Explication du texte de Descartes (Mditation seconde, extrait)

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Explication du texte de Descartes (Mditation seconde, extrait)
Explication du texte de Descartes (Méditation seconde, extrait)
Descartes a commencé par douter de ses « anciennes opinions ». Pourquoi ? Descartes apparaît comme un esprit
à la recherche de certitudes. Le doute méthodique cartésien ne peut en aucun cas être confondu avec le doute
sceptique : il ne s’agit pas de douter pour douter, à la manière des sceptiques de l’Antiquité, de douter pour
montrer qu’on ne peut jamais être certain de quoi que ce soit, qu’on ne peut rien connaître avec une certitude
suffisante, mais tout au contraire de commencer par douter pour s’assurer de la certitude de ce dont on ne pourra
plus douter par la suite – lorsqu’on fait de l’escalade par exemple, on commence par s’assurer avant de grimper :
par analogie, c’est là ce que fait Descartes. Descartes, mathématicien et physicien autant que philosophe, s’efforce
de reconstruire tout l’édifice des sciences de son temps. Le Discours de la méthode , contenant par ailleurs un résumé
de la démarche suivie dans les Méditations métaphysiques, était destiné à servir de préface à d’autres écrits, plus
proprement scientifiques.
Descartes était aussi un chrétien convaincu. Il a gardé toute sa vie « la foi de sa nourrice ». Certains textes de
Descartes ne se comprennent pas sans cet arrière-fond. Il ne faut pas non plus oublier qu’il a été formé dans la
philosophie scolastique de l’époque – synthèse d’Aristote et du christianisme –. La tripartition ici introduite des
facultés de l’âme vient tout droit d’Aristote : distinctions entre âme nutritive et motrice, âme sensitive, âme
intellectuelle.
Objet du texte : répondre à la question : qui suis-je ? Descartes procède ici à un examen de conscience rigoureux
et sincère, de manière à ce que ne subsiste rien qui ne soit absolument certain en termes de connaissance de soimême.
Thèse de l’auteur : il l’a précédemment énoncée, il s’agit du Cogito, de la réalité d’une pensée en acte qui lui
appartient substantiellement en tant que sujet – ce qui est résumé ici par la formule : « je suis, j’existe » – mais il
resterait à se demander ce qu’est ce moi dont l’existence a été posée, ce que Descartes s’emploie à rechercher.
Les moments de l’argumentation sont les suivants :
- Descartes commence par poser la question à laquelle il entend apporter une réponse – jusqu’à :
« Qu’est-ce donc que j’ai cru être ci-devant » ?
- Vient une première réponse, bientôt écartée (« Mais je m’arrêterai plutôt »).
- Une deuxième réponse est alors introduite : serais-je mon corps ?
- Enfin, après élimination, dans l’âme, c’est-à-dire l’esprit, des facultés nutritive, motrice et sensitive,
subsiste la conscience ou la pensée, répondant selon lui à la question posée.
1) a) Descartes commence par rappeler où il se trouve arrivé à cette étape de ses Méditations : il possède désormais
une certitude unique, celle d’exister en tant que sujet. Mais il est encore loin de pouvoir prétendre se connaître
lui-même, en toute rigueur. En effet, lorsqu’on dit : je suis moi, il resterait encore à savoir ce qu’est ce moi. S’agitil de mon corps ? de ma personnalité propre ? de la totalité de mes expériences, de mes souvenirs ? Rien ne nous
dit encore de quoi il s’agit au juste. Et pourtant, cette « connaissance », si elle est réelle, est bien « plus certaine et
plus évidente », puisque c’est là la découverte la plus simple et plus profonde qui puisse être, celle d’une pensée
en acte – le Cogito – dont on peut être absolument certain de la réalité.
b) La première réponse apportée à la question « Qu’est-ce donc que j’ai cru être ci-devant ? » est rejetée comme
une sorte d’impasse rationnelle. Descartes en effet, examinant ses « anciennes opinions » à la recherche de
certitudes indubitables, songe immédiatement à une réponse de pure convention à la question posée, une réponse
par concepts, ceux qu’il tient de sa formation au Collège de La Flèche – alors tenu par les Jésuites – : je suis un
homme. Mais qu’est-ce qu’un homme ? On peut définir l’homme de bien des manières – comme « animal
raisonnable », c’est-à-dire doué de raison, comme être social, comme créature de Dieu, etc. – et il faudrait recourir
à bien d’autres concepts encore pour prétendre épuiser une seule de ces définitions possibles de l’homme. On
pourrait lire ici aussi une sorte de méfiance de la part de Descartes à l’égard des concepts abstraits, de la logique
pure : comme beaucoup de savants, Descartes se fie surtout à l’intuition. Mais il sait très bien aussi qu’en disant
de soi-même : je suis un homme, on se borne à se classer dans une classe d’êtres, sans pouvoir prétendre ainsi se
connaître soi-même.
c) Dans un deuxième temps, Descartes s’oriente alors dans une tout autre voie : il analyse la croyance qu’il avait
jusqu’ici de lui-même. Quand on songe à soi, on songe d’abord à son propre corps et à ses particularités, et aussi
à son esprit, caractérisé ici par ses attributs essentiels : se nourrir, marcher, éprouver des sensations, penser. Où se
trouverait ici le moi véritable ? Seulement, non seulement Descartes a précédemment montré ce qu’il fallait
comprendre par étendue, ou extension, la propriété commune de tous les corps, ce qu’il explicite à nouveau ici,
mais il a déjà rejeté l’existence des corps comme n’étant pas absolument certaine, dans la Première Méditation.
Tout se passe comme si, à ce stade du raisonnement, le corps n’avait aucune sorte de réalité, puisque sa réalité
doit être considérée comme douteuse.
2) a) Nous sommes toujours ici sous l’hypothèse du malin génie précédemment introduite par Descartes. Après
les attributs du corps, Descartes, dans l’esprit du dualisme qui est le sien, s’oriente maintenant vers l’examen des
attributs de l’âme. « Les premiers < attributs de l’âme > sont de me nourrir et de marcher ». Cette affirmation
peut surprendre le lecteur d’aujourd’hui. C’est que Descartes, conformément à l’examen auquel il procède de ses
« anciennes opinions », ou croyances, suit ici les conceptions aristotéliciennes et scolastiques auxquelles il était
accoutumé et qui lui ont été inculquées. De tels attributs doivent à l’évidence être rejetés, car manifestement liés à
l’existence des corps, précédemment affirmée comme étant douteuse.
b) « Un autre est de sentir ». De même que pour ce qui était des autres attributs de l’âme antérieurement évoqués,
l’existence d’une âme sensitive, dans le vocabulaire aristotélicien, doit elle aussi être rejetée. Outre le fait que la
capacité à éprouver des sensations est manifestement liée à la possession d’un corps, on peut très bien éprouver
des sensations, par exemple en rêve, se rapportant à des objets absents : là se trouve une cause possible d’erreur,
ce qui conduit en toute logique à affirmer que cela aussi est douteux : nous ne sommes pas ce que nous
ressentons.
c) Reste par élimination, ce qui s’appelle dans le vocabulaire cartésien un « dénombrement entier », parmi les
attributs de l’âme, c’est-à-dire de l’esprit, la seule faculté intellectuelle, définie comme l’acte même de penser. « <
la pensée > seule ne peut être détachée de moi ». On peut en effet se concevoir à la limite sans corps, ou dans un
corps qui ne serait pas le sien ; on peut se concevoir comme ne ressentant plus rien, comme dans la situation de
ces polytraumatisés qui survivent grâce à leur conscience, et aussi la volonté de vivre en dépit de l’état de leur
corps [1]. Mais on ne saurait se concevoir sans pensée, c’est-à-dire ici sans conscience, car, au moment où on
doute, et pour autant qu’on ne cesse pas, même un court instant, de douter, on pense, et on en a nécessairement
conscience alors.
d) « je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense ». C’est là le point vers lequel tendait toute la
démonstration précédente. Mais ici :
- penser ne signifie pas seulement concevoir intellectuellement, ou exercer sa raison, comme Descartes le
précisera ensuite (« Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme,
qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent »), mais avoir conscience ; la pensée s’étend ici au
sens large, comme identique à la conscience qui accompagne toutes nos représentations ;
- le mot « chose » n’est pas à comprendre comme synonyme d’objet matériel ; il ne s’agit pas ici d’une substance
qui resterait encore à connaître, caractérisée par la propriété ou l’attribut de la pensée, mais manifestement, pour
Descartes, un x dont toute l’essence est constituée par la pensée ; plus précisément, Descartes affirme de luimême être identique à cet acte même de la pensée qui le constitue en propre, sans qu’il soit nécessaire de
supposer un quelconque substrat caché qui serait caractérisé par l’activité même de la pensée ; là se trouvent en
germe les critiques qui lui seront adressées, déjà par ses contemporains (Hobbes, Gassendi), et ultérieurement par
d’autres penseurs ou philosophes…
--------------[1] Je songe à ce chef d’œuvre du cinéma qu’est le film de Dalton Trumbo, Johnny s’en va-t-en guerre (Johnny Got His
Gun).