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Ces « bouts d’Arabe »
Dès la formation du gouvernement en mai 2012,
l’amertume était palpable chez certains des plus fidèles
soutiens du président François Hollande. Au premier
rang de ces déçus, se trouvait Kader Arif, l’ancien
numéro trois du Parti socialiste, qui croyait appartenir
au premier cercle des hollandistes. Le 16 mai 2012,
son ami François Rebsamen, qui voit lui échapper
le ministère de l’Intérieur qu’il convoitait depuis des
lustres au profit de Manuel Valls, le joint au téléphone :
« Kader, je rencontre le président cet après-midi, je
vais me battre pour toi et pour Stéphane (Le Foll). »
Sans nouvelles de « Rebs », Kader Arif s’envole vers son
fief de Haute-Garonne. À peine arrivé à Toulouse, un
appel inconnu sonne sur son portable :
« L’Élysée à l’appareil, on vous passe le président.
– Allô, c’est François. Est-ce que tu t’entends bien
avec Jean-Yves Le Drian ? J’ai pensé que tu pourrais
être son ministre délégué aux Anciens Combattants. »
Un Blanc. Cet hollandiste de la première heure
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espérait le ministère de la Coopération. En une fraction
de seconde, Kader Arif revoit ces voyages à Alger
en juillet 2006 et en décembre 2010, qu’il organisait
pour un François Hollande en pleine traversée du
désert. Il se souvient de ces virées dans les bons restaurants de Toulouse, L’Evangelina ou J’Go, quand le
premier secrétaire du Parti socialiste descendait dans
le Sud-Ouest. Il a en tête ce dîner, en marge du congrès
de Lille en 2007, qui réunissait le dernier carré des
hollandistes alors que Martine Aubry les avait évincés
de la direction du Parti socialiste.
« Je me suis beaucoup investi ces dernières années,
reprend Kader Arif, j’espérais d’autres fonctions.
– Prends déjà ce poste, conclut le chef de l’État,
on verra par la suite 1. »
Lorsque Manuel Valls succède à Jean-Marc Ayrault
comme Premier ministre, le malentendu s’accentue.
Kader Arif est relégué à un simple secrétariat d’État.
À ce titre, il n’assiste plus au conseil des ministres et
reçoit cinq cents euros en moins, une situation dont
il se plaint auprès de Manuel Valls. « Vois cela avec
Hollande », lui répond l’autre dans un mépris total 2.
Tous à la trappe !
Chaque matin de la campagne présidentielle de
2012, Faouzi Lamdaoui, l’ancien délégué national
à l’égalité du Parti socialiste, attendait le candidat
1. Entretien avec Kader Arif du 3 mai 2016.
2. Id.
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socialiste à la brasserie Rigalia dans le XVIe arrondissement à deux pas du domicile de Valérie Trierweiler,
sa compagne d’alors. Depuis plusieurs années, Faouzi
jouait le rôle du fidèle factotum de François Hollande.
Ses bonnes relations avec le Premier ministre algérien
Sellal et ses entrées, via un de ses parents dentiste à
Marseille, chez les militaires du DRS algérien avaient
contribué à la lune de miel de François Hollande avec
l’Algérie. Après la victoire de la gauche aux présidentielles, ce fils d’un instituteur de Constantine espérait
bien des fonctions d’ambassadeur, de préfet, voire de
ministre. Eh bien, il n’obtiendra qu’un poste de vague
conseiller « à l’égalité et à la diversité », logé dans les
soupentes de l’hôtel Marigny, l’annexe de l’Élysée. Et
encore, Faouzi Lamdaoui ne figurait nulle part sur le
premier organigramme. Seule l’insistance de Valérie
Trierweiler lui permet de ne pas être totalement passé
à la trappe !
Une fois nommé, le conseiller à l’égalité et à la
diversité adresse d’innombrables notes à l’entourage
du chef de l’État pour faire avancer ses dossiers. Toutes
lui reviennent frappées de la même réponse négative.
« Ces dossiers n’intéressent pas le Président. » Lors de
l’incroyable histoire des rapports de Matignon sur
l’intégration, l’Élysée avait mis en avant le désintérêt
de l’opinion publique pour expliquer que le président
ne prendrait pas la parole lors du trentième anniversaire de la Marche des Beurs. Les banlieues ne font
plus partie du logiciel du pouvoir. Quand Amirouche
Laïdi, l’emblématique fondateur du Club Averroes,
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rencontre la conseillère du chef de l’État chargée des
questions sociétales, Constance Rivière, la musique
est la même. « C’est dommage, lance ce dernier, que
vous ne remettiez pas plus de décorations pour les gens
de la diversité, c’est important. » « C’était la tendance
sous Sarkozy, ce ne sera plus le cas avec nous 1. »
Coup de tonnerre à la fin de l’année 2014, Kader
Arif et Faouzi Lamdaoui vont être écartés de leurs
modestes fonctions deux ans après leurs nominations. Le 10 septembre, Le Canard enchaîné raconte
comment le secrétaire d’État aux Anciens Combattants aurait favorisé la passation de marchés du conseil
régional Midi-Pyrénées au profit de boîtes tenues par
ses neveux, cousins, frères et belles-sœurs 2. Chaque
fois que la région, dirigée par les socialistes, avait
besoin de son et de lumière pour des petites sauteries,
la société AWF, tenue par des parents d’Arif, était
choisie. L’addition devait atteindre presque 2 millions
d’euros. Autant de dépenses prises sur le budget…
des cantines. Sans attendre une quelconque mise en
examen, les coups de fil « amicaux » se multiplient.
« Kader, lui conseille Manuel Valls, la pression des
médias est forte, je ne te force à rien, mais réfléchis
bien 3. » Finalement, Kader Arif est « remercié » le
1. Cette anecdote a été racontée à l’auteur par Amirouche Laïdi,
le 9 juin 2016.
2. Le Canard enchaîné, « La petite Bygmalion » du PS cassoulet,
10 septembre 2014.
3. Cette anecdote a été racontée par Kader Arif à l’auteur le 3 mai
2016.
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21 novembre 2014, par un communiqué de l’Élysée
qui tombe le lendemain de l’annonce d’une perquisition au secrétariat d’État aux Anciens Combattants.
En vingt minutes d’entretien, le Président se sépare
de ce compagnon de longue date.
« Tu as fait du très bon boulot, constate le chef de
l’État.
– Merci, répond Kader Arif, mais j’ai le sentiment
que mon talent a été gâché. »
À peine un mois plus tard, c’est au tour de Faouzi
Lamdaoui d’être renvoyé devant la justice pour « abus de
biens sociaux », « faux » et « usage de faux ». La manière
pour l’éjecter sera encore plus expéditive. Reçu par
le secrétaire général de l’Élysée Jean-Pierre Jouyet, un
inspecteur des finances hautain qui fut ministre sous
Nicolas Sarkozy, le pauvre Lamdaoui est confronté à
l’arrogance de la caste au pouvoir, de gauche comme
de droite :
« Nous ne pouvons pas nous permettre, lui assènet-il, de garder ceux qui ne travaillent pas.
– Vous osez me dire cela, lui répond Faouzi, vous
qui avez servi la droite, alors que moi j’étais présent
auprès de François Hollande aux heures difficiles. »
« Le syndrome de l’homme blanc »
Entre deux rendez-vous, le chef de l’État, glacial,
adresse cette simple recommandation à son fidèle collaborateur : « Il te reste à assumer ta défense. »
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« Il dérangeait trop, notamment les Marocains,
en raison de ses bonnes relations avec Alger, estime
un de ses meilleurs amis, Rabah Aït-Hamadouche,
journaliste à TF1. Et pourtant, il aura tout sacrifié à
Hollande, sa vie de famille et le reste 1. » Le seul geste
de François Hollande aura été de lui envoyer l’avocat
Jean-Pierre Mignard, ami du président et notable de
la galaxie socialiste qui est connu pour avoir conclu,
dans le sillage de l’Élysée, des contrats en Algérie et
au Qatar. « Faouzi a été le compagnon des bons jours
de l’ex-premier secrétaire du Parti socialiste devenu
président. Il a vu, su, entendu beaucoup de choses.
S’il explose en vol, ça peut faire du vilain », confie
un hiérarque socialiste au Canard enchaîné 2. Après
le verrouillage judiciaire, l’Élysée lance la contreattaque politique. « François Hollande, ce président qui
ne sait pas s’entourer », titre Le Monde. « Certains de
ceux qui l’accompagnent depuis longtemps n’avaient
pas le niveau », confie au quotidien un proche du chef
de l’État 3.
Pas la moindre convocation de la police financière n’est venue conforter les premiers soupçons
contre Kader Arif. Faouzi Lamdaoui, lui, a bénéficié
d’un non-lieu. Peu importe, « nous sommes nés
coupables », constate Kader Arif. En quittant le gouvernement, ce fidèle d’entre les fidèles a vu ses dernières
1. Entretien avec l’auteur de Rabah Aït-Hamadouche, le 20 mai 2016.
2. « La Fleur au Faouzi », Didier Hassoux, Le Canard enchaîné.
3. « François Hollande, ce président qui ne sait pas s’entourer », David
Revault d’Allonnes, Le Monde, 4 décembre 2014.
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illusions s’envoler. « Le pouvoir de gauche, affirme-t-il
désormais, pense à tort que l’électorat des Beurs lui
est acquis. Pourquoi faire un effort, pense Hollande,
puisque les jeunes des cités reviendront vers les
socialistes ? Eh bien, cet optimisme est illusoire. Nous ne
sommes que des bouts d’Arabe 1 », ces desperados que l’on
peut jeter comme des Kleenex ! D’une formule cinglante,
le patron des services secrets sous Sarkozy, Bernard
Squarcini, qualifie les beurgeois de « passe-partout
de Fort Boyard ». Lorsque la citadelle est assiégée, les
chefs militaires font appel à des mercenaires. Une
fois l’attaque passée, les « passe-partout » plongent
à nouveau dans l’anonymat. « La représentation de
la France telle qu’elle est, poursuit Kader Arif, ne
concerne plus le Parti socialiste, François Hollande
est sous le charme de ses jeunes et jolies ministres. »
Et d’ajouter d’une formule terrible : « Le chef de l’État
a cédé au syndrome de l’homme blanc âgé de plus de
cinquante ans 2. »
Hasard de calendrier, François Hollande s’est séparé
d’Arif et de Lamdaoui, ses fidèles collaborateurs, au
moment même où il valorise, ses « jeunes et jolies
ministres » issues de la diversité. C’est l’époque où
François Hollande confie au magazine Society, en
mars 2015, que « Najat Vallaud-Belkacem apporte plus
d’écoute, de compréhension, d’imagination que bien
d’autres avant elle ». En septembre 2015, le chef de
1. Entretien avec Kader Arif du 3 mai 2016.
2. Ibid.
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l’État se rend à Tanger pour sceller une réconciliation
définitive avec le roi Mohamed VI, longtemps en froid
avec le pouvoir socialiste qui avait cessé toute coopération en matière de terrorisme. Ce jour-là, François
Hollande emmène dans ses bagages Najat VallaudBelkacem et Myriam El Khomri, toutes deux d’origine
marocaine. Parmi les invités de Sa Majesté, se trouve
aussi Mehdi Qotbi, un peintre charmant et prolixe qui
est devenu le lobbyiste incontournable entre la France
et le Maroc. Autres amis du souverain, les humoristes
Jamel Debbouze et Gad Elmaleh assistent au repas.
Enfin, cerise sur le gâteau royal, Rachida Dati est
imposée à ce déjeuner par Mohamed VI.
Le soir de son apparition au salon de l’Agriculture,
le 27 février 2016, où il fut copieusement hué par des
paysans en colère, François Hollande se consola en se
rendant à un dîner offert par le roi du Maroc à Paris.
Najat Vallaud-Belkacem, toujours présente, était placée
à la gauche du souverain marocain. Audrey Azoulay,
énarque compétente et brillante tout juste nommée
ministre de la Culture, était assise, elle, à la droite de
François Hollande. Rachida Dati participait, ce jour-là
encore, aux agapes, tout comme quelques capitaines
d’industrie comme Vincent Bolloré.
Najat Vallaud-Belkacem, Myriam El Khomri et
Audrey Azoulay, les cadettes du gouvernement, sont
utilisées par le pouvoir de gauche en peine de renou­­
vellement pour donner l’illusion d’un rajeunisse­
­ment et d’un métissage. Les politiques français sont
apparemment flattés de brandir ces icônes tricolores
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d’autant plus dévouées à leur cause qu’elles leur doivent
l’essentiel de leur carrière. Et les Français, en plaçant
souvent ces aimables figures en haut des sondages de
popularité, veulent croire ainsi à l’innocence retrouvée
de la vie politique.
Najat, une Rachida dissimulée
Figure emblématique de la gauche au pouvoir, Najat
Vallaud-Belkacem a réussi apparemment un sans-faute.
Des cités aux palais, le story telling est parfait : des
études brillantes à Sciences Po Paris ; des fonctions de
porte-parole auprès de Ségolène Royal et de François
Hollande, lors de l’élection présidentielle de 2007 puis
de 2012, qui la font connaître ; une ascension politique
spectaculaire enfin à l’ombre du maire de Lyon, Gérard
Collomb en 2003, puis de Ségolène Royal en 2007 et
enfin de Manuel Valls, qui a fait d’elle la troisième par
l’ordre protocolaire au sein de son gouvernement et
la première ministre femme de l’Éducation à l’âge de
trente-six ans. La réussite de Najat Vallaud-Belkacem
fait irrésistiblement penser à celle de Rachida Dati :
même sourire enjôleur, même capacité à mordre,
même instinct pour devancer les désirs du chef de
l’État, que ce soit Sarkozy ou Hollande. À la une de
Rachida dans Paris-Match vêtue d’une superbe robe
rose et rouge dessinée par Dior, répond la couverture
de Elle montrant une Najat, à peine nommée ministre,
en veste noire satinée et simple robe de jean.
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Ne lancez surtout pas l’hypothèse d’une Najat qui
serait une autre Rachida devant François Pirola, le
conseiller spécial de la ministre de l’Éducation nationale
et son ami de toujours. « Tout les oppose, tranche-t-il,
Najat possède un passé d’élue locale à Lyon pendant
dix ans dont Rachida Dati ne peut pas se targuer 1. »
Quant au sourire enjôleur, poursuit le conseiller, il
répondrait chez la ministre à une « philosophie de
l’existence », pas moins. Le journaliste est invité par ce
proche de Najat à lire le texte que la ministre a publié
dans L’Express : « L’éthique du sourire 2. » Ce texte bien
scolaire est à l’image de l’ennui que distillent les interventions publiques d’une ministre nourrie par les plans
en deux parties de l’Institut d’études politiques de
Paris. « Pour paraphraser Gramsci, débute Najat dans
sa tribune libre, je suis optimiste et de bonne humeur
d’abord par volonté. » Pauvre Gramsci, devenu l’alibi
intellectuel d’une absence de pensée. « Une expression
de visage avenante comme le sourire, poursuit-elle,
est pour moi une philosophie du rapport à l’autre,
quelque chose de profond qui vient de loin, sans doute
de l’enfance. » Voilà surtout bien des circonvolutions
pour masquer le véritable talent de Najat VallaudBelkacem, l’art de l’esquive par un sourire enjôleur.
La différence entre les deux égéries de la politique
française que sont Rachida Dati et Najat Vallaud1. Entretien avec l’auteur de François Pirola, le 2 juin 2016.
2. « L’éthique du sourire », Najat Vallaud-Belkacem, L’Express,
28 novembre 2013.
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Belkacem tient à leur degré de sincérité. Chez Rachida
Dati, tout surmoi est absent. Son goût pour l’argent et
sa quête de pouvoir sont assumés, revendiqués, brandis.
Méchante parfois, drôle toujours, cette langue de vipère
ne rate jamais un bon mot. Quitte à s’exposer ! Et à
prendre des risques ! Rachida ne ferraille pas avec ses
adversaires, elle cogne. « Tu as vu le look de Najat ? »,
demande-t-elle, à l’automne 2015, à l’auteur de ce livre,
peu de temps après le déjeuner de Tanger entre François
Hollande et Mohamed VI. Impudique, écorchée,
contradictoire, Rachida vit dangereusement. Elle a
transformé sa vie chaotique en un récit romanesque.
Tout autre est le parcours de Najat Vallaud-Belkacem,
une Rachida Dati dissimulée. Tout aussi narcissique
et ambitieuse que Rachida, Najat prend la posture de
la bonne élève appliquée et disciplinée qui veut faire
plaisir à ses maîtres d’école successifs : Ségolène Royal,
François Hollande ou Manuel Valls. Tout en contrôle,
cet animal politique est nourri par une communication omniprésente.
Communication toute !
« Elle sait moins produire que vendre ! », dit mécham­
­ment d’elle son ancien protecteur Gérard Collomb 1.
Dès qu’elle intègre le conseil régional de Rhône-Alpes
1. Alain Faujas, « Bulldozer de charme », Jeune Afrique, 14-20 septembre
2014.
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en 2003, Najat finance un site internet, qu’elle agré­­
mente des textes de ses interventions et de clichés de
son joli minois. Devenue ministre, cette stakhanoviste de l’image est connue pour vérifier en temps réel
la moindre photo qui est prise d’elle. Les « éléments
de langage », les fameux EDL, sont dûment préparés
par le cabinet de la ministre et précèdent toute intervention publique. Ses collaborateurs, jeunes et dévoués
à sa personne, sont priés de tweeter le moindre de
ses borborygmes dans les réseaux sociaux. Lors de sa
prise de fonction comme ministre de l’Éducation et
alors qu’elle est la première femme à accéder à un
tel poste, Najat prend le temps de balancer un tweet
aussi insignifiant qu’inutile : « « À cet instant précis,
je pense aux enseignants qui ne comptent ni leur
temps ni énergie (sic) pour transmettre leur savoir. »
« Ni énergie », voici un moment historique salué par
une faute de français.
Le moindre grain de sable enraye une telle mécanique
de pure communication. La scène se passe le dimanche
24 janvier 2016 sur le plateau du « Supplément »,
sur Canal + . Najat Vallaud-Belkacem, pimpante
ministre de l’Éducation nationale, est venue défendre
sa politique. Souriante, forcément souriante, Najat
répond aux questions d’Ali Baddou, l’animateur du
« Supplément », lorsque Idriss Sihamedi, le responsable
d’une ONG islamiste de banlieue parisienne, prend
la parole. Ce salafiste qui assume publiquement son
refus de serrer la main aux femmes est venu commenter
l’arrestation d’un militant incarcéré au Bangladesh.
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La conversation roule sur Daech que Sihamedi n’arrive
pas à condamner clairement. « On est un peu gêné
de votre réponse », se désole l’animateur, Ali Baddou,
qui se retourne vers Najat. « Vous souhaitez réagir ? »
Visage impassible, la ministre décline laconiquement.
« Cette association a une façon de voir les choses qui
me met mal à l’aise », finit-elle par répondre.
Najat Vallaud-Belkacem, la femme politique qui s’est
toujours déclarée passionnée par les questions d’égalité
entre les femmes et les hommes, vient de trébucher. Face
au discours rétrograde du salafiste, la jeune ministre est
restée sans voix. Pour contrer le tollé de critiques qui
s’abattent sur les réseaux sociaux, Najat répète, dans
un tweet, la parade adoptée sur le plateau de Canal + .
À savoir le refus d’une polémique jugée inutile. Deux
jours plus tard, la ministre, dûment conseillée par
Matignon, comprend que face au buzz elle se doit
de réagir plus nettement. Dans un entretien accordé
au Parisien, la ministre laisse entendre qu’elle aurait
été piégée par Canal +. Les journalistes, prétend-elle,
ne l’auraient pas avertie qu’elle serait confrontée à
un tenant de l’islam radical. Faux, chaque invité de
l’émission est prévenu, plusieurs jours avant leur venue
de la composition du plateau. « J’étais indignée de la
tribune qu’on venait de lui donner, tente-t-elle de se
justifier. Aurais-je dû m’engager dans un débat avec
cet individu, allez au clash dans les trente secondes
de temps de parole qui m’étaient offertes à la fin de
son interview ? Non, car cela aurait été reconnaître une
valeur à sa parole, lui donner beaucoup d’importance. »
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Et de surjouer l’indignation qu’elle n’a pas manifestée
en temps réel : « Quant à son refus de serrer la main de
femmes, je fulminais, explique-t-elle dans les colonnes
du quotidien. J’étais indignée. C’était plus que de
l’indignation, de la nausée 1. » Les images de l’émission
la montrent pourtant légèrement impatiente, mais
parfaitement calme, d’un contrôle parfait.
Une enfance enfouie
De son passé, Najat Vallaud-Belkacem a fait table
rase. Il n’existe pratiquement pas une photo d’elle
jusqu’à l’âge de quinze ans. « La relation qu’entretient
la ministre avec ses origines relève de la sphère privée,
tranche François Pirola, son conseiller. Son histoire
familiale n’a pas de place dans la conception qu’elle
se fait du combat politique 2. » Née dans une ferme
isolée du côté de Beni Chiker dans le Rif marocain
en 1977 et arrivée en France à l’âge de cinq ans, la
petite Najat rejoint son père Ahmed, maçon d’abord
à Abbeville dans la Somme puis à Amiens. Installé
avec ses six frères et sœurs dans une HLM de Amiens
Nord, le quartier défavorisé de la ville, la petite
Najat n’a pas la vie très facile. En fait, Ahmed, ce père
dont elle ne parle jamais, interdit à ses filles de sortir
1. « Malaise sur le plateau du Supplément », Sylvain Merle, Le Parisien,
28 janvier 2016.
2. Entretien avec François Pirola du 2 juin 2016.
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et de s’amuser. La seule distraction de Najat et de sa
grande sœur Fatiha, aujourd’hui avocate à Colombes
(Hauts-de-Seine), est de se rendre aux ateliers couture
et broderie de l’Alco, le centre social du quartier le
samedi après-midi. « J’étais dans une famille où je
n’avais pas beaucoup de loisirs donc j’ai beaucoup
travaillé », s’est-elle contentée de dire, un jour, tout
en retenue. Les études pour oublier sa condition de
jeune fille du ghetto, Najat s’y lance à corps perdu.
D’abord à la fac de droit d’Amiens puis à Sciences
Po où elle est admise en 2000. La fréquentation de la
jeunesse dorée de Saint-Germain-des-Prés lui permet
d’oublier les tours grises d’Amiens Nord, de les effacer
de son esprit. La « gazelle », comme elle est désignée
dans la seule biographie qui lui a été consacrée, refuse
de la jouer Cosette. « Je ne suis pas à proprement
parler, écrit-elle, une fille de banlieue 1. » Que ce soit
à la mairie de Lyon, où elle fait ses premières armes
auprès de Ségolène Royal, où elle plaide, comme sa
patronne, pour confier les jeunes délinquants à l’armée,
ou au Parti socialiste où elle hérite d’un secrétariat
national aux questions de société, Najat VallaudBelkacem pourchasse méthodiquement toute allusion à
ses origines. « Rien ne me semble plus triste que d’être
enfermée dans la caution de la diversité, écrit-elle, et
d’être réduite à la représentation d’une communauté
ou d’un groupe de personnes. »
Najat Vallaud-Belkacem accepte de participer
1. Najat Vallaud-Belkacem, Raison de plus, Paris, Fayard, 2012.
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au très chic Conseil des Marocains de l’étranger
de Mohamed VI, du moins jusqu’en 2011 où elle
démissionne quand une élue de droite réactionnaire
met en cause sa double appartenance française et
marocaine. En revanche, cette fille d’immigrés d’une
ZUP d’Amiens Nord mettra quinze ans avant d’oser
retourner sur les lieux de son enfance. La scène est
filmée dans un documentaire de LCP. Elle est alors
la ministre de l’Éducation. Sa réussite est enfin suffisamment affirmée pour lui permettre d’affronter le
centre social du quartier toujours dirigé par Mohamed
El Hiba, celui qui lui avait permis de sortir de chez
elle et d’échapper à la pesante emprise paternelle pour
y suivre les cours de couture. Mais même là, quinze
ans après, l’émotion semble très maîtrisée, presque
de commande…
« Elle ne serait peut-être pas là si elle s’appelait
Claudine Dupont, a dit un jour Ségolène Royal à un
journaliste du Point. Elle doit assumer son identité
et en être fière 1. » Najat l’a mal vécu… mais n’a pas
varié de plan de carrière. La Franco-Marocaine naturalisée à dix-huit ans ne sera pas l’ambassadrice des
quartiers difficiles, ni surtout la pasionaria des Français
issus de l’immigration.
Au fond, Najat a-t-elle des convictions ? À lire les
titres des chapitres qu’elle égrène dans le livre qu’elle
publie durant la campagne présidentielle de 2012, on
1. Marie Guichoux et Julien Martin, « L’énigme Najat VallaudBelkacem », Le Nouvel Observateur, 6 novembre 2014.
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peut en douter. « La perte des illusions », « Le progrès
autrement », « L’avenir du présent », « Une république
émancipatrice » : voici les objectifs bien flous qu’elle
assigne à sa vie politique. La conclusion du livre,
à la gloire de François Hollande sur le point d’être
élu, vaut le détour : « François Hollande, en écho à
Camus, l’affirme aujourd’hui : qu’est-ce que la gauche,
sinon la voie la plus rapide pour traduire en actes le
rêve français 1 ? » Son seul étendard est cette égalité
entre les femmes et les hommes qu’elle brandit à
toute occasion. Dans le vaste bureau qu’elle occupe
rue de Grenelle, la ministre de l’Éducation a posé
un cadre sur la cheminée où l’on peut lire : « Chef,
n. m. (nom masculin), personne qui commande, qui
exerce son autorité… Cheffe, n. f. (nom féminin),
personne qui commande, qui exerce son autorité ! »
Vaste programme !
Des convictions au fil de l’eau
Sans colonne vertébrale, Najat Vallaud-Belkacem
est devenue en revanche l’adepte du name dropping.
À peine nommée ministre en 2012, elle fait venir à
son cabinet deux personnalités de sensibilité opposée
pour se border à gauche et à droite : la féministe et très
gauchiste Caroline de Haas et une ancienne dirigeante
de la CFDT, proche de Jacques Delors et d’Edmond
1. Cf. note p. 194.
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Maire, Laurence Laigo. « Sans ligne politique claire,
constate un de ses anciens conseillers, Najat VallaudBelkacem n’est pas là pour régler les problèmes,
mais pour les utiliser, avec une grande intelligence
tactique, pour servir son image 1. » On la voit au sein
du gouvernement surveiller du coin de l’œil Aurélie
Filippetti, ministre de la Culture et possible rivale, se
rapprocher de Christiane Taubira, l’icône emblématique, et admirer Fleur Pellerin, à qui, un temps, elle
voulait ressembler.
Najat Vallaud-Belkacem est souvent prise en flagrant
délit de baisser les armes sans combattre. Jeune ministre
des Droits de la femme, elle s’était aventurée à prôner,
sans réfléchir, l’abolition de la prostitution. Juin 2012.
À peine nommé, le cabinet de la ministre néophyte
harcèle les rédactions parisiennes pour obtenir de
l’espace médiatique. Pressée de donner de la chair à
ses premières fonctions ministérielles, Najat VallaudBelkacem veut présenter un vrai programme. Le Journal
du dimanche est l’un des premiers à lui tendre le micro.
Mais cela ne fait même pas deux mois qu’elle occupe
le poste et n’a finalement pas grand-chose à dire ni
sur la parité ni sur les violences faites aux femmes.
« Comment envisagez-vous la lutte contre la prostitution ? » lui demande alors, en fin d’entretien, la
journaliste de l’hebdomadaire restée sur sa faim. « Mon
objectif, comme celui du PS, c’est de voir la prostitution
1. Entretien avec l’auteur d’un ancien conseiller de Najat VallaudBelkacem, qui a souhaité conserver l’anonymat, le 5 avril 2016.
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disparaître », répond la ministre décidément très volontariste. Trop ? L’annonce est totalement improvisée, la
mesure ne figure évidemment pas dans les engagements
du candidat Hollande. Tollé. Même à gauche. Qu’à cela
ne tienne, Najat est la reine du rétropédalage. Premier
temps : se mettre aux abonnées absentes. La cellule
de communication de la ministre passe la consigne à
chaque demande d’interview. « Mme Vallaud-Belkacem
ne souhaite pas revenir sur le thème de la prostitution. »
Deuxième temps : Najat refile la patate chaude. En
l’occurrence, elle annonce qu’elle laisse l’Assemblée
nationale réfléchir aux meilleurs moyens de juguler
la prostitution. Près de quatre ans après, c’est effectivement d’une proposition parlementaire que viendra
le seul texte du quinquennat Hollande sur la prostitution. Plus question d’interdire, mais seulement de
pénaliser le client. Tout le monde a oublié la déclaration à l’emporte-pièce de la jeune ministre en début
de quinquennat.
Il en sera de même avec l’autre proposition forte
du temps du ministère des Droits de la femme, les
ABCD de l’égalité. Ce programme scolaire, destiné à
promouvoir la théorie du genre dans les maternelles
et fortement combattu par la droite, sera finalement
enterré en catimini par Benoît Hamon, son prédécesseur à l’Éducation nationale. Najat n’a pas cherché
à s’opposer à cet enterrement de première classe d’une
de ses réformes emblématiques.
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Contre le pouvoir, tout contre
La petite Najat est devenue un animal politique à
sourire enjôleur peut-être, mais à sang froid. « Quand
des fonctionnaires contrecarrent ses projets, explique
un ancien conseiller, elle dézingue 1. » L’histoire officielle
veut que le destin l’ait appelée le soir du 21 avril 2002.
Elle raconte qu’elle se trouve alors en vacances en
Espagne quand elle apprend que Jean-Marie Le Pen
vient de se qualifier pour le second tour de la présidentielle à laquelle elle a négligé de voter. La légende
veut également que ni une, ni deux, elle rentre précipitamment à Paris pour aller faire barrage au Front
national.
Najat avait déjà du réseau : un petit ami (qui
deviendra son mari) énarque, Boris Vallaud, l’actuel
secrétaire général adjoint de l’Élysée, et une bonne
copine des années prép’Ena, Caroline Collomb, qui
vient de se marier avec Gérard Collomb, le maire de
Lyon. Ainsi entre-t-elle au cabinet du maire de Lyon en
2003 en charge de… l’animation des quartiers et la lutte
contre les discriminations. À l’en croire, elle a toujours
refusé des fonctions qui la renverraient à ses origines.
Cette fois, elle accepte avec empressement. Un an plus
tard, l’autre homme fort du département, Jean-Jack
Queyranne, la prend sur sa liste pour les élections régionales, une vraie Marie-Chantal découvrant le charme
1. Cf. note, p. 196.
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des tractages sur les marchés. « Je goûte, raconte-t-elle,
à la richesse de toutes ces rencontres, entre collines
arides de la Drôme provençale, sommets alpins et
merveilles de la vallée du Rhône. » Un excellent score
de la gauche lui permet de devenir, à l’âge de vingt-sept
ans, la benjamine du conseil régional. En 2008, Gérard
Collomb lui accorde une place d’adjointe « à la jeunesse
et la vie associative » à la mairie où il vient d’être réélu.
Aujourd’hui, Gérard et Najat sont à couteaux tirés sur
la place publique. « Najat est une communicante et
une séductrice, mais elle doit se méfier des paillettes »,
persifle le maire de Lyon qui, sans trop d’égard pour
la galanterie, explique le maroquin ministériel de son
ancienne protégée par un mot peu élégant : « Je crois
que François Hollande aime les jolies femmes. »
Arriviste Najat ? C’est sa réputation. Plutôt que
s’enfermer dans un déni d’un autre âge, la ministre
moderne préfère assumer, elle qui reconnaît dans un
accès de franchise un certain sens de l’opportunisme.
Elle explique ainsi volontiers le début de sa lune de
miel avec Ségolène Royal qui l’avait bombardée porteparole de sa campagne présidentielle de 2007. « Je lui
ai fait part, à chaque fois que je l’ai vue, de mon désir
d’être utile », a-t-elle reconnu un jour dans Le Monde.
Les animateurs de « Désirs d’avenir », la galaxie Royal,
sont intarissables sur les danses du ventre répétées que
la petite Najat avait exécutées auprès de la candidate
du PS, dès le lendemain de sa désignation après les
primaires. Son génie pour obtenir une place dans la
voiture de la candidate lors d’un déplacement à Lyon,
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ses manœuvres pour réussir à s’asseoir au côté de la
candidate dans l’avion qui l’emmenait au Portugal,
lors d’un voyage officiel. À chaque fois, le charme,
la disponibilité et le sens de la révérence dont a fait
preuve celle qui n’était alors qu’une adjointe au maire
de Lyon ont fait des miracles. Le poste de porte-parolat
enfin obtenu, Najat Vallaud-Belkacem a commencé à
se détacher de son premier mentor, Gérard Collomb,
qui n’a toujours pas digéré sa « trahison ».
Après avoir porté la bonne parole de Ségolène
Royal en 2007, elle s’est rapidement imposée auprès
de Martine Aubry qui, patronne du PS, la nomme
déléguée nationale aux questions de société, avant
de rejoindre François Hollande candidat. Lorsque
la bonne amie du président, la journaliste Valérie
Trierweiler, apporte son soutien sur le réseau social
à Olivier Falorni, le candidat dissident du PS opposé à
Ségolène Royal aux législatives de La Rochelle, Najat
veut surtout ne se brouiller avec personne. Mais
plutôt que voler au secours de « Ségo », sa marraine
en politique, la bonne élève préfère ménager Valérie
Trierweiler dont elle subodore l’influence au Château.
« Mme Trierweiler est une femme libre et moderne
qui s’exprime librement », expose-t-elle alors dans
les médias. Sans hésiter à préciser, peu après, que « la
parole officielle émane du Président », lorsque François
Hollande réaffirme son soutien à Ségolène, la candidate
officielle du PS. Du grand art !
Najat Vallaud-Belkacem a parfaitement assimilé
les codes du pouvoir. Son parcours individuel est
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un sans-faute. Une brillante intellectuelle féministe
comme Élisabeth Badinter voit en elle une incarnation
de « l’élite républicaine », qu’elle appelle de ses vœux.
« Rachida Dati, Najat Vallaud-Belkacem et Myriam
El Khomri, explique-t-elle au journal Le Monde,
prennent la place qu’elles méritent dans la société. »
Mais à quel prix ! La philosophe, à sa façon bien
méprisante, souligne la coupure définitive entre la
beurgeoisie intégrée, façon Rachida ou Najat, et les
banlieues populaires condamnées à l’archaïsme. « Dans
une certaine frange des quartiers, poursuit-elle, ces
femmes ne sont plus des modèles pour toutes car,
adoptant les valeurs de la République, elles ont tourné
le dos aux valeurs ancestrales 1. »
Le sacre de Ramzi
Si François Hollande aime souper en compagnie
du roi du Maroc et de sa jeune ministre de l’Éducation, il apprécie également de déjeuner au Mori
Venice Bar, un luxueux restaurant italien de la place
de la Bourse, en compagnie de tout l’état-major du
groupe Lagardère, dont Jean-Pierre Elkabbach, « le
survivor », à sa gauche, et Ramzi Khiroun, l’électron
libre, à sa droite. Premier secrétaire du Parti socialiste,
le chef de l’État se méfiait d’un Ramzi, proche de DSK,
1. Élisabeth Badinter, « Une partie de la gauche a baissé la garde »,
un entretien avec Nicolas Truong, Le Monde, 3-4 avril 2016.
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qu’il qualifiait de voyou. Depuis, les deux hommes se
sont rapprochés, notamment grâce à l’entremise de
Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, devenu
l’intime de Ramzi. Cette fréquentation ne plaît guère
aux communicants de Hollande et au secrétaire général
de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet, l’ami de toujours de
François Hollande. Pourtant, Ramzi comme Najat sont
bien à l’image de ces « bouts d’Arabe », sans apérité ni
passé que la gauche au pouvoir apprécie et valorise.
On se souvient que Ramzi Khiroun ne se vivait ni de
près ni de loin comme un beurgeois de la République.
Seuls « son travail » et « sa loyauté » lui auraient permis de
réussir 1. Cette profession de foi ne résiste pas pourtant à
une Légion d’honneur remise à l’Élysée le 19 novembre
2015 par le chef de l’État, qui vantera justement
« le parcours du jeune de Sarcelles », fils d’un Algérien
et d’une Tunisienne, tous deux chauffeurs de taxi. Voici
bien résumée la duplicité de la beurgeoisie, qui tourne
officiellement le dos à ses origines pour mieux s’en
souvenir quand il faut émouvoir les élites françaises.
Ce jour-là, des invités nombreux et élégants se
pressent dans la salle des fêtes de l’Élysée. En ces temps
troublés où le terrorisme a frappé le Bataclan et le
Stade de France six jours auparavant, certains s’étaient
interrogés sur la pertinence de cette petite sauterie.
Mais François Hollande n’a pas cédé, il a simplement
plaidé pour une remise de décoration sobre où une
vingtaine de personnes seraient conviées. Tel n’est pas
1. Entretien avec l’auteur de Ramzi Khiroun, le 2 mai 2016.
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ces « bouts d’arabe »
le sentiment de Ramzi Khiroun, qui a finalement gain
de cause pour convier deux cents invités, comme l’a
raconté le quotidien L’Opinion. Que du beau monde :
Manuel Valls, qui s’honore d’excellentes relations avec
Ramzi, Bernard Cazeneuve naturellement, Julien Dray,
Jean-Yves Le Drian, Emmanuel Macron, rejoints
par une brochette de mitterrandiens comme Jack
Lang et Hubert Védrine. La droite est représentée par
Éric Woerth, François Baroin, et l’ancien président
chiraquien du Sénat, Christian Poncelet. Une belle
brochette de patrons assiste à la cérémonie, dont
Arnaud Lagardère, forcément, Xavier Niel et un Bolloré
très prévenant, dont on dit qu’il aimerait bien mettre
la main sur Europe 1.
« À mon ami… » À peine son discours entamé,
François Hollande l’interrompt, menacé par un trou
de mémoire. À moins que son surmoi ne lui interdise
soudain de prononcer ce nom de Khiroun qu’il avait,
hier, traîné dans la boue. Heureusement, le chef de
l’État se reprend : « À mon ami Ramzi Khiroun… », et
commence l’éloge du bras droit d’Arnaud Lagardère :
« Certains se sont étonnés de cette remise de la Légion
d’honneur. On peut réussir, rien n’est interdit à un
jeune né à Sarcelles, même pas la Légion d’honneur. »
Ramzi en avait les larmes aux yeux.
Pourquoi tant de sollicitude ? François Hollande,
en menant cette opération séduction, n’est pas
dépourvu de quelques arrière-pensées électoralistes.
Le conseiller de Lagardère a en effet la haute main sur
les influents médias du groupe (Europe 1, Paris Match,
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Le Journal du dimanche), du moins il le fait croire. Or,
ces titres pèseront lourd dans la campagne présidentielle de 2017. Notre serial killer, comme l’a qualifié
Le Canard enchaîné, multiplie les interventions,
ces derniers mois, pour aider ses nouveaux amis de
l’Élysée. La bataille fait rage au sein du groupe entre
lui et Denis Olivennes, l’ex-patron de la FNAC et
de L’Obs, en charge de ce secteur, nettement plus
œcuménique. Au début de l’été, Ramzi Khiroun a
semblé marquer un point en obtenant le départ du
très droitier patron du JDD, Jérôme Bellay, dont
l’Élysée demandait la tête depuis des mois. Ce fut
une victoire à la Pyrrhus. Denis Olivennes obtint
dans la foulée de nommer Hervé Gattegno, un ancien
rédacteur en chef du Point qui est fort proche, depuis
2007, de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant.
Les grands de ce monde ont toujours utilisé des
spécialistes des coups tordus, mais en douce, sans
publicité tapageuse. Le général de Gaulle tenait ainsi
à distance les voyous du Service d’action civique, cette
milice créée à l’ombre de la République en 1958,
pour combattre l’OAS. François Hollande et Nicolas
Sarkozy n’ont pas eu ces pudeurs. Les lascars sont
désormais maîtres chez eux à l’Élysée. Sans que cette
transgression ait fait avancer d’un millimètre la cause
d’une génération plombée par la grande panne du
modèle français d’intégration.
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