Dans cet écrit, je vais parler d`une jeune fille que j`appellerais Nora
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Dans cet écrit, je vais parler d`une jeune fille que j`appellerais Nora
Ateliers de conceptualisation : Travail autour du désir Je vais vous parler de Nora : l’accompagnement éducatif de cette jeune fille a généré pour moi beaucoup de questions, de réflexions. Après 10 ans d’expérience professionnelle, elle m’a fait éprouver un sentiment d’impuissance, et de doutes quant à ma fonction éducative. Aujourd’hui, je peux formuler ma question de la façon suivante : comment accompagner un jeune lorsque celui-ci ne manifeste pas de désir, refuse tout projet, n’adhère plus au placement, le fuit et décide de mettre le lien à mal ? Nora a beaucoup de mal à assumer une position de sujet, position peut-être trop insupportable pour elle : elle décide de tout lâcher et installe le néant, le vide, le rien, l’absence. En tant qu’éducatrice, je me retrouve perdue. J’atteins mes limites et pourtant je ne veux pas lâcher, croire que rien n’est possible. L’accompagnement de Nora a mis particulièrement à l’épreuve mon intention éducative, jusqu’à ce que je réalise que l’on ne peut pas avancer pour l’autre. J’étais surtout impuissante et ce, dans ma mission première qui est la protection du jeune. Pour comprendre comment Nora m’a amenée à ce cheminement, je vais retracer son histoire et le déroulement de son projet sur la Villa. Nora est l’ainée d’une fratrie de 4 enfants. Le père biologique de Nora quitte sa maman à l’annonce de la grossesse. A l’heure actuelle, nous n’avons pas d’information concernant cette personne. La mère de Nora rencontre un monsieur lorsque Nora a 3 mois. Il décide de reconnaitre Nora à l’âge de 1 an. Elle portera depuis le nom de ce monsieur qu’elle considère comme son père. Le couple se marie et de cette union, ils auront 2 garçons et une fille. Ils divorcent en 2006, Nora part vivre avec sa mère, ses frères et sœurs restent avec le père. Nora a toujours été dans une relation exclusive et fusionnelle avec sa mère. Lors de la séparation, elle se positionne du côté de sa mère et refuse de continuer à voir son père. Livrée à elle-même dans un appartement désertée par sa mère qui a rencontré un nouveau compagnon, déscolarisée, frappée par le jeune garçon qu’elle fréquente, Nora inquiète les services de l’ADSEA qui intervenait déjà pour une AEMO. Une ordonnance de placement de un an est prononcée, au titre de l’enfance en danger, article 375 du Code Civil. Nora est donc placée aux Espaces d’Avenir, elle est âgée de 15 ans. Lors de son arrivée à la Villa, Nora se montre être une jeune fille agréable, souriante mais ne supporte aucune frustration. Elle demande souvent à retourner dans le village où vit sa mère pour y retrouver son copain et ses copines. Lorsque nous n’accédons pas à ses désirs, elle fugue de la Villa, pendant plusieurs jours. Elle est récupérée plusieurs fois par la gendarmerie à notre demande. Nous constatons rapidement une relation très fusionnelle avec sa mère : elle l’appelle régulièrement, souhaite la voir même si les rencontres se passent très mal. Elle semble n’exister qu’à travers sa mère qui reste omniprésente dans son discours. Nora reprend une scolarité. Elle est admise en 3ème d’insertion. Elle effectue des stages en coiffure qui semblent lui plaire et dit vouloir s’orienter dans ce domaine. Elle se crée un réseau de copains et copines sur Vienne et rompt progressivement les liens anciens. Elle semble commencer à s’installer dans une nouvelle vie. Les fugues sont encore là, mais passagères, Nora revient toujours d’elle-même. Quelques mois plus tard, un évènement violent et soudain vient bouleverser ce nouvel équilibre : le compagnon de sa maman est abattu par le frère de celui-ci et sa mère reçoit une balle dans l’épaule. Elle est hospitalisée en urgence et Nora s’effondre. Elle est à la fois très inquiète pour sa mère, et espère en même temps pouvoir la retrouver. Sa mère part vivre chez le père de Nora qui l’accueille plusieurs mois en attendant que celleci trouve un appartement. A partir de cet évènement, tout bascule pour Nora. Elle arrête sa scolarité, n’entend plus rien de ce que les adultes lui disent. Elle fugue, s’alcoolise … Elle avait comme projet de faire un CAP coiffure mais le salon qui avait évoqué la possibilité de la prendre en apprentissage ferme aussi à ce moment là. Nora exprime clairement qu’elle n’a plus aucun désirs, ne veut plus rien faire et ne veut plus avancer dans un quelconque projet. Nous avons l’impression que Nora nous échappe et que la relation que nous avons construite avec elle n’existe plus. Nora exprime auprès du juge son désir de quitter le foyer, de retourner vivre avec sa mère. La juge temporise : elle demande à Nora de construire un projet professionnel, permettant d’envisager plus tard une main levée de son placement. Pendant ce temps, la mère de Nora pourrait se soigner, trouver un logement afin d’être en capacité de recevoir sa fille. Elle devra alors l’accueillir tous les week-ends (dans un premier temps chez le père de Nora) pour voir comment les relations entre elles évoluent et pouvoir penser dans un an, un retour en famille. C’est ce qui est prévu, idéalement. Nora semble alors vouloir se remobiliser sur un projet. Différentes propositions de scolarisation lui sont faites, dont une Mission Générale d’Insertion, pour les jeunes de plus de 16 ans sortis du système scolaire, équivalent d’une 3ème d’insertion. Elle m’interpelle pour avoir mon avis mais je sens que mes propos doivent être très neutres car elle attend mon avis pour prendre une décision qui sera en fait la mienne et non la sienne. Le fait que je ne me positionne pas l’amène à me dire qu’en fait elle ne voulait pas décevoir les éducateurs qui l’encourageaient à intégrer la MGI. Comment travailler avec une jeune qui n’a finalement pas de désir pour elle-même mais fait les choses pour faire plaisir à l’autre ? Est-ce que le fait de commencer un projet dans le but de faire plaisir à l’autre peut amorcer un minimum de désir par la suite pour elle même ? Est-ce que le fait d’être objet et non sujet dans un projet permet de se protéger, permettant d’attribuer à l’autre la responsabilité de l’échec ? Toujours est-il que Nora mettra en échec les différentes propositions qui lui sont faites (chantiers AVDASE, formations…) par une fugue de plusieurs jours. Je me questionne sur la signification de ces fugues. Que veut Nora, que dit-elle lorsqu’elle part ? La fugue est un acte ; un acte que pose Nora et qui pour moi à une signification. Deux hypothèses sont possibles : - Nora fugue lorsqu’un idéal se défait (l’unité mythique de la famille, l’amour maternel, déception de travail….) - Ou lorsque le projet dans lequel elle est engagée n’est en fait pas le sien mais le désir de l’autre (travail, formation…) La seule chose que Nora verbalise, lors de ses retours de fugue, est que sans la présence de sa mère dans sa vie, elle continuera ainsi. Je décide d’être au plus près de ce qu’elle me dit. Je m’aperçois que je ne réagis plus comme il y a quelques temps. C'est-à-dire avec de la colère, de l’énervement. Lorsque Nora rentre, je ne l’a culpabilise pas, je lui fais part de mon inquiétude par sa mise en danger et le fait que je la sens mal et en souffrance. Elle réalise que je l’attends avec joie et plaisir. Pour la première fois, Nora accepte de parler avec moi de sa relation avec sa mère, relation tantôt envahissante, tantôt rejetante. Elle semble pouvoir entendre le décalage entre ce qu’elle attend de sa mère et la réalité à laquelle elle se confronte : sa mère en grande souffrance, dans l’incapacité d’entendre les problèmes de sa fille et qui l’envahit avec ses propres difficultés et son instabilité psychologique. Pour aider Nora, je lui propose de rencontrer la psychologue de l’institution, mais elle refuse. De nouvelles complications viennent bousculer cet équilibre fragile. Comme à chaque fois que la mère de Nora trouve un nouveau compagnon, ses liens avec Nora se dégradent. Nous nous proposons comme intermédiaire pour permettre à Nora de rencontrer sa mère, qu’elle n’a pas vue depuis 2 mois. Mais la rencontre se passe très mal. Le compagnon est omniprésent, agressif et nous met à la porte au bout d’un quart d’heure. Nora se met à l’insulter, il lève la main sur elle, je m’interpose et pousse Nora dans le véhicule. Nous rentrons sur la Villa et Nora pleure durant tout le trajet. La cellule familiale reconstruite avec son père et sa mère même imaginaire s’effondre. Retrouver la relation exclusive avec sa mère est impossible. La conséquence est immédiate : Nora fugue une première fois pendant 4 jours. Nous sommes très inquiets car nous n’avons plus de nouvelles et elle ne répond pas au téléphone. C’est la première fois qu’elle fugue aussi longtemps. Elle rentre d’elle-même et repart quelques heures plus tard durant alors 4 jours à nouveau. A ce moment, j’ai le sentiment qu’elle ne veut plus de contact avec nous, qu’elle fuit et met à mal le lien très fragilisé. Mon objectif est alors de rester en contact téléphonique avec elle car quand je l’appelle de mon portable personnel, elle me répond. Entendre sa voix me rassure même si les propos qu’elle me tient m’inquiètent. Elle reste très évasive sur l’endroit où elle se trouve. En fait, je suis rassurée que sur le fait qu’elle soit en vie. Je me retrouve hors cadre : téléphoner à une jeune de mon portable personnel, lorsque je ne travaille pas et transmettre les informations à mes collègues. Je l’accepte et Nora m’appelle sur mon portable personnel. C’est la seule façon de communiquer et d’être en lien. Lien très fragile, très bref mais existant. Je ne la lâcherai pas et continuerai l’accompagnement à distance s’il le faut. Nora me parle de suicide. Elle exprime clairement qu’elle refuse tous soins, toutes propositions de notre part, et qu’elle ne rentrera plus sur la Villa. Je la sens très mal physiquement et psychiquement, complètement perdue. Je suis impuissante face à son attitude. Nous sommes aux limites de la prise en charge éducative et j’ai l’impression qu’elle est dans l’incapacité d’entendre quoi que se soit et ne cesse de répéter que sans sa mère, elle laissera la situation se dégrader. Pourtant, je ne peux pas croire que tout s’arrête et je persiste à lui parler de soin voire évoque le fait que nous la forcerons peut être à y aller si elle continue à se dégrader. . Elle est finalement récupérée à Lyon par un éducateur et nous décidons de l’emmener à l’hôpital. Aux Urgences, le psychiatre ne propose pas d’hospitalisation. Mais un soin est proposé au CMP, avec un traitement contre l’angoisse et la dépression. Nora accepte et semble rassurée. Pourquoi accepte-t-elle le soin à ce moment-là ? Il est difficile de répondre, mais on constate que depuis, Nora n’a pas fugué. Elle semble avoir pris une décision, qui la concerne, elle. Elle se remet en mouvement progressivement et nous sollicite pour mettre des projets en place (chantier AVDASE, recherche d’apprentissage….) Cependant, nous sommes très vigilants à son état qui reste fragile, elle traverse des moments de fortes angoisses. Je suis consciente que cette situation peut basculer à tout moment et je l’accompagne au plus près de ses désirs au quotidien en lui souhaitant qu’elle puisse tenir sur la longueur. Pendant ce temps, je lui parle de sa mère en la rassurant sur le fait que la situation ne restera pas figée. Un weekend end, je dois aller la récupérer chez son père. Elle m’appelle à la Villa pour me dire d’aller la chercher chez sa mère, que tout va bien et surtout de ne pas m’inquiéter. Lorsque j’arrive en famille, Nora est avec sa mère et son compagnon. Le climat est calme et serein, comme si tout n’avait jamais existé. La maman demande à recevoir sa fille dans quinze jours pour 2 jours et Nora a le visage radieux. Il s’agit de rester prudent sur ce qui pourrait apparaître comme un « happy end », ne pas participer avec Nora à une idéalisation qui la précipiterait, à la faveur de nouveaux évènements, dans l’errance. Mais on peut remarquer que Nora peut mobiliser son propre désir lorsque sa question concernant sa mère est vraiment prise au sérieux, et que nous pouvons supporter une certaine précarité, la sienne, dont elle nous parle, mais aussi la nôtre. Je terminerai cet écrit en disant que Nora m’a amenée à agir d’une façon très particulière. J’ai du mettre de côté toute la théorie concernant un projet éducatif et son idéal, pour finalement n’utiliser que la base de mon travail axé avant tout sur de la présence et de l’écoute. Un projet se construit avec le désir. Sans lui, je ne peux rien faire.