devinrent
soit des filiales soit des sous-traitants totalement indépendants de l’hôpital alors que la majorité
des employés concernés continuaient d’occuper les mêmes fonctions et le même poste
qu’avant. Afin d’accompagner les salariés affectés par les restructurations, la direction, le
médecin du travail et le Comité des Employés travaillèrent ensemble pour élaborer un certain
nombre de mesures de transfert telles que : des accords de sécurité de l’emploi avec le nouvel
employeur et des exemptions spéciales pour ceux qui approchaient de la retraite. Dans certaines
des entreprises issues des scissions, l’hôpital se garda même un droit de véto au niveau du
conseil d’administration.
Mesures d’accompagnement et initiatives en matière de santé
Alors qu’ils étaient désormais employés par des filiales ou des entreprises sous-traitantes, les
salariés de certains départements continuèrent à travailler dans l’hôpital. Afin de régler les
problèmes de l’hôpital tout en maintenant une bonne relation de travail avec les anciens
salariés, il fut décidé que le médecin du travail servirait de médiateur et de point de contact
pour les employés concernés. De cette manière, si ces employés se sentaient sous pression ou
pas assez soutenus au travail, ils pourraient aller voir le médecin du travail qui transmettrait
27
leurs problèmes à la direction de l’hôpital qui, à son tour, en ferait part au nouvel employeur.
Comme un responsable de l’hôpital siège généralement au conseil d’administration de ces
filiales et compagnies, le bien-être des salariés qui travaillent toujours dans les locaux de
l’hôpital est bien représenté et correctement pris en compte. Par conséquent, ces employés
bénéficient du soutien de leur nouvel employeur ainsi que celui des représentants de l’hôpital,
ce qui est une condition importante pour la coopération continue entre le personnel médical de
l’hôpital et ces employés de prestations de services désormais gérés par des sociétés externes.
En plus de ces mesures de soutien, l’hôpital avait lancé plusieurs initiatives de promotion de la
santé pendant la phase de scission. L’une d’elle, la journée de la Santé pour les employés fut
mise en place en 2003 avec l’objectif de promouvoir la santé du personnel, de fournir des
informations sur la sécurité au travail, d’encourager les gens à s’inscrire dans des clubs sportifs
gérés par les membres du personnel, d’enseigner des techniques de relaxation, etc. Cette
journée vise aussi à améliorer la communication entre les départements. Les anciens employés
sont toujours invités à participer à ces activités et à profiter de ce programme de santé au même
titre que le personnel hospitalier. À travers cette journée créée essentiellement à l’initiative du
médecin du travail en collaboration avec la direction, le St Joseph Stift cherche à offrir à son
personnel des occasions d’évoluer de manière positive. Aider le personnel à concilier vie privé
et vie professionnelle est d’autant plus essentiel pour le médecin du travail et de la direction de
l’hôpital que les conditions de travail en milieu hospitalier sont particulièrement
exigeantes (longues journées de travail, horaires décalés, niveau élevé de stress physique et
psychologique). Si pour l’instant la journée de la Santé reste essentiellement une journée
d’information, des projets de développement sont en préparation.
Le St. Joseph Stift continue à encourager la proche collaboration entre le Comité des Employés
et le médecin du travail à plus forte raison qu’à la différence des hôpitaux publics, il ne possède
aucun conseiller spécialisé pour traiter les conduites addictives et relativement peu de
travailleurs sociaux ou de psychologues. Ainsi, plusieurs groupes de travail ont été mis en place
pour répondre aux préoccupations des employés, relever les défis de la concurrence dans le
secteur de la santé et promouvoir de nouvelles initiatives en matière de santé. L’hôpital compte
un groupe de réflexion sur la question du « harcèlement au travail » qui a finalisé en 2006 un
accord de conduite au travail. Un autre groupe est responsable de la gestion de la qualité et
organise tous les trois ans une enquête auprès du personnel et des patients afin d’avoir une
vision générale de la situation. Le médecin du travail participe à cette équipe. Un autre groupe
spécialisé dans la santé travaille actuellement, sous la houlette du directeur des ressources
humaines, à la mise en place d’une « chaîne d’intervention spéciale conduites addictives » qui
détaillera les procédures et les mesures de soutien. Son objectif est de permettre au personnel
souffrant de conduites addictives ou de stress (physique ou psychologique) lié au travail
d’avoir accès en toute confidentialité à une cellule d’écoute composée de conseillers internes.
Évaluation et pérennité des mesures
Cette étude de cas montre comment une entreprise peut efficacement améliorer la situation de
ses employés touchés par les scissions et les restructurations. Le mode d’action proactif dont a
fait preuve l’hôpital, d’une part, les initiatives en matière de santé et les mesures
d’accompagnement lors du transfert qui en ont résulté, d’autre part, prouvent à quel point
l’engagement de certaines personnes au sein de l’entreprise (dans ce cas notamment la
direction, le Comité des Employés et le médecin du travail) joue un rôle capital dans le succès
de la planification de restructurations. Plutôt que de couper tous les ponts avec ses anciens
salariés, l’hôpital Saint-Joseph a réussi à maintenir de bonnes relations avec ces personnes
28
devenues désormais prestataires de services de l’hôpital. En évitant ainsi les conflits et en
affichant clairement son investissement, la qualité des services a pu être maintenue.
Le système mis en place pour faire remonter les commentaires entre le médecin du travail, le
Comité des Employés et la direction garantit que les problèmes sont traités et que le bien-être
des salariés dans un environnement de travail très stressant est pris au sérieux. Autre point très
encourageant, les efforts continus de l’hôpital pour développer les initiatives et la collaboration
entre tous les acteurs, y compris ces anciens salariés qui travaillent toujours à l’hôpital pour le
compte d’un nouvel employeur. Comme ces outils sont toujours en cours de développement,
aucunes données ne sont pour le moment disponibles. Très faciles à mettre en place dans la
plupart des cas, ces initiatives mériteraient d’être instaurées un peu partout.
2.6.
Les nouveaux acteurs sociaux et leurs approches
Au cours du projet MIRE, nous avons remarqué un certain nombre d’acteurs sociaux et
d’approches que nous présenterons rapidement ici.
L’Association
Fédérale
des
Mutuelles
d’Entreprises
(Bundesverband
der
Betriebskrankenkassen ou BV BKK) a joué un rôle clé dans le cas de Saint-Gobain, prouvant
comment les priorités d’une mutuelle d’entreprises peuvent coïncider avec l’intérêt d’une
entreprise à promouvoir la santé au travail. La BV BKK a opté pour une démarche proactive,
profitant des dispositions prévues par la loi allemande (Code de la Sécurité Sociale, SGB V
§20) pour financer un certains nombres d’initiatives visant à promouvoir la santé chez les
employés et à prévenir des maladies dans certains groupes à risques. Le raisonnement sousjacent à de nombreuses initiatives de la BV BKK est le suivant : aider les sociétaires au
chômage à s’adapter et à mieux gérer leur retour à l’emploi permet non seulement de réduire
les dépenses en matière de santé mais aussi de donner à ces personnes les moyens de gérer leur
situation d’inactivité forcée si cela vient à se reproduire. Afin de mener à bien ces projets, la
BV BKK créa une filiale spécialisée dans l’organisation de ces programmes de santé. La BV
BKK a aussi participé à de nombreux réseaux nationaux et européens de promotion de la
santé ; elle est impliquée dans un groupe de travail sur les inégalités sociales basé dans les
bureaux de l’OMS à Copenhague et à Venise. Par ailleurs, la BV BKK est un organisme de
liaison de la Commission européenne pour le Réseau Européen de Promotion de la Santé qui
représente trente États membres et leurs organisations chargés de coopérer avec les ministères
de la santé de ces pays. En outre, la BV BKK se réunit deux fois par an avec d’autres
organismes européens pour échanger des idées et des expériences en matière de promotion de
la santé.
Plusieurs approches intéressantes mises en place lors de restructurations pourraient servir de
point de départ à de futures initiatives en matière de santé. Ainsi, le Luton Health Observatory,
l’observatoire de la santé de Luton, est né de la fermeture de l’usine Vauxhall de Luton au
Royaume-Uni. La collecte d’informations sur les statistiques de santé dans les collectivités
locales et les bassins locaux d’emploi est une importante avancée pour combler l’écart entre les
répercussions évidentes des restructurations et les effets sur le plan individuel de la précarité de
l’emploi ou du chômage qui en résultent. Depuis que la mairie de Luton l’a intégré à son site
Internet, le Luton Health Observatory est maintenant accessible à tous. Le réseau Optim@ en
Belgique est un autre exemple d’acteur local qui s’intéresse à la santé dans les régions
subissant des restructurations. Composé d’acteur sociaux et de santé, Optim@ bénéficia à
l’origine d’un financement d’entreprise pour mettre en place des projets de réaménagement du
29
territoire à la suite de restructurations qui avaient mené à la fermeture d’une usine, comme à
Luton. Bien qu’en de nombreux points similaires au Luton Health Observatory, Optim@
s’intéresse principalement aux aspects économiques et sociaux de la population de Seraing et
reçoit entres autres le soutien d’un réseau de la région Wallonne. Il concentre ainsi ses efforts
sur le bien-être des habitants et l’amélioration du niveau de vie de quartiers durement touchés
par les vagues de restructurations.
Rares sont les entreprises en Allemagne (ou plus généralement dans les quatre pays participant
au projet MIRE, la Belgique, la France, le Royaume-Uni et la Suède) qui ont adopté des
méthodes similaires pour intégrer la promotion de la santé au travail. Un investissement plus
grand de la part des systèmes nationaux de santé, des compagnies d’assurance professionnelles
et des organismes de santé serait vraiment souhaitable en Europe pour partager de tels savoirfaire avec les entreprises désireuses de mettre en place des initiatives en matière de santé. Les
PME notamment ont besoin d’être accompagnées pendant les phases de restructuration.
Toutefois, il est rare que la mise en place de mesures préventives de santé soit la priorité des
entreprises projetant des restructurations, ce qui malheureusement rend celles-ci beaucoup plus
problématiques en l’absence de méthodes d’anticipation qui pourraient informer à l’avance les
caisses primaires d’assurance maladie et autres acteurs sociaux des futurs plans de
restructurations et de licenciements. À moins qu’ils soient tenus informés des plans sociaux
suffisamment à l’avance, des acteurs responsables tels la BV BKK seront dans l’incapacité de
partager leur expérience et leurs savoir-faire au profit de ces employés victimes des
licenciements.
3. Co nc l usi o n des é tudes de ca s
Toutes ces pratiques et études de cas analysées dans le cadre du projet MIRE offrent une vue
d’ensemble des approches actuellement disponibles. Afin de résumer les tendances générales,
nous nous intéresserons d’abord aux contributions des innovations décrites dans les études de
cas, puis aux problèmes et obstacles liés à leur mise en place et enfin, aux moyens de
surmonter ces difficultés grâce à une série de recommandations.
Le rôle joué par les mutuelles d’entreprises (cf. le cas de Saint-Gobain) ou par les organismes
de santé dans d’autres pays, représentent un point de départ intéressant pour de futures
initiatives de ce genre, que ce soit en Allemagne ou ailleurs. Il est dans l’intérêt commun des
mutuelles de santé et des compagnies d’assurance maladie d’améliorer leur système de
prévention des risques de santé afin, non seulement d’éviter une baisse des contributions mais
aussi d’afficher clairement leur engagement à l’égard de leurs adhérents. Ce cas d’étude
pourrait inciter le développement continu d’idées en matière de promotion de la santé et
l’application de telles initiatives à d’autres cas de restructuration. Une plus grande coopération
entre les agences de reclassement serait souhaitable ainsi qu’une plus grande interaction entre
des mesures similaires de soutien pendant les phases de restructuration et de promotion de la
santé. L’objectif de ces collaborations serait d’établir des relations à long terme entre les divers
consultants et de convenir des dispositifs et du calendrier des programmes.
Il reste à savoir dans quelle proportion la promotion de la santé sera adoptée comme mesure
d’accompagnement pendant les processus de restructuration. Bien qu’il ne soit pas encore
possible à ce point de prévoir les bienfaits exacts de telles initiatives, il revient peut-être au
projet MIRE de souligner leur utilité et leurs avantages possibles. Ainsi, cela pourrait faire
30
avancer le débat sur le rôle actif des entreprises dans un réel soutien aux victimes de
licenciements, leur responsabilité sociale et plus généralement, leur contribution à
l’accompagnement de toutes ces personnes en proie à la précarité et au chômage.
Les initiatives en matière de santé avant, mais aussi pendant la phase de restructuration,
permettent à l’entreprise, au consultant ou à tout autre organisme officiel d’aborder de front le
problème du chômage et de la santé. Ces initiatives diffèrent de celles utilisées par les
« sociétés de transfert» ou les organismes de reclassement dans la mesure où le recours à la
promotion de la santé, bien avant que les salariés ne quittent l’entreprise, permet à l’ensemble
du personnel d’en profiter.
Ericsson a d’abord introduit le conseil en matière de réadaptation dans un but purement
pratique, à savoir lui permettre d’atteindre l’objectif fixé des 80% de solutions trouvées (un
nouvel emploi, une reprise d’étude ou la création d’entreprise) pour les participants au
programme Forum. Les circonstances particulières de ce cas de restructuration doivent être
prises en compte, principalement, l’esprit d’ouverture de la direction qui a fait appel à des
conseillers-psychologues, les consultants en ressources humaines. En outre, les moyens
financiers importants, l’investissement de l’encadrement, la bonne gestion du programme ont
joué un rôle décisif dans une telle approche innovante. Sans ces variables, le concept « de
conseil en matière de réadaptation » n’aurait certainement pas été adopté sous le même format,
le programme Forum pas si souvent revu et corrigé et la collaboration avec les acteurs internes
et externes pas si étroite et fructueuse. Surtout, Ericsson a bénéficié de l’expertise de
consultants parfaitement qualifiés pour ce genre de situation. La combinaison de tous ces
facteurs est véritablement à l’origine de cette réussite Néanmoins, jusqu’à ces grosses vagues
de licenciements, la santé n’avait jamais été l’une des priorités de la compagnie. C’est
seulement lorsque le nombre d’employés nécessitant de l’aide a commencé à atteindre des
records, qu’elle le devint.
Même s’il est peu probable que des circonstances similaires se reproduisent, en particulier pour
les petites et moyennes entreprises, l’exemple d’Ericsson ouvre la voie pour changer les
comportements et pour aider les salariés à mieux vivre les périodes de transition
professionnelle et à prendre soin de leur santé. Les entreprises étant de plus en plus conscientes
des limites du seul contrôle de l’absentéisme, cette nouvelle approche est susceptible de leur
apparaître comme une méthode pertinente de gestion des ressources humaines, à condition
toutefois de trouver des prestataires de services qui offrent ce type d’accompagnement. En
effet, l’absentéisme en tant que tel n’est pas un indicateur fiable de santé des salariés. Si le
groupe TeliaSonera n’est pas allé aussi loin qu’Ericsson, il a néanmoins commencé à introduire
un accès régulier à des consultants dans ses services de gestion du personnel. Depuis, le groupe
consacre de plus en plus de temps à mettre en œuvre des procédures visant à gérer au quotidien
les problèmes potentiels de santé. À cette fin, il a non seulement instauré un budget de
dépenses de santé mais il a aussi clairement fait comprendre à ses dirigeants qu’ils étaient
responsables du bien-être de leurs équipes.
Si le cas de Saint-Gobain se limitait à transmettre des informations et à organiser des ateliers,
celui de BT montre combien une entreprise peut instaurer des mesures telles que STREAM et
Work Fit, permettant aux employés, d’une part, de surveiller leur état de santé et à la
compagnie, d’autre part, de contrôler les problèmes de santé à travers ses différents sites, qu’il
soit question ou non de restructuration. Les outils en ligne encouragent les salariés à prendre en
main leur santé et leur hygiène de vie en leur donnant soit des informations, soit la possibilité
de bénéficier d’un accompagnement avec des consultants extérieurs et de conseils confidentiels
31
via une ligne d’écoute interne. La santé figure clairement au programme de BT et tous les
employés peuvent en profiter. En contrepartie, la compagnie a accès à toutes les données
nécessaires, dans le cadre d’un accord de confidentialité, pour concevoir et mettre en œuvre des
stratégies en matière de santé sur ces sites où les niveaux de stress sont inhabituellement élevés,
que ce soit à cause de réorganisations ou de la charge de travail. Ces approches révèlent aussi la
vérité derrière les taux d’absentéisme, à savoir qu’ils ne sont plus les indicateurs les plus fiables
de bien-être des salariés à une époque où les exigences technologiques au travail et la
concurrence sur le marché de l’emploi ne cessent d’augmenter. Malgré l’incertitude croissante
due à la nature dynamique du secteur et à la compétitivité du marché des technologies, BT
s’engage par tous les moyens à préserver et à améliorer la santé de ses employés
indépendamment des projets actuels ou futurs de réorganisation. Ajouter la santé aux
responsabilités de l’entreprise et ce, que les circonstances soient bonnes ou difficiles comme
dans le cas de restructurations, est indéniablement une avancée.
Les mesures prises par l’hôpital Saint-Joseph vis-à-vis des employés travaillant désormais pour
des filiales ou des sous-traitants de l’hôpital, ont quant à elles dépassé le stade de la
restructuration. En effet, cet hôpital, en tant qu’employeur, s’est intéressé aux effets des
restructurations sur les employés dont le service avait fait l’objet d’une scission en suivant de
près leurs nouvelles conditions d’emploi. Ces idées sont réellement innovantes puisqu’elles
montrent comment de nombreux problèmes de santé peuvent être évités pendant et après les
restructurations. Dans ce cas précis, cela s’est fait en permettant aux employés de partager leurs
soucis avec des personnes qualifiées qui, en plus de prendre les mesures nécessaires, en ont
informé la direction avant qu’ils ne s’aggravent ou se transforment en problèmes de santé.
Bien qu’il ne soit pas forcément possible de mettre en place le même type de mesures de
soutien dans d’autres entreprises ayant recours à des scissions comme méthode de
restructuration, cet exemple indique néanmoins la marche à suivre et les avantages à long terme
d’une telle approche pour la compagnie principale.
Les initiatives de santé d’ordre général visant à offrir un soutien interne au personnel souffrant
de conduites addictives, de harcèlement moral ou autres devraient pouvoir être faisables dans
toute grande entreprise. Même pour les plus petites ou moyennes entreprises, des initiatives
peuvent être mises en place conjointement avec d’autres sociétés, les assurances maladies et le
médecin du travail (interne ou externe à l’entreprise) notamment : la journée de la Santé, un
dispositif de lutte contre le harcèlement, des informations claires sur la marche à suivre en cas
de problème ou de plainte, etc.
Tendances générales repérées dans les études de cas
Ces entreprises étaient décidées à investir dans de telles initiatives de santé pour deux raisons :
soit parce qu’elles devaient faire face à des problèmes pendant la phase même de
restructuration (cas le plus fréquent), soit parce qu’elles avaient auparavant pris conscience des
coûts de santé provoqués par les restructurations. Dans le cas de Saint-Gobain, le financement
est venu de l’Association Fédérale des Mutuelles d’Entreprises en Allemagne (BV BKK) qui
s’était rendu compte des coûts provoqués par la soudaine mauvaise hygiène de vie chez les
adhérents qui avaient perdu leur emploi. De la même manière, Ericsson, TeliaSonera et
l’hôpital Saint-Joseph avaient constaté que la performance et les perspectives d’emploi étaient
plus grandes chez les employés en bonne santé.
La durée et le format des initiatives de promotion de la santé étaient variables d’une entreprise
à l’autre. Si certaines se sont centrées sur l’organisation de séminaires et d’ateliers (comme
celui sur le développement des stratégies de coping organisé par Saint-Gobain), d’autres ont
32
encouragé et facilité l’accompagnement psychologique personnalisé (p. ex. les consultants en
ressources humaines dans le programme « Forum pour le Futur » mis en place par Ericsson)
associé à des conseils dispensés par des ecclésiastiques (p. ex. Prästbyrån chez Ericsson) et des
médecins (p. ex: la publication de directives et le soutien dans les cas de conduites addictives
proposés par Ericsson et par le St Joseph Stift). Dans certains cas, les entreprises ont aussi
essayé de mettre en place des mesures de santé à long terme sous la forme de professionnels
qualifiés qui faisaient le lien avec le personnel (p.ex. le médecin du travail à l’hôpital SaintJoseph, les conseillers-psychologues chez TeliaSonera, la ligne d’écoute confidentielle et
l’accès à des conseillers chez BT). Alors que certaines approches consistaient à diffuser des
informations générales et des recommandations de base sur la santé (en matière de nutrition,
d’activité physique, de sommeil et de conduites addictives), d’autres reflétaient la volonté des
sociétés de changer ou d’influencer le comportement de leurs employés. Dans ce cas, elles
avaient pour objectif d’aider les salariés à améliorer, d’une part, leurs stratégies de coping et
leur gestion individuelle de la situation et d’autre part, leurs chances et leurs perspectives sur le
marché de l’emploi. Il s’agissait alors, en parallèle avec des mesures plus classiques de
reclassement, de les accompagner à repérer leurs forces et leurs lacunes et à combler ces
dernières par le biais d’une formation. Si les initiatives à visée informative sont les plus simples
à mettre en place, les suivantes requièrent au contraire l’expertise de consultants et de
dirigeants adaptés, sans parler des moyens financiers adéquats pour financer ces projets
souvent à long terme. On distingue toutefois une troisième catégorie d’initiatives qui représente
un véritable défi pour les dirigeants : aider les salariés à rester motivés, leur donner le courage,
la confiance et le soutien émotionnel nécessaires durant leur période de transition
professionnelle malgré le spectre ou la réalité du chômage. Ainsi, les initiatives en matière de
santé nécessitent un véritable engagement de la part de l’entreprise et du personnel
d’encadrement ; elles ne doivent en aucun cas être un moyen d’éviter les conflits et
d’abandonner aux seuls employés la responsabilité de préserver leur santé physique et mentale
au travail. Il est particulièrement important que les principaux acteurs sociaux sachent dans
quelles mesures ils ont le droit, le devoir ou les moyens de soutenir des initiatives relatives à la
santé pendant des phases de restructurations financières et organisationnelles.
Ces études de cas ont aussi souligné les faiblesses des approches actuelles. Plus d’une fois, ces
initiatives ont été validées grâce à l’engagement d’une seule personne (p. ex. le médecin
d’entreprise, les représentants du comité d’entreprise ou le directeur des ressources humaines).
Par ailleurs, il semble qu’il faille souvent attribuer aux cabinets de conseil le mérite d’avoir
mentionné les premiers la question de la santé au cours du processus de restructuration. Les
consultants repèrent parfois plus vite les problèmes de santé chez les employés qui sont placés
dans des agences de reclassement que les anciens supérieurs hiérarchiques de ces derniers. Ceci
est inquiétant car cela sous-entend que les employés qui ne bénéficient pas de telles mesures de
reclassement quittent l’entreprise sans aucune sorte de soutien. Un autre sujet d’inquiétude est
le fait que nombre de ces programmes expérimentaux dépendent du financement d’un tiers.
Cela souligne non seulement la fragilité de ces expériences mais aussi le manque potentiel de
participation et d’implication de la part d’entreprises qui ne sont pas tenues d’assumer ces coûts
et ces évaluations devant leur propre conseil de direction.
Plusieurs signes néanmoins confirment la pérennité et le succès croissants de ces initiatives tels
que la mise en place de nouveaux observatoires de santé et l’apparition de prestataires de
services spécialisés dans les services de santé aux entreprises en cours de restructuration (p. ex.
le cabinet d’études Halsöpartner qui est né à la suite du programme Forum lancé par Ericsson).
Les premières indications révèlent que certaines initiatives ont gagné en longévité. Ainsi, le
groupe de marche nordique était devenu totalement autonome six mois après la fermeture de
33
l’aciérie Saint-Gobain ; les associations sportives de l’hôpital Saint Joseph fonctionnent très
bien depuis des années et le programme Work Fit mis en place sur seize semaines par BT pour
améliorer la santé de ses employés ne cesse de faire des adeptes. En outre, les consultants
reconnaissent de plus en plus la nécessité pour les agences de reclassement de recruter des
conseillers-psychologues et d’offrir leurs services en association avec la formation
professionnelle et un accompagnement au reclassement et au redéploiement. Si ces premiers
signes sont indéniablement encourageants, ils ne doivent néanmoins pas masquer la réalité
suivante : la plupart des initiatives sont des approches passives visant à résoudre les problèmes
créés par l’augmentation du nombre de congés maladie, l’allongement des arrêts de travail et
les situations de conflit pendant le processus de restructuration.
Obstacles récurrents
Malgré l’intérêt grandissant que suscite la question de la santé au travail et pendant le chômage,
les initiatives en matière de santé pendant les phases de restructuration restent très rares. Les
cinq cas présentés font figure d’exception plutôt que de norme. Les barrières et obstacles à la
mise en place de pratiques innovantes sont multiples. Au niveau de la loi, d’une part, le cadre
législatif et les systèmes d’assurance maladie pour chômeurs ne prennent absolument pas en
compte l’employabilité et son lien avec la santé. De plus, si certaines mutuelles continuent de
couvrir leurs adhérents quant ils sont au chômage, ce n’est pas le cas dans d’autres pays
d’Europe ou aux États-Unis. Selon le secteur d’activité et leurs relations avec les entreprises,
certaines mutuelles pourraient répondre à un réel besoin en proposant aux sociétés des services
d’information et d’éducation en matière de santé. Les différences de cadre législatif se
retrouvent aussi pour les travailleurs en incapacité de travail et varient grandement d’un pays
ou d’une entreprise à l’autre, notamment en ce qui concerne l’accès à la préretraite.
Au niveau des entreprises, d’autre part, l’obstacle principal est le facteur d’invisibilité qui
touche les PME. Ces dernières ont en général moins d’expertise, moins de moyens financiers et
un accès limité à l’information. Toutefois, les licenciements et les accidents du travail en lien
direct avec les restructurations sont beaucoup plus importants dans les PME que dans les
entreprises plus grandes. Pourtant, c’est dans ces dernières que l’on observe la plupart des
pratiques innovantes dont les résultats sont ensuite généralement analysés en partenariat avec
des cabinets de conseil. Il est vrai qu’elles bénéficient aussi de fonds de restructuration
beaucoup plus généreux que les PME. Par ailleurs, les grandes entreprises ont aussi pris
conscience des avantages qu’elles peuvent tirer à publier leurs initiatives sur le plan de
l’amélioration de leur image comme compagnie socialement responsable, de l’obtention de
certifications hautement prisées et bien sûr de nouvelles commandes.
Les exemples positifs des études de cas ne reflètent pas la vision conservative que partagent
nombre de dirigeants et selon laquelle les restructurations ne font pas partie intégrante du
développement organisationnel. Au contraire, elles sont vues comme un processus perturbateur
qui doit être achevé au plus vite. Cette vision négative empêche la mise en place de projets
bénéfiques à long terme et leur recours au-delà de la phase de restructuration active, autrement
dit, la phase de licenciements. Par ailleurs, la situation est souvent compliquée par l’absence de
dispositif en matière de ressources humaines qui permettrait de gérer les suppressions d’emploi
soudaines ou répétées et de faire de la santé une responsabilité de l’entreprise. Sans des
procédures clairement établies, la gestion du conflit a de grandes chances d’être improvisée.
Ceci est souvent aggravé par le manque d’information des dirigeants sur les besoins de leurs
employés (maintenus dans leur emploi ou sur le point d’être licenciés), leur formation et leur
état de santé. Ainsi, comme le montrent très bien les cas d’Ericsson et de TeliaSonera, les
dirigeants ne prirent pleinement conscience des problèmes qu’avec le début du processus de
34
restructuration. De plus, il semble que les représentants des entreprises ne sachent pas toujours
vers quels cabinets de conseil ou quels organismes (publics ou privés), se tourner pour obtenir
des informations, des financements ou des conseils d’expert en dehors du cadre habituel des
risques de santé (surtout physique) et de sécurité au travail.
Tout comme cet accent sur la santé physique reste prédominant dans la plupart des entreprises,
«l’employabilité » est souvent un concept difficile à appréhender pour les départements des
ressources humaines. C’est sur ce point que les acteurs sociaux tels que l’agence nationale pour
l’emploi feraient bien de proposer des formations et de l’aide aux entreprises. L’absence de
mesures en matière de santé et d’employabilité est aggravée par les circonstances suivantes :
puisque la plupart des entreprises ne jugent pas valable d’investir du temps dans des initiatives
en matière de santé, les personnes sans emploi ou celles sur le point de le perdre, ont
généralement encore moins accès à des conseils et des actions de promotion de la santé
susceptibles d’accroître leur employabilité. L’accompagnement offert dans les ANPE
mentionne rarement la santé. Beaucoup d’entreprises quant à elles, s’opposent fortement à
l’idée de faire de la santé un sujet de discussion au travail, craignant que ces initiatives
conduisent les salariés à penser que leur santé deviendra un critère d’évaluation de leur
performance au travail, voire de sélection pour les futures suppressions de postes. Ainsi, le
manque de structure et les malentendus entres les employeurs et les employés expliquent la
rareté des initiatives. Surtout, on constate que ce sont les gens les plus en difficultés
(principalement les chômeurs) qui sont souvent le moins bien informés sur les effets du
chômage sur la santé. Le manque de compétence en matière de promotion de la santé
s’explique aussi par une définition limitée de la santé. La plupart des initiatives qui ont
rencontré un vif succès (massages de dos, marche nordique) se concentrent essentiellement sur
les aspects physiques de la santé au détriment de la santé mentale. La législation allemande qui
régit les mutuelles de santé (Social Security Code V) reflète bien le sens étroit du terme. Par
conséquent, il est difficile pour les acteurs sociaux du secteur de la santé d’obtenir des
financements pour des projets qui ne remplissent pas des critères spécifiques.
Par ailleurs, la tendance dans les sociétés occidentales à individualiser les problèmes de santé
amène à imputer les problèmes de santé à l’individu plutôt qu’à la conjoncture. L’influence des
composants situationnels et des pressions sur les employés, ainsi que les problèmes de santé
(physique et mentale) qui s’ensuivent, ne sont remarqués que lorsqu’un vaste plan de
restructuration entraîne l’apparition de troubles similaires chez un nombre important de
salariés. Cela prouve donc que ce sont le travail et l’environnement de travail, et non la
disposition, qui sont à l’origine de certains problèmes de santé. Les idées fausses, les
malentendus, la stigmatisation, une connaissance limitée et la sous-estimation des problèmes
sont aussi des obstacles aux initiatives en matière de santé. Certaines personnes interprètent ces
initiatives comme un moyen de « soigner » des personnes en mauvaise santé. C’est pourquoi,
beaucoup de dirigeants rejettent ces approches. Ces idées préconçues ne peuvent être
combattues qu’en faisant de la santé un sujet général abordé à la maison, au travail, dans les
programmes scolaires et universitaires (informations sur la promotion et la préservation d’un
bien-être physique et psychologique, la santé et l’employabilité, les effets des restructurations
et du chômage). En outre, les organismes publics doivent agir pour davantage partager leurs
informations avec le public et rendre compte de leurs activités et progrès. Actuellement, de
nombreux programmes expérimentaux souffrent d’un manque d’expertise sur le plan de
l’évaluation, de la dissémination et de la mise en place de ces projets auquel s’ajoute le
problème du taux décroissant de participation (reclassement réussis, horaires décalés,
obligations familiales, déplacement, manque de motivation, etc.). Une meilleure information
sur les pratiques et les approches innovantes, la dissipation des malentendus, un réel dialogue
35
entre les acteurs sociaux, telles sont les conditions nécessaires pour que les initiatives en
matière de santé soient plus répandues et mieux acceptées.
4. Rec o mma ndati ons
Les facteurs qui vont suivre ont été identifiés comme des conditions essentielles
d’environnement pour encourager les entreprises à recourir à des initiatives en matière de santé
au travail. Tout d’abord, les entreprises, et particulièrement leur direction, doivent activement
prendre part au débat sur la santé et aux activités innovantes. Sans encouragement actif et sans
la mise en valeur de modèles à suivre, les mesures passives limitées à l’information ne
s’accompagneront d’aucun bénéfice pour la santé. Un deuxième facteur concerne le manque de
moyens ou la mauvaise volonté pour financer de telles initiatives. Les cadres législatifs peuvent
jouer un rôle que dans une certaine mesure (le cas Saint-Gobain a montré comment la
réglementation peut encourager les initiatives relatives à la santé) ; il faut en effet que
l’entreprise ait déjà mis en place certaines procédures (comme le groupe de travail sur la santé
auquel le directeur des ressources humaines participe à l’hôpital Saint-Joseph) pour qu’elle
puisse ensuite décider quels projets mettre en place et pour qui en particulier. Un troisième
problème concerne les objectifs et la description inadaptée des critères de réussite des
initiatives qui donnent lieu à une évaluation faussée des résultats, voire à une absence totale
d’évaluation. Très souvent, les concepts de maladie et de santé font l’objet de différentes
interprétations, ce qui laisserait à penser que les salariés sont classés en fonction de leur santé,
leur classe sociale et leur comportement. Ces définitions floues et erronées compromettent les
analyses et peuvent conduire à des erreurs d’interprétation des données. Par ailleurs, la plupart
des pratiques innovantes présentées dans ce rapport, ont été introduites avant tout pour résoudre
un problème et moins pour prévenir de manière proactive des problèmes de santé susceptibles
de se déclarer à l’avenir. Le manque d’expertise des prestataires de services publics ou privés,
qui sont prêts à offrir leur aide mais n’ont pas les connaissances requises pour mettre en œuvre
et évaluer ces projets expérimentaux, pose aussi problème.
Les recommandations suivantes reposent sur des analyses d’études de cas, d’entretiens avec
des experts, de consultations en réseau et d’un atelier consacré à la santé pendant le projet
MIRE. Elles ont pour objectif de convaincre de l’utilité au travail de ces initiatives en matière
de santé, d’augmenter leur disponibilité et leur mise en place principalement pendant les
restructurations.
4.1.
Modifier les pratiques actuelles des entreprises
4.1.1. Intégrer les initiatives relatives à la santé au processus de restructuration
Les mutations, les mesures de transfert, les programmes de restructuration et de reclassements
sont des pratiques de plus en plus courantes. Vu la durée de la majorité des programmes, il
devrait être faisable de mettre en place à la même période des initiatives relatives à la santé.
Les études de cas ont montré le large éventail de pratiques qui pourrait être instauré afin
d’accroître la sensibilisation aux questions de santé non seulement chez les salariés sur le point
d’être licenciés mais aussi chez ceux maintenus dans l’entreprise.
4.1.2.
Partager la responsabilité des initiatives relatives à la santé entre tous les acteurs
Les entreprises ou même les syndicats ne devraient pas être les seuls à endosser la
responsabilité de la promotion de la santé et de son financement, particulièrement pendant les
restructurations. Davantage d’information et de moyens financiers devraient être proposés par
36
le cadre législatif et les organismes publics tels que l’agence nationale pour l’emploi, mais
aussi par les compagnies d’assurance pour les accidents du travail, les mutuelles et les
associations professionnelles représentant certains secteurs d’activité.
4.1.3. Instaurer des actions régulières de promotion de la santé
Associer les initiatives en matière de santé à l’accompagnement en gestion de carrière et à
d’autres méthodes de reclassement pourrait augmenter l’efficacité de ces mesures de transition
pendant la phase de restructuration. En effet, cela contribuerait à stabiliser les employés d’un
point de vue psychosocial et leur permettrait ainsi de mieux gérer la période transitoire et ses
difficultés. Les initiatives de promotion de la santé devraient être régulièrement organisées, et
ce avant même que les licenciements aient lieu, afin d’augmenter l’employabilité, de préserver
la santé des employés et de les aider, ainsi que les employeurs à mieux gérer les périodes
d’incertitude.
4.1.4. Faciliter l’accès à ces initiatives pendant les horaires de travail
Les programmes expérimentaux ont montré que le succès des initiatives dépendait de la
possibilité des salariés à y accéder et à les utiliser sur leur temps de travail. Autoriser les
employés à profiter des ces offres de promotion pendant les horaires de travail est un moyen
pour la direction d’afficher son soutien. Les entreprises de petite taille peuvent mettre en place
ce type de mesures en signant des accords avec des partenaires locaux tels que les piscines, les
salles de sport, les salles de musculation, les kinésithérapeutes, etc.
4.1.5. Encourager les initiatives de bonne pratique au niveau local
Le succès remporté par certains programmes expérimentaux a révélé que les initiatives locales
de recherche de bonne pratique étaient un bon moyen d’inciter même de petites entreprises à
adopter de nouvelles approches, particulièrement si cela se traduit par la suite par de la
publicité et des commandes supplémentaires. Les chances de participation des petites
entreprises seront d’autant plus grandes si les initiatives sont soutenues par des associations
locales de commerçants, des consultants ou des chercheurs capables de faire part de leur
expertise aux dirigeants des entreprises et d’évaluer les programmes. Toutefois, ces projets
doivent être à long terme afin d’établir une relation de confiance entre les acteurs et augmenter
le taux de participation des petits patrons. Des exemples positifs peuvent inciter les acteurs à
parler plus ouvertement des problèmes, des questions de compétence et de responsabilité qui
surgissent pendant les restructurations.
4.1.6. Développer des approches spécifiques pour les PME
Les PME sont souvent moins bien informées sur les financements disponibles et les avantages
potentiels des conseils de santé. Faciliter les demandes d’information sur les conditions
d’obtention des financements ou de mise en place d’un programme d’aide aux employés (PAE)
en réduisant les démarches administratives, contribuerait très certainement à développer la
promotion de la santé dans ces PME, à l’expertise et aux financements limités. Permettre à ces
entreprises et à leurs salariés d’avoir accès à des commentaires, est un bon moyen pour inciter
les entreprises à aborder la santé d’un point de vue positif, c’est-à-dire à se concentrer
davantage sur la promotion de la santé que les sur les problèmes.
37
4.2.
4.2.1.
Les rôles potentiels des acteurs sociaux, nouveaux et existants
Accroître l’accès et l’utilisation des sources d’information pour les PME
Les possibilités d’échanges d’information doivent être davantage visibles pour les petites et
moyennes entreprises. S’il existe un certain nombre de réseaux intéressants dans plusieurs
pays, les barrières que sont les langues et les secteurs d’activité ont empêché la plupart de ces
réseaux de toucher un large public. Des observatoires de santé ou autres observatoires sociaux
tels qu’ils existent en Belgique (Optim@) ou au Royaume-Uni (Luton Health Observatory sur
le site Internet du Luton Council) sont un bon point de départ, tout comme les réseaux chargés
de promouvoir la santé dans les entreprises (Deutsche Netzwerk für betriebliche
Gesundheitsförderung – réseau allemand pour la promotion de la santé en entreprise, DNGBF).
Parmi d’autres initiatives, on trouve des sites Internet sponsorisés par le gouvernement sur
lesquels les entreprises peuvent promouvoir leurs initiatives en matière de santé (p. ex. INQA
en Allemagne). Les sites Internet et les réseaux permettent aux entreprises, aux groupes de
travail et aux organisateurs de projets de travailler en étroite collaboration et d’avoir accès à des
informations concernant les financements et la mise en œuvre d’actions.
4.2.2.
Encourager un discours positif et le dialogue social
Un discours positif est essentiel pour prouver aux salariés concernés par les restructurations et
aux chômeurs que leur santé figure parmi les priorités de l’Union européenne. Les études ont
montré à plusieurs reprises une amélioration significative de l’état de santé chez les salariés
licenciés qui retrouvent un emploi par rapport à ceux qui restent au chômage. Par ailleurs, dans
les entreprises plus traditionnelles, le dialogue entre les syndicats, les employeurs et les salariés
doit être favorisé pour discuter du rôle de l’individu et de l’employeur dans le maintien de
l’employabilité, de la motivation et de la performance. Il est aussi urgent d’aborder les
inégalités qui frappent les travailleurs intérimaires et handicapés quant à l’accès aux
prestations-maladie au sein de leur entreprise (cf. 4.4.5).
4.2.3. Soutenir les pionniers de la promotion de la santé
L’Association Fédérale des Mutuelles d’Entreprises en Allemagne (la BV BKK) fait figure de
pionnière dans la promotion de la santé comme facteur de compétitivité des entreprises et de
réduction des barrières et des préjugés au sein de l’entreprise. Elle mène des actions visant à
faciliter le retour à l’emploi et éviter ainsi les effets d’hystérésis du chômage. Ces mesures
améliorent le système de prévention des risques de la mutuelle et permettent de faire des
économies en réduisant le nombre de chômeurs dont les coûts de santé sont nettement plus
élevés que ceux des personnes ayant un emploi. Soutenir ces pionniers, les aider à étendre leurs
mesures et leur rôle de modèle régional ou national, est pour l’Union européenne une manière
d’éduquer les entreprises.
4.2.4.
Inscrire la santé au programme des initiatives de l’Union européenne
Un certain nombre de comités d’entreprise comme les CEE ou de projets tels que TRACE
(Trade Unions Anticipating Change in Europe, Syndicats Anticipant le Changement en Europe)
ont besoin d’être convaincus d’inscrire la santé à leur programme. Ainsi, TRACE dont
l’objectif est d’établir la manière dont les syndicats peuvent répondre aux brusques
changements économiques et organisationnels, travaille actuellement à l’écriture d’un guide de
bonne pratique. Toutefois, les effets sur la santé individuelle ou collective des travailleurs ne
sont pas pris en compte dans ce projet ou dans les contributions prévues. Une fois encore, cela
montre, d’une part, le manque de compréhension sur la manière dont les restructurations
38
affectent la santé (aussi bien au travail que dans la vie privée) et, d’autre part, les implications
sur l’employabilité à long terme des travailleurs.
4.3.
4.3.1.
Certification et normalisation
La santé pendant les restructurations au programme des formations en santé et sécurité
Selon les pays, les fonctions des représentants syndicaux varient ; toutefois, les délégués du
personnel au CHSTC ont tendance à être affiliés aux syndicats. Le projet MIRE a critiqué plus
haut le manque de formation continue et le champ d’action restreint de la santé et de la sécurité
au travail qui ont tendance à exclure les facteurs sociaux et environnementaux ayant des
répercussions sur la santé physique et mentale. Les services de santé au travail et leurs
représentants, les médecins du travail notamment, sont des acteurs qui doivent être impliqués
dans les processus de réadaptation et de reclassement. Ils pourraient faire le lien entre les
employeurs, les syndicats et les organismes de santé. Par ailleurs, afin d’assurer la formation
professionnelle continue de ces acteurs, un programme de formation pourrait être conçu et des
organismes certifiés de formation, sélectionnés.
4.3.2.
Audits sociaux pour l’excellence des initiatives de promotion de la santé
Il existe des certifications européennes et internationales pour la qualité de la gestion des
ressources humaines. Pour faire avancer les choses, ces processus de certification devraient
inclure des critères d’évaluation suivants dans leurs procédures : dispositif de lutte contre les
discriminations et le harcèlement au travail, accès au médecin du travail et visites régulières de
celui-ci, conseil confidentiel relatif aux conflits au travail, existence d’une procédure en cas de
plaintes, accès à l’information en matière de santé et actions de promotion de la santé. Ces
normes internationales de certification se répercuteraient avec le temps sur les normes
nationales et sectorielles, et encourageraient les entreprises à les incorporer dans leur règlement
interne.
4.4.
4.4.1.
Législation
Rôle renforcé du médecin du travail et nouveaux critères de consultation
La réglementation en matière de santé et de sécurité au travail devrait être redéfinie à travers
l’Europe afin de répertorier les circonstances dans lesquelles les entreprises doivent faire appel
au médecin du travail. Les circonstances suivantes pourraient être inclues : changement du lieu
de travail et modification de la description du poste (ce qui pourrait nécessiter des consultations
collectives ou individuelles avec le personnel pour aborder des questions d’ergonomie, de
stress, du soutien apportés par l’encadrement aux salariés qui ont changé de bâtiments ou
travaillent dans des locaux distants du site principal, etc.), décès des employés (ce qui pourrait
nécessiter une aide psychologique, particulièrement si les circonstances ont été soudaines
comme dans les cas de suicides, d’accidents du travail, etc.). Dans de tels cas, une appréciation
des risques ainsi que la révision et le renouvellement de la formation en santé et sécurité
seraient nécessaires.
39
4.4.2. Contrôle régulier des statistiques de santé par les mutuelles de santé et les assurances
maladie
Comme ont clairement souligné les rapports annuels sur l’absentéisme et les congés de
maladie publiés par les mutuelles de santé allemandes, la santé mentale occupe une place
grandissante dans les problèmes de santé au travail. Malgré le manque cruel et déconcertant de
professionnels qualifiés dans le conseil aux entreprises en matière de santé, ces statistiques
devraient néanmoins permettre aux gouvernements et aux organismes professionnels d’avoir
une idée plus précise des lieux où mettre en place en priorité de nouveaux programmes
expérimentaux. Une pratique similaire en faveur d’une transparence et d’un accès plus grands
des statistiques serait souhaitable pour tous les membres de l’Union européenne. Cela pourrait
encourager les dirigeants, les syndicats, les CHSTC et l’agence nationale pour l’emploi à offrir
aux entreprises des services de conseil spécialisé en santé. De plus, il est essentiel de faire
prendre conscience aux syndicats du rôle clé de la santé mentale au travail, étant donné leur
influence pendant les négociations relatives aux restructurations ou à l’environnement de
travail.
4.4.3. Redéfinir la part de responsabilité de tous les acteurs nationaux pour la prévention et la
promotion de la santé
Selon le droit du travail européen, la santé et la sécurité au travail sont la responsabilité de
l’employeur. Toutefois, la mise en place d’un cadre législatif peut encourager les entreprises à
envisager des mesures de prévention de santé en phase de pré-restructuration, voire
indépendamment de toute restructuration. De plus, cela contribuerait à placer la responsabilité
sur d’autres épaules que celles des seuls employeurs. C’est le cas du Code V de Sécurité
Sociale (§20) en Allemagne qui souligne l’obligation des mutuelles de consacrer une certaine
part de leur budget à des actions préventives de santé. Autre avancée, celle de la législation
suédoise qui stipule que le financement des programmes de reclassement des salariés doit être
assuré par les employeurs. Quant au Royaume-Uni, en plus du cadre législatif, le Health and
Safety Executive émet des recommandations aux entreprises sur la santé au travail. Par contre,
en France, les salariés licenciés perdent une partie de leur couverture maladie. Il est donc
capital de réviser les directives nationales et européennes qui ont jusqu’à présent échoué à
susciter un sens commun des responsabilités en matière de prévention et de promotion de la
santé dans la société.
4.4.4.
Légiférer plutôt que donner des directives pour obtenir des résultats
Plusieurs médecins et consultants ont confirmé la réticence des entreprises à adopter un code de
bonne pratique ou même des conseils de bon sens s’ils ne sont pas clairement stipulés dans les
textes de loi ou dans les exigences sectorielles. Légiférer est donc une mesure nécessaire. Par
conséquent, il est essentiel d’obtenir le soutien des syndicats et de l’industrie au sens large pour
faire accepter une telle législation.
4.4.5.
Inclure davantage les travailleurs précaires dans la prévention de la santé
Légiférer sur la responsabilité élargie des employeurs en matière de santé et de sécurité
permettrait aussi de mieux protéger les travailleurs précaires, les intérimaires et les vacataires.
Très souvent, seuls les salariés à plein-temps (et parfois seuls les titulaires) ont le droit à une
mutuelle, ce qui est automatiquement discriminatoire envers ceux en emploi précaire ou à
temps partiel (cf. 4.2.2.).
40
4.5.
Le besoin de nouveaux concepts et de nouvelles initiatives de
recherche en Europe
4.5.1. Faire de nouvelles études sur l’impact des restructurations sur la santé
Il est nécessaire de repenser le rôle des acteurs sociaux existants et de poursuivre en parallèle
les recherches sur les effets des restructurations sur la santé. Ces questions devraient être
abordées dans le nouveau Programme Cadre de recherche et de développement technologique
européen (FP 7). Vu la mobilité de la population active en Europe, le flux de travailleurs
immigrés ainsi que les délocalisations d’usines vers et hors de l’Europe, il est urgent que les
organismes de recherches nationaux et européens se penchent sur la question, en particulier
ceux spécialisés en psychologie sociale, psychologie du travail, éducation à la santé, conseil en
entreprise, médecine du travail, management, gestion (internationale) des ressources humaines
et éthique des affaires. C’est seulement en investissant dans des études sur les effets sociaux,
physiques et psychologiques des restructurations sur les travailleurs, leur productivité, leur état
de santé et leur future employabilité que l’on obtiendra une vue d’ensemble à partir de laquelle
de nouveaux instruments pourront être mis en place, permettant ainsi aux entreprises de
prendre efficacement en compte la santé dans leurs décisions quotidiennes.
4.5.2. Intégrer la question de la promotion de la santé pendant les restructurations au concept de
« responsabilité sociale des entreprises »
Le concept de « responsabilité sociale des entreprises » a beaucoup fait débat lors de son
introduction en Europe. Le concept de « restructuration saine », s’il devait être introduit par la
nouvelle législation européenne et devenir aussi important pour l’Europe des entreprises,
devrait comporter les deux précisions suivantes dans sa définition : non seulement les
restructurations révèlent des problèmes de santé sous-jacents mais elles peuvent être aussi la
cause d’une détérioration de la santé. Sans cela, certaines entreprises pourraient rejeter leur part
de responsabilité. Des appels à projet de la part du Fonds Social Européen et d’autres
organismes de l’Union européenne devraient se charger de cela et encourager la participation
des entreprises à la rédaction de nouvelles directives sur la santé et la sécurité au travail dans
les entreprises européennes. À cette occasion, il faudra aussi remédier de toute urgence au vide
législatif laissé par différentes règlementations nationales en matière de santé et mis au grand
jour par les différentes délocalisations en provenance ou en direction de l’Europe de l’Est.
4.5.3. Réglementer le dialogue sur la reconversion professionnelle et l’employabilité
Tout comme les métiers changent rapidement, l’employabilité évolue aussi, forçant les
employés et les employeurs à s’adapter constamment aux exigences d’un travail en mutation
perpétuelle. Il reste beaucoup à faire en Europe pour changer les méthodes dépassées de
recrutement des salariés. Comme ces derniers passent d’un secteur et d’un métier à l’autre, les
entreprises et les responsables politiques doivent prendre conscience que les diplômés et les
travailleurs manuels sont susceptibles de connaître deux ou trois changements de carrière au
cours de leur vie active. Si l’on veut garantir la santé et l’employabilité, l’Europe doit obliger
tous les acteurs sociaux à assumer leurs responsabilités en la matière et à donner à tous les
travailleurs les outils, les formations et le soutien (p. ex. sous forme d’actions de santé au
travail) adéquats afin qu’ils puissent réussir leur transition professionnelle.
41
5. Co nc l usi o n
À travers ces exemples de pratiques innovantes, les études de cas, les ateliers et les entretiens
ont permis de donner un meilleur aperçu des tendances générales, des obstacles et des
recommandations pour le futur pour tous les acteurs sociaux, y compris les travailleurs et les
chômeurs. Le cercle vicieux des restructurations se traduit par une perte contre-productive de
productivité (comme le prouve le programme interrégional SSER de l’OIT sur les
restructurations socialement responsables). L’OIT et les études de cas du projet MIRE ont
confirmé que le recours inconsidéré aux restructurations dans le seul intérêt des entreprises
avait un prix bien supérieur aux gains potentiels (en compétitivité, productivité et efficacité).
En effet, les rescapés des plans sociaux réagiront par un désengagement, des absences ou une
productivité plus faible si les objectifs susmentionnés ne prennent pas en compte les effets de
ces plans sur les salariés maintenus dans l’entreprise et si le processus de restructuration est
considéré comme injuste et injustifié (particulièrement si toutes les alternatives au licenciement
n’ont pas été envisagées). Les entreprises doivent donc se concentrer sur des formes
acceptables de restructuration et inclure les instances représentatives du personnel dès le départ
dans la discussion. La santé est un facteur de concurrence au même titre que la localisation
d’une usine. La promotion de la santé doit donc être intégrée aux activités de santé et de
sécurité en place sur le site de travail comme nous l’avons décrit dans les recommandations.
Les entreprises doivent cesser d’avoir recours à la gestion de crise. Il a été démontré que les
restructurations sont susceptibles de déclencher des problèmes de santé déjà existants ou
d’entraîner la chronicisation d’antécédents médicaux. En même temps, les restructurations
peuvent aussi révéler des problèmes de santé sous-jacents et même conduire à une altération de
la santé dans le futur. À cause de l’incertitude entretenue sur plusieurs mois et de
l’augmentation de la précarité, les restructurations peuvent entraîner, et ce bien après leur fin
officielle, une hausse du nombre de dépressions, de syndromes d’épuisement professionnel
ainsi qu’une dégradation de la concentration et de la performance. Le recours aux bonnes
pratiques existantes en matière de santé pour résoudre l’augmentation des problèmes de santé
liés aux restructurations est loin d’être suffisant ; la promotion de la santé au travail doit
devenir un composant fixe des relations avec les salariés et d’une gestion adéquate des
ressources humaines.
En résumé, les entreprises doivent prendre en compte les règles fondamentales suivantes pour
gérer les restructurations de manière responsable. Premièrement, la direction doit engager le
dialogue social et donner aux salariés le moyen de s’exprimer sur le processus de
restructuration. Les restructurations devraient se définir comme le repérage de ressources
potentielles. Deuxièmement, avant de prendre des décisions et de les communiquer au
personnel, les concepts de confiance et de justice devraient être toujours présents. Ne pas
consacrer suffisamment de temps à la discussion des préoccupations des salariés peut être mal
interprété par les employés et accroître le risque de frustration et de problèmes de santé liés à
l’incertitude, sans parler des conflits et des procès. De plus, les projets de réorganisation du
travail, de recomposition d’équipes et de redéfinition des responsabilités devraient toujours
inclure la participation des délégués au CHSCT. Cela facilite les transitions et permet de
prévenir l’augmentation potentielle des accidents du travail et des problèmes de santé, en
recourant le plus souvent à la mise en place de programmes de sensibilisation aux risques de
santé en période de bouleversements organisationnels. Les entreprises doivent aussi prendre en
considération les besoins plus grands de certaines catégories d’employés tels que les
intérimaires, ou ceux ayant le plus de difficultés à retrouver un emploi après leur licenciement
(en raison d’un handicap, d’une longue maladie, d’une longue période d’inactivité
42
professionnelle ou d’obligations familiales nécessitant des horaires flexibles). Par ailleurs,
davantage de stratégies doivent être mises au point pour venir en aide aux dirigeants chargés
d’organiser les restructurations afin qu’ils puissent gérer le processus efficacement et soutenir à
leur tour leurs employés pendant ces périodes d’incertitude. Ceci est d’autant plus important
dans les restructurations où le tissu social d’entraide s’étiole en raison des modifications
d’équipes et de structures.
Il ne faut pas oublier que chaque salarié représente une partie de l’entreprise au sens large et du
produit. Il revient donc aux acteurs situés à tous les niveaux de la société de s’assurer que la
dimension humaine du travail, la réorganisation du travail et la perte de l’emploi figurent bien
dans le bilan des entreprises en cours de restructuration.
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