Le commerce extérieur français et la Grande Guerre
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Le commerce extérieur français et la Grande Guerre
Le commerce extérieur français et la Grande Guerre : ruptures et continuités Bertrand Blancheton et Stéphane Becuwe, GRETHA-Université de Bordeaux Les guerres entraînent-elles des restructurations importantes du commerce extérieur des pays comme le suggère certains travaux historiques ? Ainsi Silvia Marzagalli (2015) montre que les guerres révolutionnaires donnent une impulsion décisive au commerce franco-américain et constitue en ce sens une rupture. B. Dedinger (2012) met en lumière les ruptures de la guerre de 1870 dans le commerce franco-allemand. Ce texte analyse les conséquences du choc de la première guerre mondiale sur les évolutions du commerce extérieur français. Il se fonde sur des statistiques annuelles de commerce extérieur issues du Tableau général du commerce de la France. Les flux d’importations en provenance de 41 zones et les flux d’exportations vers 63 pays sont pris en compte. Il croise la dimension pays avec la dimension produit. Pour les produits, soixante intitulés sont considérés pour les importations et 75 pour les exportations. En vue d’étudier la dynamique du commerce extérieur français, nous calculons des indices de concentration, étudions la stabilité des spécialisations, l’évolution des taux de couverture, l’évolution de la composition géographique et sectorielle du commerce de la France. 1. Le commerce extérieur de la France en 1914-1919 : Etude des flux par pays A. Les résultats de l’analyse factorielle pour les exportations S’agissant de l’application de l’analyse factorielle sur les données d’exportations, la période de la Première Guerre mondiale est discriminée par le deuxième facteur qui représente 23,1 % de la variance totale de notre phénomène ; le premier facteur explique 40,61 % de la variance totale ; il oppose la fin de période : les années 1930 à 1938 à la sous-période 1863-1878. L’explication de l’axe relève pour 77,5 % de la souspériode 1915-1918 ; l’année 1916 contribue à elle-seule à 52,5 % de sa construction. Ces années de guerre, auxquelles se joignent les années 1935 et 1936, s’opposent à la sous-période 1922-1927. Ces six années participent pour 10,3 % à la formation du facteur. Du côté des pays, l’axe oppose la Russie, l’Italie et l’Algérie à la Belgique et à l’Allemagne. Les trois premiers pays cités participent à hauteur de 70,3 % à la construction de l’axe dont 58,2 % pour la Russie tandis qu’à l’opposé les deux derniers pays contribuent pour 17,1 %. Ces trois pays sont à rapprocher de la période de guerre 1915-1918 et des deux années 1935-1936 tandis que l’Allemagne et la Belgique doivent être reliées aux années 1922-1927. Le tableau 1 retrace les parts relatives des pays discriminés au cours des années structurant le second facteur dans les exportations totales en pourcentage. Tableau 1 : Parts relatives des cinq pays discriminés par le deuxième axe dans les exportations totales en % 1915 1916 1917 1918 1922 1923 1924 1925 1926 1927 1935 1936 Russie 2,88 14,31 6,97 0,01 0,18 0,05 0,03 0,1 0,19 0,18 1,14 0,82 Algérie 9,34 8,37 8,71 12,80 8,01 6,92 6,18 6,41 5,69 6,21 16,64 17,38 Italie 9,86 12,59 16,15 16,51 3,72 3,82 3,50 4,79 4,43 3,74 3,85 0,89 Allemagne 0 0 0 0 10,90 6,40 12,69 8,35 7,40 12,01 6,78 4,30 Belgique 0,92 0,91 1,14 0,76 19,57 18,61 17,09 16,65 16,08 14,97 11,72 11,99 Pour des raisons évidentes, les exportations françaises à destination de l’Allemagne cessent dès la déclaration de la guerre. En 1914, afin de contourner les armées françaises par le nord, l’Allemagne envahit la Belgique ce qui a pour conséquence d’interrompre toute exportation de la France vers ce pays. Cette raison explique que ces deux pays se situent du même côté de l’axe pendant la période de la guerre. Les relations commerciales de ces deux pays avec la France reprennent un niveau élevé, notamment pour la Belgique, à partir de 1922 pour rechuter plus lourdement pour l’Allemagne en 1935 et 1936. Ce constat semble indiqué que la restauration du niveau des exportations françaises vers l’Allemagne fut très rapide, quatre ans à peine après la fin du conflit. Ce point méritera une attention particulière. De l’autre côté de l’axe, l’Italie, en mai 1915, se désengage de la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) et rentre en guerre au côté de la Triple-Entente (France, Royaume-Uni, Russie). Par rapport au poids qu’elles représentaient dans les exportations françaises avant la guerre, celles destinées au marché italien (4,4 % en 1914) doublent en 1915, triplent en 1916 et quadruplent en 1917 et 1918 pour ensuite retrouver leur part initiale (4,6 % en 1920). La lecture du tableau 1 permet de comprendre pourquoi l’année 1916 et la Russie sont principalement responsables de la construction du deuxième facteur des exportations. La Russie au cours de cette année absorbe près de 15% des exportations de la France. Un an après, la révolution d’octobre explique la chute importante des exportations. L’écroulement de ces dernières en 1918 relève du blocus de la Russie décidé par les pays de l’Entente pour punir les Bolcheviks d’avoir signé un traité de paix séparé avec l’Allemagne en décembre 1917. B. Les résultats de l’analyse factorielle pour les importations Les années de guerre ont également été discriminées par l’analyse factorielle des correspondances appliquée sur les données d’importations. Elles participent en effet à la formation des deux principaux facteurs. Le premier axe factoriel explique 35,5 % de la variance totale du phénomène. Il oppose les années 1915 à 1920 aux années 1930 à 1938. Les années de guerre contribuent pour 33,8 % à sa formation, les années 1930 pour 46 %. Tableau 2. Les contributions relatives des différents pays discriminés Années de guerre Pays Angleterre Etats-Unis Italie Turquie Espagne Total 1915-1920 signe <0 Contribution en % 18,1 9,6 4,2 3,6 2,8 38,3 Années 1930 Pays Algérie Autres pays d’Asie Indochine française Allemagne Congo et Sénégal Pays-Bas Autres pays d’Afrique Australie Tunisie Maroc Total 1930-1938 signe >0 Contribution en % 13,1 6,5 5,4 4,8 3,6 3,6 3,4 2,9 2,4 2,1 47,8 Le graphique 1 visualise sur l’ensemble de la période 1847-1938, l’évolution du poids relatif de ces deux groupes de pays dans les importations françaises en %. 80,000 70,000 60,000 50,000 40,000 axe 1 pays >0 30,000 axe 1 pays <0 20,000 10,000 1847 1851 1855 1859 1863 1867 1871 1875 1879 1883 1887 1891 1895 1899 1903 1907 1911 1915 1919 1923 1927 1931 1935 0,000 Pour ces deux groupes de pays, les années de guerre interrompent un processus d’évolution de long terme qui correspond à un déclin des parts de marché détenues par les cinq pays du « groupe Angleterre » (signe <0) et à une croissance de celles des pays opposés – « groupe Algérie » (signe >0)1. Peu après les hostilités, ces deux groupes reprennent leur tendance séculaire, la part de marché des pays du « groupe Algérie » dépasse au début des années 1930 celle du « groupe Angleterre ». Les années de guerre bouleversent donc un phénomène structurel du commerce extérieur français. Entre 1913 et 1917, la part du « groupe Angleterre » dans les importations françaises a plus que doublé passant de 31,2 à 68 %, tandis que celle du « groupe Algérie » est divisée par trois, passant de 25,1 à 8,5 %2. Notons que le « groupe Algérie » dont l’évolution au sein des importations françaises est croissante tout au long de la période à l’exception des années de guerre se compose majoritairement de colonies (ou apparentées comme telles) de la France. La sous-période 1915-1920 participe également à hauteur de 39,3 % à la formation du deuxième axe factoriel qui représente 27,5% de la variance totale des importations françaises. Elle s’oppose à la période 1871-1890 à laquelle se joignent l’année 1865 ainsi que les années 1867 à 1869.L’ensemble de ces 24 années contribuent pour 34,8 % à la construction du facteur. La contribution relative de chacune de ces années est donc faible (1,45 % en moyenne). Du côté des individus-pays discriminés, le tableau 3 les identifie, les positionne sur l’axe et synthétise leur participation relative. Années 1865, 67-69 1871-1890 signe <0 Années de guerre 1915-1920 signe >0 Pays Contribution en % Pays Contribution en % Turquie 16,5 Etats-Unis 25,7 Russie 12,1 Angleterre 4,4 Belgique 7,9 Canada (Possessions Anglaises en 2,5 Amérique) Italie 6,7 Allemagne 4,7 Autriche 4,4 Total 52,3 Total 32,6 Le coefficient de corrélation entre ces deux courbes vaut -0,85. En 1916, les 10 pays constituant le « groupe – Algérie » représentent 6,7% des importations totales de la France, niveau le plus bas atteint sur l’ensemble de la période. 1 2 Le graphique 2 permet d’expliquer l’opposition entre ces deux groupes de pays fournisseurs de la France au cours des années discriminées. Graphique 2. Evolution en pourcentage du poids relatif de chacun de ces groupes de pays dans le total des importations françaises. 70,000 60,000 50,000 40,000 axe 2 pays >0 30,000 axe 2 pays <0 20,000 10,000 1847 1851 1855 1859 1863 1867 1871 1875 1879 1883 1887 1891 1895 1899 1903 1907 1911 1915 1919 1923 1927 1931 1935 0,000 C’est l’amplitude de l’écart entre leur part dans les importations totales qui explique l’opposition entre ces deux ensembles de pays. Cet écart atteint son niveau maximum pendant la période de guerre et notamment en 1917 et 1918 (respectivement 58,1 et 58,4 %). La part des six pays corrélés négativement avec les années de guerre tombe en effet à 4 %. Cette chute brutale à partir de 1914 s’explique différemment selon le pays considéré au sein de cet ensemble. Certains font partie du groupe des pays ennemis, d’autres pas, mais d’autres raisons expliquent leur rapprochement du point de vue de la structure des importations françaises. Cette amplitude, certes moindre, explique aussi les années discriminées de l’autre côté du facteur. Cette fois-ci, l’écart entre les parts de marché est favorable aux six pays et apparaît plus important au cours de la période 1871-1890, atteignant presque 20%. Au final, sur 92 années prises en compte, il ressort que les années de la Première Guerre mondiale ont été à la fois des années de rupture et de clivage au niveau des principaux traits structurants tant les exportations que les importations françaises. Ces années ont bouleversé des tendances lourdes du commerce extérieur de la France. Il s’agit de savoir si ces changements ont été le point de départ de nouvelles évolutions ou s’ils ne sont qu’une parenthèse courte rompant avec des tendances de long terme. 2. Parenthèse ou changement radical ? Une approche géographique A. Le statut des pays Afin de savoir si le statut des pays pendant la Grande Guerre avait influé sur les flux commerciaux de la France avant, pendant et après cette période, nous avons réparti les importations et les exportations françaises en provenance et à destination des pays selon qu’ils appartiennent à l’une des quatre catégories suivantes : alliés, ennemis, neutres, alliés nominaux3. Graphique 3 : Evolution des parts relatives des groupes de pays selon selon leur statut dans la PGM en % entre 1900 et 1938, dans les importations françaises Graphique 4 : Evolution des parts relatives des groupes de pays selon selon leur statut dans la PGM en % entre 1900 et 1938, dans les exportations françaises Plusieurs constats se dégagent de l’examen de ces deux graphiques : La Première Guerre uerre mondiale impacte essentiellement les flux commerciaux des pays alliés et ennemis. Les parts relatives des pays neutres et des alliés nominaux ne sont pas affectées par le conflit. En conséquence, les pays alliés compensent seuls l’absence d’échanges entre la France et les pays ennemis. On peut constater une parfaite substitution substitution des parts de marché tant au niveau des importations qu’au niveau des exportations exportations entre ces deux groupes de pays. 3 Voir annexe pour la répartition des pays selon leur statut pendant la PGM On retrouve très rapidement après le conflit les poids relatifs de chaque groupe d’avant 1914, dès 1919 pour les exportations et 1921 pour les importations. Ce fait confirme ce que nous avions observé pour l’Allemagne et la Belgique, dans le cadre de l’application de l’analyse factorielle des correspondances sur les données d’exportations, concernant la restauration très rapide de leurs parts de marché. En définitive, au regard de l’évolution des parts relatives des pays selon leur statut dans la Première Guerre mondiale, il semble que celle-ci s’apparente plus à une parenthèse qui n’a eu de conséquences en termes de flux commerciaux que pour les pays alliés et les pays ennemis et uniquement durant la période du conflit. Les échanges commerciaux en provenance et à destination des pays ennemis se sont, en quelque sorte, réorientés vers les pays alliés à l’instar d’un effet de détournement de traficau cours d’un conflit commercial de cinq années (Viner, 1950). Cette constatation suggère l’idée selon laquelle le conflit n’aurait pas modifié la structure des spécialisations des pays entraînés dans la guerre. Il s’agirait par la suite d’étudier plus précisément cette hypothèse. B. Les alliés dans les échanges commerciaux de la France pendant la PGM Si les flux commerciaux de la France avec les pays alliés se sont substitués pendant la Première Guerre mondiale à ceux des pays ennemis, il convient de savoir comment cette répartition s’est effectuée. Nous nous intéressons en premier lieu aux exportations françaises à destination des pays alliés. Parmi ceux-ci nous distinguons les six pays suivants, parce qu’ils ont été discriminés par l’analyse factorielle des correspondances. : Angleterre, Belgique, Russie, Etats-Unis, Italie, Algérie. Au cours de la période 1900-1938, la part relative de ce groupe de six pays dans le total des exportations françaises à destination des pays alliés chute de 22 points passant de 87 % en 1900 à 65 % en 1938. Aussi, celle à destination de l’ensemble des autres pays alliés (36 pays, voir annexe) triple entre 1900 et 1938. Ces évolutions contraires connaissent un palier au cours des années de guerre, comme on peut le constater sur le graphique suivant. La part des six pays stagne entre 1915 et 1922 à 80% et celle de l’ensemble des autres se stabilise autour de 20 % pour ensuite retrouver leurs tendances inverses respectifs. Graphique 5. Evolution du poids relatif des six pays dans le total des exportations françaises destinées aux pays alliés entre 1900 et 1938 en % 100,00 90,00 80,00 70,00 60,00 50,00 40,00 30,00 20,00 10,00 0,00 angleterre belgique états-unis russie algérie italie 1938 1936 1934 1932 1930 1928 1926 1924 1922 1920 1918 1916 1914 1912 1910 1908 1906 1904 1902 1900 les 6 pays Les parts relatives de la Belgique et de l’Angleterre chutent brutalement dès le début du conflit. Celle de la Belgique ne retrouvera son niveau initial qu’en 1919. Trois pays compensent cette baisse brutale de débouchés, laquelle représente entre 1914 et 1916 une chute de 30 points sur les 80 que constituent les six pays dans les exportations totales françaises vers les pays alliés. La Russie absorbe en 1916 une part des exportations totales (16 % de l’ensemble des exportations destinées aux alliés) hors de proportion avec celle qu’elle représentait jusqu’alors (dix fois plus qu’en 1913). Pour des raisons déjà explicitées, la Russie, à partir de 1918, revient à un niveau inférieur à celui qui prévalait en 1913. L’Italie et dans une moindre mesure l’Algérie permettent au moins jusqu’en 1919 de combler le vide dans la structure des débouchés vers les alliés, laissé par la Russie. L’Angleterre entre 1918 et 1919 voit également sa part croître de neuf points. Remarquons également que la part des Etats-Unis ne présente pas d’évolution significative durant cette période. S’agissant, dans un deuxième temps des importations, les changements intervenus, pendant la Première Guerre mondiale au sein des pays fournisseurs alliés, aboutissent à des constatations diamétralement opposées. La part de l’ensemble des six pays considérés dans le total des importations provenant des pays alliés décline entre 1900 et 1938. Contrairement à ce qui a été noté pour les exportations, la période 1915-1922 ne constitue pas un palier mais bien une rupture au sein de cette tendance de quarante ans. Comme on peut le constater sur la figure, deux pays : les Etats-Unis et l’Angleterre accroissent de manière très significative leur poids dans les importations françaises. La différence la plus importante concerne les Etats-Unis qui fournissent en 1917 43,6 % de l’ensemble des biens que se procure la France auprès de ses alliés ; la part des Etats-Unis dans les importations françaises totales passe ainsi de 10,6 % avec 896 millions de francs en 1913 à 30 % en 1916 avec 6 163 millions de francs. L’Angleterre connait également une croissance de sa part de seize points entre 1914 et 1916. Leurs évolutions compensent plus que largement la baisse voire l’effondrement pour certains pays (la Belgique et la Russie) des parts de marchés qu’ils représentaient comme fournisseurs de la France. Graphique 6 : Evolution du poids relatif des six pays dans le total des importations françaises destinées aux pays alliés entre 1900 et 1938 en % 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 angleterre belgique états-unis russie italie 1938 1936 1934 1932 1930 1928 1926 1924 1922 1920 1918 1916 1914 1912 1910 1908 1906 1904 1902 1900 algérie les 6 pays Au total, des évolutions contraires et marquées ont été constatées au sein des structures d’importations et d’exportations en provenance et à destination des pays alliés pendant les années couvrant la Première Guerre mondiale. A l’exception de la Belgique et de la Russie, à partir de 1917, qui voient leur part s’effondrer tant dans les importations que dans les exportations, les autres pays présentent des tendances opposées dans chacune des deux structures de flux commerciaux. Ainsi, à l’instar des Etats-Unis ou de l’Angleterre, une stagnation ou une baisse de leur poids en tant que pays de destination des exportations françaises contraste avec l’augmentation significative de leur position en tant que pays fournisseur de la France. Ces constats s’inversent pour les autres pays, notamment l’Algérie et l’Italie. 3. L’effet sur la concentration Nul doute que ces évolutions contraires ont des conséquences opposées sur les balances courantes de la France vis-à-vis de ces pays. A l’évidence, la Première Guerre mondiale a modifié, pendant le temps du conflit au moins, la structure des liens commerciaux de la France avec ses partenaires. Deux questions sont abordées dans le point suivant ? Quel a été son impact sur la concentration géographique des exportations et des importations ? Les structures géographiques d’échanges se sontelles transformées à la suite du conflit ou les retrouve-t-on telles qu’elles prévalaient avant 1914 ? Les évolutions du C4 (part des quatre principaux pays dans le total) et de l’indice d’Herfindahl pour les importations et les exportations sont retracées dans le graphique 7 suivant. 80 0,25 70 0,2 60 50 0,15 40 0,1 30 20 0,05 Herfindahl Imports Herfindahl exports C4 Imports C4 Exports 10 0 1847 1852 1857 1862 1867 1872 1877 1882 1887 1892 1897 1902 1907 1912 1917 1922 1927 1932 1937 0 Du côté des exportations, la Première Guerre mondiale n’établit pas de rupture dans le mouvement de déclin de la concentration géographique des exportations que l’on peut observer depuis le début du XXe siècle. La part relative des quatre principaux pays clients de la France chute de 18 points entre 1900 et 1938 passant de 62 à 44 %. Le seul changement notable concerne les pays constituant le C4. Les Etats-Unis et l’Italie se substituent à l’Allemagne et à la Belgique à partir de 1915. Ces deux derniers pays absorbaient encore respectivement en 1914, 10,5 et 12,4 % des exportations totales et pour cette raison figuraient au sein du C4. Le dernier pays formant le C4 aux côtés de l’Angleterre, des Etats-Unis et de l’Italie est l’Algérie sauf en 1916 date où la Russie devient la deuxième destination des exportations françaises avec 14,3 %. A l’inverse, du côté des importations, la Première Guerre mondiale représente un choc qui modifie très sensiblement le poids que représentent les quatre principaux pays fournisseurs de la France. Depuis le milieu des années 1880 jusqu’en 1914, cette part oscillait faiblement autour de 40 %. Elle passe ensuite à 65,2 % en 1915, 67,6 % en 1916, 68,9 % en 1917 et 69,2 % en 1918. Comme nous l’avons déjà indiqué, les Etats-Unis et l’Angleterre sont la cause de ces bouleversements. Ces deux pays fournissent à eux seuls pendant ces quatre années 60% des besoins de la France venant de l’extérieur. L’Espagne, L’Algérie puis l’Argentine complètent mais dans une bien moindre proportion le C4. Notons, comme précédemment pour les exportations, la présence de l’Allemagne dans le C4 des importations en 1914, dont la part dans les importations totales s’élève à 9,6%. 4. L’effet sur la structure géographique Il convient de poursuivre la question de la perception de la Première Guerre mondiale en tant qu’épisode ou point de départ de changements structurels au sein de la répartition géographique des flux commerciaux français. Afin d’étudier la stabilité de la structure géographique des échanges extérieurs de la France, nous utilisons une méthode inspirée des contributions originales de Pavitt (1989) et Cantwell (1989). Cette approche exploite les résultats de la régression suivante : LFIi = + . é + i= 1,….N, in our study N = 56. La variable dépendante correspond à la structure géographique des exportations (importations) à la fin d’une période. La variable exogène correspond à la même variable au début de la période, α et β sont les paramètres standards de la régression linéaire et ε est le terme résiduel. Pour réduire l’impact de la volatilité au sein de la structure, nous avons pris en compt eune moyenne de trois années. L’interprétation des résultats de la régression est la suivante : • Si βi = 1 la structure géographique des exportations (importations) est la même pendant la période étudiée. • Si βi ≠ 1 la répartition géographique des exportations (importations) s’est modifiée au cours de la période. Tableau 4. Les résultats pour les importations début 19001902 β t* β/R fin 19031905 0,9535 2,2667 0,965 19061908 0,9992 0,0360 1,013 19091911 0,9772 0,7628 1,002 19121914 0,9777 0,6791 1,007 19151917 1,4218 -2,422 1,913 19181920 1,3722 -2,794 1,686 19211923 1,0310 -0,563 1,108 19241926 0,8949 2,0081 0,974 19271929 0,8736 2,712 0,938 Si t* on rejette au seuil de 1% l’hypothèse de stabilité de la structure géographique des importations En prenant la moyenne des trois premières années du XXe siècle comme années de départ, la structure géographique des importations est stable jusqu’en 1914 à l’exception de la sous-période 1903-1905. La répartition géographique des importations françaises est bouleversée en raison de la Première Guerre mondiale mais uniquement entre 1915 et 1920. A partir de 1921 et jusqu’en 1926, la structure géographique des importations est identique à celle qui prévalait au tout début du siècle. L’application de cette méthode permet de conclure que la Première Guerre mondiale peut s’apparenter à un épisode qui ne bouleverse pas au-delà de la période de guerre la structure géographique des fournisseurs de la France. Les résultats sont différents du côté des exportations. La structure géographique n’est pas stable, du moins pas depuis le début du siècle. Aussi, la période de référence choisie est 1912-1914. Comme pour les importations, la très forte instabilité est confirmée entre 1915 et 1920. La structure des débouchés de la France entre 1921 et 1923 est identique à celle de 1912-1914, pour par la suite retrouver son caractère instable. Il est difficile dans ces conditions de qualifier la Première Guerre mondiale comme un épisode ou comme un nouveau point de départ compte tenu de l’instabilité chronique de la structure géographique des exportations. Toutefois, malgré ce constat on retrouve au début des années vingt la même répartition des flux qu’à la veille du conflit. Tableau 5. Les résultats pour les exportations début fin 1912-1914 1915-1917 1918-1920 1921-1923 1924-1926 1927-1929 β 0,6755 0,8456 0,9489 0,9017 0,8335 t* 3,537 4,291 1,742 4,489 8,059 β/R 0,954 0,886 0,973 0,916 0,847 Si t* on rejette au seuil de 1 % l’hypothèse de stabilité de la structure géographique des exportations β/R doit s’interpréter ici comme un indicateur d’évolution de la concentration au sein de la structure. Ainsi une valeur de ce coefficient supérieure à 1 signifie un accroissement de la concentration des flux commerciaux. C’est le cas pour les importations. Ce point confirme ici l’accroissement des indices traditionnels de concentration perçu précédemment (C4 et indice d’Herfindahl) en lien avec l’intensification des importations provenant des Etats-Unis et de l’Angleterre. La conclusion est inverse pour les exportations dont on a pu constater la tendance baissière depuis le début du siècle au plan de sa concentration géographique. La Première Guerre mondiale ne modifie pas ce trend comme la faible augmentation du rapport β/R dont la valeur reste inférieure à l’unité le témoigne. 5. Le commerce extérieur de la France pendant la Première Guerre mondiale: Etude des flux par produits A. La concentration Le graphique 8 retrace l’évolution des indices d’Herfindahl et C4 pour les exportations et importations totales de produits. 135 et 107 produits ont été respectivement pris en compte pour le calcul de l’indice d’Herfindahl ( = ∑ ² où est la part de marché de chaque pays) des exportations et celui des importations. Graphique 8 12 60 Herfindahl exports Herfindahl imports C4 Exports C4 Imports 10 8 50 40 1936 1932 1928 1924 1920 1916 1912 1908 1904 1900 1896 1892 1888 1884 1880 1876 1872 1868 1864 0 1860 0 1856 10 1852 2 1848 20 1844 4 1840 30 1836 6 Du côté des exportations, les deux indices de concentration sont très élevés en début de période (1836-1859) traduisant la position ricardienne de l’économie française, très spécialisée et donc exportant beaucoup d’un petit nombre de produits. La libéralisation des échanges, marquée par le traité Cobden-Chevalier de 1860, rompt cette position et démarre un long processus de diversification. La part des 4 principaux produits dans les exportations totales chute continument et passe de 49,8 % en 1856 à 19,4 % en 1913. De 1914 à 1917, les exportations françaises se concentrent à nouveau, la part du C4 atteint 39,1 % en 1916, soit le double de celle de 1913. A partir de 1921, on retrouve les mêmes niveaux de concentration d’avantguerre. Par contraste, les indices de concentration des importations paraissent beaucoup plus stables. Entre les deux dates extrêmes 1836 et 1938, le C4 passe de 34 à 32%. A l’inverse des exportations, la guerre n’entraîne pas de modification sensible du niveau de concentration des importations. Il convient d’examiner les changements intervenus pendant la guerre dans la composition et l’importance relative des principales exportations et importations. Les armes surtout, mais aussi les tissus de soie et les produits chimiques voient leur part dans les exportations totales s’accroître très significativement durant la période de la guerre. A l’inverse, celles des tissus de laine, de laine et d’automobiles chutent drastiquement au point de disparaître du top 10 des exportations françaises entre 1914 et 1920. Le graphique suivant retrace l’évolution de la part de ces six produits dans les exportations totales. Tableau 6. Part dans les exportations en % 1910 1911 1912 1913 1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1922 1923 tis. Soie 5,34 4,81 4,35 5,61 6,37 8,69 8,27 8,22 6,42 7,52 8,49 3,41 3,14 2,84 3,20 3,17 0,45 0,44 0,69 12,2 2 2,09 7,80 tis. laine 10,5 4 0,85 3,52 3,81 3,96 5,10 tis. Coton 5,26 5,50 5,73 5,60 5,77 4,69 4,87 4,58 5,16 6,58 7,47 7,42 5,86 5,12 vins 3,90 3,09 3,41 2,95 2,72 3,02 2,03 1,79 2,49 3,08 1,87 1,96 1,63 1,92 bimbelot. 3,56 3,80 3,67 3,70 3,28 4,76 2,52 2,70 2,94 1,85 2,00 1,79 1,76 0,99 vêtements 2,78 3,25 3,79 3,67 3,67 4,10 3,11 4,24 4,96 6,81 6,01 6,19 7,91 7,11 art en peau 1,36 1,23 1,25 1,28 1,50 2,05 1,44 3,37 2,67 2,55 2,79 2,35 1,65 0,82 soies 2,95 2,67 2,20 2,60 2,74 3,09 2,83 4,06 5,50 2,97 2,02 0,94 1,19 1,31 Pdts chimiques laines 2,55 2,79 3,02 3,09 3,24 7,47 8,30 7,46 4,92 2,75 4,23 2,77 7,25 2,61 5,48 5,33 5,40 4,51 5,34 0,74 1,09 0,81 0,17 2,03 3,47 2,48 3,80 4,10 outils ouv. 1,64 1,76 1,77 1,76 2,04 1,49 1,43 1,54 1,42 1,29 2,26 2,49 2,61 3,06 autos 2,60 2,67 3,16 3,31 2,54 1,77 1,42 0,60 0,09 1,05 3,10 3,38 2,60 2,62 armes 0,00 0,00 0,00 0,00 0,41 5,30 17,71 3,19 1,04 1,88 1,33 0,58 0,48 total 40,8 3 40,0 4 40,6 0 41,2 9 42,7 8 47,6 5 55,4 6 15,5 8 55,6 3 44,9 0 46,3 1 48,4 1 43,3 1 48,3 2 43,7 3 Graphique 9 20,00 18,00 16,00 14,00 tissus de soie 12,00 pdts chimiques 10,00 armes 8,00 tissus de laine 6,00 laines 4,00 autos 2,00 1926 1925 1924 1923 1922 1921 1920 1919 1918 1917 1916 1915 1914 1913 1912 1911 1910 1909 1908 0,00 Tableau 7. L’évolution des parts des principaux produits importés 1910 1911 1912 1913 1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1922 1923 coton 6,55 6,84 6,89 6,85 5,20 3,43 3,24 4,84 5,16 4,20 6,12 4,99 7,48 8,87 laines 9,19 7,80 7,78 7,71 8,09 1,90 1,78 1,51 1,28 5,24 5,73 4,43 7,25 7,87 céréales 4,20 8,87 4,46 6,72 9,97 9,55 8,61 9,21 7,70 9,50 7,05 3,82 4,84 bois com. 2,31 2,12 2,33 2,49 10,3 9 1,83 0,76 0,90 0,39 0,37 1,02 1,76 2,13 2,52 2,40 soies 4,83 3,94 3,88 4,29 4,13 1,83 1,62 1,74 3,08 2,72 3,21 2,73 5,25 3,84 armes 0,00 0,02 0,03 0,04 0,04 1,67 3,60 7,87 1,45 3,93 0,01 0,04 1,65 0,00 fer, fonte 0,00 0,38 0,56 0,42 0,45 4,62 8,50 7,12 8,04 2,93 1,97 1,43 2,25 1,57 outils ouv. 0,88 0,96 1,08 1,05 0,94 1,79 2,76 3,90 3,18 2,08 2,06 2,05 1,67 0,96 machines 3,45 3,55 3,63 3,82 3,37 3,03 3,55 2,58 2,67 3,36 4,52 6,39 3,29 2,33 viandes 0,36 0,66 0,66 0,46 0,97 4,09 2,81 2,32 3,60 3,80 1,35 1,03 0,99 1,41 Pdts chimiques houille 2,21 2,58 2,85 2,85 3,13 2,93 4,53 4,36 4,17 2,70 2,44 2,80 2,03 2,23 5,59 5,62 6,09 6,93 6,76 9,92 8,21 8,96 8,30 4,13 3,74 3,90 3,27 3,45 3,11 2,73 2,01 2,02 14,2 2 1,15 14,5 8 2,24 10,0 7 3,52 11,06 vins 10,4 6 2,24 total 43,7 0 47,0 6 44,1 3 46,9 0 48,7 5 49,0 6 55,5 2 56,1 9 53,1 9 49,9 9 54,0 5 51,8 9 51,7 8 49,5 8 2,20 Si le niveau de concentration des importations ne semble pas avoir été affecté aussi lourdement que celui des exportations par la Première Guerre mondiale, il reste que des changements importants sont notables au plan de la composition des importations. Les céréales, les armes, le fer, fonte et acier, la viande et la houille voient leur part augmenter tandis que la laine et la soie connaissent une diminution de la leur dans les importations totales. Les premiers produits cités concernent l’alimentation et les matières premières nécessaires à l’approvisionnement dans une situation d’économie de guerre (houille, fer, fonte et acier). Graphique 10. Le contraste de ces évolutions 16,00 14,00 12,00 armes 10,00 céréales 8,00 viandes 6,00 houille 4,00 laines 2,00 soies 0,00 Intéressons-nous aux conséquences de ces changements intervenus dans la composition des échanges de la France notamment sur la balance commerciale. Le graphique 11 retrace l’évolution de trois taux de couverture au cours de la période 1836-1938 : le taux de couverture du C4 (TC4) est le ratio annuel de la valeur des quatre principales exportations sur celle des quatre principales importations. Les produits participant au calcul du TC4 varient au cours des années ; le taux de couverture du C10 (TC10) et le taux de couverture global (TCG). Graphique 11. L’évolution de trois taux de couverture au cours de la période 1836-1938 250 200 150 TC4 TC10 100 TCGlobal 50 1836 1840 1844 1848 1852 1856 1860 1864 1868 1872 1876 1880 1884 1888 1892 1896 1900 1904 1908 1912 1916 1920 1924 1928 1932 1936 0 Lors des 25 premières années, la France peut être qualifiée de « ricardienne ». Elle dégage un fort excédent commercial de ses spécialisations (C4 et C10) largement supérieur à celui de l’ensemble de ses transactions avec l’extérieur. La libéralisation du commerce accroît les importations et fait chuter les trois indicateurs du taux de couverture. A partir de 1877, le commerce extérieur devient structurellement déficitaire. A partir de 1880, le taux de couverture global dépasse les taux de couverture C4 et C10. Contrairement au début de période, le déficit commercial de nos principales spécialisations vis-à-vis de nos principaux besoins est supérieur au déficit global. A la veille de la Première Guerre mondiale, l’écart est très significatif. On remarque qu’entre 1880 et 1905, l’activisme de la politique commerciale française a permis de redresser la situation extérieure sans pour autant rétablir l’équilibre. L’entrée en guerre entraîne immédiatement un déficit commercial abyssal (TCG14 = 76,05 ; TCG15 = 35,68, TCG16 = 30,11 ; TCG17 = 21,82 ; TCG18 = 21,17) pour se redresser rapidement ensuite. En utilisant la même méthode que précédemment, nous testons la stabilité de nos spécialisations. L’indice de spécialisation utilisé est l’indice de Lafay : ∑% − ! + ! &'# − ! $ = 100 × "− % (× % ∑&'# + ! $ ∑&'# + ! $ + ! Les années de départ de notre étude de stabilité sont 1910 et 1911. Il s’agit d’un vecteur composé de 134 indices de Lafay. Les résultats obtenus sapparaissent dans le tableau xx. Tableau 8. Evolution des indices de spécialisation 1914-1915 1916-1917 1918-1919 1920-1921 1910-1911 1912-1913 Beta 1,02809633 0,91999489 0,57513246 R 0,98577678 0,87795089 T 67,3909237 21,0691862 ecart type 0,01525571 t* beta/r 1922-1923 0,62614741 0,94498278 1,17915571 0,58513741 0,7244753 0,82028435 0,84820947 8,2900899 12,0754074 16,4774052 18,3989125 0,04366542 0,0693759 0,05185311 0,05735022 0,06408834 -1,841693 1,83223047 6,12413709 7,20983939 0,95932017 2,79544955 1,04293016 1,04788878 0,98290154 0,8642771 1,15201854 1,39017041 Les spécialisations de la France restent stables jusqu’en 1915. Elles se modifient très singulièrement entre 1916 et 1919. Le principal résultat concerne le fait que l’on retrouve en 1920 et 1921 la même structure de spécialisations que celle qui prévalait au cours des deux années de départ, en 1910 et 1911. Sur le graphique xx, on constate que les indices de Lafay des tissus de laine et des tissus de coton chutent brutalement à partir de 1915 pour retrouver dès l’année 1920 leur niveau d’avant le début du conflit. Graphique 12. L’évolution de l’indice de Lafay des quatre principales spécialisations de l’économie française. 14 12 10 8 Silk Fabric 6 Cotton Fabric 4 Woolen Fabric 2 Wine -6 1936 1931 1926 1921 1916 1911 1906 1901 1896 1891 1886 1881 1876 1871 1866 1861 1856 1851 1846 -4 1841 -2 1836 0 Conclusion Ce texte a montré la résilience du commerce extérieur français au choc de la Première Guerre mondiale. La France retrouve la même structure géographique des débouchés après la guerre et la même structure de spécialisation. La guerre apparait comme une parenthèse et n’a pas impulsé de profondes restructurations du commerce français.